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LUXE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE : QUELLES SOURCES DE

DISSONANCE ?

Sihem Dekhili, Mohamed Akli Achabou

EMS Editions | « Décisions Marketing »

2016/3 N° 83 | pages 97 à 121


ISSN 0779-7389
DOI 10.7193/DM.083.97.121
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-decisions-marketing-2016-3-page-97.htm
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Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016, 97-121

Luxe et développement durable : quelles sources de


dissonance ?
Sihem Dekhili* et Mohamed Akli Achabou**
*
HuManiS (EA 1347), Humans and Management in Society, École de Management Strasbourg – Université de
Strasbourg
**
IPAG Business School

Résumé
Bien qu’une réelle « ère de développement durable» semble régner dans les sociétés occidentales, des recherches
naissantes font état de réserves à l’égard de l’usage de l’argument durable dans le secteur du luxe. À l’aide
d’entretiens individuels auprès de 39 consommateurs français de produits de luxe, cet article identifie les sources
de dissonance entre luxe et développement durable. Celles-ci se regroupent autour de trois volets : les dimensions
du concept (partage, qualité, rationalité, altruisme), le volet environnemental (préservation des ressources), et le
volet social (égalité sociale, justice au niveau de l’emploi, bien-être animal). Les résultats permettent aussi de
préciser les modes de réduction de la dissonance adoptés par les consommateurs, puis de proposer des recom-
mandations aux entreprises.
Mots-clés : développement durable, dissonance, perception des consommateurs, produits de luxe.

Abstract
Luxury and sustainable development: which sources of dissonance?
Although we are living in a « sustainable development era » in Western societies, some recent studies launched
a debate on the relevance of this issue in the case of luxury products. Findings from a qualitative method mobi-
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lizing individual interviews with 39 French consumers identify the sources of dissonance between luxury and
sustainable development. The latter consist on three areas: the content of the construct (sharing, quality, rationa-
lity, altruism), the environmental dimension (preservation of resources) and the social dimension (social equality,
fair working conditions, animal welfare). Also, the results allow to precise the consumers’ strategies to reduce the
dissonance. Managerial recommendations are finally suggested for enterprises.
Key words: consumers’ perception, dissonance, luxury products, sustainable development.

Pour contacter les auteurs : sihem.dekhili@em-strasbourg.eu et ma.achabou@ipag.fr

DOI : 10.7193/DM.083.97.121 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.083.97.121


S. Dekhili et M.A. Achabou (2016), Luxe et développement durable : quelles sources de dissonance ?, Décisions
Marketing, 83, 97-121.
98 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

Depuis quelques années, le secteur du luxe leurs actions en faveur du développement


fait l’objet de sévères critiques de la part d’ac- durable notamment à travers des rapports
tivistes du développement durable (Kapferer Développement Durable détaillés (Kapferer
et Michaut-Denizeau, 2013). L’ampleur de et Michaut-Denizeau, 2013). Certaines entre-
ses profits et sa clientèle VIP font de lui un
prises à l’instar de Gucci et Guerlain ont aus-
secteur fortement scruté (Kapferer, 2010) :
si décidé de prolonger cette communication
les marques Prada et Dolce & Gabbana
ont été accusées d’exploiter des immigrants auprès du grand public.
chinois dans leurs usines en Toscane et Louis
Vuitton a été décrié pour l’utilisation de pro- D’un point de vue académique, encore peu
duits chimiques dangereux pour l’environne- de travaux ont été menés sur la pertinence
ment. de l’enjeu du développement durable dans
le cas des produits de luxe (Janssen et alii,
Afin d’éviter d’éventuels dommages en termes
2014 ; Kapferer et Michaut-Denizeau, 2013).
de réputation auxquels le secteur du luxe est
Si certains auteurs (Hennigs et alii, 2013 ;
plus sensible que d’autres secteurs d’activités
(Bendell et Kleanthous, 2007), de plus en Steinhart, Ayalon et Puterman, 2013) pointent
plus de marques de luxe intègrent le dévelop- une proximité entre les deux notions de luxe
pement durable dans leurs missions, objec- et de développement durable et voient dans
tifs et stratégies (Kapferer, 2010). Certaines leur lien des avantages pour les entreprises,
ont fait de la durabilité leur nouveau busi- d’autres (Achabou et Dekhili, 2013 ; Kapferer
ness model (exemple : Stella McCartney, et Michaut-Denizeau, 2013) suggèrent que le
Katherine Hamnett, Noir), d’autres l’ont luxe, associé souvent à des valeurs superfi-
intégré à différents stades de leur chaîne de
cielles, peut paraître éloigné de l’univers du
valeur (exemple : Porsche, Tiffany, LVMH)
développement durable.
ou ont fait le choix de contribuer à des pro-
jets humanitaires et/ou environnementaux
(exemple : Armani et l’Unicef, Vuitton et le Dans la continuité de ces recherches, cet ar-
Climate project) (Cervellon, 2013). Les en- ticle se propose d’examiner, à travers une dé-
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treprises de luxe ne peuvent plus se conten- marche qualitative, la question de la contra-
ter de leur nom de marque, de la qualité et diction entre le luxe et le développement
de la rareté de leurs produits pour répondre durable, mais il apportera un complément
aux attentes des consommateurs (Kim et Ko, nouveau en se focalisant sur les sources de
2012). Le développement durable constitue dissonance entre les deux notions du point de
une nouvelle exigence exprimée par le client
vue des consommateurs. En effet, mobiliser
du luxe qui, à travers le prix élevé qu’il paye,
l’argument du développement durable par les
s’autorise plus qu’ailleurs à être exigeant
(Lochard et Murat, 2011). marques de luxe pourrait perturber les per-
ceptions des consommateurs. Quelles sont
Pendant des années, les marques de luxe alors les possibles dissonances ? Et comment
n’ont pas cherché à mettre en avant leurs y remédier ? Cet article contribue à répondre
efforts permettant de répondre au défi de la
à ces questionnements, qui présentent un in-
durabilité (Kapferer, 2010) compte tenu de
térêt managérial important pour les marques
la culture du secret qui a toujours caracté-
risé le marché du luxe (Carrigan, Moraes et de luxe. À l’issue de la présentation du cadre
McEachern, 2013). Aujourd’hui, les choses conceptuel servant d’ancrage théorique à cet
semblent évoluer puisque plusieurs maisons article, la méthodologie adoptée et les résul-
de luxe ont fait le choix de communiquer sur tats obtenus seront présentés.
Marketing du luxe – 99

Le luxe : un concept sensations et de valeurs expérientielles per-


multidimensionnel qui s’étend à sonnelles (luxe émotionnel).
la dimension environnementale et
sociale Plus récemment, la consommation des pro-
duits de luxe a été associée à de nouvelles
De nombreuses recherches en marketing se motivations en lien avec l’enjeu du dévelop-
sont intéressées au concept de luxe sans réel- pement durable. La dimension environne-
lement en apporter une définition qui fasse mentale ou sociale du produit, qui véhicule
consensus parmi la communauté scienti- souvent des valeurs positives sur la person-
fique (De Barnier, Falcy et Valette-Florence, nalité de l’individu qui l’achète, peut per-
2008). Dans leurs définitions du luxe, les au- mettre de compenser les valeurs négatives
teurs reprennent très souvent quatre dimen-
associées au luxe, telles que l’égo, le superflu,
sions : la qualité supérieure, l’endurance, la
l’irrationnel et l’excès (Janssen et alii, 2014 ;
rareté et l’exclusivité. Les produits de luxe
Cervellon, 2013).
sont en effet perçus comme des produits de
bonne qualité et qui durent dans le temps. Conscients du développement d’une généra-
Ces deux dimensions sont aujourd’hui im- tion de consommateurs préoccupée par l’en-
portantes dans l’explication de la consomma- jeu du développement durable, des groupes
tion des produits de luxe. Elles permettent de tels que LVMH, Hermès et Armani ont opté
répondre à des motivations de consommation depuis quelques années pour des processus
fonctionnelles (Vickers et Renan, 2003). La
de production à faible impact environnemen-
dimension de rareté est soit induite par des
tal et financé des projets sociaux. Dans leur
contraintes naturelles ou des innovations
communication sur ces actions auprès du
technologiques, soit construite autour de sé-
grand public, les marques de luxe rappellent
ries limitées ou d’approches individualisées
(Catry, 2007). L’exclusivité est pour sa part leur investissement de longue date en faveur
générée par l’utilisation de ressources natu- du développement durable et présentent cet
relles limitées, mais aussi par leur exploitation engagement comme une source d’innovation
et de créativité (Encadré 1).
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dans des combinaisons rares (Catry, 2003).
Ces dimensions permettent de répondre aux
besoins de clients dont la consommation de Luxe et développement durable :
produits de luxe est motivée par la recherche quels liens entre les deux ?
d’interaction symbolique, d’appartenance à
un groupe ou d’affirmation de statut social Le développement durable lance le défi d’une
(Vickers et Renan, 2003). meilleure articulation de l’économique,
de l’environnemental et du social afin de
En plus des motivations fonctionnelles et
répondre aux besoins actuels sans compro-
d’appartenance à un groupe social, les travaux
mettre la possibilité pour les générations
sur la consommation des produits de luxe ont
mis en avant des motivations d’ordre expé- futures de subvenir aux leurs. Il questionne
rientiel telles que l’hédonisme et la recherche les modes de fonctionnement des entre-
de plaisir (De Barnier, Falcy et Valette- prises, mais également le comportement des
Florence, 2008). En ce sens, Lipovetsky et consommateurs qui sont à la fois des vec-
Roux (2003) estiment que le luxe est mul- teurs de la performance des stratégies mises
tidimensionnel et aborde plusieurs facettes en place par les entreprises et les promoteurs
allant du besoin de paraître aux yeux de la de nouvelles orientations sur le marché (Beji-
société (luxe traditionnel) à la recherche de Bécheur et Ozçağlar-Toulouse, 2014).
100 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

Encadré 1 : Quand le luxe se met au développement durable !

