Vous êtes sur la page 1sur 19

Ohadata D-14-14

Réflexion sur les fonctions de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de


l’OHADA

Par Placide MOUDOUDOU, Maître Assistant en Droit public,


Faculté de Droit de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville

Avant le traité instituant l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit


des affaires (OHADA) signé à Port-Louis (Ile Maurice) le 17 octobre 1993, les Etats
francophones d’Afrique au sud du Sahara appliquaient, en droit des affaires, des textes
datant généralement de la période coloniale. Or, la vétusté de ces textes, de même que
leurs insuffisances par rapport au droit économique moderne en vigueur dans les pays
industrialisés créaient dans la zone considérée une double insécurité juridique et
judiciaire ; ce qui avait eu pour conséquence, on le sait, de décourager les opérateurs
économiques internationaux à y investir1. Le traité OHADA a donc pour objet « de créer
un nouveau pôle de développement en Afrique et de (…) garantir la sécurité juridique des
activités économiques, afin de favoriser l’essor de celles-ci et d’encourager
l’investissement »2.

Dans cette perspective, une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) a été
instituée par ce traité, à côté du Conseil des ministres et du Secrétariat permanent de
l’OHADA ; Cour dont l’organisation et les compétences sont d’ailleurs "éparpillées"
dans tout le traité, alors que, par exemple, un titre est consacré aux Actes Uniformes (titre
II).

Il faut dire que le dispositif institutionnel de l’OHADA, en créant la CCJA ne


méconnaît pas le principe de la séparation des pouvoirs formulé par Locke et développé
par Montesquieu3 ; il est permis d’apercevoir, plus par commodité qu’en toute orthodoxie
de droit public, dans ces trois grandes instances, un écho de ce principe (avec les
inévitables limites que connaît ordinairement ce principe). En effet, l’article 3 du traité
pose les bases d’une organisation bicéphale, en disposant que l’OHADA « comprend un
conseil des ministres et une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ». Parce qu’il
adopte les Actes Uniformes, on peut en effet considérer que le conseil des ministres
assure le pouvoir législatif de l’OHADA, et le secrétariat permanent en constitue le
pouvoir exécutif, que la CCJA est investie d’un pouvoir judiciaire autonome.

Basée à Abidjan (Côte d’Ivoire), c’est elle qui, aux termes de l’article 14 du traité,
« assure l’interprétation et l’application communes du traité, des règlements pris pour son
application et des Actes Uniformes ». Il résulte de la lecture combinée de cette
disposition et de l’article 214 du traité OHADA que la Cour commune est une juridiction

1
Cf P.Tiger, Le droit des affaires en Afrique, PUF, Que-sais-je ?, 1999 ; G, Kenfack Douajni, Les conditions de la
création dans l’espace OHADA d’un environnement juridique favorable au développement, RJPIC 1998, p.39.
2
Préambule du traité OHADA.
3
De l’Esprit des lois, livre XI, chap.6.
4
Relatif à l’arbitrage OHADA.
1
supranationale ayant à la fois un rôle juridictionnel et des fonctions non juridictionnelles.
S’agissant de la fonction juridictionnelle l’article 14 sus-évoqué dudit traité ajoute que
« saisie par voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues
par les juridictions d’appel des Etats- parties dans toutes les affaires soulevant des
questions relatives à l’application des Actes Uniformes et des règlements … à l’exception
des décisions appliquant des sanctions pénales. Elle se prononce dans les mêmes
conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des
Etats parties dans les mêmes contentieux (…). En cas de cassation, elle évoque et statue
sur le fond ».

Quant aux fonctions non juridictionnelles de la CCJA, on les a parfois réduites à la


fonction consultative1 ; dans la présente étude, ces fonctions s’entendent comme celles
dont l’exercice « ne cherche pas à régler (un) litige par un acte juridictionnel ; d’un point
de vue formel on ne fait pas intervenir une juridiction ; d’un point de vue matériel on ne
se propose pas de déduire une solution de la stricte application du droit existant. On
cherche plus à éteindre le litige qu’à le trancher »2. Dans cet ensemble très hétéroclite,
nous y classons la fonction consultative et la fonction arbitrale3. Concernant la fonction
consultative, la CCJA peut être consultée par les juridictions nationales des Etats
membres qui souhaitent avoir des éclaircissements sur la manière d’appliquer les Actes
Uniformes ou encore sur l’interprétation desdits Actes. Elle peut aussi être consultée par
tout Etat partie qui souhaite être fixé sur l’interprétation ou l’exécution d’un Acte
Uniforme, du traité ou des règlements pris pour l’application dudit traité. Enfin, le conseil
des ministres peut également consulter la Cour commune sur toute question en rapport
avec l’interprétation et l’application du droit OHADA. Quant au système d’arbitrage
OHADA il trouve son fondement dans l’article 21 du traité selon lequel « en application
d’une clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage, toute partie à un contrat,
soit que l’une des parties ait sont domicile ou sa résidence habituelle dans un des Etats
parties, soit que le contrat soit exécuté ou à exécuter en tout ou partie sur le territoire d’un
ou plusieurs Etats Parties, peut soumettre un différend d’ordre contractuel à la procédure
d’arbitrage prévue par le traité ». Et, aux termes de l’article 1er du règlement d’arbitrage
du 11 mars 1999, la CCJA exerce des attributions d’administration : « les décisions
qu’elle prend à ce titre, en vue d’assurer la mise en œuvre et la bonne fin des procédures
arbitrales et celles liées à l’examen de la sentence sont de nature administrative ».

Comme l’indique le titre de la présente étude, l’accent sera principalement porté


sur les fonctions de la CCJA au détriment des questions relatives à son organisation;
d’autres aspects ne seront pas également évoqués, comme par exemple, ceux relatifs à la
procédure (essentiellement écrite) ou encore à sa composition. Sur ce dernier point,
notons simplement que la CCJA est composée de sept juges élus au scrutin secret par le
conseil des ministres sur une liste de personnes présentées par les Etats parties et
comprenant deux candidats au plus par Etat4. Une fois élus, les membres de la CCJA sont
inamovibles5. Ils sont élus pour sept ans, renouvelables une fois, parmi les magistrats,

1
Cf. par exemple : G. Kenfack Douajni, article précit. , p.43.
2
J. Vincent, S. Guinchard, G. Montagnier, et A. Varinard, La justice et ses institutions, Dalloz, 1996, 4e éd., p.31.
3
Cette distinction est également soutenue par L. Benkemoun, Quelques réflexions sur l’OHADA, 10 ans après le
traité de Port-Louis, Penant 2003, p.136.
4
Article 32 du traité OHADA.
5
Article 36 du traité.
2
avocats et professeurs de droit ressortissants des Etats Parties et ayant acquis au moins
quinze ans d’expérience professionnelle.

Les pouvoirs exorbitants de la Cour commune n’avaient pas suscité de vives


réactions de la part des juges des Etats Parties chargés de contrôler la constitutionnalité
des traités internationaux à la constitution, la plupart des textes constitutionnels ayant
prévus des réformes liées à l’intégration économique de l’Afrique. Au Sénégal, par
exemple, le conseil constitutionnel avait considéré que même si le traité OHADA avait
prescrit un véritable abandon de souveraineté, il ne serait pas inconstitutionnel car le
paragraphe 3 du préambule de la constitution sénégalaise dispose que « le peuple
sénégalais décide : que la République du Sénégal ne ménagera aucun effort pour la
réalisation de l’Unité africaine »1. Dans l’espace OHADA, seule la Cour suprême
congolaise avait estimé, dans un avis, que « les articles 14 al.3 , 4 et , 16, 18, 20 , 25 al.2
du traité encourent le grief de ne pas être conformes à (la constitution)… car la fonction
de juger, qu’elle soit exercée par les juridictions de première instance ou d’appel ou par
la Cour suprême, est une fonction constitutionnelle en même temps qu’elle est
l’expression de la souveraineté et de l’indépendance nationales ». Ainsi donc, « le
pouvoir de rendre exécutoire sur le territoire national une décision juridictionnelle rendue
par une juridiction étrangère ou une sentence arbitrale (leur) appartient et procède
également de la souveraineté et de l’indépendance nationales »2.

