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UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ 2

Faculté de Sciences Juridiques et Politiques


Année académique 2022-2023
Semestre 6
Licence 3 année, Droit public et Science politique (UE
ème

complémentaire) - Droit privé (UE optionnelle)

COURS DE DROIT COMMUNAUTAIRE INSTITUTIONNEL


Alain Franklin ONDOUA
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur Titulaire

INTRODUCTION : L’IDENTITE ET LA SPECIFICITE DE


L'INTEGRATION COMMUNAUTAIRE

Considérations préalables : Prolifération des organisations d'intégration en

Afrique

L'intégration régionale ou sous régionale en Afrique constitue désormais un « effet

de mode », matérialisé par la prolifération des organisations dites d'intégration notamment en

Afrique francophone (CEEAC, CEMAC, CEDEAO, UEMOA, etc.)

Quelques exemples, à ce propos, d'organisations que nous mobiliserons dans le

cadre de cet enseignement :

- Afrique centrale : Communauté Économique des États de l'Afrique Centrale

(CEEAC, traité de Libreville du 18 octobre 1983, révisé dans la même capitale le 18

décembre 2019) ; Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC,

traité de N'Djamena du 16 mars 1994, révisé principalement à Yaoundé le 25 juin 2008 puis à

Libreville le 30 janvier 2009) ;

- Afrique de l'Ouest : Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest

(CEDEAO, traité de Lagos du 28 mai 1975, révisé à Cotonou le 23 juillet 1993) ; Union

1
Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA, traité de Dakar du 10 janvier 1994,

révisé le 29 janvier 2003).

Quelques éléments sur les théories de l'intégration (à approfondir par les

étudiants, à partir notamment des grandes étapes d’une intégration économique : zone de

libre-échange, union douanière, marché commun, union économique et monétaire et,

éventuellement union politique, tels que présentés par Bela Alexander BALASSA, in The

theory of economic integration (1961)). Pour d’autres références : SAURUGGER (Sabine),

Théories et concepts de l’intégration européenne, Paris, Presses de Sciences Po, coll.

Références. Gouvernances, 2010, 483p ; MVELLE MINFENDA (Guy), Intégration et

coopération en Afrique : la difficile rencontre possible entre les théories et les faits, Paris,

L’Harmattan, coll. Harmattan Cameroun, 2014, 158p.

- Théories de l'intégration : fédéralistes, fonctionnalistes (création d'OI

spécialisées, chacune dans une fonction globale), néo-fonctionnalistes (réalisations concrètes

créant une solidarité de fait ; processus comptant sur l'effet de propagation dit spill over

effect), supranationalité, intergouvernementalisme ;

- Typologie et échelle des phénomènes d'intégration régionale ou sous régionale

(échelle de l'intégrationnalité ou de l'intégrationnisme) ;

- Distinction entre organisations de coopération et d'intégration (transferts de

compétences États vers l'OI, pouvoir normatif reconnu aux institutions communautaires,

normes s'imposant aux États membres, etc.).

Analyse à partir du traité CEMAC révisé :

- Importance attachée à la figure des « maîtres des traités » que sont les États :

* Insistance sur la volonté unanime des États en matière de conclusion et de

révision des traités = art. 57 (révision des traités – unanimité, puis ratification par tous les

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États selon leurs règles constitutionnelles respectives), art. 66 (ratification des traités), art. 58

(pouvoir de dénonciation du traité équivalant à un retrait volontaire) ;

* Rôle central de la conférence des chefs de l'État, qui statue par consensus (art.

16), adopte les actes les plus importants (actes additionnels par exemple, art. 40), nonobstant

le rôle de gardienne des traités et de l'intérêt général communautaire de la Commission ainsi

que son droit d'initiative en matière normative (art. 34); Parlement communautaire, pour

l'instant un « nain politique » : certes assemblée représentative des populations de la CEMAC

(préambule ; art. 5 de la convention du 25 juin 2008 : élection au SUD), mais rôle purement

consultatif (consulté sur les projets d'actes additionnels, de règlements et de directives ; avis

obligatoire ou conforme dans certains cas, art. 25 convention), (absence de pouvoir budgétaire

par exemple : budget adopté par le Conseil des ministres sur proposition de la Commission,

art. 49 – mais possibilité d'amendement au budget, art. 29 de la convention) et contrôle

démocratique (résolutions ou rapports ; questions orales ou écrites ; éventuelle motion de

censure), pour l'instant, inexistant (art. 47) ;

