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Ohadata D-11-24

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de


l’OHADA
par
Seydou BA
Ancien Président de la CCJA – OHADA
Premier Président Honoraire de la Cour Suprême du Sénégal
Président de l’UNIDA
Journée d’étude sur L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
(OHADA)
De sa création à l’adhésion de la République Démocratique du Congo
Université Catholique de LOUVAIN - Be1gique - et INEADEC (Institut euro-africain de
droit économique
Acte n° 2 du 11 mars 2010

I.- INTRODUCTION
Décidés à mettre fin à l’insécurité qui régnait dans l’environnement des entreprises, les Etats
appartenant à la zone franc se sont réunis le 17 octobre 1993, à Port-Louis (Ile Maurice), pour
signer un traité qui a jeté les bases de leur intégration juridique.
En créant l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA),
ils ont mis en place un système permettant l’adoption par l’ensemble des Etats concernés,
dans le domaine du droit des Affaires, de solutions juridiques claires, modernes et adaptées à
leur situation économique.
Ce système a pour but de favoriser une plus grande facilité des échanges, d’améliorer la libre
concurrence, de faciliter la communication ainsi que le transfert de techniques modernes de
gestion des entreprises et d’assurer en définitive, la sécurité juridique dans l’appréhension des
lois communes que sont les actes uniformes.
Les actes uniformes ont une force particulière et un caractère contraignant dans tout l’espace
OHADA. Ils introduisent des modifications obligatoires dans les législations nationales et
s’imposent directement aux opérateurs privés, dans les différents Etats membres de
l’OHADA.
Mais, l’unification législative voulue par le Traité relatif à 1’harmonisation du droit des
Affaires en Afrique serait chimérique, si elle n’était accompagnée d’une unification
jurisprudentielle.
C’est pourquoi, il a été prévu une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dont le rôle
essentiel est de veiller à assurer dans les Etats membres, l’interprétation et l’application
commune du Traité créant l’OHADA, des Règlements pris pour son application et, surtout,
des Actes uniformes.
La Cour est installée à Abidjan (Côte d’Ivoire). Elle est actuellement composée de sept (7)
juges élus par le Conseil des Ministres de l’OHADA pour sept (7) années renouvelables une
fois, parmi les ressortissants des Etats Parties, dans les fonctions et sous les conditions
suivantes :
- les magistrats ayant acquis une expérience judiciaire d’au moins quinze années et exercé
de hautes fonctions juridictionnelles ;
- les avocats inscrits au barreau de l’un des Etats Parties, ayant au moins quinze années
d’expérience professionnelle ;
- les professeurs de droit ayant au moins quinze années d’expérience professionnelle.
Seuls deux membres de la Cour peuvent appartenir aux deux dernières catégories visées. La
Cour est renouvelée par septième chaque année. Elle ne peut comprendre plus d’un
ressortissant du même Etat. La Cour élit en son sein pour une durée de trois ans et demi non
renouvelable, son président et ses deux vice-présidents.
En cas de vacance d’un siège, par décès ou démission d’un membre de la Cour, le Conseil des
Ministres procède au remplacement du membre dont le siège est devenu vacant, pour la
fraction du mandat restant à courir, si celle-ci est supérieure à six mois (art. 34, al. 3). Le
Président nomme le Greffier en Chef de la Cour.
Les membres de la Cour sont inamovibles pendant la durée de leur mandat (art. 36). Dans
l’exercice de leurs fonctions, ils sont égaux indépendamment de l’âge, de la date d’élection ou
de l’ancienneté dans leurs fonctions (art. 2 du Règlement).
Lors de leur entrée en fonction, ils font une déclaration solennelle en audience publique.
Ils jouissent dans l’exercice de leurs fonctions, des privilèges et immunités diplomatiques. Ils
ne peuvent exercer toute autre fonction politique ou administrative, sauf autorisation de la
Cour.