Groupe LVMH Groupe Armani


« Les produits des Maisons du Groupe sont « Le Groupe Giorgio Armani est conscient
issus de matières premières naturelles souvent d’avoir un rôle de plus en plus important et
rares et exceptionnelles. La conception et la concret à jouer en matière de Responsabilité
fabrication de produits de luxe doivent intégrer Sociale et s’inscrit depuis longtemps déjà
innovation, créativité, excellence de l’exécution dans un processus vertueux pour le déve-
mais également performance environnemen- loppement de projets respectueux des plus
tale… C’est ainsi, que depuis plus de 20 ans, la importants principes internationaux liés au
direction de l’environnement LVMH accom- développement durable en matière environ-
pagne nos Maisons ». nementale, sociale et économique ».

Source : www.lvmh.fr/groupe/engagements/ Source : http://alive.armani.com/fr/pages/


environnement/ politica-del-gruppo-armani-per-la-sostenibi-
lita-e-responsabilita-sociale/

Le développement durable souligne l’urgence élargi le débat aux produits de luxe, sug-
d’une consommation durable1 qui encourage gérant que le développement durable peut
le don, l’échange et la récupération (Daniel contribuer à l’amélioration de l’image des
et Sirieix, 2012). Il promeut également des entreprises et jouer un rôle de différenciation
produits pro-environnementaux qui pos- particulièrement dans le cas de ce marché
sèdent des attributs renvoyant à des valeurs mature (Kapferer, 2010). Depuis, quelques
sociétales non marchandes telles que la pro- recherches académiques, publiées exclusi-
tection de l’environnement et le bien-être ani- vement dans des revues internationales, se
mal (Jongmans et alii, 2014). Le développe- sont penchées sur cette question (Annexe
ment durable peut aussi être associé à l’idée 1). D’un côté, des études (Kapferer, 2010 ;
de consommer moins et de devoir renoncer Davies, Lee et Ahonkhai, 2012 ; Hennigs et
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à son plaisir personnel (Lochard et Murat, alii, 2013 ; Steinhart, Ayalon et Puterman,
2011). Une telle consommation relève d’une 2013) ont postulé que les deux notions (luxe
démarche réflexive qui conteste le rôle de la et développement durable) présentent des
possession dans la construction identitaire points communs. Le premier concerne la
(Özçağlar-Toulouse, 2009). Plus globale- qualité ; le savoir-faire exceptionnel et le
ment, le développement durable promeut des design authentique peuvent être renforcés par
valeurs d’altruisme qui reflètent une sensibi- l’utilisation de matériaux durables comme
lité pour la justice sociale et le bien-être des le coton biologique et les colorants naturels
autres humains (Stern, Dietz et Kalof, 1993). (Hennigs et alii, 2013). Le deuxième est relié
à la durabilité : contrairement à l’industrie
Alors que les recherches sur la consomma-
de la mode qui adopte une logique de cycle
tion durable ont souvent testé le cas de pro-
court et d’obsolescence programmée, le luxe
duits de consommation courante, certains
est géré avec une perspective de long terme
rapports et articles de presse ont récemment
(Godart et Seong, 2014). Un autre point com-
mun est celui en lien avec la rareté. Celle-ci
1/  La consommation durable correspond à l’usage
de biens et services qui répondent aux besoins fon- laisse penser que les marques de luxe encou-
damentaux tout en minimisant l’exploitation des ragent une consommation plus raisonnable
ressources naturelles de façon à ne pas nuire aux des ressources naturelles et contribuent ainsi
besoins des générations futures (Daniel et Sirieix,
2012). à leur préservation (Kapferer, 2010). Les
Marketing du luxe – 101

produits de luxe, renvoyant à la rareté et à spécifiques2 (Koromyslov, Walliser et Roux,


la durabilité, sont perçus comme plus socia- 2013). En effet, on associe aujourd’hui au
lement responsables que les produits dispo- luxe la problématique de travail des enfants
nibles en abondance (Janssen et alii, 2014). et la cruauté envers les animaux provenant
En ce sens, Davies, Lee et Ahonkhai (2012) de l’élevage industriel (Carrigan, Moraes et
parlent du « Fallacy of Clean Luxuries » McEachern, 2013). De plus, on reproche au
reflétant l’absence d’associations négatives de luxe des dommages sur l’écosystème dans
la consommation du luxe avec l’éthique. En les pays d’extraction des matières premières
considérant les produits de luxe comme étant ou encore l’utilisation de ressources limitées
qui sont à l’origine de son exclusivité (Catry,
des produits « propres », l’attribut « éthique »
2003).
devient secondaire pour les consommateurs
lors de la décision d’achat de ces produits. La théorie de la dissonance cognitive
Les résultats de l’étude de Steinhart, Ayalon (Festinger, 1957) qui s’inscrit dans la tradi-
et Puterman (2013) ont montré que l’informa- tion de la psychologie sociale et qui est sous-
tion environnementale peut influencer posi- tendue par le principe de cohérence, offre
tivement l’évaluation des produits de luxe. des pistes intéressantes pour comprendre la
Cette information, notamment lorsqu’elle fait contradiction entre les deux notions : luxe et
référence à des bénéfices personnels reliés au développement durable. Elle suggère que les
statut social de l’acheteur « être écolo », peut individus peuvent se trouver dans un état de
permettre d’équilibrer deux besoins : la satis- tension lorsque deux cognitions s’avèrent psy-
faction/plaisir d’une part et la nécessité « de chologiquement incompatibles (McDonald et
faire une bonne chose » d’autre part. alii, 2015).

D’un autre côté, de très récentes recherches La théorie de la dissonance cognitive sou-
ligne que si certains individus ignorent les
quantitatives (Achabou et Dekhili, 2013 ;
dissonances, d’autres, par besoin de cohé-
Kapferer et Michaut-Denizeau, 2013) sont
rence, tendent à modifier leurs attitudes ou
venues nuancer les conclusions des études
à intégrer de nouvelles idées qui renforcent
précédentes en confirmant que les consom-
leurs structures de croyance (Festinger,
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mateurs peuvent avoir des réactions négatives 1957). La cohérence ne vient pas de la co-
face aux produits de luxe intégrant un attribut hérence rationnelle de leur connaissance,
durable. En effet, Achabou et Dekhili (2013) mais de la possibilité que les individus ont
ont montré qu’inclure des matériaux recyclés de trouver des justifications rationnelles à
dans des vêtements de luxe influence négati- leurs actes. Festinger (1957) postule que,
vement la préférence des consommateurs. De plus la dissonance est forte, plus le travail
même, Kapferer et Michaut-Denizeau (2013) de réduction de la dissonance est important.
ont identifié un segment de consommateurs En ce sens, Beauvois et Joule (2001) ont mis
qui perçoit une divergence entre le luxe et en évidence trois modes de réduction de la
le développement durable, et indiqué que la dissonance cognitive par justifications a pos-
contradiction perçue augmente avec la per- teriori. Ils peuvent être illustrés à travers
ception que le luxe promeut des valeurs su- l’exemple suivant « je fume alors que je sais
perficielles et crée un écart social. La percep- que c’est nuisible pour ma santé » : 1) modi-
tion négative sur le plan social a été accentuée fier la cognition en changeant d’opinion de-
par le choix de certaines marques de luxe vant les circonstances (fumer n’est pas autant
(UK Factory, Prada, Coach) d’élargir leurs
2/  Certaines compétences spécifiques comme le
opérations vers les pays en développement à travail de la maille se sont déplacées de la France
la recherche de bas coûts et de savoir-faire vers l’Italie (Koromyslov, Walliser et Roux, 2013).
102 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

