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DROIT CONSTITUTIONNEL 2

Site :
INTRO

- Constitution 1958 = un produit de l’histoire


- Textes juridiques et constitutionnels importent moins en eux-mêmes que la manière
dont ils sont interprétés, mis en pratique. Cette mise en pratique est issue, inspirée
du passé. L’histoire constitutionnelle n’est pas linéaire, certaines pratiques
rejaillissent dans le présent.
Ex : pratiques du referendum par DG ressemblent aux plébiscites napoléoniens.

TITRE 1- Histoire constitutionnelle de la France


Chapitre I- la naissance de l’ordre constitutionnel contemporain

Période : 1789 à 1870 (Révolution à IIIe République)


Démarche thématique : quels sont les grands apports/enseignements de cette période au
droit constitutionnel français ?
= 3 grands enseignements, éléments qui vont forger le droit constitutionnel aujourd’hui :
- Le constitutionnalisme
- Le régime parlementaire
- Le suffrage universel

SECTION 1- Le constitutionnalisme
Par constitutionnalisme, on vise un mouvement politique qui consiste dans l’écriture des
Constitutions.
Ce mouvement commence à la fin du XVIIIème siècle avec 2 grands évènements : la
Constitution américaine de 1787, et la Constitution française de 1791. Ce mouvement
d’écriture des Constitutions n’est pas réductible au simple fait de mettre par écrit des
règles constitutionnelles qui seraient préexistantes. En écrivant les Constitutions, les
citoyens font bien plus que cela : ils affirment leur existence comme corps politique, et
leur volonté de choisir leurs gouvernements. L’acte constituant est ainsi l’expression la
plus pure de la souveraineté.
--Cela peut paraitre banal aujourd’hui, mais il faut être conscient que cette pratique
constitue au XVIIe un changement considérable. Auparavant il est faux de dire qu’il
n’existait pas de Constitution : il y avait une Constitution au sens matériel dans la mesure
où des règles s’imposaient déjà au pouvoir politique. Sous l’Ancien régime, le monarque

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n’était ainsi pas libre pleinement dans son action car il était soumis aux règles
fondamentales du royaume. (Règles fondamentales = origine divine, héritage tradition,
qqch de donné, de préétabli, qui s’impose à la volonté sans qu’elle l’ait choisi).
--Désormais avec le constitutionnalisme, les règles constitutionnelles sont instaurées par
un acte constituant. La Constitution devient un acte juridique qui émane de la volonté du
souverain. Les règles constitutionnelles ne sont plus quelque chose qui s’impose aux
hommes, mais au contraire constituent le choix d’un peuple en faveur d’un certain régime
politique. 1789 constitue en France un véritable tournant sur le plan constitutionnel :
auparavant, le droit constitutionnel était composé de règles issues et légitimées par la
tradition. Désormais, on a affaire à autre monde politique, en tant qu’il a été choisi et
voulu par la Nation.
Q° : Pourquoi un tel bouleversement politique ? Comment s’est-il produit ? Quelles en
sont les étapes ?
Les idées ont incontestablement joué un rôle : l’influence des philosophes des
Lumière dans ce domaine est certaine. Pourtant, il serait faux de croire que ce sont les
philosophes qui ont provoqué la Révolution de 1789. Montesquieu par exemple n’a jamais
souhaité une telle révolution. En réalité, le déclenchement de cette Révolution s’explique
beaucoup par les circonstances, et si certains éléments de contexte contingents n’avaient
pas été présents, il est tout à fait possible d’imaginer que le régime n’aurait pas changé et
aurait évolué vers une monarchie parlementaire constitutionnelle.

§1- Le moment constituant


Ce changement copernicien d’un monde politique à un autre s’est produit en l’espace
quelques jours (mai/juin 89). Retour sur l’enchainement des faits :

A. La réunion des Etats généraux


A la veille de la Révolution, il y a incontestablement un grave problème financier : les
caisses de l’Etat sont vides (perte de la guerre de 7 ans face à la GB, soutien coûteux aux
colonies américaines). Dès la fin 1783, le déficit est très grave et il devient nécessaire de
lever de nouveaux impôts. Or, la noblesse et le clergé jouissent d’importants privilèges,
au nom desquels ils refusent de s’y soumettre. Les nombreuses tentatives de réformes
(Turgot, ..) se heurtent à des oppositions tranchées, créant le mécontentement des
contribuables (bourgeoisie) qui supportent l’ensemble de la charge fiscale. A cela s’ajoute
une colère du petit peuple, justifiée essentiellement par l’inflation et l’augmentation du
prix du pain. Tout le monde réclame à louis XVI la tenue d’Etats généraux (= institution
coutumière née XIVe siècle qui représente les 3 ordres censés représenter la société d’AR :
noblesse, clergé, le Tiers-Etat).
Pb : cette représentation de la société n’est plus du tout représentative au XVIIIe. Chaque
ordre est devenu très hétérogène (cf : Tiers = grande bourgeoisie/petits paysans). Louis
XVI accepte en mai 1788 la réunion d’Etat généraux.

B. L’invention de la nation souveraine


Les représentants aux Etats généraux sont désignés selon des règles complexes, et en ce
qui concerne le Tiers le système de désignation choisi se rapproche d’un suffrage universel

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masculin. En effet, les membres du Tiers Etat ne font pas que désigner leurs
représentants, ils accompagnent leur suffrage de cahiers de doléances dans lesquels sont
écrites les revendications de la population. En ce qui concerne les revendications
politiques, elles sont très floues et n’appellent en aucun cas à la Révolution. Il s’agit
plutôt de revendications très concrètes, qui touchent à la vie quotidienne.
--Les revendications du Tiers. Il est important de noter que les représentants du Tiers
vont tout de suite contester le mode de fonctionnement des Etats généraux. En effet, ce
fonctionnement coutumier est marqué par 2 règles principales que sont d’une part la
représentation paritaire (= chacun des 3 ordres a le même nombre de représentants),
d’autre part le vote par ordre (1 ordre = 1 voix). Il en découle une situation vécue comme
une injustice par le Tiers : ses représentants ne pèsent politiquement pas davantage que
les 2 autres ordres, alors qu’ils sont de loin les plus nombreux et créent la quasi-totalité
des richesses du royaume (particulièrement la bourgeoisie). Les représentants du TE vont
avoir 2 revendications :
- Avoir autant de représentants que les 2 autres ordres réunis (600)
- le vote par tête au lieu du vote par ordre (50% voix).
Louis XVI répond à ces 2 revendications de manière très ambigüe : il accepte le premier
point mais refuse le vote par tête.
--Une intense agitation intellectuelle. Entre l’annonce de la réunion et le début des états
généraux, de nombreux écrits politiques sont publiés parmi lesquels « Qu’est-ce que le
tiers état ? » de Sieyès (qui siège parmi le Tiers et non le clergé). Il s’agit d’un pamphlet,
marqué par le ton polémique (cf : 3 parties : Qu’est-ce le TE ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à
présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? A être quelque chose). 2 idées
importantes :
- Le vrai souverain n’est pas le roi, mais la nation (le roi n’exerce la souveraineté
que parce qu’il représente la Nation)
- Cette nation se ramène tout entière au Tiers Etat
Conséquence immédiate : on en déduit que seuls les représentants du Tiers Etat sont les
véritables représentants de la Nation. Sieyès considère en effet les 2 ordres privilégiés
comme des parasites (cf : physiocrates) qui profitent du travail (agriculture, commerce) du
Tiers et se l’accaparent. Attention : Sieyès estime également que ceux qui ne sont pas en
mesure de payer une contribution n’appartiennent pas à la nation souveraine.

C. De l’assemblée nationale à l’assemblée constituante

Le 5 mai 1789, a lieu la réunion des Etats généraux. (300 clergé, 300 noblesse, 600 Tiers).
Les représentants du Tiers revendiquent immédiatement le vote par tête et refusent de
siéger avec les autres.
Le 17 juin 1789, les représentants du Tiers se proclament assemblée nationale, ayant
seule qualité pour représenter la volonté de la Nation. (Remarque : même à ce stade, on
aurait encore pu voir un basculement, une évolution du régime vers une monarchie
parlementaire constitutionnelle).
Le 20 juin 1789, les membres de l’assemblée nationale réunis dans la salle du jeu de
paume promettent de ne pas se séparer avant d’avoir donné à la France une Constitution.

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9 juillet 1789 : l’assemblée nationale se proclame assemblée constituante et se donne
pour mission de choisir l’ordre politique qu’elle juge souhaitable (= basculement vers un
nouvel ordre politique).

§2- L’œuvre de l’assemblée constituante


Cette assemblée nationale, en se proclamant constituante, se donne pour mission rédiger
une Constitution et par là même de choisir un nouveau régime politique. Cette rédaction
va prendre du temps : il faudra près de 2 années avant que la nouvelle Constitution ne soit
adoptée (3 septembre 1791). Entre temps, la Révolution a pris un tour plus violent, il est
alors nécessaire de prendre des mesures sociales d’apaisement : l’abolition des privilèges,
l’abolition de la noblesse (23 juin 1790). De plus, l’assemblée constituante ne travaille
pas que sur la rédaction de la constitution, elle s’attelle également à la DDHC qui précède
la Constitution.
(DDHC : une importance capitale, car ce texte a aujourd’hui valeur juridique équivalente à
tout article de notre Constitution.)

A. La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen


Dans sa forme, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne constitue pas une
nouveauté. Les constitutionnaires français semblent suivre l’exemple de la DDH des USA,
adoptée en 1776. Sur le plan philosophique, les influences ayant guidé la DDHC sont très
diverses : on s’inspire de Montesquieu (et Locke), mais aussi de Rousseau, et des
physiocrates.

1) Les droits proclamés


Comme son nom l’indique, la DDHC a pour premier objet de proclamer un certain nombre
de droits (refus d’ajouter des devoirs, proposition soumise notamment par le clergé). Ces
droits sont considérés comme découlant du droit naturel, autrement dit d’un droit qui
préexiste à l’intervention du pouvoir politique parce que découlant de la nature humaine
(si ce n’est de Dieu). Cette origine est également signalée par l’appellation « déclaration »
(droits déclarés au sens de « constatés » et non créés).
Q° : Quel est le contenu de ces droits ?
• La liberté
= domine largement la DDHC, qui en fait un principe (l’absence de liberté devient
l’exception). Cette vision est perceptible à l’article 4 (« La liberté consiste à
pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »). Il en découle que les libertés
citées par la déclaration ne sont pas exhaustives : comme la liberté est le principe,
il est inutile (et d’ailleurs impossible) d’énumérer toutes les libertés. Il est seul
nécessaire d’en préciser les limites (l’article 5 ajoute que « Tout ce qui n’est pas
défendu par la loi ne peut être empêché »).

→ Les articles 7 et 8 = protègent la liberté individuelle (essentiellement le droit de


ne peut être arbitrairement arrêté et détenu, principe fondateur de notre droit
pénal).

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→ La liberté d’opinion et de culte (article 10), de communication et d’expression
des opinions (article 11).

• L’égalité
= occupe une place de 1er plan (cf 1er article : « Les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être nées que sur
l’utilité commune »). Conséquence logique de cette affirmation : abolition des
privilèges.
Cf : article 6 (« La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit
qu’elle punisse »). D’ailleurs on ne trouve pas mention de libertés collectives
(liberté de réunion, d’association), on préserve l’aspect individuel.

• La propriété
= caractérisé comme étant un droit inviolable et sacré, cf : article 17 (« La
propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est
lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous
la condition d’une juste et préalable indemnité »).
CCL : Un texte d’inspiration libérale et individualiste.

2) La sacralisation de la loi
Elle ne se contente pas d’exposer des droits découlant du droit naturel. Elle traite
également de l’organisation politique devant être mise en place au service de ces droits et
libertés, du droit positif.
• Cf : article 2 : les droits doivent être « le but de toute association politique », ce
qui entraine certaines conséquences au plan institutionnel.
• Cf : article 16 : la DDHC pose le principe de la séparation des pouvoirs, comme
garantie de la pérennité des libertés proclamées.
Surtout, la DDHC est marquée par l’omniprésence de la loi : si elle adhère à l’idéologie du
droit naturel, on constate paradoxalement qu’elle est peut-être tout autant empreinte
d’une sorte de fascination pour la loi (au sens du droit positif = créé par les institutions
humaines et en vigueur dans les sociétés). Dès l’article 4 de la déclaration, la loi joue un
rôle tout à fait central puisqu’elle apparait comme un moyen de limiter, de poser des
bornes aux libertés. Ces limites ne peuvent être constatées que par la loi. Tout au long du
texte, la loi est ainsi évoquée comme le moyen de poser des limites aux droits consacrés
par la déclaration. Cf : article 17 (propriété = un droit inviolable et sacré, MAIS peut céder
sous la « nécessité publique »), ou encore article 7 (« Tout citoyen appelé ou saisi en vertu
de la loi doit obéir à l’instant, il se rend coupable par la résistance ») =contradiction avec
l’article 2 qui consacre le droit de résistance à l’oppression ? On retrouve une certaine
sacralisation de la loi, qui semble perçue comme ne pouvant en aucun cas constituer une
oppression, sous-tendue par l’idée que la loi ne peut pas mal faire (cf : Rousseau, volonté
générale).

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3) Les questions constitutionnelles en suspens
La loi est sacralisée, on lui confère le rôle de poser des limites aux droits et libertés
proclamés. Le problème se pose alors de savoir qui est compétent pour faire la loi ?
La DDHC apporte des éléments de réponse à cette question cruciale, même si elle
manifeste la difficulté nouvelle à laquelle se retrouvent confrontés les
révolutionnaires (quelle direction donner à l’entreprise révolutionnaire ?).
• L’article 3 (« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la
Nation. Nul corps, nul individu ne peut en exercer d’autorité qui n’en émane
expressément »). On retrouve ici l’idée de la souveraineté nationale, théorisée par
Sieyès, mais qui pose quelques difficultés dans sa mise en pratique : Qu’est-ce que
la Nation ?
= La Nation est soit une notion abstraite, soit une grande collectivité d’individus.
Dans les deux cas, il va de soi qu’elle ne peut pas elle-même exercer sa
souveraineté.

• L’article 6 (« La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le
droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation.
Elle doit être égale pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les
citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités,
places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle
de leurs vertus et de leurs talents »). Il témoigne de l’hésitation des rédacteurs
entre démocratie directe et représentation. La 1ère phrase renvoie clairement à
Rousseau alors même qu’il est fait mention d’une représentation (pourtant
clairement exclue par ce dernier).

B. La Constitution de 1791

1) Le régime représentatif
Article 2, titre III : « La Constitution française est représentative ».
Volonté de rupture entre l’Ancien Régime et le constitutionnalisme. Tout a changé.
--En 1791 il y a bien un roi, mais ce n’est que parce que la Constitution l’a prévu. Il ne
s’agit plus d’un monarque de droit divin (une procédure de destitution du roi est d’ailleurs
prévue).
--Le régime est exclusivement représentatif. Les constituants de 1791 ont donc rejeté la
démocratie directe, accentué par le choix du mode de suffrage censitaire (seuls les
citoyens payant une contribution financière peuvent voter) et indirect (à 2 degré).
--Enfin, il est bon de signaler que la Constitution n’a pas été ratifiée par le peuple
puisqu’elle n’a pas fait l’objet d’un referendum. Le rejet de la démocratie directe est loin
de faire l’unanimité parmi les révolutionnaires, et ceux de gauche (montagnards, jacobins)
critiqueront beaucoup cette Constitution de 1791 (Cf : Robespierre dans son discours du 29
juillet 1792), en particulier la représentation en raison de ses dérives possibles (=
usurpation de la souveraineté par les représentants), et du risque d’une oligarchie
parlementaire.

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NB : La Constitution suivante fera quant à elle la part belle à la démocratie directe (SU,
mandats impératifs et pratiques référendaires).

2) Les rapports entre les pouvoirs


Sous l’influence de Montesquieu et suivant l’exemple de ce qui existait à l’époque en
Angleterre, les constituants ont prévu que la loi ne sera pas faite uniquement par le
Parlement.
Certes, le corps législatif a la fonction essentielle de proposer et voter les lois, mais ces 2
étapes ne suffisent pas à l’adoption de la loi : il faut encore que la loi proposée puis votée
par le corps législatif reçoive la sanction du roi (cf : se nomment décrets et portent 2
dates : vote par corps législatif et sanction royale). Or cette sanction ne constitue pas une
simple formalité comme l’est aujourd’hui la promulgation des lois. En effet, le roi a le
droit de refuser la sanction s’il désapprouve le texte. En d’autres termes, la Constitution
instaure un droit de veto législatif au profit du roi. En cela, les constituants suivent
l’exemple de l’Angleterre puisqu’à cette époque le monarque anglais dispose encore d’un
droit de veto législatif. Cf : Aujourd’hui, le veto législatif perdure aux Etats-Unis. Le
Président peut ainsi s’opposer (du moins temporairement) à l’adoption d’une loi.
Rédigées à la même époque, la Constitution américaine et la Constitution française de
1791 s’inspirent toutes deux du modèle anglais tel qu’il existe à la fin du XVIIIe siècle. En
1791, ce veto législatif a fait l’objet de débats houleux entre les révolutionnaires. Parmi
les partisans du veto, on trouvait étonnamment des jacobins : pour eux il s’agissait d’une
garantie, permettant de faire obstacle à une éventuelle oligarchie parlementaire. Ce veto
est suspensif et non absolu, mais il demeure tout de même relativement fort, car il faut
que 2 législatures successives se présentent en faveur du texte pour passer outre le veto
royal.
Si cette Constitution est appliquée si peu longtemps, c’est que ce système suppose une
collaboration entre le roi et le corps législatif, qui ne semblent pas faits pour
s’entendre car ils n’appartiennent pas au même monde politique : tandis que le corps
législatif est doté d’une réelle légitimité représentative, le roi a une légitimité d’ordre
historique (la Constitution reprend les règles de succession de la loi salique). C’est
d’ailleurs l’usage du veto par le roi qui va conduire la Constitution à sa perte. En juin
1792, le roi va s’opposer à deux textes. Les jacobins (radicaux) vont alors inciter le peuple
à la révolte, qui envahit les tuileries le 20 juin 1792 en scandant le slogan « A bas
Monsieur Veto ! ». Va alors s’établir une dictature d’assemblée, marquée par la Terreur.
CCL : Il s’agit donc d’un échec, même si on est passé d’un monde où la constitution
matérielle s’impose aux humains à un monde dans lequel les hommes se reconnaissent le
pouvoir de choisir les orientations politiques.

SECTION 2 : Le développement du régime parlementaire


§1- Théorie du régime parlementaire
Le critère essentiel par lequel on reconnait un régime parlementaire = l’existence d’une
responsabilité politique du gouvernement face au Parlement. Cette responsabilité
politique s’accompagne généralement du droit de l’exécutif de dissoudre le Parlement (ou
l’une des chambres qui le composent).

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Ce régime n’a été inventé par personne : il est apparu progressivement, fruit d’une
histoire politique. Le meilleur exemple de cette évolution historique est le régime anglais.
Toutefois, il est bon de savoir que la Norvège, à la même époque, a connu une telle
évolution.
--Genèse du régime parlementaire : Le point de départ de cette évolution, c’est
l’irresponsabilité du monarque. A l’origine en effet, comme dans la plupart des Etats
européens, c’est le monarque qui gouverne et légifère. Ce roi tient sa légitimité de Dieu et
de la tradition. Dans ce contexte, toute idée de responsabilité politique du monarque n’a
pas de sens : il n’a de comptes à rendre qu’à Dieu. Mais à partir du XVIIe siècle, le
monarque anglais va être de plus en plus concurrencé par les barons, les seigneurs, qui se
réunissent en assemblée et vont de plus en plus prétendre disputer sa souveraineté au
monarque. Suite aux 2 guerres civiles, on dira en Angleterre que le roi en lui-même n’est
pas souverain, il ne l’est qu’en son Parlement (« king in Parliament »). Or la légitimité de
ce Parlement ne pouvant être la même que celle du roi (divine et issue de la tradition), ce
dernier va se reconnaitre une légitimité représentative. On assiste alors à l’affrontement
de deux légitimités incompatibles (droit divin/représentative), qui vont se manifester au
travers des 2 guerres civiles. Les 2 pouvoirs vont progressivement apprendre à coexister
pacifiquement. Pour cela, ils vont, avec la pratique politique, trouver le moyen de
résoudre leurs conflits autrement que par la guerre et la violence. Ce moyen réside dans le
cabinet du roi (= ses ministres). Ces ministres vont progressivement se détacher du roi,
s’autonomiser pour constituer un organe distinct de lui, et ainsi jouer le rôle de pièces
régulatrices dans les relations entre le roi et le Parlement. Légalement, le Parlement ne
peut pas destituer le monarque. En revanche, il est possible pour les parlementaires de
s’en prendre aux ministres, d’autant plus que ce sont eux qui vont contresigner les
décisions du roi (= les rendre exécutoires par la signature du ministre compétent). Dans
l’Angleterre du XVIIe siècle, on va utiliser pour cela une procédure pénale :
l’impeachment. Cette procédure a l’avantage pour le Parlement que les crimes et les
peines ne sont pas clairement établis et précisés. En conséquence, les ministres ne vont
dorénavant accepter de contresigner que les actes avec lesquels ils sont eux-mêmes
d’accord. Le contreseing des actes du chef de l’Etat par les ministres constitue ainsi la 2e
caractéristique du régime parlementaire. Progressivement, le pouvoir va passer du roi vers
les ministres, pouvoir et responsabilité allant de pair. La procédure d’impeachment ne
devient bientôt plus nécessaire, il suffira que le Parlement menace d’entamer la
procédure pour obtenir la démission du ministre (Cf : En 1742 = démission du ministre Lord
Walpole sur simple menace du Parlement). La responsabilité pénale va bientôt basculer
vers la responsabilité politique. La naissance du régime parlementaire sera achevée
lorsque le retrait de la confiance du Parlement entrainera non plus seulement la démission
individuelle, mais celle de tout le gouvernement de façon collective (= solidarité
ministérielle).

§2- L’expérience parlementaire française


En Angleterre, on a assisté à la naissance du régime parlementaire, qui s’est développé par
la pratique sans que les acteurs de cette évolution en soient eux-mêmes conscients. Il en
ira de même en France : le parlementarisme s’est développé par la pratique des régimes
politiques, et non en vertu des textes constitutionnels.
Le cadre = la monarchie constitutionnelle, instaurée à partir de la Restauration avec les
Chartes de 1814 et 1830.
Q° : Pourquoi cette époque ?

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Le régime parlementaire aurait pu se développer beaucoup plus tôt. La constitution de
1791 contenait déjà tous les ingrédients nécessaires, puisqu’elle prévoyait d’une part la
contresignature des actes du monarque par les ministres, la responsabilité politique du
monarque d’autre part, ainsi que la responsabilité pénale des ministres. En 1792,
l’assemblée législative reproche au ministre Delessart d’avoir manqué de fermeté à l’égard
de l’Autriche et menace de le faire condamner. Le ministre choisit alors de démissionner,
suivi collectivement par le cabinet du roi. Les régimes suivant se prêtant très peu à une
évolution vers le parlementarisme, le régime parlementaire n’a pu émerger qu’avec les
monarchies limitées.

A. L’apparition du régime parlementaire sous la Restauration et la


Monarchie de Juillet.

1) Les monarchies constitutionnelles


Le régime politique instauré à partir de 1814, et repris dans les grandes lignes par celui de
1830, est la traduction d’un compromis politique : il s’agit d’un retour à la monarchie,
mais pas à l’Ancien Régime. La charte de 1814 est octroyée par le roi et n’entre en vigueur
que par la seule volonté de son rédacteur, à savoir le roi. En conséquence, les libertés
généreusement octroyées peuvent tout à fait être restreintes, voire supprimées. Cf :
Charles X : d’un point de vue constitutionnel, il pouvait revenir sur les libertés octroyées
(rêve retour à AR). Mais une véritable erreur politique, car un retour à l’Ancien Régime
n’était souhaité par presque personne.
Lorsque Louis Philippe monte sur le trône de France, on assiste à un changement important
du statut même de la Charte constitutionnelle : en 1830, le roi redevient un pouvoir
constitué car la Charte a été rédigée par les chambres. Il ne s’agit plus d’une Constitution
octroyée par le roi, qui n’est plus détenteur de la souveraineté. En revanche, sur le plan
institutionnel il n’existe que très peu de différences entre les 2 Chartes : on retrouve le
même type de régime, fortement inspiré du régime britannique :
- Parlement bicaméral, avec une chambre aristocratique (chambre des pairs,
d’abord nommés à titre héréditaire) et une chambre basse (chambre des députés,
élus au suffrage censitaire très fort)
- Un roi (dont la légitimité politique a fortement changé d’un régime à l’autre), qui
assure l’intégralité du pouvoir exécutif et participe au pouvoir législatif par le biais
d’un droit de veto absolu. Il est irresponsable, tant politiquement que pénalement,
les Chartes indiquant que la personne du roi est « inviolable et sacrée ».

2) Le développement de la pratique parlementaire


Si les chartes de 1814 et 1830 décrivent les pouvoirs respectifs du roi et du parlement,
elles ne contiennent que très peu d’éléments sur leurs rapports.
Toutefois, certains éléments indiquent une prééminence du roi sur le Parlement comme le
droit de dissolution (du roi contre la chambre des députés), et la fournée de pairs (pairs
désignés par le roi, en nombre illimité ce qui permet de modifier le bord politique de la
majorité). Au simple regard des textes, rien ne permet de dire que les Chartes instaurent
un régime parlementaire, bien au contraire : elles prévoient toutes 2 que l’intégralité du
pouvoir exécutif soit confiée au roi. Les ministres apparaissent comme de simples

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collaborateurs du roi, et semblent difficilement pouvoir former un gouvernement distinct
de lui. Les ministres sont certes responsables, mais il n’est pas précisé devant qui, et il
parait à l’époque évident qu’il s’agit d’une responsabilité vis-à-vis du roi.
Et pourtant, le régime parlementaire va se développer, et ce dès la Restauration. En effet,
le Parlement va trouver des moyens de pression sur le roi afin que ce dernier nomme un
gouvernement qui lui convient, et à l’inverse congédie un gouvernement qui ne lui plairait
pas :
- La pratique de l’adresse
- Le droit de pétition
= ministres sont sommés de s’expliquer devant le Parlement
- La discussion du budget
= A partir de 1817, émerge le principe de spécialité budgétaire qui signifie à
l’époque que les crédits (autorisation donnée au gouvernement de dépenser) vont
être donnés à chaque ministères séparément (donc occasion idéale pour critiquer
l’action de ces ministères, et moyen de pression considérable).
Ces différents moyens vont permettre au Parlement d’obtenir du roi la démission des
ministres dont l’action déplait aux parlementaires. Louis XVIII a bien compris la nécessité
de se plier à ce jeu pour pouvoir durer à la tête du pays, chose que n’avait pas saisie son
successeur Charles X, causant ainsi sa perte. Sous le Charte de 1830, l’évolution vers le
parlementarisme se poursuit. On assiste à l’apparition de nouvelles pratiques, telles que :
- L’interpellation
- La question de confiance
= un mécanisme particulier, car elle réside dans l’initiative ministérielle qui, par la
question de confiance, demande au Parlement de lui accorder sa confiance (si oui :
gouvernement en sortira renforcé, si non : gouvernement démissionne). Cela
manifeste la prise de conscience par le gouvernement qu’il est difficile de jouer
son rôle sans le soutien de la majorité parlementaire.

