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DISSONANCE ?
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Résumé
Bien qu’une réelle « ère de développement durable» semble régner dans les sociétés occidentales, des recherches
naissantes font état de réserves à l’égard de l’usage de l’argument durable dans le secteur du luxe. À l’aide
d’entretiens individuels auprès de 39 consommateurs français de produits de luxe, cet article identifie les sources
de dissonance entre luxe et développement durable. Celles-ci se regroupent autour de trois volets : les dimensions
du concept (partage, qualité, rationalité, altruisme), le volet environnemental (préservation des ressources), et le
volet social (égalité sociale, justice au niveau de l’emploi, bien-être animal). Les résultats permettent aussi de
préciser les modes de réduction de la dissonance adoptés par les consommateurs, puis de proposer des recom-
mandations aux entreprises.
Mots-clés : développement durable, dissonance, perception des consommateurs, produits de luxe.
Abstract
Luxury and sustainable development: which sources of dissonance?
Although we are living in a « sustainable development era » in Western societies, some recent studies launched
a debate on the relevance of this issue in the case of luxury products. Findings from a qualitative method mobi-
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Le développement durable souligne l’urgence élargi le débat aux produits de luxe, sug-
d’une consommation durable1 qui encourage gérant que le développement durable peut
le don, l’échange et la récupération (Daniel contribuer à l’amélioration de l’image des
et Sirieix, 2012). Il promeut également des entreprises et jouer un rôle de différenciation
produits pro-environnementaux qui pos- particulièrement dans le cas de ce marché
sèdent des attributs renvoyant à des valeurs mature (Kapferer, 2010). Depuis, quelques
sociétales non marchandes telles que la pro- recherches académiques, publiées exclusi-
tection de l’environnement et le bien-être ani- vement dans des revues internationales, se
mal (Jongmans et alii, 2014). Le développe- sont penchées sur cette question (Annexe
ment durable peut aussi être associé à l’idée 1). D’un côté, des études (Kapferer, 2010 ;
de consommer moins et de devoir renoncer Davies, Lee et Ahonkhai, 2012 ; Hennigs et
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D’un autre côté, de très récentes recherches La théorie de la dissonance cognitive sou-
ligne que si certains individus ignorent les
quantitatives (Achabou et Dekhili, 2013 ;
dissonances, d’autres, par besoin de cohé-
Kapferer et Michaut-Denizeau, 2013) sont
rence, tendent à modifier leurs attitudes ou
venues nuancer les conclusions des études
à intégrer de nouvelles idées qui renforcent
précédentes en confirmant que les consom-
leurs structures de croyance (Festinger,
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nuisible à la santé qu’on veut bien le dire). Par d’un achat de produits non durables peut être
le biais d’un processus de rationalisation co- compensé par leur transmission entre géné-
gnitive, l’individu ajuste son attitude initiale rations ou par des dons de charité (Gregory-
de manière à ce que celle-ci soit davantage Smith, Smith et Winklhofer, 2013).
