Vous êtes sur la page 1sur 13

OHADATA D-05-26

QUEL DROIT DE LA CONSOMMATION POUR L’AFRIQUE ?


UNE ANALYSE CRITIQUE DU PROJET OHADA D’ACTE UNIFORME SUR LE DROIT DE LA
CONSOMMATION (JUIN 2003)

Par Henri TEMPLE


Directeur du Centre de droit de la consommation de l’Université de Montpellier
Expert international
Avocat à la Cour
Revue burkinabé de droit n° 43-44, 1er et 2ème semestres 2003

Que l’Afrique souffre, pour son développement, de nombreux handicaps, toute l’opinion publique, y compris
bien sûr l’opinion africaine, en est persuadée. L’investisseur, notamment l’investisseur privé étranger, range au
nombre de ces handicaps l’incertitude juridique et judiciaire qui pèse sur la vie quotidienne des affaires. Aussi
doit-on se féliciter de ce que, depuis une décennie à peine, l’Afrique (et plus particulièrement l’Afrique
francophone) se dote d’institutions, de cadres et d’instruments juridiques rassembleurs et unificateurs. Aux côtés
de l’émergence de véritables espaces communautaires économiques (CEMAC 1 pour six pays d’Afrique centrale,
UEMOA 2 pour huit pays d’Afrique de l’ouest), l’OHADA 3 est une organisation qui œuvre pour
l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. Le Traité institutif, publié le 1er novembre 1997, a été ratifié à
ce jour par seize Etats d’Afrique subsaharienne, du Sénégal aux Comores, dont quatorze pays francophones 4.

Si l’on doit se féliciter des résultats acquis en matière d’harmonisation de droit commercial, droit des
sociétés, droit des sûretés, du recouvrement et de l’exécution, de la faillite, de la comptabilité commerciale et des
transports, de sérieux doutes naissent néanmoins s’agissant de systèmes harmonisés d’arbitrage et de la
centralisation de tous les différends devant une Cour commune de justice et d’arbitrage, située à Abidjan, et
dépossédant de leur compétence, dans les matières harmonisées, les seize Cours suprêmes des Etats signataires.

Les doutes deviennent des réticences ou même des rejets catégoriques, lorsque d’autres domaines
d’harmonisation sont envisagés. Ainsi, et même si le Traité l’évoque en commettant un contresens flagrant, le
droit du travail ne peut ni ne doit être assimilé au droit des affaires : il n’en a ni les mêmes finalités, ni les mêmes
partenaires, ni les mêmes modes d’élaboration. Même si c’est, avec la discrétion qui sied à de telles opérations,
on suggère ici et là, de temps à autre, que l’OHADA viendrait à s’occuper aussi de fiscalité, de concurrence…
Or il n’est ni sain ni logique que le milieu des affaires édicte des règles qui sont censées l’obliger à l’égard des
salariés, du trésor public ou de ses concurrents. Ce n’est pas à l’assujetti de définir les liens de sa sujétion. Sauf à
devenir “ assujettisseur… ”. Ou juge et partie.
C’est dans ce contexte que l’on est quelque peu surpris de découvrir l’élaboration semble-t-il assez avancée,
mais peu annoncée5, par l’OHADA, d’un acte uniforme sur le contrat de consommation. Le but de cet article
est de dire sans ambage que cette démarche, dangereuse et inopinée, DOIT ETRE RECONSIDÉRÉE.

Les raisons que nous opposerons à ce projet visent aussi bien la méthode (I), la stratégie (II) que le projet lui-
même (III).

I. LES DANGERS DE LA METHODE UTILISEE

La méthode utilisée n’est conforme ni au cadre institutionnel de l’OHADA (A), ni aux méthodes habituelles
en cette matière (B).

A. La non conformité au cadre institutionnel de l’OHADA

1) Le droit de la consommation est étranger au droit des affaires

1
Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad.
2
Union économique et monétaire ouest-africaine : Benin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.
3
Les quatorze pays de l'UEMOA et de la CEMA, plus les Comores et la Guinée.
4
Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires, convenue le 17 octobre 1993 à Port-Louis.
5
Il est toutefois fait expressément allusion à cet événement dans les documents de présentation et de vulgarisation de l’OHADA et sur son
site internet : www.ohada.com, mais sans autre précision.
Le droit des affaires – qui ne doit d’ailleurs pas être celui des affairistes – a pour objet d’organiser et de
faciliter l’activité des entreprises et opérateurs économiques. Mais si le droit des affaires a aussi pour objet
d’organiser les structures et l’action des opérateurs économiques, il conserve une logique intrinsèque : statut des
commerçants, relations entre associés ou entre associés et organes sociaux, contrats commerciaux, sûretés, droit
de la banque, de la faillite, du recouvrement. Tout ici découle d’une stratégie d’argent ou de rapports d’argent
entre partenaires professionnels. Rien de honteux à cela, les affaires ont pour objet de gagner et de faire gagner
de l’argent et leurs résultats s’apprécient en argent. Toutefois cette logique est aussi la limite intrinsèque du droit
des affaires : ainsi à l'opposé, la fiscalité découle essentiellement d’une logique collective de solidarité et
d’organisation d’une communauté nationale ; le droit du travail procède d’une logique plus paradoxale
d’opposition et de dialogue, d’autorité et de protection, entre les employeurs et ceux qui, tout en contribuant à la
réalisation de la logique d’argent, ne participent pas de cette logique.

Quant au droit de la consommation, sa logique est à la fois morale (préserver le faible du fort) et macro-
économique : la consommation c’est l’ensemble de la demande et, dans un libéralisme bien pensé et bien
organisé, la demande doit bénéficier d’une symétrie d’information avec l’offre 6 et, pensons-nous même
davantage, d’un équilibre dans les rapports de force pour que la demande puisse remplir une fonction
économique d’orientation et d’incitation de l’offre. Toute tentative pour faire du droit de la consommation une
annexe du droit des affaires serait perverse et falsifierait jusqu’au principe même du libéralisme. 7

1) Le droit de la consommation n’est d’ailleurs pas compris dans le domaine couvert par
le Traité de l’OHADA

En effet, l’article 2 de ce Traité dispose : “ Entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des
règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux
sûretés et aux voies d’exécution, au régime de redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au
droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports… ”.

Toutefois ce même article 2 ouvre d’autres possibilités par la formule : “ …et toutes autres matières que le
Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du présent Traité et aux
dispositions de l’article 8. ”.
Or, à notre connaissance, aucune décision expresse du Conseil des Ministres de l’OHADA n’a été adoptée ni
publiée pour décider d’une phagocytose du droit de la consommation dans le domaine du Traité.

De plus, même si un tel dessein était projeté, il se heurterait à des obstacles juridiques dirimants :
- en premier lieu, à notre sens, la décision d’ajouter le droit de la consommation à la liste de l’article 2
devrait très ostensiblement être adoptée, au grand jour, avant toute mise en chantier de projet.
En outre, on peut se demander si, la préparation de l’acte en question a bien été, conformément à l’article 6
du Traité, effectuée par le Secrétariat permanent en concertation avec les Gouvernements des Etats parties. Si tel
n’ était pas le cas, le projet serait mort-né pour des raisons de droit institutionnel ;
- en deuxième lieu, il faudrait solliciter, au delà du raisonnable, l’article 1er du Traité, ce qui semble
insurmontable puisque cet article définit l’objet du Traité comme “ l’harmonisation du droit des affaires ”. On
est curieux d’avance de lire l’exposé des motifs de la décision (historique certes mais bien peu cohérente…) qui
ferait entrer le droit de la consommation dans le droit des affaires alors qu’il en est… le
contrepoids indispensable dans une économie libérale !
- En troisième et dernier lieu, la décision qui tenterait d’insérer le droit de la consommation
(exceptionnellement et pour la seule Afrique…) dans le droit des affaires devrait être adoptée à l’unanimité des
suffrages exprimés par les représentants des Etats parties (art. 8 du Traité sur renvoi de l’art. 2).
Le respect de ces conditions institutionnelles est bien évidemment impératif : qu’on n’oublie pas, en effet,
que la disposition finale de l’article 2 du Traité est exceptionnelle en droit international public, en ce qu’elle
permet ni plus ni moins que de modifier le Traité par une simple décision du Conseil des Ministres… En effet,
les amendements ou révisions du Traité sont, en règle générale et absolue, effectués conformément à l’article 61,
selon une procédure bien plus lourde (v. art. 52 à 60, sur renvoi implicite).
Si un Etat partie contestant l’absorption des droits des consommateurs par le droit des affaires n’obtenait pas,
à première demande, le retrait du projet, un contentieux pourrait surgir, le ou les Etats en désaccord saisissant la

