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Ohadata D-11-75

RAPPORT GENERAL DES TRAVAUX DU COLLOQUE


Revue de droit uniforme africain, n° 4, p. 109
par
Dr. Félix ONANA ETOUNDI
(Magistrat ; Docteur d’Etat en Droit des Affaires ; Expert Juridique International
spécialisé en Droit des Affaires ; Assistant Juriste CCJA OHADA ; Enseignant de Droit
des Affaires dans les Universités et Grandes Ecoles)

Initiative de la Commission Nationale OHADA du Togo en partenariat avec


le Programme d’Appui à la Réforme de la Justice et à la Promotion des
Droits de l’Homme (PAJDH) de l’Union Européenne et du Service français de
Coopération et d’Action Culturelle (SCAC-Togo), le Colloque international
qui vient de se tenir à Lomé les 24 et 25 septembre 2010 a permis
d’évaluer et d’analyser les Tendances jurisprudentielles élaborées pendant
une décennie de fonctionnement par la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage en matière d’interprétation et d’application du droit OHADA,
s’agissant notamment du Traité de Port Louis signé le 17 Octobre 1993 , des
Règlements pris pour son application, et des huit Actes uniformes jusque-là
dérivés.

Présentant la problématique de ce thème, le Président du Colloque, le


Professeur Akuété Pedro SANTOS, Agrégé des Facultés de Droit , Doyen de
la Faculté de Droit de l’Université de Lomé a indiqué que le Colloque se
propose de dégager les principales tendances qualitatives, quantitatives et
structurelles de la jurisprudence de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage. Mais de quelle jurisprudence s’agit-il ? De la jurisprudence
science du droit ou de la jurisprudence comme ensemble des décisions
rendues par la Haute Juridiction Supranationale ?

Considérant que c’est cette deuxième hypothèse qui correspond à


l’orientation à donner aux travaux, le Pr. AKUETE SANTOS a ensuite relevé
que la justice étant d’abord l’intelligence du juge, l’activité judiciaire se
mesure alors à la capacité du juge à dire le droit. Mais la jurisprudence de la
Cour se nourrit de celle des juridictions nationales et a contrario, les
juridictions nationales s’arment de talent et d’efforts permanents pour
éviter d’exposer leur jurisprudence à la censure de celle de la CCJA. Devons-
nous alors parler de la jurisprudence OHADA ou de la jurisprudence de la
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ? Si la meilleure approche par
rapport à l’objectif d’uniformisation de la jurisprudence serait d’opter pour
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la jurisprudence OHADA, encore faut-il s’interroger sur le degré de


participation et d’influence des juridictions nationales à l’élaboration de
cette jurisprudence.

A la clôture des travaux d’un forum scientifique d’une telle envergure, qu’il
nous soit permis de saluer à sa juste valeur la qualité des interventions des
différents Experts, ainsi que la dynamique des débats parfois houleux et
passionnants qui ont suivi leurs communications. Qu’il nous soit également
permis de relever, avec une marque de satisfaction particulière, la présence
à l’ouverture des travaux, de Son Excellence Monsieur le Garde des Sceaux,
Ministre de la Justice du Togo, Président en exercice du Conseil des
Ministres de l’OHADA, ainsi que celle très remarquée d’autres hautes
personnalités.

Des travaux du Colloque, l’on peut retenir qu’à chaque siècle la physionomie
de l’humanité change. Mais ces changements n’ont pas seulement une
dimension sociologique ; ils touchent aussi bien l’économie que le droit. A
l’orée du 3è millénaire, nous vivons sans doute en Afrique noire
subsaharienne une de ces périodes charnières où les mutations juridiques
se sont brusquement accélérées.

En effet, face aux grandes mutations économiques contemporaines qui


modifient considérablement les conditions du développement et incitent à
la libéralisation des échanges, la perception que les investisseurs aussi bien
nationaux qu’internationaux ont de l’environnement juridique et judiciaire
des affaires dans les pays de la zone franc se résume à des jugements
sévères sur le droit, surtout lorsqu’ils associent le droit et la justice.

Tantôt c’est l’ironie, ironie face aux multiples facteurs de violation de « la


légalité » dans le règlement des litiges : la justice est alors une imposture.
Tantôt c’est le doute ; doute face à un droit ou à un service public de justice
n’inspirant plus confiance à cause des lenteurs judiciaires, des décisions
contestables, de l’inexécution des décisions de justice, de la méconnaissance
ou de l’ignorance des textes applicables, du déficit de formation et de
spécialisation des magistrats et auxiliaires de justice, et de l’inadéquation
des moyens matériels mis à leur disposition ; doute face à un droit
conservateur où règnent parfois la confusion dans les sources du droit , les
incertitudes sur le texte de loi réellement applicable, l’obsolescence de
textes trop anciens et inadaptés à des situations juridiques nouvelles, le
tout générant une jurisprudence sinon instable, du moins purement
aléatoire. Tantôt c’est l’angoisse ; une sorte d’angoisse historique de la part
du juriste lui-même devant l’impuissance de sa discipline.
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Pour rassurer le justiciable et en particulier l’opérateur économique, seul le


droit pouvait encore dissiper cette ironie, ce doute, et cette angoisse. C’est
pour prendre sa revanche et relever ce défi majeur, celui d’aider à
l’insertion des pays africains dans la mondialisation par sa capacité à
faciliter l’intégration économique régionale et la croissance que le Traité
OHADA a entendu adopter un droit régional des affaires, unique, moderne
et adapté, susceptible d’instaurer une sécurité juridique et judiciaire à
même de favoriser les investissements indispensables au développement
économique et social des Etats parties.

Et du coup, la fin du 20è siècle connaît dans les Etats africains de la zone
franc un exemple singulier d’intégration juridique où le droit harmonisé des
affaires issu de l’OHADA se voit confier le rôle de levier indispensable de
l’intégration économique régionale. L’objectif est d’harmoniser ou plus
exactement d’unifier le droit des affaires des Etats parties afin de mettre à
la disposition de chacun d’eux une législation moderne , faciliter les
échanges à travers les frontières , raffermir les liens séculaires de
coopération dans cet espace communautaire, assurer la sécurité juridique
et judiciaire de l’activité économique des entreprises, donc stimuler
l’investissement , dynamiser l’intégration régionale qui doit conduire enfin
de compte à la libre circulation des personnes, des biens, des services et des
capitaux.