nuisible à la santé qu’on veut bien le dire). Par d’un achat de produits non durables peut être
le biais d’un processus de rationalisation co- compensé par leur transmission entre géné-
gnitive, l’individu ajuste son attitude initiale rations ou par des dons de charité (Gregory-
de manière à ce que celle-ci soit davantage Smith, Smith et Winklhofer, 2013).
conforme au comportement problématique
réalisé. Cela peut conduire à modifier les Au-delà de l’intérêt récent porté dans la litté-
caractéristiques de l’objet dans la représenta- rature aux liens entre luxe et développement
tion des individus (Gallen et Bouder-Pailler, durable, il semble pertinent de se pencher
2010) ; 2) réinterpréter les informations dis- sur les réactions des consommateurs envers
sonantes pour les rendre consonantes avec les produits de luxe durables. En particu-
ses opinions antérieures (fumer sans avaler la lier sur les réactions négatives, puisqu’elles
fumée ne peut être aussi nuisible à ma san- sont susceptibles de limiter la portée des
té). 3) préférer des éléments d’information actions en faveur du développement durable
qui soient en consonance avec ses propres mises en place par les marques de luxe. Les
attitudes (fumer certes nuit à ma santé mais recherches ayant tenté d’étudier cette ques-
apporte du plaisir). L’individu dans ce cas va tion (Achabou et Dekhili, 2013 ; Kapferer
ignorer ou minimiser l’information à l’ori- et Michaut-Denizeau, 2013) sont rares et ont
gine de la dissonance. opté pour une approche quantitative qui offre
peu d’éléments sur les facteurs qui peuvent
À ces trois modes de réduction de la disso- éloigner les deux notions (luxe et dévelop-
nance cognitive peut s’ajouter la rationali- pement durable). De même, aucune étude, à
sation comportementale (Joule, 1986). La notre connaissance, n’est venue apporter des
dissonance peut être réduite lorsque, suite réponses aux interrogations sur les modes de
à la réalisation de son comportement pro- réduction de la dissonance entre luxe et déve-
blématique, la personne a la possibilité de loppement durable, adoptés par les consom-
réaliser un second comportement allant mateurs. Malgré l’intérêt de leur recherche,
dans le même sens (ajout d’un comporte- Kapferer et Michaut-Denizeau (2013) se sont
ment cohérent). Cette modalité de réduction contentés de mesurer la contradiction perçue
apparaît en particulier lorsque la situation par les deux items suivants : « le luxe et le dé-
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détourne l’attention de l’individu de son veloppement durable sont contradictoires » ;
comportement problématique (oubli tempo- « le luxe n’a pas d’avenir dans un monde gui-
raire par exemple). D’autres auteurs (Simon, dé par la durabilité ». Les auteurs (Davies,
Greenberg et Brehm, 1995) mentionnent éga- Lee et Ahonkhai, 2012 ; Achabou et Dekhili,
lement la trivialisation. En effet, pour réduire 2013) appellent à des recherches permettant
la dissonance qu’il éprouve, l’individu peut d’apporter un meilleur éclairage sur l’univers
dévaloriser son comportement problématique des produits de luxe et son lien avec le déve-
ou l’attitude initiale. loppement durable. Cet article vise donc, à
travers des entretiens auprès de consomma-
Dans le cas particulier des produits durables,
teurs, à comprendre l’écart entre luxe et déve-
pour remédier à la dissonance, certains indi-
loppement durable en analysant les sources
vidus réduisent l’importance de leurs valeurs
de dissonance entre les deux notions ainsi
environnementales et sociales en comparai-
que les réactions des consommateurs face à
son à d’autres valeurs qui sont importantes celle-ci (Encadré 2).
pour eux (McDonald et alii, 2015). D’autres
adoptent un comportement de non achat Les propos des répondants sur leur percep-
qui peut être relié à un déni de responsabi- tion du développement durable dans le cas
lité ou justifié par un effet de compensation. des produits de luxe ont permis d’identifier
L’impact environnemental et social négatif plusieurs sources de dissonance qui se rap-
Marketing du luxe – 103

Encadré 2 : Détails de la méthodologie d’investigation du terrain


Pour identifier les sources de dissonance entre luxe et développement durable et les réactions des
consommateurs face à celle-ci, trente-neuf entretiens individuels ont été réalisés auprès de consom-
mateurs parisiens de produits de luxe. Les participants ont été recrutés par différents biais – recrute-
ment direct à la sortie de boutiques de luxe et annonces sur des sites Internet et au sein de quelques
institutions (universités, entreprises) – et ont été interviewés selon leurs disponibilités, dans différents
lieux : lieu de travail ou domicile. Aucune incitation financière n’a été proposée. Les produits de luxe
les plus consommés par les individus sélectionnés sont l’habillement et les chaussures (cités 30 fois),
les produits de beauté incluant les produits cosmétiques et les parfums (cités 25 fois), la maroquinerie
(citée 22 fois) et la joaillerie/horlogerie (citée 22 fois). Plus rarement, quelques répondants ont évoqué
les voyages et l’hôtellerie (cités 6 fois), les produits high tech (cités 6 fois), quelques produits alimen-
taires comme les grands vins (cités 6 fois), l’automobile (citée 3 fois) et les produits de l’art comme
les tableaux (cités 3 fois). 17 répondants ont déclaré consommer plus de cinq produits de luxe par an,
13 ont mentionné trois à cinq produits par an, et 9 répondants ont indiqué qu’ils consomment moins de
trois produits de luxe par an.
Afin d’obtenir les entretiens les plus riches possibles, nous avons veillé à ce que l’échantillon de
consommateurs de luxe interrogés soit le plus diversifié possible, en variant l’âge, le sexe et la catégo-
rie socio-professionnelle. Également, nous avons considéré des profils différents en termes de consom-
mation des produits écologiques (non consommateurs, consommateurs occasionnels, consommateurs
réguliers) (Annexe 2). La sélection des répondants s’est poursuivie jusqu’à la saturation sémantique.
Lors de notre enquête, nous nous sommes basés sur un guide d’entretien qui vise surtout à comprendre
les enjeux environnementaux et sociaux associés aux produits de luxe, cerner le point de vue des
consommateurs vis-à-vis des pratiques durables adoptées par les entreprises de luxe et déterminer
l’importance que ceux-ci accordent au critère durable lors de l’achat d’un produit de luxe (Annexe 3).
Précisons que cette étude a écarté les services de luxe et s’est focalisée sur le seul cas des produits, aux-
quels on associe un impact écologique plus direct. D’après Lochard et Murat (2011), plus une activité
est proche d’un processus industriel, plus son impact environnemental et social est direct. À l’inverse,
plus l’activité est proche des services, plus son impact est indirect. En outre, les impacts indirects sont
souvent partagés entre plusieurs acteurs alors que les impacts directs incombent à l’entreprise ou au
secteur, considéré(e) comme seul(e) responsable.
Les entretiens ont duré entre 30 minutes et une heure et ont été enregistrés puis intégralement retrans-
crits. Au total, près de 300 pages de matériaux ont été récoltées. Une analyse de contenu thématique
des verbatim recueillis a été réalisée de manière individuelle par chacun des auteurs, à l’aide du logi-
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ciel NVivo8. La codification a été réalisée par allers-retours successifs entre le corpus et des éléments
théoriques. Puis les analyses effectuées par les auteurs ont été comparées et ont révélé une grande
homogénéité des résultats (Kappa de Cohen = 0,83).

portent aux dimensions du concept, au volet À l’origine de la dissonance :


environnemental, et enfin au volet social. Ils deux concepts aux dimensions
ont également conduit à cerner différents opposées
modes de réduction de la dissonance adoptés
par les consommateurs (Tableau 1).
Produit exclusif versus produit partagé
En rattachant au concept de développe-
ment durable des pratiques favorisant le
don, l’échange, les ventes d’occasions et le
recyclage, des consommateurs trouvent que
l’enjeu de la durabilité ne correspond pas à
l’univers du luxe. Celui-ci serait lié d’une
façon inhérente à l’exclusivité qui implique
104 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

Tableau 1 : Les sources de dissonance entre luxe et développement durable et les réactions des
consommateurs
Thèmes, catégories et sous-catégories identifiés dans le discours des interviewés

Luxe Développement durable

Dimensions du Exclusivité Partage


concept Qualité supérieure Qualité moindre
Impulsivité Rationalité
Sources de
Égoïsme Altruisme
la disso-
nance Volet environne- Utilisation des ressources rares Préservation des ressources
mental et gaspillage

Volet social Inégalité sociale Égalité sociale


Injustice au niveau de l’emploi Justice au niveau de l’emploi
Mal-être animal Bien-être animal

Modifier la cognition en changeant d’opinion devant les circonstances : modifier les caracté-
ristiques de l’objet en minimisant son impact environnemental et social.

Réinterpréter les informations dissonantes pour les rendre consonantes avec leurs opinions
antérieures : l’impact environnemental et social du secteur du luxe est jugé exagéré et man-
Réactions quant de preuves.
des consom-
mateurs Préférer des éléments d’information qui soient en consonance avec ses propres attitudes :
face à la l’industrie du luxe présente un avantage économique.
dissonance
Trivialisation :
Réduire l’importance de leur attitude initiale : la préoccupation écologique est négligée au
moment de la décision d’achat.
Dévaloriser son comportement problématique : considérer que son comportement d’achat a
peu d’impact environnemental et social.
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une rareté du produit et un prix élevé : « le produits de luxe, les consommateurs voient
principe du produit de luxe c’est qu’il soit dans les pratiques du développement durable
rare et le plus unique possible » (Hugo, (don, échange, recyclage, …) une forme de
33 ans). Les répondants indiquent que les perte qu’ils jugent regrettable : « mais c’est
marques sont exclusives du fait que seuls les paradoxal, pour moi c’est du gâchis, si on
individus appartenant au groupe social en a une belle voiture de collection, de devoir
question peuvent s’offrir les produits : « le la recycler pour faire des bouteilles d’eau »
développement durable c’est un concept qui (Nicolas, 42 ans). Ces consommateurs ont
est vraiment l’oxymore du luxe : un produit une attitude globalement défavorable et res-
luxueux doit être unique » (Isabelle, 38 ans), sentent une certaine déception face aux pra-
«  tous ces gens qui ont de vieux vêtements tiques durables appliquées au cas des produits
peut-être même troués, qui vont les donner à de luxe : « moi ma veste, enfin mon costard,
des œuvres caritatives et on va avoir des gens vu le prix que j’y mets, est-ce qu’avoir l’im-
qui ne correspondent pas du tout à la cible pression que quelqu’un l’a porté avant moi
à porter les vêtements, certaines marques ça me ferait plaisir ? Je ne pense pas, je suis
peuvent être contre » (Etienne, 44 ans). un peu conservateur à ce niveau-là » (Hugo,
Très attachés à l’idée de possession de leurs 33 ans).
Marketing du luxe – 105