3) Un régime parlementaire « orléaniste »


Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, cette responsabilité des ministres devant
le Parlement, née de la pratique, n’est pas aussi affirmée que dans le régime britannique
ou les régimes parlementaires contemporains : les ministres ne démissionnent pas sans
avoir été mis au préalable en minorité plusieurs fois. Les Chartes n’évoquent une
responsabilité des ministres que devant le roi : c’est donc à lui qu’il revient de refuser ou
à l’inverse d’accorder son soutien aux ministres mis en difficulté (par dissolution ou
fournées de pairs).
Le régime orléaniste contient ainsi idée d’une double responsabilité des ministres : d’une
part devant Parlement, d’autre part devant le roi (= régime parlementaire dualiste). Ce
régime parlementaire orléaniste constitue un héritage historique très important, puisqu’il
se retrouve notamment dans la Constitution de 1958.
Dans la Charte de 1814, ce dualisme est assez fort du fait de la nette prééminence du roi
sur le Parlement. Sous la Charte de 1830, ce dualisme s’atténue, même si Louis Philippe
continue à jouer un rôle politique important dans la conduite des affaires du royaume,

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alors qu’au même moment en Angleterre la reine Victoria s’effaçait de plus en plus au
profit du Parlement.

B. La reprise du régime parlementaire par les textes constitutionnels


Par la suite, ce régime parlementaire va être consacré par les textes constitutionnels. Tout
d’abord aura lieu une parenthèse historique (un peu moins de 10 ans) : la Constitution de
1848 instaure un régime parlementaire (bien que cela ne soit pas clairement indiqué dans
le texte). En 1852 = basculement vers le 2d Empire avec Louis-Napoléon Bonaparte, qui va
après quelques années (1860s) accepter une réapparition des mécanismes parlementaires.
Le 2 janvier 1870, il charge l’opposition de préparer une nouvelle Constitution, dans le
but de préparer un nouvel Empire parlementaire dans lequel, pour la 1ère fois, la
responsabilité ministérielle devant le Parlement est explicitement prévue. Cette évolution
parlementaire et libérale de l’Empire est brutalement stoppée par la défaite française
contre la Prusse.

SECTION 3- L’avènement du suffrage universel (1789-1870)


On parle de l’avènement du suffrage universel à partir de 1848, alors qu’en réalité seuls
les hommes votent. Toutefois, si l’on prend en compte le statut juridique de la femme à
l’époque (incapables majeurs), on peut parler de suffrage universel.

§1- Représentation et démocratie


L’avènement du suffrage universel signifie celui de la démocratie. Attention : il est
nécessaire de distinguer régime représentatif et régime démocratique.
--Un régime représentatif = un régime dans lequel le pouvoir qu’exercent les autorités
politiques ne leur appartient pas. On parle donc de régime représentatif lorsqu’il y a une
distinction entre les autorités qui exercent le pouvoir, et le véritable titulaire de ce
pouvoir. Ce pouvoir n’est exercé qu’au nom et dans l’intérêt du souverain véritable (la
nation, le peuple) qu’elles ne font que représenter. Ce régime représentatif ne signifie pas
nécessairement démocratie, et les 1er philosophes à l’avoir théorisé (cf : Hobbes) ne sont
d’ailleurs absolument pas démocrates. En effet, un régime démocratique, selon la
définition la plus courante, est un régime dans lequel non seulement la souveraineté
appartient à la nation ou au peuple mais encore dans lequel le peuple participe à
l’exercice du pouvoir. Certes un régime représentatif peut être démocratique : c’est le cas
dès lors que les représentants sont élus par le peuple. On parle alors de démocratie
représentative, par opposition aux démocraties directes ou semi-directes dans lesquelles
les citoyens participent également à l’adoption des lois. Mais ce n’est pas nécessairement
le cas (ex : représentants tirés au sort, ou élus par une part incomplète des citoyens).
--Un régime démocratique = un régime dans lequel non seulement la souveraineté
appartient à la nation et au peuple, mais aussi dans lequel le peuple participe à
différents degrés au pouvoir.

Les premiers régimes instaurés après les révolutions anglaise, américaine et française sont
des régimes représentatifs, mais il ne s’agit pas de régimes démocratiques.

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Cf : Bernard Malin, Principes du gouvernement représentatif = montre que les acteurs
politiques et penseurs de cette époque sont tout à fait conscients de cette différence
existant entre régime représentatif et démocratie, qu’ils ont même tendance à opposer, la
plupart d’entre eux ne souhaitant pas la démocratie. Cette distinction est aussi faite chez
les partisans de la démocratie : Rousseau considérait ainsi qu’un régime démocratique ne
devait pas être représentatif car « la volonté générale ne se représente pas ». Il va
qualifier les démocraties représentatives de « servitude du peuple ponctuée par des brefs
instants de liberté ». Les adversaires de Rousseau, favorables à la même époque à un
régime représentatif, sont d’accord avec lui sur ce point qu’ils ne prétendent absolument
pas instaurer une démocratie. C’est la raison pour laquelle on dit souvent que si l’on
instaure une démocratie représentative c’est à défaut de pouvoir rendre réalisable la
démocratie directe. En réalité, ces partisans de la représentation agissent par conviction
et ne sont pas du tout favorables à la représentation : Sieyès va jusqu’à justifier le régime
représentatif par la division du travail. Le rôle de majorité des citoyens est de produire
pour tous, et par conséquent l’exercice du pouvoir doit être confié à un petit nombre
d’individus qui constituent des professionnels de la politique. On est très loin de notre
époque où la professionnalisation de la vie politique est perçue comme un danger pour la
démocratie.
L’émergence de suffrage universel direct va changer la donne. Toutefois, il faut souligner
que l’émergence de ce mode de suffrage ne signifie pas la fin du régime représentatif : en
effet, la France n’a jamais connu de véritable régime de démocratie directe ou même
semi-directe (la Constitution de 1793 n’ayant jamais été appliquée). Le régime
représentatif s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui, le suffrage universel n’a permis que de
le démocratiser. Cf : la Suisse a un régime proche de la démocratie directe (échelon
fédérale mais aussi fédéré). Toutefois il existe en Suisse une différence entre la théorie et
la pratique, du fait d’une professionnalisation de la vie politique et de l’existence de
dérives causées par le désintérêt d’une part de la population. En France, cette émergence
d’est traduite par une instauration de régime représentatif, et c’est l’accession de
l’ensemble de la société au suffrage qui a permis l’avènement de la démocratie. On peut
penser à bien des égards que l’émergence des totalitarismes en Europe au début du XXe
siècle se comprend comme une forme de réaction de l’accession des masses populaires à
l’exercice du pouvoir.
Cette émergence politique des masses provoque des évolutions institutionnelles :
- une tendance (contemporaine) à aller vers une représentation proportionnelle.
Contre-exemples : l’Angleterre (bipartisme) et la France.
- Le déclin des chambres-hautes, à l’exception des Etats fédéraux
Cf : réformes en Irlande, en Italie, en Grande-Bretagne
Cette accession des masses à l’exercice du pouvoir politique pèse aussi sur le contenu des
politiques menées par les gouvernants. Sans le suffrage universel, les grandes législations
sociales du début du XXe siècle, puis l’avènement de l’Etat providence n’auraient sans
doute pas été possibles.
La date que l’on retient pour l’avènement universel (masculin) est celle de la proclamation
du suffrage universel par le décret du 5 mars 1848, suite à l’insurrection qui a mis fin à la
monarchie de Juillet. C’est à la fois tard et trop tôt dans l’histoire constitutionnelle...

§2- Un avènement longtemps attendu

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1848 = tard si l’on se remémore combien de temps les partisans du suffrage universel ont
attendu. L’idée démocratique ne date évidemment pas de 1848, elle couvre de nombreux
partisans parmi les révolutionnaires (les jacobins, rédacteurs de la Constitution de 1793,
qui supprimait le cens et adoptait le système du SU masculin, et a été approuvée par
référendum. Sur ce point, il y a une grande déception des révolutionnaires, car apparait
une abstention massive : très peu de gens ont voté en réalité. Les jacobins ont leur
explication : les Français ne sont pas prêts, il est nécessaire d’éduquer le citoyen à la
démocratie). Tout cela peut laisser à penser qu’il était peut-être un peu tôt pour le
suffrage universel, et suite à l’utilisation qu’en fera Napoléon l’hostilité face au suffrage
universel sera forte. Ainsi sous la Restauration, le suffrage est si censitaire que l’on peut
caractériser ces régimes comme de véritables ploutocraties (= type d’oligarchie où
règnent les plus riches). Le pouvoir est complètement verrouillé. La charte de 1814
constitue le triomphe de la théorie de l’électorat-fonction (= réservé à quelques-uns, les
plus aptes à l’exercer, ceux que Sieyès appellera citoyens actifs), par opposition à
l’électorat-droit. Donner le pouvoir aux propriétaires constitue en sorte de garantie de
stabilité politique. Pour accéder au suffrage à cette époque : être un ho 30 min et
acquitter un impôt direct de la somme de 300 francs. Il découle de ce suffrage censitaire
que l’électorat compte environ 100000 électeurs. De plus au cours du régime, est adoptée
la loi du 29 juin 1820 : elle instaure un système de double vote (dans chaque département,
le quart le plus fortuné des électeurs vote 2 fois). Sous la Charte de 1830, on assiste à une
évolution modérée : le 19 avril 1831 est votée une loi supprimant le double vote et qui
abaisse le cens (passe de 300 à 200 francs). Cela entraine un doublement du corps
électoral, mais la grande majorité de la population reste exclue de l’exercice du pouvoir
politique.
Au même moment en Angleterre (1832) est réalisée une réforme électorale qui augmente
considérablement le nombre des électeurs et permet une évolution démocratique du
régime. En France demeure une peur de démocratisation du régime, et plusieurs projets
de loi visant à élargir le corps électoral seront rejetés par le Parlement. CSQ :
- Cela entraine une forte homogénéité sociale des gouvernements, parce que forte
au niveau des représentants.
- Le débat politique est donc appauvri (manque de pluralité, d’opposition d’idées).
- La dynamique politique repose bien plus sur des rivalités personnelles que sur des
considérations idéologiques et politiques
- Corruption (cercle fermé où tout le monde se connait et appartient au même
milieu)
- Une large part de la collectivité des citoyens se trouve privée de voix, on trouve
une frustration chez ces citoyens empêchés de participer à l’exercice du pouvoir.
Cette frustration se traduit par des réunions et des manifestations (cf : banquets =
contourner l’interdiction de réunions politiques). C’est d’ailleurs l’interdiction d’un
banquet (cf : L’éducation sentimentale, Flaubert) qui va fréquenter l’insurrection
mettant fin au régime.
Le suffrage universel direct a donc mis du temps à venir : dès la Révolution on retrouve
des partisans du su, mais ceux-ci se heurtent à ceux qui, par crainte ou par intérêt,
refusent d’élargir le suffrage aux masses populaires. Toutefois, ne peut-on pas considérer
qu’il est arrivé trop tôt ?

A. La consécration du suffrage universel direct

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Cette insurrection de 1848 qui entraine la chute de la monarchie de Juillet ressemble un
peu à une réitération de la Révolution de 1789, avec toutefois d’importantes
dissemblances : autant la Révolution de 1789 était principalement bourgeoise, autant celle
de 1848 était principalement populaire (voire prolétaire). Ce soulèvement se termine par
la mise en place d’un gouvernement provisoire qui proclame la République, et par le
décret du 5 mars 1848 qui convoque les électeurs pour élire une assemblée constituante.
Surtout, ce décret proclame le suffrage universel direct (masculin). Pour la 1ère fois, on a
une participation tout à fait considérable aux élections (9 400 000 inscrits pour 7 800 000
votants).
La Constitution de 1848 : elle-même fait une large place au suffrage universel direct.
D’abord, parce qu’on a une assemblée unique dont les membres seront élus au su direct.
En outre, on retient aussi, bien qu’après de vifs débats, le suffrage universel direct pour
l’élection du Président de la République. Ironie de l’histoire : cette démocratie va très vite
se mettre à fonctionner contre elle-même.

B. La dérive plébiscitaire
Le 1er président de la République élu au suffrage universel direct = Louis Napoléon
Bonaparte, élu le … avec une majorité écrasante des voix. Les Français obtiennent le
suffrage universel et s’en servent pour donner le pouvoir à un Bonaparte qui ne rêve que
d’une chose : poursuivre « l’œuvre » impériale familiale. En effet la suite des évènements
va montrer que LN Bonaparte s’inspirera largement de l’utilisation que son oncle faisait du
suffrage universel direct (pour parvenir à ses fins = l’instauration d’une monarchie
héréditaire). Il se sert d’un référendum auquel il donne valeur de plébiscite. Ainsi la
consultation des Français pour ratifier la Constitution de l’an VIII, il était très clair qu’en
approuvant la Constitution c’était avant tout à Napoléon que les Français disaient oui. Par
la suite on sait très bien que l’Empire a été instauré par le biais de 2 plébiscites (en 1802,
puis en 1804). Ainsi, LN B va rapidement utiliser le suffrage universel contre la démocratie
elle-même : toute l’habilité politique de LNB est d’avoir su réaliser une sorte de grand-
écart politique, en séduisant tant les conservateurs que les masses populaires. Cf : les
journées de juin 1848, répression sanglante de l’insurrection ouvrière à Paris. C’est par
crainte du peuple que l’assemblée va, le 31 mai 1850, adopter une loi électorale qui va
sensiblement amender le suffrage universel direct (résidence dans une même commune
depuis 1 an au moins, devant être attestée par un impôt). CSQ : exclut tous les travailleurs
itinérants, et ceux qui ne payent pas d’impôts. Bonaparte en fait un véritable instrument
au service de ses ambitions politiques, en se plaçant en défenseur des droits du peuple.
Ainsi, le coup d’Etat du 2 décembre 1851 ne donne lieu qu’à une faible insurrection,
facilement réprimée, et le plébiscite qui permet à Louis Napoléon de se maintenir au
pouvoir sera adopté par une large part de l’électorat.
CCL : Le suffrage universel, pourtant très attendu, semble être survenu trop tôt : son
avènement correspond à l’échec de la IIème République. Sous la IIIème et la IVème
République, où le suffrage universel est maintenu, on retrouvera néanmoins une grande
méfiance vis-à-vis des pratiques référendaires et plébiscitaires. Avec le G de Gaulle, on
assistera à une résurgence du recours au referendum.

SECTION 1 : La longue genèse de la IIIe République


Si cette genèse fut aussi longue, c’est que la rédaction d’une Constitution n’était pas la
priorité du gouvernement de défense nationale qui s’instaure suite à la défaite contre la

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Prusse. Certes une assemblée est convoquée, mais elle se prononce principalement sur
l’issue à donner au conflit. Les républicains = souhaitent la guerre / les monarchistes =
souhaitent la paix. L’assemblée = dominée par une majorité monarchiste (va jouer un
grand rôle dans l’instauration de la Commune de Paris en 1871, réprimée dans le sang).
Dès le départ, la priorité de l’Assemblée est donc la politique étrangère. Cette assemblée,
bien que dominée par une majorité monarchiste, est très divisée entre monarchistes (et
légitimistes/orléanistes), républicains (radicaux/conservateurs), socialistes et
bonapartistes. Jusqu’en 1875, c’est cette Assemblée qui va gouverner.

§1- Le régime d’Assemblée


Cf : Rappelle par sa forme le régime conventionnel d’après 1792, qui a donné lieu à de
grandes dérives (Terreur menée par le Comité de salut public). Cette assemblée
conservatrice est bien consciente qu’il lui est impossible de gouverner directement. Elle
cherche donc un homme politique qui soit doté d’une expérience et d’un charisme
suffisants pour qu’elle puisse lui déléguer l’exercice de l’exécutif : c’est dans la personne
d’Adolf Thiers (2 fois ministre sous Monarchie de Juillet, organisateur de la répression de
la Commune, …) que l’assemblée trouve son homme.

A. La résolution du 17 février 1871


Le 17 février 1871, l’Assemblée adopte la résolution suivante : « M. Thiers est nommé chef
du pouvoir exécutif de la République française ». Il est prévu qu’il choisisse un
gouvernement qu’il présidera, fonction qui s’exercera sous l’autorité de l’Assemblée.
Juridiquement, Thiers n’est donc pas un véritable chef du gouvernement, et encore moins
un chef de l’Etat. En effet, ils ne sont que des délégués de l’assemblée, et sont par
conséquent placés sous son autorité directe sans aucune autonomie à son égard. Ils sont de
simples délégués.
Dans les faits, Thiers va, en raison de son prestige et de son influence, rapidement
dominer l’assemblée. En particulier il adopte une méthode radicale : en cas de désaccord
avec l’assemblée, il menace de démissionner. Néanmoins, cette dernière va tenter de
diminuer cette influence.

B. La loi du 31 août 1871 (ou « constitution Rivet »)


La loi du 31 août 1871 = initiative du parlementaire Rivet. Ce texte a pour objectif
d’essayer d’orienter le fonctionnement de ce régime provisoire dans un sens
parlementaire.
Tout d’abord, ce texte donne à Thiers le titre de président de la République, en précisant
que son mandat durera aussi longtemps que se maintiendra l’assemblée (= jusqu’à
l’adoption d’une nouvelle Constitution). Le texte ajoute que le gouvernement, dirigé par
un vice-président, sera responsable devant l’Assemblée. De plus il est prévu que le
président de la République lui-même soit responsable devant l’Assemblée. Cependant, la
logique n’est poussée jusqu’au bout, et Thiers continue de siéger à l’assemblée où il
maintient son influence, sans voir ses fonctions menacées. DONC : échec de cette loi, qui
manque son objectif.

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C. La loi du 13 mars 1873 (ou « Constitution de Broglie »)
Loi du 13 mars 1873 = tentative d’empêcher Thiers d’exercer son influence sur
l’assemblée.
On va alors s’efforcer de limiter au strict minimum les possibilités du président de la
République de prise de parole à l’assemblée. Plus précisément, on prévoit qu’il ne puisse
plus monter à la tribune que pour certaines questions (politique étrangère). Surtout, il
s’agit de l’empêcher de débattre : on prévoit que s’il souhaite prendre la parole, il doit
adresser un message à l’Assemblée, laquelle doit suspendre ses travaux pour l’écouter,
après quoi les travaux seront levés. CSQ : pas de débats suite à ses interventions.
Thiers qualifiera ces mesures de « cérémonial chinois », et il va continuer à exercer son
influence par le chantage de démission. L’assemblée excédée finit par accepter sa
démission le 24 mai 1873.
La question du remplaçant : majoritairement monarchiste, l’assemblée penche pour une
nouvelle monarchie constitutionnelle. Cette Restauration apparait toutefois difficile car
les monarchistes sont déchirés entre légitimistes et orléanistes. En 1873, ce conflit semble
toutefois se résoudre, car le comte de Chambord, dernier de la branche des Bourbons, n’a
pas d’héritiers (donc : orléanistes = branche légitime). Dans l’attente de ce futur régime,
on trouve le remplaçant de Thiers dans la personne du général MacMahon (= un
monarchiste).

D. La loi sur le septennat du 20 novembre 1873


L’année 1873 = semblait favorable aux espoirs de la majorité monarchiste. Mais ces espoirs
vont être déçus.
En effet, le comte de Chambord, pressenti pour devenir le nouveau monarque français, est
un ultra-monarchiste : il souhaite un retour à l’Ancien Régime, et aux coutumes
ancestrales, et refuse toute constitution formelle ainsi que le drapeau bleu, blanc, rouge.
Pour temporiser jusqu’à sa mort, la loi du 20 novembre 1873 organise une sorte de
République provisoire en nommant MacMahon président de la République pour 7 ans
(période estimée pour s’assurer du décès naturel du comte de Chambord).

§2- Les lois constitutionnelles de 1875


A. L’élaboration des lois constitutionnelles
Le 21 janvier 1875, le projet vient en discussion à l’assemblée. Conformément au souhait
des monarchistes, il s’agit simplement d’aménager le septennat dans l’attente de la mort
du comte de C et de la venue de son successeur légitime. La IIIème République nait donc à
l’origine d’un compromis provisoire.
--Le Parlement : il sera bicaméral, avec une Chambre des députés et un Sénat (= cadre
propice à une restauration). Cela dit, une certaine lassitude s’installe (le comte tarde à
mourir) et le basculement vers la République va provenir de l’amendement proposé par le
député Henri Wallon. Il peut être considéré comme le père de la IIIème République. En
effet, l’amendement prévoit que le Président sera désigné pour 7 ans par un vote à la
majorité absolue du Sénat et de la chambre des Députés réunis en Assemblée nationale
(cf : équivalent de notre actuel Congrès).

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Cet amendement va être adopté par l’Assemblée grâce à un accord entre le centre-droit
et le centre-gauche (monarchistes et républicains modérés). Aux termes de cet accord, les
députés du centre-gauche s’engageaient à revenir ensuite à une monarchie, en
contrepartie de quoi les centre-droite voteront l’amendement. Paradoxe : la IIIe
République est en quelque sorte née d’un malentendu, puisqu’elle a été créée en vue
d’une nouvelle Restauration.
Finalement, il n’y aura pas une seule loi constitutionnelle, mais bien 3. La Constitution de
1875 = en réalité composée de 3 lois constitutionnelles. Les monarchistes n’acceptent de
voter loi de Wallon qu’à la condition d’en voter une autre, instaurant un Parlement
bicaméral (pour les monarchistes, apparait comme une garantie institutionnelle d’un
retour à la monarchie, le bicaméralisme paraissant constituer un caractère de la
monarchie constitutionnelle lorsque l’on a affaire à un Etat unitaire). On vote d’abord la
loi du 24 février 1875 sur le Sénat, avant de voter celle du 25 février sur … Le 16 juillet
1875, est votée la dernière loi constitutionnelle relative aux rapports entre les pouvoirs
publics. C’est cet ensemble de lois que l’on appelle la Constitution de la IIIe République.

B. Les caractères généraux des lois constitutionnelles

• La IIIe République se caractérise par sa longévité, si on la compare aux régimes qui


l’ont précédée : elle va durer 65 ans, et se serait sans doute prolongée davantage
sans les circonstances de 1939.

• La brièveté de ces lois constitutionnelles (ne contiennent que 34 articles).


Manifestement, ce texte constitutionnel se limite donc à l’essentiel. En
conséquence, il laisse une grande place à la pratique constitutionnelle.

• Ces lois constitutionnelle forment une Constitution pragmatique : elle ne contient


aucune déclaration des droits ni même d’énumération des libertés publiques
(pourtant = un régime républicain). De même, pas de grands principes
constitutionnels. Elle frappe donc par une absence de partis-pris idéologiques.
Pourquoi ? Parce que cette Constitution est un compromis entre des rédacteurs dont
les orientations politiques sont très éloignées (républicains/monarchistes). Dans ce
pragmatisme, on peut néanmoins constater que les acquis de la période précédente
sont conservés, à savoir : le suffrage universel. En dehors de ce point, c’est le
pragmatisme qui domine, et les constituants semblent décidés à laisser la porte
ouverte à des évolutions diverses de la IIIe République. Et en effet, l’absence de
partis pris va conférer au régime une grande malléabilité, une capacité
d’adaptation aux évolutions sociales et politiques. Cette IIIe rep se caractérise par
une architecture institutionnelle qui parait très originale à l’époque. En effet, on
voit désormais coexister des institutions que l’on pensait incompatibles les unes
avec les autres : on a un Président de la République élu par le Parlement, le
suffrage universel, un Parlement bicaméral (avec une chambre haute
conservatrice), un droit de dissolution. Dans l’esprit de l’époque, ce sont des
institutions qui participent de régimes politiques différents, et cette association
semble quelque peu improbable. Et pourtant, c’est bien du fait de l’association de
ces caractéristiques différentes que le régime de la IIIe République s présente
comme un régime parlementaire moderne.

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SECTION 2- L’organisation des pouvoirs sous la IIIe République
Lorsqu’on examine l’organisation des pouvoirs, on ne peut qu’être frappé par sa proximité
avec le régime de la Ve République.

§1- Le Parlement
L’une de conditions posées par les monarchistes était l’instauration préalable d’un Sénat
conservateur, faisant du Parlement un Parlement bicaméral. Celui-ci se caractérise par une
égalité de pouvoir entre les 2 chambres (cf : bicaméralisme parfait).

A. La chambre des députés


Cette chambre est élue par le peuple, au suffrage universel direct (masculin). A
l’exception de ce point, le système est à peu près celui que nous connaissons aujourd’hui.
Les députés sont élus dans des circonscriptions départementales au scrutin majoritaire
uninominal à 2 tours. Ils sont au nombre de 617, et sont élus pour 4 ans (cf : sorte de
compromis entre volonté stabilité et élan démocratique de renouveler fréquemment les
représentants).

B. Le sénat
Conformément au souhait des monarchistes, ce Sénat devait être une chambre
conservatrice. Il se caractérise par des membres peu nombreux (300 à 320). Ils ne sont pas
directement élus par le peuple, mais ils ne sont pas désignés par le chef de l’Etat comme
c’était le cas pour la chambre des pairs. Il est prévu que les 1ers sénateurs soient désignés
par l’assemblée constituante avant sa dissolution, puis se nomment entre eux par
cooptation (= ceux qui appartiennent déjà à l’organe nomment leurs propres successeurs,
renouvellement interne). Toutefois une partie de ces sénateurs sera élue mais au suffrage
indirect : ils sont élus par un collège électoral se réunissant au sein de chaque
circonscription départementale, composé des députés de la circonscription, des conseillers
généraux, des conseillers d’arrondissement, des délégués sénatoriaux élus par les conseils
municipaux. On peut formuler un reproche à cette pratique électorale : ce système
avantage largement les zones rurales, car il ne tient pas suffisamment compte de la
démographie. La plupart de ces sénateurs sont élus (seuls 75 sénateurs sont nommés par
cooptation à vie et inamovibles). En 1884, le Sénat fera l’objet d’une réforme, marquée
par 2 mesures :
- La suppression des sénateurs à vie (ceux qui le sont déjà le restent cependant)
- Instauration d’un nombre variable des délégués sénatoriaux en fonction de la
démographie des communes (mais en réalité insuffisant).
Sur le plan de l’organisation des pouvoirs : le Sénat se caractérise par une égalité avec
la chambre des députés : les sénateurs ont, tout comme les députés, un droit d’initiative
législative et d’amendement (= proposer des modifications à un projet déjà existant).
D’autre part les lois constitutionnelles prévoient que pour qu’une loi soit adoptée elle doit
avoir été votée dans les mêmes termes par la Chambre des députés et le Sénat (Csq :

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système de navette parlementaire). Le résultat de cette navette est qu’en pratique, de
nombreux projets de lois ne seront jamais adoptés du fait de l’opposition du Sénat. Cette
égalité des pouvoirs donne ainsi un pouvoir considérable au Sénat conservateur, qui peut
bloquer le processus législatif. Cette même égalité de pouvoirs se retrouve en matière de
contrôle du gouvernement : au début de la IIIe République, certains prétendaient que
seule chambre basse (puisque bénéficiant de la légitimité démocratique) pouvait renverser
le gouvernement. En réalité, les textes n’excluaient en rien le Sénat de ce pouvoir, qui
dans la pratique va se l’arroger. La seule différence entre les 2 chambres concerne la loi
de finance, qui doit d’abord être examinée par la chambre des députés.
Ce sénat va assez bien jouer son rôle de conservateur, en faisant obstacle à l’adoption de
nombreux projets de loi. Cela s’explique d’une part par l’âge minimum assez élevé pour
être sénateur (40 ans contre 25 ans pour les députés), d’autre part par la longueur des
mandats (les sénateurs sont élus pour 9 ans, avec un renouvellement par tiers tous les 3
ans). Attention : ne pas toujours considérer le conservatisme comme une chose négative, il
peut s’agir d’une garantie d’équilibre et de tempérance évitant de verser dans des excès
parfois regrettables.