Dans le dispositif institutionnel mis en place par le Traité OHADA et


renforcé par le Traité portant révision dudit Traité signé à Québec le 17
Octobre 2008, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est l’organe
juridictionnel chargé d’assurer le contrôle et la sanction de l’interprétation
et de l’application commune du droit harmonisé. Et bien que constituant en
même temps un centre d’arbitrage en matière de règlement des différends
contractuels, son rôle majeur est de prolonger l’unification législative du
droit des affaires par une unification jurisprudentielle. Car, les orientations
de la Cour servent de référence aux juridictions nationales et aux autres
acteurs dans la quête permanente et toujours espérée d’une application
uniforme du droit OHADA dans l’ensemble des Etats Parties.

Après une décennie de fonctionnement se pose à dessein la question


lancinante de savoir si la CCJA a pu constituer un fond de jurisprudence
OHADA susceptible de rassurer les investisseurs et d’éclairer la lanterne
des juridictions nationales et celle du justiciable en quête d’une solution
fiable et durable à leurs pérégrinations.
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La question a tout son intérêt dans la mesure où pour la première fois en


Afrique, après l’existence éphémère et l’échec des premières tentatives
d’harmoniser les droits africains dans le cadre des Conventions créant
l’Organisation Commune Africaine et Malgache (O.C.A.M) et le Bureau
Africain et Mauricien de Recherches et d’Etudes Législatives (B.A.M.R.E.L), il
s’agissait de réunir au sein d’une même juridiction des juges provenant de
pays différents, parfois avec des cultures juridiques différentes, mais tous
acquis à la cause de l’uniformisation de la jurisprudence OHADA,
transcendant par là-même leurs particularités locales, reléguées au second
rang. Et de cette cohabitation étaient attendus des fruits dont on pouvait
douter qu’ils tiennent la promesse des fleurs.

Eh bien, au regard des statistiques du travail accompli par la Cour telles que
présentées dans les communications de ce Colloque, ce doute n’est plus
permis. De manière suffisamment constante sur les questions
d’interprétation et d’application du droit OHADA, et sans une divergence
d’approche ou de fausses notes sur l’essentiel de sa production, la CCJA est
parvenue à nous fournir une importante construction jurisprudentielle en
matière de mise en œuvre du nouveau droit des affaires. Mais si l’édifice
jurisprudentiel de la CCJA est suffisamment construit, il n’est tout de même
pas achevé.

En traitant donc des « Tendances jurisprudentielles de la CCJA » au cours de


ce Colloque, les Experts intervenants se sont livrés à un exercice intellectuel
d’évaluation des grands principes à ce jour dégagés par la Haute Juridiction
Supranationale, d’analyse des problèmes liés à l’élaboration de cette
jurisprudence communautaire, et de recherche des perspectives de réforme
qui s’imposent pour une plus grande efficacité de la Cour dans l’exécution
de ses missions.

L’approche méthodologique adoptée a consisté à aborder préalablement


dans un premier module les généralités sur la CCJA dont le rappel s’est
avéré indispensable pour une meilleure compréhension des tendances
jurisprudentielles analysées dans un deuxième module, du bilan statistique
présenté dans un troisième module, ainsi que des thématiques débattues
dans les trois tables rondes qui ont marqué d’une empreinte particulière la
cohérence d’ensemble des débats et des principales recommandations.

Sur le Premier Module relatif aux « Généralités sur la CCJA », trois


interventions se sont succédées, magistralement coordonnées par le Pr.
Akuete SANTOS, Président du Colloque, en qualité de modérateur.
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Ouvrant le bal des communications, Jacques M’BOSSO, Docteur en Droit,


Magistrat Hors Hiérarchie, Premier Vice-président de la CCJA d’Avril 1997 à
Décembre 2009, a revisité les règles d’organisation et de fonctionnement de
la Haute Juridiction Communautaire. Dans la conduite de l’analyse qu’il fait
de la composition, de la présidence , et des formations compétentes de la
Cour, ou des organes existants dont le Greffe, le Secrétariat général, la
Direction de la documentation, la Régie des recettes et des dépenses, et le
Service comptable et financier, l’on perçoit dans son message une sorte
d’interpellation. Celle de tirer les enseignements des structures
organisationnelles existantes en vue d’une meilleure articulation et d’une
plus grande précision de leurs règles de fonctionnement. Et s’agissant
particulièrement de la CCJA, l’Expert intervenant recommande qu’après
cette première décennie de mise à l’épreuve des structures actuelles, il est
plus que temps que se mettent en place celle de ces structures qui ne l’ont
pas encore été et d’entreprendre les réformes qui s’imposent.

Le Traité portant révision du Traité OHADA a néanmoins consacré


certaines de ces réformes sur les aspects institutionnels de la Cour. C’est
ainsi qu’ont été supprimés les Arrangements politiques dits de N’Djamena
pour laisser place, s’agissant de l’élection des juges et de la présidence de la
Cour, aux Traité et textes pris pour son application. Le nombre de juges
passe ainsi de 7 à 9 pour renforcer les effectifs et permettre
éventuellement une sorte de spécialisation des Chambres de la Cour ; la
durée du mandat des juges est désormais de 7 ans non renouvelable ; les
langues de travail au sein de la Cour sont désormais au nombre de quatre :
le français, l’anglais, le portugais et l’espagnol. L’institution d’un poste de
Secrétaire Général du Centre d’Arbitrage de la Cour mérite également d’être
soulignée.

Le Conseil des Ministres de l’OHADA a poursuivi ces réformes structurelles


de la Cour en prescrivant notamment la mise en place d’un Laboratoire de
Langues dans toutes les Institutions de l’OHADA. Il reste à espérer que ces
nouvelles réformes se mettent rapidement en place.

Intervenant à son tour, Me Alexis Coffi AQUEREBURU, Bâtonnier en


exercice de l’Ordre des Avocats au Barreau du Togo, Avocat spécialisé en
Droit OHADA et en Droit international de l’environnement, a expliqué avec
forces détails les différentes phases de la procédure contentieuse
applicable devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Les modes de
saisine, le déroulement de l’instance, les voies de recours, l’autorité et la
force exécutoire des décisions de la Cour sont passés au crible.
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Dans le fil conducteur de son exposé, la procédure contentieuse devant la


CCJA est d’abord apparue très respectueuse des grands principes classiques
du droit processuel : principe du contradictoire, respect de l’égalité des
parties, caractère essentiellement écrit de la procédure. Le Ministère
d’Avocat devenu obligatoire devant la Cour assure la garantie de bonne
administration de la Justice. Car, par leurs savantes conclusions et
plaidoiries, leur connaissance approfondie des spécificités de la Cour, les
Avocats contribuent, de façon irremplaçable, à préparer les arrêts et avis
rendus par la Cour, tout en assurant un égal accès au juge de la Haute
Juridiction Communautaire.

