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Revue juridique de l'Ouest

Le droit de la consommation, entre protection du consommateur et


régulation du marché
Sabine Bernheim-Desvaux

Citer ce document / Cite this document :

Bernheim-Desvaux Sabine. Le droit de la consommation, entre protection du consommateur et régulation du marché. In:
Revue juridique de l'Ouest, N° Spécial 2013. Le professionnel et le profane : les enjeux théoriques et pratiques de la
distinction. Actes du colloque. pp. 45-54;

doi : https://doi.org/10.3406/juro.2013.4754

https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2013_hos_26_1_4754

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45

LE DROIT DE LA CONSOMMATION, ENTRE PROTECTION


DU CONSOMMATEUR ET RÉGULATION DU MARCHÉ1

Sabine BERNHEIM-DES VA UX
Maître de conférences HDR de droit privé à l'Université d'Angers
Centre Jean Bodin - Recherche juridique et politique

Prologue

Il n'est pas d'usage pour un enseignant-chercheur de raconter une


histoire, encore moins des histoires ! Mais, une fois n'étant pas coutume, cet
article a vocation à retracer brièvement l'histoire du droit de la consommation
qui, partant d'un besoin de protection des consommateurs, s'achemine
inexorablement vers un mécanisme de régulation du marché économique. Une
pièce se joue en effet sur le théâtre moderne du droit. Au cours des dix dernières
années, le droit de la consommation français a connu une évolution sans
précédent, sous l'influence du droit communautaire, et par le recours à la
fonction économique du droit. Dans un premier acte, nous établirons qu'une
analyse économique du droit de la consommation conduit à l'utiliser à des fins de
régulation du marché. Il conviendra de compléter cette première scène par l'étude
des effets avérés de cette fonction de régulation, avant de procéder à une étude
prospective dans un dernier acte.

ACTE 1 : L'ÉVOLUTION HISTORIQUE DU DROIT DE LA


CONSOMMATION : DE LA STRICTE PROTECTION DU
CONSOMMATEUR À LA RÉGULATION DU MARCHÉ

Le droit de la consommation est certainement né du besoin de


protéger les consommateurs2. Ce besoin de protéger les acheteurs contre les abus
des marchands n'est pas, contrairement à une idée préconçue, contemporain de
notre société de consommation. Il a toujours existé, et les historiens du droit en

21 -- Cet
Auloy
Droit
201 1.Cf.dearticle
spéc.
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consommation,
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201 ,1 Litec,
et; J.H.CALAIS-
Davo,
2e éd.,
46

ont trouvé des illustrations dans le Code d'Hammourabi, en 1700 avant J.-C.
(répression des falsifications de marchandises), dans la loi des XII Tables à
Rome (obligation d'information et garanties dans la vente), ou encore à l'époque
médiévale avec la police des marchés. En revanche, il est vrai que ce besoin s'est
accentué à partir des années 1960. En effet, le développement économique après-
guerre a été sans précédent. Les biens et les services se multiplient, les
entreprises grandissent, les produits se complexifíent, le crédit se développe, la
publicité et le marketing envahissent le marché. Le déséquilibre entre
professionnels et consommateurs s'accroît et se manifeste à deux stades
principaux. D'une part, un déséquilibre structurel : les réseaux de distribution, de
plus en plus importants, écrasent les consommateurs pris individuellement.
D'autre part, un déséquilibre intellectuel : la publicité et le marketing incitent
souvent le consommateur mal informé à conclure des contrats qui ne sont pas
nécessairement intéressants pour lui. Mais, paradoxalement, si les
consommateurs représentent le groupe économique le plus important (en
nombre), il est également le moins écouté. D'où l'idée des consommateurs de se
regrouper pour défendre leurs intérêts. C'est le consumérisme, qui est apparu tout
d'abord aux Etats-Unis dans les années 1960, symbolisé par le discours du
président John F. Kennedy au Congrès en 1962: «Nous sommes tous des
consommateurs ! ». A partir des années 1970, les pays européens prennent
conscience des dangers de la société de consommation. Les organismes de
défense et les règles de protection des consommateurs se multiplient alors. En
France, c'est la codification de 1993 qui consacre l'existence du droit de la
consommation3.