6
V. notamment les travaux des prix Nobel Joseph Stiglitz et Bob Akerloff in Henri Temple, “ Le droit de la consommation est-il
subversif ? ”, Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, à paraître sept. 2003.
7
Contra Joseph Issa-Sayegh et Jacqueline Lohoues-Oble, OHADA, Harmonisation du droit des affaires, n° 260, Bruylant éd. 2002. Mais
cette opinion est avancée sans justification. Pire, les auteurs professent une quasi-assimilation du droit des affaires au droit économique !
(ibidem, n° 259). C'est une dérive américolâtre du droit dénoncée pourtant par les meilleurs économistes anglo-saxons. Amarthy SEN (prix
Nobel d'économie), "L'économie est une science sociale", Paris, 1999, passim.
Cour commune de justice et d’arbitrage, en applications des articles 14 alinéa 2 et 56 du Traité, en interprétation.
Ce serait une première et elle aurait un grand retentissement négatif sur l’image de l’OHADA.
- En dernier lieu, si l’acte uniforme sur la consommation voyait tout de même le jour, on pourrait craindre
que son ambiguïté congénitale ne le rattrape aux virages des prétoires nationaux. Quelques plaideurs acharnés
pourraient relever l’exception d’illégalité ou d’anticonstitutionnalité et si des juges mécontents les suivaient,
fusse dans un seul des pays du champ, c’est tout l’édifice de l’OHADA qui pourrait y perdre sa crédibilité.

B. L’inadéquation au contexte spécifique des consommateurs africains

1) Le droit de la consommation est, pour l’essentiel, un droit économique, d’ordre public


protecteur

Comme l’est d’ailleurs aussi le droit du travail. Ces législations, par leur histoire, leur nature, leur objet, leur
vie sociologique, sont vouées à une concertation préalable à leur élaboration. Au plan national (français par
exemple), toute réforme ou innovation fait l’objet d’une recherche préalable, sinon de consensus, du moins d’une
concertation vaste, profonde et durable avec les différentes parties prenantes. Il existe d’ailleurs des lieux de
dialogue et de concertation permanentes dans cette perspective : Institut national de la consommation, Conseil
national de la consommation, Conseil national du commerce et toutes les instances spécialisées concernant le
crédit, la santé, l’alimentation, la sécurité, la normalisation, dans lesquelles les organisations de la consommation
sont bien représentées, au même titre que les organisations de professionnels.

Au plan européen, qui anticipe désormais majoritairement sinon exclusivement le droit national, les
occasions et instances de concertation sont elles-aussi nombreuses : Bureau européen des unions de
consommateurs, Conseil économique et social, Eurocoop et la direction SANCO (Santé Consommateurs) elle-
même fonctionne au sein d’un halo de groupes d’experts et de concertation. Il n’est, pour l’instant, que l’OMC
qui n’ait pas intégré une véritable représentation des consommateurs.

2) Or le sort du consommateur africain aurait dû requérir encore plus d’attention quand il


n’en a, en cette occasion, pourtant cardinale, reçu semble-t-il que très peu.

Certes il n’existe pas de représentation des consommateurs auprès de l’OHADA. Et pour cause. Mais cette
représentation et cette concertation n’auraient-elles pas dû être le préliminaire obligé avant toute réflexion sur ce
projet d’acte uniforme ? Il aurait été au minimum souhaitable de contacter, soit directement, soit par
l’intermédiaire de leur autorité de tutelle, ou par l'organisation mondiale (C.I.) 8 les associations de
consommateurs des pays concernés, ce qui n’a pas été fait dès l'origine.
Le consommateur africain méritait quoiqu’il en soit encore plus d’égards que ses homologues français et
européens, et cela pour trois raisons :
- L’Afrique, par tradition, est un continent où la recherche du consensus est atavique ;
- Les populations africaines doivent donc, pour des raisons évidentes d’acceptation, de formation, et de
bonne exécution, être associées au processus ;
- L’Afrique, enfin, a des besoins spécifiques découlant de sa situation sanitaire et socio-économique
fragile, que des consultants qui n’auraient aucune expérience du continent ne peuvent soupçonner.

En résumé, la méthode utilisée encourt à l’évidence la critique. Mais il se trouve aussi que la stratégie choisie
aggrave encore, si c’est possible, l’inquiétude des jus-consuméristes sincères.

II. LE DANGER DE LA STRATEGIE ADOPTEE

Tout instrument juridique normatif s’inscrit dans un contexte légal et institutionnel. L’objectif recherché,
l’itinéraire pour y parvenir, en s’appuyant sur le contexte, ou en esquivant ses écueils, le choix des techniques
juridiques en constituent la stratégie juridique.
Le premier aspect de la stratégie juridique tient aux choix techniques, à la nature du texte, à son domaine, sa
mise en œuvre et ses sanctions (A). Inévitablement surgit la deuxième et délicate dimension de la stratégie
juridique : comment combiner les choix que l’on vient d’effectuer avec les facteurs du contexte national et
international ? (B) On passe alors de la topographie à la géométrie en trois dimensions.

A. La stratégie critiquable, déduite des choix techniques

8
Consumers International, dont le siège est à Londres.
La nature du texte – un acte uniforme très détaillé – n’était pourtant pas la seule possibilité. L’article 1er du
Traité OHADA évoque en effet “ l’harmonisation… par l’élaboration de règles communes simples… adaptées à
la situation [de leurs] économies, … ”.

Les concepteurs auraient donc pu se limiter à un petit nombre de dispositions uniformes et impératives et
laisser une certaine autonomie aux Etats parties, comme cela est en particulier expressément prévu pour les cas
où des sanctions pénales seraient recommandées (art. 5 al. 2 du Traité).

Il eut été également possible de limiter le domaine de l’acte uniforme à un ou plusieurs secteurs précis
(l’étiquetage, la garantie, la sécurité) plutôt que d’encourir une réaction de rejet en proposant un bloc massif
englobant la quasi-totalité du droit de la consommation.

Il faut préciser de surcroît qu’une fois adopté, un acte uniforme est très difficile à faire évoluer pour répondre
aux besoins sans arrêt évolutifs de la matière, si ce n’est aux conditions pesantes des articles 12 et 7 à 9 du Traité
OHADA, rendant bien illusoire la perspective des réformes ultérieures du texte.

Or le projet en cours tel qu’en son état certes provisoire du mois de juin 2003, est ambitieux puisqu’il prétend
englober l’essentiel du droit de la consommation, à partir du prétexte, invoqué dans son intitulé, qui vise le seul
“ contrat de consommation ”.

Si les passages relatifs à la formation du contrat, son exécution, semblent respecter le parti adopté par les
concepteurs, il est plus difficile de justifier de l’introduction parmi les sanctions contractuelles de règles
concernant la responsabilité du fait des produits, pourtant aujourd’hui déconnectée du cadre contractuel de la
vente. Il est également totalement impossible de rattacher à l’idée de contrat l’ensemble des dispositions
concernant les règles concernant les associations de consommateurs, leurs actions en justice, les accords
collectifs à conclure avec les pouvoirs publics ou avec les représentants des entreprises…

Quant aux sanctions, la stratégie retenue était dans un premier temps purement et simplement d’exclure
toute sanction pénale ! Or on sait, en droit de la consommation et notamment alimentaire, de telles sanctions
sont indispensables. Cette restriction n’est pas liée au cadre instrumentaire (l’acte uniforme) : elle était voulue.
En effet le Traité OHADA autorisait expressément la possibilité (art. 5 al. 5 du Traité) de prévoir des sanctions
pénales, à charge pour les Etats parties d’en déterminer les modalités.