II.- COMPETENCE DE LA COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE


1.- La fonction juridictionnelle
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage joue le rôle d’une Cour de cassation aux lieu et
place du juge national, dans les affaires soulevant des questions relatives à l’application des
Actes uniformes et des règlements prévus au Traité. En effet, aux termes de l’article 14 du
Traité, la Cour, « saisie par voie du recours en cassation, se prononce sur les décisions
rendues par les juridictions d’appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des
questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements d’application du
Traité, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales ».
La Cour se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel
rendues par toute juridiction des Etats Parties, dans les mêmes contentieux. Mais, à la
différence du juge national, en cas de cassation d’une décision faisant l’objet d’un recours, la
Cour ne peut pas envoyer l’affaire devant une autre juridiction de même niveau, ou devant la
même juridiction autrement composée. Elle est obligée d’évoquer et de statuer sur le fond.
Dans cette fonction de juge de cassation, la Cour connaît de tout litige relatif à l’application
d’un Acte uniforme adopté par le Conseil des Ministres, quelle que soit la nationalité des
parties.
Les arrêts rendus par la Cour sont assimilés aux décisions rendues par les juridictions des
Etats Parties. Ils ont autorité de la chose jugée et force exécutoire. Ce qui veut dire qu’aucune
intervention du juge national d’un Etat Partie n’est nécessaire pour conférer à ces arrêts
l’autorité de la chose jugée. Et, qui plus est, dans la même affaire, aucune décision contraire à
un arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution
forcée sur le territoire d’un Etat Partie.
L’autorité acquise par l’arrêt rendu par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage s’impose
sur le territoire de tous les Etats parties (exemple : un arrêt rendu à la suite d’un recours dirigé
contre une décision rendue par une juridiction nigérienne aura autorité de la chose jugée non
seulement au NIGER, mais aussi au SENEGAL, en COTE D’IVOIRE, etc..., ce qui a pour
avantage d’éviter que le même procès ne puisse se renouveler dans un autre Etat Partie).
L’arrêt rendu par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage reçoit sur le territoire de chacun
des Etats Parties, une exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions des
juridictions nationales. Et pour cela, aucune procédure particulière n’est nécessaire.
Ainsi donc, un arrêt rendu par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut être
considéré dans aucun des Etats Parties, comme une décision étrangère. C’est un arrêt national
pour chacun des Etats Parties, sans qu’aucun d’entre eux ne puisse se l’approprier
exclusivement.
Le seul problème qui se pose à ce niveau est celui des moyens de contrainte à mettre en œuvre
pour obtenir l’exécution manu militari, d’un arrêt rendu par la Cour.
En effet, l’OHADA ne disposant pas matériellement de moyens de contraintes propres, les
moyens à mettre en œuvre sont ceux prévus par la loi en vigueur dans l’Etat sur le territoire
duquel l’exécution a lieu.
La partie qui désire poursuivre l’exécution forcée d’une décision rendue par la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage saisit directement l’organe compétent suivant la
législation nationale, après l’apposition de la formule exécutoire, sans autre contrôle que celui
de la vérification de l’authenticité du titre, par l’autorité nationale que le gouvernement de
chacun des Etats Parties aura désignée (art. 46 du Règlement).
Le contrôle de la régularité des mesures d’exécution relève de la compétence des juridictions
nationales. Mais, l’exécution forcée ne peut être suspendue qu’en vertu d’une décision de la
Cour.
Les arrêts rendus par la Cour, en cassation, ne peuvent faire l’objet que de voies de recours
extraordinaires : la tierce opposition, la demande en interprétation et la révision (articles 47,
48, 49 du Règlement de procédure).
Enfin, il convient de rattacher à la fonction juridictionnelle, celle prévue à l’article 56 du
Traité, qui indique que : « tout différend qui pourrait surgir entre les Etats Parties quant à
l’interprétation ou à l’application du Traité et qui ne serait pas résolu à l’amiable peut être
porté par un Etat devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ».
De même, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est compétente pour connaître de tout
litige opposant l’OHADA à l’un de ses fonctionnaires.

2.- La fonction consultative


Le Traité prévoit un cas de consultation obligatoire et deux cas de consultation facultative :