conforme au comportement problématique
réalisé. Cela peut conduire à modifier les Au-delà de l’intérêt récent porté dans la litté-
caractéristiques de l’objet dans la représenta- rature aux liens entre luxe et développement
tion des individus (Gallen et Bouder-Pailler, durable, il semble pertinent de se pencher
2010) ; 2) réinterpréter les informations dis- sur les réactions des consommateurs envers
sonantes pour les rendre consonantes avec les produits de luxe durables. En particu-
ses opinions antérieures (fumer sans avaler la lier sur les réactions négatives, puisqu’elles
fumée ne peut être aussi nuisible à ma san- sont susceptibles de limiter la portée des
té). 3) préférer des éléments d’information actions en faveur du développement durable
qui soient en consonance avec ses propres mises en place par les marques de luxe. Les
attitudes (fumer certes nuit à ma santé mais recherches ayant tenté d’étudier cette ques-
apporte du plaisir). L’individu dans ce cas va tion (Achabou et Dekhili, 2013 ; Kapferer
ignorer ou minimiser l’information à l’ori- et Michaut-Denizeau, 2013) sont rares et ont
gine de la dissonance. opté pour une approche quantitative qui offre
peu d’éléments sur les facteurs qui peuvent
À ces trois modes de réduction de la disso- éloigner les deux notions (luxe et dévelop-
nance cognitive peut s’ajouter la rationali- pement durable). De même, aucune étude, à
sation comportementale (Joule, 1986). La notre connaissance, n’est venue apporter des
dissonance peut être réduite lorsque, suite réponses aux interrogations sur les modes de
à la réalisation de son comportement pro- réduction de la dissonance entre luxe et déve-
blématique, la personne a la possibilité de loppement durable, adoptés par les consom-
réaliser un second comportement allant mateurs. Malgré l’intérêt de leur recherche,
dans le même sens (ajout d’un comporte- Kapferer et Michaut-Denizeau (2013) se sont
ment cohérent). Cette modalité de réduction contentés de mesurer la contradiction perçue
apparaît en particulier lorsque la situation par les deux items suivants : « le luxe et le dé-
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Tableau 1 : Les sources de dissonance entre luxe et développement durable et les réactions des
consommateurs
Thèmes, catégories et sous-catégories identifiés dans le discours des interviewés
Modifier la cognition en changeant d’opinion devant les circonstances : modifier les caracté-
ristiques de l’objet en minimisant son impact environnemental et social.
Réinterpréter les informations dissonantes pour les rendre consonantes avec leurs opinions
antérieures : l’impact environnemental et social du secteur du luxe est jugé exagéré et man-
Réactions quant de preuves.
des consom-
mateurs Préférer des éléments d’information qui soient en consonance avec ses propres attitudes :
face à la l’industrie du luxe présente un avantage économique.
dissonance
Trivialisation :
Réduire l’importance de leur attitude initiale : la préoccupation écologique est négligée au
moment de la décision d’achat.
Dévaloriser son comportement problématique : considérer que son comportement d’achat a
peu d’impact environnemental et social.
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tion, à la durée de travail des travailleurs, lisent souvent des animaux ou des choses
et aux droits des femmes dans certains pays. rares de la nature qui peuvent disparaître.
En revanche, lorsqu’ils abordent la notion Par exemple, en utilisant des crocodiles pour
de luxe, leur discours devient tourné vers faire des sacs, forcément cela a un impact
soi, le mot « égoïste » a été d’ailleurs large- sur l’environnement » (Nicolas, 42 ans).
ment prononcé. Certains individus déclarent,
d’une façon très affichée et sans culpabiliser, Le luxe est également associé à l’idée de
gaspiller des ressources pour le plaisir per-
que satisfaire son plaisir personnel peut se
sonnel. Satisfaire ses propres envies pour-
faire au détriment de l’enjeu du développe-
rait éloigner l’individu d’un comportement
ment durable : « le produit de luxe a pour but
écologique : « le luxe est souvent associé à
de faire plaisir à la personne qui l’achète et
des notions comme le gaspillage, comme la
c’est un acte on peut le dire assez égoïste, on
démesure » (Viviane, 49 ans). Plus particu-
ne pense pas aux conséquences qu’il peut y
lièrement, le gaspillage des matières a été lié
avoir sur les autres » (Marie-Laure, 48 ans).
au packaging. De par leur dimension ostenta-
En outre, ils indiquent qu’ils ne sont pas dis-
toire et symbolique forte, les produits de luxe
posés à sacrifier leur plaisir personnel pour
comportent souvent un emballage consé-
une cause environnementale ou sociale : « je
quent : « tout ce qui se fait actuellement a des
ne me dis pas, bon je vais me priver parce
répercussions sur l’environnement, surtout
que d’autres personnes ont trimé dur. Alors
au niveau du packaging qui est très impor-
c’est un comportement égoïste mais c’est un
tant pour les produits de luxe, limite autant
comportement de consommateur de produits
que le produit » (Marion, 23 ans).
de luxe voilà malheureusement » (Tristan, 39
ans). D’autres individus expriment un avis Par ailleurs, certaines catégories des pro-
moins tranché et avouent penser à l’impact duits de luxe, l’exemple de l’automobile, sont
écologique de leur achat mais a posteriori : considérées comme énergivores et très pol-
« effectivement moi quand j’achète un pro- luantes : « je sais que pour les voitures de
duit de luxe, effectivement je l’achète parce sport ce n’est pas le mieux au niveau de la
que je le veux, parce que je le trouve beau… pollution » (Laurent, 40 ans).