On pourrait alors reprocher aux concepteurs un “ double catimini ” : celui de mainmise sur le droit de la
consommation par le droit des affaires et celui de l’infiltration de dispositions minimalistes dans les droits
nationaux des contrats et de la consommation.

B. La stratégie regrettable induite des contextes nationaux et internationaux

Les choix techniques, leur nature, leur domaine et l’étendue de ce dernier, conduisent nécessairement à des
conflits avec des systèmes juridiques mitoyens ou concurrents. Il s’agit d’une “ stratégie subie ”, peut-être par le
manque d’une vue d’ensemble du contexte juridique africain dont l’OHADA n’est qu’un des éléments (on ose
espérer qu’il ne s’agit pas d’une stratégie voulue mais secrète).

1) La "stratégie subie" du fait du système OHADA

- Les problèmes de consommation sont le plus souvent de modestes questions de vie quotidienne, mais ils
revêtent sous un double aspect une très grande importance économique :
! pour la famille, tout d’abord, c’est le budget familial, et donc les conditions de
l’équilibre économique familial, sur le continent pauvre de la planète…
! pour l’ensemble économique national ensuite, l’accumulation des problèmes
consuméristes non satisfaits crée à la fois un manque de confiance des ménages 9(ce
qui retentit donc sur le comportement et sur l’ampleur de la demande) et des
distorsions indues de concurrence au profit de certains compétiteurs trop habiles et pas

9
On publie régulièrement un "indice de confiance des ménages" distinct de l'évolution du volume de consommation. Si on a bien étudié
l'impact de la variation du revenu sur le niveau de la demande (quantitatif), la "théorie de l'utilité et de la préférence" s'intéresse au qualitatif.
V. J. Stiglitz (prix Nobel), Principes d'économie moderne, De Boeck ed., 2003, p. 154 et s. L'auteur admet que les modèles classiques qui
expliquent les choix des consommateurs ne reflètent pas parfaitement la réalité (p. 158), mais sans affiner l'étude de motivations d'achat de
plus en plus liées aux règles juridiques de la vente aux consommateurs. La "courbe d'indifférence" est de plus en plus fréquemment déformée
par cette considération, sans que ces "déformations" aient fait l'objet d'études précises.
assez sérieux au détriment des entreprises honnêtes.

Il importe donc, bien plus, de mettre en place un règlement des litiges efficace, rapide, proche et satisfactoire,
plutôt que d’annoncer un système et des règles de fond très théoriquement parfaites.

- Or, tout Acte uniforme OHADA conduit à faire échapper les ultimes recours contre les décisions judiciaires
rendues en dernier ressort, aux Cours suprêmes nationales, pour les transférer à la Cour commune de justice et
d’arbitrage (à Abidjan…, art. 14 et suiv. du Traité OHADA). On perçoit tout de suite l’inadéquation du système
OHADA aux problèmes concrets mais modestes des consommateurs. Certes, peu de consommateurs – objectera-
t-on – saisissent la justice et encore moins la Cour suprême. Mais la réfutation de cette objection est aisée : le
système non seulement devient inaccessible aux consommateurs, mais encore sera réservé aux seuls
professionnels qui auront les moyens d’assumer les coûts et la complexité des pourvois (sans parler des frais
inhérents aux distances). Or la CCJA statue au fond en cas d’arrêt de cassation, sans renvoi aux Cours nationales.
Le plaideur le plus opiniâtre et le plus fortuné l’emportera, par défaut, contre le consommateur dépassé. Or,
encore, le rôle de la CCJA serait, si jamais le projet d’acte voyait le jour, capital eu égard au grand nombre de
règles floues, subjectives ou ambiguës que contient cet acte. C’est devant la CCJA que se déroulera, en
définitive, bien souvent, la manche finale qui décidera de l’interprétation et de l’orientation des règles de la
consommation.

2) La "stratégie subie" du fait du développement des systèmes de droits régionaux et


nationaux

Après quatre décennies de langueur juridique post-coloniale, voilà l’Afrique confrontée à un trop-plein de
droit. Actes uniformes antérieurs (assurance ou propriété intellectuelle) ou postérieurs à l’OHADA, droits
communautaire (UE, UMOA ou CEMAC) et, bien sûr, législations nationales en renouvellement rapide. Or, ces
deux derniers niveaux (régionaux et nationaux) ont vocation à régir tout ou partie du droit de la consommation.
Fallait-il dès lors, au risque de rendre le droit positif illisible, rajouter une strate OHADA ? En plus des
objections déjà formulées ci-dessus - chacune d’entre elles étant à nos yeux suffisante -, cette dernière critique
est, elle-aussi, dirimante.
Le droit de la consommation, en raison de l'utilisateur auquel il est destiné, doit être simple, clair, pratique,
proche. L’irruption de l’OHADA en fera tout le contraire. Quelques exemples devraient suffire :

a) Le conflit avec les accords ACP

Dans le cadre de l’accord ACP-CE de Cotonou (23 juin 2000), la coopération entre l’Afrique et l’Union
européenne inclut très explicitement une coopération pour l’élaboration d’un droit africain de la consommation
élevé à un niveau comparable à celui du droit européen de la consommation. L’objectif des accords ACP, ne
l’oublions surtout pas, est de mettre le droit africain au niveau de celui de l’Europe (premier partenaire de
l’Afrique et de très loin), pour l’ensemble de sa législation du marché, et notamment celle qui organise la
concurrence et la consommation 10. Or les programmes européens pour aider l’UEMOA et la CEMAC à
moderniser leur droit du marché sont en cours d’exécution 11, en liaison avec la Communauté européenne.
Il importe, dans la perspective nouvelle des accords ACP, mis en conformité avec les règles de l’OMC, que
le droit économique africain (concurrence et consommation) parle le même langage que le droit de son principal
partenaire. Or, le projet OHADA diverge à plus d’un titre, ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où il
s’inscrit dans un contexte d’élaboration CNUCED 12 et non dans un environnement UE/ACP.

b) Les conflits avec les droits régionaux et nationaux

Le conflit avec la démarche ACP provoquera aussi nécessairement des conflits avec les droits régionaux et
nationaux. En effet, la logique politique des accords de Cotonou (tant vis à vis de l’UE que de l’OMC) serait que
les structures communautaires régionales, coopèrent avec l’Union européenne pour élaborer et harmoniser avec
cette dernière leurs législations économiques (du marché) puis que les législateurs nationaux adaptent ces règles
en les concertant, dans les limites permises, avec les acteurs locaux.

La stratégie (la plus sérieuse) envisageable sera de susciter et d’harmoniser des législations nationales de
consommation permettant des consensus locaux, gage d’adhésion sociale aux textes et de pratiquer, à l’instar de

10
Art. 51 Traité de Cotonou.
11
Ainsi l’UEMOA s’est dotée, en avril 2002, de ses premiers textes en matière de concurrence. Le droit de la consommation quant à lui est
sur le point d’être mis à l’étude.
12
Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement.
l’expérience européenne, par directives de l’UEMOA et de la CEMAC 13. On suggérera toutefois l’édiction de
quelques règlements à effet communautaire immédiat et identique dans chaque sous-région pour traiter des
différends transfrontaliers, nombreux en Afrique où le consommateur n’a jamais vraiment observé les frontières.

Or il semble encore que dans tel ou tel pays des projets de codes nationaux (Burkina et Côte d’Ivoire
notamment) soient sur le point d’être adoptés par les Parlements et que les projets soient quasiment achevés. Un
désordre juridique est prévisible qui gênera aussi bien les professionnels et leurs conseils, les consommateurs,
leurs associations. C’est une raison supplémentaire de dénoncer le projet OHADA et d’avancer rapidement les
travaux communautaires des deux marchés communs africains.