En marge des législations nationales, la politique communautaire de


protection des consommateurs s'est également affirmée4. Le traité de Rome du
25 mars 1957, antérieur au développement du consumérisme en Europe,
n'envisageait pas la protection des consommateurs. Ce n'est qu'à compter des
années 1970 que la politique communautaire en matière de consommation s'est
mise en place. Plusieurs étapes se succédèrent jusqu'à l'actuel article 153 du
traité CE qui dispose qu'un niveau élevé de protection des consommateurs est

4du
3 - 3Une
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communautaire
Europe,
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loi
47

assuré dans les politiques de l'Union. La protection des consommateurs est


désormais prévue de façon explicite par le traité CE, elle est un but en soi de la
politique communautaire5.

De cette première analyse, il résulte que le droit de la consommation,


interne et communautaire, apparaît comme un ensemble de règles destinées à
protéger le consommateur profane dans ses relations avec les professionnels.
Cette première approche nécessite d'être combinée avec la fonction économique
du droit de la consommation. Le consommateur n'est pas seulement le
cocontractant individuel d'un professionnel ; il est également un acteur
économique, le destinataire des biens et des services qui circulent sur le marché6.
Or, sur ce marché, il va être nécessaire de trouver un juste équilibre entre libre
concurrence et libre consentement du consommateur. Si le marché ne peut pas
être laissé à la seule liberté de concurrence entre professionnels, la protection des
consommateurs ne doit pas constituer un frein au développement économique. Le
droit de la consommation doit permettre de réaliser cet équilibre entre libéralisme
économique et dirigisme économique de protection.

Ce qui est particulièrement notable, c'est que cette fonction


économique du droit de la consommation est, depuis une dizaine d'années,
appliquée par la Commission européenne au marché intérieur de l'Union. L'idée
assénée est que, pour développer la croissance, il faut favoriser la consommation
en assurant la libre circulation des biens et des services au sein de l'Union. Le
droit de la consommation, au service de cette nouvelle politique, change alors de
registre. Il devient un instrument de régulation du marché intérieur devant
participer activement à la circulation des biens de consommation, par
l'harmonisation des législations nationales. Cette harmonisation doit servir de
levier à la liberté des échanges7. Elle est également la garantie d'une saine
concurrence, bénéfique aux consommateurs européens . La directive

5 - Cf. L. Leveneur, « Les contrats de consommation et le droit européen », CCC 2002, Repère n° 3.
6 - G. Canivet et C. Champalaune, « Le comportement du consommateur dans la définition du
marché », in Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 227 et s.
7 - T. BOURGOIGNIE, « Droit et politique communautaire de la consommation. Une évaluation des
acquis », op. cit., p. 95 et s. ; J-P. Pizzio, « Le droit de la consommation à l'aube du XXIeme siècle », in
Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 877 et s. ; J. STUYCK, art. precit.
8 - Cf. pour une critique de cette harmonisation : G. PAISANT, « Proposition de directive relative aux
droits des consommateurs. Avantage pour les consommateurs ou faveur pour les professionnels ? », JCP
G 2009, I, 118.
48

du 25 octobre 201 1 9 relative aux droits des consommateurs10 indique d'ailleurs


expressément que « / 'objectif de la présente directive est de contribuer, en
atteignant un niveau élevé de protection du consommateur, au bon
fonctionnement du marché intérieur, en rapprochant certains aspects des
dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres
relatives aux contrats entre les consommateurs et les professionnels ».

Cette mise en exergue de la fonction économique du droit de la


consommation fait écrire à certains11 que le droit de la consommation est une
branche du droit des affaires, aux côtés du droit de la concurrence et du droit de
la distribution. Les implications sont grandes.

ACTE 2 : LES EFFETS AVÉRÉS DE L'UTILISATION DU DROIT DE LA


CONSOMMATION AUX FINS DE RÉGULATION DU MARCHÉ

Les indices de l'utilisation du droit de la consommation aux fins de


régulation du marché sont nombreux, tant en droit interne qu'en droit
communautaire. Il nous est possible d'en présenter les plus probants dans la
synthèse suivante.