Qualité supérieure versus qualité Impulsivité versus rationalité


moindre
Pour être des consommateurs de luxe, les in-
Selon les répondants, la qualité fait partie dividus ne devraient pas se montrer « raison-
intégrante de la définition du luxe : « les nables » : « je pense que le produit de luxe
produits de luxe pour moi c’est un gage de c’est un coup de cœur, une envie, donc par-
qualité. C’est des produits qui sont certes fois les envies ne se raisonnent pas en termes
onéreux mais qui, pour moi, symbolisent de logique et de bienfaits pour la planète »
une forme de qualité » (Muriel, 29 ans). (Irène, 56 ans). Les répondants, en associant
Plus particulièrement, ils associent aux pro- le développement durable à un comportement
duits de luxe une qualité irréprochable « les réfléchi, pointent une opposition entre luxe et
créateurs mettent un point d’honneur à être développement durable : « dans l’achat d’un
produit de luxe, il y a quelque chose d’irrai-
proches de la perfection » (Marion, 23 ans),
sonné, le respect de l’environnement est une
des matériaux supérieurs, une beauté du de-
démarche raisonnée » (Marion, 23 ans),
sign « les produits de luxe : c’est beau, c’est
«  luxe : on pense souvent à l’insouciance,
de la belle matière » (Danielle, 29 ans) et un
oui l’insouciance ça va bien avec le luxe… et
confort « une certaine idée du confort, de la le développement durable c’est quand même
détente » (Sophie, 49 ans). la conscience de l’objet et de la vie et la fin
Pour les consommateurs interrogés, la qualité de l’objet. Enfin il y a peut-être un décalage
entre ces deux notions » (Viviane, 49 ans).
supérieure des produits de luxe peut être mise
Ils apprécient l’univers « magique » des pro-
à mal par l’intégration d’attributs durables.
duits de luxe : « on achète des produits de
C’est en particulier les matériaux recyclés
luxe comme je disais c’est le rêve, on est sur
qui ont fait l’objet de plusieurs critiques et ont
un autre niveau ce n’est pas comme quand
été associés à une qualité inférieure : « c’est
on achète un produit normal » (Frédérique,
horrible à dire, ça me fait vraiment passer 32 ans). Les produits de luxe sont souvent
pour une mégère mais moi je n’associe pas associés à des souvenirs précieux et à une
le recyclage avec la qualité et moi c’est ce symbolique forte : « un tissu, une pièce qui
que je recherche dans un produit de luxe » a une histoire, qui a appartenu à une star
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(Anne, 37 ans). Plus précisément, les répon- dans un film célèbre, autant les garder afin
dants soulignent une possible détérioration au de garder les symboles particuliers pour une
niveau de la beauté du produit « je sais que la famille, ou une époque » (Nicolas, 42 ans).
polaire c’est fabriqué à partir de matériaux Enfin, les consommateurs se disent satisfaits
recyclés mais pour l’instant c’est vrai que les de la « facilité » qui caractériserait le pro-
matières produites avec ça ne sont pas très cessus d’achat des produits de luxe (un achat
belles donc après dans l’idée je ne suis pas coup de cœur) et rejettent l’idée de devoir
contre s’ils arrivent à produire des choses in- faire un effort en cherchant des informations
téressantes au niveau du design et de la qua- sur l’attribut durable : « je regarde si l’infor-
lité » (Amandine, 43 ans), du confort « tant mation vient à moi, je ne vais pas aller la
que c’est confortable et qu’on peut les por- chercher » (Frédérique, 32 ans).
ter sans que ça crée aucun souci, pourquoi
pas  » (Sarah, 36 ans) et de la fiabilité « de Penser à soi-même versus penser à
la méfiance, on m’a offert une écharpe juste- l’autre : « Moi d’abord ! »
ment recyclée, et je l’ai mise sur un tee shirt, En évoquant le développement durable, les
et il a plu et ça a déteint sur mon tee shirt consommateurs pensent essentiellement
donc pour moi ce n’est pas fiable » (Danielle, aux générations futures, à la protection des
29 ans). espèces animales, au niveau de rémunéra-
106 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

tion, à la durée de travail des travailleurs, lisent souvent des animaux ou des choses
et aux droits des femmes dans certains pays. rares de la nature qui peuvent disparaître.
En revanche, lorsqu’ils abordent la notion Par exemple, en utilisant des crocodiles pour
de luxe, leur discours devient tourné vers faire des sacs, forcément cela a un impact
soi, le mot « égoïste » a été d’ailleurs large- sur l’environnement » (Nicolas, 42 ans).
ment prononcé. Certains individus déclarent,
d’une façon très affichée et sans culpabiliser, Le luxe est également associé à l’idée de
gaspiller des ressources pour le plaisir per-
que satisfaire son plaisir personnel peut se
sonnel. Satisfaire ses propres envies pour-
faire au détriment de l’enjeu du développe-
rait éloigner l’individu d’un comportement
ment durable : « le produit de luxe a pour but
écologique : « le luxe est souvent associé à
de faire plaisir à la personne qui l’achète et
des notions comme le gaspillage, comme la
c’est un acte on peut le dire assez égoïste, on
démesure » (Viviane, 49 ans). Plus particu-
ne pense pas aux conséquences qu’il peut y
lièrement, le gaspillage des matières a été lié
avoir sur les autres » (Marie-Laure, 48 ans).
au packaging. De par leur dimension ostenta-
En outre, ils indiquent qu’ils ne sont pas dis-
toire et symbolique forte, les produits de luxe
posés à sacrifier leur plaisir personnel pour
comportent souvent un emballage consé-
une cause environnementale ou sociale : « je
quent : « tout ce qui se fait actuellement a des
ne me dis pas, bon je vais me priver parce
répercussions sur l’environnement, surtout
que d’autres personnes ont trimé dur. Alors
au niveau du packaging qui est très impor-
c’est un comportement égoïste mais c’est un
tant pour les produits de luxe, limite autant
comportement de consommateur de produits
que le produit » (Marion, 23 ans).
de luxe voilà malheureusement » (Tristan, 39
ans). D’autres individus expriment un avis Par ailleurs, certaines catégories des pro-
moins tranché et avouent penser à l’impact duits de luxe, l’exemple de l’automobile, sont
écologique de leur achat mais a posteriori : considérées comme énergivores et très pol-
«  effectivement moi quand j’achète un pro- luantes : « je sais que pour les voitures de
duit de luxe, effectivement je l’achète parce sport ce n’est pas le mieux au niveau de la
que je le veux, parce que je le trouve beau… pollution » (Laurent, 40 ans).
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je ne me dis pas sur le coup, tout de suite :
oui, quelle est la pauvre personne qui a fa-
briqué ce truc ? non, non, j’y pense après
Un paradoxe sur le plan social
en voyant une émission sur l’or, sur comment
sont faits les bijoux, comment sont faites les Inégalité sociale versus égalité sociale
vestes en cuir» (Damien, 42 ans). Si le développement durable renvoie à une
« justice sociale » selon les consommateurs,
Utilisation des ressources rares et le luxe semble à l’inverse créer des inégalités
gaspillage versus préservation des au sein de la société. En effet, la consomma-
ressources naturelles tion de produits de luxe a pour rôle de signa-
ler le statut et la richesse : « c’est presque fait
Le développement durable signifie pour tous pour, j’exagère un peu mais c’est ça. Il faut
les répondants « la préservation de la pla- qu’on puisse montrer qu’on a quelque chose
nète et des ressources naturelles ». En même que les autres ne puissent pas avoir par défi-
temps, ces personnes sont conscientes du nition  » (Roseline, 62 ans). Une caractéris-
danger de la fabrication des produits de luxe tique-clé du luxe est de séparer entre ceux
sur l’équilibre de l’écosystème et la protection qui ont les moyens et ceux qui n’ont en pas,
des espèces animales et végétales en voie de ce qui peut conduire à une exclusion sociale :
disparition : « ce sont des industries qui uti- « un problème par rapport aux produits de
Marketing du luxe – 107

luxe c’est que tout le monde en a envie mais Injustice versus justice en matière
tout le monde ne peut pas les acquérir donc d’emploi
du coup il y a un marqueur social évident et Comparativement à d’autres secteurs, les
c’est un vrai problème » (Damien, 42 ans). entreprises de luxe semblent faire des efforts
Au-delà de l’exclusion liée à la classe sociale, pour continuer à produire localement : « les
les entreprises de luxe écarteraient toutes les exemples qu’on a avec des usines qui s’ef-
personnes qui ne contribuent pas à véhicu- fondrent ce n’est pas les produits de luxe qui
ler une « bonne » image de leurs produits : font ça, c’est plutôt des marques moyennes,
«  c’était d’exclure les filles rondes, de leur c’est des marques à bas coûts, il y a plus
de 1 000 personnes parfois qui sont licen-
interdire de porter la marque en supprimant
ciées  » (Sophie, 49 ans). De ce fait, selon
les grosses tailles. Ils ne font pas une action
certains consommateurs, le luxe génère des
contre l’obésité en faisant ça. Ce n’est pas de
emplois qui font vivre beaucoup de Français
la prévention, c’est juste de la punition, enfin
et contribue ainsi à préserver des métiers spé-
ce n’est pas une punition mais c’est une envie
cifiques et à favoriser la compétence. Le luxe,
d’être élitiste et de contrôler qui porte leur
associé dans l’esprit de ces consommateurs à
marque. Je ne pense pas qu’il y ait de tailles
une production française et à du sur-mesure,
XXL dans les robes Vuitton par exemple »
offrirait à ses travailleurs des conditions de
(Etienne, 44 ans).
travail favorables : « Vuitton par exemple,
Les consommateurs de luxe interviewés sont tout est fabriqué en France. Donc là il n’y
conscients des risques de cette exclusion a pas de problèmes de conditions de tra-
sociale. Certains mentionnent les sentiments vail. Après tout ce qui est sur-mesure, c’est
négatifs, comme la jalousie, ressentis par les pareil  » (Hugo, 33 ans). Cependant, plu-
catégories exclues, et qui peuvent pousser sieurs marques de luxe ont fait le choix ces
à l’endettement pour pallier l’écart social : dernières années de délocaliser leurs usines
« des gens qui vont s’endetter pour consom- vers des pays à bas coûts. Plusieurs répon-
mer du luxe » (Thierry, 41 ans). dants sont au courant de cette nouvelle ten-
dance et indiquent les problèmes sociaux
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D’autres consommateurs évoquent les pos- susceptibles d’en découler. Ils estiment que
sibilités de conflits et d’agressions entre les employés peuvent être amenés à exercer
personnes de catégories sociales différentes dans des conditions déplorables et être sous-
(ceux qui ont accès versus ceux qui n’ont pas rémunérés : « je me demande si ce n’est pas
accès aux produits de luxe) : « on va finir par Gucci qui faisait faire ses produits, je crois
mettre des gens de côté parce qu’ils n’ont que c’était en Chine et qui sous-payait sa
pas de marques, pas de produits de luxe sur main d’œuvre » (Sandrine, 31 ans). De plus,
eux. Après on voit également que d’avoir des des répondants pensent que dans certains
choses ostentatoires sur soi, des doudounes pays, il est possible de faire travailler des
et autre, et bien on est plus sujet aux agres- enfants dans les usines qui fabriquent pour
sions » (Tristan, 39 ans). des marques de luxe. Par ailleurs, certains
consommateurs mentionnent que travailler
Enfin, des répondants soulignent que les iné- dans le domaine du luxe demande un certain
galités créées en termes de consommation perfectionnisme et un niveau d’exigence im-
des produits de luxe seraient responsables du portant qui peut être synonyme de pression
développement des produits contrefaits. Les et de mal-être au travail. Les employés dans
consommateurs achèteraient des contrefa- ce domaine occuperaient une place secon-
çons pour obtenir le prestige associé au pro- daire et souffriraient d’un manque de valori-
duit, sans devoir le payer. sation relativement au produit mis en avant :
108 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

