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Ohadata D-11-75
A la clôture des travaux d’un forum scientifique d’une telle envergure, qu’il
nous soit permis de saluer à sa juste valeur la qualité des interventions des
différents Experts, ainsi que la dynamique des débats parfois houleux et
passionnants qui ont suivi leurs communications. Qu’il nous soit également
permis de relever, avec une marque de satisfaction particulière, la présence
à l’ouverture des travaux, de Son Excellence Monsieur le Garde des Sceaux,
Ministre de la Justice du Togo, Président en exercice du Conseil des
Ministres de l’OHADA, ainsi que celle très remarquée d’autres hautes
personnalités.
Des travaux du Colloque, l’on peut retenir qu’à chaque siècle la physionomie
de l’humanité change. Mais ces changements n’ont pas seulement une
dimension sociologique ; ils touchent aussi bien l’économie que le droit. A
l’orée du 3è millénaire, nous vivons sans doute en Afrique noire
subsaharienne une de ces périodes charnières où les mutations juridiques
se sont brusquement accélérées.
Et du coup, la fin du 20è siècle connaît dans les Etats africains de la zone
franc un exemple singulier d’intégration juridique où le droit harmonisé des
affaires issu de l’OHADA se voit confier le rôle de levier indispensable de
l’intégration économique régionale. L’objectif est d’harmoniser ou plus
exactement d’unifier le droit des affaires des Etats parties afin de mettre à
la disposition de chacun d’eux une législation moderne , faciliter les
échanges à travers les frontières , raffermir les liens séculaires de
coopération dans cet espace communautaire, assurer la sécurité juridique
et judiciaire de l’activité économique des entreprises, donc stimuler
l’investissement , dynamiser l’intégration régionale qui doit conduire enfin
de compte à la libre circulation des personnes, des biens, des services et des
capitaux.
Eh bien, au regard des statistiques du travail accompli par la Cour telles que
présentées dans les communications de ce Colloque, ce doute n’est plus
permis. De manière suffisamment constante sur les questions
d’interprétation et d’application du droit OHADA, et sans une divergence
d’approche ou de fausses notes sur l’essentiel de sa production, la CCJA est
parvenue à nous fournir une importante construction jurisprudentielle en
matière de mise en œuvre du nouveau droit des affaires. Mais si l’édifice
jurisprudentiel de la CCJA est suffisamment construit, il n’est tout de même
pas achevé.
Beaucoup moins que les statistiques, ce sont les raisons d’une telle
omniprésence de l’Acte uniforme portant Organisation des Procédures
Simplifiées de Recouvrement et Voies d’Exécution, avec environ 70 % du
contentieux porté devant la CCJA qui ont émaillé la réflexion du Praticien.
En effet, les voies d’exécution constituant le pendant indispensable de
toutes les disciplines juridiques, le créancier y recourt presque
systématiquement pour vaincre le débiteur récalcitrant qui n’honore
habituellement ses engagements qu’au gré d’une saisie. C’est donc tout
logiquement que le contentieux des saisies et de l’injonction de payer
occupe les premières loges des pourvois formés devant la CCJA. Une autre
justification tient de ce qu’il s’agit d’un Acte uniforme qui consacre de
nouvelles règles et procédures d’exécution jusque-là peu connues ou
inexistantes dans les Etats parties, générant de ce fait un abondant
contentieux dans la pratique judiciaire. A l’excès de rigueur observé dans le
formalisme qui gouverne les procédures réglementées par cet Acte
uniforme, il faudrait y ajouter le fait que ce texte est celui qui intègre les
règles essentielles de ce que l’on pourrait appeler « droit de la procédure »
par opposition « au droit substantiel » des Actes uniformes OHADA.
Les débats ont débouché sur une forte recommandation des participants
pour la réécriture de l’article 14 du Traité, s’agissant notamment de
certaines imprécisions de ce texte ou de son conflit avec d’autres
dispositions du Traité. Il en va par exemple de l’incompétence de la CCJA à
connaître des pourvois exercés contre les décisions prononçant des
sanctions pénales, alors même que les Actes uniformes prévoient divers
types d’infraction dont le contentieux relatif aux éléments constitutifs
devrait normalement relever de la Haute Juridiction Supranationale.