La jurisprudence de la CCJA s’attache pareillement à innover pour mieux


répondre aux attentes du justiciable. C’est à ce niveau que la procédure
contentieuse à son aboutissement devant cette Juridiction, livre ses secrets.
Les arrêts rendus par la CCJA ont l’autorité de la chose jugée et la force
exécutoire, et reçoivent sur le territoire de chacun des Etats parties une
exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions des
juridictions nationales. La formule exécutoire y est d’ailleurs apposée sans
autre contrôle que celui de la vérification de l’authenticité du titre par
l’autorité nationale désignée par le gouvernement de chaque Etat partie.

Les sentences arbitrales rendues en application du droit de l’arbitrage


OHADA obéissent-elles au même régime d’exécution ?

A cette question et à bien d’autres que l’on se pouvait se poser sur la


procédure arbitrale applicable devant la CCJA, Dr. Gaston KENFACK
DOUAJNI, Magistrat, Maître de Conférences Habilité à diriger les recherches
et Vice-président de la Commission Nationale OHADA du Cameroun a
apporté des réponses.
De son exposé, il apparaît que l’arbitrage CCJA est un système
d’arbitrage institutionnel et que la procédure arbitrale applicable devant la
CCJA comporte une double phase administrative et juridictionnelle.

Dans la phase administrative de la procédure, la Cour ne tranche pas


elle-même les différends ; elle nomme ou confirme les arbitres, est informée
du déroulement de l’instance et examine les projets de sentence. Un
dispositif existe au sein de la Cour pour lui permettre d’administrer les
procédures arbitrales dont elle est saisie. Et ce dispositif comprend le
Président de la CCJA, l’Assemblée plénière de la CCJA et sa formation
restreinte, son Secrétariat Général et sa Régie des recettes et des dépenses,
chaque organe jouant un rôle qui lui est propre.
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Dans la phase juridictionnelle de la procédure, la Cour se prononce


sur l’exequatur des sentences arbitrales CCJA si celui-ci est demandé et, si
elle en est saisie, sur les contestations qui peuvent survenir quant à
l’autorité de chose jugée de ces sentences. Il en résulte que la phase
juridictionnelle de la procédure arbitrale CCJA comprend l’instance en
exequatur et l’instance en contestation de validité de la sentence.

Le spécialiste de l’arbitrage a insisté sur le caractère communautaire


de l’exequatur CCJA accordé par le Président de la Cour ou par le Juge qu’il
délègue à cet effet. Il s’agit d’une innovation qui constitue un avantage par
rapport aux autres systèmes d’arbitrage car, il rend la sentence exécutoire
dans chacun des Etats parties à l’OHADA, aux termes d’un contrôle exercé
par la seule CCJA ; on y voit un gain de temps et des économies non
négligeables.

Qu’il s’agisse de l’instance en exequatur ou de l’instance en


contestation de validité de la sentence CCJA, la Cour statue dans sa
formation juridictionnelle et le double défi qu’elle doit relever à ce niveau,
conclut le Dr. KENFACK, est celui de rendre des décisions de bonne facture
technique, dans des délais compatibles avec la célérité qui caractérise la vie
des affaires.

Si les travaux du premier module ont permis de comprendre que les


structures organisationnelles de la Cour sont en place et que la Haute
Juridiction fonctionne depuis bientôt 10 ans, il devient opportun de se
demander quelles sont les principales tendances jurisprudentielles
élaborées par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ?

C’est cette question qui a fait l’objet de développements dans un deuxième


Module, sous la modération du Pr. Joseph ISSA SAYEGH que l’on ne
présente plus, ou dont on ne sait plus le qualificatif utiliser pour le
présenter dans les milieux de l’OHADA, tellement il écrit, conseille,
enseigne, encadre la recherche et publie dans les matières relevant de ce
nouveau droit des affaires de l’OHADA.

Des communications faites sous ce module, il apparaît que les tendances


jurisprudentielles élaborées par la CCJA sont à analyser sous une triple
approche : par Acte uniforme appliqué, par thème juridique abordé, et par
pays de provenance du pourvoi.

De l’exposé du premier intervenant de ce module, M. MAINASSARA Maidagi,


Magistrat, Premier Vice-président de la Cour Commune de Justice et
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d’Arbitrage de l’OHADA, l’on retient que par rapport à l’Acte uniforme


appliqué, la CCJA a rendu à ce jour 152 arrêts soulevant les questions
relatives à l’application de l’Acte uniforme portant Organisation des
Procédures Simplifiées de Recouvrement dont 56 s’agissant des procédures
simplifiées de recouvrement (l’injonction de payer notamment), et 96
s’agissant des voies d’exécution ; 25 arrêts en application de l’Acte uniforme
portant Droit commercial général ; 13 arrêts relativement à l’Acte uniforme
sur le droit des sociétés commerciales et du GIE ; 09 arrêts concernant
l’Acte uniforme portant Organisation des sûretés ; 08 arrêts en application
de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, et 03 arrêts relatifs à l’Acte
uniforme portant Organisation des Procédures Collectives d’Apurement du
Passif.

Beaucoup moins que les statistiques, ce sont les raisons d’une telle
omniprésence de l’Acte uniforme portant Organisation des Procédures
Simplifiées de Recouvrement et Voies d’Exécution, avec environ 70 % du
contentieux porté devant la CCJA qui ont émaillé la réflexion du Praticien.
En effet, les voies d’exécution constituant le pendant indispensable de
toutes les disciplines juridiques, le créancier y recourt presque
systématiquement pour vaincre le débiteur récalcitrant qui n’honore
habituellement ses engagements qu’au gré d’une saisie. C’est donc tout
logiquement que le contentieux des saisies et de l’injonction de payer
occupe les premières loges des pourvois formés devant la CCJA. Une autre
justification tient de ce qu’il s’agit d’un Acte uniforme qui consacre de
nouvelles règles et procédures d’exécution jusque-là peu connues ou
inexistantes dans les Etats parties, générant de ce fait un abondant
contentieux dans la pratique judiciaire. A l’excès de rigueur observé dans le
formalisme qui gouverne les procédures réglementées par cet Acte
uniforme, il faudrait y ajouter le fait que ce texte est celui qui intègre les
règles essentielles de ce que l’on pourrait appeler « droit de la procédure »
par opposition « au droit substantiel » des Actes uniformes OHADA.

