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Ohadata D-10-06

LE REGLEMENT DU CONTENTIEUX DES AFFAIRES DU DROIT OHADA


Mor talla KHOUMA
DEA de droit économique et des affaires
momartalla007@yahoo.fr

SOMMAIRE

I : Le règlement judiciaire du contentieux des affaires du droit OHADA


A : Les fonctions judiciaires du juge interne
1. le juge du fond, juge de droit commun du droit OHADA
2. La problématique de la circulation des décisions du juge interne dans
l’espace OHADA
B : Les fonctions judiciaires de la CCJA
1. L’unité d’interprétation et d’application du droit des affaires de
l’OHADA assurée par la CCJA
2. Les conflits de compétences entre la CCJA et les juridictions
nationales

II : Le règlement arbitral du contentieux des affaires du droit OHADA


A : Les fonctions juridictionnelles de l’arbitre
1. La mise en œuvre des compétences juridictionnelles de l’arbitre
2. Les types d’arbitrage institués dans les procédures de
l’OHADA pour le règlement arbitral du contentieux des affaires
B : Les fonctions juridictionnelles de la CCJA et des juridictions nationales
1. Les compétences juridictionnelles de la CCJA dans le contentieux
arbitral du droit des affaires de l’OHADA
2. Les compétences résiduelles des juridictions nationales dans le
contentieux arbitral du droit des affaires de l’OHADA

INTRODUCTION

Dans le cadre de l’OHADA, l’imbrication des différents ordres juridiques est assurée
par le biais d’une fonction juridictionnelle qui interpelle différentes juridictions. Ainsi, cette
fonction revient aux juridictions internes et à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage,
concurrencées dans le règlement du contentieux des affaires du droit OHADA, quand
l’éviction de l’intervention judiciaire se réalise, par l’arbitre.
En effet, l’OHADA que l’on peut présenter – pour paraphraser le Doyen Kéba
MBAYE1 – comme cet outil juridique imaginé pour servir l’intégration économique et la

1
Voir K. MBAYE, « Avant-propos sur l’OHADA », Numéro spécial sur l’OHADA, Recueil Penant, n° 827,
1998, pp. 125-128.

1
croissance en Afrique est l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires. Elle a été instituée par le Traité de Port-Louis adopté le 17 octobre 1993 né de la
volonté de garantir la sécurité juridique des activités économiques, d’encourager
l’investissement, de mettre un terme à l’insécurité judiciaire, mais aussi et surtout à
l’insécurité juridique. L’objectif fondamental de l’organisation est de réaliser une unification
progressive et générale du droit des affaires à l'échelle du continent africain.
Le droit des affaires, tel qu’appréhendé dans le droit communautaire de l’OHADA,
ressort d’une énumération. Ainsi, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des
règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement
des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises
et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au
droit de la vente et des transports. Cette énumération n’est pas limitative. Elle est évolutive en
ce sens que l’article 2 du traité OHADA habilite le Conseil des Ministres à décider à
l’unanimité d’intégrer telle ou telle matière à ce droit2.
Ainsi, le règlement du contentieux qui couvre l’une des branches les plus ardues,
c’est-à-dire le droit des affaires de l’OHADA, est à rechercher dans la voie judiciaire ainsi
que dans la voie arbitrale.
Toutefois, dans le règlement du contentieux intéressant le droit des affaires de
l’OHADA, des tiers peuvent intervenir pour lui donner une solution même si de façon précise
le Traité ne fait référence qu’aux voies judiciaire et arbitrale. Cette considération permet de
mettre en exergue les modes alternatifs de règlement des litiges essentiellement la médiation
et la conciliation, qui connaissent actuellement un grand succès dans la pratique et suscitent
un intérêt grandissant dans la législation internationale3.
Cependant, la fonction consultative qui ne sera pas prise en considération dans le cadre
de cette réflexion n’est pas le mode spécifique par lequel le Traité de l’OHADA entend faire
de la CCJA l’instrument d’interprétation uniforme du droit de l’OHADA. Le mode spécifique
aménagé dans les procédures juridictionnelles communautaires est celui de la cassation et de
la substitution de la compétence de la CCJA aux juridictions nationales.
En outre, le Traité ainsi que le Règlement de procédure sont muets sur les cas
d’ouverture à cassation. L’article 28 du Règlement qui règle la forme du recours en cassation
se contente simplement d’exiger que « le recours indique les Actes uniformes ou les
Règlements prévus par le Traité dont l’application dans l’affaire justifie la saisine de la Cour
». Dans cette même perspective, puisque ces textes n’adoptent pas la distinction de l’article 15
de la loi organique sénégalaise 92-22 du 5 mai 1992 entre les décisions définitives,
préparatoires, d’instruction, interlocutoires, l’on pourra considérer que toutes les décisions
peuvent faire l’objet d’un recours en cassation devant la CCJA qui, après cassation, évoque et
juge le fond sans qu’il y est une possibilité de navette judiciaire4 entre les juges du fond et la
Cour communautaire.
Néanmoins, une telle réflexion présente des intérêts notoires prenant en considération
dans sa pleine mesure la spécificité de l’application du droit des affaires de l’OHADA.
En réalité, tout droit réclame des juges pour le servir, comme toute justice veut une
procédure5. Ainsi, pour l’interprétation et l’application du droit communautaire, deux

2
Voir à ce propos la Décision 002-2001du Conseil des ministres relative au programme d’harmonisation du
droit des affaires en Afrique.
3
Voir notamment le Règlement de conciliation de la CNUDCI, la loi-type CNUDCI du 24 juin 2002 sur la
conciliation commerciale internationale.
4
Bakary DIALLO, Réflexion sur le pouvoir d’évocation de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dans le
cadre du Traité de l’OHADA, Penant n° 858 p. 46.
5
G. CORNU et J. FOYER, Procédure civile, Collection Thémis, PUF, 1996, cités par E. NSIE in La Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage, Penant, Septembre-Décembre 1998, n° 828, p. 308.