Quelle appréciation peut-on donner de l’exercice par la CCJA de ses différentes


fonctions ? Cet exercice répond-il aux aspirations des initiateurs du "projet" OHADA ?
Notre analyse, tout en étant globalement positive, n’est pas exempte de critiques et
d’inquiétudes compte tenu des pouvoirs exorbitants de la Cour d’une part et de quelques
résistances de certaines juridictions nationales d’autre part.

Faisant désormais partie du paysage juridique et judiciaire des Etats Parties, la


CCJA imprime sa " doctrine ", lentement mais sûrement, sur les juridictions et autres
institutions publiques et privées situées dans l’espace OHADA. Si cette " doctrine "
apparaît plus nettement dans sa fonction juridictionnelle, avec plus d’une cinquantaine
d’arrêts rendus (I), celle-ci commence également à prendre corps dans ses activités non-
juridictionnelles qui sont, ainsi que nous l’avons définies, consultatives et arbitrales (II).

Iére PARTIE : LA FONCTION JURIDICTIONNELLE

Quand les mêmes textes sont applicables dans un grand nombre de pays, le danger est
évidemment grand qu’ils soient appliqués de manière différente par les juridictions
nationales. Au fil des années, les interprétations peuvent être tellement différentes que les
droits deviennent, peu à peu, étrangers les uns aux autres. Les auteurs de l’OHADA ont

1
C. const. 16 décembre 1993, Penant, 1998, p.225, note A. SALL ; www.ohada/ohadata J_*. Pour la cour
constitutionnelle, béninoise, voir : C. const. 30 juin 1994, cité par B. Boumakani in, Le juge interne et l’OHADA,
Penant 2001, p.149.
2
C.S (Congo), 1er octobre 1998, Penant 2002, p.171, note MOUDOUDOU.
3
prévenu ce danger en érigeant la CCJA en juridiction de troisième degré (A) et les cours
d’appel en juge de droit commun en la matière (B).

A. LA CCJA : un troisième degré de juridiction

Aux termes de l’article 14 du traité précité : « saisie par la voie du recours en cassation, la
cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions relatives à l’application des
Actes Uniformes et des décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction
des Etats Parties dans les mêmes contentieux. En cas de cassation, elle évoque et statue
sur le fond ». Cette disposition fait bien apparaître la logique hiérarchique du traité
OHADA, la supériorité de la CCJA sur les juridictions nationales. La CCJA se prononce
donc sur les décisions rendues par les juridictions d’appel ou celles rendues en premier et
dernier ressort, conformément à l’article 13 du traité selon lequel « le contentieux relatif
à l’application des Actes Uniformes est réglé en première instance et en appel par les
juridictions des Etats Parties ».

1) La logique hiérarchique du traité

Comme le dit M. Kenfack Douajni, en disposant qu’en cassation, la CCJA évoque


l’affaire, le traité fait en quelque sorte de la cour un troisième degré de juridiction : c’est
« la Cour de cassation de tous les Etats Parties au traité OHADA ».1 Il s’agit d’une
disposition exorbitante qu’on retrouve dans très peu d’Etats ; il y a là une rupture avec le
droit interne des Etats parties, lorsque la cour suprême ou la cour de cassation, selon les
Etats, casse et renvoie devant une autre cour d’appel ou devant la même cour d’appel
autrement composée, « pour être fait droit ». Il s’agit également d’une rupture avec la
culture juridique française : curieuse innovation pour une institution considérée comme
de souche « romano-latine »2. En prévoyant à cet article 14 que la Cour statue sans
renvoi, le droit OHADA présente néanmoins l’avantage de faire gagner du temps et
d’éviter les divergences de solutions qui proviendraient des différentes cours d’appel des
Etats membres et le risque d’un second pourvoi devant la CCJA. En pratique, la cassation
sans renvoi est devenue la règle dans le contentieux judiciaire de l’application des Actes
uniformes. Ce mécanisme traduit la volonté des rédacteurs du traité d’unifier la
jurisprudence ; d’où l’intérêt de publier les arrêts de la Cour dans un recueil spécialisé
prévu à cet effet. Cette procédure du pourvoi en cassation devant la CCJA « est
caractérisée par l’hégémonie de la Cour commune », car si tous les juges internes du
fond sont placés sous la subordination hiérarchique de la CCJA, « les Cours suprêmes
nationales n’échappent pas non plus à son autorité puisqu’elles sont tenues de respecter
sa compétence d’attribution ».3 La jurisprudence est abondante en la matière : on peut
évoquer l’affaire Société Delmas Vieljeux Côte d’Ivoire contre la CIVEXIM du 30
janvier 2003 dans laquelle la CCJA a cassé et annulé une ordonnance du 1er février 2002
rendue par la juridiction présidentielle de Côte d’Ivoire ; après avoir évoqué et statué à
nouveau, elle rejette la demande de délai de grâce formulée par la CIVEXIM au motif

1
Art. précit, p. 43
2
Cf Kéba Mbaye, L’histoire et les objectifs de l’OHADA, LPA, 13 octobre 2004, N°20 (spécial)), p.4 ; Ph Tiger,
op.cit ; p.34 ; J Pailluseau, Le droit de l’OHADA, un droit très important et original, JCP, cahier de l’ Entreprise,
2004, n°5, p.1.
3
C. Inès Feviliye-Dawey, la problématique de l’interprétation et de l’application d’un droit commun : l’exemple du
droit des affaires en Afrique francophone, Penant 2004, p.136.
4
que « si l’article 39 de l’Acte uniforme relatif (aux voies d’exécution) permet de reporter
ou d’échelonner le paiement des sommes dues par le débiteur dans l’hypothèse où celui-
ci est poursuivi en recouvrement de créance, ledit article ne prévoit nulle part que la
juridiction compétente puisse ordonner le maintien dans les lieux loués d’un débiteur à
l’encontre duquel a été rendue une décision d’expulsion passée en force de chose
jugée »1. De même, en court la cassation pour manque de base légale, l’ordonnance du
premier président de la Cour d’appel (d’Abidjan) qui se borne à dire que « le jugement
non assorti de l’exécution provisoire bien que constitutif de titre exécutoire en ce qu’il
comporte de titre exécutoire, n’est pas un titre exécutoire par provision. Dès lors c’est
par mépris que la demanderesse a entrepris d’exécuter le jugement dont elle est
bénéficiaire, l’appel dont il se trouve frappé étant suspensif » alors que ladite exécution
était poursuivie en vertu d’un jugement contradictoire revêtu de la formule exécutoire
avec production d’un certificat de non appel émanant du greffe du (TGI d’Abidjan)2.

Le dispositif de l’OHADA fait que les juges internes sont encadrés par la CCJA qui est
donc une cour régulatrice ; comme on le voit, elle se substitue à la Cour suprême des
Etats membres, elle peut réformer les décisions des juges du fond ayant mal interprété le
texte supranational. En acceptant d’abandonner ainsi une partie de leur souveraineté au
plan judiciaire, « les Etats signataires du traité ont entendu faire de la cour commune de
justice et d’arbitrage une sorte de conseil de sages à l’africaine, dont les décisions
s’imposent à l’ensemble des Etats parties au traité OHADA »3.