En droit interne français, deux illustrations du rôle économique du


droit de la consommation peuvent être données. D'une part, les règles
consuméristes internes ne sont pas nécessairement des règles de protection.
Ainsi, les règles relatives à la publicité, à la conformité et à la sécurité des
produits, ou encore la réglementation des soldes, visent à mettre sur pied une
police de la consommation faisant des intérêts des consommateurs un véritable
contrepoids aux libertés commerciales. L'objectif central est la régulation de
l'offre des produits et des services faite au public12. D'autre part, le droit de la
consommation français se caractérise par sa pénalisation. Cette pénalisation
prévue, soit en renfort des dispositions civiles de protection du consommateur
contre le professionnel, soit pour réprimer les abus affectant le bon

9 - Directive
Raud et G. Notte.
n° 201 1/83/UE, JOUE n° L 304, 22 nov. 201 1, p. 64 ; CCC janv. 2012, focus n°l., obs. N.

10 - Directive n° 201 1/83/UE, JOUE n° L304, 22 nov ; 201 1, p. 64, CCC janv. 2012, focus n°l, obs. N.
Raud et G. Noite.
1 1 - G. RAYMOND, op. cit., n° 59 ; voir également D. Ferrier, « Le droit de la consommation, élément
d'un droit civil professionnel », in Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 373.
12 - G. Raymond, op. c'a , n° 59.
49

fonctionnement du marché, élève la protection des consommateurs au rang de


l'intérêt général. Elle assure, en conséquence, la défense de leurs intérêts
collectifs par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le ministère public, les
syndicats professionnels et les associations de consommateurs.

En droit communautaire, la Commission européenne et la Cour de


justice de l'Union européenne (CJUE) mettent l'accent sur le rôle économique du
droit de la consommation, ce qui en modifie substantiellement le contenu.
Illustrons cette politique communautaire par trois exemples.

Premier exemple. L'œuvre conjuguée du législateur européen et de la


CJUE a conduit à définir précisément le consommateur. Deux éléments nous
semblent importants. D'une part, la définition retenue est stricte : il s'agit d'une
personne physique, contractant pour des besoins personnels13. Par conséquent, la
distinction entre professionnel et profane n'a pas de réelle signification en droit
de la consommation. Un consommateur très averti est protégé de la même
manière qu'un consommateur non averti. Et un professionnel peut être aussi bien
protégé qu'un consommateur (on pense notamment aux pratiques commerciales
trompeuses applicables aux professionnels). Considérer le consommateur comme
un acteur économique donne alors une lisibilité au domaine d'application du
droit de la consommation qui reste incompréhensible si l'on raisonne seulement
en termes de protection14. Cette acception économique du consommateur pourrait
sans doute être utilisée utilement en droit interne français afin de résoudre les
difficultés relatives au professionnel «profane»15, au non-professionnel16, ou
encore au consommateur personne morale17. D'autre part, ce consommateur est

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G.
25
physique
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50

conçu comme un individu responsable même s'il n'est pas familier des affaires.
Ainsi, pour la directive sur le crédit à la consommation, le consommateur est un
emprunteur responsable ; pour la directive sur les pratiques commerciales, le
consommateur est une personne normalement avisée, un consommateur moyen.
Par conséquent, le consommateur n'a pas tant besoin d'être protégé que d'être
mis en mesure de prendre une décision en connaissance de cause18. La loi doit
donc se borner à informer les consommateurs car, bien informés, ils sont
capables de défendre eux-mêmes leurs intérêts19. L'idée est d'éviter de
considérer les consommateurs comme des assistés voire des incapables. La
surprotection risque de perpétuer la situation de faiblesse dans laquelle se trouve
nombre de consommateurs. Elle risque également d'être abusivement utilisée par
les consommateurs les plus malins. Ainsi, le droit de rétractation prévu dans
certains contrats de vente à distance ou conclus à la suite d'un démarchage à
domicile est totalement discrétionnaire, les juges n'exerçant pas de contrôle de
l'abus dans l'exercice de ce droit.