* Insistance sur le nécessaire respect des identités nationales et de la logique des

compétences d'attribution (absence de compétence de sa propre compétence) : préambule du

traité CEMAC = accent mis sur la solidarité entre les peuples « dans le respect des identités

nationales »; idée centrale reproduite, sous une formulation identique dans les conventions

régissant l'UEAC (art. 8) et l'UMAC (art. 2) : l'Union agit dans le respect des objectifs qui lui

sont assignés par les traités et respecte l'identité nationale des États membres ;

* Corollaires = transferts de compétences limités voire parcellaires : affirmation

de principe dans les préambules du traité CEMAC révisé (volonté d'établir « une organisation

commune dotée de compétences et d'organes propres dans la limite des pouvoirs qui leur sont

conférés par le présent traité ») et la convention régissant l'UEAC (l'intégration des EM en

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une Communauté économique et monétaire exige la mise en commun partielle et progressive

de leur souveraineté nationale au profit de la Communauté, dans le cadre d'une volonté

politique collective). Au total, la CEMAC serait encore plus proche d'un phénomène de

coopération intergouvernementale teinté de communautarisation, que d'une véritable

organisation d'intégration.

Section 1 – L’identité de la Communauté ou de l’Union

Il est nécessaire, pour qualifier l’identité communautaire, de situer les

organisations communautaires africaines par rapport à ce qu’on considère généralement

comme les éléments constitutifs d’un État, à savoir notamment la citoyenneté, la personnalité

juridique et les valeurs fondatrices. Il ne s’agit pas pour autant d’assimiler une organisation

d'intégration communautaire à un État, dans la mesure où même si l’on a dépassé le stade de

l’organisation internationale classique et de la confédération, on n’est pas encore en présence

d’une entité fédérale surplombant les entités étatiques souveraines.

& 1 - La citoyenneté d'une Communauté ou d'une Union

La citoyenneté est un concept généralement employé en droit constitutionnel, en

lien notamment avec la participation aux élections. A cet effet, il est traditionnellement couplé

à la nationalité.

En droit communautaire africain, seule la CEDEAO semble avoir mis en place un

certain statut de citoyen communautaire, moins développé cependant que la citoyenneté de

l'Union européenne.

A) La notion de citoyen communautaire

La CEDEAO a très tôt légiféré dans le domaine de la citoyenneté à travers le

Protocole portant Code de la citoyenneté de la Communauté signé à Cotonou le 29 mai 1982

4
et entré en vigueur le 10 juillet 1984. Cette citoyenneté est étroitement dépendante de la

nationalité d'un État membre, étant entendu que le protocole précise en son préambule que

« les EM continueront à exercer leur droit souverain pour l'octroi de leur nationalité ». Cette

approche permet de cerner les contours de la notion de citoyen de la Communauté en

s'inspirant notamment du droit de l'Union européenne.

En effet, en droit de l'Union européenne comme en droit communautaire africain,

la citoyenneté est une citoyenneté de superposition qui s’ajoute à la qualité de national définie

par chaque État membre. A ce propos, le traité d’Amsterdam a précautionneusement ajouté

une deuxième phrase à l’art. 17 CE (ex-art. 8) aux termes de laquelle : “ La citoyenneté de

l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ” (art. 20, & 1er du Traité sur

le Fonctionnement de l’Union Européenne - TFUE, qui remplace le verbe complète par

s’ajoute). Elle apparaît donc comme une qualité complémentaire dont la possession entraîne

la jouissance de certains droits garantis par le traité. La Cour de justice de l'Union européenne

a ainsi pu affirmer que : « …le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut

fondamental des ressortissants des EM permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent

dans la même situation d’obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des

exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique » (20 sept 2001,

Rudy Grzelczyk : Rec. I-6193). Les droits attachés à la citoyenneté communautaire sont

généralement prévus par les traités ou leurs protocoles additionnels.

B) Les droits du citoyen communautaire

En droit communautaire CEDEAO, le traité révisé précise en son article 59

quelques droits attachés au statut de citoyen : « 1. Les citoyens de la Communauté ont le droit

d'entrée, de résidence et d'établissement et les EM s'engagent à reconnaître ces droits aux

citoyens de la Communauté sur leurs territoires respectifs, conformément aux dispositions des

5
protocoles y afférents. 2. Les EM s'engagent à prendre toutes les mesures appropriées en vue

d'assurer aux citoyens de la Communauté la pleine jouissance des droits visés au paragraphe

1 du présent article... ».