Par ailleurs, les règles de conflit contenues tant dans le Traité OHADA que dans le projet d’acte uniforme sur
le contrat de consommation vont davantage provoquer des conflits et des interrogations sans issue que générer
un ordre juridique coordonné, clair, efficace. Et ceci notamment pour quatre principales raisons :
- Le Traité OHADA tout d’abord, conforme en cela aux principes de droit international et de droit
constitutionnel national, attribue aux actes uniformes un effet direct et obligatoire. L’article 10 du Traité qui
exprime cette idée, contient néanmoins une formulation qui, aussi ambiguë qu’elle puisse paraître, constitue une
bombe à retardement. Cet effet est direct et obligatoire, selon l’article 10 “ nonobstant toute disposition contraire
de droit interne antérieure ou postérieure ”. Si le terme nonobstant est en général ambigu et redouté des juristes
précis 14, il apparaît que dans le contexte de l’article 10 du Traité, la règle signifie que le droit OHADA prime les
dispositions nationales et pas seulement en cas de conflit de lois : il abroge en fait dans tous les cas de figure les
dispositions nationales contraires et rend le domaine couvert par ces dispositions indisponible pour toute
retouche nationale, pour l’avenir (puisqu’il écarte le droit interne postérieur).
- De surcroît, outre le fait que l’abrogation de fait des lois nationales contraires sur la consommation suscitera
de vives protestations dans les opinions publiques, il sera également très difficile de retricoter un droit positif
comportant concouramment des dispositions nationales non abrogées et des dispositions OHADA substituées
aux anciennes dispositions nationales. Bref les questions de règles applicables encombreront les prétoires et leurs
solutions dépendront des arrêts de la CCJA… rendues des années plus tard 15.
- Il y a pire… L’article 10 du Traité OHADA conduira à écarter, dans le domaine couvert par l’acte
uniforme, non seulement les règles nationales de fond contraires, mais inévitablement aussi leurs sanctions
pénales. En effet, les rédacteurs du projet avaient adopté un parti pris d’une absence totale de sanction pénale, et
donc l’impossibilité d’en prévoir au niveau national. En d’autres termes, le projet d’acte OHADA pouvait faire
disparaître toutes les sanctions pénales nationales dans les domaines couverts par le projet d’acte ! Certes
l’ultime version (15 juin 2003) tente de dissimuler cet attentat juridique mais le parti adopté n’en fait pas
disparaître toutes les conséquences (v. infra IIIe partie).

Enfin, si le projet OHADA voyait le jour, surgiraient encore des difficultés inextricables quant à la hiérarchie
des sources. En effet, il est très probable que, tant pour se conformer à leurs missions que pour respecter les
engagements ACP, les communautés régionales (CEMAC, UEMOA) élaboreront elles-aussi des règles de droit
de la consommation (et de la concurrence) ayant elles-aussi suprématie sur les lois nationales. Qui décidera alors
de l’ordre hiérarchique de ces sources : les Cours de justice de l’UEMOA ou de la CEMAC ? la CCJA ? les
Cours suprêmes ou constitutionnelles nationales ? Et où seront les promoteurs de cet imbroglio juridique pour
s’en expliquer aux plus modestes des consommateurs des pays les plus pauvres de la planète ?

Il s’agit là de dangers particulièrement préoccupants. Mais il en existe encore d'autres qui résultent du
contenu du fond du projet d’acte uniforme.

III . LE DANGER DU CONTENU DU PROJET D’ACTE UNIFORME

Outre les dangers dénoncés ci-dessus, le projet d’acte uniforme sur le droit de la consommation africain est
dangereux dans son fond. Certes il ne s’agit pas, selon nos informations, d’un projet définitif et il pourrait sans
doute être amélioré sans, pour autant, que soient levés les autres dangers déjà repérés (supra). Tel qu’il est,
toutefois, il procède de choix de politiques et de techniques juridiques qui nous paraissent regrettables tant par la
régression qui en découlera (A) que par leur inadaptation (B) ou leur imprécision (C).

13
Les pays ACP voisins et/ou francophones non membres de l’UEMOA ou de la CEMAC auront tout intérêt et toute facilité de calquer leur
législation sur ces Directives. On pense au Zaïre, Rwanda, Burundi, Angola, Gambie, Mauritanie, Djibouti, Seychelles, Comores,
Madagascar, Maurice… En Europe, Suisse, Norvège et Pays de l’Est ont pratiqué de cette façon.
14
En effet "nonobstant" est tout à la fois une préposition, un adverbe et un adjectif. Pire, sémantiquement ses différentes fonctions
syntaxiques font varier son sens de “ malgré, sans égard à ” à “ incapable d’opposer un obstacle efficace ”, Grand Larousse, XIXe siècle.
15
Sur 28 arrêts rendus par la CCJA, 3 se fondent sur l’incompétence et 6 sur l’irrecevabilité. Recueil de jurisprudence de la CCJA, janvier
2003.
A. Le danger de régression de la protection des consommateurs

Il faut revenir sur la régression que provoquerait la disparition pure et simple de sanctions pénales en matière
de consommation. Mais d’autres dangers tout aussi réels sont également préoccupants.

1) Sur le risque d’évacuation des sanctions pénales

1.1. La première version du projet d’acte

Il convient de revenir en premier lieu sur l’évacuation pure et simple de toute sanction pénale du domaine
couvert par la première version de l’acte uniforme. Or ce domaine est d’autant plus vaste qu’il déborde très
largement l’intitulé quelque peu déceptif du projet d’acte qui ne vise que le “ contrat de consommation ”. Ce
domaine en effet englobe des règles dont le respect doit, pour des raisons de dissuasion et d’exemplarité
évidentes, être assuré par des délits comportant même de lourdes peines.

Ainsi le délit d’abus de faiblesse 16 devient-il dans le texte simplement “ lésion entre majeurs ” (sic) (art. 27
et 28 du projet), expression curieuse d’où l’on peut supposer que l’un des “ majeurs ” est peut-être le
professionnel voire une firme multinationale… !

Ainsi encore le délit de fraude ou de falsification 17 est promu de l’enfer au purgatoire en étant requalifié
“ d’atteinte à l’information précontractuelle ” (sic) (art. 29 et suiv.). Ainsi encore le délit de publicité trompeuse
18
est-il absent, devenant dans le projet une simple “ publicité interdite ” (sic) (art. 36 et suiv. du projet) même si
elle est réalisée au moyen de jeux et concours (art. 43 et suiv.). Le refus de vente et les ventes liées (art. 47), les
ventes par envoi forcé (art. 48), la vente sans facture (art. 60 et suiv.) sont tous autant de délits “ civilifiés ”. (Le
terme “ civilisé ” pourrait en l’espèce être mal interprété car il serait utilisé à contre-emploi.)

Ainsi toujours les ventes pyramidales, les ventes à domicile qui ne respectent pas les règles légales,
échappent à toute sanction pénale, comme les ventes à distance 19 (v. art. 120 à 131).

Mais il y a plus inquiétant. Si possible. En effet dans le chapitre un peu déconnecté du contexte, consacré à la
réparation des dommages causés par les produits défectueux 20 (art. 148 à 155 du projet d’acte uniforme), un
doute plane sur le point de savoir si les sanctions pénales constituées (homicide, blessure, mise en danger)
pourraient être appliquées en matière de consommation. On est troublé d’une part par le fait que les dispositions
que nous visons n’utilisent jamais le mot “ victime ” 21 ou “ personne lésée ” 22 mais celui de “ consommateur ”.
Est-ce à dire que l’on essaie de dissimuler ou de minimiser sa situation de victime ? Que l’on crée un système
juridique spécifique aux consommateurs laissant les professionnels et les salariés à un autre système de
réparation ? Plus favorable ? Et que penser de l’article 154 du projet qui disposait que “ le consommateur ou ses
ayants-droit peuvent se prévaloir par ailleurs du droit à la réparation dont ils disposent en vertu d’autres
dispositions législatives ” ? Cette formulation semble s’inspirer de l’article 13 de la directive européenne 23 mais
sa portée est énigmatique. L’article 155 qui suit pourrait confirmer la crainte exprimée plus haut en ce qu’il vise
spécifiquement les systèmes de réparation issus du droit de la sécurité sociale ou des accidents du travail. Et,
plus encore, une telle disposition laisse entier le problème des sanctions pénales. Les dispositions analysées étant
censées exclure toute disposition nationale contraire, il semblerait impossible d’envisager le maintien
d’infractions pénales nationales dès lors qu’elles concernent le domaine couvert par le projet d’acte. Le but
recherché par le texte est bien clairement d’exclure toute sanction pénale en matière de droit de la
consommation, puisque les rédacteurs qui avaient la faculté d’en prévoir les ont délibérément évitées dans la
première version. La vie et la santé des consommateurs africains ne nécessitent-elles donc pas la répression
pénale des entrepreneurs ?