«  les ateliers qui utilisent toutes ces petites Mal-être animal versus bien-être animal
qui fabriquent des choses délicates. Voilà
Un autre facteur pouvant jouer un rôle dans
toute cette chaîne d’artisans, ouvrières qui la dissonance perçue entre luxe et développe-
participe à la production du produit et qui ment durable est le traitement des animaux.
est oubliée par rapport au côté flamboyant D’une part, les répondants estiment sans
de l’objet » (Viviane, 49 ans). Aussi, le tra- aucune ambiguïté que « le développement
vail dans le secteur du luxe demanderait aux durable prône la protection des espèces ani-
employés des efforts supérieurs qui ne sont males » et « veille à leur bien-être ». D’autre
pas forcément compensés par une contrepar- part, ils croient généralement que l’industrie
tie financière. Cela est d’autant plus injustifié du luxe a des pratiques cruelles envers les
qu’on est dans le cas d’un secteur qui génère animaux destinés à la fabrication des sacs et
beaucoup de bénéfices, ce qui peut créer un des manteaux : « l’animal ça m’étonnerait
écart important entre les salaires des em- qu’on le respecte puisqu’on le tue pour avoir
ployés d’une part et l’univers du luxe dans sa peau » (Hugo, 33 ans), « par exemple pour
lequel ils travaillent d’autre part : « au niveau tout ce qui est des matières en cachemire,
des manteaux en fourrure, on massacre des
des rémunérations, on n’est pas mieux payé
tonnes de bêtes, ça c’est sûr, pareil pour le
alors qu’on sait que la marque fait beau-
cuir, que ce soit le crocodile… enfin il y a
coup de bénéfices. Les vendeurs sont vrai-
beaucoup de massacres » (Danielle, 29 ans).
ment performants mais sont payés autant
que chez Zara où ils sont clairement là pour
ranger les vêtements. Dans les boutiques de Réactions des consommateurs
luxe, il y a un vrai travail relationnel, un vrai face à la dissonance entre luxe et
accompagnement du client, un vrai conseil. développement durable
Au niveau de la production c’est pareil. Les Face à la dissonance entre les deux notions
employés ne sont pas mieux payés que dans luxe et développement durable, plusieurs ré-
la grande consommation » (Marion, 23 actions ont été observées chez les consomma-
ans). Le luxe semble donc évoquer chez les teurs. Le premier type de réactions consiste à
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consommateurs des perceptions négatives modifier la cognition en changeant d’opinion.
autour des conditions de travail, un élément En effet, en minimisant le risque environne-
supplémentaire qui pourrait l’éloigner des va- mental et social de l’industrie du luxe, des
leurs promues par le développement durable. consommateurs semblent ajuster leurs atti-
Ce dernier a été largement associé à l’idée de tudes autour des caractéristiques des produits
la protection des salariés et à la préservation de manière à ce que celles-ci soient moins
de leur bien-être : « dans le développement en contradiction avec la notion du dévelop-
durable il y a le pilier social, je pense qu’on pement durable : « on peut parler de PPR, à
mon avis par rapport aux autres entreprises
a trop tendance à l’oublier ce n’est pas juste
de cette taille, je ne pense pas que ce soit la
l’environnement… les conditions dans les-
plus polluante » (Patrick, 34 ans). À l’échelle
quelles le produit a été fabriqué, par exemple
individuelle, les consommateurs mettent en
le niveau de rémunération des travailleurs, avant la compensation de leurs achats non du-
la durée de travail » (Joëlle, 57 ans), « le rables par des actions personnelles en faveur
principe du développement durable c’est sur- du développement durable comme la trans-
tout des conditions de travail correctes et il mission qui permettrait d’allonger le cycle
n’y a pas des rats qui courent partout et que de vie du produit : « on ne va pas demander
les employés ne travaillent pas 45 heures par à une femme de recycler sa fourrure, elle la
jour » (Martine, 59 ans). recycle dans le sens où elle va la donner à
Marketing du luxe – 109

sa fille, à sa petite fille» (Isabelle, 38 ans). à satisfaire la demande pour ces produits. La
Ces personnes minimisent également l’im- rareté des matériaux durables et la difficulté
pact environnemental et social en insistant à les obtenir semblent réduire les quantités et
sur la faible fréquence d’achat des produits types de produits à proposer aux clients : « je
de luxe : « je vais regarder plus (l’informa- pense que le processus est dur à mettre en
tion durable) sur des produits qu’on achète place, pour moi ce n’est pas des produits qui
au quotidien que sur un produit comme ça peuvent être facilement concernés » (Muriel,
qu’on va acheter deux fois par an» (Joëlle, 29 ans), « je pense qu’il n’y aurait pas de
57 ans). quoi faire toute une collection ou des vête-
ments diversifiés » (Marion, 23 ans).
Le second type de réactions observé fait réfé-
rence à une réinterprétation des informations Le dernier type de réactions face à la disso-
dissonantes pour les rendre consonantes avec nance entre luxe et développement durable
les opinions antérieures. Certains individus constaté peut être associé à la « trivialisa-
contestent le discours autour du développe- tion ». Certains individus se trouvent ame-
ment durable qui serait, à leurs yeux, souvent nés à revoir l’importance qu’ils accordaient
exagéré : « on fait de la dénonciation pour initialement à l’attribut durable. Celui-ci de-
tous les produits, il ne faut pas exagérer non vient ainsi peu déterminant dans la décision
plus » (Nadine, 59 ans). D’autres répondants d’achat même pour les personnes conscientes
s’appuient sur l’idée d’un manque de preuves de l’importance de l’enjeu du développe-
concernant un éventuel impact négatif de ment durable : « je ne dis pas que ce n’est
l’industrie du luxe sur la planète : « quand pas important (le développement durable)
on prend chaque vitrine du groupe, chaque mais souvent au moment d’acheter un pro-
site Internet de chaque marque, il n’y a au- duit de luxe c’est quelque chose à laquelle je
cun impact écologique qui est démontré » ne ferais pas attention vu que c’est souvent
(Isabelle, 38 ans). des achats coup de tête ou des petits plaisirs.
Je pense que c’est important mais je ne le
Le troisième type de réactions est lié à la prends pas en compte au moment de l’achat »
préférence des individus pour des éléments (Thierry, 41 ans). D’autres vont plus loin en
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d’information qui soient en consonance avec rejetant l’information durable qui est source
leurs propres attitudes. Ainsi, d’une part, les de dissonance, et en estimant qu’adopter des
consommateurs indiquent un effet écono- actions environnementales et/ou sociales ne
mique positif de l’industrie du luxe : « certains peut pas être utile dans le cas des marques
produits de luxe type Ralf Lauren font fabri- de luxe : « l’écologie, ils en n’ont pas besoin.
quer leurs vêtements je sais au Sri Lanka et On ne vend pas du luxe comme on vend n’im-
je ne sais pas comment ils travaillent là-bas, porte quoi et je pense que de dire «fait dans
s’il y a des normes, si c’est contrôlé, si des le respect de l’environnement», ça ne colle
enfants travaillent ou pas… Voilà l’impact pas à l’image du luxe justement » (Etienne,
oui, il y en a forcément un, mais bon, il peut 44 ans).
y avoir aussi un impact économique qui est
pas mal pour les pays qui font ces grandes D’autres encore finissent par minimiser
marques aussi » (Odile, 64 ans). D’autre part, l’impact de leurs comportements de consom-
ils évoquent les éventuels obstacles suscep- mation considérés problématiques. Une réfé-
tibles d’entraver la possibilité d’intégrer des rence au fatalisme apparaît en effet dans les
caractéristiques durables dans un produit de discours ; elle exprime l’idée selon laquelle
luxe. Il s’agit de la complexité de la mise en le cours des évènements échappe à la volonté
œuvre de procédés spécifiques pour fabriquer humaine et en souligne le caractère inévi-
des produits de luxe durables et la difficulté table de la destruction de la planète, ce qui
110 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