Plusieurs protocoles additionnels ont été adoptés en la matière :

- Protocole du 29 mai 1979 relatif à libre circulation des personnes, au droit de

résidence et d'établissement : droit d'entrée et abolition du visa d'entrée, période n'excédant

pas 90 jours, première étape de 1980-1985 ; institution d'un passeport CEDEAO par décision

du 1er mai 2000 ;

- Protocole du 6 juillet 1985 portant code de conduite pour l'application du

protocole de 1979 : obligation pour les EM d'informer leurs citoyens sur les conditions

d'entrée, de séjour, de résidence et d'établissement dans les autres EM de même que les

conditions d'expulsion ;

- Protocole du 1er juillet 1986 relatif à l'exécution de la deuxième étape (droit de

résidence, 1985-1990) du Protocole de 1979 : reconnaissance aux citoyens désirant accéder ou

non à une activité salariée et à l'exercer (hors emplois dans l'administration publique) ; mêmes

droits et libertés que les nationaux, sauf droits politiques ; institution d'une carte de résident

des EM par décision du 30 mai 1990 ;

- Protocole du 29 mai 1990 relatif à l'exécution de la troisième étape (droit

d'établissement, 1990-1995) : droit de s'installer ou de s'établir dans un EM, d'accéder à des

activités économiques, de les exercer ainsi que de constituer et de gérer des entreprises et/ou

sociétés (dans les mêmes conditions que les nationaux et conformément à la législation de

l'État d'accueil).

En droit de l'UE, dans ses dispositions relatives aux principes démocratiques, le

Traité sur l’Union Européenne (TUE) (dans sa version après le traité de Lisbonne) prévoit

6
d’une part que « dans toutes ses activités, l’Union respecte le principe de l’égalité de ses

citoyens… » (art. 9), et d’autre part que « tout citoyen a le droit de participer à la vie

démocratique de l’Union. Les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près possible

des citoyens » (art. 10, & 3).

Par ailleurs, les citoyens de l'UE bénéficient conjointement avec les ressortissants

d’États tiers d'autres types de droits : la protection des droits fondamentaux (art. 6, & 2 TUE),

le droit d’accès aux documents administratifs de l’Union ou encore l’accès à la Cours de

Justice de l’Union.

Sur la base des articles 20 à 25 Traité sur le Fonctionnement de l’Union

Européenne (TFUE), il existe deux catégories de droits spécifiques attachés à la citoyenneté :

ceux que l’on peut considérer comme indépendants et ceux qui sont liés au Parlement

européen. Parmi les premiers, on trouve tout d’abord la liberté de circulation et de séjour

sur le territoire des États membres (art. 21 TFUE). Ce droit ne s’exerce cependant que sous

réserve des limitations et des conditions prévues par le traité et les dispositions prises pour son

application. Sont exclues cependant de cette procédure les mesures relatives aux passeports,

aux cartes d’identité ou de séjour, à la sécurité sociale ou à la protection sociale.

Il faut citer ensuite le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales

dans l’État membre de résidence alors que les citoyens de l’Union ne sont pas

ressortissants de cet État (art. 22, & 1 TFUE). Les modalités d’exercice de ce droit ont été

arrêtées par la directive 94/80/CE du Conseil du 19 décembre 1994. Cette directive permet par

exemple à titre dérogatoire aux États membres de réserver aux nationaux certaines fonctions

dans les exécutifs municipaux et d’interdire aux élus non nationaux la participation à la

désignation des électeurs ou à l’élection d’une assemblée parlementaire.

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Dans cette première catégorie, il faut enfin mentionner le droit à la protection

des autorités diplomatiques et consulaires dans tout État tiers où l’État membre dont il est

le ressortissant n’est pas représenté (art. 23 TFUE). Cette disposition a été mise en œuvre dans

le cadre de la Politique Extérieure et de Sécurité Commune (PESC) par une décision des

représentants des États membres réunis au sein du Conseil en date du 19 décembre 1995,

concernant la protection des citoyens de l’Union européenne par les représentations

diplomatiques et consulaires. La protection n’est pas accordée par l’Union, mais le traité crée

une obligation de coopération entre États membres de telle sorte que l’un d’entre eux doit

assurer cette protection lorsque l’État dont le citoyen a la nationalité n’est pas représenté dans

l’État tiers en cause. Il s’agit donc plutôt d’une protection d’urgence, voire humanitaire.