• Consultative obligatoire :
L’article 6 du Traité indique que les Actes uniformes sont délibérés et adoptés par le Conseil
des Ministres après avis de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Celle-ci donne son
avis dans un délai de 30 jours à compter de la date de la réception de la demande de
consultation transmise par le Secrétariat Permanent.
Le texte définitif du projet d’Acte uniforme soumis à l’adoption du Conseil des Ministres
intègre l’avis de la Cour.
• Consultation facultative :
La Cour peut être consultée par tout Etat Partie ou par le Conseil des Ministres sur toute
question relative à l’interprétation et l’application du Traité, des règlements pris pour son
application et des Actes uniformes.
Des demandes d’avis peuvent également émaner des juridictions nationales saisies d’un
contentieux relatif à l’application des Actes uniformes (à ce niveau se pose la question de
l’autorité qu’il faut accorder à ces avis. S’imposent- ils à la juridiction qui a demandé l’avis ?
S’imposent-ils aux autres juridictions des Etats parties ou à la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage de l’OHADA elle-même ?).
Les avis que donnent la Cour peuvent porter sur tous les aspects : sur la forme, sur le droit et
sur l’opportunité.
- Forme : bonne rédaction - éviter les ambiguïtés - place du texte dans l’ordonnancement
juridique de l’OHADA.
- Droit : texte d’une parfaite qualité du point de vue du droit - Respect des règles de
compétence, de procédure, etc.
- Opportunité : justification et intérêt des projets - bilan des avantages et inconvénients -
efficacité et chance de réussite - capacité à mettre en œuvre et à assimiler une réforme
(exemple : date d’entrée en vigueur - dispositions transitoires) – cohérence entre les
différents textes. Mais, il faut préciser ici que l’opportunité est entendue d’un point de vue
administratif et non politique. Les choix politiques étant laissés à l’appréciation du Conseil
des Ministres de l’OHADA.
Les fonctions de la Cour dans le domaine de l’arbitrage seront étudiées au chapitre
Administration des arbitrages.

III.- FONCTIONNEMENT DE LA COUR ET PROCEDURE


1.- Fonctionnement
Le siège de la Cour est fixé à Abidjan, en COTE D’IVOIRE. Cependant, le Règlement de
procédure prévoit que si la Cour le juge utile, elle peut se réunir sur le territoire d’un Etat
Partie, avec l’accord préalable de cet Etat.
La Cour siège en formation plénière. Elle peut toutefois constituer des chambres de trois à
cinq juges. Ces chambres sont présidées par le président ou par les vice-présidents.
La Cour délibère en Chambre du Conseil. Le quorum de cinq membres est suffisant pour que
la Cour puisse siéger valablement en formation plénière.
Les décisions sont prises à la majorité des juges présents. En cas de partage de voix, celle du
président est prépondérante.

2.- Procédure
Les personnes ou les structures pouvant saisir la Cour sont différentes selon l’objet de la
saisine :

Pourvoi en cassation
- Saisine directe par l’une des parties à l’instance :
Le recours est présenté au greffe de la Cour dans les deux mois de la signification de la
décision attaquée, par l’avocat du requérant. (Cela signifie que toute décision doit avoir fait
l’objet d’une signification à la partie adverse avant de pouvoir être attaquée devant la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage. Le recours doit être introduit dans le délai de deux mois
après la signification, à peine de forclusion. Le ministère d’avocat est obligatoire pour saisir la
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage).
Le recours doit contenir, outre les renseignements relatifs à l’identité des parties, plusieurs
autres indications obligatoires, notamment les Actes uniformes ou les Règlements prévus par
le Traité, dont l’application dans l’affaire justifie la saisine de la Cour.
La décision de la juridiction nationale doit être annexée au recours. Mais à ce niveau, le
Règlement de procédure de la Cour a introduit une certaine souplesse (article 28.5 du
Règlement de procédure). En effet, si le recours n’est pas conforme aux conditions sus
indiquées, le Greffier en chef fixe au requérant un délai raisonnable aux fins de régularisation
du recours ou production des pièces requises. A défaut de cette régularisation ou de cette
production dans le délai imparti, la Cour décide de la recevabilité du recours.
Le recours est signifié par la Cour à toutes les parties à la procédure devant la juridiction
nationale (art. 29 du Règlement), qui peuvent présenter un mémoire en réponse dans un délai
de trois mois à compter de la signification du recours.

- Saisine sur renvoi d’une juridiction nationale :


Conformément aux articles 14 et 15 du Traité, la Cour peut être saisie par une juridiction
nationale statuant en cassation, qui lui renvoie le soin de juger une affaire soulevant des
questions relatives à l’application des Actes uniformes. Dans ce cas, la juridiction nationale
est immédiatement dessaisie. Elle transmet à la Cour l’ensemble du dossier de l’affaire, avec
une copie de la décision de renvoi. Dès réception de ce dossier, les parties sont avisées de
cette transmission par la Cour.