16
Code français de la consommation, art. L122-8 à L122-11. Code pénal français, art. 223-15-2. Toutefois la dernière version d'Acte
(15.06.2003) institue un “ abus de faiblesse ” (art. 51)… sans sanction pénale !
17
Comparer art. L213-1 et suiv. du code français de la consommation.
18
Pourtant lourdement punie : art. L121-1 code français de la consommation.
19
V. respectivement les articles L122-6, L122-2, L121-16, L121-21 et L121-20-10 du code français de la consommation.
20
Code civil français, art. 1386-1 et suiv. inspirés par la directive européenne du 25 juillet 1985.
21
Comme le font aussi bien la directive que le droit français qui en découle.
22
Selon l’expression utilisée par une autre convention internationale : la convention de La Haye, 2 oct. 1973, sur la loi applicable à la
responsabilité du fait des produits.
23
L’article 13 de la directive européenne de 1985 dispose que cette directive “ ne porte pas atteinte aux droits de la victime de dommages
peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité ”.
On notera tout de même que la différence de rédaction entre le projet d’acte et la directive communautaire interrogera les exégètes.
1.2. La dernière version du projet d’Acte (15.06.2003)

L’ultime version (15 juin 2003) du projet d’Acte dispose désormais (art. 14 al. 2) : “ les dispositions du
présent Acte Uniforme n’empêchent pas l’application des dispositions pénales prévues par les législations
nationales des Etats "membres" ” 24 (sic).
Non seulement cette formulation n’est pas conforme aux règles du Traité OHADA mais, de surcroît, à
supposer qu’elle soit maintenue, les conséquences techniques de cette disposition ne sont pas maîtrisables :
- En premier lieu la formule retenue consacre les différences entre les pays qui connaissent déjà certaines
sanctions pénales et ceux qui n’en connaissent pas encore, entre les peines sévères des uns et les peines légères
des autres. En quoi l’Acte sera-t-il “ uniforme ” ?
- En second lieu, tel qu’il est libellé, l’alinéa 2 de l’article 14 semble distinguer entre les “ dispositions
pénales prévues ” qui seraient maintenues en vigueur et, par opposition implicite, les dispositions pénales à
prévoir qui ne seraient pas concernées. Qu’en sera-t-il exactement si un Etat-partie adopte des dispositions
pénales postérieurement à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme ?
- En troisième lieu il sera techniquement très difficile de combiner les éléments matériels, extraits de l’Acte
uniforme, puis comparés, pour en vérifier la similitude exacte, avec les éléments matériels du délit en droit
national. Le tout sous peine d’échec des poursuites pour exception d'illégalité…
- En quatrième lieu, il n’est pas très clair de déterminer quelle juridiction prononcera la sanction, après
épuisement de tous les recours, puis en surveillera l’exécution : la Cour suprême nationale, la CCJA ? Si c’est la
première solution qui est retenue, on aura à coup sûr des risques de divergence de décision et d'interprétation :
condamnation pénale sans condamnation civile par exemple (ou l'inverse) ! Si c’est la seconde, comment la
CCJA (qui, rappelons-le, sera alors conduite à accueillir ou rejeter le pourvoi en cassation sur la condamnation
pénale) fera-t-elle pour apprécier les éléments de police ou d’expertise qui étayent un dossier tout à la fois :
éloigné dans l’espace, national sur un plan juridique, souverain sur le plan politique, judiciaire et policier ?

2) Sur le domaine de la loi applicable et sur le règlement des différends

D’autres dangers de régression sont perceptibles en ce qui concerne le domaine de la loi applicable et les
modes de règlement des différends.

a) S’agissant de détermination de la loi applicable, dans l’avant-dernière version trois dispositions


(d’ailleurs discordantes), les articles 14, 175 et 176 désignent comme loi applicable aux contrats non régis par
l’acte uniforme celle du “ lieu de formation du contrat ” (art. 14). Cet article est à rapprocher de l’article 21 qui
détermine que “ dans tous les cas, le contrat de consommation est formé au lieu de la résidence habituelle du
consommateur ”. On se féliciterait de cette solution si elle n’était démentie à l’article 175 qui, apparemment
plein de bonne volonté, assure le consommateur de la protection minimale et incompressible des dispositions de
l’Acte en cas de “ choix par les parties de la loi applicable au contrat de consommation… ”. C’est donc que les
parties (en réalité ce sera bien évidemment le professionnel) peuvent désigner une loi différente de celle du
domicile du consommateur. Le “ consommateur OHADA ” serait donc bien moins protégé que le consommateur
hors du champ d’application ? Et si la loi applicable désignée par le contrat est celle d’un pays tiers à
l’OHADA ? C’est autorisé mais cela débouche sur un imbroglio juridique hors d’atteinte pour le consommateur
(on pense bien sûr aux ventes à distance). On déplorera qu’une solution plus protectrice du consommateur
africain n’ait pas été imposée en écartant toute application d’un droit non-africain aux questions de
consommation 25. Si la loi applicable n’a pas été expressément désignée (et dans les circonstances ci-dessus
évoquées), c’est la totalité de la loi du pays du domicile du consommateur qui devrait régir le contrat, et non un
assemblage de la loi d’autonomie et les dispositions “ incompressibles ” de la loi du domicile.

La dernière version (15 juin 2003) a-t-elle résolu ces difficultés ? Désormais seuls deux textes tentent de
régler la question de la loi applicable : l’article 14 et l’article 144.
Mais, outre le fait regrettable qu’aucune disposition ne désigne le tribunal compétent, les deux seuls textes
qui subsistent ne règlent pas, tant s’en faut, toutes les difficultés. Quand ils n’en créent pas de nouvelles ! En
effet les parties conservent encore dans les matières du champ de projet d'Acte, la latitude de déterminer la loi
applicable au contrat de consommation (art. 144) et la loi du lieu de formation du contrat (rien n’est précisé –

24
Le terme est impropre : le Traité OHADA parle d’“ Etats parties ”.
25
En droit européen, la Convention de Rome (ne pas confondre avec le Traité de Rome : convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles) dont l’article 5, traitant tout spécialement des contrats conclus par les consommateurs, institue un
système original, à l’époque, qui, tout en laissant la possibilité de désigner la loi applicable, déclare “ incompressible les droits issus des lois
impératives du pays où le consommateur a sa résidence habituelle lorsque notamment :
- la publicité ou l’offre ont été reçue dans ce pays ;
- l’acceptation du contrat a été émise dans ce pays, ou reçue par le professionnel ou son représentant ”.
pour les contrats entre absents – quant à ce lieu) régit les matières hors du champ. Ainsi le système OHADA est
comme on l’a déjà signalé ci-dessus bien moins protecteur du consommateur que le droit européen.

b) S’agissant du règlement des différends, aucune disposition ne vient prohiber les clauses attributives de
compétence, qu’elles soient territoriales ou matérielles.
Certes un long article vient déclarer abusives (et donc non écrites) des clauses du contrat qui “ priveraient le
consommateur du droit d’agir en justice ”… lui imposeraient “ une tentative de règlement à l’amiable ” ou un
arbitrage… pourraient le faire renoncer “ aux recours qui peuvent être formés contre une décision judiciaire ou
une sentence arbitrale ” (art. 55, x, y, z et z’ anciens) (art. 54 z, et aa nouveau).