2
techniques sont susceptibles d’être mise en œuvre : la technique du renvoi préjudiciel et celle
du contrôle hiérarchique d’une Cour supranationale sur les juridictions nationales.
En effet, dans le cadre d’un recours préjudiciel en interprétation, la juridiction
supranationale ne dispose pas du pouvoir d’annuler les décisions des juridictions nationales,
même lorsque l’application du droit communautaire est en cause. Elle se borne à intervenir
dans le cadre d’un litige tranché par la juridiction nationale, pour fournir à celle-ci des
indications sur le droit communautaire auxquelles la juridiction nationale est tenue de se
conformer. C’est technique dont la mise en œuvre suscite un intérêt notoire est celle en
vigueur dans le cadre de l’Union Européenne et de l’Union Economique et Monétaire Ouest
Africaine.
Les procédures devant la CCJA s’articulent sur un recours en cassation qui est une
mise en œuvre de la technique du contrôle hiérarchique.
A coté de l’abandon de souveraineté sur le plan législatif6, le Traité de Port-Louis du
13 février 1993 réalise l’abandon de la souveraineté judiciaire et la consécration de la
supranationalité judiciaire qui complète la supranationalité juridique. Le dispositif juridique
de l’OHADA concernant la fonction juridictionnelle de la CCJA notamment le Traité et le
Règlement de procédure de la Cour posent ainsi un principe de supranationalité judiciaire
opérant un transfert de compétence des juridictions nationales de cassation vers la haute
juridiction communautaire. Ce principe qui ne se rencontre guère à ce jour dans aucune
organisation d’intégration est d’autant plus soutenu qu’il est accompagné du pouvoir de la
CCJA de statuer, après cassation, sur le fond en évoquant l’affaire, sans renvoyer à une
juridiction d’appel nationale de l’Etat concerné.
Par ailleurs, dans les procédures juridictionnelles de l’OHADA, l’arbitrage est perçu
comme un mode de règlement efficace des litiges. Ainsi, les raisons de son essor tant de fois
relaté dans les différents colloques qui lui dédiés sont à chercher entre autres dans sa
flexibilité, sa confidentialité et le libre choix des arbitres par les parties. La flexibilité en
question se révèle par cette faculté qu’ont les parties d’organiser l’instance. La célérité de
l’arbitrage que l’on peut relativiser entre aussi dans cette perspective.
Ce contentieux arbitral interpelle dans une large mesure l’arbitre et, de manière
spécifique, la CCJA7 et les juridictions nationales à qui le traité et l’Acte uniforme sur le droit
de l’arbitrage confient des fonctions de juge étatique d’appui ou de contentieux8.
Eu égard à ces différentes considérations, il est possible de s’interroger sur les voies de
règlement du contentieux des affaires du droit OHADA.
En effet, le contentieux du droit des affaires de l’OHADA s’effectue par la voie
judicaire et par celle de l’arbitrage, qui sont les seules textuellement prévues dans les
mécanismes juridictionnelles communautaires. Dans le contentieux judiciaire, les
compétences juridictionnelles du juge interne sont plus importantes que celles de la CCJA en
ce sens que le juge interne est le juge de droit commun du droit de l’OHADA. Le contentieux
arbitral montre un autre paradigme. En réalité, l’essentiel des compétences juridictionnelles à
ce niveau revient à l’arbitre. Néanmoins, les compétences juridictionnelles de la CCJA et des
juridictions nationales dans le contentieux arbitral du droit des affaires de l’OHADA ne sont
pas à minimiser car elles participent à donner à l’arbitrage une efficacité pouvant lui permettre

6
Voir l’arrêt du 16 décembre 1993 du Conseil constitutionnel du Sénégal rendu sous l’empire de la Constitution
de 1963, Penant 1993, p.225, note A. SALL.
7
Selon l’article 2 du Règlement d’arbitrage de la CCJA, la Cour ne tranche pas elle-même les litiges. Toutefois,
la Cour exerce les compétences juridictionnelles qui lui sont attribuées par l’article 25 du Traité en matière
d’autorité de chose jugée et d’exequatur des sentences rendues, dans sa formation contentieuse ordinaire et
conformément à la procédure prévue pour celle-ci.
8
Joseph ISSA-SAYEGH, Réflexions dubitatives sur le droit de l’arbitrage de l’OHADA, Ohadata D-02-20, p.
7 ; Revue Camerounaise de l’arbitrage, numéro spécial, octobre 2001, p. 22.

3
de concurrencer le mode traditionnel de règlement des litiges d’affaires qu’est le mode
judiciaire.

I : Le règlement judiciaire du contentieux des affaires du droit OHADA

Le Traité, dans le dessein d’assurer toute la pertinence de l’imbrication des ordres


juridiques OHADA et national, s’est appuyé, relativement au volet judiciaire intégré dans le
vaste chantier d’intégration que constitue l’OHADA, sur la fonction juridictionnelle. Aussi,
les juridictions, au regard de la nature du droit OHADA qui ressort de l’article 10 de Traité9,
ont-t-elles été investi du rôle de garant de ces deux piliers supportant ce droit et découlant de
cette disposition, à savoir l’application directe et obligatoire du droit uniforme dans les Etats
Parties ainsi que sa primauté sur le droit interne.
Cette fonction juridictionnelle revient en réalité de prime abord aux juridictions
nationales (A) qui jouent un rôle central dans l’application judiciaire du droit commun de
l’OHADA. Toutefois, pour ne pas mettre en péril l’application uniforme du droit OHADA,
l’intervention régulatrice de la CCJA ( B) a été prévue par le Traité.

A : Les fonctions judiciaires du juge interne

Comme à l’image de la plupart des organisations communautaire d’intégration


juridique, l’OHADA a confié aux juridictions internes un rôle central. C’est ainsi que le
contentieux relatif à l’application des Actes uniformes est réglé en première instance et en
appel par les juridictions des Etats Parties. Par ailleurs, il convient de préciser que le Traité
instituant l’OHADA ne vise pas toute juridiction nationale. Il est ici fait allusion, en
considération des différentes composantes de l’ordre judiciaire, au juge interne du fond : il
devient ainsi le juge de droit commun du droit OHADA.
Le schéma juridictionnel de l’OHADA en matière judiciaire qui fait du juge du fond le
juge de droit commun du droit harmonisé des affaires sous le contrôle hiérarchique de la
CCJA présente quelques originalités qui méritent réflexion. Ainsi, remarque-t-on que les
décisions du juge interne dans le contentieux du droit des affaires de l’OHADA n’ont pas les
mêmes effets que celles de la CCJA. Leur circulation dans l’espace OHADA pose une
véritable problématique.