Conformément à l’article 15 du traité, lorsque la saisie est faite directement par l’une des
parties à l’instance, le recours est présenté au greffe dans les deux mois de la signification
de la décision attaquée, par l’avocat du requérant4. La CCJA est très attentive aux
conditions de recevabilité de la requête5. Lorsqu’elle est saisie par une juridiction
nationale statuant en cassation, qui lui renvoie le soin de juger une affaire soulevant des
questions relatives à l’application des Actes uniformes, cette juridiction est
immédiatement dessaisie (art. 16 du traité).

Une précision s’impose, notamment quant aux termes de l’article 18 du traité selon lequel
« toute partie qui, après avoir soulevée l’incompétence d’une juridiction nationale
statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu
la compétence (de la CCJA) peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à
compter de la notification de la décision contestée… » ; le juge communautaire a précisé
que le recours en annulation sur le fondement de cet article, contre un arrêt rendu par une

1
CCJA, N°002, 30 janvier 2003, Rec de jurisprudence OHADA n°1, Jan-Juin 2003, P.36 Cf aussi CCJA, N°002 du
30 janvier 2002, Sté PMU-Mali c/ Konel, Penant 2003, p.230.
2
CCJA, N°003, 30 janvier 2003, Agence Bazzi Voyage c/ société Wedowel, Rec. précité, p.41. Voir également :
CCJA, N°007, 24 avril 2003, CI. Télécom c/ société Publistar, Rec. P.45 ; CCJA, N°10, 19 juin 2003, M et Mme
Delpech c/ soctété SOTACI, Rec.p.49.
3
G. Kenfack Douajni, art précit, p.44.
4
Cf par exemple : CCJA, du 24 avril 2003, CAMCI c/ AMSCI, M. Ouattara et autres, Rec., N°01, Jan –Juin 2003,
p5 ; CCJA N°12, 19 juin 2003, SEHI Hollywood S.A c/ SGBC, Rec.p.13 ; CCJA N°14, 19 juin 2003, SOCOM SAR
c/ BEAC et BGBC, Rec. p. 19.
5
CCJA, 11 octobre 2001, SA Aminou et autres c/ CCEI Bank, Penant 2003, p.224.
5
juridiction nationale statuant en cassation, n’est recevable qu’à la condition que
l’incompétence de ladite juridiction ait été soulevée au préalable devant celle-ci1.

2) L’autorité de la chose jugée et la force exécutoire des arrêts de la CCJA.

Elles sont prévues à l’article 20 du traité OHADA : « les arrêts de la Cour commune de
justice et d’arbitrage ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent
sur le territoire de chacun des Etats parties une exécution forcée dans les mêmes
conditions que la décision des juridictions nationales. Dans une même affaire, aucune
décision contraire à un arrêt de la (CCJA) ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur
le territoire d’un Etat Partie ». L’autorité de la chose jugée attachée à ces arrêts signifie
que, sous réserve des voies de recours, la même chose ne peut être jugée entre les mêmes
parties dans un autre procès. C’est ce que confirment les articles 47 et 49 du Règlement
qui n’autorisent que les voies de recours extraordinaires de la tierce opposition et la
révision.

Selon certains auteurs2, il eût mieux valu dire « force de chose jugée » ce qui signifie que
la décision revêtue d’un tel caractère ne peut plus être attaquée par aucun recours
suspensif, ce qui est le cas des arrêts de la CCJA. Cette dualité d’expression est nettement
définie en droit français3.

Comme on le sait, l’autorité de la chose jugée s’applique dans tous les Etats membres
sans qu’il soit besoin de recourir à une convention d’entraide judiciaire. L’article 20 du
traité, complété par les articles 42 et 46 du Règlement, qui disposaient respectivement
que l’arrêt a force obligatoire, c’est-à-dire exécutoire, à compter du jour du prononcé, et
que la formule exécutoire est apposée sans autre contrôle que celui de la vérification de
l’authenticité du titre par l’autorité nationale de chaque Etat partie, déterminent cette
« formule exécutoire ». On note donc une différence de traitement avec la sentence
arbitrale rendue sous le contrôle de la CCJA qui requiert une décision nationale
d’exequatur.

Au total, le juge communautaire exerce un imperium supranational, mais cet imperium


n’est que partiel car, comme nous l’avons dit, l’apposition de la formule exécutoire est
nécessaire.

Par ailleurs, les termes de cet article 20 du traité laisse penser que la jurisprudence
de la CCJA peut être considérée comme une source du droit OHADA, à côté du traité,
des Actes uniformes, des règlements et autres textes, même si l’attitude du juge
communautaire semble, dans la phase actuelle, guidée par la prudence4. En effet, il
accorde une importance particulière à la méthode classique d’interprétation ; cette fidélité
aux textes de l’OHADA s’est traduite de la manière la plus nette dans le célèbre arrêt

1
CCJA n°009, 24 avril 2003, Hyjazisamith , Rec.ohada, 2003, p.7.
2
J. Lohoues-Oble, commentaire du traité OHADA, ed. Juriscope, 2002 (voir art. 20).
3
Articles 1350 du Code civil et 500 du NCPC.
4
C. Sietchoua Djuitchoko, Les sources du droit de l’OHADA, Penant, 2003, p.174
6
Epoux Karnib contre S.G.B.C.I dans lequel il avait réaffirmé règle énoncée à l’article 10
du traité1.

En outre, il est permis de penser que l’autorité des décisions de la CCJA s’impose non
seulement aux juridictions nationales des Etats Parties mais également à certaines
juridictions communautaires sous régionales comme la Cour de justice de la communauté
économique et monétaire de l’Afrique centrale (CJCEMAC) instituée par le traité de
Libreville du 5 juillet 1996. En effet, aux termes des articles 4 et 5 du Règlement de la
CEMAC relatif à la Charte des Investissements « les Etats membres (de la CEMAC)
veillent à promouvoir la sécurité juridique et judiciaire, à renforcer l’Etat de droit (…).
Ils adhèrent au traité de l’OHADA. Ils garantissent l’application des procédures et des
arrêts de la Cour commune de justice et d’Arbitrage de cette institution régionale. Ils
adaptent leur droit national et leur politique judiciaire aux règles et dispositions de
l’OHADA » et, « les Etats membres s’efforcent de former les juges au traitement des
affaires commerciales, et si possible, y spécialiser certaines juridictions (tribunal de
commerce …). Ils veillent à l’exécution diligente des décisions de justice ». Or sachant
que la CJCEMAC a l’obligation de « veiller au respect des droits et obligations qui
découlent du traité (CEMAC) et des Actes pris en vertu du traité » (dont la Charte des
Investissements), celle-ci doit par conséquent exercer ses compétences « d’harmonisation
des jurisprudences » des Etats membres2 en veillant aussi que ces juridictions
nationales respectent bien l’interprétation donnée par la CCJA du droit procédural de
l’OHADA. D’autres part le « traitement des affaires commerciales » par le juge national
visé à l’article 5 de la Charte des investissements semble concerné aussi bien le droit des
affaires de la CEMAC que celui de l’OHADA. Et, en disposant à l’article 24 alinéa 2 de
l’additif au traité de la CEMAC relatif au système institutionnel et juridique de la
communauté du 5 juillet 1996 que « l’exécution forcée des décisions de la CEMAC est
régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l’Etat sur le territoire duquel
elle a lieu », le droit de la CEMAC, dont la violation est sanctionnée notamment par la
CJCEMAC, renvoie en réalité au droit OHADA puisque les Etats membres de la
CEMAC appliquent l’Acte uniforme sur les voies d’exécution et le recouvrement forcé
de l’OHADA. Ainsi la CCJAMAC devient comme une juridiction "tampon" entre la
CCJA et les Cours d’appel dans l’espace CEMAC