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C’est cette problématique qui a été analysée par Mme DALMEIDA Mele
Flora, Magistrat, Juge à la Cour Suprême du Congo, Présidente de la
Commission Nationale OHADA du Congo depuis une décennie. S’appuyant
sur les statistiques disponibles au greffe de la Cour, son propos établit que
sur un total de 918 pourvois reçus à ce jour par la CCJA, 51 % proviennent
de la Côte d’Ivoire, suivie du Cameroun (13, 14 %) ; viennent ensuite le
Sénégal (6, 64 %), le Mali (4, 46 %), et le Niger (4,03 %).
Est-ce pour autant dire que le droit OHADA ne serait-il pas appliqué dans
les autres Etats parties ? La réponse est non. Mais que se passe-t-il donc ?
-Les Transactions opérées par les parties qui, redoutant les frais de
procédure à la CCJA à la suite d’un procès en appel au fond, préfèrent
recourir à ce procédé priverait aussi la CCJA de sa saisine.
A cette liste non exhaustive, on peut ajouter le fait que le pouvoir de saisine
de la Cour à titre consultatif ne soit reconnu qu’aux juridictions nationales
et aux Etats parties, et non aux Ordres professionnels (Avocats, Huissiers,
Notaires) qui solliciteraient beaucoup plus les Avis de la Cour.
De son exposé, l’on retient que la CCJA a démarré ses activités de manière
lente et progressive depuis 1997. Mais elle a tenu sa première audience le
11 Octobre 2001, et la Cour n’a atteint sa vitesse de croisière qu’en 2005
avec le recrutement d’Assistants Juristes en 2004. En dix ans de
fonctionnement, les statistiques de la jurisprudence de la CCJA sont les
suivantes :
Mais, les ordres juridiques présents dans l’espace OHADA, ne formant pas
un système juridique, ne sont non plus hiérarchisés. Il en résulte une
concurrence des ordres juridiques et incidemment des conflits de
compétence. Des conflits qui se dédoublent soit en conflits de compétence
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La deuxième table ronde a porté sur ‘’une stratégie de lutte contre les
lenteurs judiciaires devant la CCJA et les pistes de diffusion de la
jurisprudence’’.
C’est une vérité banale que de parler de la diversité des sources du droit,
des sources de formation des magistrats de nos Etats parties et des
multiples problèmes socio-économiques et politiques que rencontrent ces
acteurs dans la mission de dire le droit. Mais, l’uniformisation de la
jurisprudence communautaire présente une occasion unique d’améliorer la
qualité de la justice rendue par les juridictions nationales. Les tendances
jurisprudentielles de la CCJA permettent donc d’éviter, aux juges nationaux
appelés à appliquer le droit OHADA en première instance et en cas d’appel,
les problèmes qui peuvent altérer la qualité et l’efficience de leurs
décisions.
Mais l’art de juger en droit OHADA n’est pas une chose banale pour les
juridictions nationales car du moment où l’Acte uniforme ne contient pas
expressément la solution, le juge dans la plénitude de son art, va devoir
recourir à l’interprétation. PORTALIS relevait déjà : « il est nécessairement
une foule de circonstances dans lesquelles un juge se trouve sans loi ». Cette
situation dépasse largement le schéma classique du syllogisme judiciaire
tant il est admis que le juge participe à l’élaboration du droit par la création
de la jurisprudence.
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Si c’est donc cet héritage que nous lègue le Juge KEBA MBAYE, celui-ci peut
tout aussi être enrichi par les méditations d’un autre immortel de la science
juridique, le Professeur Stanislas MELONE, qui prédisait déjà en 1996 au
cours d’un Colloque organisé au siège du GICAM à Douala : « l’application
du droit OHADA sera nécessairement porteuse de conflits ; conflits
d’interprétation d’une juridiction nationale à l’autre ; conflits
d’interprétation d’un Etat partie à l’autre ; conflits d’approche d’un
praticien ou d’un universitaire à l’autre ; mais c’est à la CCJA, organe
d’unification de la jurisprudence qu’il appartiendra de faire taire les
controverses ; à condition cependant que le politique lui donne les moyens
de sa politique ».
C’est donc au prix de la volonté politique des Etats de l’OHADA que la CCJA
saura relever le défi d’une justice de développement, celle-là même qui
rassure et attire les investisseurs par sa capacité à réaliser la symbiose
idéale du droit savant issu des Actes uniformes et du droit vivant généré
par ses applications jurisprudentielles.