1. le juge du fond, juge de droit commun du droit OHADA

Dans les États Parties au Traité OHADA, l’implantation des normes communautaires
participe à l’élargissement de l’office du juge du fond. Cela ressort d’un paradigme relatif au
droit communautaire en question : le juge du fond est le juge de droit commun du droit
OHADA.
En effet, l’article 13 du Traité qui fixe la compétence du juge interne dispose : « Le
contentieux relatif à l'application des actes uniformes est réglé en première instance et en
appel par les juridictions des Etats Parties ». Dans l’application judiciaire du droit harmonisé,
les Etats Parties au Traité OHADA bénéficient d’une autonomie juridictionnelle. Il en est de
même notamment dans le contentieux pénal

9
« Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties, nonobstant toute
disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».

4
. En effet, c’est l’alinéa 310 de l’article 14 qui a procédé à la répartition de la
compétence juridictionnelle dans le contentieux pénal. Avec les compétences du juge du fond
qui est le juge de droit commun de l’OHADA et celles des Cours suprêmes au pénal, c’est le
juge interne en général qui joue un rôle central dans le contentieux du droit pénal des affaires.
Néanmoins, la CCJA est compétente pour statuer sur les dispositions d’incrimination pénale
mais non sur les dispositions établissant les sanctions.
Par ailleurs, le contentieux visé par l’article 13 intéresse tous ces actes uniformes
couverts par l’article 211. En réalité, puisque ce même article 2 semble poursuivre
l’énumération en mentionnant que toute autre matière peut être inclue dans le droit des
affaires, il sied de faire cette remarque qui participe à éclairer sur l’élargissement des
compétences du juge interne.
Puisqu’il s’agit d’une harmonisation du droit des affaires dont le contenu s’identifie
par son élasticité12, il faudra, à l’avenir, penser à y inclure le droit de certaines professions
spécialisées comme le droit boursier, le droit des services financiers, le droit des TIC, en plus
des matières visées par le Conseil des ministres dans sa Décision du 23 mars 200113,
relativement à l’habilitation de l’article 2. Et ce sera en considération de tout cet ensemble de
droit harmonisé et susceptible de l’être que le juge du fond trouvera les instruments juridiques
dont il devra en outre assurer le respect chaque fois qu’un particulier aura l’occasion de se
prévaloir des droits qui en résultent.

En réalité, l’élargissement des compétences du juge du fond par la diversité des Actes
uniformes a pu engendrer une situation de concurrence entre le droit uniforme de l’OHADA
et les normes communautaires de certaines organisations d’intégration juridique ou
économique14.
Cette coexistence de normes communautaires pose un problème qui, apparemment,
n’a pas encore de solution devant le juge interne du fond. En effet, il n’existe pas un droit
communautaire ou interne qui soit apte à opérer un choix, à travers une règle de conflit, entre
les normes en concurrence. Ceci est vrai d’autant plus que si le droit communautaire s’illustre
par rapport au droit interne par sa primauté et son application directe et obligatoire15, il n’en
sera rien en présence de deux normes communautaires. En clair, il ne revient nullement au
droit OHADA de traiter de l’applicabilité du droit communautaire produit par l’UEMOA, la
CEDEAO ou l’OAPI.
La solution, et ce serait un truisme de le dire car toute la doctrine s’y accorde16, est de
mettre en place une véritable coordination entre les institutions communautaires africaines
afin d’éviter qu’elles se retrouvent à légiférer dans les mêmes matières.

10
L’alinéa dispose : « Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues
par les juridictions d'Appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à
l'application des actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l'exception des décisions
appliquant des sanctions pénales ».
11
A l’exception du droit du travail, toutes les matières énumérées par l’article 2 ont fait l’objet d’Acte uniforme.
12
Voir Stéphane CHATILLON, Droit des affaires internationales, 4ème édition, Vuibert, 2005, P.1, qui cite J.
PAILLUSSEAU, Le Big Bang du droit des affaires à la fin du XXè siècle (ou les nouveaux fondements et notion
du droit des affaires), JCP 1988, I, 3330.
13
Les matières visées sont : le droit de la concurrence, le droit bancaire, le droit de la propriété intellectuelle, le
droit des sociétés civiles, le droit des sociétés coopératives ou mutualistes et le droit de la preuve.
14
C’est le cas avec les organisations comme l’UEMOA et l’OAPI surtout avec les matières visées par la
Décision du Conseil des ministres de l’OHADA d’étendre le droit communautaire.
15
Cf. article 10 du traité de l’OHADA, article 6 du traité de l’UEMOA et la jurisprudence Costa c/ ENEL du 15
juillet 1964 de la CJCE.
16
Voir à ce propos Akuélé Pedro SANTOS et Jean Yado TOE, Droit commercial général, Collection droit
uniforme africain, Bruylant, 2002, p.43.

5
Aussi, la circulation des décisions du juge interne concernant le contentieux des Actes
uniformes demeure-t-elle une problématique dans l’espace OHADA.

2. La problématique de la circulation des décisions du juge interne dans


l’espace OHADA

La circulation des décisions du juge interne dans l’espace OHADA pose une
problématique qui n’est pas prise en compte de façon efficiente par le législateur
communautaire eu égard à l’objectif de sécurité juridique mais surtout judiciaire visé par le
Traité. Auparavant, il faudra, pour se départir d’une généralisation plus ou moins irréaliste,
préciser que les décisions17 dont la « libre circulation » est souhaitée sont celles qui ressortent
du contentieux du droit harmonisé des affaires sur le plan interne.
En réalité, la circulation des décisions du juge interne devant être exécutées dans les
autres Etats Parties n’est pas prévue dans le dispositif juridictionnel de l’OHADA. Cela peut
ressortir d’une sorte de paradoxe vu l’orientation de l’OHADA.
En effet, les orientations normatives et les bases de l’intégration au sein de l’OHADA
sont toutes favorables à une libre circulation des personnes comme à l’image de ces
organisations d’intégration économique et monétaire que sont l’UEMOA et la CEDEAO. Par
conséquent, les agents économiques qui, dans l’espace OHADA, trouvent le même droit des
affaires, vont être confrontés à des diversités liées aux limites de l’intégration judiciaire
lorsqu’une décision de justice intervenant dans le champ du droit harmonisé sera considérée
comme une décision étrangère dans un autre Etat Partie.
Par ailleurs, il semble curieux que le Traité ait prévue la libre circulation dans l’espace
OHADA des arrêts de la CCJA en son article 2018 alors que les décisions du juge du fond
intéressant ce même droit harmonisé et qui peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation ne
le soient pas. Mieux encore, les sentences arbitrales bénéficient de cette circulation comme si
le vœu de l’OHADA était de séduire les agents économiques de la facilité dans la
reconnaissance et l’exécution des sentences pour donner une place centrale à l’arbitrage dans
son architecture juridictionnelle.
L’on remarque que l’OHADA s’est arrêtée au milieu du guet. En pareille occurrence,
il convient de faire recours aux procédures de droit commun relatives à la reconnaissance et
l’exécution des jugements étrangers. A ce niveau, il est difficile de trouver des réponses
satisfaisantes. En effet, l’inexistence de normes en la matière dans certains Etats19, la diversité
des législations et parfois l’ambiguïté des conditions de la reconnaissance et de l’exequatur
constituent incontestablement un frein à la circulation fluide des décisions judiciaires dans les
Etats d’Afrique membres de l’OHADA20.
Cette approche de l’OHADA concernant la circulation des décisions du juge interne
limite nécessairement l’intégration judiciaire dont seule la CCJA est l’instrument. Ainsi, à