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luxe c’est que tout le monde en a envie mais Injustice versus justice en matière
tout le monde ne peut pas les acquérir donc d’emploi
du coup il y a un marqueur social évident et Comparativement à d’autres secteurs, les
c’est un vrai problème » (Damien, 42 ans). entreprises de luxe semblent faire des efforts
Au-delà de l’exclusion liée à la classe sociale, pour continuer à produire localement : « les
les entreprises de luxe écarteraient toutes les exemples qu’on a avec des usines qui s’ef-
personnes qui ne contribuent pas à véhicu- fondrent ce n’est pas les produits de luxe qui
ler une « bonne » image de leurs produits : font ça, c’est plutôt des marques moyennes,
« c’était d’exclure les filles rondes, de leur c’est des marques à bas coûts, il y a plus
de 1 000 personnes parfois qui sont licen-
interdire de porter la marque en supprimant
ciées » (Sophie, 49 ans). De ce fait, selon
les grosses tailles. Ils ne font pas une action
certains consommateurs, le luxe génère des
contre l’obésité en faisant ça. Ce n’est pas de
emplois qui font vivre beaucoup de Français
la prévention, c’est juste de la punition, enfin
et contribue ainsi à préserver des métiers spé-
ce n’est pas une punition mais c’est une envie
cifiques et à favoriser la compétence. Le luxe,
d’être élitiste et de contrôler qui porte leur
associé dans l’esprit de ces consommateurs à
marque. Je ne pense pas qu’il y ait de tailles
une production française et à du sur-mesure,
XXL dans les robes Vuitton par exemple »
offrirait à ses travailleurs des conditions de
(Etienne, 44 ans).
travail favorables : « Vuitton par exemple,
Les consommateurs de luxe interviewés sont tout est fabriqué en France. Donc là il n’y
conscients des risques de cette exclusion a pas de problèmes de conditions de tra-
sociale. Certains mentionnent les sentiments vail. Après tout ce qui est sur-mesure, c’est
négatifs, comme la jalousie, ressentis par les pareil » (Hugo, 33 ans). Cependant, plu-
catégories exclues, et qui peuvent pousser sieurs marques de luxe ont fait le choix ces
à l’endettement pour pallier l’écart social : dernières années de délocaliser leurs usines
« des gens qui vont s’endetter pour consom- vers des pays à bas coûts. Plusieurs répon-
mer du luxe » (Thierry, 41 ans). dants sont au courant de cette nouvelle ten-
dance et indiquent les problèmes sociaux
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« les ateliers qui utilisent toutes ces petites Mal-être animal versus bien-être animal
qui fabriquent des choses délicates. Voilà
Un autre facteur pouvant jouer un rôle dans
toute cette chaîne d’artisans, ouvrières qui la dissonance perçue entre luxe et développe-
participe à la production du produit et qui ment durable est le traitement des animaux.
est oubliée par rapport au côté flamboyant D’une part, les répondants estiment sans
de l’objet » (Viviane, 49 ans). Aussi, le tra- aucune ambiguïté que « le développement
vail dans le secteur du luxe demanderait aux durable prône la protection des espèces ani-
employés des efforts supérieurs qui ne sont males » et « veille à leur bien-être ». D’autre
pas forcément compensés par une contrepar- part, ils croient généralement que l’industrie
tie financière. Cela est d’autant plus injustifié du luxe a des pratiques cruelles envers les
qu’on est dans le cas d’un secteur qui génère animaux destinés à la fabrication des sacs et
beaucoup de bénéfices, ce qui peut créer un des manteaux : « l’animal ça m’étonnerait
écart important entre les salaires des em- qu’on le respecte puisqu’on le tue pour avoir
ployés d’une part et l’univers du luxe dans sa peau » (Hugo, 33 ans), « par exemple pour
lequel ils travaillent d’autre part : « au niveau tout ce qui est des matières en cachemire,
des manteaux en fourrure, on massacre des
des rémunérations, on n’est pas mieux payé
tonnes de bêtes, ça c’est sûr, pareil pour le
alors qu’on sait que la marque fait beau-
cuir, que ce soit le crocodile… enfin il y a
coup de bénéfices. Les vendeurs sont vrai-
beaucoup de massacres » (Danielle, 29 ans).