Une question reste cependant posée. En observant que ni l’Acte uniforme


portant Organisation et Harmonisation des Comptabilités des Entreprises,
ni celui relatif aux contrats de transport des marchandises par route n’ont
jamais été sollicités par la Cour, la prépondérance du contentieux lié au
recouvrement simplifié des créances et aux voies d’exécution à la CCJA
signifierait-elle que le rythme d’harmonisation du droit des affaires est allé
très vite par rapport au rythme d’assimilation par les praticiens et
d’uniformisation de la jurisprudence par la CCJA ?
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Si la réponse ne peut être donnée de façon tranchée, la réflexion déjà


engagée dans d’autres circonstances sur la nécessité de marquer une pause
dans les matières à harmoniser, est plus que jamais d’actualité.

Les vestiges de ce rythme d’harmonisation jadis qualifié « à tour de bars »


par une certaine doctrine, influencent-ils également les tendances
jurisprudentielles de la CCJA relativement à la nature du problème
juridique posé ?

Abordant la question, l’exposé du Dr. Félix ONANA ETOUNDI, Magistrat,


Expert Juridique International Spécialisé en Droit des Affaires, et
Enseignant de Droit des Affaires dans les Universités et Grandes Ecoles,
révèle davantage la spécificité et l’ampleur des questions juridiques
soulevant l’application du droit OHADA objet des tendances
jurisprudentielles dégagées par la Haute Juridiction Supranationale. Il
distingue ainsi les tendances jurisprudentielles en matière de compétence
et autres règles de procédure de celles élaborées en matière de droit
substantiel des Actes uniformes.

Dans la conduite de son analyse, l’Expert intervenant appréhende les


tendances jurisprudentielles de la CCJA par thème juridique traité sous une
double approche.

Il identifie d’abord la jurisprudence formée sur les règles applicables à la


compétence de la CCJA, à la recevabilité du pourvoi en cassation devant la
CCJA, à la juridiction compétente pour connaître du contentieux des saisies,
et à la juridiction compétente pour connaître de la résiliation du bail
commercial. Sur les observations qu’appellent les tendances
jurisprudentielles ainsi formées, la pratique met en évidence les difficultés
que connaît l’élaboration de la jurisprudence communautaire dans des
situations tel que le pourvoi mixte impliquant à la fois des moyens de droit
interne et des moyens de droit OHADA , la solution retenue, celle d’une
compétence générale de la CCJA à connaître d’un tel pourvoi sans immixtion
possible de la juridiction de cassation nationale ayant suscité une vive
controverse doctrinale. Il en va également de l’absence des cas d’ouverture
à cassation, de l’inexistence d’une procédure de sursis à exécution des
décisions des juridictions nationales au niveau de la CCJA, et de bien
d’autres. Une réforme du Règlement de procédure de la CCJA sur ces
différents points s’avère une vive recommandation.

Il relève ensuite que les règles de fond ou de droit substantiel contenues


dans le droit uniforme dérivé du Traité OHADA ont connu une abondante
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application par la CCJA, et les tendances jurisprudentielles dégagées


s’étendent à la portée abrogatoire des Actes uniformes par rapport au droit
interne antérieurement applicable, au régime juridique des nullités des
actes de procédure, aux défenses à l’exécution provisoire des décisions de
justice, à l’injonction de payer, à la saisie-attribution des créances et à
l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public.

Des observations que suscitent les tendances jurisprudentielles formées,


l’Universitaire souligne que la jurisprudence de la CCJA n’est pas à l’abri des
critiques, et parfois des critiques les plus acerbes. Il suffit de se souvenir du
tollé qu’avait provoqué l’arrêt dit des Epoux Karnib dont la solution
d’interdire une exécution provisoire déjà entamée avait sonné comme une
fin annoncée des défenses à l’exécution provisoire dans les Etats parties,
provoquant ainsi une violente critique de la doctrine et obligeant les Hauts
Magistrats à repréciser la portée de cette jurisprudence. Pourquoi ne pas se
souvenir également de l’arrêt dit TOGO TELECOM dont la doctrine a
critiqué l’orientation de la CCJA de consacrer le caractère absolu de
l’immunité d’exécution que l’article 30 de l’Acte uniforme sur les voies
d’exécution reconnaît aux entreprises publiques, alors même que les
tendances internationales en droit comparé en restreignent la portée sous
des conditions bien encadrées.

Dans un monde qui se globalise et où l’Afrique est tenue de se montrer


compétitive pour accroître sa part dans les échanges internationaux, le Dr.
ONANA ETOUNDI souhaite que l’application du droit OHADA par la CCJA se
réconcilie avec les objectifs du Traité pour une jurisprudence plus
compatible avec la sécurité juridique de l’investissement ; tout comme il
propose une réflexion sur les perspectives de réforme du dédoublement
fonctionnel de la CCJA né de son pouvoir de cassation et évocation dont les
méandres limitent l’efficacité pratique de sa mission d’uniformisation de la
jurisprudence OHADA.

Les débats ont débouché sur une forte recommandation des participants
pour la réécriture de l’article 14 du Traité, s’agissant notamment de
certaines imprécisions de ce texte ou de son conflit avec d’autres
dispositions du Traité. Il en va par exemple de l’incompétence de la CCJA à
connaître des pourvois exercés contre les décisions prononçant des
sanctions pénales, alors même que les Actes uniformes prévoient divers
types d’infraction dont le contentieux relatif aux éléments constitutifs
devrait normalement relever de la Haute Juridiction Supranationale.
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Mais le droit OHADA s’applique à un espace juridique donné, l’espace


OHADA regroupant des Etats parties. Le contentieux devrait donc provenir
de l’ensemble de ces Etats membres, et c’est bien pour cela que la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage se veut l’unique juridiction de cassation
supranationale pour les matières relevant du nouveau droit des affaires, de
quelque Etat partie d’où vient le pourvoi ou la demande d’avis consultatif.
Les pourvois en cassation devant la CCJA proviennent-ils pour autant de
tous les Etats parties ?