17
Selon les Conventions de Bruxelles du 27 septembre 1968 et de Lugano du 16 septembre 1988 sur la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, constitue
une décision toute décision rendue par une juridiction d’un Etat contractant quelle que soit la dénomination qui
lui est donnée, telle qu’un arrêt, jugement, ordonnance ou mandate d’exécution, ainsi que la fixation par le
greffier du montant des frais du procès.
18
Aux termes de cet article : « Les arrêts de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage ont l'autorité de la chose
jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des Etats Parties une exécution forcée dans
les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales. Dans une même affaire, aucune décision
contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage ne peut faire l'objet d'une exécution forcée sur
le territoire d'un Etat Partie ».
19
Pour le Sénégal, se référer aux articles 787 et suivants du Code de Procédure Civile.
20
Pierre MEYER, La sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA, Ohadata D-06-50, p. 14.

6
l’état actuel du chantier de l’intégration, il ne peut réellement exister, dans l’espace
communautaire OHADA, un véritable forum homogène des décisions des juges internes
intéressant le droit harmonisé.
Ces juges internes, pouvant avoir des interprétations multiples et divergentes face à ce
droit harmonisé, sont subordonnés au contrôle hiérarchique d’une Cour supranationale qu’est
la CCJA.

B : Les fonctions judiciaires de la CCJA

Toute harmonisation du droit serait vidée de son sens si les juridictions internes
pouvaient avoir chacune sa propre compréhension des actes uniformes par une approche
nationaliste. Ainsi, le Traité, en instituant une Cour commune de justice et d’arbitrage, a
voulu mettre en place une unité d’application et d’interprétation du droit des affaires
harmonisé d’autant plus que l’on s’accorde sur le fait qu’un droit uniforme appelle une
jurisprudence uniforme.
La mise en œuvre des compétences de la CCJA peut soulever des problèmes délicats
de conflits de juridictions qui n’ont à présent aucune réponse satisfaisante sur le plan
communautaire et qui sont propres à entamer l’intégration judiciaire dans l’espace OHADA.

1. L’unité d’interprétation et d’application du droit des affaires de l’OHADA


assurée par la CCJA

La CCJA assure dans les Etats Parties l'interprétation et l'application communes du


Traité, des règlements pris pour son application, des actes uniformes et des décisions. Cela
ressort des alinéas 3 et 4 de l’article 14 du Traité qui exclut les décisions appliquant des
sanctions pénales21.
Ainsi, la CCJA est compétente pour statuer sur les décisions d’incrimination pénale
mais non sur les décisions établissant les sanctions. Par conséquent, la logique voudrait
qu’après s’être prononcée sur l’application des dispositions d’incrimination, la CCJA devrait
renvoyer l’affaire devant le juge interne pour qu’il soit statué sur les sanctions. C’est la
matérialisation de « l’interprétation préjudicielle22 » de la CCJA dans le contentieux pénal des
affaires.
Il convient de préciser que le rôle de la CCJA en tant que Cour régulatrice dans le
contentieux des Actes uniformes est rendu entre autres nécessaire par l’inexistence de
dispositions communes d’interprétation destinées à toutes les juridictions nationales qui
peuvent avoir, à dessein, une approche nationaliste dans l’application du droit des affaires.
Quoiqu’il en soit, seule l’existence de dispositions communes d’interprétation
destinées à toutes les juridictions nationales et à la Cour commune peut garantir
l’interprétation et l’application uniques des actes uniformes23. Au-delà de cette considération,
il faut avouer que l’institution de l’OHADA comme Cour de cassation sur le plan
communautaire ne résout pas le problème des divergences d’interprétation car les justiciables
ne forment pas toujours des pourvois et la Cour elle-même ne peut s’autosaisir.

21
Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions
d'Appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des actes
uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l'exception des décisions appliquant des sanctions
pénales.
En outre, elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d'appel rendues par toute
juridiction des Etats Parties dans les mêmes contentieux.
22
Elisabeth L. KANGAMBEGA, Observations sur les aspects pénaux de l’OHADA, Penant, 2000, p. 323.
23
Claudia Inès FEVILIYE-DAWEY; La problématique de l’interprétation et de l’application d’un droit
commun: l’exemple du droit des affaires en Afrique francophone, Penant 847, p. 137.

7
En phase de cassation, la CCJA se comporte comme un véritable troisième degré de
juridiction. Cela ressort de l’article 14 in fine aux termes duquel : « En cas de cassation, elle
évoque et statue sur le fond ». En effet, la procédure exceptionnelle qui est celle de la
cassation sans renvoi est devenue la règle dans le contentieux judiciaire de l’application du
droit des affaires de l’OHADA.
En réalité, l’évocation présente une particularité dans le cadre des procédures de la
CCJA en ce sens qu’elle y a un caractère obligatoire à la lumière de l’article 14 in fine. Elle a
toujours eu en droit processuel un caractère facultatif dont l’utilisation est laissée au juge du
fond qui garde à ce niveau un pouvoir discrétionnaire guidé par les principes d’opportunité.
Pour une bonne administration de la justice surtout au niveau de la cassation, l’opportunité de
l’évocation doit être le fort paradigme dans le schéma juridictionnel de l’OHADA car toute
attitude mécanique à ce niveau peut biaiser l’efficacité judiciaire recherchée dans le grand
chantier juridique communautaire.
Il semble que le souci d’accélérer le déroulement des procédures soit la justification de
l’institution du pouvoir d’évocation de la CCJA. En outre, il sied de prendre en considération
une matérialisation de la méfiance envers les juridictions nationales de fond qui s’illustrent de
temps à autre dans la voie de la résistance face à la posture imposante de la CCJA. Pour ces
raisons qui ne s’affichent guère dans quelque exposé de motifs, la Cour communautaire
accède à une plénitude de juridiction sur une affaire soumise à son appréciation par le biais de
l’évocation.
En tout état de cause, la cassation doit être considérée comme une procédure
extraordinaire dont l’ouverture doit être soumise à des conditions de fond et de forme très
étroites pour entre autres éviter tout conflits de compétences entre la CCJA et les juridictions
internes.