ment performants mais sont payés autant
que chez Zara où ils sont clairement là pour
ranger les vêtements. Dans les boutiques de Réactions des consommateurs
luxe, il y a un vrai travail relationnel, un vrai face à la dissonance entre luxe et
accompagnement du client, un vrai conseil. développement durable
Au niveau de la production c’est pareil. Les Face à la dissonance entre les deux notions
employés ne sont pas mieux payés que dans luxe et développement durable, plusieurs ré-
la grande consommation » (Marion, 23 actions ont été observées chez les consomma-
ans). Le luxe semble donc évoquer chez les teurs. Le premier type de réactions consiste à
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sa fille, à sa petite fille» (Isabelle, 38 ans). à satisfaire la demande pour ces produits. La
Ces personnes minimisent également l’im- rareté des matériaux durables et la difficulté
pact environnemental et social en insistant à les obtenir semblent réduire les quantités et
sur la faible fréquence d’achat des produits types de produits à proposer aux clients : « je
de luxe : « je vais regarder plus (l’informa- pense que le processus est dur à mettre en
tion durable) sur des produits qu’on achète place, pour moi ce n’est pas des produits qui
au quotidien que sur un produit comme ça peuvent être facilement concernés » (Muriel,
qu’on va acheter deux fois par an» (Joëlle, 29 ans), « je pense qu’il n’y aurait pas de
57 ans). quoi faire toute une collection ou des vête-
ments diversifiés » (Marion, 23 ans).
Le second type de réactions observé fait réfé-
rence à une réinterprétation des informations Le dernier type de réactions face à la disso-
dissonantes pour les rendre consonantes avec nance entre luxe et développement durable
les opinions antérieures. Certains individus constaté peut être associé à la « trivialisa-
contestent le discours autour du développe- tion ». Certains individus se trouvent ame-
ment durable qui serait, à leurs yeux, souvent nés à revoir l’importance qu’ils accordaient
exagéré : « on fait de la dénonciation pour initialement à l’attribut durable. Celui-ci de-
tous les produits, il ne faut pas exagérer non vient ainsi peu déterminant dans la décision
plus » (Nadine, 59 ans). D’autres répondants d’achat même pour les personnes conscientes
s’appuient sur l’idée d’un manque de preuves de l’importance de l’enjeu du développe-
concernant un éventuel impact négatif de ment durable : « je ne dis pas que ce n’est
l’industrie du luxe sur la planète : « quand pas important (le développement durable)
on prend chaque vitrine du groupe, chaque mais souvent au moment d’acheter un pro-
site Internet de chaque marque, il n’y a au- duit de luxe c’est quelque chose à laquelle je
cun impact écologique qui est démontré » ne ferais pas attention vu que c’est souvent
(Isabelle, 38 ans). des achats coup de tête ou des petits plaisirs.