B. Les cours d’appel : juges de droit commun du droit OHADA

C’est essentiellement par la fonction juridictionnelle que le traité OHADA assure


l’efficacité de l’imbrication des ordres juridiques communautaire et national. C’est, en
effet, au juge que revient le soin de garantir les deux caractéristiques qui gouvernent
l’OHADA et qui tirent leur origine de l’article 10 du traité, à savoir : d’une part,
l’application directe et obligatoire des Actes Uniformes dans les Etats Parties et, d’autres
part, leur primauté sur les dispositions internes antérieures et postérieures. Tant l’effet
direct de l’OHADA que sa primauté interpellent avant tout le juge interne. C’est lui qui,
avant la CCJA garanti la primauté de la norme communautaire sur la règle nationale. Son

1
CCJA, 11 octobre 2001, Rev. Cam. Droit des affaires, n°10, spécial CCJA, janvier-mars 2002, p.72 et s. voir
également deux arrêts du même jour (ETB c/ CFCF ; Emile Wakin c/ société Langold) cité par C. Sietchoua
Djuitchoko, art. précité, p.174.
2
Article 2 du traité de la CJCEMAC.
7
rôle est donc essentiel, il ne doit pas aboutir à l’institution de diverses interprétations de
OHADA

1) Des juges d’appel assurant la primauté du droit uniforme

La lecture de l’article 13 du traité indique que le droit OHADA ne vise pas tout juge
interne, il s’intéresse en particulier au juge du fond ; il en fixe les contours en ces
termes : « le contentieux relatif à l’application des Actes Uniformes est réglé en
première instance et en appel par les juridictions des Etats parties ». Le juge interne du
fond est ainsi érigé en juge de droit commun des normes OHADA. Il est placé sous la
subordination hiérarchique de la CCJA qui, ainsi qu’on l’a dit, exerce son contrôle
notamment par la cassation sans renvoi.

L’applicabilité directe qui est reconnue au droit OHADA et qui lui permet de créer
directement des obligations au profit des particuliers a pour double conséquence que ces
particuliers puissent se prévaloir de ces droits ou de ces obligations devant les juges
internes et ceux-ci ont l’obligation d’en assurer le respect, comme l’illustrent bien les
exemples ci-après.

La Cour d’appel de Douala (Cameroun) dans l’affaire Société SOCCIA qui l’opposait à
la Banque Africaine de Développement (BAD) à propos d’un contrat de prêt, infirme, le
15 mai 2000, l’ordonnance de référé en ce que la mesure provisoire accordée n’avait pas
été suivie d’une mise en œuvre par la banque, en vue de l’obtention d’un titre exécutoire
contre sa débitrice. Le juge d’appel camerounais fait ici application de l’article 61 alinéa
1er de l’Acte uniforme sur les procédures de recouvrement simplifiées et voies
d’exécution qui impartit un délai d’un mois à peine de caducité, au créancier bénéficiaire
d’une saisie conservatoire (comme la BAD en l’espèce) pour introduire ou accomplir les
formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire1. La Cour d’appel de Port-Gentil
au Gabon avait aussi fait application de ces dispositions : « considérant que l’article 10
du traité OHADA dispose que les Actes uniformes sont directement applicables et
obligatoires dans les Etats Parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne,
antérieure ou postérieure ; considérant qu’en vertu du principe de l’effet immédiat de ces
actes, les baux commerciaux en cours avant le 1er janvier 1998 sont désormais régis par
les dispositions de l’Acte uniforme relatif au droit commercial qui abroge la loi française
de 1926 applicable au Gabon et ayant le même objet ; qu’en définitive, la société Kossi
bénéficie du régime des baux commerciaux institué par l’Acte précité ».2

Quelques mois auparavant, la même cour d’appel de Port-Gentil, dans une autre affaire,
infirmait par un arrêt du 28 avril 1999, l’ordonnance qui autorisait la société CAGRINO à
pratiquer une saisie conservatoire sur un certain nombre d’engins appartenant à la société
E.F.G. pour garantir une créance évaluée à 254 millions de F.CFA. Le juge d’appel fonde
sa décision sur l’article 54 de l’Acte Uniforme relatif aux procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution. Cet article dispose, en effet, que toute personne
dont la créance paraît fondée en son principe peut, par requête, solliciter de la juridiction

1
C.A Douala, 15 mai 2000, Société SOCCIA, Rev. Cam droit des affaires, Jan-Fév 2001, N°12, Note G. Kenfack
Douajni ; www.ohada.com/ohadata J-
2
C.A. Port-Gentil, 9 décembre 1999, Société Kossi, Penant 2001, p .345 ; www.ohada.com/ohadataJ-
8
compétente, l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur tous les biens
mobiliers corporels ou incorporels de son débiteur, sans commandement préalable, si elle
justifie de circonstances de nature à en menacer le recouvrement. Or sur ce péril dans le
recouvrement, le juge d’appel gabonais observe que la société CAGRINO se borne à
affirmer qu’elle est créancière de la société E.F.G. sans apporter la preuve aux débats du
péril ou de la menace pesant sur le recouvrement de sa créance1.

La Cour d’Appel de Niamey (Niger) pour sa part s’était fondée sur les articles 10, 12 et
314 de l’Acte uniforme sur les Sociétés commerciales et GIE pour denier la qualité
d’associé à une société à responsabilité limitée aux requérants qui demandaient
l’annulation de la décision par laquelle le gérant de la société refusait de présenter son
rapport de gestion.2

Les magistrats composant ces juridictions d’appel sont soumis à un « devoir » de


connaissance et de maîtrise du droit de l’OHADA ; car autant les cours d’appel sont
soumis au contrôle hiérarchique de la CCJA, autant celles-ci exercent, mutatis mutandis,
le même pouvoir auprès des juridictions inférieures. C’est dans cette optique que les
rédacteurs du traité ont institué une Ecole régionale supérieure de la Magistrature
(ERSUMA). Selon les termes de l’article 41 du traité, cette Ecole concourt « à la
formation et au perfectionnement des magistrats et des auxiliaires de justice des Etats
Parties ». Le choix ainsi opéré est une garantie de la bonne application du droit unifié
par les juridictions nationales du fond car le personnel judiciaire est formé de la même
façon et dans les mêmes conditions, quelque soit le pays auquel il appartient. Mieux la
formation et le perfectionnement ne concernent pas seulement les magistrats mais aussi le
personnel judiciaire et para judiciaire. Mais, tout risque d’interprétations contradictoire
est pour autant exclu.

2) Un droit susceptible de multiples interprétations

Comme le dit Mme Feviliye-Dawey3, la possibilité d’une pluralité d’interprétations


autonomes des Actes uniformes n’est pas à exclure totalement. En effet, ce n’est pas
l’existence d’une cour supranationale intervenant au stade de la cassation qui peut
résoudre le problème de la divergence d’interprétation, car d’une part, des pourvois en
cassation ne sont pas toujours formés pour diverses raisons par les justiciables4, ceux de
l’espace OHADA pouvant de plus être rebutés par l’obligation de former leur pourvoi
avec le supplément de coût que cette démarche engendre ; d’autre part, le traité de
l’OHADA ne prévoit pas de pourvoi dans l’intérêt de la loi. Les jurisprudences
ivoirienne, camerounaise et congolaise l’attestent dans une certaine mesure.