§2- Le Président de la République


Si on se contente de lire les lois constitutionnelles de 1875, on peut avoir le sentiment que
le Président de la république est l’homme fort du régime. Certes, sa légitimité
démocratique n’est pas aussi forte que celle du Président sous la IIe République, puisqu’il
n’est pas élu au suffrage universel direct mais par les membres du Parlement. Son mandat
est d’une durée de 7 ans.
Il est doté de pouvoirs qui apparaissent comme tout à fait importants : en matière
exécutive, il est commandant des forces armées, il est doté d’un pouvoir réglementaire
pour l’exécution des lois, est chargé de la négociation de la ratification des traités
internationaux. En matière législative, il n’a pas (contrairement au roi en 1792) de droit de
veto, mais c’est lui qui promulgue les lois avant leur entrée en vigueur et peut à cette
occasion demander une seconde délibération. Il a également le pouvoir de convoquer et
d’ajourner les chambres, et dispose d’un pouvoir de dissolution. Enfin son statut est très
protecteur : il est irresponsable politiquement et pénalement (sauf crime de haute-
trahison).
En première analyse, on pourrait donc avoir le sentiment qu’il s’agit d’un personnage
puissant et central du régime. Toutefois, la situation réelle du Président de la République
est sensiblement différente. En premier lieu, son irresponsabilité face au Parlement est
compensée par celle des ministres : tous ses actes doivent en effet être contresignés par le
ou les ministres compétents, lesquels endossent la responsabilité politique de ces actes et
peuvent de ce fait refuser de contresigner. Cf Pointcarré : « Je suis un manchot
constitutionnel ». En 2ème lieu, le droit de dissolution, s’il existe sur le papier, est
complètement paralysé à partir de 1877. Enfin, dernière nuance qui découle de la pratique
et de la conception que les 1ers présidents ont eu de leur fonction : s’appuyant sur
l’exemple de Louis-Philippe, ils refusent de rester en retrait de la vie politique comme le
suppose habituellement un régime parlementaire (moniste), et occupent une place active
sur la place politique. Leur statut se voit alors atteint : alors même que l’irresponsabilité
politique est prévue dans les textes constitutionnels, certains présidents se voient
contraints de démissionner suite à des scandales ou conflits politiques avec les chambres
(cf : Jules Grévy, Casimir Perrier, et ….).
De sérieuses nuances sont donc à apporter à l’impression de puissance du Président sous la
IIIe république, bien que son importance demeure réelle : en premier lieu, il dirige le

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Conseil des ministres. Alors que les gouvernements sont très instables, le président est élu
pour 7 ans et a du fait de cette longévité une certaine influence. De plus, il faut
également nuancer l’idée selon laquelle le droit de dissolution est paralysé : certes il n’est
plus utilisé à partir de 1877, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne joue plus aucun rôle
dans la pratique politique (son existence, même simplement dissuasive, influe sur le jeu
politique).

§3- Le cabinet
Plusieurs parallèles ont déjà été établis entre la IIIe et la Ve République, parmi lesquels le
bicéphalisme de l’exécutif (chef de l’Etat et chef du gouvernement). Selon les lois
constitutionnelles, les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la
politique menée par le gouvernement, et sont également individuellement responsables de
leurs actes personnels. Selon la Constitution ils n’en sont pas moins nommés par le
Président de la République. On retrouve ainsi une forme du dualisme, déjà expérimentée
sous la monarchie parlementaire orléaniste. Toutefois, à partir de 1879, la pratique
constitutionnelle voudra que le Président se borne à désigner une personne, qui va
nommer à son tour les membres du cabinet. On assiste alors à la naissance d’une
institution nouvelle, le Président du Conseil (qui se rapproche du 1er ministre aujourd’hui),
qui n’est pourtant pas prévue par les textes constitutionnels. Cela s’explique par la
nécessité pour la majorité parlementaire du pouvoir identifier un chef des ministres qui
soit, au contraire du Président de la République, responsable politiquement devant elle.
Cette institution née de la pratique va bientôt paraitre indispensable, incontournable bien
que non mentionnée par les textes constitutionnels. On peut alors parler d’une véritable
coutume constitutionnelle. De plus ce Président du Conseil ne peut pas être considéré
comme un élément accessoire du régime : en atteste la fin du régime, lorsqu’est nommé
le maréchal Pétain.

SECTION 3- Le fonctionnement de la IIIe République


La Constitution de la IIIe République constitue un cadre souple de par sa relative brièveté
et son caractère pragmatique. Le régime a très rapidement évolué par rapport à la
description qu’il vient d’en être donnée et reposant essentiellement sur l’analyse des
textes.

§1- La logique initiale de rapport entre les pouvoirs


La logique initiale des lois constitutionnelles de 1875, telle qu’on peut la comprendre, se
présente à la fois comme un système de collaboration et d’équilibrage mutuel des
pouvoirs.

A. La collaboration des pouvoirs


Sous l’influence vraisemblable des monarchistes, on retrouve dans les textes une logique
de collaboration entre le Président de la République et le parlement dans la fonction
législative (cf : modèles de monarchies constitutionnelles).
Certes, il n’y a pas de droit de veto législatif, mais le Président dispose de la faculté de
demander une seconde délibération avant de promulguer une loi. L’initiative des lois

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appartient à la fois au Président de la République et aux chambres (toutefois les projets de
lois sont le plus souvent élaborés par les ministres). Enfin, le Président est doté d’un
pouvoir réglementaire d’application des lois : il est donc très souvent amené à intervenir
pour compléter et préciser les textes législatifs.

B. L’équilibre par le contrôle mutuel des pouvoirs


Les pouvoirs sont dotés de moyens d’action réciproques.

1) Les moyens de contrôle du Parlement sur le gouvernement


Les chambres disposent en effet de puissants moyens de contrôle sur le gouvernement. Le
plus important est bien entendu la mise en œuvre de la responsabilité politique du
gouvernement. La loi constitutionnelle du 25 février 1875 : « Les ministres sont
solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du
gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels ». Cette responsabilité peut
être mise en œuvre via 2 techniques principales :
- La motion de censure
= A l’initiative des chambres : certains membres proposent la motion de censure, et
si cette dernière est adoptée par le chambres, le gouvernement doit démissionner.
- La question de confiance
= A l’initiative du gouvernement lui-même : lorsque le gouvernement s’apprête à
présenter un projet de loi important, pour lequel il estime avoir besoin d’un
soutien réel de sa majorité. Il s’engage à démissionner dans l’hypothèse où le texte
n’est pas adopté.
Il faut également préciser que les chambres ont d’autres moyens de contrôle sur le
Parlement : notamment en constituant des commissions d’enquête, en posant des
questions aux ministres, ou par le biais de l’interpellation (= plus formelle que la question
au ministre, car elle est suivie du vote de l’ordre du jour, qui peut comporter une sorte de
blâme du gouvernement pouvant le conduire à la démission).

2) Les moyens de contrôle du gouvernement sur le Parlement


Les ministres ont le moyen d’orienter le travail législatif des chambres :
• Tout d’abord ils sont choisis parmi les députés ou le Sénat. Ils ont toujours le droit
d’être entendus par les chambres quand ils le demandent, et peuvent orienter la
discussion vers un point.
• Deuxièmement, les lois constitutionnelles de 1875 prévoient le pouvoir du Président
de la République de dissoudre la chambre des députés : autrement dit, sa décision
met un terme au mandat des députés ce qui entraine des élections anticipées (=
moyen pour l’exécutif d’appeler les électeurs à trancher un conflit entre législatif
et exécutif). Cela dit, il faut observer une espèce de bizarrerie constitutionnelle
dans la mesure où l’article 5 de la loi du 25 février 1875 ne peut être utilisé par le
Président de la République que sur l’avis conforme du Sénat. Le Sénat est ainsi mis
dans une situation très délicate : s’il autorise la dissolution et que la même
majorité est réélue, il se voit désavoué par le suffrage universel. Sur le papier, ce
droit de dissolution est censé faire contrepoids à la responsabilité
gouvernementale. En effet, le gouvernement semble ne pas être totalement

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abandonné aux mains de l’assemblée, et l’existence de ce droit renforce l’idée que
la IIIe République est un régime parlementaire dualiste (= le gouvernement dépend
du Parlement et du chef de l’Etat).

§2- Les déformations du régime issues de la pratique constitutionnelle


A. La dérive du régime parlementaire
Cette image de régime parlementaire classique, équilibré car dualiste, ne correspond pas à
la réalité des institutions de la IIIe République. Très rapidement va apparaitre un
déséquilibre au profit du Parlement, qui va exercer une influence prépondérante sur le
gouvernement.
En effet, le Président, à la différence des députés, n’est pas élu directement par le
peuple, mais par les chambres réunies en Assemblée nationale. C’est donc des chambres
elles-mêmes qu’il tire sa légitimité. Cela va encore s’aggraver lorsque le régime va
basculer vers un régime républicain, car la démocratisation (question de légitimité) va
apparaitre comme étant essentielle. Il y a donc un déséquilibre de légitimité démocratique
à la défaveur du Président. De plus, suite à la crise du « 16 mai 1877 », droit de dissolution
paralysé.

1) La crise du 16 mai 1877


A l’origine de cette crise, on retrouve le maréchal de MacMahon, placé à la tête de
l’exécutif en vue d’une prochaine restauration de la monarchie. En mars et février 1876, il
fait face pour la 1ère fois depuis l’instauration du régime à une majorité républicaine à la
chambre des députés. Conformément à la logique parlementaire, c’est autour du
gouvernement que vont se cristalliser les tensions entre le Président et la chambre. Après
que cette dernière a contraint le gouvernement « dufaure » à démissionner, MacMahon
nomme Jules Simon = un monarchiste modéré (« Je suis profondément républicain, mais
profondément conservateur »). Mac-Mahon, le jugeant trop indécis et mou lui donne un
blâme, ce dernier démissionne, et MacMahon nomme cette fois-ci un monarchiste
convaincu = Broglie. La chambre à majorité républicaine prend très mal cette nomination
qu’elle considère comme une trahison du régime parlementaire. Elle adopte alors une
déclaration dans laquelle elle refuse de reconnaitre le gouvernement conservateur.
MacMahon adopte une position radicale : il décide de dissoudre la chambre des députés,
faisant appel au peuple. Les élections des 14 et 28 octobre 1877 se soldent par un échec
cuisant, puisque les républicains restent très largement majoritaires à l’assemblée.
MaMahon est obligé de se soumettre. Sur le moment, la crise parait presque passagère :
MacMahon reste au pouvoir (il a toujours une majorité monarchiste au Sénat). Mais : le 5
janvier 1879 suite aux élections partielles, le Sénat bascule à son tour dans le camp
républicain, et MacMahon donne sa démission. Son successeur sera un républicain : Jules
Grévy. Une de ses toutes premières décisions sera de faire devant les chambres la
déclaration suivante : « Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je
n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par les organes
institutionnels ». En clair, Jules Grévy s’engage à ne plus utiliser son droit de dissolution,
pratique qui s’imposera à tous ses successeurs. On parle de cette coutume
constitutionnelle sous le nom de « constitution Grévy ».
Remarque : on peut s’interroger sur l’opinion formulée par J. Grévy selon laquelle
renoncer au droit de dissolution reviendrait à se soumettre à la loi du régime
parlementaire. En peut en douter dans la mesure où précisément la logique parlementaire
veut que le Président soit en mesure de la dissoudre l’assemblée afin de contrebalancer
son influence sur le gouvernement. En réalité, cette évolution a été entrainée par 2

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choses : d’une part l’usage que MacMahon a fait de cette dissolution (= un précédent
fâcheux), puisqu’il s’en est servi dans le but de maintenir artificiellement un
gouvernement qui ne correspondait pas à la majorité parlementaire. D’autre part, un
facteur juridique explique également cette paralysie du droit de dissolution : cette
bizarrerie constitutionnelle selon laquelle le droit de dissolution ne peut s’exercer qu’avec
l’accord du Sénat (car le place dans une situation délicate). Cette paralysie sera durable,
car à compter de la déclaration de Grévy, elle ne sera plus jamais utilisée.

2) L’effacement du Président au profit du Parlement


Au-delà de la crise du 16 mai 1876, on assiste à la transformation du régime (à l’origine
parlementaire dualiste) et qui va petit à petit devenir moniste. Le Sénat, devenant à son
tour républicain, va s’allier à la chambre des députés, ce qui va renforcer le Parlement. De
plus, après la présidence de Grévy, la présidence de la République va considérablement
s’effacer, voire se marginaliser. Le rôle du Président devient bientôt plus une fonction
formelle, de prestige, tandis que le Parlement accroit son contrôle sur le Parlement.
En pratique, cette évolution va avoir un effet néfaste : la grande instabilité ministérielle
qui caractérise la IIIe République (entre 1879 et 1914 : 46 gouvernements, d’une durée
maximale de 9 mois). On pourrait croire à un bon fonctionnement du régime parlementaire
car les chambres font très souvent chuter les gouvernements. En réalité cette instabilité
s’explique du fait qu’il n’existe pas en leur sein de majorité stable et homogène : les
gouvernements sont portés non par un parti majoritaire, mais toujours par une coalition de
petits partis. Ex : les républicains sont divisés en plusieurs petits partis (union
républicaine, gauche républicaine = radicaux), au sein desquels existent encore d’autres
petits partis ou courants, qui vont se désunir pour former d’autres partis (cf : parti
républicain radical socialiste).
Premier constat : cette instabilité s’explique moins par des raisons institutionnelles que
pour des raisons de sociologie politique. Cette dimension instable va être lourde des
conséquences : elle va contribuer à nourrir l’antiparlementarisme qui conduira finalement
au régime de Vichy, et ailleurs en Europe aux totalitarismes fascistes du XXe siècle. Cf :
Marcel Gauchet, parle de « trahison » : au moment même où avec l’avènement du SU les
parlements sont investis par le peuple de très grandes attentes démocratique, ces
parlements vont se révéler versatiles, instables, voire corrompus. Cela s’explique par le
problème de la représentation démocratique qui présente une difficulté que la IIIème
République semble ne pas réussir à surmonter. Sous l’Ancien Régime, pas de problème.
Sous Empire, la souveraineté est incarnée par l’empereur, sous la Monarchie de Juillet =
par l’argent. Mais avec le suffrage universel, comment représenter la diversité des points
de vue et opinions politiques ? Notamment à travers l’émergence des partis politiques, qui
vont toutefois rapidement devenir problématiques : au lieu d’être les outils de la
représentation fidèle des opinions politiques des citoyens, ils deviennent les instruments
des ambitions personnelles d’individus qui se révèlent rapidement être des professionnels
de la politique. C’est cela qui entraine l’instabilité gouvernementale, aggravée il est vrai
par la paralysie du droit de dissolution qui empêche le chef de l’Etat de menacer les
chambres.
CSQ : discrédit du régime parlementaire aux yeux de l’opinion publique
• L’abus de la responsabilité politique du gouvernement entraine la
déresponsabilisation des hommes politiques : comme les gouvernements tombent
tous les 6 ou 9 mois, les hommes politiques savent pertinemment qu’ils reviendront
bientôt au pouvoir.

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• Cela favorise le clientélisme politique : les gouvernements sont souvent plus là pour
servir l’intérêt de groupes de pression plutôt que l’intérêt général.
• Cela entraine une détérioration de la qualité de la fonction législative : de
véritables programmes législatifs ancrés sur le long terme ne peuvent pas être
entrepris.

B. Les tentatives de renforcement de l’exécutif

Les hommes politiques de l’époque n’ont pas tardé à prendre conscience de ce problème :
--Dès 1890, on cherche à rationaliser le parlementarisme. Même des républicains de
gauche (cf : Gambetta et Ferry) iront jusqu’à plaider pour une réhabilitation du droit de
dissolution, sans succès.
--On songe également à renforcer la fonction présidentielle face au Parlement, en
instaurant l’élection du Président de la république au suffrage universel direct. Cette idée
ne sera jamais réalisée, craignant une dérive similaire à l’élection du Président sous la
IIème République.
En réalité, des circonstances particulières vont former un contexte favorable au
renforcement de l’exécutif. A président de la République Raymond Poincaré va alors être
amené à prendre plusieurs décrets qui empiètent sur les compétences du Parlement. En
effet, le pouvoir règlementaire du Président sous la IIIe République se limite en principe à
des décrets d’application. Sous la 1ère GM, le président va toutefois commencer à prendre
des décrets à titre initial. Cette pratique sera validée par le Conseil d’Etat, cf : arrêt
Heryès 1918 (= admet que le Président de la République avait pu légalement suspendre
l’application d’une loi en raison des circonstances de la guerre + considère que le pouvoir
exécutif ne se limite pas à l’application stricte des lois, mais consiste plus généralement à
assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics en toute circonstance). Cf :
Maurice Hauriou va repérer cet arrêt Heryès considérant que le Conseil d’Etat a enfin
compris la vraie nature du pouvoir exécutif, qui est de faire fonctionner l’administration. A
la fin de la guerre, on va expérimenter une pratique nouvelle, celle des décrets-lois. Cf :
loi du 10 février 1918, qui donne au gouvernement les pleins pouvoirs en matière de
ravitaillement. Par de simples règlements, le pouvoir exécutif peut alors, de façon
temporaire, prendre toute mesure qui lui parait utile en la matière.
Après la guerre, le gouvernement va à nouveau réclamer de tels pouvoirs, notamment en
matière économique. Dans un 1er temps, le Parlement s’y oppose. Mais en 1924, Poincaré
(alors président du Conseil) obtient, après d’âpres débats, la faculté de prendre de tels
décrets-lois en matière économique par la loi du 22 mars 1924. Cette pratique va alors se
banaliser et va apparaitre comme l’expédiant habituel pour surmonter les blocages
institutionnels qui découlaient du mauvais fonctionnement du régime parlementaire.
Attention : les décrets lois ne consistent pas à donner les pleins pouvoirs au gouvernement,
ils sont soumis à une procédure particulière :
1) La loi d’habilitation : pour que le gouvernement puisse agir dans le domaine
réservé du législateur, il faut qu’il soit autorisé par une loi d’habilitation votée
par le Parlement, qui comprend 2 éléments. D’une part elle fixe les matières
dans lesquelles le gouvernement va être habilité à décider, d’autre part elle
pose deux délais : celui au cours duquel le gouvernement est habilité à prendre
des décisions, puis celui au cours duquel le gouvernement doit déposer un
projet de loi de ratification

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2) Dans le cadre de cette habilitation, le gouvernement prend les mesures qu’il
estime nécessaires. MAIS: ce n'est pas parce que ces mesures interviennent dans
le domaine de compétences du Parlement qu’il s’agit de lois pour autant. En
effet, dès un arrêt « compagnie des chemins de fer de l’est » de 1907, le
Conseil d’Etat décide que le critère qui prévaut n’est pas le critère matériel
mais le critère organique. Dès lors, dans la mesure où ils sont adoptés par le
gouvernement (Président de la R avec contreseing ministériel), ces décrets-lois
restent des règlements. En conséquence, le contrôle du CE sur ces décrets-lois
est parfaitement possible, les recours en excès de pouvoir sont possibles, et
l’annulation par le CE est tout à fait envisageable s’ils ne respectent pas la
procédure prévue tant que la ratification législative n’est pas intervenue.
3) Les décrets-lois doivent enfin être ratifiés par le Parlement. Dès lors : soit le
projet de loi de ratification est déposé et voté par le Parlement (ratification des
décrets-lois, qui deviennent alors de véritables lois à l’abri de tout recours
juridictionnel), soit le projet de loi n’est pas déposé ou bien est rejeté par le
Parlement auquel cas les décrets-lois deviennent caduques (= sont
automatiquement abrogés).
Q° : Ces décrets-lois peuvent-ils être considérés comme constitutionnels ?
En 1ère analyse, on pourrait être tenté de croire que ces décrets-lois sont
inconstitutionnels, puisque le seul pouvoir règlementaire prévu par les textes est un
pouvoir règlementaire d’application. Toutefois, si elle n’est pas expressément prévue,
cette pratique n’est pas non plus expressément interdite. De toute façon, la question reste
éminemment théorique, puisque le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour contrôler la
constitutionnalité des lois. Il n’existe aucun organe chargé d’effectuer un tel contrôle et
par conséquent personne n’est compétent pour dire si une loi d’habilitation méconnait ou
respecte les textes constitutionnels. Cette pratique a été reprise dans la Constitution de
1958 sous l’appellation d’ordonnances (cf : article 38).

CHAPITRE III- La IVe République


Le Comité de libération nationale est mis en place par le général De Gaulle pour exercer la
souveraineté française jusqu’à la libération complète du territoire, et constitue alors le
gouvernement provisoire de la France. Cependant dès que le territoire est intégralement
libéré, De Gaulle tient ses promesses, en particulier celle de proposer au pays de nouvelles
institutions. Toutefois la constitution de la Ive République n’est pas du tout conforme aux
souhaits du général, qui va alors se retirer de la vie politique. Son retour sera permis par
l’incapacité de la Ive République à éviter les mêmes dérives que sous la IIIè République
(forte instabilité gouvernementale).

SECTION 1 : L’élaboration de la Constitution du 27 octobre 1946


§1- Les référendums du 21 octobre 1945 et du 5 mai 1946
Pour proposer au Français l’instauration d’un nouveau régime, une démarche originale est
adoptée : tout d’abord, les Français sont appelés à élire une assemblée au suffrage
universel direct, pour la 1ère fois ouvert aux femmes (cf : ordonnance du 21 avril 1944). Le
résultat de cette assemblée est significatif : l’assemblée est dominée par les forces
politiques qui se sont illustrées dans la résistance, à savoir le PC, la SFIO et le NRP. Le
même jour, les Français sont également appelés à se prononcer par référendum pour

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décider de la mission exacte dont sera investie l’assemblée nouvellement élue. Ce
référendum comporte en réalité non pas une mais deux questions :
- « Voulez-vous que l’assemblée élue à ce jour soit constituante ? »
- Savoir si dans l’affirmative les Français souhaitent que les pouvoirs publics soient
organisés provisoirement en conformité avec un projet de loi annexé à la question.

Par la 1ère question il s’agit de savoir si les Français souhaitent une nouvelle Constitution,
ou s’ils souhaitent revenir au régime de la IIIè République. Le OUI l’emporte avec une très
large majorité, manifestant le désir des citoyens d’en finir avec la IIIè République (96%).
La 2è question obtient également une grande majorité de OUI (2/3). Le projet de loi
annexé à cette question comportait en réalité 2 aspects : d’une part il s’agissait
d’instaurer une sorte de régime provisoire (ce qui permettait de légaliser le régime de fait
qu’avait été le comité de libération). D’autre part, il s’agissait d’encadrer le travail
constituant de l’assemblée nouvellement élue : celle-ci ne sera pas souveraine, devra
respecter ce cadre constitutionnel car son mandat donné par référendum par le peuple est
un mandat encadré par des contraintes d’ordre formel et procédural. En effet, le mandat
de l’assemblée est soumis à un encadrement temporaire : il prendra fin soit au jour de
l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, et au plus tard 7 mois après sa première
réunion. Deuxièmement, il est prévu que la nouvelle Constitution devra obligatoirement
être ratifiée par référendum. Il s’agit là d’un système tout à fait particulier, qui semble
donner de bonnes garanties démocratiques. Ce mandat limité va s’avérer tout à fait
déterminant, puisque le 1er projet élaboré par l’assemblée sera rejeté par le référendum
du 5 mai 1946.
Q° : Pourquoi ce rejet ?
• Le projet semblait de façon générale instaurer un régime d’assemblée. Un
Parlement monocaméral (= assemblée unique) était notamment prévu. D’autre part
l’essentiel du pouvoir exécutif était exercé par le Président du Conseil, élu par
l’assemblée.
• Le projet entendait instaurer une nouvelle déclaration des droits devant se
substituer tout bonnement à la DDHC de 1789. On envisageait de reprendre certains
éléments, pour l’adapter au contexte

§2- L’adoption de la constitution par référendum du 27 octobre 1946


Elle m’aime trop <3
Pas d tout
Après ce 1er échec, il a fallu élire une nouvelle assemblée. Le 2ème projet proposé au
peuple va opérer une sorte de compromis entre les opposants et les partisans du 1er projet.
Le référendum se solde par un OUI majoritaire, mais avec une forte abstention des
électeurs. Ce projet est divisé en 2 parties :
• Le corps de la Constitution à proprement parler
• Le préambule (qui déclare que «Le peuple français réaffirme solennellement son
attachement à la DDHC et aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République »). Il précise que le peuple français « proclame en outre comme
particulièrement nécessaires » un certain nombre de principes politiques,

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économiques et sociaux. on change ici de méthode: on n'abandonne pas l’idée de
proclamer une nouvelle génération de droits (d’inspiration plus interventionniste et
socialiste), sans toutefois chercher à remplacer la DDHC de 1789). Les nouveaux
droits :
o Principes d’ordre social
o Egalité homme/femme
o Droit à l’emploi
o Droit d’obtenir des moyens de subsistance
o Protection de la santé
o Droit au repos et au loisir
o …
Ces droits sont appelés droits-créances. Ces prestations sont considérées non
seulement comme un droit pour les citoyens, mais comme obligatoires pour l’Etat.
On trouve également des principes économiques, la liberté syndicale, le droit de
grève et même la participation des travailleurs à la détermination collective des
conditions de travail. On trouve encore des principes qui rejettent le colonialisme
en affirmant leur droit à l’autodétermination. Enfin, certains principes visent la
position de la France dans l’ordre juridique international, avec notamment la
soumission de la France aux règles internationales politiques.

SECTION 2 : L’organisation des pouvoirs sous la IVè République


Malgré la volonté affichée du général de Gaulle de rompre avec les lois de 1875, la
Constitution de 1946 s’écarte beaucoup de ses souhaits en se rapprochant assez de la IIIe
République.

§1- Le pouvoir législatif


1er point commun : on retrouve un Parlement bicaméral. Toutefois, ce bicaméralisme n’est
pas un bicaméralisme dit « parfait », car les chambres n’ont pas le même pouvoir.
Autre originalité : l’instauration d’un comité constitutionnel chargé d’opérer un début de
contrôle de constitutionnalité des lois.

A. L’assemblée nationale
Cette assemblée nationale comprend 627 membres élus pour 5 ans au suffrage universel
direct. Le mode de scrutin est proportionnel (au départ). Cette assemblée nationale vote
la loi, et peut avoir le dernier mot sur le conseil de la République. En outre, seule
l’assemblée nationale peut renverser le gouvernement : soit par une motion de censure,
soit en rejeter la question de confiance.

B. Le conseil de la République

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C’est la chambre haute du Parlement : il comprend 250 à 300 membres. Comme le Sénat
sous la IIIe République, le conseil de la République est élu au suffrage universel indirect
(cf : représentants des circonscriptions locales). On parle de bicaméralisme imparfait
parce qu’il n’y a pas d’égalité de pouvoir entre l’AN et le CR. Ils ne sont placés sur un pied
d’égalité que pour l’élection du Président de la République. Du reste, le CR est en position
d’infériorité.
Cf :
• En matière législative : c’est l’assemblée qui est saisie en première. C’est
seulement une fois que l’Assemblée nationale a délibéré que le Conseil de la
République peut délibérer à son tour et proposer des modifications. En cas de
modifications proposées par le Conseil de la République, le texte fera l’objet d’une
seconde lecture par l’Assemblée nationale qui adoptera le texte sans tenir
obligatoirement compte des modifications proposées. Il n’y a donc pas de navette
parlementaire, le Conseil de la République étant cantonné à un rôle consultatif.
Toutefois la Constitution sera révisée en 1954 : d’une part, le Conseil de la
République obtient le droit de délibérer le 1er sur ses propres propositions, d’autre
il obtient une petite navette parlementaire qui dure au maximum 100 jours.
• En matière de contrôle du gouvernement
• En matière de révision constitutionnelle :
= seule l’Assemblée nationale a l’initiative de la révision par une résolution devant
être adoptée à la majorité absolue. Elle a ensuite le choix soit de transmettre au
Conseil de la République, soit de procéder elle-même à une nouvelle lecture auquel
cas le Conseil de la République ne pourra pas se prononcer.

C. Le Comité constitutionnel
Il s’agit d’un organe chargé de réaliser une sorte de timide contrôle de constitutionnalité
des lois. Ce Comité constitutionnel est présidé par le Président de la République, les
président de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République. Il est composé de 7
membres élus par l’Assemblée nationale, et de 3 membres élus par le Conseil de la
République.
Pour qu’il soit saisi, il faut une demande conjointe du Président de la République et du
Président du Conseil de la République. Le contrôle qu’il peut être amené à exercer ne
débouche pas sur une censure de la loi, mais sur une demande faite à l’assemblée
nationale de procéder à une 2ème lecture du texte. Si l’assemblée persiste à vouloir
adopter le texte, le comité ne peut que décider qu’une révision préalable de la
Constitution devra être effectuée.
Ce comité constitutionnel ne sera amené à se prononcer qu’une seule fois, en 1948.