- L’exception d’incompétence :
Toute partie qui estime qu’une juridiction nationale a méconnu la compétence de la Cour
Commune, alors que l’exception d’incompétence avait été soulevée, peut saisir ladite Cour
dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée.
La Cour se prononce sur sa compétence par un arrêt qu’elle notifie tant aux parties qu’à la
juridiction en cause.
Si la Cour décide que cette juridiction s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par
celle-ci est réputée nulle et non avenue. Et toute partie devant ladite juridiction peut, dans les
deux mois de la signification de la décision de la Cour, saisir cette dernière d’un pourvoi en
cassation, dans les conditions prévues au Traité et au Règlement de procédure.
Quant à l’incompétence de la Cour elle-même, elle peut être soulevée d’office par la Cour ou
être soulevée par toute partie au litige, “in limine litis”. Dans ce dernier cas, la Cour se
prononce dans les trente jours.
La supériorité de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est affirmée par l’article 16,
a1. 1 du Traité. En effet, la saisine de la Cour suspend toute procédure de cassation engagée
devant une juridiction nationale contre la décision attaquée. Cette procédure ne peut reprendre
que si la Cour se déclare incompétente pour connaître de l’affaire. Toutefois, cette règle
n’affecte pas les procédures d’exécution.

- Saisine pour avis :


La Cour peut être consultée par :
- tout Etat Partie
- le Conseil des Ministres de l’OHADA.
Toute demande d’avis consultatif émanant de ces deux organes est présentée par une requête
écrite, qui formule la question sur laquelle l’avis de la Cour est sollicité. Il y est joint tout
document pouvant servir à élucider la question (article 54 du Règlement).
L’avis de la Cour peut également être demandé par les juridictions nationales.
Toute demande d’avis émanant d’une juridiction nationale est notifiée par le Greffier en chef
aux parties en cause devant cette juridiction.
Cette demande est en outre, notifiée aux Etats Parties (article 57 du Règlement).

4.- ADMINISTRATION DES ARBITRAGES


Pour permettre aux opérateurs économiques de pouvoir recourir à une procédure d’arbitrage
suivie par un centre africain, et combattre ainsi un monopole géographique, le Traité a prévu
un mécanisme d’arbitrage propre à l’OHADA.
En effet, en application d’une clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage, toute
parie à un contrat, soit que l’une des parties ait son domicile ou sa résidence habituelle dans
un des Etats parties, soit que le contrat soit exécuté ou à exécuter en tout ou partie sur le
territoire d’un ou plusieurs Etats parties, peut soumettre un différend d’ordre contractuel à la
procédure d’arbitrage prévue par le Traité.
Le recours à l’arbitrage ainsi prévu est facultatif. Mais une fois le choix de cet arbitrage fait,
les règles régissant la procédure d’arbitrage sont obligatoires et sont celles qui sont
déterminées par le Traité.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne tranche pas elle-même les différends. Elle
nomme ou confirme les arbitres désignés :
- elle est informée du déroulement de l’instance ;
- elle examine les projets de sentence et peut proposer des modifications de forme ;
- les membres de la Cour ne peuvent pas participer à un arbitrage en qualité d’arbitre.
Les sentences arbitrales rendues selon les règles prévues au Traité ont l’autorité définitive de
la chose jugée sur le territoire de chaque Etat Partie, au même titre que les décisions rendues
par les juridictions de l’Etat.
Elles peuvent faire l’objet d’une exécution forcée en vertu d’une décision d’exequatur.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est seule compétente pour rendre une telle
décision d’exequatur, qui ne peut être refusée que dans les cas suivants :
- si l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ;
- si l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée ;
- lorsque le principe de la procédure contradictoire n’a pas été respecté ;
- si la sentence est contraire à l’ordre public international.
Il y a lieu de retenir de tout ce qui précède, essentiellement l’autonomie et le détachement des
décisions de la CCJA de tout ordre juridique national ainsi que des contingences diverses de
celui-ci. Il en résulte, à tout le moins, simplification, célérité et efficacité, toutes choses de
nature à rassurer les investisseurs.
__________
INEADEC, Journée d’Etude : L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires (OHADA) de sa création à l’adhésion de la République Démocratique
du Congo – Mars 2010 – article 2.

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