Deuxième exemple. On assiste depuis 2005 à la multiplication de


directives communautaires dites d'harmonisation maximale ou totale.
L'harmonisation totale implique que les Etats membres sont tenus d'appliquer les
règles posées par le texte européen, sans pouvoir aller au-delà ou en-deçà de la
protection accordée. Des règles identiques sont ainsi posées pour tous afin
d'éviter les distorsions de concurrence. A titre d'exemple, la directive du 1 1 mai
2005 sur les pratiques commerciales, celle du 23 avril 2008 sur le crédit à la
consommation et le surendettement, celle du 25 octobre 2011 sur les droits des
consommateurs, sont d'harmonisation maximale. L'objectif poursuivi par le droit
communautaire est la réalisation du marché intérieur par la suppression des
entraves résultant de la disparité des législations nationales. Cet objectif de
régulation du marché se heurte cependant à quelques obstacles de taille. Tout
d'abord, l'harmonisation ne s'impose qu'aux Etats, ce qui n'empêche donc pas
les professionnels, ressortissants d'Etats différents, de proposer
contractuellement des produits ou des services à des conditions inégales. Ensuite,
des interprétations divergentes peuvent résulter des juridictions des Etats
membres et l'œuvre unificatrice de la CJUE n'est pleinement réalisée qu'à l'issue
d'une période plus ou moins longue. Enfin, les sanctions, notamment pénales,

consommateur
18 - Voir
19 Voir encependant
ce n'est
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pas
laRAYMOND,
protection
en mesure op.
de
instituée
lutter,
cit., n°spécialement
par
404laetlois. lorsqu'elle
la législation
estime
surque,
les clauses
même abusives.
s'il est informé, le
51

échappent à la compétence communautaire, ce qui peut maintenir des différences


importantes entre les Etats membres.

Dernier exemple. La CJIJE a récemment posé le devoir du juge


national de relever d'office toute disposition consumériste. Elle l'a d'abord
affirmé en matière de clauses abusives20, avant de l'étendre à la nullité d'un
contrat du fait de la méconnaissance des règles relatives au démarchage à
domicile21. Ce devoir de relever d'office est révélateur de la conception
communautaire nouvelle du droit de la consommation, une conception
ambivalente dans laquelle coexistent ordre public de protection et ordre public de
direction.

Ces quelques exemples montrent que le droit de la consommation est


utilisé comme un instrument de régulation économique du marché. Une étude
prospective suffira à nous convaincre que des changements fondamentaux
s'annoncent.

ACTE 3: LES CONSÉQUENCES PRÉVISIBLES DE L'UTILISATION DU


DROIT DE LA CONSOMMATION AUX FINS DE RÉGULATION
DU MARCHÉ

Le droit de la consommation va évoluer dans les années à venir, au


moins sous deux angles.

Première évolution. Elevé au rang de droit du marché intérieur, le


droit de la consommation a vocation à promouvoir le consommateur européen,
au détriment de sa protection sur le plan national. En d'autres termes, le prix à
payer pour la construction d'un droit de la consommation uniforme garantissant
les mêmes droits dans tous les états membres, semble être celui de la diminution

20 - CJCE, 27 juin 2000, Océano Grupo, Aff. C-240-98 à 244-98; RTD civ. 2000, p. 939, obs. J.
RAYNARD; RTD civ. 2001, p. 878, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; JCP G 2001, II, 10513, obs. M.
Carballo-Fidalgo et G. Paisant ; CJCE, 4 juin 2009, Pannon, Aff. C-243/08; JCP E 2009, 293 ; CCC
2009, Alertes n° 54; JCP E 2009, 1970, note L. RASCHEL ; D. 2009, 2312, note G. POISSONNIER ; JCP G
2009, 336, note G. Paisant ; CJCE, 6 octobre 2009, Aff. C-40/08 Asturcom Telecommunicaciones,
Procédures n° 1 2, Décembre 2009, comm. 400 par C. NOURRISSAT.
21 - CJUE, 17 décembre 2009, D. 2010, p. 146.
52

de la protection du consommateur national22. Trois exemples révèlent que ce


risque est bien réel.