Je pense que c’est important mais je ne le
Le troisième type de réactions est lié à la prends pas en compte au moment de l’achat »
préférence des individus pour des éléments (Thierry, 41 ans). D’autres vont plus loin en
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reflète un déni de responsabilité : « le risque que l’achat des produits de luxe est irréfléchi
sur l’environnement, ce n’est pas mon pro- (Kapferer, 2010) et relève d’une démarche
duit de luxe qui va faire fondre un iceberg spontanée et impulsive, alors que le déve-
dans l’antarctique » (Hugo, 33 ans). loppement durable renvoie à une démarche
réflexive consistant à analyser l’impact envi-
ronnemental et social des produits (Özçağlar-
Discussion Toulouse, 2009). Quatrièmement, l’analyse
Les conclusions de cette étude révèlent l’exis- des données met en lumière l’importance
tence de divergences entre la conception du de l’égo qui caractérise les consommateurs
luxe et la conception du développement du- du luxe. La consommation des produits de
rable (Achabou et Dekhili, 2013). Ces résul- luxe permet de remplir le besoin de paraître
tats rappellent la théorie de la dissonance aux yeux de la société (Lipovetsky et Roux,
cognitive (Festinger, 1957) qui stipule que 2003) et maximiser les bénéfices individuels
des individus confrontés à une discordance (Stern, Dietz et Kalof, 1993). Le développe-
entre deux cognitions, ressentent un incon- ment durable, par opposition, est associé à
« autrui » (générations futures, travailleurs,
fort mental qui les incite à retrouver un état
animaux, etc.), et implique l’acceptation de
de bien-être. Premièrement, les représenta-
renoncer à son plaisir personnel (Lochard et
tions du luxe développées par les répondants
Murat, 2011).
renvoient à l’exclusivité, à l’attachement au
produit et à la possession (Lochard et Murat, Sur le plan environnemental, les répondants
2011). Le luxe crée souvent des obstacles pointent du doigt les logiques différentes du
pour rendre les produits inaccessibles et créer luxe et du développement durable concernant
ainsi le désir (Kapferer et Bastien, 2009). À la gestion des ressources naturelles. Le luxe
l’inverse, le développement durable suscite favorise une forme de consommation dérai-
des idées liées au partage et conteste le rôle sonnable (Lochard et Murat, 2012), syno-
de la possession (Özçağlar-Toulouse, 2009). nyme de surexploitation des ressources et de
En encourageant des pratiques comme le don, gaspillage (Kapferer et Bastien, 2012). Le dé-
la récupération et le troc, il offre une certaine veloppement durable, lui, appelle à une ges-
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de ces réactions est centrale car elle aide à gique au moment de l’achat ou en minimisant
comprendre les freins à la consommation l’impact de leurs comportements de consom-
des produits de luxe durables. Il ressort que mation. Plusieurs réactions observées lors
cette dissonance peut conduire les individus de notre étude peuvent s’apparenter au prin-
à ajuster leurs attitudes initiales de manière cipe de l’ignorance délibérée (Binninger et
à ce que celles-ci soient plus en conformité alii, 2014) : lorsque l’attribut durable induit
avec le comportement de consommation réa- une émotion négative ou un conflit interne
lisé. En effet, des consommateurs revoient à chez la personne, celle-ci peut en effet réa-
la baisse l’éventuel impact environnemental gir en rejetant cet attribut lors de la décision
et social de l’industrie du luxe, et cela en ap- d’achat. Au-delà, les individus peuvent déni-
portant en particulier deux justifications : une grer l’attribut durable (en tant que source de
faible fréquence d’achat des produits de luxe dissonance), ou repenser leur comportement
et un effet de compensation possible. Les dans un sens contraire à celui attendu par la
consommateurs qui achètent des produits de diffusion du message écologique en question
luxe non durables pensent que l’impact de ce
(Gallopel, 2005).