Dans la seconde catégorie de droits de citoyenneté (ceux liés au Parlement

européen), citons d’abord le droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes des

citoyens de l’Union résidant sur le territoire d’un autre État membre (art. 22, & 2 TFUE).

Les modalités d’exercice de ce droit ont été fixées par la directive 93/109/CE du Conseil du 6

décembre 1993. Le premier principe est celui de la liberté de choix de l’électeur entre l’État

de résidence et l’État dont il est ressortissant. Le second principe est celui de l’égalité de

traitement : les droits de vote et d’éligibilité s’exerçant dans les mêmes conditions pour les

nationaux et les résidents communautaires. Une dérogation a été prévue lorsque, dans un État,

la proportion de citoyens de l’Union, en âge de voter, qui y résident sans en avoir la

nationalité est supérieure à 20 % des citoyens de l’Union en âge de voter (en pratique cela

concerne le Luxembourg) : possibilité d’imposer un délai maximum de 5 ans avant de pouvoir

devenir électeur et un délai maximal de 10 ans avant de pouvoir être éligible.

Ensuite et enfin, les citoyens de l’Union bénéficient d’un droit de pétition devant

le Parlement européen, du droit de saisir le Médiateur (art. 24 TFUE). Le Médiateur, aux

8
termes de l’art. 228 TFUE, est nommé par le Parlement et est habilité à recevoir des plaintes

relatives au mauvais fonctionnement des institutions communautaires à l’exclusion des

organes juridictionnels. L’article 21 précité stipule également que les citoyens peuvent

s’adresser aux institutions ou organes de l’Union dans l’une quelconque des langues

officielles et recevoir une réponse dans la même langue (disposition introduite par le traité

d’Amsterdam).

En lien indirect avec ce qui précède, l'art. 11, & 4 TUE stipule que : « des citoyens

de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États

membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses

attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces

citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application

des traités » (procédures et conditions requises pour la présentation d’une telle initiative,

fixées dans le futur art. 24, & 1er TFUE).

& 2 - La personnalité juridique de la Communauté ou de l'Union

Les organisations d'intégration sous régionale ont un statut juridique fonctionnel,

c’est-à-dire que celui-ci a pour objet de leur permettre de remplir sa mission. S’agissant plus

particulièrement de la personnalité juridique, il faut bien reconnaître toutes les Communautés

ou Union d'Afrique centrale de l'Ouest en disposent. Ainsi, l'article 9 du traité UEMOA

stipule que : « L'Union a la personnalité juridique... » (art. 88, & 1 du traité CEDEAO révisé :

« La Communauté a la personnalité juridique internationale » ; voir aussi art. 3 du traité

CEMAC révisé).

A) La personnalité juridique interne

A propos de la personnalité juridique interne, l'article 9 du traité UEMOA révisé

stipule par exemple que : « Elle de la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes

9
morales par la législation nationale. Elle est représentée en justice par la Commission. Elle a

notamment capacité pour contracter, acquérir des biens mobiliers et immobiliers et en

disposer. Sa responsabilité contractuelle et la juridiction nationale compétente pour tout litige

y afférent sont régies par la loi applicable au contrat en cause ». Ainsi dans chaque EM la

Communauté agit selon les dispositions les plus favorables prévues par les législations

nationales. Même formulation que l'art. 3 du traité révisé CEMAC.

B) La personnalité juridique internationale

Pour prendre l'exemple de la CEDEAO, l'article 83 stipule que « La Communauté

peut conclure des accords de coopération avec des pays tiers ». L'article 8, alinéa 3 du traité

CEMAC révisé prévoit quant à lui que « Des accords de coopération et d'assistance peuvent

être signés avec les États tiers ou les organisations internationales » ; alinéa 1er : « La

Communauté établit toutes coopérations utiles avec les organisations régionales ou sous

régionales existantes ».

La Communauté dispose ainsi du pouvoir de légation internationale, généralement

représentée pour ce qui est de son exercice par la Commission. A ce titre, la Cour de Justice

de la CEMAC, dans l’affaire Société Price Waterhouse SARL rendue le 14 novembre 2013, a

affirmé que : « …La Communauté a sa propre personnalité juridique différente de celle des

Etats membres, que les accords signés entre un Etat membre et un Etat dans le cadre de leur

coopération bilatérale ne lient pas automatiquement la Communauté… ».