§2- Le pouvoir exécutif


La Constitution de 1946 se ressent fortement de l’influence de la pratique
constitutionnelle de la IIIè République. Non seulement elle consacre dans le texte le
Président du Conseil (existence coutumière sous la IIIème République), mais encore
l’effacement du Président de la République constatée après la crise du 16 mai 1877.

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A. Le Président de la République
Il est élu pour 7 ans par les deux chambres réunies en congrès, par un vote à la majorité
absolue des suffrages exclusifs.
Il est irresponsable, sauf pour haute-trahison. Beaucoup de pouvoirs importants
(notamment le pouvoir règlementaire) sont désormais confiés au président du conseil.
Certes, il lui reste quelques pouvoirs non négligeables, le plus important d’entre eux étant
le droit de demander une 2e délibération de la loi à l’assemblée nationale, que cette
dernière ne peut pas refuser. En réalité, les présidents successifs de la Ive en feront très
rarement usage, et principalement pour corriger des erreurs de plume. Il ne s’agit jamais
de pouvoirs propres. En effet l’exercice de ses pouvoirs est toujours soumis au contreseing
ministériel. Attention, il ne faut pas pour autant en déduire que le Président de la
République n’a aucune influence politique. Toutefois son effacement se fait largement au
profit du Président du Conseil.

B. Le président du Conseil
Née sous la pratique (origine coutumière) cette institution voit son existence consacrée
par la Constitution de 1946. Celle-ci dispose que sa nomination est effectuée par le
Président de la République. Toutefois, ce pouvoir de domination est tout relatif, car son
investiture doit se faire par un vote de l’Assemblée nationale. Le Président de la
République ne peut ainsi faire autrement que de nommer une personnalité politique dont
il sait qu’elle conviendra à l’Assemblée nationale. Ce pouvoir de nomination ne tend ainsi
qu’à devenir un pouvoir de proposition.
L’autre effet de ce vote d’investiture par l’Assemblée nationale, c’est qu’il met le
Président du Conseil sur le devant de la scène politique : il devient le porteur d’une
politique approuvée par l’Assemblée, et fait figure d’homme fort du régime. C’est ce que
confirme la prise en considération de ses pouvoirs. Tout d’abord, il reçoit des pouvoirs qui
appartenaient auparavant au PR :
- C’est lui qui a l’initiative des lois
- C’est lui qui est chargé de leur exécution et à ce titre exerce le pouvoir
règlementaire
- Il assure aussi la direction des forces armées
- Enfin, c’est lui qui a le pouvoir d’engager la responsabilité politique du
gouvernement devant l’AN en posant la question de confiance
Ainsi, loin d’aller à contre-courant de la IIIe République, la IVème République grave dans le
marbre constitutionnel la pratique constitutionnelle qui s’était développée sous la IIIe
République.

C. Le cabinet
Il se compose de ministres nommés par le Président de la République mais choisis par le
Président d Conseil, après que celui-ci a obtenu l’investiture de l’assemblée nationale.
• Comme sous la IIIe république, ces ministres ne sont pas obligatoirement choisis
parmi les membres des deux assemblées, mais le sont très souvent en pratique, et
ont dans tous les cas accès aux Assemblées dès qu’ils le demandent.

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• Comme sous la III, les ministres sont collectivement responsables de la politique du
gouvernement, et indirectement responsables de leurs propres actes. Toutefois, on
relève une différence notable entre la responsabilité politique sous la IIIe et la IVe :
désormais le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale seule.

SECTION 3 : Le fonctionnement du régime de la IVe République


Dans la façon dont elle envisage les rapports entre les pouvoirs, la Constitution de 1946
témoigne d’une tentative de rationalisation du régime parlementaire. On voit très
clairement la volonté de tempérer les pouvoirs du Parlement afin de limiter l’instabilité
gouvernementale.

§1- Les efforts de rationalisation


La Constitution de 1946 s’efforce de lutter contre les dérives du régime parlementaire par
3 moyens :
1) Seule l’Assemblée nationale peut mettre en œuvre la responsabilité politique du
gouvernement
2) Cette responsabilité politique est encadrée : d’une part, seul le Président du
Conseil peut poser la question de confiance après y avoir été autorisé par le Conseil
des ministres. Sous la IIIe, n’importe quel ministre pouvait à tout moment y avoir
recours. D’autre part, la Constitution instaure des procédures pour la mise en
œuvre de la responsabilité : le vote de la question de confiance ou de la motion de
censure ne peut intervenir qu’un jour franc après le dépôt de la question ou de la
motion. Le refus de la confiance ou le vote de la censure se fait par un vote à la
majorité absolue des députés (non plus simple). Enfin, le vote de la censure ou de
la confiance a lieu au scrutin public.
3) La Constitution tente de réhabiliter le droit de dissolution. Toutefois cette dernière
reste très timide, car ce droit de dissolution se trouve enserré dans des conditions
très restrictives : c’est le Président de la République qui exerce ce pouvoir, mais
uniquement sur demande du Président du Conseil après délibération en Conseil des
ministres, et après consultation des présidents des deux assemblées. Surtout, et
cela s’avérera déterminant en pratique, cette dissolution ne peut intervenir que si
au cours d’une période de 18 mois surviennent deux évènements du type motion de
censure ou refus de confiance. Dans ces deux cas, cela requiert un vote à la
majorité absolue des députés de l’assemblée nationale. Cet encadrement très strict
va aboutir à une nouvelle paralysie du droit de dissolution.

§2- L’échec de la rationalisation


A. Le retour de l’instabilité gouvernementale

• 1ère raison de ce retour à l’instabilité : on retrouve dans la Constitution le même


déséquilibre au profit du Parlement que celui né par la pratique constitutionnelle
sous la IIIe.
--D’une part on est toujours dans un régime purement représentatif sans mode de
démocratie semi-directe (sauf référendum en cas de révision constitutionnelle), et
le Parlement est donc le seul à exercer dans les faits la souveraineté.

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--D’autre part, l’exécutif est totalement soumis au Parlement. On a vu que le PR,
dont les pouvoirs sont fortement diminués, est désigné par le Parlement. Quant au
PC, il doit être investi par l’assemblée nationale. On voit donc bien que cette
Constitution renoue et approfondit le déséquilibre politique en faveur du
Parlement. Cela s’explique en partie par l’influence politique des communistes (cf :
rôle dans la résistance). Cette inféodation s’explique plus largement par la peur de
l’expérience impériale (cf : plébiscites napoléoniens, élection du président sous la
IIe République).

Le Général De Gaulle affiche clairement son hostilité au régime. Cf : discours de


Bayeux en 1946, dans lequel il critique fermement le fait que précisément le
Président de la République tire sa légitimité de l’Assemblée.

• La 2e raison : les tentatives de rationalisation sont insuffisantes. La Constitution


prévoit que la censure du gouvernement doit intervenir à la majorité absolue. Pb :
que faire quand l’assemblée lui exprime sa défiance par un vote à la majorité
simple ? Cf : dissolution difficilement applicable. Les députés vont s’arranger pour
refuser la confiance ou voter la censure sans atteindre la majorité absolue (= vote
calibré). On aboutit ainsi à une nouvelle paralysie du droit de dissolution.

CCL : Au départ, le régime affiche une apparence de stabilité. En réalité elle s’explique
par le contexte politique qu’on a appelé tripartisme. Toutefois, dès 1947 avec les débuts
de la guerre froide, ce tripartisme va s’effriter : le NRP et la SFIO vont couper les ponts
avec le PC, et tenter de compenser cette rupture avec d’autres partis politiques
(notamment les radicaux). Mais il faut également compter avec une autre force, qui tire
profit de la situation = le parti gaulliste (RPF). On retrouve une forte instabilité
gouvernementale : en 12 ans se succèdent pas moins de 22 gouvernements, d’une durée de
survie maximale d’1 an et 4 mois. Csq : détérioration de la qualité du travail législatif,
difficultés à mettre en œuvre un programme politique cohérent, difficulté à prendre des
décisions rapides et efficaces.

B. Le retour des décrets-lois


La IVe République renoue avec cette pratique. Cela a de quoi surprendre car elle semble
bien interdite de façon expresse par l’article 13 de la Constitution (« L’Assemblée
nationale vote seule la loi, elle ne peut déléguer ce droit »). Pourtant, les gouvernements
vont très tôt s’employer à contourner cet obstacle.
• La loi du 17 août 1948 : elle procède en marge du texte constitutionnel à une
extension du pouvoir règlementaire. En effet, elle détermine un certain nombre de
matières dont elle dispose qu’elles ne relèvent pas du pouvoir législatif mais du
pouvoir règlementaire. Il s’agit d’une vraie nouveauté pour l’époque : il y aurait
ainsi des matières réservées exclusivement au pouvoir législatif, d’autres réservées
au pouvoir règlementaire (cf : article 34 et 37). Cette loi a fait l’objet de
nombreuses critiques, notamment de René Capitant. Mais le Conseil d’Etat va
estimer cette disposition conforme à la Constitution.

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• Les lois du 11 juillet 1953 et du 14 août 1954 donnent au gouvernement le pouvoir
de prendre dans toute une série de domaines de mesures générales à titre initial,
pendant un certain délai. Il s’agit donc de la renaissance des décrets-lois, dont les
conditions sont quasi les mêmes que sous la IIIème République. Cette fois
cependant, on est en contradiction tout à fait flagrante avec la Constitution. Mais
comme en vertu de la théorie de l’écran législatif, le Conseil d’Etat ne maitrise pas
cette inconstitutionnalité, et il n’existe pas d’organes en mesure de censurer cette
inconstitutionnalité.

TITRE 2- La Vème République


CHAPITRE 1- Organes et caractère généraux de la Ve République
Il y a une cinquantaine d’années, on n’aurait pas imaginé que ce régime puisse durer plus
de 10 ans, en ce qu’il paraissait taillé pour le général de Gaulle et donc voué à disparaitre
avec l’effacement de la scène politique de ce dernier.
Les évolutions du régime ont été très importantes depuis son instauration, ne serait-ce
qu’avec l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel
direct 4 ans seulement après sa mise en place. Son succès tient à sa capacité d’adaptation
aux évolutions politiques et sociales (cf : certains ont pu parler de « Constitution
caméléon »).

SECTION 1 – L’instauration de la Ve République


Au regard de ce qui a précédé, la Ve République est née de l’incapacité de la IVe
République à régler ses dysfonctionnements, en particulier la grande instabilité politique
et gouvernementale (due à la pluralité des partis politiques et des courants, la dimension
professionnelle de la politique, la faiblesse de l’exécutif face au Parlement). Depuis 1946,
le général DG appelait à en finir avec cette instabilité gouvernementale, appelant en
particulier à supprimer la dépendance du chef de l’Etat par rapport au Parlement, pour lui
conférer une place institutionnelle qui le placerait « au-dessus des luttes partisanes » et
lui permettrait de jouer un rôle de gardien de l’intérêt national et de la continuité des
institutions. On aurait pu envisager des réformes constitutionnelles, mais le général
aspirait à un tout autre régime, aspiration que va largement servir le contexte troublé de
la guerre d’Algérie.

§1- Une Constitution née d’une crise politique


Comme l’a presque dit B. François, le régime de la Ve République se singularise par le
poids des origines que constitue le contexte de la fin de la guerre d’Algérie. En effet, la
Constitution de 1958 a été adoptée dans un contexte se rapprochant de la guerre civile.
L’instabilité gouvernementale de la IVe République pouvait passer dans un contexte
normal, mais s’est avérée tout à fait dramatique dans le contexte de la guerre d’Algérie.
S’il y a eu un tel enlisement du conflit, assorti de telles dérives et bavures, c’est en grande
partie dû au fait que l’armée n’était réellement dirigée que par elle-même en raison de
l’instabilité des gouvernements censés la commander.

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Le 13 mai 1958 à Alger, une manifestation pour l’Algérie française tourne à l’insurrection.
Des militaires repoussent les autorités civiles et prennent leur place (= putsch). Le pouvoir
exécutif, au lieu de réagir, démissionne. Le putsch algérois contamine la Corse, à partir de
laquelle les militaires comptaient envoyer des parachutes sur Paris. On s’approchait donc
bien d’un contexte de guerre civile. Pour mettre fin à cette situation, le général De Gaulle
se dit le 15 mai « officiellement prêt à assumer les responsabilités … », et est nommé
quelques jours plus tard par le Président de la République René Coty. Aussitôt après son
investiture, il fait voter une loi constitutionnelle qui modifie la procédure de révision, en
vue d’élaborer une nouvelle constitution.

§2- La loi constitutionnelle du 3 juin 1940


A. La méthode du général de Gaulle
Aussitôt après son investiture, il demande à l’assemblée d’adopter 3 textes :
1) Il demande la prolongation des pouvoirs spéciaux en Algérie
2) Il demande la possibilité pour le gouvernement de légiférer par décret
3) La loi constitutionnelle du 3 juin 1958.
= Cette loi a pour objet de modifier l’article 90 qui concerne les révisions
constitutionnelles. En effet, le général de gaulle souhaite à tout prix éviter d’avoir
à utiliser la procédure de révision que cet article prévoit. En effet, plus que la
longueur de cette procédure, il était surtout gêné par le fait que l’acteur central
de cette révision était l’Assemblée nationale. Il dispose que « par dérogation aux
dispositions de son article 90, la Constitution sera révisée par le gouvernement
investi le 1er juin 1958, et ce dans les formes suivantes ». Les adversaires du
général auront donc beau jeu à lui faire remarquer la similitude de cette révision
avec l’acte constitutionnel du 10 juillet 1940 : sa démarche n’est-elle pas
comparable à celle menée par le Maréchal Pétain en 1940 ? Toutefois, cette
similitude n’est que formelle. En effet, la loi constitutionnelle pose un
encadrement très fort.

4) Les conditions d’élaboration de la nouvelle Constitution


La loi constitutionnelle pose tant des conditions de forme que de fond.
--Quant aux conditions de fond, le projet de réforme devra respecter 4 principes :
- Seul le suffrage universel sera source du pouvoir
- Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif doivent être effectivement séparés. En
1ère analyse, on peut y voir une réaffirmation du principe de séparation des
pouvoirs. Dans l’esprit de DG, les choses vont en réalité plus loin : il s’agit de
rendre le gouvernement beaucoup plus autonome vis-à-vis du Parlement (cf :
incompatibilité entre fonctions ministérielle et parlementaire)
- L’autorité judiciaire devra être indépendante, afin d’assurer le respect des libertés
essentielles telles qu’elles sont définies par le préambule de la Constitution de
1946 et la DDHC de 1989.
- La future Constitution devra permettre d’organiser les rapports entre la République
et les peuples qui lui sont associés (cf : perspective d’une décolonisation affirmée).

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--Quant aux conditions de forme :
- L’avant-projet de constitution devra être soumis pour avis à un organe prévu à cet
effet : le comité constitutionnel.
- Le projet de Constitution devra alors être soumis à un nouvel avis, émanant cette
fois du Conseil d’Etat (= sorte de conseiller juridique de l’exécutif)
- Enfin, la Constitution devra pour entrer en vigueur être ratifiée par le peuple au
moyen d’un référendum

§3- La préparation et l’adoption de la Constitution


Le processus d’élaboration de la Constitution commence par l’avant-projet émanant du
gouvernement. Pour cela DG décide de prolonger la loi constitutionnelle en faisant
intervenir 2 autres acteurs :
- Un comité d’experts travaillant dans le plus grand secret et placé sous la
responsabilité de Michel Debré et composé essentiellement de juristes et de
conseillers d’Etat.
- DG a également décidé que cet avant-projet serait ensuite soumis pour avis à un
simple comité interministériel réunissant uniquement les ministres les plus
importants (cf : Pflimlin).

Q° : Quelle analyse faire de cette initiative de DG qui s’éloigne des conditions prévues
par la loi ?
On constate tout d’abord que De Gaulle fait intervenir des experts (hauts-conseillers
d’Etat, techniciens du droit) = exempts de toute ambition politique. Il évite également les
négociations en limitant les membres du gouvernement auxquels sera soumis le projet.
Csq : cohérence du projet.
Le 1er aout 1958 = le projet de Constitution est examiné par le conseil consultatif composé
de représentants du Parlement. Toutefois, ce comité n’a qu’une voix consultative et rien
n’oblige le gouvernement du général DG à reprendre les propositions de modification
formulées par ce comité.
Les grands points de débat :
• Le rôle du Président de la République : depuis son discours de Bayeux, le général
De Gaulle défend la vision d’un président de la République qui soit fort et rendu
suffisamment indépendant du Parlement pour pouvoir se placer au-dessus du jeu
des partis, et des « luttes partisanes ». La proposition de DG est simple : le
Président de la République ne doit plus être élu par le Parlement, et doit pouvoir
faire appel au peuple par deux moyens (d’une part un droit de dissolution qui soit
bien effectif, d’autre part le référendum législatif qui dans l’esprit de DG doit
permettre de faire adopter des lois acceptées par le peuple mais refusées par le
Parlement). Toutefois, ces mesures heurtent l’esprit républicain et réveillent
d’anciennes craintes.
• Le statut des membres du gouvernement : De Gaulle sait très bien que les
Français sont attachés au régime parlementaire. Il n’est donc pas question

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d’instaurer un régime présidentiel à l’américaine. De l’autre côté, même les
opposants du général De Gaulle conviennent qu’il faut en finir avec l’instabilité
gouvernementale et qu’il est de ce fait nécessaire de rationaliser le régime
parlementaire, notamment en rendant plus difficile l’engagement de la
responsabilité politique du gouvernement. En revanche, un point fait débat : DG
souhaite couper tout lien organique entre le Président de la République et les
assemblées. DONC : il ne veut plus de vote d’investiture, et surtout il veut instaurer
une incompatibilité entre les fonctions de ministre et de parlementaire. Or, cela va
frontalement à l’encontre de la tradition parlementaire selon laquelle les ministres
émanent des chambres.
En réalité le comité n’a eu que peu d’observation à faire, et ces dernières furent presque
toutes reprises par le général de Gaulle. Ainsi, le référendum sera par exemple beaucoup
plus encadré que ce qu’il souhaitait à l’origine. Toutefois, il ne cède pas sur la question de
l’incompatibilité entre les fonctions de ministre et de parlementaires.

Dernières formalités et adoption du projet :


Le 25 aout 1958, le projet fut soumis au Conseil d’Etat, qui ne proposa que des
modifications d’ordre technique. Le 3 septembre 1958, le projet est arrêté en conseil des
ministres, et soumis au référendum le 28 septembre qui se solde par une très large victoire
du OUI (plus de 82% des suffrages). Toutefois, ce OUI des citoyens s’apparente plus à un
OUI au général de Gaulle qu’à une approbation réelle du projet. Le 4 octobre 1958, la
Constitution est promulguée par le Président René Coty.
Le 23 et 30 novembre, les élections législatives se soldent par une défaite des opposants
au général, et par une très nette victoire des gaullistes. Toutefois, certains de ces
opposants prendront leur revanche aux élections sénatoriales.

SECTION 2 : Les grands équilibres initiaux de la Ve République


Il faut d’emblée préciser quelles étaient au départ les grandes lignes directrices du
régime, qui seront au fil des années très largement altérées.
--A l’origine on peut parler d’un régime parlementaire rationalisé (cf : discours de Debré).
En effet, le texte instaure incontestablement un régime parlementaire dont on retrouve
tous les éléments caractéristiques : un législatif bicéphale, un Président de la République
irresponsable, un Premier ministre que Président de la République nomme et qui forme un
gouvernement avec les ministres nommés également par ce dernier. Le gouvernement est
responsable face à la chambre basse du gouvernement. Conformément à la tradition
parlementaire, la règle du contreseing permet aux ministres d’endosser la responsabilité
politique à la place du Président de la République. Enfin, le Président de la République
peut dissoudre l’assemblée nationale.
--Toutefois, on constate très vite qu’il s’agit d’un régime parlementaire très particulier :
quelques innovations significatives visant à stabiliser son fonctionnement en évitant une
résurgence de l’instabilité gouvernementale sont rapidement décidées. Ainsi, on constate
une tentative très nette de renforcement de la fonction présidentielle : le Président de la
République n’est plus élu par le Parlement, mais par un collège de grands électeurs qui
compte quelques 80 000 membres (parlementaires en quelque sorte « noyés »). Il est
également doté de pouvoirs propres, dispensés du contreseing ministériel. En second lieu,
les moyens existant pour renverser le gouvernement sont désormais très encadrés, et
rendus plus difficiles. Enfin, le Parlement doit désormais compter avec l’existence d’un

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Conseil constitutionnel qui va vérifier avant leur promulgation la conformité des lois à la
Constitution. NB : Tel qu’il est conçu au départ, il n’a pas du tout le rôle de gardien des
libertés qu’on lui attribue aujourd’hui : à l’époque il s’agit plus d’un « canon braqué sur le
Parlement », et il constitue pour l’exécutif un moyen de contrôler et censurer les lois
votées par le Parlement.
Ce projet initial semble cohérent. Et pourtant, la Ve République a subi d’emblée une série
de réformes importantes.

SECTION 3- Les transformations de la Ve République


§1- La tendance à la prépondérance présidentielle
L’un des traits les plus soulignés de la Ve République, c’est la tendance à la prépondérance
du Président de la République sur les autres organes, en particulier sur le Parlement. On a
même pu parler d’hyperprésidence (cf : sous Sarkozy) pour caractériser un Président de la
République présent sur tous les plans, tout en étant politiquement irresponsable. Cette
tendance semble contraire à l’idée gaulliste d’un Président au-dessus des luttes partisanes
et s’affirme pourtant très tôt :

A. La rapide affirmation de la prépondérance présidentielle


Quelques mois seulement après les accords d’Evian qui entérinent le conflit avec l’Algérie,
le général va procéder à la 1ère révision constitutionnelle et certainement la plus
contestable de la Ve République : il s’agit de l’adoption par le peuple français (referendum
du 28 octobre 1962) de l’élection du PR au suffrage universel direct.
La stratégie contestable de De Gaulle :
Pour opérer cette révision, De Gaulle utilise l’article 11 de la Constitution, qui porte sur le
référendum législatif. L’article 89 de la Constitution relatif à la procédure de révision
autorise certes le recours au référendum, mais selon une procédure particulière : le texte
doit d’abord faire l’objet d’un vote en terme identiques par les 2 chambres. Face à
l’opposition farouche du Sénat, De Gaulle décide alors de recourir au référendum prévu à
l’article 11. Saisi par le Président du Sénat, le Conseil constitutionnel botte en touche et
répond qu’il n’est pas compétent pour statuer sur la conformité du texte adopté par la loi
référendaire, dès lors que le peuple s’est exprimé souverainement. Réponse insuffisante
sur le plan juridique, même si on entrevoit bien la situation délicate dans laquelle est
placé le Conseil constitutionnel : s’opposer à la procédure utilisée par DG = revient à
s’opposer à la volonté générale exprimée par le peuple souverain, et condamner le mode
d’adoption d’une telle mesure sans qu’aucune sanction n’ait lieu = donner sentiment
d’impuissance, contrôle inexistant et uniquement apparent.
Répercussions sur la nature du régime :
Quatre ans seulement après l’adoption de la Ve république, on a déjà une inflexion très
importante du régime : on n’est plus véritablement face à un parlementarisme rationalisé,
il s’agit désormais d’une forme de régime nouvelle et inconnue jusqu’alors.
• Le rapport de force entre les assemblées et le Président de la République change
totalement, puisqu’on a désormais l’affrontement de 2 légitimités démocratiques.
• Qui plus est, ce rapport de force est désormais déséquilibré en raison de la
difficulté pour les assemblées de renverser le gouvernement : en effet, les

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mécanismes destinés à rationaliser le régime parlementaire tendent à empêcher
l’Assemblée nationale de se servir de la responsabilité politique du Gouvernement
sous la Ve République pour entraver l’action présidentielle. Csq : un seul
gouvernement est tombé sous la Ve République, en 1962 par une motion de censure
(gouvernement Pompidou).
• Cette tendance à la prépondérance présidentielle sera amplement adoptée par De
Gaulle dans sa pratique du pouvoir : sa conception de la fonction présidentielle va
bien au-delà du rôle d’arbitre octroyé par la Constitution.
o On le voit rien qu’à la manière dont DG nomme les ministres, notamment le
Premier ministre : il va rapidement s’arroger le droit de leur révocation,
alors que l’article 8 dispose que les fonctions de ce dernier doivent prendre
fin « sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement ». On
assiste presque à un retour d’une pratique orléaniste du régime
parlementaire (dualiste, où le chef de l’Etat est présent sur la scène
politique).
o De même, on le voit à sa pratique du plébiscite : de 1959 à 1969, se
succèdent ainsi 4 référendums, à travers lesquels le général De Gaulle met
en jeu sa responsabilité politique. Dans l’esprit du général De Gaulle,
l’élection du Président de la République au suffrage universel implique en
effet une responsabilité de ce dernier (cf : René Capitant = « de même qu’il
y a un régime parlementaire où le gouvernement est responsable devant le
Parlement, on pourrait dire qu’il y a un régime populaire où le Président de
la République est responsable devant le peuple »). C’est ainsi qu’avec
l’échec du référendum de 1969, le général décide de démissionner.
(attention : césarisme napoléonien ?)
o Enfin, on le voit au fait que dès le début de la Ve république, l’Elysée se
dote d’importants services administratifs, qui s’étoffent et grandissent. Le
Président dispose d’une administration forte et compétente, ce qui montre
que la fonction présidentielle suppose désormais de suivre les politiques
mises en œuvre par les différents ministères. Cf : technocratisation du
régime. Cela s’explique par l’évolution du rôle dévolu à l’Etat : à partir de
la fin de la guerre, on assiste au développement de l’Etat providence, qui a
des missions de plus en plus nombreuses et techniques.

Cette pratique très présidentialisée a eu une influence durable sur les


successeurs du général.

B. Une influence durable


Si l’empreinte laissée par De Gaulle a eu une influence incontestable sur la pratique de la
fonction présidentielle et sur l’évolution du régime, les successeurs du général vont
néanmoins rompre avec l’une de ses pratiques du pouvoir : celle du référendum comme
pratique plébiscitaire (à peine 5 referendums sous ses successeurs, contre 4 sous la
présidence de DG).
En effet, ses successeurs ne jouissent pas de son fort prestige (= l’homme de la libération)
et de sa très forte popularité. Pour le reste, on peut considérer que ses successeurs ont
été poussés à suivre cette tendance à la prépondérance présidentielle.

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Cf : G. Pompidou = présidentialisme très assumé (certains historiens parlent d’ «
absolutisme pompidolien »). C’est lui qui va faire un certain nombre de choix politiques
économiques fondamentaux (= privilégier les grandes entreprises), établir les plans
définitifs du musée à son nom.
Cf : V. Giscard-d’Estaing, alors même que ce dernier affichait la volonté de s’écarter de
cette pratique présidentialiste.
Cf : François Mitterrand, a longtemps fait la critique du régime dont il se présentait
comme un farouche opposant. Pourtant le lendemain de son élection, il tient une
conférence de presse au cours de laquelle il déclare que « le 1er ministre et les ministres
doivent exécuter la politique déterminée par le Président de la République ».
Cf : Jacques Chirac, présidentialisation moins marquée. En effet, 1ère partie de son mandat
= marquée par la cohabitation.