En effet, les juges ivoiriens et camerounais avaient été saisis sur la question de savoir
que faut-il entendre par « juridiction compétente, notamment en matière d’expulsion et de
résiliation d’un bail commercial » ? S’agit-il du juge des référés ou d’un tribunal ? En
outre, l’existence sur la désignation de la juridiction compétente ? Ces questions revêtent

1
CA. Port-Gentil, 28 avril 1999, Société E.F.G ; Penant 2001, p.144
2
C.A Niamey, 8 décembre 2000, Sanak Dan Nona c/ Hamidou Abou, www.ohada.com/ohadata J-
3
Feviliye – Dawey, art précit, P. 138.
4
Cf. M.F sawadogo…
9
une grande importance car dans la pratique, les juges connaissent des difficultés quant à
l’application des Actes uniformes, de sorte que certains continuent malheureusement
d’appliquer, dans certains cas, le droit antérieur, contrairement à l’esprit et à la lettre de
l’OHADA1.

En Côte d’ivoire, dans une 1ère espèce2, la Cour suprême (sans doute parce que le bail
avait été conclu avant la mise en œuvre de l’Acte uniforme sur le droit commercial
général avait cassé le 6 avril 2000 l’arrêt qui confirmait une ordonnance de référé
expulsant pour non paiement de loyers, la société S. et Dame AJ, sa gérante, des locaux
de AF qu’elles occupaient pour leurs activités commerciales. La Haute Cour a affirmé
« qu’en assignant la sociétés S. devant la juridiction des référés qui a statué par
ordonnance, AF a saisi une juridiction incompétente » dans la mesure où l’article 101 de
l’Acte uniforme sur le droit commercial général, disposition d’ordre public sur laquelle
AF déclare fonder sa demande, précise que la résiliation doit être prononcée par un
jugement. En d’autres termes, le juge des référés n’a pas compétence pour ordonner
l’expulsion d’un locataire bénéficiaire d’un bail commercial, même si celui ne conteste
pas devoir des loyers ; la compétence étant désormais dévolue, aux termes de l’article
101 de l’Acte uniforme précité, au tribunal et non au juge des référés.

Et pourtant dans la 2ème espèce3 la même juridiction rend le 15 mars 2001 une décision
contraire. La Cour suprême rejette le pourvoi formé par Dame B. contre un arrêt de la
Cour d’appel d’Abidjan confirmant une ordonnance de référé expulsant celle-ci des lieux
où elle exerçait son activité, pour non-paiement de loyers également, en jugeant que « La
Cour d’appel a donné une base légale à sa décision en retenant la compétente du juge des
référés » aux motifs que le contrat a été déjà résilié par l’effet de la clause résolutoire
qu’il contient. Le juge de référés est compétent pour expulser le locataire d’un bail
commercial résilié du fait d’une clause résolutoire, dans la mesure où il ne fait que
constater cette résiliation, qui s’est opérée en dehors de lui4 .

L’embarras dans lequel se trouvent les juges ivoiriens se rencontre également chez leurs
collègues du Cameroun. Dans une 1ère espèce5, la Cour d’appel de Douala estime que « le
double délai imposé au demandeur en résiliation et expulsion permet d’attester que la
procédure tendant à cette fin n’est pas une procédure d’urgence, d’où l’incompétence du
juge des référés à connaître de la résiliation et de l’expulsion dans un bail commercial ».
Dans la 2ème espèce6, il apparaît que le juge des référés est compétent pour prononcer
l’expulsion d’un locataire commerçant toutes les fois que le contrat renferme une clause
résolutoire. La compétence juridictionnelle dépendrait de l’existence ou non d’une clause
résolutoire : tantôt la juridiction compétente serait le tribunal, tantôt le juge de référés.

Au regard de ce qui précède, il ressort que les juridictions ivoiriennes et camerounaises


refusent de faire produire effet aux dispositions impératives de l’Acte uniforme sur le

1
J. Lohoues-oblé, Innovations dans le droit commercial général, LPA 13 octobre 2004, n°spec, OHADA, p.17.
2
Cour suprême de Côte d’Ivoire, 6 avril 2000, Arrêt N°209, in Ecodroit n°5, novembre 2001, p.24. Voir également
dans ce sens ; C.A, Abidjan, 20 mars 2001, Arrêts n°331 et 334, cité par J. Lohoues-Oblé, art. precit., p.17.
3
Cour suprême de Côte d’Ivoire, 15 mars 2001, Arrêt n°136, in Ecodroit n°5, Novembre 2001, p.25
4
Sur le commentaire de ces décisions : voir J. Lohoues-Oles, art. prcit. P.17.
5
C.A. Littoral-Douala, 27 décembre 1999, Arrêt n°27, in Rep. Cam. Droit des affaires Rev, p.41
6
C.A Centre, 10 mars 2000, Arrêt N°208, in 200, Cam. Droit des affaires 2000, p.54
10
droit commercial général (articles 101 et 102) dont l’économie est de soustraire la
résiliation du bail commercial de la volonté des parties pour la soumettre au contrôle du
juge toutes les fois que le contrat comporte une clause résolutoire. Et, l’avis de la CCJA
du 4 juin 2003 selon lequel « il incombe à la juridiction nationale, saisie d’une demande
de résiliation du bail commercial, de rechercher dans les règles du droit interne de son
Etat si elle est compétente rationnelle materiae pour connaître de ladite demande, étant
précisé que le terme « jugement » est utilisé à l’article 101 de l’Acte uniforme dans son
sens générique et désigne toute décision de justice »1 n’est pas de nature à résoudre toutes
les difficultés en la matière. L’inquiétude s’amplifie lorsqu’à la lecture d’un arrêt de la
cour suprême congolaise l’on note que celle-ci casse un arrêt de la Cour d’appel de
Pointe-Noire du 30 juillet 2003 par lequel le juge d’appel avait écarté l’application de la
loi nationale2 au profit du droit international, en l’occurrence l’article 32 de l’Acte
uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et aux voies d’exécution
provisoire. Pour la Haute juridiction congolaise, « en présence d’un droit supra-national
ayant institué une juridiction de cassation supra-national, l’applicabilité ou
l’inapplicabilité de la loi nationale aux cas d’espèce qui sont soumis aux juridictions
nationales demeurent du ressort de la loi nationale »3.

Comme le dit Mme Lohoues-Obles, face à ces situations gênantes, il serait souhaitable
que les juges harmonisent leurs différentes positions afin d’avoir une interprétation
unique des mêmes textes ; « cette tâche revient à la CCJA, car il y va des objectifs
poursuivis par l’OHADA »4.

1
CCJA, Avis n°1/2003 du 4/6/2003, Rec OHADA, p.59.
2
Article 86 du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière.

Cour suprême du Congo , 28 novembre 2003, Société Novel Commodités, Arrêt N°28
4
J. Lohoues-Obles, art. precit., p.18
11
IIe PARTIE : LES FONCTIONS NON JURIDICTIONNELLES

S’il est fréquent qu’une juridiction exerce, une fonction consultative, il est par contre
exceptionnelle qu’elle soit en plus un centre d’arbitrage. En ce sens, la CCJA apparaît
comme « une curiosité juridique », voulue par les Etats Parties et joue alors un tout autre
rôle au sommet d’un mécanisme d’arbitrage facultatif mais résolument international.