2. Les conflits de compétences entre la CCJA et les juridictions nationales

La CCJA assure dans les Etats Parties l'interprétation et l'application communes des
Actes uniformes en ce sens qu’elle se substitue, en phase de cassation, aux juridictions
nationales. Ainsi, à la lumière de l’alinéa premier de l’article 16, sa saisine suspend toute
procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée.
La supériorité de la CCJA s’affirme entre autres par le fait que, l’alinéa 2 de l’article 16 le
précise, une telle procédure ne peut reprendre qu’après que la CCJA s’est déclarée
incompétente pour connaître de l’affaire24. Le rôle de la CCJA défini dans le Traité impose
cette démarche qui a conduit au retrait des Cours de cassations nationales dans le contentieux
du droit des affaires de l’OHADA.
En effet, par le recours prévu à l’article 18 du Traité et de l’article 52 du Règlement de
procédure de la CCJA, lorsqu'une juridiction nationale de cassation a méconnu la compétence
de la CCJA, toute partie peut saisir cette dernière à condition qu'elle ait soulevé
l'incompétence de la juridiction nationale dans l'instance antérieure. L’impératif posé par le
Traité est que l’incompétence de la Cour indûment saisie devait être soulevée au préalable.
Toutefois, la décision de la juridiction nationale de cassation ne pourra pas être exequaturée
dans certains pays comme la France car le juge français, à la lumière du Nouveau Code de
Procédure Civile, s’appuiera sur l’incompétence de la Cour pour refuser l’exequatur25. De ce

24
Toutefois la saisine ne suspend pas les procédures d’exécution dans la mesure où le pourvoi n’a pas d’effet
suspensif en matière civile. C’est la confirmation du caractère définitif attaché à l’arrêt contre lequel un pourvoi
est formé.
25
Voir à ce propos Me Doudou NDOYE, La nouvelle Cour de cassation des pays de l’OHADA, EDJA,
Collection Droit uniforme africain, 1998.

8
fait, les parties auront utilement intérêt à saisir la CCJA toutes les fois qu’il est question de
pourvoi en cassation intéressant l’application des actes uniformes.
En pareille occurrence, c’est avec regret que l’on constate qu’il n’est prévu aucune
disposition permettant à la CCJA de s’autosaisir. La mise en place de cette sorte de « cadre
juridique par défaut »26 prive la CCJA de tout moyen d’intervention a posteriori27.
Par ailleurs, lorsque se présente un litige relatif au droit des affaires harmonisé, une
partie peut déférer une décision au pourvoi en cassation en se fondant sur la violation de la
disposition d’incrimination posée par l’OHADA, et de celle établissant les sanctions dont la
source est la loi nationale. En pareille occurrence, il est logique de s’interroger sur laquelle de
la juridiction nationale de cassation ou de la juridiction communautaire qui doit connaître de
ce pourvoi. Aucune des juridictions ne pourrait justifier toute exclusivité de ses compétences
pour traiter ce pourvoi.

Au-delà du pourvoi en cassation en matière pénale, il arrive qu’un pourvoi implique à


la fois une règle de droit uniforme et une règle de droit national non harmonisé. Si le juge
interne saisi renvoie parfois l’appréciation du droit uniforme à la CCJA avec toutes les
lourdeurs de la procédure de cassation qui en résulteraient, il est arrivé qu’il se présente un
réel conflit de détermination de la juridiction compétente amenant ainsi celui-ci à une
résistance28.
Le Conseil des ministres de l’OHADA devra intervenir pour donner des solutions
pertinentes à tous ces conflits qui peuvent ruiner l’intégration judiciaire dans l’espace
communautaire car toute réponse venant de la CCJA ne s’imposera que si elle est acceptée par
toutes les juridictions intervenant dans le contentieux du droit des affaires faisant l’objet
d’harmonisation.

II : Le règlement arbitral du contentieux des affaires du droit OHADA

Avec le déclin du juge étatique dans le règlement du contentieux relatif au droit des
affaires, l’arbitrage est devenu dans ce domaine la voie la plus prisée par les opérateurs
économiques. Cela n’a point laissé le législateur communautaire indifférent dans la mesure où
il souhaite mettre en place un cadre juridique et judiciaire favorable aux investissements
internationaux.
Ainsi, le contentieux de l’application des Actes uniformes dont la compétence est
partagée ne se limite pas seulement par la traditionnelle voie judiciaire. Ce contentieux
s’effectue aussi par la voie de l’arbitrage. Dans le contentieux arbitral du droit des affaires de
l’OHADA, l’arbitre est mis au premier plan (A) avec l’appui de taille de la CCJA et des
juridictions nationales (B).

26
Philippe TIGER, Aspects conceptuels et évolution, in Colloque international sur Les rapports entre les
juridictions de cassation nationales et la CCJA de l’OHADA: bilan et perspectives d’avenir, Penant 860, p. 295.
27
La CCJA a été obligé d’appliquer cette disposition en déclarant irrecevable par arrêt du 27 janvier 2005 le
recours en annulation d’un arrêt indûment a rendu par une Cour suprême nationale et exercée devant elle par la
société ECOBANK, pour la raison que l’incompétence de la Cour nationale n’avait pas été soulevée au
préalable.
28
Voir à ce propos A. KANTE, La détermination de la juridiction compétente pour statuer sur un pourvoi formé
contre une décision rendue en dernier ressort, en application des Actes uniformes (Observation sur l’arrêt de la
Cour Suprême du Niger du 16 Août 2001), OHADA.com, OHADA D-02-29.