reflète un déni de responsabilité : « le risque que l’achat des produits de luxe est irréfléchi
sur l’environnement, ce n’est pas mon pro- (Kapferer, 2010) et relève d’une démarche
duit de luxe qui va faire fondre un iceberg spontanée et impulsive, alors que le déve-
dans l’antarctique » (Hugo, 33 ans). loppement durable renvoie à une démarche
réflexive consistant à analyser l’impact envi-
ronnemental et social des produits (Özçağlar-
Discussion Toulouse, 2009). Quatrièmement, l’analyse
Les conclusions de cette étude révèlent l’exis- des données met en lumière l’importance
tence de divergences entre la conception du de l’égo qui caractérise les consommateurs
luxe et la conception du développement du- du luxe. La consommation des produits de
rable (Achabou et Dekhili, 2013). Ces résul- luxe permet de remplir le besoin de paraître
tats rappellent la théorie de la dissonance aux yeux de la société (Lipovetsky et Roux,
cognitive (Festinger, 1957) qui stipule que 2003) et maximiser les bénéfices individuels
des individus confrontés à une discordance (Stern, Dietz et Kalof, 1993). Le développe-
entre deux cognitions, ressentent un incon- ment durable, par opposition, est associé à
« autrui » (générations futures, travailleurs,
fort mental qui les incite à retrouver un état
animaux, etc.), et implique l’acceptation de
de bien-être. Premièrement, les représenta-
renoncer à son plaisir personnel (Lochard et
tions du luxe développées par les répondants
Murat, 2011).
renvoient à l’exclusivité, à l’attachement au
produit et à la possession (Lochard et Murat, Sur le plan environnemental, les répondants
2011). Le luxe crée souvent des obstacles pointent du doigt les logiques différentes du
pour rendre les produits inaccessibles et créer luxe et du développement durable concernant
ainsi le désir (Kapferer et Bastien, 2009). À la gestion des ressources naturelles. Le luxe
l’inverse, le développement durable suscite favorise une forme de consommation dérai-
des idées liées au partage et conteste le rôle sonnable (Lochard et Murat, 2012), syno-
de la possession (Özçağlar-Toulouse, 2009). nyme de surexploitation des ressources et de
En encourageant des pratiques comme le don, gaspillage (Kapferer et Bastien, 2012). Le dé-
la récupération et le troc, il offre une certaine veloppement durable, lui, appelle à une ges-
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facilité d’accès aux produits. Deuxièmement, tion raisonnée du patrimoine naturel compte
des répondants ont assimilé les produits tenu de la capacité limitée de la planète à le
de luxe durables à des produits de qualité renouveler (Lochard et Murat, 2011).
moindre. Ces perceptions négatives sont par-
Concernant le volet social, les propos des
ticulièrement importantes car elles touchent
interviewés mentionnent que le luxe crée
la qualité, une variable centrale dans la
une injustice sociale, génère une souffrance
perception des produits de luxe (Vickers et
animale et induit un mal-être au travail. Les
Renan, 2003). La dissonance constatée à ce
perceptions sociales négatives se sont renfor-
niveau entre luxe et développement durable
cées à cause de la stratégie de délocalisation
peut conduire les individus à aller jusqu’à
adoptée par plusieurs maisons de luxe. Elles
modifier les caractéristiques du produit dans
sont susceptibles d’entacher la perception
leur représentation (Gallen et Bouder-Pailler,
de prestige et de statut des produits qui est
2010) ; un produit de qualité inférieure peut
fortement liée à celle de leur pays d’origine
être perçu comme non luxueux (Vigneron et
(Koromyslov, Walliser et Roux, 2013).
Johnson, 2004). L’hypothèse serait de dire
qu’un produit de luxe, en intégrant un attri- Cette recherche a également étudié les réac-
but durable, perd sa dimension luxueuse aux tions des consommateurs face à la disso-
yeux des consommateurs. Troisièmement, nance entre luxe et développement durable, et
les discours des consommateurs suggèrent les modes de réduction de celle-ci. L’analyse
Marketing du luxe – 111

de ces réactions est centrale car elle aide à gique au moment de l’achat ou en minimisant
comprendre les freins à la consommation l’impact de leurs comportements de consom-
des produits de luxe durables. Il ressort que mation. Plusieurs réactions observées lors
cette dissonance peut conduire les individus de notre étude peuvent s’apparenter au prin-
à ajuster leurs attitudes initiales de manière cipe de l’ignorance délibérée (Binninger et
à ce que celles-ci soient plus en conformité alii, 2014) : lorsque l’attribut durable induit
avec le comportement de consommation réa- une émotion négative ou un conflit interne
lisé. En effet, des consommateurs revoient à chez la personne, celle-ci peut en effet réa-
la baisse l’éventuel impact environnemental gir en rejetant cet attribut lors de la décision
et social de l’industrie du luxe, et cela en ap- d’achat. Au-delà, les individus peuvent déni-
portant en particulier deux justifications : une grer l’attribut durable (en tant que source de
faible fréquence d’achat des produits de luxe dissonance), ou repenser leur comportement
et un effet de compensation possible. Les dans un sens contraire à celui attendu par la
consommateurs qui achètent des produits de diffusion du message écologique en question
luxe non durables pensent que l’impact de ce
(Gallopel, 2005).
choix peut être rectifié par le fait de les trans-
mettre à d’autres (enfants, petits-enfants). Enfin, plusieurs individus interrogés assu-
Les individus imaginent rétablir ainsi un ment leur choix de produits de luxe non
équilibre au niveau de l’impact de leurs pra- durables ; aucune émotion négative de type
tiques sur l’environnement. Le mécanisme regret ou culpabilité n’a été exprimée. Ce
de compensation pourrait apparaître comme sont plutôt des émotions positives qui ont été
une justification d’actes non désirables socia- mises en avant. Ces dernières sont reliées,
lement (Daniel et Sirieix, 2012). d’une part, à la consommation des produits
La dissonance perçue peut également amener de luxe (plaisir) et, d’autre part, aux bienfaits
les individus à réinterpréter les informations économiques de l’industrie du luxe (satisfac-
dissonantes pour les rendre consonantes tion liée à la création d’emplois dans les pays
avec leurs opinions initiales. Ainsi, certains en développement). À l’instar des travaux
consommateurs mettent en doute la crédibi- antérieurs (Gregory-Smith et alii, 2013), les
conclusions de notre étude incitent à penser
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lité des informations diffusées sur l’impact
environnemental et social des entreprises que les émotions positives générées par les
du luxe en les jugeant exagérées et man- conséquences de l’achat et par l’impact posi-
quant de preuves. D’autres consommateurs tif perçu de l’industrie permettent de dimi-
ne retiennent que les éléments d’information nuer les sentiments négatifs qui peuvent être
qui sont en consonance avec leurs propres ressenties face à la dissonance constatée.
attitudes (exposition sélective). En effet,
l’impact économique favorable de l’industrie
du luxe et sa difficulté à mettre en œuvre des
Pistes d’amélioration de l’usage
pratiques durables semblent constituer les
de l’argument durable dans le
deux principaux arguments sur lesquels s’ap-
secteur du luxe
puient les répondants pour retrouver, face à la Les diverses sources de dissonance iden-
dissonance, un équilibre cognitif (Festinger, tifiées dans cet article peuvent pousser les
1957). consommateurs à rejeter les produits de luxe
Par ailleurs, certains individus adoptent durables. Plusieurs recommandations stra-
une stratégie de « trivialisation » (Simon, tégiques sont formulées pour permettre aux
Greenberg et Brehm, 1995) en réduisant marques de luxe de mieux utiliser l’argument
l’importance de leur préoccupation écolo- du développement durable dans leur commu-
nication (Annexe 4).
112 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

Montrer que le luxe peut être associé à interpréter de manière responsable les
au partage en valorisant l’argument de désirs du consommateur moderne en ma-
transmission entre générations tière de produits de mode durables, tout en
L’exclusivité est une valeur importante du maintenant l’équilibre entre des valeurs
luxe, mais elle constitue également l’une des intemporelles de style et une qualité supé-
principales sources de dissonance avec le rieure à une vision écologique croissante ».
développement durable qui, lui, promeut le La valorisation des matériaux écologiques
partage à travers des pratiques de consomma- comme étant synonymes d’innovation et
tion telles que le don et l’échange. Il apparait de créativité pourrait être envisagée. Les
donc nécessaire de réduire cette dissonance manageurs peuvent ainsi renforcer l’image
en donnant à la consommation des produits de produits uniques et luxueux à l’instar de
de luxe une valeur de partage. Pour ce faire, ce que fait Stella McCartney qui présente
les marques de luxe pourraient capitaliser le cuir comme une matière première com-
sur l’argument de transmission des produits mune (démodée) et les matières premières
de génération en génération (héritage). C’est écologiques qu’elle utilise dans ses produits
précisément sur cette valeur de partage et de comme luxueuses et résultant d’un important
transmission que s’est construite la réputation travail d’innovation « la recherche scienti-
de la marque Patek Philippe, un fabricant de fique découvre de nouvelles fibres mixtes,
montres de luxe. Cette entreprise est à l’ori- qui deviennent par conséquent des produits
gine d’une campagne de communication rares, c’est pourquoi les matériaux innovants
« Générations » qui a marqué le secteur de doivent être perçus comme un véritable luxe,
l’horlogerie ces dernières années avec no- plus que le cuir qui est devenu aujourd’hui
tamment un slogan très évocateur « jamais un produit relativement commun ».
vous ne posséderez complètement une Patek
Philippe. Vous en serez juste le gardien, pour Convaincre les consommateurs
les générations futures ». que la consommation des produits
de luxe durables ne signifie pas un
Rassurer le consommateur sur le renoncement à son plaisir personnel
maintien d’une qualité supérieure des
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La consommation de luxe est souvent asso-
produits de luxe ciée à une dimension égoïste. Les consom-
Le discours des consommateurs interrogés mateurs cherchent à se faire plaisir et affir-
révèle l’existence d’une crainte d’une dégra- mer leur position sociale. Les marques de
dation de la qualité des produits de luxe suite luxe souhaitant donner à leurs produits une
à l’intégration d’un attribut durable. Le luxe valeur altruiste en intégrant l’attribut durable
étant associé à des matières nobles et à une ne doivent donc pas omettre cette dimen-
qualité irréprochable et le développement sion. La présentation que donne la marque
durable à l’économie (économie d’énergie, Cadillac de son modèle électrique 2016
économie sur les matières premières, etc.). ELR va dans ce sens « la 2016 ELR consti-
Il apparait donc nécessaire de rassurer les tue une concrétisation de notre engagement
consommateurs sur le caractère luxueux des envers la durabilité… L’extérieur de la 2016
produits de luxe durables et sur leur qualité ELR permet une présence audacieuse sur la
exceptionnelle. C’est ce que fait par exemple route : élégante, stylisée et capable de faire
la marque Gucci lorsqu’elle présente sur son tourner les têtes avec facilité. La minute
site Internet ses semelles écologiques « Gucci où vous ouvrez la porte, vous remarquerez
a le plaisir d’annoncer le lancement des l’ambiance élégante ainsi qu’une collection
Semelles Écologiques, …. Ce nouveau projet de fonctionnalités qui assurent la sécurité et
illustre la mission de la Maison, qui consiste la commodité. Une preuve concluante que
Marketing du luxe – 113