C’est cette problématique qui a été analysée par Mme DALMEIDA Mele
Flora, Magistrat, Juge à la Cour Suprême du Congo, Présidente de la
Commission Nationale OHADA du Congo depuis une décennie. S’appuyant
sur les statistiques disponibles au greffe de la Cour, son propos établit que
sur un total de 918 pourvois reçus à ce jour par la CCJA, 51 % proviennent
de la Côte d’Ivoire, suivie du Cameroun (13, 14 %) ; viennent ensuite le
Sénégal (6, 64 %), le Mali (4, 46 %), et le Niger (4,03 %).

S’agissant des arrêts effectivement rendus, 62, 19 % concernent la Côte


d’Ivoire, suivi du Cameroun 11, 79 %, puis du Mali, du Gabon, de la Guinée,
du Niger, du Sénégal, du Togo et du Burkina Faso dont le pourcentage varie
entre 2 et 4 %.

A l’analyse, l’on s’aperçoit que les pourvois devant la CCJA demeurent


l’apanage de la Côte d’Ivoire et du Cameroun. Si pour la Côte d’Ivoire la
proximité avec la CCJA explique qu’elle soit son principal pourvoyeur en
contentieux, s’agissant du Cameroun, outre son importance économique en
Afrique Centrale, le pays dispose d’une organisation judiciaire assez
particulière qui prévoit 10 Cours d’Appel installées dans les 10 régions du
pays et près d’une centaine de juridictions de première et de grande
instance disséminées à travers les autres localités. On comprend dès lors
qu’il puisse nourrir logiquement la CCJA de pourvois en cassation, pour une
infime partie du contentieux par rapport aux milliers de décisions rendues
par an.

Est-ce pour autant dire que le droit OHADA ne serait-il pas appliqué dans
les autres Etats parties ? La réponse est non. Mais que se passe-t-il donc ?

Recherchant les causes de cette léthargie d’ensemble, Mme le Juge a relevé


bon nombre de difficultés qu’elle situe à quatre niveaux :

- L’insuffisance des pourvois en provenance de certains Etats membres


serait d’abord imputable au déficit de visibilité de la CCJA, dû à une
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vulgarisation insuffisante de l’Organe juridictionnel et de ses missions


auprès des différents acteurs du droit OHADA ;

-L’éloignement de la CCJA en serait ensuite la cause, car son siège à Abidjan


découragerait les justiciables d’autres Etats, en raison des frais importants
de messagerie ou de déplacement des avocats.

-Les Transactions opérées par les parties qui, redoutant les frais de
procédure à la CCJA à la suite d’un procès en appel au fond, préfèrent
recourir à ce procédé priverait aussi la CCJA de sa saisine.

-Le Handicap linguistique marqué par l’inaccessibilité des pays lusophones


et hispanophones aux actes uniformes ne permettrait pas aux juridictions
nationales de la Guinée Equatoriale, et de la Guinée Bissau d’appliquer ces
actes uniformes rédigés essentiellement en français et rendre des décisions
susceptibles de pourvois. Ce handicap est néanmoins à relativiser depuis
que le Traité portant révisé du Traité OHADA a institué quatre langues de
travail de l’OHAD dont l’Espagnol et le Portugais, de même que le Conseil
des Ministres a instruit la mise en place d’un Laboratoire de Langues dans
chaque Institution de l’OHADA dont la CCJA.

-Enfin, il y a la résistance des hautes cours de cassation des Etats parties,


désintéressées et démotivées par le dépouillement d’un pan important du
contentieux des affaires au profit de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage.

A cette liste non exhaustive, on peut ajouter le fait que le pouvoir de saisine
de la Cour à titre consultatif ne soit reconnu qu’aux juridictions nationales
et aux Etats parties, et non aux Ordres professionnels (Avocats, Huissiers,
Notaires) qui solliciteraient beaucoup plus les Avis de la Cour.

A toutes ces difficultés, Mme DALMEIDA a suggéré des pistes de solutions.


Elle a vivement recommandé une formation intensive et continue et un
recyclage permanent des acteurs juridiques et judiciaires au droit OHADA à
l’ERSUMA, une réflexion sur la création des sections CCJA dans les deux
sous régions (Afrique centrale, Afrique de l’Ouest) avec pour objectif de
résoudre le problème de l’éloignement de la CCJA et de rapprocher celle-ci
des justiciables, l’institution d’une aide judiciaire aux justiciables qui ne
disposeraient pas de ressources financières suffisantes pour actionner la
CCJA, la constitution d’avocat étant de plus devenue obligatoire devant la
CCJA.
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Mais la justice coûte-t-elle vraiment si chère devant la CCJA ? Hormis


éventuellement les honoraires des Avocats, encore qu’ils ne sont pas
obligés de se déplacer pour Abidjan puisque leurs conclusions suffisent, les
frais de procédure à la Cour sont largement à la portée du justiciable.

Les justiciables semblent l’avoir bien compris, d’où une augmentation


continue du volume du contentieux, ainsi que le démontrent les
statistiques de la CCJA en dix ans de fonctionnement.

C’est à Maître LENDONGO Paul, Greffier en Chef de la Cour Commune de


Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, Spécialiste de l’arbitrage OHADA et
Secrétaire Général du Centre d’Arbitrage de la CCJA, qu’est revenu le soin de
présenter ce bilan statistique du travail accompli par la Haute Juridiction
Supranationale, sous la modération du Dr. TCHODIE M’babiniou, Secrétaire
Exécutif de la Commission Nationale OHADA du Togo.

De son exposé, l’on retient que la CCJA a démarré ses activités de manière
lente et progressive depuis 1997. Mais elle a tenu sa première audience le
11 Octobre 2001, et la Cour n’a atteint sa vitesse de croisière qu’en 2005
avec le recrutement d’Assistants Juristes en 2004. En dix ans de
fonctionnement, les statistiques de la jurisprudence de la CCJA sont les
suivantes :

-En matière contentieuse, de l’installation de la Cour au 30 juin 2010, la


CCJA a reçu 924 pourvois en cassation, 375 arrêts ont été rendus, 12
jonctions de procédure prononcées, 60 ordonnances rendues, 50 dossiers
retirés du rôle pour défaut de provision, 03 dossiers retirés du rôle pour
erreur de saisine, et 424 dossiers sont actuellement au stade de
l’instruction pour notification et échange de mémoires entre les parties.