9
A : Les fonctions juridictionnelles de l’arbitre

La compétence juridictionnelle de l’arbitre dans le contentieux arbitral du droit des


affaires ne fait pas l’ombre de doute. Il est investi du pouvoir de juger les litiges relatifs au
droit des affaires de l’OHADA conformément à l’acte uniforme sur le droit de l’arbitrage.
D’ailleurs, tout tribunal d'un Etat Partie saisi d'un litige que les parties étaient convenues de
soumettre à l'arbitrage se déclarera incompétent si l'une des parties le demande, et renverra le
cas échéant à la procédure d'arbitrage prévue au présent Traité.
La mise en œuvre de ses compétences juridictionnelles montre des spécificités qui
méritent que l’on s’y attarde. En outre, la nature du droit de l’arbitrage dans le cadre de
l’OHADA emprunte une dualité qui influe sur les juridictions compétentes dans le
contentieux arbitral du droit des affaires. En effet, l’avènement de l’arbitrage par le Traité du
17 octobre 1993 a permis de mettre en place l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, qui
régit l’arbitrage ad hoc et le règlement d’arbitrage de la CCJA29 qui est destiné à l’arbitrage
institutionnel.

1. La mise en œuvre des compétences juridictionnelles de l’arbitre

L’arbitrage s’identifie par la composante conventionnelle qui est mêlée à la


composante juridictionnelle. L’arbitre tranche un litige à la place des tribunaux étatiques. Il
est investi d’une mission juridictionnelle véritable dans le contentieux arbitral du droit des
affaires de l’OHADA. Cette mission s’accomplit par une sentence par laquelle l’arbitre
tranche le litige.
En effet, la sentence peut être appréhendée comme l’équivalent d’un jugement. Aussi,
en possède-t-elle de nombreux attributs. Ainsi, aux termes de l’article 25 de l’Acte uniforme
sur le droit de l’arbitrage, la sentence arbitrale a, dès qu'elle est rendue, l'autorité de la chose
jugée relativement à la contestation qu'elle tranche. L’autorité de la chose jugée à qui la loi
attache la présomption légale déteint sur la sentence comme sur le jugement.
Au-delà, les compétences juridictionnelles de l’arbitre dans le contentieux du droit des
affaires de l’OHADA se matérialisent en outre dans la procédure arbitrale.
Dans la procédure de règlement d’un contentieux du droit des affaires de l’OHADA en
matière d’arbitrage, l’arbitre peut être amené à prendre des mesures provisoires ou
conservatoires. Cette compétence juridictionnelle découle d’une nécessité consacrée par le
Règlement d’arbitrage de la CCJA30.
La compétence juridictionnelle de l’arbitre dans la fixation des mesures provisoires ou
conservatoires lorsque celles-ci demandent un examen du litige au fond ne saurait être
contestée au même titre que sa compétence pour se prononcer sur sa « propre compétence ».
En effet, il existe un volet procédural dans le contentieux arbitral qui permet à l’arbitre
de statuer sur sa propre compétence. L’invalidité du contrat d’affaires où est insérée la clause
compromissoire est sans incidence sur la compétence de l’arbitre. De ce fait, ce dernier est
compétent pour statuer sur sa propre compétence, même si celle-ci est contestée sur la base de
la nullité du contrat principal ou de la clause compromissoire. La doctrine spécialisée
appréhende cette spécificité sous la terminologie de la règle de la « compétence-
compétence ».

29
L’Acte uniforme et le règlement d’arbitrage de la CCJA ont été adoptés à Ouagadougou le 11 mars 1999 et
publiés au Journal Officiel de l’Organisation du 15 mai 1999.
30
Aux termes de l’article 10.5 alinéa 1 de ce Règlement : « Sauf stipulation contraire, la convention d’arbitrage
donne compétence à l’arbitre pour se prononcer sur toute demande provisoire ou conservatoire pendant le cours
de la procédure arbitrale ».

10
La règle de la « compétence-compétence » de l’arbitre qui lui donne un pourvoir
juridictionnel certain limite la volonté des parties à verser dans le dilatoire ainsi qu’elle évite
qu’un simple déclinatoire de compétence ne paralyse l’arbitrage31.
Par ailleurs, il existe deux grands types d’arbitrages institués dans les procédures de
l’OHADA pour le règlement arbitral du contentieux des affaires.

2. Les types d’arbitrage institués dans les procédures de l’OHADA pour le


règlement arbitral du contentieux des affaires

Le droit OHADA, à l’image des autres législations étrangères, envisage deux formes
d’arbitrage. Ce sont l’arbitrage ad hoc régi par les dispositions de l’acte uniforme sur le droit
de l’arbitrage et l’arbitrage institutionnel mis sous l’égide de la CCJA et régi par le règlement
d’arbitrage de cette dernière.
L’arbitrage institutionnel pourrait être conçu comme l’arbitrage dont les parties ont
confié l’organisation à une institution permanente d’arbitrage, et qui se déroule conformément
au règlement d'arbitrage élaboré par cette institution.
Dans le cadre de l’OHADA, en plus de la CCJA, il existe d’autres institutions
d’arbitrage implantées dans certains Etats parties et qui peuvent s’occuper d’un arbitrage
commercial. Ces institutions proposent un encadrement neutre et spécialisé qui « sécurise les
parties et contribue à assurer l’équité et la régularité de la procédure arbitrale 32». Ainsi,
proposent-elles des règlements d’arbitrage qui peuvent être différents de celui de la CCJA
comme les États parties peuvent adopter des législations qui s’ajouteraient à l’Acte uniforme
sur le droit de l’arbitrage33.
Généralement, l’on conçoit aussi que l’institution d’arbitrage n’exerce pas de fonction
juridictionnelle. Le droit OHADA de l’arbitrage apporte une exception à cette considération
en ce sens que la CCJA exerce les compétences juridictionnelles qui lui sont attribuées par
l’article 25 du Traité en matière d’autorité de chose jugée et d’exequatur des sentences
rendues, dans sa formation contentieuse ordinaire et conformément à la procédure prévue par
celle-ci.
Contrairement à l’arbitrage institutionnel, l’arbitrage ad hoc qui se présente comme un
mode de règlement des litiges posant une alternative aux procédures publiques et formalistes
des procès ordinaires, n’est pas une institution particulière et ne met donc en présence que les
parties et les arbitres. Il n’est donc pas confié à une institution d’arbitrage. Il se développe
sans aucune structure préexistante et dans ce cas, n’implique que les parties et les arbitres.
Dans le contentieux arbitral du droit des affaires de l’OHADA, la CCJA et les
juridictions nationales gardent des compétences juridictionnelles participant à donner une
certaine efficacité à l’arbitrage.