choix peut être rectifié par le fait de les trans-
mettre à d’autres (enfants, petits-enfants). Enfin, plusieurs individus interrogés assu-
Les individus imaginent rétablir ainsi un ment leur choix de produits de luxe non
équilibre au niveau de l’impact de leurs pra- durables ; aucune émotion négative de type
tiques sur l’environnement. Le mécanisme regret ou culpabilité n’a été exprimée. Ce
de compensation pourrait apparaître comme sont plutôt des émotions positives qui ont été
une justification d’actes non désirables socia- mises en avant. Ces dernières sont reliées,
lement (Daniel et Sirieix, 2012). d’une part, à la consommation des produits
La dissonance perçue peut également amener de luxe (plaisir) et, d’autre part, aux bienfaits
les individus à réinterpréter les informations économiques de l’industrie du luxe (satisfac-
dissonantes pour les rendre consonantes tion liée à la création d’emplois dans les pays
avec leurs opinions initiales. Ainsi, certains en développement). À l’instar des travaux
consommateurs mettent en doute la crédibi- antérieurs (Gregory-Smith et alii, 2013), les
conclusions de notre étude incitent à penser
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Montrer que le luxe peut être associé à interpréter de manière responsable les
au partage en valorisant l’argument de désirs du consommateur moderne en ma-
transmission entre générations tière de produits de mode durables, tout en
L’exclusivité est une valeur importante du maintenant l’équilibre entre des valeurs
luxe, mais elle constitue également l’une des intemporelles de style et une qualité supé-
principales sources de dissonance avec le rieure à une vision écologique croissante ».
développement durable qui, lui, promeut le La valorisation des matériaux écologiques
partage à travers des pratiques de consomma- comme étant synonymes d’innovation et
tion telles que le don et l’échange. Il apparait de créativité pourrait être envisagée. Les
donc nécessaire de réduire cette dissonance manageurs peuvent ainsi renforcer l’image
en donnant à la consommation des produits de produits uniques et luxueux à l’instar de
de luxe une valeur de partage. Pour ce faire, ce que fait Stella McCartney qui présente
les marques de luxe pourraient capitaliser le cuir comme une matière première com-
sur l’argument de transmission des produits mune (démodée) et les matières premières
de génération en génération (héritage). C’est écologiques qu’elle utilise dans ses produits
précisément sur cette valeur de partage et de comme luxueuses et résultant d’un important
transmission que s’est construite la réputation travail d’innovation « la recherche scienti-
de la marque Patek Philippe, un fabricant de fique découvre de nouvelles fibres mixtes,
montres de luxe. Cette entreprise est à l’ori- qui deviennent par conséquent des produits
gine d’une campagne de communication rares, c’est pourquoi les matériaux innovants
« Générations » qui a marqué le secteur de doivent être perçus comme un véritable luxe,
l’horlogerie ces dernières années avec no- plus que le cuir qui est devenu aujourd’hui
tamment un slogan très évocateur « jamais un produit relativement commun ».
vous ne posséderez complètement une Patek
Philippe. Vous en serez juste le gardien, pour Convaincre les consommateurs
les générations futures ». que la consommation des produits
de luxe durables ne signifie pas un
Rassurer le consommateur sur le renoncement à son plaisir personnel
maintien d’une qualité supérieure des
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la technologie a un côté élégant ». Tout en les points de vente ne semble pas laisser de
mettant en avant la dimension écologique de place pour la valorisation de la main d’œuvre
sa voiture, la marque met l’accent sur le côté qui a contribué à leur fabrication. Ainsi, il
plaisir et ostentatoire lié à la possession et à serait judicieux que les manageurs mettent
l’utilisation de ce modèle. Cadillac développe en avant les conditions de travail favorables
ainsi une forme d’« altruisme ostentatoire » et valorisent le savoir-faire ancestral comme
(Kapferer et Bastien, 2012). le rappelle le Comité Colbert3 « les savoir-
faire des artisans qui sont au cœur de l’ac-
tivité des maisons du luxe, constituent une
Dissocier le luxe de l’idée de gaspiller
richesse du patrimoine immatériel français.
des ressources naturelles en revenant
à une valeur fondamentale du luxe : la Leur valorisation et leur transmission sont
rareté essentielles » (Comité Colbert, 2015, p 3).