Premier exemple : les loteries publicitaires. La CJUE a posé, dans une


décision en date du 14 janvier 20 1023, que la directive sur les pratiques
commerciales déloyales s'oppose à ce qu'une réglementation nationale interdise
par principe un concours ou un jeu promotionnel avec obligation d'achat. En
d'autres termes, contrairement à ce qu'affirmait en droit français l'article L. 121-
36 du Code de la consommation, une loterie publicitaire avec participation
financière ne peut être interdite par une règle générale. La loi du 17 mai 201 1 a
modifié alors l'article L. 121-36 en ce sens : «lorsque la participation à une
loterie publicitaire est conditionnée à une obligation d'achat, la pratique n'est
illicite que dans la mesure où elle revêt un caractère déloyal au sens de l'article
L. 120-1. » Cette disposition est certainement moins protectrice du
consommateur français que la précédente.

Deuxième exemple : le démarchage des professions libérales. Par une


décision du 5 avril 201 124, la CJUE a considéré que l'interdiction du démarchage

pour
directive
les professions
n° 2006/123/CE
libérales
du 12d'expertise-comptable
décembre 2006 relative
était
aux
contradictoire
services. Autrement
avec la

dit, une interdiction de principe du démarchage est illicite. L'arrêt concernait,


certes, la profession d'expert-comptable, mais il est transposable à l'ensemble
des professions libérales. Le législateur français sera contraint dans un avenir
proche de modifier les textes qui interdisent le démarchage pour les professions
libérales, notamment l'article L. 66-4 issu de la loi n° 71-1130 du 31 décembre
1971 qui interdit le démarchage en vue de rédiger des actes juridiques ou d'offrir
des consultations juridiques. A nouveau se pose la question de la diminution
prévisible de la protection du consommateur français.

Dernier exemple : les contrats hors établissement. La directive


du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs apporte un certain
nombre de modifications relatives aux contrats hors établissement, susceptibles
de diminuer la protection actuelle dont bénéficie le consommateur français en cas

22 - Aff.
protection
relative
professionnels
23
24-Aff.Cf. aux
C-
C.340/08
L.des
119/09.
Leveneur,
droits
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p.des
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consommateurs
obs.
« Proposition
E.
ouChevrikr.
faveur
: derecul
pour
directive
de les
la
53

de démarchage à domicile. D'une part, la directive prévoit qu'il est possible


d'écarter de la législation protectrice les contrats inférieurs à 50 €, ce qui est
contraire au droit français positif selon lequel aucune distinction n'est faite
suivant la valeur du contrat. D'autre part, la directive interdit en principe
d'empêcher l'exécution des obligations des parties pendant le délai de
rétractation, ce qui pourrait avoir des incidences sur l'interdiction française
actuelle faite aux professionnels de demander un quelconque paiement au
consommateur avant l'expiration du délai de rétractation. Cette règle française,
énoncée par l'article L. 121-26 du Code de la consommation, s'applique
aujourd'hui quels que soient la forme du versement25 et le moyen de paiement
utilisé : chèque, espèces, effets de commerce, autorisation de prélèvement
bancaire26, ordre de virement27, ou signature d'un document autorisant le prêteur
à faire
bien immobilier
opposition
pour
entre
payer
les le
mains
prêt 28du. notaire au paiement du prix de la vente du

Seconde évolution. La prise en compte accrue du rôle économique du


droit de la consommation devrait s'accompagner, dans un avenir proche, d'un
renforcement de la défense collective des consommateurs. La défense collective
des intérêts des consommateurs devrait devenir le mode d'action premier pour
équilibrer les relations entre professionnels et consommateurs. Il n'est donc pas
étonnant de relever que la Commission européenne a publié, fin 2009, un Livre
vert sur les recours collectifs pour les consommateurs envisageant notamment
une action de groupe pour les litiges intracommunautaires. En 2010, la
Commission a ouvert une consultation publique dans la perspective d'une
proposition législative dès 201 129. L'action de groupe n'est cependant pas encore
née. À Bruxelles, l'idée de plaintes de groupe semble abandonnée pour le
moment. Les coûts pour les entreprises agissent en effet comme un repoussoir,
alors que l'économie européenne est en crise. En France, le Sénat30 avait
introduit une action de groupe à la française le 22 décembre 2011, lors de
l'examen du projet de loi visant à renforcer les droits, la protection et