C. Un rééquilibrage relatif : la cohabitation


Cohabitation = situation dans laquelle le Président de la République a été élu par une
majorité politique qui n’est pas la même de celle de l’Assemblée nationale.
Jusqu’ici on dénombre 3 cohabitations :
• De 1986 à 1988. Le Président de la République socialiste Mitterrand subit une
défaite face à la droite incarnée par J. Chirac. Cette situation était alors
totalement inédite. Se pose la question de savoir quelles seront les répercussions
sur la fonction présidentielle : DG aurait certainement démissionné (désaveu
électoral).
--La position de Mitterrand : « La Constitution, toute la Constitution, rien que la
Constitution ». Toutefois, c’est en accord avec la majorité parlementaire que le
gouvernement doit être nommé. Article 20 : « Le gouvernement détermine et
conduit la politique de la Nation ». En outre, sauf les pouvoirs propres du Président
de la République, l’essentiel des compétences normatives au sein de l’exécutif
appartiennent au Premier ministre. En particulier, le Président de la République n’a
aucun droit de veto législatif (contrairement au Président des USA). L’hypothèse est
donc que la cohabitation conduit le régime de la Ve République vers un
parlementarisme plus classique. Toutefois, c’est oublier que le Président de la
République jouit de prérogatives non négligeables dont certaines s’exercent sans
contreseing ministériel : ce sont les pouvoirs propres (dissolution, nomination des
ministres). Par ailleurs, les ordonnances ainsi que les décrets délibérés en conseil
des ministres doivent être signés non seulement par les ministres, mais surtout par
le Président de la République. C’est ainsi que Mitterrand va se montrer très actif,
même en période de cohabitation : il va refuser la nomination de certains
ministres, notamment étendre le nombre de hauts-fonctionnaires dont la
nomination est délibérée en Conseil des ministres (et donc signée par le PR). Enfin,
il est allé jusqu’à refuser de signer certaines ordonnances, notamment en 1986
avec l’ordonnance prévoyant la privatisation d’un certain nombre d’entreprises
(cf : débat sur l’article 13, controverse sur le point de savoir si cette disposition
vaut impératif ou laisse au PR la possibilité de refuser sa signature). Pb : pas de
juge constitutionnel, car l’action présidentielle n’entre pas dans le champ de
compétences du Conseil constitutionnel. C’est ainsi que s’est installée une forme
de coutume des cohabitations, qui a permis aux suivantes d’être moins
conflictuelles.

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• De 1993 à 1995 : Mitterrand est toujours président, et c’est Balladur qui dirige le
gouvernement.
• De 1997 à 2002 : Chirac est chef de l’Etat. Dissolution de l’assemblée = Jospin (1er
secrétaire du parti socialiste) devient 1er ministre.

Q° : Au fond, la cohabitation n’est-elle pas une bonne chose ?


En effet, elle permettrait de temporiser cette prééminence présidentielle et d’équilibrer
ce régime de la Ve République. Toutefois la cohabitation présente incontestablement un
certain nombre d’inconvénients :
- Tout d’abord, le texte n’a pas été conçu pour ces périodes de cohabitation : le
Président de la République dispose de pouvoirs propres, d’où il découle que les
pouvoirs du Président et du Premier ministre risquent de se paralyser l’un l’autre.
- Ces effets néfastes sont aussi sensibles à l’échelle internationale, où l’existence
d’un exécutif bicéphale discordant peut avoir des conséquences néfastes dans les
relations diplomatiques : 2 interlocuteurs rivaux pour représenter un même pays.
Cf : théorie du domaine réservé du Président (= politique étrangère).
- Enfin, la cohabitation a pour conséquence forte d’entrainer une rivalité entre le
Premier ministre et le Président qui sont tous deux présidentiables. Et pourtant :
créer lassitude chez l’électorat, car pas de réelle alternative politique. C’est la
raison pour laquelle le mandat du président de la République a été réduit de 7 à 5
ans par le référendum de 2000, ce qui permet d’éviter un décalage de plus d’une
année entre les élections présidentielles et législatives (les électeurs n’étant
jamais autant enclins à donner une majorité au Président que lorsqu’il vient d’être
élu). Il n’est toutefois pas sûr que cette mesure suffise à empêcher les
cohabitations. Tout d’abord il est parfaitement possible qu’un décalage survienne
(en cas de dissolution ou de fin prématurée du mandat présidentiel). Enfin, la
volatilité actuelle de l’électorat n’empêche pas la possibilité que les quelques
semaines séparant les élections présidentielles et législatives correspondent à un
changement politique de la majorité.

La question du fait majoritaire :


= se définit par l’existence au sein de l’assemblée nationale d’une majorité politique bien
identifiable parce que relativement homogène, stable et disciplinée. C’est notamment le
cas lorsqu’elle se structure autour d’un parti politique. En général, on a dans ce cas
l’existence d’une opposition également clairement identifiée.
Ce fonctionnement nouveau de l’assemblée rompt avec la forte instabilité sous les régimes
précédents, et a eu des effets considérables sur la Ve République :
• La responsabilité politique est presque réduite à une portée symbolique. En effet,
additionné aux mécanismes de rationalisation, le fait majoritaire rend très
improbable la possibilité pour l’Assemblée de renverser le Parlement.
• On tend même vers l’excès inverse : on peut en effet se demander si le Parlement
n’a pas vocation à se muer en simple chambre d’enregistrement des décisions de
l’exécutif. Cette image est à son paroxysme lorsque le gouvernement a recours à
l’article 49 alinéa 3, véritable arme du parlementarisme rationalisé (= mécanisme
par lequel le gouvernement engage sa responsabilité sur un texte que l’Assemblée

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doit voter. Soit elle l’admet sans discuter dans son intégralité, soit elle le refuse
entrainant la démission du gouvernement).
L’un des points les plus importants de la révision de 2008 a précisément été de tenter de
restaurer le rôle du Parlement, notamment en limitant l’utilisation de l’article 49 alinéa 3
à une par session parlementaire (sauf pour les projets de loi de finance et de financement
de la Sécurité sociale).
Plus fondamentalement, on peut se demander si ce fait majoritaire n’entraine pas un
changement de la logique même du régime parlementaire, qui repose sur une tension
entre l’exécutif et le Parlement. Avec le fait majoritaire, cette responsabilité politique
devient assez symbolique, et quasi illusoire. La dynamique semble plus se situer dans les
rapports entre majorité et opposition. La révision constitutionnelle de 2008 a notamment
doté l’opposition d’un certain statut : il est désormais possible de certaines commissions
d’enquête, …

§3- Le développement du contrôle de constitutionnalité


L’une des particularités de la Vème République fut d’instaurer un Conseil constitutionnel
dont le rôle est d’opérer un contrôle de constitutionnalité, sujet historiquement tabou en
France.
Au départ, le Conseil constitutionnel n’est pourtant pas conçu comme un moyen de
protéger les libertés, mais beaucoup plus comme un moyen de rationalisation du régime
parlementaire. Cf : Charles Eisenmann = « c’est un canon braqué sur le Parlement ».
Toutefois, ce Conseil constitutionnel a connu une évolution tout à fait considérable :
• Le 1er acte = la décision du 16 juillet 1971, sur la liberté d’association. Par cette
décision, le CC reconnait pour la 1ère fois la valeur juridique du préambule de 1958
ainsi que les textes auxquels ce dernier renvoie (DDHC et préambule de la
Constitution de 1946) = consacre l’existence du bloc de constitutionnalité comme
ayant une valeur juridique suprême.

• Le 2ème acte = révision constitutionnelle de 1974, qui ouvre la saisine du Conseil


constitutionnel à 60 sénateurs ou 60 députés. Auparavant cette saisine était limitée
à quelques autorités. Il s’agit d’une innovation essentielle car elle ouvre la saisine à
l’opposition, qui pourra désormais censurer une loi votée par la majorité.

• Le 3ème acte = la révision constitutionnelle de 2008 qui ouvre le contrôle de


constitutionnalité a posteriori par le mécanisme de la QPC, ouvert à tout
justiciable.
CCL : Le Conseil constitutionnel est devenu gardien des droits et des libertés, et ce contre
la volonté même du Législateur. Il faut toutefois soulever la question de l’organisation et
la composition du Conseil constitutionnel qui semblent aujourd’hui se trouver en décalage
avec le rôle désormais primordial qui est le sien, et la grande indépendance d’esprit qui
est requise. En effet sa nomination est exclusivement politique, et les anciens présidents
de la République en sont membres de plein-droit. Très discutable, car le fait d’avoir été
président confère certes une grande aura mais elle ne fait pas de ces hommes de grands
juristes pour autant.

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§4 - L’intégration européenne
La 4ème évolution de la Ve République, et certainement la plus importante, c’est son
inscription à l’UE. C’est une organisation régionale très différente des organisations
internationales classiques. Il en va notamment ainsi sur 3 point :
1) Le transfert de compétences, auquel les Etats doivent consentir.
Ex : aujourd’hui, la banque de France n’a aucun ordre à recevoir du gouvernement
(cf : traité de Maastricht).
2) Les Etats continuent à jouer leur rôle décisionnel au sein de l’union, même si leur
adhésion à l’UE entrave leur souveraineté
Cf : le Conseil des ministres (composé de représentants des gouvernements
nationaux). Dorénavant, la règle est tout d’abord la décision à la majorité au sein
du Conseil des ministres, mais aussi celle de la codécision. Csq : un Etat membre
peut se voir imposer une décision à laquelle il n’a pas consenti. Il en découle à
l’évidence une conséquence qui va à l’encontre d’un principe de cette forme
politique qu’est l’Etat : celui de la souveraineté. Au demeurant, le Conseil
constitutionnel, lorsqu’il a été questionné sur la question de savoir si la ratification
du traité de Maastricht nécessitait une révision constitutionnelle, a répondu par la
positive, estimant que le traité portait atteinte à diverses dispositions
constitutionnelles (cf : décisions Maastricht 1 et Maastricht 2). Ainsi aujourd’hui, la
Constitution comprend un titre XV dans lequel il est admis que la France participe
à l’Union européenne. NB : ce titre mentionne précisément le traité auquel la
Constitution s’est adaptée (sorte de verrou, la France ne se plie pas de façon
systématique aux révisions constitutionnelles). En découle incontestablement que
l’organisation de l’UE porte atteinte au principe de la souveraineté.
3) La primauté du droit de l’UE

CHAPITRE 2 : L’organisation des pouvoirs


SECTION 1- Le pouvoir exécutif
§1- Le Président de la République
A. L’élection du Président de la République
Depuis 1962, l’article 7 de la Constitution prévoit l’élection du Président de la République
au suffrage universel direct, au scrutin majoritaire à 2 tours. L’élection doit avoir lieu
entre 20 et 35 jours avant la fin du mandat (élections ou en cas de décès, de démission, de
destitution ou d’empêchement). Toute personne peut être candidat à cette élection, sous
la condition très discutée aujourd’hui du patronage du candidat par 500 élus locaux. Ce
patronage qui fait l’objet d’importantes contestations a pour objectif de limiter le nombre
de petits candidats afin que seules des personnes jouissant d’une certaine envergure
nationale puissent se présenter. Toutefois cette condition n’a pas empêché une
augmentation du nb de candidats : 6 en 1965, 16 en 2002, 10 en 2012. Le problème des
petits partis : la dispersion des voix au 1er tour risque d’écarter du scrutin un candidat qui
avait des chances réelles de remporter les élections (cf : Jospin en 2002).

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Au plus tard 37 jours avant le scrutin, chaque candidat transmet ses propositions au
Conseil constitutionnel et les noms sont publiés au JO. Les candidatures sont alors
officielles.
Au 2ème tour : seuls 2 candidats restent en compétition, ce qui renforce l’autorité du
Président de la République puisqu’il aura nécessairement été élu à la majorité absolue des
voix.

B. Le statut du Président de la République

1) La durée du mandat
Elle était initialement de 7 ans et a été réduite à 5 ans par le référendum du 24 septembre
2000 sur le quinquennat. Outre le souci réel d’éviter les cohabitations, l’objectif était de
faire en sorte que le peuple soit amené plus souvent à renouveler le mandat du Président
de la République et ainsi à se prononcer plus rapidement sur la politique menée par ce
dernier. Pour cette raison même, on peut estimer que ce mandat plus bref accentue
encore davantage la présidentialisation du régime.
Les cas dans lesquels le mandat prend fin prématurément : on distingue la vacance de
l’empêchement.
- La vacance = il n’y a plus de Président (décès, démission, destitution). Dans ce cas-
là, de nouvelles élections sont organisées dans un délai de 20 à 35 jours.
- L’empêchement = le Président n’est plus en état d’exercer ses fonctions, et ce de
façon définitive. C’est alors au gouvernement qu’il revient de demander au Conseil
constitutionnel de constater l’empêchement à la majorité absolue de ses membres.
Les électeurs auront ensuite lieu dans un délai de 20 à 35 jours.
Pendant les jours qui séparent la vacance ou l’empêchement des élections, c’est le
Président du Sénat qui assure les pouvoirs du Président. Cf : démission de De Gaulle, décès
de Pompidou.

2) La responsabilité du Président de la République


La responsabilité du Président de la République est une question très importante et
d’actualité, mais qui transparait de façon très liée au contexte politique. Point d’inflexion
en 2007, car révision constitutionnelle.
a) Avant la révision constitutionnelle de 2007
Initialement dans la Constitution de 1958, la logique était la suivante : selon les articles 66
et 67 alors en vigueur, le Président de la République était irresponsable pour tous les actes
accomplis dans ses fonctions, sauf pour haute-trahison (auquel cas il pouvait être jugé
devant la Haute-cour). Ces articles posaient toutefois problème, car ils laissaient
d’importantes questions en suspens : Comment définir la haute-trahison ? Comment
appréhender les actes accomplis hors fonction présidentielle ?
Dans les années 1990, on assiste à une évolution sociale de l’intérêt attaché par les
citoyens aux actes de leurs élus. (Cf : J. Chirac, affaire des emplois fictifs). La question du
statut pénal du chef de l’Etat devient brusquement d’un intérêt pratique. C’est au juge
qu’il est revenu de se prononcer sur le statut pénal.

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- Décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel, saisi de la question de savoir
si le traité portant statut de la cour pénale internationale nécessitait avant
ratification une révision de la Constitution, étant donné qu’il prévoit que les
immunités du Président ne peuvent pas faire obstacle aux poursuites. Réponse du
Conseil constitutionnel : pour les actes commis dans le cadre des fonctions
présidentielles, l’immunité est claire (pas de révision). Pour les actes commis hors
des fonctions présidentielles, le Conseil constitutionnel décide que les dispositions
de l’article 66 s’étendent aux actes présidentiels accomplis hors de ses fonctions :
le Président de la République est irresponsable et ne peut être jugé que par la cour
internationale de justice et par la Haute-cour pour haute-trahison. Csq : sur le plan
juridique il n’y a pas immunité pénale, mais privilège de juridiction. Cela pose un
problème d’ordre éthique : si le mandat est renouvelé, risque que les faits soient
prescrits.

- Arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2001. Cette dernière va adopter un avis


tout différent. Amenée à se prononcer dans le cadre d’une procédure concernant
une plainte d’un contribuable parisien visant des pratiques qu’il reprochait à J.
Chirac à l’époque où ce dernier était maire (cf : les emplois fictifs). La Cour de
cassation va alors considérer que l’article 68 de la Constitution ne concerne que les
faits accomplis dans les fonctions présidentielles et qualifiables de haute-trahison.
Le Président n’a pas de privilège de juridiction. Toutefois elle précise que durant le
mandat présidentiel ce dernier ne peut pas faire l’objet de poursuites, ni être cité
à comparaitre comme témoin. La Cour de cassation prévoit que les délais de
prescription cessent de courir durant le mandat. Sur la base de cette position, J.
Chirac a ainsi été poursuivi et jugé après son mandat.

b) La responsabilité du chef de l’Etat depuis 2007


Depuis cette révision de 2007, il faut en 1er lieu souligner que l’article 67 réaffirme avec
force le principe de l’irresponsabilité tant politique que pénale du Président de la
République pour les faits accomplis dans le cadre de ses fonctions. Toutefois, l’article
ajoute que cette irresponsabilité existe sous réserve des articles 53-2 (CPI) et 68 («
manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat »).
• L’article 68 :
o Il consacre la solution adoptée par la Cour de cassation en 2002 : pendant la
durée de son mandat, le Président de la République ne peut pas être
poursuivi ou cité comme témoin, mais plus largement ne peut faire l’objet
d’aucune action en justice et ne peut même pas être appelé à comparaitre
devant une autorité administrative.
On peut s’interroger sur les effets de cette immunité : alors même que le
Président de la République n’est pas un citoyen comme les autres, il
conserve les mêmes voies de droit que tous les citoyens (ne peut pas être
poursuivi, mais peut assigner en justice). Toutefois cette immunité n’est que
temporaire.
o Il apporte une limite inédite à l’irresponsabilité politique du Président de la
République car il prévoit que ce dernier pourra être destitué par la Haute-
Cour en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible
avec l’exercice de son mandat ». Cette destitution aura lieu par un vote
identique des deux assemblées à la majorité des 2/3.

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Remarque :
« Le manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son
mandat » = vise non seulement actes accomplis dans les fonctions mais également des
actes commis hors des fonctions, lorsque leur nature ou leur gravité est incompatible avec
les fonctions présidentielle
Il semble s’agir plus d’une responsabilité politique que pénale = car la Haute-cour est un
organe politique, et la sanction est la destitution (sanction politique). De plus, rien ne lui
interdit de se représenter aux élections. Cf : Olivier Beaud = il est inexact de parler d’un
impeachment à la française, il s’agirait presque de l’inverse. Aux USA, l’impeachment est
une responsabilité pénale qui sert de soupape à l’irresponsabilité politique du
gouvernement. En France, au contraire, on a une responsabilité politique qui sert de
soupape à l’irresponsabilité pénale.

CCL : on peut se demander si cette procédure de l’article 68 est compatible avec la Ve


République. L’idée sous-jacente est louable : accepter les pouvoirs forts du Président de la
République par cette procédure de destitution. Pb : en principe, l’autorité de destitution
doit être celle qui l’a investi de ses pouvoirs. On pourrait donc se demander si une
procédure de destitution par référendum ne serait pas plus logique et cohérente. Cf : la
pratique du recall.

C. Les attributions du Président de la République

1) La fonction présidentielle
Cette fonction est décrite à l’article 5, selon lequel « Le Président de la République veille
au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des
pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance
nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ».
Le rôle de gardien de la Constitution apparait aujourd’hui tout à fait désuet au vu de
l’existence du Conseil constitutionnel, le terme essentiel parait donc être celui
d’arbitrage. (Cf : discours de Bayeux en 1946). A partir de 1962, le général De Gaulle
n’aura aucun complexe à rompre avec le discours de Bayeux pour s’affirmer comme seul
« à détenir et déléguer l’autorité de l’Etat ».
« Garant de l’indépendance, de l’intégrité territoriale et du respect des traités » : le PR
apparait comme ayant une responsabilité particulière lorsque les intérêts supérieurs de la
nation sont en jeu. Cf : le pouvoir de déclencher l’article 16 de la Constitution, lequel
permet au Président de la République d’instaurer une sorte de dictature temporaire dans
des circonstances exceptionnelles.

2) Les pouvoirs du Président de la République


Ils sont nombreux. Leur originalité réside dans le fait que tous ses pouvoirs ne sont pas
soumis à la règle du contreseing ministériel. L’article 19 C dispose que les actes du

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Président de la République sont contresignés par le Premier ministre, et le cas échéant par
le ministre responsable, à l’exception d’une série d’actes limitativement énumérés. Pour
cette raison on a pris l’habitude de les appeler pouvoirs propres.
a) Les pouvoirs propres
Ils correspondent à ces pouvoirs limitativement fixés et dispensés du contreseing
ministériel.
• La nomination du 1er ministre (article 8 al 1er)
• La décision de dissolution de l’Assemblée nationale (article 12 al 2)
• Les actes par lesquels le Président de la République communique avec le Parlement
(art 18)
Nb : la Constitution prévoyait à l’origine de limiter le contact entre le Président de
la République et les chambres du Parlement aux messages que le Président pouvait
faire lire par les membres du gouvernement devant les assemblées. La réforme
constitutionnelle de 2008 a permis l’évolution de cette disposition, puisqu’il a été
souhaité que le Président de la République puisse plus librement prendre la parole
devant les chambres. A donc été introduite la possibilité pour ce dernier de
s’adresser au Parlement réuni en Congrès (cf : Sarkozy en 2008). Ce type de
discours n’est pas anodin du pont de vue constitutionnel, et va encore dans le sens
d’une présidentialisation du régime.

• Soumettre un projet de loi au référendum (article 11). C’est un point important de


la Constitution de 1958, comparé aux régimes précédents (crainte de pratique
plébiscitaire et d’un retour au césarisme). Le général De Gaulle souhaitait
beaucoup ce référendum qui permettait de couper le cordon avec les assemblées,
et de nouer un contact direct avec le peuple. En raison de ces craintes, le champ
d’application de l’article 11 était assez réduit (organisation des pouvoirs publics et
ratification des traités internationaux). Cependant une révision de la Constitution
du 4 aout 1995 a considérablement élargi son champ d’application, dans la mesure
où ont été ajoutées l’ensemble des réformes relatives à la politique économique et
sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent (presque tous les
projets de loi peuvent y être inclus). Toutefois ce pouvoir propre ne concerne que
la décision de soumettre le texte au référendum, et en théorie il ne peut pas
s’exercer seul : le référendum doit d’abord avoir été proposé soit par le
gouvernement, soit par les deux assemblées. En période de concordance des
majorités, cette limite semble factice. Elle ne prend de réelle importance qu’en
période de cohabitation. De même elle n’a jamais fait l’objet d’une proposition par
les parlementaires.
Il convient pour finir de souligner qu’à coté de ce referendum relevant des pouvoirs
propres du Président de la République, la révision de 2008 a introduit un nouveau
type de référendum (figurant aussi à l’article 11) : il s’agit d’un référendum à
initiative partagée. Elle est partagée entre le Parlement et une fraction du peuple.
Le projet doit être déposé par 1/5e des membres du Parlement (députés comme
sénateurs), puis soutenu par 1/10e au moins des électeurs. C’est pour cela qu’on
parle d’initiative libre. Les conditions sont très strictes. Cf : selon la loi organique
du 7 décembre 2013, le Conseil constitutionnel est obligatoirement saisi de la
proposition avant le soutien par les électeurs et doit effectuer un contrôle non
seulement de la procédure mais également du fond. De plus et surtout, ce

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referendum ne peut en réalité avoir lieu que si les chambres n’ont pas décidé elles-
mêmes de voter le projet.

• Toutes les décisions du Président de la République qui participent à l’organisation e


au fonctionnement de la Justice constitutionnelle. Cf : décision de nommer un
membre du Conseil constitutionnel ou de son Président (article 56), de la décision
de saisir le conseil constitutionnel de la constitutionnalité d’une loi ou d’un traité
(article 62).

• Les actes pris par le Président de la République en application de l’article 16 de la


Constitution.
= il revêt une importance tout à fait particulière. Il s’agit en effet des pleins
pouvoirs dont le PR peut se doter dans des circonstances exceptionnelles.

Plus précisément il peut être déclenché lorsque 2 conditions sont réunies :


o Menace grave ou immédiate pour les institutions de la République,
l’indépendance de la Nation et l’intégrité du territoire.
o Interruption du fonctionnement des pouvoirs publics
Lorsque ces deux conditions sont réunies, le PR peut décider de déclencher l’article
16 (= décision dispensée du contreseing ministériel). Ce pouvoir de l’article 16 a
déjà été mis en œuvre sous le général De Gaulle en 1961. Mesures contestables =
tribunaux d’exception (dont une part a été censurée par le Conseil d’Etat).

Toutefois une procédure doit être respectée : le Premier ministre doit être consulté
pour avis, ainsi que les Présidents des deux assemblées et le Conseil
constitutionnel. Leur avis ne lie pas le PR. S’il décide de recourir à ce mécanisme,
la nation doit également en être informée par message. L’effet de cet article 16 est
tout à fait remarquable puisqu’il conduit à instaurer une véritable dictature
temporaire. Idée = suspendre la Constitution pour sauver la Constitution. En effet,
le Président de la République a le pouvoir de prendre toutes les mesures justifiées
par les circonstances, y compris lorsque cela le conduit à empiéter sur les
compétences normalement dévolues aux autres autorités constitutionnelles. En
d’autres termes, il peut tout à fait prendre des mesures qui relèvent du législateur,
mais il peut également prendre des mesures relevant des autorités judiciaires
(arrestations, …). Ces mesures prises en application de l’article 16 sont également
dispensées de contreseing. Là encore un petit encadrement procédural existe : le
Conseil constitutionnel doit être consulté pour avis pour chaque décision. Toutefois
ces pouvoirs ne sont pas illimités. Il existe certaines mesures de fond : le PR ne
peut pas décider de la dissolution de l’Assemblée nationale. De plus, il ne peut pas
davantage décider d’une révision constitutionnelle. Cela découle de l’article 89 de
la Constitution. Depuis 2008, il existe également un encadrement procédural en ce
qui concerne la durée d’utilisation de l’article 16. Après 30 jours, le P de
l’assemblée nationale ou du sénat, 60 députés ou 60 sénateurs, peuvent demander
au Conseil constitutionnel de vérifier si les conditions d’application de l’article 16
sont toujours réunies. Le Conseil constitutionnel peut se saisir lui-même d’office

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après 60 jours. Cependant, il ne s’agit que d’un avis sans véritable portée
juridique, qui ne contraint pas le Président de la République.

b) Les pouvoirs soumis au contreseing ministériel


Il est tout à fait impossible de tous les énumérer puisque dès lors que l’article 19 énumère
limitativement les pouvoirs propres, il en découle que tous les autres pouvoirs du Président
de la République sont soumis au contreseing. Ex :
• La nomination des hauts-fonctionnaires civils et militaires (art 8 al 2)
• La promulgation des lois (art 10) ou le dépôt d’un projet de loi constitutionnelle
• La ratification des traités
• Les décisions du PR en tant que chef des armées
• Le PR signe les ordonnances (pratique des décrets-lois, article 38), les décrets pris
en conseil des ministres
Au total, l’existence de ces pouvoirs propres implique une certaine rupture avec la
tradition parlementaire, bien qu’elle demeure partielle (seules les dispositions prévues par
l’article 19). Elle est relative : dans les faits, la distinction entre pouvoirs propres et
contreseing dépend de la conjoncture politique, et est beaucoup plus marquée période de
cohabitation. En période de majorité, il semble peu vraisemblable qu’un membre du
gouvernement s’oppose à une décision du Président de la République.

§2- Le gouvernement
A. La formation du gouvernement

1) La nomination des membres du gouvernement


Le Premier ministre comme les ministres sont nommés par le Président de la République
(article 8 C). La question qui se pose inévitablement est de savoir dans quelle mesure, dès
lors que la Ve République présente tous les caractères d’un régime parlementaire, ce choix
est contrôlé par les chambres du parlement. En réalité, l’influence de l’Assemblée
nationale en période de concordance des majorités est quasiment nulle. D’abord il faut
souligner qu’à la différence de la Constitution de 1946, la Constitution de 1958 ne prévoit
aucun vote d’investiture. Il en découle que juridiquement, la seule autorité compétente
est le Président de la République.
Naturellement, dès lors qu’il existe des moyens pour l’Assemblée nationale de renverser le
gouvernement, le Premier ministre doit être choisi au sein de la majorité législative. Mais
contrairement à ce qui a cours au Royaume-Uni, le Premier ministre choisi n’est pas
forcément le chef de cette majorité. Ex : Pompidou, Raffarin, Hérault, Vals. Il en va
différemment en période de cohabitation : le Président de la République n’a généralement
pas d’autre choix que de choisir le leader de la majorité (ou du grand parti) à l’assemblée
nationale.
L’expérience de la cohabitation montre toutefois que le PR conserve un certain pouvoir
dans la nomination des ministres. Ex : Mitterrand a refusé de nommer un certain nombre
de membres proposés par Chirac.

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2) La révocation des membres du gouvernement
C’est le Président de la République qui nomme les membres du gouvernement, c’est
également lui qui met fin aux fonctions du Premier ministre et des ministres. En théorie il
n’est pas libre de le révoquer comme il l’entend : il ne peut le faire que si le Premier
ministre lui présente la démission du gouvernement. Malgré cette disposition, le général
De Gaulle va très vite s’arroger le pouvoir de révoquer le Premier ministre à sa guise. Cf :
conférence de presse du 31 janvier 1964, où il s’écarte des opinions exprimées lors du
discours de Bayeux (« pas de dyarchie au sommet », « le Président de la République est
seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’Etat » = cette affirmation va à l’encontre du
texte). Toutefois, tout le monde aura compris qu’en période de coïncidence des majorités
le Président de la République n’aura aucune difficulté à obtenir la démission de son
gouvernement. En période de cohabitation il en va autrement : une telle démission forcée
est impossible. Dépend de la conjoncture politique.
Il convient également de souligner le fait que le gouvernement doive démissionner après
les élections présidentielles et législatives n’est absolument pas prévue par la
Constitution : il s’agit d’une simple coutume constitutionnelle.