Pour la Cour de justice de l'UEMOA (avis n° 01/2007 du 19 octobre 2007,

Demande d'avis du Président de la Commission de l'UEMOA relative à la possibilité pour les

EM de conclure individuellement des accords d'investissement avec les pays tiers), « en tant

que sujet de droit international, l'UEMOA a la capacité de conclure des traités internationaux

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pouvant être définis comme « tout engagement ayant force obligatoire pris par un sujet de

droit international ».

& 3 - Les valeurs fondatrices

Ces valeurs s’assimilent à un « code de conduite » accepté par les Etats fondateurs

dans le fonctionnement de l’Union. Elles expriment plus précisément un consensus global sur

la nature même de l’entreprise commune. On a pu ainsi parler de « code commun de valeurs

fondamentales ».

A) La Communauté ou l'Union de droit

C’est la CJCE qui a été la première à affirmer son existence dans un arrêt Les

Verts c/ Parlement européen du 23 avril 1986 : « Il y a lieu de souligner d’abord, à cet égard,

que la CEE est une communauté de droit en ce que ni ses EM ni ses institutions n’échappent

au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le

traité ”. Pour une autre référence à la notion de « communauté de droit », voir : CJCE, 14

décembre 1991, Accord sur la création de l’EEE, Avis 1/91). Dans cette conception de la

communauté de droit, l’accent est mis sur la soumission des autorités publiques à des normes

et l’existence d’un contrôle juridictionnel permettant de garantir le respect de ces normes. Le

juge doit ainsi veiller à ce que le pouvoir discrétionnaire des institutions communautaires ne

puisse se transformer en arbitraire (recours à la théorie de l’erreur manifeste…). Ainsi dans

l’affaire Les Verts la Cour a, par sa jurisprudence, complété le traité pour permettre aux

requérants d’attaquer un acte du Parlement qui, d’après une interprétation textuelle, échappait

à son contrôle.

En droit communautaire africain, au-delà du fait qu'existent des Cours de justice

chargées d'interpréter et d'appliquer le droit dans le respect des différents traités (art. 48 traité

CEMAC), l'article 4 du traité CEDEAO révisé considère notamment comme principes

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fondamentaux : la reconnaissance et le respect des règles et principes juridiques de la

Communauté (art. 4-i) ; la promotion et la consolidation d'un système démocratique de

gouvernement dans chaque État membre (art. 4-j). Les hautes parties contractantes au traité

CEMAC, réaffirment quant à elles dans son préambule leur attachement au respect

notamment des principes de démocratie, de l'État de droit et de la bonne gouvernance. A

l’occasion de l’avis n° 002/2014-15 du 29 décembre 2014, rendu sur la demande du Président

de la Commission de la CEMAC, la Cour de justice a, au détour d’une incise, précisé qu’elle

est « garante de l’existence d’une Communauté de droit… ».

B) Le respect des droits fondamentaux

Les traités communautaires contiennent des références aux droits fondamentaux.

C'est ainsi que l'article 3 du traité UEMOA stipule-t-il que « L'Union respecte dans son action

les droits fondamentaux énoncés dans la DUDH de 1948 et la CADHP de 1981 ». Quant au

traité CEDEAO, son article 4 sur les principes fondamentaux de la Communauté, y intègre

« le respect, la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples conformément

aux dispositions de la CADHP ». Il convient par ailleurs de renvoyer au Protocole CEDEAO

sur la démocratie et la bonne gouvernance du 21 décembre 2001 qui, dans son article 1er,

considère notamment comme principes constitutionnels communs à tous les États membres de

la Communauté la garantie des droits reconnus par la CADHP et les instruments

internationaux relatifs aux droits de l'homme. Quant au traité CEMAC, allusion est faite aux

droits de l'homme dans le préambule L'une des politiques sectorielles de l'UEAC porte sur la

bonne gouvernance, les droits de l'homme, les questions de genre et le dialogue social. A ce

propos, l'article 47 de la convention prévoit que le Conseil des ministres peut définir des

actions, notamment : pour promouvoir la dignité humaine, la justice sociale, le respect de la

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diversité au sein des sociétés des États membres, le respect universel et la protection des

droits de l'homme et des libertés fondamentales (points a) et b) de cet article).

Quant au droit communautaire européen, les traités fondateurs étaient silencieux

sur la problématique de la protection des droits fondamentaux. Il est vrai que certains

principes comme ceux de la non-discrimination ou de la libre prestation de services

pouvaient, dans certains cas, coïncider avec des dispositions relatives aux droits de l’homme.