Cet arbitrage institutionnel est en effet fondé sur une convention internationale ; or il est
rare qu’un arbitrage institutionnel soit régi par un traité, surtout s’il s’agit d’un arbitrage
purement commercial. Ensuite, pour le détail des règles de procédure, le traité OHADA a
renvoyé à un règlement d’arbitrage. Mais ce règlement a lui-même été adopté par le
conseil des ministres de l’OHADA, et relève donc, lui aussi du droit international public1.
Par son organisation, le système d’arbitrage de la CCJA est totalement autonome (B) de
la fonction consultative (A).

A . La fonction consultative

La fonction consultative de la CCJA se retrouve dans l’élaboration des Actes uniformes


et dans l’application du traité, de ses règlements et des Actes uniformes. Ainsi, selon
l’article 6 du traité « les Actes Uniformes sont préparés par le Secrétariat Permanent en
concertation avec les gouvernements des Etats Parties. Ils sont délibérés et adoptés par le
conseil des ministres après avis de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage ». La
CCJA dispose donc d’une prérogative dont ne bénéficie pas, par exemple, les parlements
nationaux qui sont écartés de cette procédure législative. De ce point de vue, l’OHADA
n’est pas un organisme suffisamment démocratique.

Cette première fonction consultative ne soulevant pas, à notre avis, trop de difficultés,
nous nous intéressons plutôt à la seconde fonction consultative prévue à l’alinéa 2 de
l’article 14 du traité selon lequel la CCJA peut aussi être consultée sur toute question
relative à l’interprétation et à l’application du droit OHADA. Autrement dit, il peut être
demandé à la Cour de formuler un avis sur ces questions ; cette demande d’avis pouvant
émaner des juridictions nationales, d’un Etat membre ou du Conseil des ministres2 cette
fonction consultative doit être illustrée et analysée, notamment par rapport à d’autres
juridictions communautaires.

1) Illustrations

La fonction consultative résultant de l’article 14 du traité sera illustrée à partir de trois


avis suffisamment représentatifs nous avons que :
- La CCJA a été saisie pour déterminer la juridiction pouvant connaître de l’action
en résiliation du bail commercial au sens de l’article 101 de l’Acte uniforme
portant sur le droit commercial général. Elle a émis l’avis que sauf si les Actes
uniformes ont eux-mêmes fixé des règles propres de procédure qui ont

1
Ph. Fouchard, Le système d’arbitrage de l’OHADA : le démarage, LPA 13 octobre 2004, n° spécial OHADA,
p.54.
2
Elle doit formuler en termes précis, la question sur laquelle l’avis de la Cour est sollicité (art. 52 du Règlement de
procédure de la cour).
12
spécialement désigné les juridictions compétentes pour statuer sur les différends
nés de leur application, la détermination de « la juridiction compétente » relève du
droit interne et en particulier de l’organisation judiciaire de chaque Etat Partie ;
« en conséquence (…) il incombe à la juridiction nettement saisie d’une demande
de résiliation du bail commercial, de rechercher dans les règles du droit interne de
son Etat si elle est compétente rationae materiae pour connaître de ladite demande
étant précisé que le terme « jugement »est utilisé à l’alinéa 5 dudit article dans son
sens générique et désigne toute décision de justice »1.
- En 1999, elle s’était prononcée sur le régime juridique des nullités prévues par
l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement
et des voies d’exécution. Elle devait d’abord dire si ce régime fait référence au
droit commun des nullités qui confère aux juges, dans tous les cas, un pouvoir
d’appréciation en considération du préjudice que l’irrégularité est de nature à
causer à la personne qui l’invoque. Elle devait ensuite dire si la juridiction des
urgences est compétente pour connaître des cas de nullité affectant un acte de
dénonciation de saisie avec assignation en validité de celle-ci, eu égard justement
à la saisine de la juridiction du fond qu’emporte cet acte. Elle avait répondu que
cet Acte Uniforme a expressément prévu que l’inobservation de certaines
formalités prescrites est sanctionnée par la nullité. Toutefois, pour quelques unes
de ces formalités limitativement énumérées, cette nullité ne peut être prononcée
que si l’irrégularité a eu pour effet de causer un préjudice aux intérêts de celui qui
l’invoque. Hormis ces cas limitativement énumérés, le juge doit prononcer la
nullité lorsqu’elle est invoquée s’il constate que la formalité prescrite à peine de
nullité n’a pas été observée sans qu’il soit alors besoin de rechercher la preuve
d’un quelconque préjudice. Et, de l’interprétation combinée des articles 49, 62, 68
et 144 de cet Acte Uniforme, il résulte que la juridiction des urgences, telle que
déterminée par l’organisation judiciaire de chaque Etat membre de l’OHADA, est
compétente pour connaître des cas de nullité affectant un acte de dénonciation de
saisie avec assignation en validité de celle-ci2.
- On peut encore évoquer l’avis du 30 avril 2001 portant sur l’application directe
des Actes uniformes (article 10 du traité) et son effet abrogatoire sur le droit
interne. Le juge communautaire a, en substance, répondu que l’article 10 du traité
OHADA contient une règle de supranationalité parce qu’il prévoit l’application
directe et obligatoire dans les Etats Paries des Actes uniformes nonobstant toute
disposition contraire en droit interne, antérieure ou postérieure ; cet article 10
contient bien une règle relative à l’abrogation du droit interne par les Actes
uniformes, et cette abrogation concerne également les dispositions du droit interne
identiques à celles des Actes uniformes3

Les avis de la CCJA posent des problèmes pratiques et théoriques tenant notamment à
leur nature et leur portée, même si leur autorité de fait est indéniable sur les juridictions
internes. Le traité OHADA, tout comme le règlement de procédure de la cour n’apportent
pas de réponse formelle. Ils ont, par contre une filiation ou des traits communs avec la

1
CCJA, Avis, 4 juin 2003, Rec.2003,P.59
2
CCJA, Avis, 7 juillet 1999, www.ohada.com/ohadata J-; voir également, sur saisine du Sénégal : CCJA, Avis, 26
avril 2000, www.ohada.com/ohadataJ
3
CCJA, avis 2001, www.ohada.com/ohadataJ-.
13
technique du renvoi préjudiciel de l’article 234 du traité sur l’Union européenne (ancien
article 177 de la CEE) qui est la procédure par laquelle la juridiction nationale peut ou
doit saisir le juge communautaire sur une question de droit dont dépend la solution du
litige, et celle relative aux avis contentieux institués devant la Cour de cassation ou le
Conseil d’Etat français.

2) Avis consultatifs de l’OHADA et renvoi préjudiciel devant la CJCE

Si les deux procédés sont proches l’un de l’autre au regard des conditions de mise en
œuvre du renvoi préjudiciel et des conditions tenant à la procédure, il en va tout
autrement quand on s’intéresse aux effets respectifs de l’arrêt préjudiciel dans la
Communauté européenne et de l’avis consultatif à l’OHADA. En effet, s’agissant des
conditions de mise en ouvre du renvoi préjudiciel, à l’OHADA comme à la Communauté
européenne, pour que le renvoi soit possible il faut d’abord qu’il soit effectué par une
juridiction nationale et qu’ensuite que la juridiction statue dans le cadre d’une procédure
destinée à une décision juridictionnelle. Ensuite à propos des conditions tenant à la
saisine, il s’agit à l’OHADA comme à l’Union européenne, d’une procédure de « juge à
juge » : la juridiction nationale étant seule compétente pour saisir la Cour, les parties au
litige ne pouvant le faire.