B. Le statut des membres du gouvernement


De même que sous la IVe République, le Premier ministre n’est pas qu’un simple ministre
parmi d’autres. C’est véritablement une autorité autonome, dans la mesure où la
Constitution l’identifie ainsi en lui donnant des compétences distinctes de celles du
gouvernement.
La plus importante de ces prérogatives est le pouvoir règlementaire, que le Premier
ministre exerce en signant les décrets, sous réserve des compétences du Président de la
République. Il faut se souvenir que c’est le Président qui signe les ordonnances (article
38), et les décrets délibérés en conseil des ministres. Ces deux types d’actes sont donc
signés par le PR et seulement contresignés par le PM. Comme c’est le PR qui prévoit
l’ordre du jour du CM = étendre son influence en période de cohabitation notamment. La
Constitution ne fixe ni le nombre ni le périmètre des ministères, ce qui est une singularité.
Aucune loi ne fixe encore le nombre des ministères. Ces points qui paraissent
constitutionnels au sens matériel du terme peuvent être librement modifiés par le
gouvernement. La tendance générale est à la hausse sur la période longue : aujourd’hui on
compte 33 membres du gouvernement. Cela dit, l’appellation de ministre recouvre de
réalités assez différentes :
- On compte les ministres de plein exercice (hiérarchie protocolaire avec les
ministres d’Etat)
- Mais aussi des ministres délégués, qui se voient confier des missions spécifiques au
sein d’un ministère auquel ils sont rattachés (cf : le ministre délégué aux affaires
européennes au sein du ministère des affaires étrangères).
- Les secrétaires d’Etat (auxquels on donne protocolairement le titre de ministre)
mais qui se distinguent dans la mesure où ils n’ont pas accès de plein droit au
conseil des ministres (auquel tous les ministres au sens strict peuvent accéder). Ils
peuvent toutefois y participer lorsqu’ils y sont invités.
La loi ne fixe pas le nombre de ministères ni leur périmètre : chaque nouveau
gouvernement peut donc avoir des ministères aux périmètres très différents, révélateurs

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et significatifs d’une conception de l’Etat. Cf : sous Fillon, la fonction publique était
rattachée au ministère du travail (rapprocher public et privé).

Les incompatibilités :
En vertu de l’article 23, ces ministres sont soumis à certain nombre d’incompatibilités qui
concernent non seulement toute activité professionnelle, mais également tout mandat
parlementaire (cf : volonté de De Gaulle de rendre le gouvernement plus indépendant vis-
à-vis du Parlement). Cela ne signifie pas que les ministres ne peuvent pas être élus parmi
des députés ou sénateurs, mais tout simplement que l’accès aux fonctions de ministre
implique d’abandonner sa fonction de parlementaire. Depuis la réforme constitutionnelle
de 2008 : il est désormais prévu que le ministre démissionnaire retrouve son siège de
député et de sénateur. Article 25 de la Constitution. Avec la rationalisation du régime
parlementaire, et le fait majoritaire, cette dépendance du gouvernement vis-à-vis du
parlement a grandement diminué et le rapport de force tend même à s’inverser.
L’incompatibilité n’a donc que peu de sens aujourd’hui, et ses effets s’atténuent en
pratique.
Cf : Projet de loi constitutionnelle déposé en 2013 par Hollande visait à instaurer une
nouvelle incompatibilité entre fonction ministérielle et municipale. Toutefois la
conjoncture politique se prête peu à son adoption.

La responsabilité des ministres :


Sur le plan de la responsabilité, les membres du gouvernement sont politiquement
responsables, mais le sont également pénalement des crimes et délits commis pendant
leurs fonctions. Il n’y a donc pas d’immunité temporaire semblable à celle dont jouit le
Président de la République en vertu de l’article 67. Toutefois une procédure spéciale est
prévue à l’article 68-1 : les victimes doivent d’abord demander le déclenchement des
poursuites à une commission d’enquête, laquelle se compose de magistrats issus de la Cour
de Cassation, du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes. Si elle décide de déclencher les
poursuites, le ministre sera jugé par une cour spéciale : la Cour de justice de la
République. Si les ministres ne bénéficient pas d’une immunité, ils bénéficient toutefois
d’un privilège de juridiction. MAIS : donner l’impression désastreuse d’une justice
politique (juridiction composée de parlementaires) tendant à être partiale, les victimes
sont au mieux entendues comme témoins (donner une image de justice à deux vitesses,
contreproductive y compris pour le ministre impliqué). Là encore un projet de révision a
été déposé en 2013, visant à supprimer la CJR, et redonner la compétence aux juridictions
de droit commun avec toutefois un filtrage des demandes.

C. Les attributions du gouvernement


Le rôle du Gouvernement est décrit à l’article 20 : « Le Gouvernement détermine et
conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est
responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux
articles 49 et 50 ».
Pour ce faire, le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée. La
logique du régime parlementaire semble de ce point de vue respectée : la politique est
conduite par un gouvernement responsable. Toutefois la pratique est tout à fait différente,
au moins en période de concordance des majorités : fort de sa légitimité démocratique
(largement supérieure à celle des membres du gouvernement), le PR résiste rarement au

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souhait d’évoquer tous les dossiers qui l’intéressent (NB : en droit, on nomme évocation le
fait pour une autorité haut-placée de s’attraire des sujets appartenant à une autorité
inférieure). Au sein du gouvernement, il ne faut pas oublier qu’il y a en réalité deux
autorités distinctes :
• D’une part le Premier ministre (dont on a vu qu’il était une autorité à part entière,
dans la mesure où des compétences précises lui sont attribuées)
• D’autre part le Conseil des ministres, autorité à part entière elle aussi puisque la
Constitution la dote de compétences spécifiques. Ainsi, c’est le Conseil des
ministres qui délibère sur les projets de loi avant leur signature par le Premier
ministre. C’est également au Conseil des ministres qu’il revient de proposer un
référendum (article 11) ou encore d’utiliser certaines techniques du
parlementarisme rationalisé, telles que la procédure législative accélérée.
En principe, c’est le Président de la République qui préside le Conseil des ministres.
Toutefois ce dernier ne participe pas nécessairement à la décision finale : il ne
signe en effet que les décrets et les ordonnances. En revanche, on constate que les
projets de loi sont délibérés par le Conseil des ministres et signés par le Premier
ministre.
On peut remarquer que la Constitution ne confère aucun pouvoir règlementaire à un
ministre agissant seul. Toutefois ces derniers contresignent les actes du Premier ministre
dont ils sont chargés de l’exécution (décrets, ordonnances, projets de loi). Le Premier
ministre peut leur déléguer certains de ses pouvoirs. Les lois, ordonnances et décrets
peuvent enfin leur confier le soin de prendre des règlements d’application sous forme
d’arrêtés ministériels.
NB : la décision d’un ministre = arrêté / décision du Président de la République ou Premier
ministre = décret. De même : tous les décrets ne sont pas des règlements (cf : nomination
des hauts-fonctionnaires).

SECTION 2 – Le Parlement
De façon incontestable, la Ve République est marquée par un déclin du Parlement.
D’ailleurs le Parlement n’intervient dans la Constitution qu’après le Président de la
République et le Premier ministre. Jusqu’à la Constitution de 1958, la tradition
parlementaire voulait que ce soit le Parlement qui décide de la politique à mener, le
gouvernement apparaissant davantage comme un organe de mise en œuvre. Désormais, on
assiste à un affaiblissement chronique du Parlement, qu’on essaye de dépasser.

§1- L’organisation du Parlement


A. Un Parlement bicaméral
En vertu de l’article 24, le Parlement comprend l’Assemblée nationale et le Sénat.

1) L’assemblée nationale
Le nombre de députés est fixé par une loi organique, et depuis la révision de 2008, le
nombre actuel (517) est devenu le plafond maximal. L’assemblée nationale est renouvelée
tous les 5 ans au suffrage universel direct. Le mode de scrutin n’est pas fixé par la
Constitution ou même par une loi organique, mais par une loi simple : elle se fait
aujourd’hui au suffrage majoritaire à 2 tours au sein de circonscriptions locales. Dans le

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contexte actuel de fait majoritaire, d’affaiblissement du Parlement, de défiance
croissante des citoyens à l’égard du monde politique, il n’est plus question de repasser à
un scrutin proportionnel, mais plutôt d’introduire plus de proportionnalité dans le système
actuel.
Relève également d’une loi simple le découpage des circonscriptions électorales. Or, les
évolutions démographiques induisent des inégalités de représentation. Avant 2010, on avait
ainsi des écarts énormes entre les circonscriptions très peuplées de région parisiennes et
celles des milieux ruraux. Le fait que ce découpage relève d’une loi simple semble de plus
propice à des manœuvres politiques. Depuis la révision de 2008, l’article 25 de la
Constitution prévoit que tout projet de loi délimitant les circonscriptions électorales devra
faire l’objet d’une consultation auprès d’une commission indépendante (« Une commission
indépendante (…) se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions
de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la
répartition des sièges de députés ou de sénateurs »). Mais la réforme n’est pas allée au
bout de la logique, et la proposition d’exiger un redécoupage systématique tous les 10 ans
n’a pas été retenue.
On peut parler de bicaméralisme parfait dans la mesure où une loi doit être votée dans les
mêmes termes par l’assemblée nationale et le Sénat. Toutefois, il faut nuancer cette
affirmation :
- L’assemblée a le dernier mot (article 45 = « (…) le Gouvernement peut, après une
nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à
l’Assemblée nationale de statuer définitivement »)
- Elle peut seule engager la responsabilité du gouvernement

2) Le Sénat
En ce qui concerne le Sénat, on observe une remarquable continuité avec la IIIe
République dans la mesure où cette chambre, par sa composition, vise en particulier à
assurer une certaine représentation des collectivités territoriales. Pour l’instant la France
parait épargnée par cette évolution de nombreux régimes parlementaires où la chambre
haute tend à perdre de plus en plus de pouvoirs. Cette évolution s’explique par les progrès
de la démocratie. Au demeurant, on peut penser que les Français sont relativement
attachés à cette institution (cf : échec du referendum de 1969, et rejet du 1er projet de
Constitution en 1946 qui visaient à supprimer cette institution).
L’actuel Sénat est assez proche du Sénat sous la IIIe République. Le nombre de sénateurs
est aujourd’hui de 248. Depuis la réforme sur le quinquennat, le mandat des sénateurs est
de 6 ans, renouvelé par moitié tous les 3 ans. Les sénateurs sont élus au suffrage universel
indirect par un collège électoral lui-même composé d’élus. Dans chaque département et
territoire d’outre-mer, ce collège se compose des députés élus dans le département, des
conseillers généraux, de certains conseillers régionaux, et surtout des délégués des
conseils municipaux. Pb : surreprésentation des départements ruraux (qui profite à la
droite). C’est pourquoi une réforme a été opérée en 2003, consistant à augmenter le
nombre de sénateurs pour les départements sous-représentés. La disproportion n’a
cependant été qu’atténuée, et non supprimée. D’autre part les problèmes de disparité au
sein des départements restent réels.

51 sur 77
B. L’organisation et le fonctionnement des assemblées
C’est une question constitutionnelle au plan matériel, mais non au plan formel puisqu’elle
est réglée par les assemblées elles-mêmes au travers de leurs règlements. Le conseil
constitutionnel est obligatoirement saisi pour tout règlement des assemblées
parlementaires.

1) Les organes du travail parlementaire


Les membres des assemblées étant très nombreux, il faut donc une organisation assez
élaborée pour que le travail parlementaire puisse s’effectuer correctement.
a) Le Président de l’assemblée nationale
Le Président de l’Assemblée nationale est élu pour toute la durée de la législature
(contrairement au président du sénat qui est lui réélu à chaque élection partielle). En
vertu du règlement de l’assemblée, le rôle du président est tout d’abord un rôle
d’organisation et de direction du débat.
La Constitution donne aux Présidents des assemblées des fonctions particulières : ils sont
véritablement des pouvoirs publics constitués :
- Ils ont ainsi le pouvoir de saisir le Conseil constitutionnel
- Celui de soulever l’irrecevabilité d’une proposition de loi ou d’un amendement
- De nommer certains membres du Conseil constitutionnel ou du Conseil supérieur de
la magistrature.
- En outre, ils sont obligatoirement consultés avant certaines décisions telles que la
dissolution de l’assemblée nationale ou le recours à l’article 16.
Dans chaque assemblée, le Président est assisté d’un bureau, organe collégial comprenant
entre 15 et 20 membres.

b) La conférence des présidents


C’est un organe collégial qui comprend : le Président de l’assemblée, les Présidents de
groupes politiques, le Président de la commission des finances de chaque assemblée et les
Présidents des commissions intéressées. Les fonctions de ces organes ont été créées par la
révision constitutionnelle de 2008 :
• Ils arrêtent l’ordre du jour des séances (maitrise partielle)
• Ils peuvent s’opposer à l’utilisation de la procédure du vote accéléré par le
gouvernement.

c) Les commissions
Elles constituent un élément essentiel au sein des assemblées, dans la mesure où elles
jouent un rôle crucial dans le travail législatif. En effet un projet ou proposition de loi ne
peut être discuté devant l’assemblée qu’après avoir été discuté en commission.
Leur rôle est accentué depuis 2008, car la révision a introduit la possibilité d’amender le
texte avant qu’il puisse être discuté. En règle générale, le projet ou proposition de loi est
envoyé devant la commission permanente concernée (on trouve entre autres la commission
des finances, la commission des lois). Le règlement de l’Assemblée nationale prévoit que

52 sur 77
c’est un membre d’un groupe minoritaire de la commission qui préside la commission des
finances. Le gouvernement ou l’Assemblée concernée peut également décider d’envoyer le
projet ou proposition non pas à une commission permanente, mais à une commission
législative spéciale.
Attention : bien distinguer ces commissions législatives des commissions d’enquête (=
contrôle exercé par le parlement sur le gouvernement).

d) Les groupes politiques


On appelle groupe politique des groupes de députés ou de sénateurs qui partagent
globalement les mêmes idées politiques.
Constituer un groupe politique est tout à fait stratégique parce que cela permet d’avoir
certaines prérogatives (temps de parole plus long, droit de participer à des commissions,
rôle financier). Dans le souci d’éviter un trop grand nombre de groupes politiques (facteur
d’instabilité), les resserrements des assemblées fixent un nombre de députés ou sénateurs
pour constituer un groupe politique (15 pour l’Assemblée nationale, 10 pour le Sénat).
Depuis la révision de 2008, les règlements des assemblées permettent à des groupes
politiques d’être officiellement reconnus comme groupe d’opposition ou comme groupe
minoritaire.

2) Le statut des parlementaires


Le statut du parlementaire se traduit par un mandat non-impératif.
Les parlementaires ont également un certain nombre d’incompatibilités, fixées par les
articles LO137 et suivants du code électoral.
• Elles concernent tout d‘abord un certain nombre de mandat : sénateur et député,
député européen, et depuis la loi de 2013 avec tout mandat exécutif local. Le
mandat parlementaire est également incompatible avec celui de membre du
Conseil constitutionnel, et toute fonction publique en activité. Exception : les
universitaires échappent à cette incompatibilité.
• Le mandat parlementaire est également incompatible avec toute fonction
rémunérée par un Etat étranger ou organisation internationale
• Avec la fonction de direction ou de membre du conseil d’administration de
certaines entreprises (cf : les sociétés faisant appel à, les entreprises publiques et
les entreprises de travaux publics)
Quant à leur statut pénal, les parlementaires jouissent d’un statut pénal d’immunité. Tout
d’abord en vertu de l’article 26, les parlementaires sont toujours irresponsables pour leurs
opinions et leurs votes durant leur mandat. Pour les actes étrangers aux fonctions, les
poursuites sont possibles devant les juridictions de droit commun, mais toute arrestation
ou mesure privative de liberté ne peut être prise qu’après autorisation préalable du
bureau de l’assemblée (cf : vient de décider à l’unanimité la levée de l’immunité de P.
Balkani).

3) Le déroulement du travail parlementaire

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a) Les sessions
La session = la période de l’année pendant laquelle le Parlement peut se réunir pour
exercer ses fonctions. On distingue 2 types de sessions :
- La session ordinaire
- Les sessions extraordinaires

• La session ordinaire : en vertu de l’article 28, dans le cadre de la session


ordinaire le 1er jour d’octobre, le Parlement se réunit de plein droit. Cf : « Le
Parlement se réunit de plein-droit en une session ordinaire qui commence le
premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin ».
• La session extraordinaire : si la session ordinaire ne suffit pas à accomplir
l’ensemble du travail parlementaire, on a recours à des sessions extraordinaires.
Toutefois, à la différence de la session ordinaire qui a lieu de plein droit,
l’autorisation doit être au préalable demandée au Premier ministre ou votée par la
majorité des membres de l’Assemblée nationale. La session est close par le
Président de la République au plus tard 12 jours après son ouverture, sachant
qu’une nouvelle session extraordinaire peut tout à fait être demandée par le
Premier ministre.
NB : il s’agit d’un pouvoir du Président de la République qui semble montrer des enjeux
réels, en particulier en période de cohabitation.

b) Les séances
La séance = la réunion de l’ensemble des membres concernés.
Il peut s’agir des membres du gouvernement devant répondre à des questions
parlementaires, ou bien de voter des projets ou propositions de loi et de résolution. En
vertu de l’article 28, il n’y a en principe pas plus de 120 jours de séance au cours de la
session ordinaire, le but étant de laisser aux députés et sénateurs du temps pour se rendre
dans leurs circonscriptions. Attention : ne pas confondre jour de session/jour de séance.

SECTION 3 : les rapports entre les pouvoirs


§1- Le contrôle du gouvernement par le Parlement
La Constitution instaure un régime parlementaire : on y trouve bien le critère essentiel qui
est la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement. Ce qui est
incontestable, c’est que cet élément essentiel se trouve paralysé, du fait d’un facteur
juridique et d’un facteur politique.
--Le facteur juridique = les mécanismes de rationalisation visent à rendre plus difficile la
mise en œuvre de cette responsabilité du Gouvernement pour éviter l’instabilité.
--Le facteur politique = le fait majoritaire.

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C’est pourquoi on assiste à une tendance qui cherche à rénover la fonction de contrôle que
le Parlement est censé exercer sur le Gouvernement, et ce en lui trouvant de nouvelles
modalités d’action.

A. La responsabilité politique du gouvernement


Il ne fait aucun doute que la Constitution instaure un régime parlementaire (cf : article 20
« le Gouvernement est responsable devant le Parlement … »). On peut toutefois observer
que si cet article 20 vise le Parlement de manière générale, ce n’est en réalité que
l’Assemblée nationale qui jouit du pouvoir d’engager la responsabilité politique du
gouvernement. En effet, les mécanismes permettant d’engager la responsabilité politique
du gouvernement (article 49) ne visent que l’Assemblée nationale. De plus, l’article 50
prévoit que le gouvernement est tenu de remettre sa démission en cas de motion de
censure votée ou de refus de confiance par l’Assemblée nationale. Cependant on voit que
l’article 49 alinéa 4 prévoit la faculté du Premier ministre de demander au Sénat
l’approbation d’une déclaration de politique générale, mais sans indiquer que la
désapprobation obligerait le gouvernement à démissionner. Dans l’absolu, on peut
toutefois s’interroger sur les conséquences politiques d’un tel désaveu. En réalité, cette
disposition n’a pas de véritable intérêt du fait moins forte légitimité démocratique du
Sénat, et de ses très faibles chance d’être appliquée (le Gouvernement ne poserait la
question que s’il était sur du résultat).
Les 3 premiers alinéas de l’article 49 sont censés permettre à l’Assemblée nationale de
mettre en jeu la responsabilité gouvernementale :
• Article 49 alinéa 1 : il prévoit la mise en œuvre de la responsabilité du
Gouvernement sur une déclaration de politique générale. Après délibération en
Conseil des ministres, le Premier ministre peut décider d’engager la responsabilité
politique du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur son programme ou une
déclaration de politique générale (= question de confiance). Cet article présente
l’intérêt pour le Gouvernement de mobiliser la majorité parlementaire, et de la
conduire à affirmer officiellement son soutien au gouvernement. Mais il ne présente
pas de risques réels pour le gouvernement : cette procédure n’est engagée qu’en
cas de conjoncture favorable.
• Article 49 alinéa 2 : la motion de censure. Ce sont les députés qui ont l’initiative
de la mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement. Toutefois dans
une perspective de rationalisation du régime, la Constitution pose des conditions
qui rendent difficile l’utilisation de cette motion de censure :
o Tout d’abord, la motion doit pour être recueillie, retenir la signature de plus
d’1/10e des membres de l’Assemblée nationale (= 58 signatures, ce qui
exclut de facto les petits groupes politiques). Un même député ne peut
signer que 3 motions au cours de la session ordinaire, et une seule au cours
de la session extraordinaire.
o Deuxièmement, il faut encore un délai de 48h entre le dépôt de la motion et
son vote par l’Assemblée nationale. Ce délai permet d’une part de « calmer
les ardeurs », et laisse au gouvernement le temps de faire jouer ses réseaux,
de raisonner sa majorité et de rallier des députés à sa cause.
o Troisièmement, la motion doit recueillir la majorité des membres (et non
suffrages) pour pouvoir être adoptée.
o Quatrièmement, seuls sont décomptés les votes favorables à la motion de
censure. Grande portée psychologique de cette mesure : les
abstentionnistes sont réputés avoir voté contre la censure. Quelle

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efficacité ? depuis 1958, une seule motion de censure a été votée (Cf : en
1962, renversement du gouvernement Pompidou). Ici c’est surtout le fait
majoritaire qui prive l’Assemblée nationale de ce pouvoir. Ce n’est pas
parce qu’un mécanisme est paralysé qu’il ne joue pas un rôle, et est
totalement inutile.
Depuis 1958, plus d’une centaine de motions de censure ont été présentées, et
bien qu’elles n’aboutissent pas, elles demeurent un moyen pour l’opposition de
susciter un débat et de médiatiser les reproches faits au gouvernement.

• Article 49 alinéa 3 : la question de confiance sur le vote d’un texte. Il s’agit d’une
question de confiance, mais qui cette fois présente une double particularité : elle
porte sur un texte, et elle combine les mécanismes de question de confiance et de
motion de censure. Selon cette procédure très particulière, le texte est considéré
comme adopté par l’Assemblée nationale, sauf si une motion de censure est
déposée puis votée dans les conditions de l’article 49 alinéa 2. Si une telle motion
de censure est votée : alors d’une part le texte est rejeté, d’autre part et surtout,
le gouvernement est forcé de démissionner.

Quelles appréciations porter sur cette disposition ? La question de confiance sur le


vote d’un texte ne parait pas très dangereuse pour le Gouvernement en tant que la
motion de censure est paralysée par le fait majoritaire. Ce mécanisme réduit
également de façon considérable la fonction du Parlement : le texte est adopté
sans avoir été voté, ni même discuté. Le Parlement semble alors confiné au rôle
réducteur de simple chambre d’enregistrement des lois du gouvernement. La
plupart du temps toutefois, les députés mécontents seront assez nombreux pour
déposer une motion, et la discussion aura donc lieu. Les 15 dernières années, on a
assisté à des frondes de plus en plus fréquentes des majorités parlementaires face
au gouvernement, et donc à une recrudescence de l’utilisation de ce mécanisme.

La révision constitutionnelle de 2008 a donc opté pour un encadrement plus rigide


de ce mécanisme : il ne peut être utilisé que pour les lois de finances, de
financement de la Sécu, ainsi que pour un projet ou proposition de loi par session.

B. Les autres modalités de contrôle parlementaire du gouvernement


Si la responsabilité politique du gouvernement est depuis longtemps l’élément essentiel de
contrôle du gouvernement, d’autres moyens existent. Ces autres formes de contrôle visent
principalement à informer les citoyens.

1) Les questions aux membres du gouvernement


L’un des moyens les plus classiques consiste dans la question qu’un député ou sénateur
peut poser à un ministre ou au Premier ministre. Ces questions sont soit écrites, soit
orales.
Les questions écrites : elles font l’objet d’une publication au JO et le ministre intéressé
doit y répondre dans un délai d’un mois. En général, les questions écrites concernent
uniquement des points très techniques (cf : questions de finance).

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Les questions orales : elles se différencient en ce que les membres du Gouvernement
interrogés sont amenés à donner oralement leur réponse au cours d’une séance publique
de l’assemblée concernée. Les questions orales représentent environ 4 séances d’une
heure par semaine. Depuis la révision de 2008, il est prévu qu’une séance par semaine au
moins doit être réservée aux questions parlementaires. Les questions orales sont quant à
elles dévolues à des sujets beaucoup plus médiatiques, et ont plus de résonnance.

2) Les commissions d’enquête


Les commissions d’enquête ne doivent surtout pas être confondues avec les commissions
qui interviennent dans le travail législatif du Parlement. Elles sont créées temporairement
par les chambres pour recueillir des informations soit sur des faits déterminés soit sur la
gestion des services publics ou des entreprises nationales.
Elles disposent de pouvoirs non négligeables (investigations sur pièce et sur place),
néanmoins elles ne connaissent pas de procédures juridictionnalisées (cf : USA). Prévues à
l’article 51-2 (« Pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au
premier alinéa de l’article 24, des commissions d’enquête peuvent être crées au sein de
chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments
d’information »). En outre, l’article 51-1 de la Constitution a permis au règlement des
assemblées de reconnaitre des droits spécifiques aux groupes parlementaires issus de
partis minoritaires ou d’opposition. Chaque groupe politique minoritaire ou d’opposition a
le droit d’obtenir la formation d’une commission d’enquête au moins une fois par an. En
outre, la fonction de rapporteur doit être confiée à l’un de ces parlementaires. Cf : idée =
valorisation du rôle de l’opposition (plus seulement blocage, mais également contre-
pouvoir de fait).
A côté de ces commissions d’enquêtes on trouve également des missions d’informations,
moins formelles et agressives que les précédentes.