Un droit fabriqué in vitro ignore donc les aspects très pratiques de la protection du consommateur devant les
prétoires. Ce regrettable “ oubli ” n’était pas corrigé par l’article 176 de l’ancienne version du projet, texte fade
et flou, qui écartait les effets “ d’une élection de domicile qui aurait pour effet d’empêcher le consommateur
d’exercer ses droits ”. (Les praticiens, avocats et magistrats seront perplexes.) Mais la suppression de ce texte ne
suffit pas à régler le problème : il eut été bien préférable de désigner franchement le tribunal du domicile du
consommateur comme seul tribunal compétent. En droit européen d’ailleurs, la convention de Bruxelles du 27
septembre 1968 (remplacée quasiment à l’identique par le règlement 44/2001 du 22 décembre 2000, entré en
vigueur le 1er mars 2002) désigne dans ses articles 13 et 14 la compétence exclusive, pour le consommateur-
défendeur, des tribunaux de son domicile. En demande (ce qui est le plus souvent le cas), le consommateur
disposerait d’une option et pourrait également opter pour le tribunal où le professionnel a son siège social. Il est
regrettable que le projet d’acte OHADA ne désigne pas, explicitement et aussi bien, tant la loi applicable que le
tribunal compétent. Une disposition désignait ceux de la “ résidence habituelle du consommateur ”, pour la seule
hypothèse (importante il est vrai mais limitée) des ventes à distance (ex art. 120, j), mais la nouvelle version
(15.06.2003) ne l’a même pas reprise…

En revanche, le projet d’acte comporte plusieurs allusions aux possibilités d’arbitrer les litiges de la
consommation. L’arbitrage est autorisé en France et il est largement pratiqué pour les consommateurs en
Espagne et au Portugal, et à un degré moindre en Belgique. Toutefois, en général, sur le continent européen, la
clause compromissoire demeure prohibée dans les relations de consommation et cela, en France, même après la
réforme législative du 15 mai 2001 (art. 2061 du code civil) 26. Malheureusement sur ce point très important,
puisqu’il concerne la mise en œuvre effective du droit litigieux, le projet d’acte est contradictoire : ainsi l’article
qui liste 27 les clauses abusives prohibe “ d’obliger le consommateur à soumettre le différend à un ou des
arbitres ” 28.

B. Le danger de l’inadaptation des dispositifs de fond

Le projet d’acte délivre l’impression que ses rédacteurs ne disposaient ni d’une connaissance personnelle
acquise des comportements des consommateurs et des professionnels africains, ni du support minimum d’une
étude sociologique préalable. Nous limiterons nos critiques à quatre aspects du projet parmi d'autres.

a) S’agissant des organisations de consommateurs, le premier projet les soumettait à une procédure
administrative d’agrément ministériel (art. 164) ; cette disposition, déjà critiquée dans des pays développés (dont
la France), a été retenue en méconnaissance des difficultés de fonctionnement des administrations africaines et
plus particulièrement dans les pays les plus pauvres. On peut redouter en effet, soit l’inertie de la mise en place
administrative, soit une mainmise du pouvoir administratif ou économique ; la plupart des associations africaines
ne comptent que quelques militants. Or le projet d’acte réservait toutes les actions en justice utiles au
consommateur aux associations agréées : action de groupe, action en cessation. Leur étaient également réservées
les négociations des accords collectifs.

26
V. aussi de façon explicite, quoiqu’antérieure aux réformes de 2001, la recommandation de la Commission des clauses abusives, n° 79-02
du 30 janvier 1979 qui réaffirme vigoureusement l’interdiction des clauses compromissoires dans les contrats de consommation.
27
Anciennement 55 z ; désormais 54, aa.
28
Le premier projet de texte contenait de nombreuses allusions à des situations arbitrales, à commencer par l’article 55 z’, qui prohibait “ le
fait de faire renoncer le consommateur aux recours qui peuvent être formés contre une décision judiciaire ou une sentence arbitrale ; l’article
146 in fine, consacré aux sanctions civiles, définissait les missions du tribunal ou l’arbitre saisi d’un litige… ” et l’article 161 fixait
“ l’interruption du délai de prescription au moment où l’une des parties engage la procédure d’arbitrage ”. Heureusement ces dispositions ont
disparu de la version du 15 juin 2003 du projet. Mais, comme par ailleurs l’article 169 (désormais 138) organise la possibilité “ d’accords
collectifs de la consommation ” pouvant en concerner “ les modes particuliers ou informels de règlement des litiges opposant consommateurs
et entreprises ”, il n’est pas possible de ne pas être inquiet. Les professionnels ne seront-ils pas tentés d’imposer, dans le cadre d’accords
collectifs, la reconnaissance et la licéité de clauses compromissoires ? Et ceci en dépit de l’article 170 (désormais 144) qui fait du droit
uniforme un plancher sous lequel les accords collectifs sont censés ne pouvoir descendre. L’article 170 était plus favorable aux
consommateurs.
Il est heureux que la dernière version (15 juin 2003) supprime l’agrément préalable (art. 133 nouveau). Mais
n'aurait-il pas été nécessaire de donner alors quelques indications sur les conditions de fond de la constitution des
associations (et non des "organisations" !) et de leur recevabilité devant les différentes juridictions ? Effacer une
difficulté n'est pas la régler.

b) Quant aux accords collectifs (art. 169 et suiv.) (désormais 138 et suiv.), même si leur perspective est digne
d’intérêt, on les estimera particulièrement mal adaptés à des pays souffrant encore gravement de la pauvreté, de
l’analphabétisme, de la malnutrition, des épidémies, de l’insécurité ou de la guerre civile, sans compter la
carence fréquente de l’administration. De tels accords sont loin de pouvoir faire oublier ni la suppression de
dispositions autoritaires qui auraient été utiles ou indispensables (notamment celles des sanctions pénales) ni les
restrictions pour les associations de consommateurs d’enclencher des actions en justice, tout particulièrement les
poursuites pénales 29. Etait-ce là le but secrètement recherché ? Les professionnels, puissants et habiles, ne vont-
ils pas influencer des associations, voire en susciter sur mesure ? Et quelle sera l’efficacité d’un “ accord
collectif ” signé par certaines associations et pas par d’autres ? Sous couleur d’être tenu par un accord limité, à
l’égard de tous, ne va-t-on pas officialiser des systèmes minimalistes ? Qui serviront de prétextes pour différer
l'intervention de la loi ?

c) Quant aux prescriptions

La nouvelle règle du projet (15.06.2003) maintient et accentue les dispositions défavorables relatives à la
prescription des recours en justice (art. 127 nouveau et s.). Plus particulièrement et par dérogation aux règles
courantes du code civil et du code pénal, la durée de prescription n’est que de 2 ans !

Cette réduction de délai pour agir posera des problèmes de compatibilité avec la prescription pénale triennale
et surtout fera régresser les droits des consommateurs en cas de nullité du contrat (prescription normalement de
10 ans), de garantie des vices cachés, ou de responsabilité du fait des produits défectueux.

d) Quant à certaines modalités de vente : l'exemple de la vente à distance

On évoquera au titre d'exemple choisi le seul cas de la vente à distance, mais d'autres questions surgissent
aussi pour les autres aspects techniques du projet.

Il est presque toujours faux de croire qu'une règle juridique très défavorable pour le professionnel arrange le
consommateur. Et inversement. Les dispositions prévues dans l'Acte au sujet de la vente à distance en donnant
quelques bons exemples de plus. A lui seul l'article 106 (nouveau) est de taille à faire disparaître la vente à
distance du continent africain 30. Ce texte en effet dispose que l'entreprise venderesse ne peut demander aucun
"paiement partiel ou total au consommateur avant l'expiration du délai de renonciation" c'est-à-dire avant le délai
de sept jours ouvrables après le jour de livraison !