31
Mirèze PHILIPPE et Philippe BLONDEAU, Comment se manifestent certaines tactiques dilatoires dans
l’arbitrage? Dalloz Affaires, numéro 169, p. 1097.
32
Rapport de présentation du décret n° 98-493 du 5 juin 1998 relatif à la création d’institutions permanentes
d’arbitrage, JOS, 25 juillet 1998.
33
Les Etats parties au traité OHADA gardent une compétence en matière d’arbitrage. C’est ainsi qu’on a pu dire
que l’on s’éloigne des principes dégagés dans d’autres organisations d’intégration comme la Conférence
interministérielle du marché des assurances (CIMA) qui retire aux Etats signataires toute compétence nationale
relative au droit des assurances.

11
B : Les fonctions juridictionnelles de la CCJA et des juridictions nationales

Dans le règlement du contentieux arbitral du droit des affaires de l’OHADA, l’arbitre


ne garde pas une compétence exclusive du fait que l’arbitrage, en tant que tel, est une justice
privée qui n’est nullement autonome. Des procédures dépassant sa compétence font intervenir
d’autres acteurs comme la CCJA.
Celle-ci n’a pas qu’une fonction administrative dans les arbitrages intéressant le droit
des affaires de l’OHADA. Elle a des compétences juridictionnelles dans le contentieux
arbitral, au même titre d’ailleurs que les juridictions internes.

1. Les compétences juridictionnelles de la CCJA dans le contentieux arbitral


du droit des affaires de l’OHADA

Dans le contentieux arbitral du droit des affaires de l’OHADA, les compétences


juridictionnelles de la CCJA s’articulent essentiellement sur la reconnaissance des sentences
arbitrales et l’octroi de l’exequatur pour permettre leur exécution forcée, avec la précision en
vertu de laquelle les procédures varient selon que la sentence est rendue sur le fondement de
l’acte uniforme sur le droit de l’arbitrage ou sur le fondement du Règlement d’arbitrage de la
CCJA. Concernant cette dernière hypothèse qui attire notre attention, l’on retient que seule la
sentence rendue en application du Règlement d’arbitrage pourra relever des dispositions de ce
Règlement portant sur la reconnaissance et l’exécution.
Ainsi, la CCJA exerce les compétences juridictionnelles qui lui sont attribuées par
l’article 25 du Traité en matière d’autorité de chose jugée et d’exequatur des sentences
rendues, dans sa formation contentieuse ordinaire et conformément à la procédure prévue
pour celle-ci. Elle se prononce sur l’exequatur de ces sentences si celui-ci est demandé et, si
elle en est saisie, sur les contestations qui peuvent survenir quant à l’autorité de chose jugée
de ces sentences.
En effet, l’article 25 du Traité34, après avoir posé que les sentences arbitrales rendues
conformément aux stipulations du présent titre ont l'autorité définitive de la chose jugée sur le
territoire de chaque Etat Partie au même titre que les décisions rendues par les juridictions de
l'Etat et qu’elles peuvent faire l'objet d'une exécution forcée en vertu d'une décision
d'exequatur, ajoute que : « La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage a seule compétence
pour rendre une telle décision ». Cette exclusivité de la CCJA fait que toute juridiction
nationale saisie d’une demande d’exequatur, d’office, doit se déclarer incompétente. Les
procédures devant la CCJA, lorsqu’il est question d’arbitrage institutionnel soumis à son
égide, commande une telle rigueur qui lie en outre les parties dans la mesure où celles-ci ne
peuvent éluder la compétence de la Cour en la matière par des clauses attributives de
juridiction en faveur des juges internes.
L’autorité acquise par la sentence s’impose sur le territoire de chaque Etat Partie au
même titre que les décisions de justice rendues par les juridictions nationales. C’est à ce
niveau qu’apparaît l’originalité du Règlement d’arbitrage de la CCJA en ce sens que
son « exequatur confère à la sentence un caractère exécutoire dans toute l’espace
communautaire de l’OHADA ». Il n’est donc plus besoin de requérir l’exequatur dans
différents Etats de l’OHADA lorsque la sentence a été exequaturée par la Cour. Il faut ajouter
qu’ « il s’agit là du seul exemple à ce jour d’exequatur international 35».

34
Voir aussi l’article 27 du Règlement d’arbitrage de la CCJA.
35
Tom Amadou SECK, L’effectivité de la pratique arbitrale de la CCJA et les reformes nécessaires à la mise en
place d’un ordre juridique et judiciaire favorable aux investissements privés internationaux, Revue PENANT, n°
833, Mai à Août 2000, p. 190.

12
Au-delà, se mettent en évidence les compétences juridictionnelles de la CCJA
relativement aux voies de recours contre les sentences arbitrales36
Les compétences juridictionnelles de la CCJA relativement aux voies de recours
contre les sentences arbitrales prennent en considération les sentences rendues sur le
fondement de l’acte uniforme. C’est ainsi que l’alinéa premier de l’article 30 de cet acte
uniforme dispose que l'ordonnance qui refuse l'exequatur n'est susceptible que de pourvoi en
cassation devant la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage37. En outre, Aux termes de
l’article 25 de l’acte uniforme, la sentence arbitrale n'est pas susceptible d'opposition, d'appel,
ni de pourvoi en cassation. Elle peut faire l'objet d'un recours en annulation, qui doit être porté
devant le juge compétent dans l'Etat Partie. La décision du juge compétent dans l'Etat Partie
n'est susceptible que de pourvoi en cassation devant la CCJA. En effet, l’intervention de la
CCJA à ce niveau peut être appréhendée par la concrétisation du rôle que le Traité entend
donner à la Cour communautaire dans le contentieux arbitral du droit des affaires.
Comme à l’image de la CCJA, les juridictions nationales interviennent dans un cadre
de mise en œuvre de leur rôle de coopération et d’assistance dans le contentieux arbitral du
droit des affaires de l’OHADA.