3) Les résolutions
La résolution = un texte adopté par un vote de l’assemblée, mais en dehors de la
procédure législative, et donc ne constituant pas une loi. Il s’agit d’une sorte de
déclaration, mais sans force juridique contraignante.
Ces résolutions sont très fréquentes, et nécessaires pour toute une série de décisions qui
intéressent le fonctionnement de l’Assemblée. Par une résolution est adopté le règlement
de l’assemblée, ou encore le résultat d’une commission. Les parlementaires peuvent
également adopter une résolution pour adopter un point de vue d’ordre politique. De
telles résolutions étaient très fréquentes sous la IIIe et la IVe République. Toutefois elles
posent problème dans le cadre d’un régime parlementaire. En effet devant la faible
probabilité qu’une motion de censure aboutisse, les parlementaires pourraient être tentés
d’adopter une résolution qui désavouerait publiquement le gouvernement (cf : vote calibré
sous la Ive République). C’est la raison pour laquelle bien que la Constitution soit muette à
ce sujet, le Conseil constitutionnel, lorsqu’il a été amené à statuer sur les 1ers règlements
de l’Assemblée nationale et du Sénat, a censuré ceux qui prévoyaient de telles dispositions
(cf : DC du 17 juillet 1959) au motif que ces mesures s’apparentaient à des
contournements des dispositions prévues aux articles 49 et 50.
Toutefois on a assisté à une renaissance de ces dispositions, en 2 étapes :

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• La 1ère a concerné le droit de l’union européenne : avec la révision du 25 janvier
1992 en raison de l’adoption du traité de Maastricht, qui prévoit un article 88-4
disposant que les assemblées peuvent adopter des résolutions sur les projets de
règlements et de directives de l’union européenne. C’était une manière de
compenser l’effet de dépossession des parlementaires de leurs prérogatives
résultant de l’intégration à l’UE. En effet de nombreuses lois adoptées par le
Parlement sont soit très rigoureusement encadrées par le droit de l’Union, soit
issues de la transposition de directives dont les objectifs s’imposent à lui. Si le
Gouvernement participe à l’élaboration de directives dans la mesure où le Conseil
de l’UE est composé de membres des gouvernements nationaux. Tel n’est pas le cas
du Parlement, puisque le Parlement européen n’est nullement une émanation des
assemblées nationales. Loin d’être contraire au droit de l’UE, cette faculté a été
renforcée a posteriori par le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009. Ce traité
a donné aux Parlements nationaux la possibilité d’exprimer leur opposition sur des
projets de directives ou de règlement, et la possibilité de saisir la cour de justice
de l’UE (CJUE) lorsque le principe de subsidiarité leur semble bafoué. Pour
manifester leur opposition, les parlements passent par des résolutions (cf : révision
de 2008 prévoit cette possibilité à l’article 88-6 C).
• La seconde a consisté en un élargissement du champ des résolutions : en effet,
les membres du comité Balladur ont estimé opportun d’étendre à d’autres
domaines ce pouvoir de prendre des résolutions, afin de réaffirmer le Parlement
face au pouvoir exécutif. Mais la réforme engagée reste très précautionneuse :
l’article 34-1 prévoit la possibilité de résolutions et prévoit que le gouvernement
peut s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour d’un projet susceptible soit de
nature à engager sa responsabilité, soit comportant des injonctions à son égard. («
Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions prévues par la loi
organique. Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les
propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur
rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu’elles contiennent
des injonctions à son égard »)
Pb : pas de grande portée politique (sauf les résolutions de l’Assemblée nationale et du
Sénat en 2014 reconnaissant l’Etat de Palestine).

4) La mission d’évaluation des politiques publiques du Parlement


Au cours de la dernière décennie, on a également assisté à un renforcement du rôle
d’évaluation des politiques publiques. Ce rôle trouve son origine dans le contrôle des lois
de finances.
Depuis l’adoption de la LOPLF de 2001 (loi organique relative aux projets de loi de
finance), les projets de loi de finance doivent s‘accompagner de programmes annuels de
performances dans lesquels le gouvernement prend des engagements sur les objectifs à
atteindre dans l’utilisation des crédits votés par le Parlement. Dans les projets de lois de
règlement, les lois de règlement sont des lois de finances qui consacrent l’exécution de la
loi de finance initiale. Il y a des rapports annuels de performances et le gouvernement doit
faire le bilan de la manière dont il a atteint ou non les objectifs fixés. Evaluation sous un
angle financier.
Depuis la révision de 2008, l’article 24 C insiste de manière plus générale sur la mission
d’évaluation des politiques publiques du Parlement. Pour l’aider dans son rôle, la révision
a également prévu que le Parlement peut se faire assister de la Cour des comptes. Enfin,
la révision de 2008 a également modifié l’article 48 pour prévoir qu’une semaine de

58 sur 77
séance sur 4 soit prioritairement consacrée au contrôle du Parlement et à l’évaluation des
politiques publiques.
Q° : Qu’en penser ? Amène à être prudent : souvent peu scientifique, prise à des
instrumentalisations politiques, enfin il n’est pas certain que le Parlement soit l’organe le
mieux placé pour mener ces évaluations.

CHAPITRE 3 : LES COMPETENCES NORMATIVES


Les compétences normatives = comment le droit est-il créé dans ce régime de la Ve
République ?
Plus précisément, comment les pouvoirs publics constitués exercent-ils leurs compétences
pour donner naissance à des normes juridiques initiales, qui seront elles-mêmes précisées
par la suite par d’autres normes, etc… ? cf : On a affaire à un processus de concrétisation
du droit.

SECTION 1 : Le pouvoir règlementaire


§1- L’avènement d’un pouvoir règlementaire autonome
A. La délimitation des domaines législatifs et règlementaires
Après la Révolution, on a longtemps vécu avec l’idée que le pouvoir de poser des normes
générales et impersonnelles en tant qu’il s’agit d’une expression de la souveraineté devait
être réservé au législateur. Ainsi le pouvoir exécutif (comme son nom l’indique) devrait
être borné à l’exécution des lois. Pourtant la reconnaissance d’un certain pouvoir
règlementaire autonome s’est imposée comme une nécessité pratique. Cf : IIIe
République, le Conseil d’Etat reconnait au pouvoir exécutif le pouvoir de prendre des
décisions règlementaires à titre initial (arrêt Heryès de 1918). Ces règlements autonomes
vont particulièrement se développer dans 2 domaines :
- le Conseil d’Etat va reconnaitre au Président de la République le pouvoir de
prendre les mesures indispensables au fonctionnement interne des services publics
(cf : arrêt Badin du 4 mai 1906, confirmé par arrêt Javart). Le pouvoir autonome =
protéger l’ordre public à l’échelle nationale, exercer la police administrative (arrêt
Labonne 8 aout 1919).
- On a vu également que sous la IIIe et Ive République s’est développée la pratique
des décrets-lois. Cette pratique est reprise et constitutionnalisée en 1958 sous le
terme d’ordonnance (article 38).

Surtout, la Constitution de 1958 comporte une innovation majeure, en ce que pour la 1ère
fois elle opère une délimitation entre d’une part un certain nombre de matières réservées
au législateur, et d’autre part les autres matières dans lesquelles peut intervenir à titre
initial le pouvoir règlementaire. (Cf : loi du 17 aout 1948). Elle découle des articles 34 et
37 :
• L’article 34 énumère les matières réservées au législateur. En réalité, on retrouve 2
listes : celles où le législateur fixe les principes et celles où il fixe les règles. Mais
dans les faits pas de grande différence.

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• Les matières autres que celles du domaine de la loi ont un caractère règlementaire.
Dans toutes les matières qui ne sont pas énumérées à l’article 34, le pouvoir
règlementaire peut intervenir à titre initial (décrets signés en principe par le
Premier ministre).

On a donc ici l’impression d’assister à un réel changement de perspectives : de


l’articulation des articles 34 et 37 il semble de prime abord découler que la loi serait
désormais cantonnée à certaines matières, tandis que toutes les autres seraient donc de la
compétence exclusive du pouvoir réglementaire. En 1ère analyse on peut donc se demander
s’il n’y a pas là une violation du principe de démocratie représentative, en laissant libre
cours au pouvoir règlementaire. En réalité, il faut amender cette 1ère impression au regard
de la manière dont se règlent les conflits de compétences.

B. Le règlement des conflits de compétences


La répartition des compétences opérée par les articles 34 et 37 doit être relativisée dans
la mesure où les conflits de compétence se règlent selon d’où provient l’empiètement sur
la compétence de l’autre. Il s’agit d’un règlement asymétrique.
• Si le règlement empiète sur le domaine de l’article 34 : le conflit de compétence
se règle de façon aussi simple que radicale. Un tel décret est inconstitutionnel. Plus
précisément, cette inconstitutionnalité est censurée par le Conseil constitutionnel.
Cette annulation du décret entrainera avec elle celle de tous les décrets
d’application.
• Si le législateur empiète sur le domaine du règlement : La réciproque n’est pas
vraie. Cf : DC du 30 juillet 1982 « Blocage des prix », le Conseil constitutionnel a
jugé qu’une loi intervenant en dehors des matières de l’article 34 n’est pas
inconstitutionnelle de ce seul fait. Il en découle que si le pouvoir règlementaire ne
peut pas empiéter sur le domaine législatif, le pouvoir législatif peut très bien
quant à lui empiéter sur son domaine. Toutefois, si le Conseil constitutionnel a jugé
ainsi, c’est au motif que le pouvoir exécutif dispose s’il le souhaite des moyens
d’empêcher de tels empiètements :
o En effet, à titre préventif, le gouvernement peut empêcher l’adoption d’une
proposition de loi ou d’un amendement dans une matière autre que celle de
l’article 34 en opposant l’exception d’irrecevabilité.
o A titre curatif, le gouvernement peut également demander la délégalisation
d’un texte législatif déjà intervenu en dehors des matières de l’article 34.
Cette procédure varie selon que la disposition concernée a été adoptée
avant ou après l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958 : si le texte
est antérieur à la Constitution de 1958 le gouvernement doit simplement,
avant de procéder à modification, demander l’avis du Conseil d’Etat sur la
nature règlementaire ou législative de la disposition concernée. Il s’agit
d’un avis simple, mais dans les faits sa portée est assez sérieuse et lourde
de conséquences. // Si le texte est postérieur à la Constitution, alors le
Conseil constitutionnel doit être saisi en vue de délégaliser le texte. Le
gouvernement a donc les moyens de se protéger contre les empiétements du
législateur.

60 sur 77
C. L’extension provisoire du pouvoir règlementaire autonome
Il faut enfin avoir à l’esprit que dans certaines situations, le pouvoir règlementaire peut
être amené à prendre des mesures de façon temporaire dans les matières de l’article 34.
• C’est notamment le cas des ordonnances de l’article 38. Elles sont la
constitutionnalisation des décrets-lois développés sous la IIIe et IV République. Tout
d’abord une loi d’habilitation est nécessaire, qui fixe les matières concernées et
indique 2 délais : celui dans lequel les ordonnances pourront être prises, et celui
dans lequel un projet de loi de ratification devra être proposé. 2 issues possibles :
soit le projet est adopté, auquel cas les ordonnances deviennent de véritables lois,
soit le projet est refusé et la mesure sera abrogée de l’ordre juridique. La
ratification doit être expresse. Il existe donc une possibilité pour le pouvoir
règlementaire d’intervenir dans le domaine de l’article 34.
• En 2d lieu, on peut être tenté de citer le cas particulier des décisions prises par le
Président de la République dans le cadre de l’article 16. En effet, le Président de la
République peut dans cette hypothèse prendre toutes les mesures nécessaires, y
compris dans les matières réservées du législateur. Toutefois, de telles mesures ne
sont pas vraiment des expressions du pouvoir règlementaire : en effet, dans un
arrêt Rubin de Servens du 2 mars 1962, le Conseil d’Etat a jugé que les mesures
prises par le Président de la République dans le cadre de l’article 16, lorsqu’elles
interviennent dans le domaine de l’article 34, ont une véritable valeur législative.
C’est d’ailleurs le seul cas où le Conseil d’Etat a raisonné à partir de la matière
concernée, faisant un écart à la jurisprudence déjà créée « Compagnie des chemins
de fer » dans laquelle il affirmait que la valeur d’une norme ne dépendait pas de la
matière concernée mais bien de l’autorité concernée.

§2-
….. (cours de Mora)

A. Le droit de dissolution
NB : lorsque le PR exerce les pouvoirs de crise (prévus à l’article 16), la dissolution n’est
pas possible.
Q° : Quelle est la portée effective de ce droit de dissolution sous la Ve ?
= fin de la paralysie rencontrée sous les Républiques précédentes. Toutefois on distingue
différentes formes de dissolution, qui varient selon les objectifs politiques visés :
• La dissolution sanction = mesure de rétorsion prise par le Président de la
République vis-à-vis de l’Assemblée nationale. C’est indéniablement à cette
conception de la dissolution qu’ont été réalisées les 2 premières (1967 et 1969).
Mais un tel usage est aujourd’hui tombé en désuétude, avec le fait majoritaire : la
dissolution-sanction n’a en l’état actuel des choses plus de réel intérêt.

• Cf : Mitterrand (1981 et 1988), au début de chaque septennat, pour compenser la


désynchronisation entre l’élection présidentielle et l’élection législative. Il
s’agissait ici de permettre au Président de la République de mettre la majorité
législative en cohérence avec la nouvelle majorité présidentielle. Le droit de
dissolution pourrait ainsi permettre au Président de la République de sortir d’une

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situation de cohabitation s’il sent que l’opinion publique lui est favorable. Mais
jamais un tel usage n’a encore jamais pu se produire jusqu’à aujourd’hui

• La dissolution peut également être utilisée pour mettre fin au mandat d’une
Assemblée nationale pourtant du même bord politique, afin de donner à cette
majorité un nouvel élan ou de la renforcer. Cf : J. Chirac sur les conseils de Juppé.

B. Le droit de message aux assemblées


Jusqu’en 2008, cet article 18 ne prévoyait que la possibilité pour le Président de la
République de faire lire devant les assemblées des messages qui ne doivent donner lieu à
aucun débat. On voit ici 2 traits particuliers :
- L’interdiction d’être physiquement présent d’une part
- L’interdiction de débattre suite à son message d’autre part.
Cf : A. Thiers = l’empêcher d’étendre son influence sur l’assemblée. // crainte d’un
déséquilibre en raison de la grande légitimité du Président de la République découlant de
son élection au suffrage universel). Ce dispositif est un pouvoir assez symbolique, il ne
présente pas d’utilité réelle.
La réforme de 2008 : elle prévoit la possibilité pour le Président de la République de
prendre la parole directement devant le Parlement réuni en Congrès, prise de parole qui
peut être suivie d’un débat mais non d’un vote. (Pas de vote CAR le vote constitue un
risque de mise en minorité du Président. De plus un tel vote d’aurait pas de sens dès lors
que le Président de la République est irresponsable). Cette réforme a suscité de vives
protestations invoquant l’idée d’une instrumentalisation de l’assemblée parlementaire.

§3- Le pouvoir règlementaire d’application des lois


Bien évidemment, parallèlement à son pouvoir réglementaire autonome, continue à exister
un pouvoir règlementaire d’application des lois (= classique). Ce pouvoir trouve son
fondement dans l’article 21 C selon lequel le Premier ministre est compétent en principe
pour exercer le pouvoir règlementaire et assurer l’exécution des lois (cf : « Le Premier
ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il
assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le
pouvoir règlementaire et nomme aux emplois civils et militaires »). Il faut savoir
cependant qu’il existe différents types de décrets d’application :
- Ceux délibérés en Conseil des ministres, doivent être signés par le Président de la
République (modifiable uniquement par un décret pris en Conseil des ministres)
- Tous les autres sont signés par le Premier ministre
Il existe également une seconde distinction : les lois exigent parfois l’intervention de
décrets pris en Conseil d’Etat. Cela signifie que les lois doivent obligatoirement être
soumises pour avis au Conseil d’Etat. L’avis rendu est simple, il ne lie pas le
gouvernement. En pratique ces avis sont toutefois très souvent suivis, car il est très
probable que si un problème de légalité ou de constitutionnalité est soulevé, les

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formations juridictionnelles suivent cet avis en cas de recours en excès de pouvoir. De
même, un décret pris en Conseil d’Etat ne peut être modifié que par un décret lui-même
pris en Conseil d’Etat.
Le Conseil constitutionnel a rapidement admis que la loi pouvait confier le soin d’adopter
des règlements d’application à des autorités autres que le Premier ministre. Il peut
d’abord s’agir de ministres. Dans ce cas, ils ne prendront pas de décret mais des arrêtés
ministériels. Il peut également s’agir de CTL (cf : article 72 prévoit expressément que les
CTL sont dotées d’un pouvoir règlementaire pour l’exercice de leurs compétences). Le
Conseil constitutionnel a même admis qu’un certain pouvoir règlementaire d’application
des lois pouvait être confié à des autorités administratives indépendantes (AAI),
caractérisées par une indépendance vis-à-vis du gouvernement. DC du 17 janvier 1989, le
Conseil constitutionnel a estimé qu’une AAI pouvait être dotée d’un pouvoir règlementaire
dès lors qu’il s’agit « de mesures de portée limitée, tant par leur champ d’application que
par leur contenu, et à condition que de telles mesures ne s’imposent pas au Premier
ministre ».
Q° : La répartition des compétences concerne-t-elle aussi le pouvoir règlementaire
d’application des lois ? Une loi peut-elle, sans violer la Constitution, prévoir que certains
points seront fixés par de règlements d’application alors qu’ils concernent une matière
relevant de l’article 34 ? Le Conseil constitutionnel a jugé qu’une loi qui ferait cela serait
inconstitutionnelle pour incompétence négative (= fait pour une autorité de ne pas
exercer sa compétence jusqu’au bout) par une DC du 2 décembre 1967.

SECTION 2 : Le pouvoir législatif


§1- L’élaboration de la loi dans le cadre parlementaire
On envisage ici la procédure législative ordinaire, qui concerne l’élaboration des lois
simples. Il existe également des procédures spéciales (révision constitutionnelle, lois de
finance et de financement de la Sécu, les lois organiques).
Pb : le phénomène de l’inflation législative. Souvent dénoncé. Tout d’abord, une certaine
inflation législative est aujourd’hui inévitable puisqu’elle résulte en partie de la traduction
d’autres phénomène (importance croissante du droit européen / complexification des
problèmes économiques et sociaux qui demandent une régularisation de plus en plus fine
et précise). Toutefois une autre raison (bien moins légitime) : de nombreuses dispositions
sont adoptées pour des raisons d’affichage médiatique. On parle de plus en plus de
détérioration de la qualité des textes de loi (peu normatifs, complexes, trop nombreux),
cf : « bavardage législatif ».
Certains efforts ont été réalisés : délégalisations plus fréquentes, contrôle plus exigent du
Conseil constitutionnel qui peut censurer certains textes (soit parce qu’ils sont dénués de
tout caractère normatif, soit parce qu’ils sont contraires aux objectifs de clarté et
d’accessibilité de la loi).

A. L’initiative

1) Projets et propositions de lois

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Selon l’article 39 C, l’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre
(projet de loi) et aux membres du Parlement (proposition de loi).
a) Les projets de loi

= Selon l’alinéa 2 de l’article 39, les projets de loi sont préparés par le
Gouvernement, et soumis pour avis au Conseil d’Etat qui rend un avis simple, et ne
sont en principe pas publiés (uniquement à la demande du Gouvernement). Une
délibération en Conseil des ministres s’ensuit, après quoi le projet de loi est signé
par le Premier ministre et contresigné par les ministres compétents. Il est enfin
déposé devant le Parlement, devant la chambre de son choix en principe. //
Exception : les projets de loi de finance et de loi de financement de la sécurité
sociale doivent toujours être déposés d’abord devant l’assemblée nationale. Les
projets de loi ayant pour objet l’organisation des CTL doivent toujours être déposés
devant le Sénat.

=Depuis la révision constitutionnelle de 2008, il est prévu (article 39 alinéa 3)


qu’une loi organique doit déterminer les conditions dans lesquelles le projet de loi
doit être déposé devant l’assemblée. Celle aujourd’hui en vigueur est celle adoptée
le 15 avril 2009. Son innovation principale est que tout projet de loi doit être
accompagné d’une étude d’impact (= visent à évaluer les conséquences de
l’adoption du projet de loi dans un certain nombre de domaine, notamment social,
économique et financier, ainsi que l’impact sur l’ordre juridique = montrer quelles
sont les mesures d’application qui devront être adoptées et les normes qui devront
être abrogées). Cette étude d’impact doit accompagner le projet de loi déposé,
mais dans un délai de 8 jours, la conférence des présidents peut décider qu’elle est
insuffisante et refuser à ce titre de l’inscrire à l’ordre du jour. C’est le Conseil
constitutionnel qui pourra être saisi pour trancher dans un délai de 8 jours, en cas
de différends entre les Présidents et les ministres.

= le cas particulier des lois de finance et de financement de la sécurité sociale / les


lois d’habilitation et de ratification dans le cadre de l’ordonnance de l’article 38.

b) Les propositions de loi


= tout sénateur ou député peut déposer une proposition de loi. Toutefois en
pratique, les propositions de loi aboutissent beaucoup plus rarement que les projets
de loi : en effet alors que ces dernières sont beaucoup plus nombreuses, elles ne
représentent au final que 15% des lois adoptées. Pourquoi une telle prééminence
des projets de loi ?

Les propositions de loi rencontrent 3 limites que ne connaissent pas les projets de
loi :
o Limite d’ordre pratique :

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= très souvent les projets de loi sont de bien meilleure qualité que les
propositions de loi. Ils sont en effet rédigés par des hauts-fonctionnaires très
compétents (conseillers d’Etat, administrateurs civils, …). Les
parlementaires ne disposent que de leurs assistants, et ne peuvent pas
fournir l’équivalent des travaux ministériels. Cf : un des axes de la révision
de 2008 = donner davantage d’influence au Parlement. Dès lors les
parlementaires peuvent également saisir pour avis le Conseil d’Etat.
o Limites d’ordre procédural :
= le Gouvernement a le pouvoir de s’opposer à l’adoption d’une proposition
de loi, en soulevant une irrecevabilité de cette proposition. 2 types
d’irrecevabilités :
• L’article 41 : le Gouvernement peut s’opposer à l’adoption
d’une proposition de loi qui empiète sur le domaine
règlementaire. La conférence des Présidents a le pouvoir de
s’opposer à cette irrecevabilité. Dans ce cas, c’est au Conseil
constitutionnel qu’il reviendra de trancher (cf : « S’il
apparait au cours de la procédure législative qu’une
proposition ou un amendement n’est pas du domaine de la loi
ou est contraire à une délégation accordée en vertu de
l’article 38, le Gouvernement ou le président de l’assemblée
saisie peut opposer l’irrecevabilité »).
• L’article 40 : cette disposition permet au gouvernement de
s’opposer à l’adoption d’une proposition de loi qui aurait pour
conséquence soit une diminution des ressources publiques,
soit l’aggravation d’une charge publique. L’arbitrage du
Conseil constitutionnel n’est pas prévu, mais si la loi est
adoptée malgré cette irrecevabilité soulevée, l’irrecevabilité
pourra à nouveau être invoquée par la saisine du Conseil
constitutionnel avant sa promulgation (cf : « Les propositions
et amendements formulés par les membres du Parlement ne
sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour
conséquence soit une diminution des ressources publiques,
soit la création ou l’aggravation d’une charge publique »).

= Il s’agit potentiellement d’une très forte limite : toutes les propositions


de loi ont en effet de façon plus ou moins directe une incidence financière.
Toutefois, le Conseil constitutionnel adopte une lecture très souple de cette
disposition. La proposition de loi n’est pas jugée irrecevable si la diminution
de ressources publique qu’elle implique se trouve compensée par
l’augmentation d’autres ressources. Toutefois ce n’est pas le cas de
propositions qui tendent à l’aggravation d’une charge publique.

o L’ordre du jour parlementaire : jusqu’en 2008, l’article 48 prévoyait que


l’ordre du jour parlementaire devait comporter en priorité les projets de loi
et propositions adoptées par le gouvernement. Suite à la révision de 2008,
l’article 48 prévoit désormais que la priorité du gouvernement ne joue que 2
semaines sur 4. Dès lors, si l’on compte la semaine réservée au contrôle du
gouvernement, il ne reste qu’une semaine sur 4 où l’ordre du jour est fixé
par la conférence des Présidents. En outre, il est prévu qu’une journée de

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séance par mois au minimum doit être réservée aux groupes parlementaires
de l’opposition (nouvelle conception de l’équilibre parlementaire = repose
sur l’opposition partisane). En pratique il faut relativiser ces innovations :
depuis 2008, l’expérience montre que le Gouvernement exerce par
l’intermédiaire du ministre chargé des relations avec le Parlement une
certaine pression sur la majorité pour que ses projets de loi soient inscrits
en priorité même dans le cadre de la semaine où l’ordre du jour est fixé par
la conférence des Présidents. Cela explique qu’en pratique cette révision de
2008 n’a pas permis d’augmenter réellement le nombre de propositions de
lois adoptées.

2) Le droit d’amendement
Amendement = proposition de modification d’un projet ou proposition de loi.
Le droit d’amendement appartient tant aux parlementaires qu’aux membres du
Gouvernement, selon l’article 44 (cf « Les membres du Parlement et du Gouvernement
ont le droit d’amendement. Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les
conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi
organique »). Ce droit d’amendement connait les mêmes restrictions financières que les
propositions : les irrecevabilités des articles 40 et 41 peuvent leur être opposées. De plus
la jurisprudence constitutionnelle a introduit un autre type d’amendements.
Cf : décision du 23 janvier 1987 = le Conseil constitutionnel a jugé que les amendements
ne doivent pas être sans lien avec le texte en discussion, ni dépasser par leur portée les
limites inhérentes à l’exercice du droit d’amendement. Cette jurisprudence permet de
censurer les « cavaliers législatif » (= amendement introduit dans une loi sans rapport
avec elle, visant à faire adopter des mesures sans lien). La révision de 2008 a apporté un
assouplissement à cette jurisprudence constitutionnelle : tout amendement est recevable
en 1ère lecture, dès lors qu’il présente un lien même indirect avec le texte en discussion.

B. L’examen du texte en commission


Le rôle des commissions = examiner le texte avant la séance plénière lorsque le texte
vient en 1ère lecture devant chaque assemblée.
Le texte fait donc l’objet systématique d’un examen par une commission : l’un des
membres est chargé d’élaborer un rapport, suite à quoi des amendements sont proposés
par les membres de la commission, qui les adopte ou les rejette. Ce travail de commission
est extrêmement important : le texte commence à être modifié avant même d’être
discuté. La révision de 2008 a accru considérablement l’importance du travail en
commission.
Depuis 2008, des délais minimum sont prévus pour permettre aux commissions de
travailler. Article 42, la discussion en séance ne peut commencer qu’à l’expiration d’un
délai de 6 semaines après le dépôt, ce qui laisse un temps suffisant. Pour la 2e assemblée,
ce délai est de 4 semaines à compter de la transmission. Exception : les lois de finance et
de financement de la sécurité sociale échappent à ces délais.
Depuis 2008, l’article 42 prévoit que devant la 1ère assemblée saisie, la discussion des
projets de loi en séance doit s’engager non pas sur le texte tel qu’il été rédigé par le
gouvernement, mais sur le texte tel qu’il a été examiné et amendé par la commission.
C’est un élément tout à fait nouveau. Là encore, le Conseil constitutionnel veille au

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respect de cette disposition. Cf : décision du 25 octobre 2012 par laquelle le Conseil
constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle (parce qu’adoptée au cours d’une procédure
irrégulière) une loi, au motif que l’examen du texte avait débuté sur le texte initial
proposé par le Gouvernement et non par celui proposé par la commission. Pourquoi ? Il
s’agit d’améliorer le travail législatif. Néanmoins, il faut prendre conscience de l’effet
important de cette innovation : si le gouvernement ne veut pas des amendements adoptés
en commission, le seul moyen pour lui de s’y opposer est de proposer de nouveaux
amendements qui devront être adoptés en séance, et ce alors même qu’il dispose d’une
majorité. Le gouvernement a donc intérêt à se tenir au courant de ce qui se passe en
commission (cf : circulaire 2009 qui rappelle aux ministres l’importance de la possibilité
qui leur est ouverte d’assister aux travaux des commissions). Décision du 15 avril 2009, le
Conseil constitutionnel a jugé que les ministres peuvent assister au travail des
parlementaires.

C. L’examen et le vote du texte en séance


Une fois que le texte est passé en commission, commence le travail en séance. Là encore,
ce que la plupart des citoyens ignore est que la séance se divise elle-même en 2 :
discussion générale, puis discussion et vote article par article. Attention : le gouvernement
a la possibilité de faire usage de l’article 49 al 3.

1) La discussion générale
Il est essentiel de retenir que dans cette 1ère phase, tous les membres de l’assemblée ne
participent pas. Seuls participent à la décision générale les représentants du
gouvernement, le rapporteur de la commission, les représentants désignés par les groupes
politiques, ainsi que les sénateurs et députés inscrits à cette discussion générale. En effet,
il ne s’agit pas de voter le texte, mais simplement d’organiser un débat sur son contenu.
Cette discussion a son importance : ceux qui y participent peuvent demander le vote de ce
que l’on appelle une motion de procédure (= entraine le rejet du texte, tout du moins
permet de retarder son adoption). 3 motions de procédure existent :
- L’exception d’irrecevabilité (= rejet du texte pour contradiction apparente du texte
vis-à-vis de la Constitution)
- La question préalable (= rejet pour un motif d’opportunité)
- Le renvoi en commission (= les membres présents estiment que le texte n’est pas
encore en état d’être discuté et voté)
En pratique, ces motions de procédure sont quasi systématiques mais elles ne sont que très
rarement adoptées. L’opposition tient toutefois ici un moyen d’action contre le
gouvernement lorsqu’elle le prend par surprise (cf : se réunir massivement pour être
majoritaire et provoquer le rejet d’un texte).