C’est le cas de la marque Hermès qui a éla-
Plusieurs entreprises de luxe sont aujourd’hui boré une communication autour du bien-être
engagées dans des projets de préservation au travail et son impact sur le savoir-faire
des ressources naturelles qui sont à l’origine diffusé au sein de l’entreprise. À travers une
de la rareté de leurs produits. Pourtant, elles série de vidéos qui concerne son atelier de
continuent à être décriées pour leur impact valorisation des chutes de cuir et des carrés
négatif sur l’environnement, en particulier de soie, on peut observer, loin de l’idée de tra-
pour l’utilisation de ressources naturelles me- vailleurs sous pression, des artisans décon-
nacées d’extinction et pour la fabrication de tractés qui mentionnent des conditions de
produits énergivores. Pour convaincre de leur travail favorables pour l’innovation, la créati-
engagement, les marques de luxe devraient vité et la transmission du savoir-faire. Ces vi-
rappeler la dimension de rareté caractérisant déos donnent l’impression au consommateur
leurs produits notamment dans le contexte d’entrer au cœur des ateliers de la marque
actuel qui, en tendant vers la démocratisa- et aident à diffuser l’image d’une entreprise
tion des produits de luxe, met en danger leur socialement responsable.
rareté perçue. Dans cette optique, la marque
italienne d’automobile de luxe, Ferrari, a
Construire l’image d’une marque
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bler insuffisantes aux yeux des consom- la dissonance basée sur l’affect de la disso-
mateurs qui réclament une démarche plus nance basée sur la cognition (Keller et Block,
engagée. Le choix des entreprises LVMH et 1999), et de préciser les réactions affectives
Hermès parait en ce sens plus crédible. En engendrées par la contradiction perçue entre
effet, en rachetant des fermes d’élevage de luxe et développement durable.
crocodiles en Australie, les deux entreprises
peuvent contrôler les conditions d’élevage Cette recherche est fondée sur de nombreux
des animaux et assurer une meilleure tra- choix qui limitent la généralisation des résul-
çabilité de la matière première qu’elles uti- tats. Tout d’abord, l’étude n’a pas spécifié de
lisent. Il s’agit d’un facteur de différenciation catégories de produits et a exclu le cas des
important qu’il serait utile de mobiliser pour services alors que les biens de luxe n’évoquent
prouver l’engagement en faveur de la cause pas tous le même niveau d’associations avec le
animale. développement durable, et que les industries
de luxe ont chacune ses spécificités en termes
de réglementations et de problématiques po-
Voies de recherche et limites sées (Janssen et alii, 2014). Par exemple, une
Cette étude identifie les sources de contradic- entreprise opérant dans la joaillerie subit plus
tion entre luxe et développement durable et de pressions pour les normes éthiques dans
confirme la variabilité des modes de réduc- l’approvisionnement de diamants et autres
tion de la dissonance cognitive. En revanche, pierres précieuses (dimension sociale), alors
la question de la compatibilité de ces derniers que dans le cas des champagnes et vins les
reste à étudier plus finement. Certains auteurs entreprises sont davantage surveillées sur
(Ansel et Girandola, 2004) envisagent une leur impact environnemental. Nous pensons
complémentarité entre les différents types de qu’il serait intéressant dans une recherche
réactions des individus face à la dissonance, future, qui mobilisera différents produits
alors que d’autres (Beauvois et Joule, 1996) et services de luxe, de distinguer entre les
relèvent une incompatibilité. « invariants » et les sources de dissonance
spécifiques à la catégorie du bien. La seconde
Si notre analyse a mis en évidence un niveau limite consiste dans le fait que seuls des
de dissonance qui semble avoir atteint un
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mateurs responsables donnent-ils à leur consom-
Annexe
Annexe 1 : Lien entre luxe et développement durable : contribution des études de
la littérature
Approches méthodolo-
Auteurs Revues Résultats des études de la littérature
giques
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Davies, Lee Journal of Busi- Enquête par question- La propension des consommateurs à consi-
et Ahonkhai ness Ethics naire : consommateurs dérer l’éthique est plus faible dans le cas
(2012) anglais (n=199). des achats des produits de luxe en compa-
raison avec les achats courants.
Le luxe n’a pas d’impact social et environ-
nemental « Fallacy of Clean Luxuries ».
Hennigs, et Journal of Cor- Analyse théorique. Les points communs essentiels entre luxe et
alii, (2013) porate Citizen- développement durable sont : l’endurance,
ship l’héritage et la qualité.