la technologie a un côté élégant ». Tout en les points de vente ne semble pas laisser de
mettant en avant la dimension écologique de place pour la valorisation de la main d’œuvre
sa voiture, la marque met l’accent sur le côté qui a contribué à leur fabrication. Ainsi, il
plaisir et ostentatoire lié à la possession et à serait judicieux que les manageurs mettent
l’utilisation de ce modèle. Cadillac développe en avant les conditions de travail favorables
ainsi une forme d’« altruisme ostentatoire » et valorisent le savoir-faire ancestral comme
(Kapferer et Bastien, 2012). le rappelle le Comité Colbert3 « les savoir-
faire des artisans qui sont au cœur de l’ac-
tivité des maisons du luxe, constituent une
Dissocier le luxe de l’idée de gaspiller
richesse du patrimoine immatériel français.
des ressources naturelles en revenant
à une valeur fondamentale du luxe : la Leur valorisation et leur transmission sont
rareté essentielles » (Comité Colbert, 2015, p 3).
C’est le cas de la marque Hermès qui a éla-
Plusieurs entreprises de luxe sont aujourd’hui boré une communication autour du bien-être
engagées dans des projets de préservation au travail et son impact sur le savoir-faire
des ressources naturelles qui sont à l’origine diffusé au sein de l’entreprise. À travers une
de la rareté de leurs produits. Pourtant, elles série de vidéos qui concerne son atelier de
continuent à être décriées pour leur impact valorisation des chutes de cuir et des carrés
négatif sur l’environnement, en particulier de soie, on peut observer, loin de l’idée de tra-
pour l’utilisation de ressources naturelles me- vailleurs sous pression, des artisans décon-
nacées d’extinction et pour la fabrication de tractés qui mentionnent des conditions de
produits énergivores. Pour convaincre de leur travail favorables pour l’innovation, la créati-
engagement, les marques de luxe devraient vité et la transmission du savoir-faire. Ces vi-
rappeler la dimension de rareté caractérisant déos donnent l’impression au consommateur
leurs produits notamment dans le contexte d’entrer au cœur des ateliers de la marque
actuel qui, en tendant vers la démocratisa- et aident à diffuser l’image d’une entreprise
tion des produits de luxe, met en danger leur socialement responsable.
rareté perçue. Dans cette optique, la marque
italienne d’automobile de luxe, Ferrari, a
Construire l’image d’une marque
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décidé en 2013 de réduire volontairement sa
production de 4 % dans l’objectif de « culti- soucieuse du bien-être animal
ver la rareté » (Clark et Tison, 2013). En ré- Les entreprises de luxe doivent faire face au
duisant leur production, les marques de luxe défi de dissocier leur secteur de la problé-
misent sur la préservation de la valeur de matique de maltraitance animale. Plusieurs
leurs produits et répondent ainsi à l’une des initiatives allant dans ce sens peuvent être
principales préconisations du développement soulignées. Par exemple, la marque Cartier
durable qui est celle de réduire la consomma- a rejoint en 2009 un groupe de travail sur
tion des matières et d’énergie. le luxe durable « The Sustainable Luxury
Working Group » militant pour le bien-être
Prouver aux consommateurs que animal, alors que le groupe Kering a finan-
les entreprises de luxe valorisent le cé un rapport sur l’élevage en captivité de
savoir-faire des artisans pythons dans le cadre d’un partenariat avec
Travailler dans le secteur du luxe évoque l’Union Internationale pour la Conservation
chez certains consommateurs un niveau de la Nature. Mais ces actions peuvent sem-
d’exigence accru qui peut être une source de
3/  Huit artisans du Comité Colbert ont reçu en no-
pression pour les travailleurs. Aussi, l’espace vembre 2014 les insignes de chevalier de l’ordre des
privilégié octroyé aux produits de luxe dans Arts et des Lettres au Château de Versailles (Comité
Colbert, 2015).
114 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

bler insuffisantes aux yeux des consom- la dissonance basée sur l’affect de la disso-
mateurs qui réclament une démarche plus nance basée sur la cognition (Keller et Block,
engagée. Le choix des entreprises LVMH et 1999), et de préciser les réactions affectives
Hermès parait en ce sens plus crédible. En engendrées par la contradiction perçue entre
effet, en rachetant des fermes d’élevage de luxe et développement durable.
crocodiles en Australie, les deux entreprises
peuvent contrôler les conditions d’élevage Cette recherche est fondée sur de nombreux
des animaux et assurer une meilleure tra- choix qui limitent la généralisation des résul-
çabilité de la matière première qu’elles uti- tats. Tout d’abord, l’étude n’a pas spécifié de
lisent. Il s’agit d’un facteur de différenciation catégories de produits et a exclu le cas des
important qu’il serait utile de mobiliser pour services alors que les biens de luxe n’évoquent
prouver l’engagement en faveur de la cause pas tous le même niveau d’associations avec le
animale. développement durable, et que les industries
de luxe ont chacune ses spécificités en termes
de réglementations et de problématiques po-
Voies de recherche et limites sées (Janssen et alii, 2014). Par exemple, une
Cette étude identifie les sources de contradic- entreprise opérant dans la joaillerie subit plus
tion entre luxe et développement durable et de pressions pour les normes éthiques dans
confirme la variabilité des modes de réduc- l’approvisionnement de diamants et autres
tion de la dissonance cognitive. En revanche, pierres précieuses (dimension sociale), alors
la question de la compatibilité de ces derniers que dans le cas des champagnes et vins les
reste à étudier plus finement. Certains auteurs entreprises sont davantage surveillées sur
(Ansel et Girandola, 2004) envisagent une leur impact environnemental. Nous pensons
complémentarité entre les différents types de qu’il serait intéressant dans une recherche
réactions des individus face à la dissonance, future, qui mobilisera différents produits
alors que d’autres (Beauvois et Joule, 1996) et services de luxe, de distinguer entre les
relèvent une incompatibilité. « invariants » et les sources de dissonance
spécifiques à la catégorie du bien. La seconde
Si notre analyse a mis en évidence un niveau limite consiste dans le fait que seuls des
de dissonance qui semble avoir atteint un
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consommateurs français ont été interrogés
seuil intolérable chez les consommateurs alors que les modes de consommation des
qui ont montré différentes réactions, cer- produits de luxe varient selon la culture des
tains individus auraient toutefois besoin d’un individus (Kapferer et Michaut-Denizeau,
niveau plus élevé de dissonance pour initier 2013). Cela nous permet d’identifier une voie
un processus de réduction (Kiesler, 1971). La de recherche qui consisterait à répliquer cette
question est de savoir où commence la dis- étude dans d’autres contextes (pays asia-
sonance cognitive. L’approfondissement de tiques, pays du Golfe, USA), en prenant en
l’étude des différences inter-individuelles et compte les identificateurs culturels.
du seuil de tolérance permettrait de mieux
comprendre auprès de quel(s) groupe(s) de
consommateurs et moyennant quel(s) type(s) Références
d’information, luxe et développement durable
Achabou M.A. et Dekhili S. (2013), Luxury and sus-
entretiendraient une relation d’inconsistance.
tainable development: is there a match? Journal
of Business Research, 66, 1896-1903.
Étant donné que ni la nature, ni l’ampleur de
l’inconfort psychologique ou des états affec- Ansel D. et Girandola F. (2004), La surconfiance : un
mode de réduction de la dissonance par ajout de
tifs liés à la dissonance cognitive ne sont cognitions consistantes, Revue Internationale de
étudiés (Gallan et Brunel, 2014), il apparait Psychologie Sociale, 17, 145-176.
crucial dans les études à venir de distinguer
Marketing du luxe – 115

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Annexe

Annexe 1 : Lien entre luxe et développement durable : contribution des études de
la littérature

Approches méthodolo-
Auteurs Revues Résultats des études de la littérature
giques
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Kapferer The European Analyse théorique. Les points communs essentiels entre luxe et
(2010) Business Review développement durable sont : l’endurance
et la rareté.

Davies, Lee Journal of Busi- Enquête par question- La propension des consommateurs à consi-
et Ahonkhai ness Ethics naire : consommateurs dérer l’éthique est plus faible dans le cas
(2012) anglais (n=199). des achats des produits de luxe en compa-
raison avec les achats courants.
Le luxe n’a pas d’impact social et environ-
nemental « Fallacy of Clean Luxuries ».

Hennigs, et Journal of Cor- Analyse théorique. Les points communs essentiels entre luxe et
alii, (2013) porate Citizen- développement durable sont : l’endurance,
ship l’héritage et la qualité.