-En matière consultative, de l’installation de la Cour au 30 juin 2010, la CCJA


a reçu 25 demandes de consultation, émis 21 avis dont 5 émanant des Etats
parties, 3 des juridictions nationales, 10 du Secrétariat Permanent, 1 du
Conseil des Ministres sur une question urgente relative à la révision du
Traité ; 1 jonction de procédure a eu lieu en 2003, 1 demande n’a pas été
traitée et est retournée au demandeur, et 2 demandes sont en cours
d’examen.

-En matière arbitrale, de l’installation de la Cour au 30 juin 2010, 37 affaires


ont été enregistrées, 13 sentences définitives rendues, 3 sentences
partielles et 3 sentences de rejet prononcées, 2 dossiers retirés du registre,
et 13 procédures d’arbitrage sont actuellement en cours.
14

Il s’induit de l’analyse de ces statistiques qu’il existe des


dysfonctionnements des structures organisationnelles actuelles de la CCJA
qui sont à l’origine des lenteurs dans le traitement des dossiers de
procédure. Et si la CCJA était par ailleurs régulièrement saisie par
l’ensemble des Etats parties comme on l’aurait souhaité, la Cour se
trouverait totalement engorgée. Se pose alors la question de savoir si
l’augmentation du nombre de juges à 9 pourra contribuer à résoudre le
problème des lenteurs judiciaires à la CCJA. Ce d’autant plus que la
dispersion des juges dans les missions de représentation de la Cour à
différents colloques et séminaires de promotion du droit OHADA entraîne
un recul nécessairement sensible de leur devoir de dire le droit. Mais il
s’agit davantage d’un problème de gouvernance , et en attendant, les
participants ont vivement recommandé que les difficultés d’ordre matériel
ou logistique qui seraient à l’origine des lenteurs judiciaires soient portées
à l’attention du Conseil des Ministres lors des sessions budgétaires.

Trois tables rondes thématiques ont nourri et complété la réflexion sur


l’évaluation des tendances jurisprudentielles de la CCJA et leurs
perspectives d’évolution.

Sous la modération de Mme Evelyne HOHOUETO, Magistrat, Ancienne


Présidente de la Commission Nationale OHADA pour le Togo, Chef du Projet
Modernisation de la Justice au Togo, la première table ronde a porté sur les
‘’Conflits de compétence entre la CCJA et les Hautes Juridictions
Communautaires de l’espace OHADA’’.

Intervenant le premier, le Pr. François DECKON, Maître de conférences


Agrégé, Enseignant – Chercheur, Ancien chef du Département de Droit privé
– Faculté de droit de l'Université de Lomé (Togo) indique que la
problématique des conflits de compétences entre les organisations
africaines normatives ou judiciaires entre elles et les pouvoirs législatifs ou
réglementaires nationaux et les juridictions nationales peut surprendre les
parties en présence, pour n’avoir retenu ni l’attention des organes
concernés, ni celle de la doctrine.

Mais, les ordres juridiques présents dans l’espace OHADA, ne formant pas
un système juridique, ne sont non plus hiérarchisés. Il en résulte une
concurrence des ordres juridiques et incidemment des conflits de
compétence. Des conflits qui se dédoublent soit en conflits de compétence
15

dans l’édiction des normes (conflits d’attribution), soit en conflits dans


l’application des normes (conflits de juridiction).

Le Pr. DECKON explore alors deux pistes de solutions pour prévenir ou


résoudre ces situations conflictuelles :

Il propose d’abord le réaménagement des compétences juridictionnelles


par une sorte de spécialisation et de coordination des instances. Possibilité
est reconnue dans ce système au juge de saisir de saisir la haute juridiction
communautaire concernée d’un recours préjudiciel en interprétation.

Il envisage ensuite la création d’une structure juridictionnelle ou d’un


mécanisme de régulation destiné à prévenir les conflits de compétence
entre les hautes juridictions communautaires, solution du reste évoquée
dans la Déclaration de Cotonou.

De la communication du Dr. Boubacar DIARRAH, Magistrat, Professeur à


l’Université de Bamako, l’on s’aperçoit que les conflits de compétence qui
peuvent opposer la CCJA et les Hautes Juridictions Communautaires n’ont
pas de solutions communautaires compte tenu de la valeur réciproque des
traités et en l’absence d’une juridiction communautaire chargée d’arbitrer
ces conflits. Et la solution qu’il préconise est celle d’harmoniser
l’harmonisation afin de prévenir les conflits.

Prenant enfin la parole, Mme Ramata FOFANA OUEDRAGO, Magistrat, Juge


à la Cour de Justice de l’UEMOA, a davantage insisté sur les solutions d’un
meilleur règlement de ces conflits. Elle propose ainsi une solution radicale
et définitive envisagée sous deux angles :

-Une première solution consisterait à opérer une spécialisation des


organismes à travers une répartition rationnelle des tâches, en s’appuyant
sur les acquis de chacune des Institutions présentes dans la sous région.
Ainsi, le contentieux lié à l’intégration des marchés, à l’intégration
monétaire et à l’intégration des politiques économiques se traduisant par
l’élaboration et la mise en œuvre de politiques communes reviendrait à la
Cour de Justice de l’UEMOA compte tenu de ses avancées dans ces divers
domaines ; le contentieux lié au volet politique, notamment la sécurité, la
prévention et la gestion des conflits serait confié à la Cour de Justice de la
CEDEAO eu égard à son capital d’expérience dans la prévention et la
gestion des conflits. Le contentieux de l’OHADA, vu sa vocation à couvrir
les litiges relevant du droit des affaires, reviendrait à la CCJA.
16

-Une deuxième solution impliquerait l’absorption ou la fusion des


institutions régionales similaires afin qu’elles soient synchronisées.

Les participants ont fortement recommandé sur ce point une concertation


permanente des hautes juridictions communautaires pour prévenir les
conflits. Une telle concertation existe déjà sous l’impulsion du Secrétaire
Permanent de l’OHADA à qui le Conseil des Ministres avait instruit
d’associer l’UEMOA et la CEMAC au processus d’élaboration et de révision
des Actes uniformes. Les participants ont aussi vivement souhaité la
présence constante des Ministres des Finances aux réunions du Conseil
des Ministres, ce qui permettrait de prendre valablement en compte les
préoccupations des ces organisations d’intégration économique dan le
processus d’harmonisation du droit des affaires OHADA afin de prévenir
les conflits.

La deuxième table ronde a porté sur ‘’une stratégie de lutte contre les
lenteurs judiciaires devant la CCJA et les pistes de diffusion de la
jurisprudence’’.