2) L’examen du texte et son vote en séance plénière


En principe, le texte est examiné article par article. Les parlementaires et les membres du
Gouvernement peuvent proposer de nouveaux amendements. C’est là l’occasion pour les
parlementaires d’essayer de contrer des amendements déjà adoptés en commission.
Le vote du texte :

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En principe, il a lieu article par article et amendement par amendement. Cependant le
gouvernement a la faculté de s’opposer à tout amendement qui n’aurait pas été soumis à
la commission. En pratique il utilise toutefois rarement ce pouvoir. Il dispose en effet d’un
autre moyen d’action plus efficace : le vote bloqué (devant Sénat ou l’assemblée
nationale, article 44 al 3 → « Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se
prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les
amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement »).
L’article 44 al 3 = prévoit que si le gouvernement le demande, l’assemblée saisie se
prononcera par un seul vote sur tout ou partie du texte en ne retenant que les
amendements acceptés par le Gouvernement. En cas d’utilisation de ce pouvoir,
l’assemblée se trouve placée devant une alternative : soit elle adopte le texte, soit elle le
rejette, mais elle ne pourra pas apporter des modifications avec lesquelles le
gouvernement ne serait pas d’accord. Cependant, il est essentiel de ne pas confondre vote
et examen : même dans le cadre de ce vote bloqué, l’assemblée se doit malgré tout
d’examiner un par un les amendements, d’où un moyen pour l’opposition de pratiquer
l’obstruction parlementaire. L’opposition se trouvant face à des prérogatives importantes
de l’opposition, il lui reste le blocage de la procédure législative : elle peut ainsi déposer
des milliers d’amendements qui devront chacun être examinés individuellement. Cf :
record en 2006 (projet de loi sur l’énergie), l’opposition avait déposé 137 631
amendements.

Les moyens de lutter contre l’obstruction parlementaire :


L’article 49 al 3 = le gouvernement ne peut l’utiliser que face à l’assemblée nationale, et
son utilisation est soumise à un certain nombre de limites.
L’article … : permet au règlement des assemblées d’encadrer l’exercice du droit
d’amendement. La conférence des présidents a une durée maximale. Une fois qu’a eu lieu
le vote du texte article par article, l’assemblée procède à un second vote.

D. La navette parlementaire et ses limites


L’article 45 al 1er prévoit que tout projet ou proposition de loi est examiné successivement
par les 2 assemblées en vue de l’adoption d’un texte identique (cf : « Tout projet ou
proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en
vue de l’adoption d’un texte identique » = navette parlementaire). Il en découle qu’une
loi, pour être adoptée, doit en principe avoir été votée dans les mêmes termes par
l’Assemblée nationale et le Sénat. Souvent, la 2e assemblée va soit rejeter certaines
dispositions ou amendements, ou ajouter des amendements nouveaux. Une 2e lecture est
alors nécessaire. Il faut souligner d’emblée que cette 2e lecture porte uniquement sur les
points de désaccord. En d’autres termes, des amendements nouveaux ne peuvent être
déposés en 2e lecture que s’ils sont directement liés à des points en discussion. Il s’agit là
de la règle dite de « l’entonnoir », qui permet de faciliter l’adoption du texte. Si au
terme de cette 2e lecture des désaccords subsistent, alors des lectures supplémentaires
peuvent avoir lieu, et la navette parlementaire pourrait en théorie se poursuivre à l’infini.
Mais en vertu de l’article 45 al 2, le Premier ministre dispose d’un moyen de mettre un
terme à cette navette. Il peut en effet prendre la décision de recourir à la procédure
accélérée (mais la conférence des Présidents peut s’y opposer).
Depuis la révision de 2008, la réunion d’une commission mixte paritaire peut être
organisée. Si la commission mixte paritaire parvient à un compromis, alors le texte est à

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nouveau soumis aux 2 assemblées successivement (toujours règle de l’entonnoir, discussion
sur les points litigieux uniquement).
Si la commission mixte paritaire échoue elle aussi, alors selon l’article 45, soit la navette
reprend, soit le gouvernement peut décider de donner le dernier mot à l’assemblée
nationale qui statue définitivement, sans pouvoir proposer de nouveaux amendements.
CCL : On voit donc bien au total que le gouvernement dispose de prérogatives non
négligeables dans la procédure législative : malgré la réforme, il dispose d’une grande
maitrise de l’ordre du jour, de l’article 49 alinéa 3, du vote bloqué, peut donner le
dernier mot à l’assemblée nationale. On comprend mieux pourquoi près de 85% des lois
adoptées sont d’initiative gouvernementale.

E. La promulgation
Il s’agit d’une prérogative du Président de la République, qui a pour objet : d’une part,
constater que la loi a été adoptée selon les formes prévues par la Constitution, d’autre
part ordonner aux institutions administratives et juridictionnelles de veiller à leur
exécution. Cet acte conditionne l’entrée en vigueur de la loi votée par le Parlement.
Selon l’article 10, elle doit intervenir dans les 15 jours suivants l’adoption du texte par les
2 assemblées. Par exception, ce délai peut être plus long en cas de :
- Saisine du Conseil constitutionnel (pour effectuer un contrôle a priori, le délai
pour statuer = 1 mois). A l’issue de ce contrôle, soit le Conseil constitutionnel ne
décèle aucune inconstitutionnalité auquel cas la loi pourra être promulguée par le
Président de la République. // Soit certaines disposition séparables du texte ont
été censurées, auquel cas la loi sera promulguée à l’exclusion des dispositions
jugées inconstitutionnelles. // Soit le Conseil constitutionnel a censuré des mesures
inséparables du reste du texte, et la loi ne pourra alors pas être promulguée.
- Seconde délibération. Cependant, la manière dont ce pouvoir a été utilisé
empêche d’y voir un veto législatif (contrairement au Président des USA). En effet,
il est peu vraisemblable en période de concordance des majorités que le Président
ait à s’opposer au vote du texte par le Parlement. En période de cohabitation : il ne
s’agit pas d’un pouvoir propre (le contreseing est prévu), et le refus du Président
de la République de promulguer une loi régulièrement adoptée déclencherait une
véritable crise politique. Jusqu’à présent, un tel cas de figure ne s’est jamais
présenté. Dans les rares cas où la 2de délibération a été demandée, c’est
généralement suite à une censure partielle par le Conseil constitutionnel ou pour
éliminer de simples erreurs de plume (ou dispositions sans objet). Ex : en 1983,
vote d’une loi prévoyant l’exposition universelle. Mais exposition universelle
annulée = pour éviter d’avoir à promulguer une loi inutile, le PR a demandé une 2e
délibération, qui n’a jamais eu lieu.

II- L’élaboration de la loi hors du cadre parlementaire


3 possibilités :
• Les lois référendaires (article 11)
• Les décisions prises par le Président de la République dans le cadre de l’article 16

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• Les ordonnances de l’article 38 (toutefois le texte ne devient une loi qu’après
adoption de la loi de ratification par le Parlement)

CHAPITRE 4- LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL


La thèse du monopole de la justice constitutionnelle. Qu’est-ce que la justice
constitutionnelle ?
On pourrait avoir tendance à dire qu’il s’agit de la justice qui fait application de règles à
valeur constitutionnelle. Mais en réalité, il serait plus exact de dire que s’il y a une justice
constitutionnelle, c’est bien plus en raison de son objet et non des règles dont elle fait
application.
Déf : la justice qui tranche des litiges d’ordre constitutionnel, portant sur des questions
ayant trait soit aux rapports entre les pouvoirs publics constitués, soit au respect par ces
mêmes pouvoirs des droits et libertés des citoyens (= sens matériel du terme). Toutefois
même en optant pour cette définition plus juste et fine, on ne peut que constater que le
Conseil constitutionnel n’a pas le monopole de cette justice constitutionnelle : il n’a
pas compétence générale quant aux questions du contentieux constitutionnel, il ne dispose
que d’une compétence d’attribution (article 58 et s). Par exemple, c’est le Conseil d’Etat
juge administratif suprême qui est compétent pour connaitre de la constitutionnalité des
actes de l’exécutif (cf : censurer un décret du Premier ministre et du Président de la
République).
Les partisans de la thèse du monopole contre-argumentent en livrant une version amendée
de cette théorie : selon eux, il y a bien un monopole du CC, mais qui ne porte que sur une
partie du contentieux constitutionnel (cf : le contrôle de constitutionnalité des lois). Même
dans cette version plus raisonnable, cette théorie ne tient plus.
Longtemps, les juges judiciaires se sont refusé à procéder au contrôle de constitutionnalité
des lois. cf : arrêt Paulin du 11 mai 1833, arrêt Arrighi. Comme le contrôle n’était interdit
par aucune règle, il s’agissant plus d’une autocensure découlant du dogme de la sacralité
des lois, selon lequel la loi promulguée était nécessairement parfaite. Sans cette
autocensure, la France aurait pu connaitre un arrêt Marbury vs Madison à la française (=
tout juge reçoit la compétence d’écarter in concreto une règle inconstitutionnelle).
Aujourd’hui on ne peut plus parler de monopole : en effet la révision de 2008 a instauré un
contrôle de constitutionnalité a posteriori (= la QPC). On pourrait croire que la QPC
confirme le monopole du Conseil constitutionnel puisqu’il lui revient seul de trancher et de
déclarer ou non la loi inconstitutionnelle. Mais c’est oublier que c’est au Conseil d’Etat et
à la Cour de cassation qu’il revient de transmettre au Conseil constitutionnel la QPC après
avoir procédé à la vérification des conditions posées (caractère sérieux, nouveau). Or
refuser de transmettre une QPC au motif que le caractère de la question n’est pas
suffisamment sérieux ne revient-il pas d’une certaine façon à procéder déjà à une sorte de
contrôle de constitutionnalité ?

SECTION 1- La composition du Conseil constitutionnel


§1- Deux catégories de membres

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Selon l’article 56, le Conseil constitutionnel peut comprendre deux catégories de
membres : obligatoirement des membres nommés, auxquels peuvent s’ajouter des
membres de droit.

A. Les membres nommés


La composition minimale et suffisante du Conseil constitutionnel comprend 9 membres,
nommés par 3 autorités publiques constituées (3 par le Président de l’Assemblée nationale,
3 par le Président du Sénat et 3 par le Président de la République qui nomme entre autres
le Président du Conseil constitutionnel = à qui il revient d’organiser le travail du conseil,
mais aussi de trancher en cas de partage égal des voix).
Le renouvellement des membres se fait par tiers tous les 3 ans : chaque autorité
compétente nommera un membre.
Ce mode de nomination est donc politique. Au demeurant cela parait difficilement
inévitable, au regard de ce qu’il en est dans les autres démocraties européennes. Toutefois
le système français peut s’attirer quelques critiques, tenant notamment au caractère
inconditionné de cette nomination :
• Tout d’abord au niveau de la procédure : ce sont les Présidents des assemblées et
non les assemblées elles-mêmes (majorité qualifiée censée permettre des
nominations reflétant au mieux un consensus politique). Cette procédure découle
certainement de la vision gaullienne qui visait à soustraire le plus possible les
nominations aux tractations et influences partisanes. Il n’en reste pas moins que
dans le système français la composition risque d’être rendue très homogène en
période de concordance des majorités (cf : fait majoritaire). Il n’y a alors guère
que la bonne volonté des autorités de nomination pour introduire un minimum de
diversité au sein du Conseil constitutionnel. De même les nominations par le
Président de la République sont des actes dispensés de contreseing, des actes
propres qui n’engagent pas la responsabilité du gouvernement. A cela s’ajoute le
fait que le Conseil d’Etat refuse de contrôler ces nominations qu’il considère
comme des actes de gouvernement. Cf : arrêt du 9 avril 1999 « Madame Ba ».
Toutefois une évolution sensible se fait connaitre depuis la réforme de 2008 : bien
que reposant sur de louables intentions, ses partis pris trop timorés limitent
grandement son impact effectif. La révision a ajouté à l’article 13 (complété par
une loi organique du 23 juillet 2010) un alinéa selon lequel certaines nominations
par le Président de la République doivent faire l’objet d’un avis et d’un vote de la
commission permanente compétente de chaque assemblée parlementaire. Si
l’addition des votes négatifs dans chacune des commissions représente au moins
3/5 des suffrages exprimés, alors la nomination est empêchée. Les auteurs de la
révision ont souhaité s’approcher du système des USA où les nominations aux postes
les plus importants par le Président (cf : les 9 juges de la Cour Suprême) doivent
recueillir l’approbation du Sénat. Par comparaison, le système français est
beaucoup plus timide, puisqu’il faut une majorité des 3/5e au sein de l’ensemble
des deux commissions parlementaires. Or les chances sont très faibles (concordance
des majorités et fait majoritaire) qu’une nomination soit rejetée. En revanche
cette opposition n’est pas possible en ce qui concerne les Président des deux
assemblées pour lesquels seule la consultation de la commission compétente est
exigée.
CCL : sur le plan procédural, les conditions d’encadrement sont très peu
contraignantes.

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• Cette faiblesse d’encadrement se retrouve également sur le fond : aucune
condition de fond particulière n’est requise quant à la personnalité des membres
nommés. En particulier aucune compétence professionnelle particulière n’est
exigée, ce qui constitue clairement une singularité française : dans toutes les
autres juridictions constitutionnelles, seuls d’éminents juristes peuvent être
nommés. Bien sûr, les autorités de nomination veillent à nommer des juristes
reconnus, mais cela procède uniquement de leur bonne volonté. Paradoxal quand
on sait que le propre du constitutionnalisme est de créer des mécanismes
constitutionnels visant à éviter de s’en remettre à la bonne volonté des dirigeants.
De plus les juristes nommés sont généralement retraités. La présence possible au
sein du Conseil constitutionnel de membres de droit participe du même esprit.

B. Les membres de droit


Selon l’article 56, les anciens Présidents de la République sont membres à vie du Conseil
constitutionnel. Sur le plan des principes, on a longtemps tenté de justifier cela par l’idée
de faire bénéficier le Conseil constitutionnel de la grande expérience des Président dans le
rôle de gardien de la Constitution que leur confère l’article 5. Toutefois ce rôle de gardien
de la Constitution est très discutable et relatif : le Président de la République est bien plus
chef de la majorité que gardien de la constitution (les 2 semblent d’ailleurs
contradictoires). D’autres raison moins avouables : notamment assurer une retraite
décente aux anciens chefs de l’Etat. Cf : volonté de DG d’assurer une sortie par le haut de
René Coty. Toutefois, peu glorieux pour le Conseil constitutionnel.
Pendant longtemps, la question d’une remise en cause de ces membres de droit ne se
posait pas vraiment, car les anciens Président ne siégeaient pas (décès, ou intérêts
relatifs). Toutefois, les choses ont changé en 2004 lorsque Valéry Giscard d’Estaing qui
venait de perdre la présidence du Conseil général d’Auvergne a décidé de siéger au Conseil
constitutionnel. J. Chirac a également siégé après son mandat, mais seulement jusqu’en
mars 2011. Nicolas Sarkozy commença également par siéger, jusqu’en janvier 2013 : en
raison de ses démêlés avec la justice, il a renoncé à occuper son siège.
La commission Balladur avait proposé de supprimer pour l’avenir les membres de droit.
Cette proposition ne fut toutefois pas reprise dans le projet de réforme constitutionnelle :
le gouvernement avait à l’époque choisi de la rejeter (invoquant l’article 5). A l’heure
actuelle, Hollande a déposé un projet de révision, mais qui semble pour l’instant
abandonnée.

§2- Le statut des membres


• Le mandat : En vertu de l’article 56, le mandat présente la double particularité
d’être long (9 ans), et non renouvelable. Il s’agit là d’un gage d’indépendance (cf :
Allemagne).
• Les incompatibilités : avec les fonctions de ministre ou de parlementaire national
(article 57), mais plus largement avec tout mandat électoral en vertu de la loi
organique du 19 janvier 1995. Pour le reste, la loi organique du 11 octobre 2011 a
étendu l’incompatibilité à toute activité professionnelle et salariale (notamment la
profession d’avocat), ce qui aligne leur statut à celui des magistrats. Enfin depuis la
loi organique du 29 mars 2011 la fonction de membre du Conseil constitutionnel est
également incompatible avec celle de Défenseur des droits.

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• En vertu de l’ordonnance du 7 novembre 1958 et de ses décrets d’application,
les membres du Conseil constitutionnel sont également tenus par une
obligation de réserve : ils doivent s’abstenir de prendre position publiquement sur
des questions ou des faits susceptibles de faire l’objet d’une décision du Conseil,
et ne pas occuper un poste à responsabilité dans un parti ou groupement politique.
Toutefois on observe un certain nombre d’entorses à ce principe de réserve. Cf :
campagne de Valéry Giscard d’Estaing en faveur du OUI au référendum sur la
Constitution de l’Union européenne. De même Simone Veil, qui s’est contentée de
suspendre ses fonctions.

SECTION 2- Les compétences du Conseil constitutionnel


La plus connue de ces attributions est bien entendu le contrôle de constitutionnalité.

§1- Les compétences juridictionnelles


Sa compétence juridictionnelle principale est le contrôle de constitutionnalité des lois.
Toutefois ce contrôle s’étend également aux traités internationaux. D’autre part, le
Conseil constitutionnel exerce d’autre compétences juridictionnelles (cf : contentieux
électoral)

A. Le contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil


constitutionnel

1) Le contrôle de constitutionnalité des lois

a) Le contrôle a priori
En vertu de l’article 61, il s’exerce tantôt à titre facultatif, tantôt à titre obligatoire.
(cf : « Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à
l’article 11 avant qu’elles ne soient soumises au referendum, et les règlements des
assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au
Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. Aux mêmes
fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation,
par le PR ……. »).
A titre facultatif = les lois simples avant leur promulgation. La possibilité de déclencher
ce contrôle est réservée à certaines autorités constituées : le Président de la République,
le Premier ministre, les Président de l’Assemblée nationale et du Sénat, et 60 députés ou
60 sénateurs (depuis la réforme de 1974).
A titre obligatoire = les lois organiques avant leur promulgation, et les règlements des
assemblées parlementaires avant leur ratification. Le Conseil constitutionnel a toujours
considéré qu’il n’avait que des compétences d’attribution, limitativement énumérées par
la Constitution. De surcroît, il a toujours considéré jusqu’ici que le terme de « loi » (article
61 al 1) renvoyait uniquement aux lois simples adoptées dans le cadre parlementaire.
C’est ainsi que par une décision déjà évoquée du 6 novembre 1962, le CC s’est déclaré
incompétent pour connaitre de la constitutionnalité d’une loi référendaire. De
même dans une décision du 26 mars 2003, il a refusé de connaitre d’une loi de révision

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constitutionnelle, estimant là encore que la Constitution ne lui en donnait pas la
compétence.
Les effets du contrôle a priori :
Selon l’article 62, si dans le cadre de ce contrôle le Conseil déclare une disposition
législative inconstitutionnelle, celle-ci ne peut pas être promulguée. Plus précisément, 2
cas de figure peuvent se présenter (les dispositions inconstitutionnelles peuvent être
séparables, ou inséparables du reste du contenu). Il faut ajouter à cela que le Conseil
constitutionnel peut également, lorsque cela est possible, décider de « sauver » la
disposition en optant pour une déclaration de constitutionnalité sous réserve : il va
définir l’interprétation selon laquelle la disposition n’est pas inconstitutionnelle. C’est
alors au Conseil d’Etat qu’il reviendra de vérifier que l’administration respecte bien dans
l’application de la loi en cause cette réserve d’interprétation.
Dans le cadre de ce contrôle a priori (qui longtemps = le seul contrôle), la fonction du
Conseil constitutionnel a connu une remarquable mutation, que l’on peut résumer en
disant que le Conseil constitutionnel était seulement au départ conçu comme un
régulateur des rapports entre les pouvoir publics, et qui est progressivement devenu
gardien des libertés publiques. Cf : la décision de 1971 sur la liberté d’association (=
extension du bloc de constitutionnalité) et 1974 = élargissement de la saisine à 60 députés
et 60 sénateurs (ouvre saisine à l’opposition). Cette dernière évolution a entrainé le
développement d’une jurisprudence constitutionnelle, qui à son tour vient enrichir le
contrôle de constitutionnalité (puisqu’elle consacre ainsi des principes à valeur
constitutionnelle).
Toutefois ce rôle de gardien demeurait très limité, dès lors que le contrôle ne pouvait
s’effectuer qu’avant leur promulgation (sans tenir compte des effets éventuels de
l’application de cette loi), d’autant que ce contrôle ne pouvait être déclenché que par les
autorités politiques. Ce n’est que très tardivement qu’un contrôle concret et a posteriori
de la constitutionnalité des lois a été instauré.

b) Le contrôle a posteriori
Depuis 2008, le Conseil constitutionnel est également doté d’une compétence de contrôle
a posteriori, par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité, régi à l’article
61-1 (« Lorsque à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est
soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la
Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur
renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai
déterminé »). Il s’agit incontestablement de l’aspect le plus médiatisé de la réforme de
2008. Toutefois il est bon de savoir qu’un projet similaire avait été suggéré par Mitterrand
lorsqu’il était président.
Les raisons de l’instauration de la QPC :
Les promoteurs de la révision de 2008, la QPC permet de donner au Conseil constitutionnel
la compétence de statuer sur des lois déjà promulguées, ce qui achève de transformer le
Conseil constitutionnel en gardien de la Constitution. Pourtant, il y a des raisons de douter
que cet argument constitue la principale et réelle motivation de cette réforme. En effet,
ce que la justice constitutionnelle leur a longtemps refusé, les citoyens l’avaient depuis
longtemps obtenu de la part de tout juge français (administratif comme judiciaire). Ils
l’avaient obtenu non au regard de la Constitution mais au regard des conventions
internationales et du droit européen, qui contiennent de nombreuses dispositions
protectrices des droits et libertés. Cf : arrêt J. Vabres (Cour de Cassation 1975) et arrêt

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Nicolo (CE en 1989), les juges acceptent d’écarter l’application des dispositions législatives
qui se révèlent incompatibles avec les traités internationaux (régulièrement ratifiés et
publiés), et les dispositions du droit dérivé de ces traités (cf : directive européenne). On
peut remarquer ici que depuis ces deux arrêts, le dogme de la perfection de la loi
promulguée (avancé pour justifier le refus de ces mêmes juges de pratiquer le contrôle de
constitutionnalité) est donc tout bonnement abandonné. Depuis ces 2 arrêts, les juges et
conseillers se sont désintéressé des droits et libertés énoncés par la Constitution et se sont
focalisés sur les droits les plus efficaces aux contentieux : ceux que protègent les
conventions internationales et européennes. Il y avait donc une sorte de marginalisation et
une perte de sens de la Constitution. Risque de perte d’identité de l’ordre juridique
français.

2) Les conditions de son utilisation


La lecture de l’article 61-1 montre que l’on est resté prudent dans l’instauration de ce
contrôle a priori et concret.
Tout d’abord, une QPC doit remplir un certain nombre de conditions pour être recevables :
o une QPC ne peut être posée qu’au cours d’un litige devant une juridiction,
litige auquel la loi contestée est applicable. On est donc ici dans le cadre
d’un contrôle concret par voie d’exception.
o la QPC ne peut pas être posée au regard de n’importe quelle disposition
constitutionnelle : en vertu de l‘article 61-1, la loi ne peut être contestée
qu’au regard des droits et libertés que la Constitution garantit. A cet égard,
le Conseil constitutionnel estime que l’article 34 est invocable en ce qu’il
réserve au législateur le soin de fixer les garanties fondamentales pour
l’exercice des libertés publiques.
o En outre, la loi organique de 2009 prévoit qu’une disposition législative ne
peut pas faire l’objet d’une QPC lorsqu’elle a déjà été déclarée conforme à
la constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du CC.
Problème : cela concerne également les décisions prises par le Conseil
constitutionnel dans le cadre du contrôle a priori. Mais les rédacteurs ont
pris le soin de préciser « dans les motifs ET les dispositifs ». La disposition
qui n’a pas été analysée précisément dans les motifs du contrôle a priori
n’est donc pas à l’abri d’une QPC.

3) Les étapes de la procédure


La QPC peut être posée à l’occasion d’un litige devant les juridictions ordinaires. Mais ces
dernières ne sont pas censées y répondre. Elles jouent un rôle de transmission mais aussi
de filtre.
Transmission = car elles transmettent dans certaines conditions la QPC au Conseil
constitutionnel. En l’occurrence c’est même à une double courroie de transmission que
l’on a affaire puisque la QPC est d’abord transmise au Conseil d’Etat ou à la Cour de
cassation avant d’être envoyée au Conseil constitutionnel. NB : la QPC peut très bien surgir
dans un pourvoi en cassation.
Filtre = cette transmission n’est pas automatique. A moins que la QPC ne soit posée
directement devant le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, la 1ère juridiction se contente
de s’assurer qu’elle n’est pas dépourvue de tout caractère sérieux. Mais le Conseil d’Etat

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et la Cour de Cassation vont plus loin : ils ne doivent transmettre que les questions qui
sont nouvelles et qui présentent un caractère sérieux. Cela suppose un examen plus
approfondi, c’est pourquoi le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation pratiquent bien, dans
une certaine mesure, un contrôle de la constitutionnalité des lois. À cet égard, l’examen
des refus de transmission de QPC révèle que ce n’est souvent qu’après un examen
approfondi des lois que la Haute juridiction décide que la QPC ne présente pas un
caractère sérieux. Si monopole du Conseil constitutionnel il y a, il ne porte plus
aujourd’hui que sur la déclaration de la constitutionnalité.

L’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité à l’issue d’une QPC :


La déclaration d’inconstitutionnalité entraine en principe l’abrogation de la disposition
législative (= sa disparition pour l’avenir). Toutefois ce même article reconnait au Conseil
constitutionnel le pouvoir de donner à cette déclaration un effet rétroactif contrôlé, en
décidant de la remise en cause de certains effets passés de la disposition. En outre, le
Conseil constitutionnel s’est également reconnu la compétence de décider, pour des motifs
de sécurité juridique, de différer dans le temps l’effet de l’abrogation.

La priorité qui caractérise la QPC :


Ce caractère prioritaire concerne la concurrence qui peut exister entre la Constitution et
les instruments européens et internationaux de protection des droits de l’homme. En vertu
de la loi organique de 2009, si une juridiction est saisie à la fois d’une QPC et d’un moyen
tendant à écarter la loi pour non-respect du droit international, alors elle devra se
prononcer prioritairement sur la transmission de la QPC.
Cette priorité a toutefois été contestée au regard des exigences du droit de l’UE. En effet
la jurisprudence de la cour de justice de l’UE estime dans une telle hypothèse que le juge
interne s’abstient d’appliquer les lois incompatibles avec le droit de l’UE, sans attendre
qu’elles soient abrogées. Cf : la Cour de cassation a posé la question préjudicielle à la
CJUE de savoir si la QPC n’est pas incompatible avec de tels impératifs. Avant cela, le
Conseil d’Etat a décidé dans un arrêt Rujobic du 14 mai 2010 qu’une interprétation de
cette priorité devait être conforme avec les exigences de l’UE. Le Conseil constitutionnel
s’est empressé de reprendre cette solution dans une décision du …. Elle consiste à décider
que cette priorité n’empêche le juge ni de poser une question préjudicielle à la CJUE, ni
de prendre des mesures provisoire pour sauvegarder les droits des justiciables, notamment
en suspendant l’application de la loi. Cf : arrêt du 22 juin 2010, la CJUE a semblé se
satisfaire de cette interprétation.

B. Le contrôle de constitutionnalité des traités internationaux


Avant leur ratification, les mêmes autorités que celles qui peuvent déclencher un contrôle
a priori de la loi peuvent demander au Conseil constitutionnel de vérifier si le traité
comporte des dispositions contraires à la Constitution. Si tel est le cas, le traité ne pourra
pas être ratifié, sauf révision de la Constitution.

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