Enfin, il apparaît nettement une différence quant aux effets de l’avis consultatif de
l’OHADA et de l’arrêt préjudiciel de la CJCE. L’avis consultatif de l’OHADA n’a pas
juridiquement le même effet, même si son autorité de fait à l’égard du juge interne est
indéniable ; or l’arrêt préjudiciel a une force obligatoire et, à ce titre, il s’impose au juge
interne de renvoi qui doit l’appliquer dans l’instance communautaire. Cette différence par
rapport aux effets limite significativement le rapprochement entre l’avis consultatif de
l’OHADA et l’arrêt préjudiciel dans le cadre de l’Union européenne.

3) Avis consultatif de l’OHADA et avis contentieux du Conseil d’Etat français.

On sait que pour assurer la coordination rapide des façons de juger des tribunaux et cours
administratifs et, en même temps, d’exercer une action de prévention de la contestation
des jugements qui sont rendus et des litiges eux mêmes, il avait été institué devant le
Conseil d’Etat français la technique de la « saisine pour avis ».1 Elle permet au juge de
fond, lorsqu’il éprouve des hésitations sur l’interprétation d’un nouveau texte, de saisir
directement la juridiction suprême pour qu’elle donne un avis tout de suite, avant même
que l’affaire n’ait été jugée en dernier ressort.

Ces deux procédés, qui sont l’un et l’autre à la disposition des juges puisqu’ils échappent
à l’initiative des parties s’opposent quant aux conditions de saisine alors que sur la portée
des avis, tout tend à les reprocher. S’agissant des conditions de saisine, deux conditions
de fond sont posées en France alors qu’à l’OHADA aucune condition n’est prévue. La
procédure de « saisine pour avis »permet à la juridiction suprême de se prononcer par un

1
Loi du 31 décembre 1987. Cette procédure existe aussi devant la Cour de cassation (loi du 15 mai 1991).
14
« avis » sur les questions de droit nouvelles présentant une difficulté sérieuse et se posant
dans de nombreux litiges1.

Quant à la portée de l’avis, elle est la même dans l’un et l’autre cas. Il ne s’agit que d’un
simple avis ; formellement le juge de fond n’est jamais obligé de suivre cet avis. Et par
ailleurs, cet avis ne lie pas davantage les plaideurs. Pourtant, quel est le juge de fond qui,
après avoir demandé cet avis auquel il aura été répondu, osera se prononcer en sens
contraire et s’exposer ainsi à une éventuelle cassation ? Par leur autorité de fait, les avis
consultatifs de l’OHADA renferment un ferment de hiérarchisation dans la mesure où la
CCJA, au lieu de dire le droit à l’occasion d’une affaire déterminée, intervient comme
une autorité supérieure pour dire aux juges de fond comment ils devraient interpréter le
droit OHADA. Comme le dit M. Boumakani, « il y transparaît un relent de « directive »
qui prend ici un relief particulier dans un contexte où déjà la logique hiérarchique prime
dans les relations entre la Cour commune de justice et d’arbitrage et le juge de fond avec
la cassation sans renvoi »2. Comme les avis, l’arbitrage OHADA présente des
particularités.

B. La fonction arbitrale

L’article 21du traité OHADA laisse aux parties le choix de soumettre leur différend à
« l’arbitrage OHADA » ou à tout autre : une grande place est ainsi laissée à la volonté
des parties. Dès lors, il y a survie des lois nationales sur l’arbitrage, ainsi que l’indiquent
les dispositions des articles 16 et 17, alinéa 1er du Règlement d’arbitrage : les règles
applicables à la procédure devant l’arbitrage sont celles qui résultent du présent
règlement et, dans le silence de ce dernier, celles que les parties ou, à défaut, l’arbitre,
déterminent en se référant ou non à une loi interne de procédure applicable à l’arbitrage.
L’article 21 du traité reconnaît donc aux parties la faculté de choisir la procédure qui sera
appliquée : l’arbitrage OHADA, la loi nationale ou l’Acte Uniforme sur l’arbitrage ;
cependant, une fois le choix de cette procédure fait, des exigences de formes s’imposent
aussi bien aux parties qu’aux arbitres.

On s’éloigne des principes dégagés dans d’autres organisations d’intégration comme la


Conférence interministérielle du marché des assurances (CIMA) qui retire aux Etats
signataires toute compétence nationale relative au droit des assurances3. Le choix du
législateur OHADA ne semble donc pas contribuer efficacement à l’œuvre
d’harmonisation voulue. A cet égard, il est regrettable que le Sénégal par exemple, cinq
ans après le traité posant les fondements d’un système harmonisé d’arbitrage, ait cru bon
d’édicter en 1998 une loi et un décret sur l’arbitrage4, en partie contraires, en partie en
harmonie avec l’Acte uniforme sur l’arbitrage5. Par conséquent, il convient de déterminer
le champ d’application de l’arbitrage OHADA (1) avant d’en faire une analyse
critique(2).

1
Cf F. Brenet, A. Claeys, La procèdure de saisine pour avis du CE: pratique contentieuse et influence en droit
positif, RFDA 2002, p. 525.
2
B. Boumakani, Le juge interne et le droit OHADA Penant 2002, P.146.
3
Art. 43 et S. du traité CIMA.
4
Loi N°98-30 du 14 avril 1998 sur l’arbitrage, J.O. Sénégal, 24 avril 1998, p.249 ; Décret n°492 du 5 juin 1998
relatif à l’arbitrage interne et à l’arbitrage international, J.O Sénégal, 25 juillet 1998, p.486.
5
Cf Fatou Camara, Le nouveau droit de l’arbitrage au Sénégal : du libéral et de l’ephémère, Rev. Arb. , 1999, p.45
15
1) Champ d’application de l’arbitrage OHADA

Au fond cet article 21 du traité détermine un critère principal qui est le contrat et des
critères subsidiaires mais non cumulatifs. Le premier porte sur l’expression « toute partie
à un contrat » et les deux autres sur le domicile ou la résidence dans un des Etats
membres, ou l’exécution du contrat sur le territoire d’un Etat Partie. En effet, les litiges
doivent être d’ordre contractuel. Le champ d’application de l’arbitrage OHADA est ainsi
beaucoup plus étroit que celui de la convention de New York qui accueille les différends
nés dans une relation contractuelle ou non. Ensuite, en retenant sans restriction le critère
contractuel, cet article permet d’affirmer qu’aussi bien les litiges nés de contrats
commerciaux que ceux résultant des contrats civils peuvent être soumis à l’arbitrage. Ce
qui est une innovation car la plupart des Etats Parties, avant l’OHADA, ne
reconnaissaient la validité de la clause compromissoire qu’en matière commerciale.

S’agissant du domicile ou de la résidence, l’une des parties au contrat doit résider dans
un des Etats Parties. Tel est le cas du litige né de contrats liant une société camerounaise
domiciliée au Cameroun et une société française ayant son siège en France, et portant sur
l’exportation de la banane du Cameroun en France. Cette condition supplémentaire, qui
avait été préférée à juste titre à celle de nationalités différentes, moins significatives d’un
point de vue économique, est peut être excessive car des opérations de commerce
international peuvent être réalisées entre commerçants situés dans le même pays. Ainsi,
par exemple, la société française aurait pu avoir son siège au Cameroun.

Quant à l’exécution du contrat, à défaut de domicile ou de résidence de l’une des parties


dans un des Etats Parties l’exécution du contrat qui est à l’origine du différend doit avoir
lieu ou avoir été prévue, en tout ou partie, sur le territoire d’un ou plusieurs Etats Parties ;
C’est à dire que le litige intéresse différents pays parce qu’il résulte d’une opération du
commerce international : par exemple, il oppose un vendeur togolais à un acheteur
centrafricain au sujet de marchandises en provenance d’Allemagne.