Modérée par le Bâtonnier Alexis AQUEREBURU, les réflexions des


intervenants ont mis en évidence les facteurs déterminants des lenteurs
judiciaires devant la CCJA et envisagé des solutions déjà évoquées dans les
débats qui ont suivi les premières communications.

Sous le chapitre de la diffusion de la jurisprudence de la CCJA, le déficit et


réel et mérite des solutions d’envergure.

Le déficit est réel, et Bertrand NONOS, Analyste Programmeur des Logiciels


juridiques et promoteur du portail JURIAFRICA.com et du Cdroom
« Jurisprudence CCJA et Textes OHADA Annotés », démontre que la
stratégie de diffusion actuellement utilisée via le support papier avec des
dates de publication fixes ne permet pas une diffusion rapide à l’échelle
internationale. Tout comme les méthodologies de traitement et
d’actualisation des outils numériques quand ils existent, ne permettent
toujours pas un accès fiable aux nouvelles données que recherche le
justiciable, le praticien ou l’universitaire.

Est-il besoin de constater que ce diagnostic s’applique très exactement à la


CCJA ! En effet, s’il existe un Recueil de jurisprudence semestriel de la CCJA
qui paraît régulièrement, sa diffusion dans les Etats parties ne brille pas par
ses circuits de distribution. Plusieurs méthodes sont néanmoins
17

envisageables pour une plus grande vulgarisation des tendances


jurisprudentielles de la CCJA.

L’Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) peut d’abord


être mise à contribution. Car de par son statut, elle œuvre en liaison avec la
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et les juridictions nationales à une
harmonisation de l’interprétation et de l’application du droit dans les
matières relevant du Traité OHADA et du droit des affaires en général. Sa
mission se trouve donc aux confins de celle d’uniformisation de la
jurisprudence confiée à la CCJA .A travers une coopération institutionnelle
avec la CCJA, l’ERSUMA pourrait valablement constituer un centre de
traitement et de diffusion de la jurisprudence de la CCJA et même des
juridictions nationales dans les Centres de Formation Judiciaire, Ecoles
Nationales d’Administration et Ecoles Nationales d’Administration et de
Magistrature, structures avec lesquelles elle entretient des rapports de
collaboration. De même que ses sessions de formation tant au siège à Porto
Novo que délocalisées dans les Etats parties réunissent des centaines
d’acteurs juridiques et judiciaires, devraient constituer une formidable
occasion de promotion et de diffusion de la jurisprudence de la CCJA.

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pourrait elle-même s’ouvrir à


un partenariat avec les structures spécialisées dans la distribution des
publications. Des conventions avec les Librairies ou les Maisons d’Edition
pour la distribution de son Recueil de Jurisprudence dans nos Etats
pourraient donc s’avérer efficace.

Par ailleurs, les nouvelles technologies de l’information et de la


communication, qui connaissent un essor considérable en Afrique,
constituent un moyen économique de diffusion et de promotion de
l’OHADA. Une solution digne d’éloges consisterait donc à utiliser tout le
potentiel qu’offrent les NTIC notamment l’Internet, pour élaborer une
banque de données électroniques contenant les tendances
jurisprudentielles de la CCJA et actualisée au jour le jour.

L’Institut du Droit d’Expression et d’Inspiration Française (IDEF), qui


collabore étroitement avec l’UNIDA pour la promotion du droit OHADA a
travers le monde, offre, par son Code annoté en ligne, fondé sur des
illustrations de jurisprudences comparées, un moyen de diffusion efficace,
peu coûteux, et qui a vocation à contribuer à la circulation du droit OHADA
au delà des frontières du droit civil. C’est ce dialogue des cultures
juridiques qu’inspire l’exposé de Dr. Jimmy KODO de l’Université de Paris-
Est Créteil.
18

Enfin, le site ohada.com s’illustre également comme un outil essentiel de


diffusion de la jurisprudence de la CCJA, et dans des termes plus lisibles
s’agissant notamment du Répertoire quinquennal de la jurisprudence de la
CCJA du Pr. Joseph ISSA SAYEGH. Tout comme ce site constitue pareillement
une véritable base de données doctrinales dans les matières relevant du
droit OHADA.

La dernière table ronde a fondé ses réflexions sur les ‘’problèmes de


cohabitation entre la CCJA et les Juridictions de cassation nationale’’, sous la
modération de Monsieur Koffi BASSAH, Magistrat, Conseiller à la Cour
Suprême du Togo.

Des différentes communications de M. Djimet ARABI , Conseiller


Référendaire à la Cour Suprême du Tchad, du Pr. Shamsidine ADJITA de la
Faculté de Droit de Lomé et du Pr. ISSA SAYEGH, l’on retient que le
mécanisme de substitution de la CCJA aux Cours Suprêmes ou de Cassation
Nationales a engendré des rapports conflictuels entre les deux ordres de
juridiction, malaise aggravé par le rythme d’harmonisation du droit des
affaires, au point où la doctrine s’est inquiétée de ce qui restera aux
juridictions de cassation nationales si c’est finalement tout le Droit Privé qui
venait à être harmonisé.

Concours ou conflits ? Quelle est la nature de ces rapports de loin non


complémentaires que pourraient entretenir ces deux hautes juridictions ?
Les conflits peuvent –ils se résoudre à partir du concept de prépondérance
du droit interne ou du droit OHADA ?

Une abondante réflexion a été engagée en son temps à divers niveaux


d’expertise et de consultation pour une nouvelle approche de la répartition
des compétences entre la CCJA et les juridictions de cassation nationales. Si
aucune des propositions faites n’a été retenue par le Traité portant révision
du Traité OHADA qui a tranché le débat, deux solutions préconisées dans
cette mouvance par des Experts indépendants pourraient alimenter la
réflexion pour l’avenir.

-La première est une suggestion sur la réforme du pouvoir de cassation et


d’évocation de la CCJA ainsi que de ses modes de saisine. En effet pour
désengorger la CCJA, la solution résiderait soit dans la rétrocession des
recours intéressant les litiges de moindre importance aux Cours Suprêmes
ou de Cassation Nationales, soit la saisine de la CCJA à titre préjudiciel
comme c’est le cas de la Cour de Justice de l’UEMOA, soit la saisine des
19

Cours Suprêmes ou de Cassation Nationales lorsque les parties décident


librement d’y soumettre leur pourvoi.