2. Les compétences résiduelles des juridictions nationales dans le contentieux


arbitral du droit des affaires de l’OHADA

Pour une administration efficace de la justice arbitrale, le juge étatique intervient


auprès de l’arbitre dans un rôle d’assistance et de coopération. L’arbitre visé dans le dispositif
de l’OHADA n’est ni dessaisi ni mis sous tutelle. Il demeure seul juge du fond du litige alors
que le juge étatique n’a que des pouvoirs exceptionnels. De ce fait, « la contribution du juge à
l’arbitrage (…) ne s’inscrit pas dans une relation de concurrence entre la justice d’Etat et la
justice arbitrale, mais dans un rapport de complémentarité »38. L’implication du juge dans
l’arbitrage commercial est faite « dans le seul but d’en favoriser la pleine efficacité »39.
L’intervention des juridictions nationales dans la procédure arbitrale peut avoir lieu à
l’occasion de la composition du tribunal arbitral ou à l’occasion de la récusation des arbitres40.
Pour éviter des blocages dans la procédure arbitrale et la survenance de difficultés de
désignation d’arbitres, les parties vont demander au juge étatique de prendre une décision de
nomination ou de récusation.
L’intervention des juridictions nationales à l’occasion de la procédure arbitrale peut
aussi porter sur la fixation de mesures provisoires et conservatoires. Leur compétence pour
fixer de telles mesures découle de l’article 13 in fine de l’acte uniforme dont la teneur
suit : « l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu'à la demande d'une
partie, une juridiction, en cas d'urgence reconnue et motivée ou lorsque la mesure devra
s'exécuter dans un Etat non partie à l'OHADA, ordonne des mesures provisoires ou
conservatoires, dès lors que ces mesures n'impliquent pas un examen du litige au fond, pour
lequel seul le Tribunal arbitral est compétent ». C’est dans ce domaine que s’illustre le mieux
le rôle d’assistance et de coopération des juridictions nationales.

36
Il s’agit du recours en révision contre la reconnaissance de la sentence arbitrale d’une part, et les recours en
révision et en tierce opposition contre les sentences arbitrales et les arrêts de la Cour d’autre part.
37
Toutefois, l’ordonnance qui accorde l’exequatur n’est susceptible d’aucun recours.
38
Jean-Pierre ANCEL, L’arbitrage et la coopération du juge étatique, Revue PENANT 2000, n° 833, p. 172.
39
Philippe FOUCHARD, L’arbitrage judiciaire, in Etudes offertes à Pierre BELLET, Litec 1991, p. 167.
40
Article 6 de l’Acte uniforme et 22 du Traité.

13
Après le prononcé de la sentence arbitrale, les juridictions nationales interviennent
pour donner à la sentence une force exécutoire par la procédure d’exequatur. Il s’agit en
réalité de procédures d’arbitrage de droit commun ou ad hoc et des arbitrages institutionnels
non confiés à la CCJA. Ainsi, l’alinéa premier de l’article 30 de l’acte uniforme dispose que
la sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'en vertu d'une décision
d'exequatur rendue par le juge compétent dans l'Etat Partie. C’est dans ce sens qu’il revêt
l’appellation de juge de l’exequatur ou de juge étatique d’appui.
Le juge peut aussi être amené à contrôler la régularité de la sentence. De prime abord,
il faut préciser qu’il s’agit d’une intervention à l’issue d’un recours en annulation. C’est
pourquoi, sans équivoque, l’alinéa 2 de l’article 25 de l’acte uniforme dispose que la
sentence « peut faire l'objet d'un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge
compétent dans l'Etat Partie ». Dans cette même perspective, si le tribunal arbitral ayant statué
est dans une impossibilité de se réunir pour l’exercice de son pouvoir d'interpréter la sentence,
ou de réparer les erreurs et omissions matérielles qui l'affectent, la juridiction nationale
intervient en ce sens que l’article 22 in fine de l’acte uniforme dispose que si le Tribunal
arbitral ne peut à nouveau être réuni, ce pouvoir appartient au juge compétent dans l'Etat
Partie41.

CONCLUSION

A ce stade de la réflexion, il est loisible de dire que toutes ces considérations sur le
règlement du contentieux des affaires du droit OHADA permettent de risquer une sobre
conclusion. La diversité des intervenants dans ce contentieux ainsi que les différents
mécanismes pour son traitement répondent tous à une exigence de toute application efficiente
d’un droit communautaire en général et du droit des affaires de l’OHADA en particulier.
La constance qu’il sied de retenir est que la renonciation par les Etats Parties de leur
souveraineté au sommet de l’organisation judiciaire et de la consécration de la CCJA comme
une juridiction supranationale, permet à la pyramide juridictionnelle de l’OHADA de
prétendre à une cohérence d’ensemble. En effet, la CCJA peut à présent être appréhendée
comme l’institution la plus originale de l’intégration juridique et judiciaire en Afrique.
Cependant, malgré les différentes limites mises en exergue par les conflits de
compétences entre la Cour communautaire et les juridictions nationales, avec la révision du
Traité le 17 octobre 2008, seule la compétence de la CCJA pour connaître de l’application et
de l’interprétation des décisions du Conseil des ministres peut être perçue comme un rajout
dans l’article 14 organisant la répartition des compétences juridictionnelles, ce qui n’intéresse
pas particulièrement la compétence juridictionnelle de ces juridictions dans les contentieux
judiciaire et arbitral du droit des affaires de l’OHADA. Il semble que cette dernière s’est
résignée à constater que la technique du recours en cassation est une procédure qui engendre
toujours des conflits de compétences entre les différentes juridictions.
Ces situations conflictuelles dont les solutions sont loin d’être satisfaisantes font
penser à certains que la CCJA pourrait changer de posture et se recentrer sur l’arbitrage et
promouvoir sa fonction consultative42. Même si cette approche est contraire aux objectifs de
l’OHADA et à l’esprit du Traité et divorce d’avec toute opportunité, un optimisme porté par
un réalisme mesuré nous fait penser que l’OHADA, en considération de l’objectif de sécurité
41
L’article 26 du Règlement d’arbitrage de la CCJA organise, en pareille occurrence, la désignation d’un nouvel
arbitre par la Cour.
42
L. BEN KEMOUN, Les rapports entre les juridictions de cassation nationales et la CCJA de l’OHADA:
Aspects conceptuels et évaluation, Penant 860, p. 301.

14
judiciaire, rectifiera les lacunes inhérentes au règlement du contentieux des affaires du droit
OHADA.
En outre, le fait de privilégier l’arbitrage pour la résolution du contentieux né de
l’application des actes uniformes démontre nettement la prise en compte du paradigme de la
souplesse dans l’élaboration de l’infrastructure juridictionnelle43.
Ainsi, les différentes juridictions compétentes pour le règlement du contentieux des
affaires du droit OHADA doivent assimiler tous les impératifs ayant poussé le législateur
communautaire à considérer la sécurité judiciaire comme un élément incontournable.

43
A.CISSE, L’harmonisation du droit des affaires en Afrique : l’expérience de l’OHADA à l’épreuve de sa
première décennie, Revue Internationale de droit économique, 2004, p. 206.

15

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