25 -- Voir
26
comm. CAn° pour
Amiens,
77. un versement
11 septembre
d'arrhes
2008,
ou CCC
d'acompte
2009,CA
comm.
Rennes,
n° 64
13 juin
; Civ.
2008,
lrL, JCP
21 novembre
E 2009, 1 547.
2006, 2007,

27 - Crim., 10 janv. 2012, n° 1 1-86.985.


28 -Civ. lèrc, 17 janvier 2008, A 2008, p. 347 ; CCC 2008, comm. n° 119.
29 - Cf. A. Fievee et J. GROSJEAN, «L'action de groupe... ou l'introduction d'une nouvelle voie de
droit», CCC déc. 2010, Etudes n° 14; C. GRYNFOGEL, «Une volonté européenne réaffirmée pour
l'action de groupe », CCC déc. 2010, focus n° 69.
30 - LEDC fév. 2012, p. 1, obs. S. Bernheim-Desvaux.
54

l'information des consommateurs31. Mais, la majorité présidentielle l'a qualifiée


de « fausse-bonne idée ». Depuis le changement de majorité, une proposition de
loi a été déposée à l'Assemblée nationale le 24 juillet 2012. Elle vise à instaurer
un recours collectif de consommateurs tel qu'il avait été imaginé dans le rapport
Guinchard. Le 10 septembre 2012, le Conseil d'Analyse Economique a remis au
ministre chargé de la consommation, Monsieur Benoît Hamon un rapport intitulé
« La protection du consommateur, rationalité limitée et régulation32 » qui
comporte des propositions concrètes sur l'action de groupe. Le 23 octobre 2012,
Benoît Hamon a lancé une concertation sur l'opportunité de l'introduction d'une
action de groupe en vue d'un projet de loi dès 201 333. Messieurs les ministres
Pierre Moscovici et Benoît Hamon ont publié, le 18 décembre 2012, les résultats
de cette consultation publique et ont recueilli l'avis d'un Conseil national de la
Consommation34. Un projet de loi définitif devrait voir le jour au printemps 2013.
Il sera certainement nécessaire de transformer la méfiance originaire des
professionnels en partenariat et l'on mesure le chemin à parcourir lorsque l'on
connaît le militantisme associatif en France.

Epilogue

Quelle est la morale de cette histoire ? Le marché de la consommation


est dominé par le jeu de la libre concurrence qui conduit à une guerre sans merci
entre les entreprises afin d'accroître leur part de marché. Le droit de la
consommation comporte des règles qui viennent limiter cette libre concurrence
afin d'éviter qu'elle ne soit nuisible aux consommateurs. Ce faisant, le droit de la
consommation assure une protection des consommateurs pris individuellement et
régule le marché des consommateurs pris collectivement dans leurs relations avec
les professionnels. La prise en compte de cette fonction économique du droit de
la consommation s'est considérablement accrue au cours de ces dernières années,
ce qui implique inévitablement une modification du droit de la consommation. Si
la fonction de protection reste prégnante, celle de régulation transcende
désormais la discipline. Est-ce une avancée ? Apporter une réponse tranchée est
sans doute prématuré... mais fera l'objet d'une belle histoire à venir !

31
nov.
32 - La
33
34 [action-groupe@dgccrf.finances.gouv.fr],
[http://www.economie.gouv.fr/dgccrf].
Projet
201 Documentation
1, obs.
de loi
N. adopté
Sauphanor-Brouillaud.
française,
en première
septembre
lecture2012,
par l'Assemblée
92 pages. nationale le 1 1 octobre 201 1, voir LEDC

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