Etonnant : le consommateur qui a reçu le produit, ne l'a pas payé, y renonce dans le délai de 7 jours suivant la
livraison, dispose de 15 jours ouvrables pour le restituer (art. 108 nouveau) sauf à ce que sa renonciation soit
sans effet. Près d'un mois après la livraison le vendeur n'est ni payé ni restitué du bien vendu ! Pour couronner le
tout "à défaut de reprise du produit par l'entreprise dans un délai de 30 jours ouvrables à dater de la renonciation,
le consommateur en devient propriétaire" ! (art. 109 nouveau). La loi n'a pas à inciter le consommateur à devenir
malhonnête…

C) Le danger de l’imprécision de la rédaction

Comme la chimie se sert des molécules, le droit se sert de mots. Comme la chimie n’utilise que des
molécules identifiées et stables, le droit doit utiliser des mots clairs, identifiés par l’usage, stables et précis. A
défaut, praticiens et juges hésitent sur la portée des règles : le désordre entraîne l’insécurité juridique, facteur
d’anarchie économique et d’anomie sociale. Le projet d’acte uniforme sur le contrat de consommation présente
sur ce point de nombreuses imprécisions. Il est même possible d’envisager que l’imprécision, si répandue,

29
En effet, l'ancienne version (art. 165) organisait expressément "l'action de groupe dans l'intérêt des consommateurs lésés". L'expression
disparaît (art. 133 nouveau). Quant à la possibilité d'enclencher les poursuites pénales, elle n'est expressément mentionnée dans aucune des
versions : elle est donc exclue en raison des règles strictes de la procédure pénale.
30
Du moins pour les entreprises sérieuses. Or ce mode de vente était susceptible de se développer et de rendre des services appréciables
après la réduction substantielle et progressive des droits de douane (politique du tarif douanier communautaire pour l'UEMOA et la
CEMAC). Le continent souffre, en effet, d'un système de distribution archaïque et concentré qui, renchérissant le prix des denrées
manufacturées indispensables mais importés, accroît l'effet de la pauvreté.
traduise une tendance excessive de la doctrine de la “ soft law ” 31. Malheureusement derrière ces procédés de
"normes douces" présentant des mérites certains, se dissimule bien souvent un énervement du droit, des
expressions vagues, creuses ou néologiques conférant aux parties ou aux tribunaux des latitudes d’interprétation
démesurées.

1) La plus grave imprécision affecte les définitions utilisées

a) Les définitions du domaine couvert

Le projet d’acte s’évertue, dans ses douze premiers articles, à donner des définitions censées être utiles pour
délimiter le domaine couvert. En réalité, il s’agit là d’une pratique anglomaniaque, généralement inutile en droit
français et dans les systèmes juridiques qui s’en sont inspirés et qui pose beaucoup plus de problèmes qu’elle
n’en règle 32. La plupart des définitions données sont d’ailleurs non seulement imprécises mais encore
restrictives.

On approuvera néanmoins la disparition du mot "bien" 33 et son remplacement (art. 1 nouveau) par celui de
“ produit ”, plus précis pour les "meubles corporels".
Pour définir le mot “ service ”, on utilise l’expression “ toute activité matérielle ou intellectuelle ”. Qu’en
sera-t-il des activités juridiques de représentation, mandat, etc. ?

La “ mise sur le marché ” est devenue dans la dernière version, et c’est heureux, “ l’acte par lequel
l’entreprise offre un produit ou un service destiné au consommateur ” 34.

Quant à la définition du consommateur, elle est particulièrement malvenue eu égard au contexte africain. On
la limite tout d’abord aux seules personnes physiques, ce qui est aujourd’hui de plus en plus contesté, non
seulement au profit des associations à but non lucratif, mais même pour les entreprises 35 et notamment les très
petites entreprises 36. On aurait préféré les formules de type européen mais adaptées à l’Afrique et au lieu
d’écrire que le produit ou service est "reçu principalement pour l’usage personnel d’une personne physique",
étendre le domaine à toutes les personnes physiques et aux personnes morales à but non lucratif, et enfin limiter
l’application du droit de la consommation aux autres personnes morales pour les biens ou services qui sont sans
lien direct avec l’activité professionnelle 35.

La définition du contrat de consommation, quant à elle, a été heureusement modifiée 37.

En revanche la définition du "fabricant" n'a pas eu cette chance : on assimile le fabricant et le producteur ce
qui n'est pas une définition exacte, car on ne peut définir la partie par le tout. Plus grave encore, après cette
esquisse la "définition" tente une extension de la notion de fabricant à "toute entreprise qui en fait la distribution

31
La "soft law" est une façon consensuelle et non législative ou réglementaire de fixer les règles applicables à des relations juridiques et
économiques ou à trancher les différends en dehors des tribunaux. V. Lex fori, Etude pour la DG Sanco, Bruxelles, 2003, "La meilleure
pratique dans le recours à des normes juridiques "douces" et son application aux consommateurs au sein de l'Union européenne".
32
En démultipliant les définitions, communes et spéciales pour chaque nouvel instrument juridique, les différences même minimes qui
finissent par apparaître, provoquent un éparpillement sémantique ; et cette complexité, une perplexité…
33
Dans l’ancienne version, la définition se restreint, pour l’usage qui sera fait du projet d’acte, aux “ biens mobiliers manufacturés ” et elle
exclut de cette définition “ les produits de l’artisanat, les produits naturels non transformés, les produits de la chasse et de la pêche ”. Qu’en
sera-t-il alors des produits issus de l’agriculture et de l’élevage ? Faut-il les exclure en tant que “ produit naturel non transformé ” ? Ce n’est
pas indiqué très clairement et, si c’est le cas, on rejette du champ la moitié des préoccupations et des problèmes des consommateurs
africains…
34
Pour la précédente version de l'Acte, la mise sur le marché était “ l’acte par lequel l’entreprise se dessaisit d’un bien ou d’un service au
profit d’un consommateur ”. Cette définition contrevient à toutes celles que connaît le droit européen, puisqu’elle semble signifier que ce
n’est qu’au moment où le consommateur est en possession du bien que commence la mise sur le marché. Or il existe des hypothèses où il y a
intérêt à fixer l’instant de la mise sur le marché au moment où le produit quitte le lieu de fabrication pour être entreposé puis transporté,
c’est-à-dire le moment où le professionnel décide pour la première fois que son produit est destiné à être offert au public.
35
J. Amar, Une cause perdue : la protection des personnes morales par le droit de la consommation ? in Contrats-concurrence-consommation,
éditions du Juris-classeur, avril 2003, p. 7.
36
On pense au “ secteur informel ” si répandu en Afrique. D'ailleurs la protection du consommateur bénéficie dans cette hypothèse aux
entreprises individuelles démarchées à domicile, art. L 121-1 c. conso.
37
En effet elle pouvait aboutir, dans la précédente rédaction, à des conséquences dangereuses en ce qu’elle concerne “ tout contrat conclu
sous l’emprise du présent acte uniforme ”. Or de nombreux contrats n’y figurent pas, tel le contrat de crédit à la consommation, par exemple,
ou le contrat d’assurance, pour ne citer que les principaux. On voit dès lors tout le danger qu’il y a de donner une définition de type anglo-
saxon, c’est-à-dire pour chaque acte juridique avec des dangers d’interpolation que ne manqueront pas de faire les praticiens ou même les
parties qui pourraient par inadvertance généraliser une telle définition à l’ensemble du droit de la consommation ! De nombreuses autres
imprécisions, qui seraient lourdes à relater, entachent les autres notions de base du droit de la consommation, que ce soit sur les conditions
contractuelles générales ou encore le dommage “ notion bien connue des droits inspirés du système français, espagnol ou portugais car la
définition données dans le projet d’acte est restrictive par rapport aux sources traditionnelles, ce qui est regrettable à plus d’un titre.
(sic) sous son nom…". Outre le fait que l'ensemble de la rédaction de l'article 9 est tout aussi défectueuse que
celle de ce passage, l'assimilation du distributeur au fabricant pose deux sérieux problèmes :
- celui de la responsabilité du distributeur africain, souvent économiquement modeste et rarement assuré et
des recours contre le fabricant réel 38 ;
- celui de la compatibilité des dispositions du projet d'Acte avec le droit communautaire européen. En effet,
l'assimilation du distributeur au producteur a été sanctionnée par la Cour de justice des communautés
européennes 39. Or on sait que l'accord de Cotonou ACP-CE ambitionne la mise à niveau du cadre commercial
Europe-Afrique, dans le respect des normes de l'OMC (art. 36 et s., 44 et s. de l'Accord).

b) De quelques néologismes juridiques

Quelques concepts visiblement transplantés mais posant des problèmes d’implantation apparaissaient dans le
premier projet d’acte et étaient donc destinés à migrer dans les systèmes nationaux. Ainsi de la “ lésion entre
majeurs ”, concept inconnu des droits d’Afrique francophone (art. 27 et 28 anciens). Heureusement quelques-
unes de ces scories ont disparu. Mais il en reste. Il en sera encore ainsi des dommages “ exemplaires ” de l’article
147 ancien (124 nouveau). A l’égard desquels nous n’avons pas une opposition de principe, mais qui resteront du
fait du champ restreint de l’acte, limités à certains contrats et interdits pour d’autres (on pense aux contrats qui
lient le consommateur à sa banque ou à son assureur).