Par ailleurs, en application de l’article 10 du Règlement d’arbitrage, lorsque les parties


choisissent de recourir à l’arbitrage CCJA, elles admettent par là-même que soit appliqué
à leur procédure un corps de règles juridiques constitué du titre IV du traité de
l’OHADA, du Règlement d’arbitrage et du Règlement intérieur de la cour et de leurs
annexes, ainsi que du barème des frais d’arbitrage dans leurs rédactions en vigueur à la
date de l’introduction de la procédure. Cette caractéristique, marque la différence avec
l’arbitrage de droit commun de l’espace OHADA règlemente par l’Acte Uniforme du 11
mars 1999 dans la mesure où, dans le cadre de celui-ci, les parties peuvent, par
conventions, décider de soumettre leur procédure arbitrale à la loi de procédure de leur
choix. Et, à défaut d’une telle convention, le Tribunal arbitral peut procéder à l’arbitrage
comme il le juge approprié.1

2) Essai d’analyse

1
Article 14 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
16
Une ambivalence du système apparaît lorsqu’on étudie le rapport du système d’arbitrage
de la CCJA, avec l’espace notamment1. D’une part, le système de la CCJA saisit l’espace
comme une donnée subjective2 et malléable. Presque entièrement soumis à la volonté des
parties à l’arbitrage, l’espace peut être aménagé dans le sens conforme aux intérêts de
celles-ci, et de manière variable d’une espèce à une autre. Le champ de liberté
contractuelle est d’autant plus grand que le système est conçu dans l’esprit que le siège de
l’arbitrage n’exerce aucune influence juridique sur le règlement du litige : « il s’agit donc
d’une « délocalisation » non seulement dans le sens de situer ailleurs, mais aussi dans
celui de ne pas localiser »3.

Et, l’espace apparaît comme une donnée objective à laquelle s’attachent des effets
juridiques indépendants de la volonté des parties à l’arbitrage. En effet, ainsi qu’on l’a
dit, le recours à l’arbitrage sous l’égide de la CCJA n’est ouvert qu’à la condition que le
différend ait une attache territoriale avec l’OHADA : le rattachement au territoire devient
ainsi, en quelque sorte, une condition d’arbitrabilité du litige.

D’autre part, s’agissant de l’appui ou des interférences éventuels des autorités judiciaires
dans la procédure arbitrale, le choix du siège dans les arbitrages institutionnels et en
particulier dans le système d’arbitrage de la CCJA est singulièrement simplifié. En effet,
dans les systèmes d’arbitrages institutionnels, l’appui des autorités judiciaires à la tenue
de l’arbitrage est réduit au minimum ; l’institution d’arbitrage règle les difficultés de
constitution du tribunal arbitral, ce qui dispense les parties de recouvrir à l’autorité
judiciaire. Très légitimement, le règlement d’arbitrage de la CCJA prévoit la compétence
de la CCJA pour résoudre toutes les difficultés de constitution du tribunal arbitral4. Il faut
penser que dans ces conditions, l’appui d’une autorité judiciaire autre que la CCJA est
exclu, que cette autorité soit située dans l’espace OHADA ou en dehors.5 Le système
fonctionne donc en circuit fermé ; s’il assure à cet arbitrage international une autonomie
exceptionnelle, la concentration de missions fort différentes entre les mains d’un même
organisme n’est pas sans risque. On sait que la CCJA joue d’abord le rôle de centre
d’arbitrage ordinaire, chargé d’administrer et de surveiller un arbitrage privé
institutionnel, y compris en examinant et approuvant, comme le fait la Cour
internationale d’arbitrage de la CCI, le projet de sentence du tribunal arbitral (art.23 du
Règlement). Ensuite, changeant complètement de nature, elle devient une juridiction
publique chargée du contrôle judiciaire du même arbitrage. Une partie lui demande soit
de déclarer exécutoire la sentence qui en est le fruit, soit au contraire de l’annuler. On
peut craindre que cette confusion de tâches ne conduise la CCJA, lorsqu’elle remplit la
seconde, à une certaine indulgence à l’égard des arbitres qu’elle a nommés ou confirmés,
d’une procédure arbitrale qu’elle a surveillé, et d’une sentence qu’elle a déjà examinée et
approuvée ; « c’est un des nombreux défis auxquels la mise en œuvre effective du
système a été confronté » a dit Philippe Fouchard6.

1
J-M Tchakoua, L’espace dans le système d’arbitrage de la CCJA de l’OHADA, Penant 2003, P.60.
2
Sur la dimension subjective de l’espace dans l’arbitrage international, cf. M. de Boisseron, Reflexions sur l’espace
et le temps dans l’arbitrage international, in Mélanges Pierre Bellet, Litec, 1991, P.34.
3
J-M. Tchakoua, art precit. P.60, note 7.
4
Voir les articles 3 sur la désignation des arbitres et 4 sur la récusation et le remplacement des arbitres.
5
J.M. Tchakoua, art. précit. P. 63.
6
Ph. Fouchard, art. precit.,p.54.
17
Conclusion

L’étude des fonctions de la CCJA montre, s’il en était encore besoin, que
l’OHADA n’est pas « une aventure »1 ; l’exercice de ces différentes fonctions peut être
considéré globalement, dans un espace géographique ayant connu plusieurs expériences
négatives d’intégration2, comme positive satisfaisante. Tout au plus devrons- nous
souhaiter une réelle collaboration entre les juridictions nationales et la CCJA : les
premières ne doivent pas hésiter à poser une ou des questions préjudicielles à la
juridiction supranationale chaque fois qu’elles rencontrent une difficulté sérieuse
d’interprétation .

Toutefois, s’agissant de sa fonction arbitrale, certains observateurs de la vie


juridique africaine sont quelque peu inquiets des conditions dans lesquelles démarre,
dans chaque Etat Partie, l’application du système d’arbitrage OHADA. D’abord parce
que l’arbitrage est peu pratiquée en Afrique francophone subsaharienne ; les avocats le
connaissent et le maîtrisent donc mal, et les juges s’en méfient. Ensuite, comme le
système est résolument supranational, par sa source comme par sa mise en œuvre, il
suscite une certaine défiance dans le monde juridique, judiciaire et politique des pays
membres. Et, on peut déplorer l’effacement des ordres nationaux et l’atteinte portée à la
représentation et à la souveraineté législative nationales. Mais comme l’exprimait Ph.
Fouchard « le succès et la reconnaissance de la CCJA seront acquis lorsqu’elle sera
choisie par des parties qui ne ressortissent pas toutes des Etats membres de
l’OHADA »3.

1
L’expression est du président Keba Mbaye ; in L’histoire et les objectifs de l’OHADA, LPA 13 octobre 2004,
n°spéc OHADA, p. 4.
2
Exemples : l’Union Douanière et Economique d’Afrique Centrale (UDEAC), la Communauté Economique des
Pays des Grands Lacs (CPGL), l’Union Africaine et Mauricienne d’Etude et de recherche Législatives (le
BAMREL) …
3
Ph. Fouchard article précité p.55
18
En définitive, en retenant la formule d’une juridiction communautaire à laquelle ont été
greffées d’autres fonctions, les auteurs du traité ont fait un choix dans la recherche des
solutions en délicat pour la crise de justice de l’Etat en Afrique, en espérant que ce
système contribuera à la relancer la justice internationale.

19

Vous aimerez peut-être aussi