-La seconde est une solution alternative au maintien des compétences de la


CCJA dans l’état actuel des dispositions de l’article 14 du Traité. C’est celle
de ne recourir à la CCJA qu’après épuisement des voies de recours devant
les juridictions nationales de fond et de cassation, avec cependant trois
correctifs : les décisions rendues par les Cours suprêmes nationales ne
seraient exécutoires qu’une fois validées par la CCJA (1er correctif) ; en cas
de non validation par la CCJA, celle-ci évoquerait l’affaire (2e correctif); tout
pourvoi en cassation devant une Cour suprême nationale non vidé dans la
délai de douze mois serait déféré à la CCJA (3e correctif ).

Au terme de nos travaux, s’il fallait rebaptiser le thème du Colloque dans le


dessein des organisateurs, on dirait « La jurisprudence de la CCJA entre son
passé et son avenir ». Le passé c’est l’évaluation qui a été faite de cette
jurisprudence tout au long des développements et des débats. L’avenir, ce
sont les perspectives d’évolution de cette jurisprudence qui ont été
envisagées, et c’est sous cet angle qu’il ne serait certainement pas excessif
d’en rajouter.

C’est une vérité banale que de parler de la diversité des sources du droit,
des sources de formation des magistrats de nos Etats parties et des
multiples problèmes socio-économiques et politiques que rencontrent ces
acteurs dans la mission de dire le droit. Mais, l’uniformisation de la
jurisprudence communautaire présente une occasion unique d’améliorer la
qualité de la justice rendue par les juridictions nationales. Les tendances
jurisprudentielles de la CCJA permettent donc d’éviter, aux juges nationaux
appelés à appliquer le droit OHADA en première instance et en cas d’appel,
les problèmes qui peuvent altérer la qualité et l’efficience de leurs
décisions.

Mais l’art de juger en droit OHADA n’est pas une chose banale pour les
juridictions nationales car du moment où l’Acte uniforme ne contient pas
expressément la solution, le juge dans la plénitude de son art, va devoir
recourir à l’interprétation. PORTALIS relevait déjà : « il est nécessairement
une foule de circonstances dans lesquelles un juge se trouve sans loi ». Cette
situation dépasse largement le schéma classique du syllogisme judiciaire
tant il est admis que le juge participe à l’élaboration du droit par la création
de la jurisprudence.
20

Mais, dans l’environnement juridique OHADA, l’œuvre de création du droit


et d’enrichissement de ses sources formelles à travers la jurisprudence,
celle-là même qui donne force et cohérence à la démarche intérieure du
juge, relève véritablement de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Le
rôle créateur du juge communautaire de la CCJA n’est donc plus discuté, et
sa jurisprudence doit être applicative, complétive, supplétive, et corrective.

La jurisprudence de la CCJA doit être applicative quand elle se réfère à une


règle de droit claire et précise édictée par un texte OHADA, et en tout cas en
parfaite adéquation avec la lex lata (la lettre de la loi) ;

La jurisprudence de la CCJA doit être complétive ou infra legem (au dessous


de la loi) lorsqu’elle contribue à préciser les conditions d’application d’un
principe plus général qui n’a pas reçu du législateur OHADA les précisions
nécessaires ;

La jurisprudence de la CCJA doit être supplétive ou praeter legem


(indépendamment de la loi) quand elle crée des normes sur les points où le
législateur OHADA est resté muet ;

La jurisprudence de la CCJA doit être enfin corrective, subversive ou


passablement contra legem (contraire à la loi) quand elle annule un texte
non conforme à un autre texte ou lorsqu’elle donne d’une disposition du
droit OHADA une interprétation que le législateur communautaire n’avait
manifestement pas prévue.

La jurisprudence communautaire, cette œuvre salutaire de la Cour


Commune de Justice et d’Arbitrage, rend suffisamment compte de la marche
dialectique de ce que devrait être la pensée du juge national de quelque Etat
partie qu’il vienne vis-à-vis des Actes uniformes. C’est un mode d’exercice
de l’art de juger.

Les règles de droit OHADA étant multinationales dans leur origine,


internationales dans leur objectif, et parfois multilinguistiques dans leur
expression, leur application doit également s’arrimer aux tendances
internationales et évolutives du droit comparé. Il est de ce fait désormais
reconnu que les différences entre les systèmes juridiques, notamment ceux
de droit civil et de Common Law, se résorbent sous l’effet de
l’accroissement des échanges d’information.

Comment terminer notre colloque sans se remémorer ces paroles du Juge


KEBA MBAYE, cet artisan immortel de l’intégration juridique africaine,
21

quand, se prêtant à la question d’un journaliste au sortir des travaux du


bicentenaire du code de commerce Paris , il déclare : « j’aimerai qu’un jour
les générations futures se souviennent de mon combat ; j’aimerai qu’elles
viennent se prosterner devant ma tombe en criant victoire ; la victoire d’un
droit des affaires OHADA appliqué partout de la même façon ; la victoire
d’une Afrique unie autour d’un objectif commun : le droit des affaires unifié
au service de l’intégration économique et la croissance ; c’est le plus grand
héritage que je laisse à l’Afrique ».

Si c’est donc cet héritage que nous lègue le Juge KEBA MBAYE, celui-ci peut
tout aussi être enrichi par les méditations d’un autre immortel de la science
juridique, le Professeur Stanislas MELONE, qui prédisait déjà en 1996 au
cours d’un Colloque organisé au siège du GICAM à Douala : « l’application
du droit OHADA sera nécessairement porteuse de conflits ; conflits
d’interprétation d’une juridiction nationale à l’autre ; conflits
d’interprétation d’un Etat partie à l’autre ; conflits d’approche d’un
praticien ou d’un universitaire à l’autre ; mais c’est à la CCJA, organe
d’unification de la jurisprudence qu’il appartiendra de faire taire les
controverses ; à condition cependant que le politique lui donne les moyens
de sa politique ».

C’est donc au prix de la volonté politique des Etats de l’OHADA que la CCJA
saura relever le défi d’une justice de développement, celle-là même qui
rassure et attire les investisseurs par sa capacité à réaliser la symbiose
idéale du droit savant issu des Actes uniformes et du droit vivant généré
par ses applications jurisprudentielles.

C’est tout le sens qu’il faut donner aux principales recommandations de ce


Colloque destinées au Président en exercice du Conseil des Ministres de
l’OHADA.

En fin de compte, puisse ce genre de colloque se perpétuer à la veille des


réunions des Conseils des Ministres de l’OHADA ou des plénières des
Commissions nationales ! C’est le vœu que nous formulons à la fin des
travaux de ce Colloque.

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