2) L’imprécision de la formulation 40

Ou bien les rédacteurs du projet d’acte ont, de propos délibéré, inséré dans le texte des formules souples,
jusqu’au vague, pour laisser une part toujours aléatoire d’interprétation aux tribunaux ou bien ils n’ont pas une
appréciation exacte des conséquences de ce qu’une telle imprécision entraîne généralement dans les prétoires. De
nombreuses formulations sont ainsi une porte ouverte à la subjectivité dans l’application des textes.

Ainsi l’article 24 (23 nouveau) qui impose au professionnel de remettre au consommateur qui le demande un
exemplaire de ses conditions contractuelles générales “ si elle en a ”… ce qui incitera à ne pas en avoir... Cet
exemplaire doit mentionner le nom et l’adresse “ géographique ” de l’entreprise. On aurait préféré que la remise
d’un document soit obligatoire et que l’adresse géographique soit complétée par l’adresse topographique et
postale, qui sont essentielles dans les cas de procédure et d’exécution.

Le devoir d’information de l’entreprise à l’égard des consommateurs est très mollement défini alors qu’on
sait qu’il est essentiel. Ainsi :
- l’article 25 (32 nouveau) dispose-t-il que les clauses des contrats doivent être rédigées et présentées “ de
telle façon que le consommateur puisse en comprendre le sens et la portée… ”,
- les articles 27 et 28 de l’ancien projet (il s’agit de la fameuse “ lésion entre majeurs ”) faisaient intervenir
des concepts aussi vagues que “ une obligation dont l’importance ou la nature est jugée excessive et
déraisonnable eu égard à la situation patrimoniale des consommateurs et aux avantages qui peuvent être retirés
du bien ou du service ”.
La nouvelle formulation de l’article 25 est certes améliorée mais elle maintient des formules comparables qui
ne pourront jamais être interprétées de façon unifiée car elles touchent trop aux faits ; les Cours d’appel resteront
souveraines.
- L’article 29 (26 nouveau) vise l’information contractuelle “ utile… que le consommateur a intérêt à
connaître… ”. L’obligation d’informer s’apprécie “ notamment en fonction de la difficulté pour le consommateur
de se renseigner et de la légitime confiance qu’il peut avoir dans l’entreprise… ” !
- L’article 52, relatif à l’obligation de loyauté (dont on attend en vain une sanction pénale), interdit de
manière très floue “ toute pratique déloyale (“ abusive ” dans la version du 15 juin 2003) qui porte atteinte ou est

38
D'ailleurs les articles 116 et s. qui traitent de la responsabilité du fait des produits ignore cette question contrairement à la Directive
européenne du 25 juillet 1985.
39
La France a été condamnée par la CJCE pour avoir opéré cette assimilation dans sa loi du 19 mai 1998 (transposant la directive de 1985)
dans les articles 1386-1 et s. nouveaux du code civil, et not. l'art. 1386-6 et 1386-7. CJCE, 25 avril 2002, D.2002.J.2462, note Larroumet.
40
Dans d'autres cas, la formulation était au contraire beaucoup trop précise et s’enlise dans des dispositions propres à chaque bien de
consommation alors que des dispositions générales auraient suffi. Il faut, autant que faire se peut, éviter d’entrer dans un dédale de
dispositions propres à chaque type de biens. La Commission européenne a renoncé, en matière de sécurité des produits, à cette méthode, qui
aboutit à des redits, des obscurités, des contradictions ou des omissions. Il était donc inopportun que le projet d’acte entre dans les détails de
la garantie des véhicules automobiles et motocyclettes (et les autres deux roues ?), dans la garantie des appareils domestiques en les
énumérant (et en oubliant certains), la garantie des matériels électroniques (et en oubliant certains). C’est la méthode qui est critiquable, qui
procède à des énumérations et donc à des éliminations. Il est heureux que la version du 15 juin 2003 y ait renoncé.
Fallait-il rentrer dans le détail des travaux de réparation (art. 92 et suiv., art. 132 à 139) ? Là encore la nouvelle version a, c’est heureux,
abandonné cette méthode.
susceptible de porter atteinte aux intérêts des consommateurs ”. Or ce texte très général est censé se substituer à
des textes plus précis de droit national !

3) Imprécision de l’articulation des dispositions

Comment les praticiens et les parties vont-ils combiner le projet d’acte unique avec les réglementations
communautaires et les réglementations nationales ? 41 Mais on regrettera tout d’abord qu’il y ait bien trop peu de
renvois au sein même du texte. Ainsi l’article 63 fait allusion aux dommages exemplaires, sans renvoyer à la
définition qui figure assez anonymement à l’article 147 (ancien) mais aussi dans un article 11, peu harmonisé qui
parle "d'indemnité exemplaire"…

D’autres exemples fourmillent de manquement de fléchage d’un article à l’autre ou de recoupements


imprécis.

Dans d’autres cas, c’est l’articulation des textes du projet d’acte uniforme avec les codes civils ou les textes
nationaux qui posent problème. Que faire ainsi de l’article 71 du projet 42 alors qu’il existe dans le code civil un
article 1626 enrichi d’une ancienne, constante et massive jurisprudence au sujet de l’indemnité d’éviction ?
Comment harmoniser les textes du code civil (art. 1645 et suiv., d’ailleurs dans l’attente d’une modification à la
suite d’une directive européenne de 1999) avec les textes concernant la garantie de vice caché ou de bon
fonctionnement ? Et il ne s’agit que d’illustrations exemplaires que l’on pourrait multiplier. Etait-il prudent de
redéfinir le consentement (art. 22 nouveau), la lésion (art. 25) alors que le code civil y suffit ? Même regret pour
le droit de la garantie qui méritait, à soi seul, des Directives UEMOA et CEMAC concertées avec les ACP et une
insertion harmonieuse dans les droits nationaux.

En conclusion, quel droit de la consommation pour l’Afrique ?

Catégoriquement : certainement pas un acte uniforme OHADA et encore moins le projet, certes amélioré et
encore susceptible d’évolution, mais mal engagé. Il ne saurait être d’autre droit africain de la consommation que
si ce dernier est :
- concerté entre les Etats et les organisations de consommateurs, et notamment leurs organisations
africaines nationales ;
- mis en œuvre en coopération avec la Communauté européenne et plus précisément dans le cadre du traité
ACP de Cotonou ;
- harmonisé essentiellement par des directives communautaires UEMOA et CEMAC afin de permettre une
concertation dans le cadre national et une adaptation au contexte de chaque pays, le tout sous le contrôle
d'interprétation des Cours communautaires de ces deux unions régionales ;
- unifié sur un nombre réduit de points essentiels dans le cadre des unions régionales UEMOA et CEMAC,
et tout particulièrement sur les règles concernant la loi applicable, les tribunaux compétents et les actions
transfrontalières ;

41
La hiérarchie et la combinaison des sources du droit contemporaines ont atteint une complexité et un flou sans précédent dans l'histoire.
Temple, L'obligation générale de sécurité et la limitation de la libre circulation des marchandises in Responsabilité des professionnels de
l'alimentation humaine, Agro Montpellier 2001, p. 132 et s., not. p. 143 et s.
42
Qui oblige l'entreprise "à livrer un produit libre de tout droit sûreté ou prétention d'un tiers". Selon le visa des actes judiciaires et des
conclusions, on aiguillera le contentieux vers la CCJA ou vers la Cour suprême…

Vous aimerez peut-être aussi