Approches méthodo-
Auteurs Revues Résultats des études de la littérature
logiques
Nombre Fréquence de
de per- Revenu de la consommation
Niveau
Prénom fictif Âge Profession sonnes personne (en des produits
d’études
dans le euros) écologiques/
foyer biologiques*
Chef d’entre-
Martine 59 ans bac+5 et plus 3 > 5 000 Régulière
prise
Chef d’entre-
Myriam 42 ans bac+5 et plus 3 3 500-5 000 Régulière
prise
Nombre Fréquence de
de per- Revenu de consommation
Niveau
Prénom Âge Profession sonnes la personne des produits
d’études
dans le (en euros) écologiques/biolo-
foyer giques*
Chef d’entre-
Amandine 43 ans bac+5 et plus 2 3 500-5 000 Régulière
prise
Chef d’entre-
Damien 42 ans bac 4 3 500-5 000 Occasionnelle
prise
Chef d’entre
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Chef d’entre-
Jean 40 ans bac+5 et plus 2 3 500-5 000 Occasionnelle
prise
Chef d’entre-
Claude 60 ans bac+5 et plus 1 > 5 000 Occasionnelle
prise
* Les catégories de produits écologiques/biologiques les plus citées : produits alimentaires, habillement, cos-
métique et produits d’entretien.
Marketing du luxe – 119
Sous-thème 1 : Qu’est-ce que les produits de luxe évoquent pour vous ?
Quelles sont les raisons qui peuvent vous pousser à les achetez ?
Sous-thème 2 : Quand vous choisissez un produit de luxe, sur quoi vous basez-vous pour faire
ce choix ?
Qu’est-ce que vous regardez en premier ? Qu’est ce qui compte le plus pour vous ?
2. Maintenant, nous allons parler des critères environnementaux et sociaux dans le cas des pro-
duits de luxe
Sous-thème 1 : Selon vous, les produits de luxe peuvent-ils présenter un risque sur l’environne-
ment ?
Selon vous, y a-t-il des produits spécifiques qui présentent plus de risque que d’autres ?
Si non : Pourquoi ?
Sous-thème 2 : Les produits de luxe peuvent-ils selon vous poser des problèmes sociaux?
Si non : Pourquoi ?
Sous-thème 3 : Connaissez-vous des marques de luxe qui se sont engagées pour une cause envi-
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Connaissez-vous des marques de luxe qui mettent en avant des critères d’ordre environnemental
ou social ?
Est-il important pour vous qu’une marque de luxe adopte des actions en faveur du développement
durable ?
Sous-thème 4 : Certaines entreprises font du recyclage et mettent en avant cette pratique. Selon
vous, faut-il encourager le recyclage dans le cas des produits de luxe ?
Si oui, pourquoi ?
Si non, pourquoi ?
Prenons l’exemple de l’habillement de luxe, que pensez-vous de l’utilisation des tissus recyclés ?
4/ Les questions portant sur le recyclage et la certification n’ont pas fait l’objet d’exploitation dans le cadre de
cette recherche.
120 – Décisions Marketing n°83 Juillet-Septembre 2016
Sous-thème 5 : Pensez-vous que les entreprises de luxe engagées en faveur du développement
durable doivent recourir à la certification environnementale et sociale ? Pourquoi ?
Dans le cas des produits de luxe, connaissez-vous des certifications qui indiquent des informa-
tions environnementales et/ou sociales ?
Sous-thème 6 : Au moment de l’achat d’un produit de luxe, est-il important pour vous de
connaître dans quelles conditions il a été produit et le risque qu’il peut présenter sur l’environ-
nement ?
Sous-thème 2 : Quelle est la fréquence de votre consommation des produits de luxe ?
Sous-thème 3 : Y a-t-il des contextes particuliers ou occasions qui vous amènent à acheter des
produits de luxe ? Quelle sont les différentes situations ?
Sous-thème 4 : Avez-vous déjà acheté des produits de luxe comportant une information (certifi-
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Volet social Donner au luxe une image Mettre en avant les bonnes condi-
socialement responsable tions de travail en valorisant le
savoir-faire des artisans