Steinhart, Aya- Journal of Clea- 2 études expérimen- L’information environnementale amé-


lon et Puter- ner Production tales en ligne auprès liore les évaluations des produits de luxe.
man (2013) de consommateurs Cet effet est renforcé lorsque le message
isréliens : environnemental comporte des bénéfices
Étude 1 : (n=216). personnels reliés au statut social de l’ache-
Étude 2 : (n=70). teur « être écolo ».
Marketing du luxe – 117

Approches méthodo-
Auteurs Revues Résultats des études de la littérature
logiques

Achabou et Journal of Busi- Méthode d’analyse L’introduction de matériaux recyclés dans un


Dekhili (2013) ness Research conjointe : consomma- vêtement de luxe influence négativement la
teurs français (n=131). préférence des consommateurs.

Kapferer. et Journal of Enquête par question- Un segment de consommateurs perçoit une


Michaut-Deni- Brand Manage- naire : consommateurs contradiction entre luxe et développement
zeau (2013) ment français (n=966). durable. La contradiction perçue augmente
avec la perception que le luxe promeut des
valeurs superficielles et crée un écart social.

Annexe 2 : Échantillon de consommateurs interrogés (n = 39)

Nombre Fréquence de
de per- Revenu de la consommation
Niveau
Prénom fictif Âge Profession sonnes personne (en des produits
d’études
dans le euros) écologiques/
foyer biologiques*

Chef d’entre-
Martine 59 ans bac+5 et plus 3 > 5 000 Régulière
prise

Marion 23 ans bac+5 et plus Cadre 1 2 500-3 500 Régulière

Marie 24 ans bac+5 et plus Cadre 1 2 500-3 500 Régulière

Françoise 52 ans bac+5 et plus Cadre 4 > 5 000 Non


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Anne 37 ans bac+5 et plus Cadre 2 3 500-5 000 Régulière

Muriel 29 ans bac+5 et plus Cadre 3 3 500-5 000 Occasionnelle

Chef d’entre-
Myriam 42 ans bac+5 et plus 3 3 500-5 000 Régulière
prise

Viviane 49 ans bac+3 Cadre 2 2 500-3 500 Régulière

Irène 56 ans bac Cadre 2 3 500-5 000 Régulière

Laurent 40 ans bac+2 Cadre 2 3 500-5 000 Régulière

Charles 44 ans bac+5 et plus Cadre 2 2 500-3 500 Régulière

Hugo 33 ans bac+5 et plus Cadre 1 3 500-5 000 Non

Nicolas 42 ans bac+5 et plus Cadre 1 2 500-3 500 Non

Claudine 58 ans bac+3 Autre 3 3 500-5 000 Régulière

François 46 ans bac+5 et plus Cadre 3 3 500-5 000 Non

Nadine 59 ans bac+3 Au foyer 2 2 500-3 500 Régulière


118 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

Nombre Fréquence de
de per- Revenu de consommation
Niveau
Prénom Âge Profession sonnes la personne des produits
d’études
dans le (en euros) écologiques/biolo-
foyer giques*

Chef d’entre-
Amandine 43 ans bac+5 et plus 2 3 500-5 000 Régulière
prise

Christine 55 ans bac+3 Cadre 1 3 500-5 000 Régulière

Marie-Laure 48 ans bac Cadre 1 2 500-3 500 Régulière

Mathieu 30 ans bac+2 Artisan 1 1 500-2 500 Régulière

Sylvie 44 ans bac+5 et plus Cadre 5 3 500-5 000 Occasionnelle

Cédric 28 ans bac+5 et plus Cadre 1 2 500-3 500 Non

Chef d’entre-
Damien 42 ans bac 4 3 500-5 000 Occasionnelle
prise

Rémi 45 ans secondaire Autre 2 > 5 000 Régulière

Tristan 39 ans bac Cadre 3 3 500-5 000 Régulière

Isabelle 38 ans bac+5 et plus Cadre 2 3 500-5 000 Non

Joëlle 57 ans bac+5 et plus Enseignante 7 1 500-2 500 Occasionnelle

Odile 64 ans bac Retraitée 2 > 5 000 Régulière

Roseline 62 ans bac+4 Retraitée 3 > 5 000 Régulière

Thierry 41 ans bac+5 et plus Cadre 1 3 500-5 000 Régulière

Sarah 36 ans bac+5 et plus Cadre 1 3 500-5 000 Occasionnelle

Chef d’entre
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Etienne 44 ans bac+5 et plus 1 > 5 000 Régulière
prise

Patrick 34 ans bac+5 et plus Cadre 1 3 500-5 000 Régulière

Chef d’entre-
Jean 40 ans bac+5 et plus 2 3 500-5 000 Occasionnelle
prise

Danielle 29 ans bac+2 Employée 2 3 500-5 000 Non

Sophie 49 ans bac+4 Cadre 2 3 500-5 000 Régulière

Chef d’entre-
Claude 60 ans bac+5 et plus 1 > 5 000 Occasionnelle
prise

Sandrine 31 ans bac+5 et plus Cadre 1 3 500-5 000 Régulière

Frédérique 32 ans bac+5 et plus Cadre 1 3 500-5 000 Régulière

* Les catégories de produits écologiques/biologiques les plus citées : produits alimentaires, habillement, cos-
métique et produits d’entretien.
Marketing du luxe – 119

Annexe 34 : Guide d’entretien utilisé lors de l’étude qualitative


1. Parlons des produits de luxe et de ce que cela évoque pour vous.

Sous-thème 1 : Qu’est-ce que les produits de luxe évoquent pour vous ?

Quelles sont les raisons qui peuvent vous pousser à les achetez ?

Sous-thème 2 : Quand vous choisissez un produit de luxe, sur quoi vous basez-vous pour faire
ce choix ?

Qu’est-ce que vous regardez en premier ? Qu’est ce qui compte le plus pour vous ?

Sous-thème 3 : Faites-vous confiance aux marques de luxe ?

2. Maintenant, nous allons parler des critères environnementaux et sociaux dans le cas des pro-
duits de luxe

Sous-thème 1 : Selon vous, les produits de luxe peuvent-ils présenter un risque sur l’environne-
ment ?

Si oui, de quel type ? Avez-vous des exemples à nous donner ?

Selon vous, y a-t-il des produits spécifiques qui présentent plus de risque que d’autres ?

Si non : Pourquoi ?

Sous-thème 2 : Les produits de luxe peuvent-ils selon vous poser des problèmes sociaux?

Si oui, quel type de problème essentiellement ? Pouvez-vous donner des exemples ?

Si non : Pourquoi ?

Sous-thème 3 : Connaissez-vous des marques de luxe qui se sont engagées pour une cause envi-
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ronnementale ou sociale ? Des exemples ?

Connaissez-vous des marques de luxe qui mettent en avant des critères d’ordre environnemental
ou social ?

Que pensez-vous de ces initiatives ?

Est-il important pour vous qu’une marque de luxe adopte des actions en faveur du développement
durable ?

Sous-thème 4 : Certaines entreprises font du recyclage et mettent en avant cette pratique. Selon
vous, faut-il encourager le recyclage dans le cas des produits de luxe ?

Si oui, pourquoi ?

Si non, pourquoi ?

Prenons l’exemple de l’habillement de luxe, que pensez-vous de l’utilisation des tissus recyclés ?

4/  Les questions portant sur le recyclage et la certification n’ont pas fait l’objet d’exploitation dans le cadre de
cette recherche.
120 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016

Sous-thème 5 : Pensez-vous que les entreprises de luxe engagées en faveur du développement
durable doivent recourir à la certification environnementale et sociale ? Pourquoi ?

Dans le cas des produits de luxe, connaissez-vous des certifications qui indiquent des informa-
tions environnementales et/ou sociales ?

Que pensez-vous de ces certifications ?

Avez-vous confiance dans ces certifications? Pourquoi ?

Sous-thème 6 : Au moment de l’achat d’un produit de luxe, est-il important pour vous de
connaître dans quelles conditions il a été produit et le risque qu’il peut présenter sur l’environ-
nement ?

Pour quelle raison cela vous paraît important (ou peu important) ?

3. Parlez-moi de vos habitudes de consommation des produits de luxe ?

Sous-thème 1 : Quels types de produits de luxe consommez-vous ? Et depuis quand ?

Sous-thème 2 : Quelle est la fréquence de votre consommation des produits de luxe ?

Moins d’1 produit de luxe par an

1 à 2 produits de luxe par an

3 à 5 produits de luxe par an

Plus de 5 produits de luxe par an

Sous-thème 3 : Y a-t-il des contextes particuliers ou occasions qui vous amènent à acheter des
produits de luxe ? Quelle sont les différentes situations ?

Sous-thème 4 : Avez-vous déjà acheté des produits de luxe comportant une information (certifi-
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cation) environnementale et/ou sociale ?

Si oui, lesquels ? Quelles marques ?


Marketing du luxe – 121

Annexe 4 : Pourquoi et comment réduire la dissonance entre luxe et développe-


ment durable

Objectif des entreprises de luxe Recommandations d’actions

Dimensions du Donner au luxe une valeur Promouvoir la notion d’héritage


concept de « partage » sans remettre en
cause son attribut clé d’exclu-
sivité

Rassurer les consommateurs Mettre en avant le caractère luxueux


sur la qualité supérieure des et innovant des matières premières
produits de luxe durables durables utilisées

Associer le luxe durable à l’idée Rassurer le consommateur sur le fait


d’un altruisme ostentatoire que consommer des produits de luxe
durables permet de satisfaire son
Sources plaisir personnel
de dissonance
Volet environne- Dissocier le luxe de l’idée Rappeler la dimension de rareté des
mental de gaspiller des ressources produits de luxe
et de polluer

Volet social Donner au luxe une image Mettre en avant les bonnes condi-
socialement responsable tions de travail en valorisant le
savoir-faire des artisans

Valoriser les actions menées pour


contrôler les conditions d’élevage
des animaux
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