Cela n’enlève rien à l’absence de disposition générale relative aux droits fondamentaux dans

les traités. Ceci est principalement dû à la vocation économique des traités de base, peu

enclins selon leurs auteurs à interférer avec la question des droits fondamentaux.

La question a été finalement résolue par la CJCE dans les premiers arrêts rendus,

dans le cadre de la CECA : la Cour refusait de prendre en considération les droits

fondamentaux protégés par les États membres (4 février 1959, aff. 1/58, Stork c/ Haute

Autorité de la CECA, et 12 février 1960, aff. 16, 17 et 18/59, Comptoirs de vente de la Ruhr c/

Haute autorité de la CECA). Cette jurisprudence était critiquable car elle pouvait conduire à

penser que la création des Communautés se traduisait par un déficit dans la protection des

droits fondamentaux. Un certain nombre de juridictions nationales vont réagir face à cette

jurisprudence, notamment la Cour constitutionnelle allemande qui, dans un arrêt du 23 mars

1974 dit Solange I (position déjà annoncée dans un arrêt du 18 octobre 1967), va subordonner

son acceptation de la primauté du droit communautaire sur le droit national à l’existence

d’une protection satisfaisante des droits fondamentaux dans le cadre communautaire. Attitude

similaire de la part de la Cour constitutionnelle italienne (arrêts du 27 décembre 1973,

Frontini et Pozzani). Notons que la CJCE n’y est pas restée insensible : dès 1969, elle

reconnaissait que les droits fondamentaux faisaient partie du droit communautaire en tant que

PGD (12 novembre 1969, aff. 29/69, Stauder). Elle affirma par la suite dans l’arrêt du 17

13
décembre 1970 (aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft) que le respect des droits

fondamentaux faisait partie des Principes Généraux du Droit (PGD) dont elle assurait le

respect et qu’il convenait de s’inspirer en ce qui concerne la définition de ces droits des

traditions constitutionnelles communes aux EM. Puis en 1974 dans l’arrêt Nold (14 mars, aff.

4/74), elle affinait sa jurisprudence en faisant référence aux instruments internationaux

auxquels les États ont coopéré ou adhéré et en particulier à la Convention Européenne des

Droits de l’Homme (CEDH). Évolution des jurisprudences constitutionnelles précitées : les

réserves initiales des Cours constitutionnelles allemande et italienne sont devenues formelles,

de principe (reconnaissance du caractère satisfaisant de la protection juridictionnelle des

droits fondamentaux au niveau communautaire) : arrêt du 22 octobre 1986, Solange II et 8

juin 1984, Granital.

Au demeurant, les traités eux-mêmes ont progressivement consacré la nécessaire

protection des droits fondamentaux. Au-delà de la déclaration commune du Parlement

européen, de la Commission et du Conseil du 5 avril 1977 et du Préambule de l’AUE qui

montrent l’attachement des institutions à la protection des droits fondamentaux, il faut

mentionner l’étape importante marquée par le TUE qui consolide la jurisprudence de la CJCE

dans l’art. F & 2 (aujourd’hui 6), en faisant du respect des droits fondamentaux un des PGD

communautaire et en reproduisant la référence à la CEDH et aux traditions constitutionnelles

communes aux EM comme sources des droits fondamentaux. Le traité d’Amsterdam

approfondit cet état du droit en imposant explicitement aux États candidats le respect des

principes de l’art. 6 & 1 précité, parmi lesquels figure le respect des DH et de l’État de droit.

Ensuite, il instaure une procédure de suspension des droits de vote et de droits découlant du

traité lorsqu’un EM viole de manière “ grave et persistante ” les principes énoncés à l’art. 6.

Enfin, la compétence de la Cour est affirmée en ce qui concerne le respect de l’art. 6 & 2,

14
lequel impose à l’Union de respecter les droits fondamentaux dans le cadre de ses missions.

On a donc pu logiquement y voir une consécration du “ respect des droits fondamentaux en

tant que principe constitutionnel de l’Union ”.

Mentionnons simplement la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

L’initiative de son adoption vient du Conseil européen de Cologne en juin 1999. Les travaux

ont commencé en décembre 1999, sous l’égide d’une Convention, et se sont achevés en temps

utile pour le Conseil européen de Nice en décembre 2000. Les rédacteurs de la Charte ont

choisi de rédiger celle-ci dans une forme juridique de telle sorte qu’elle puisse, le cas échéant,

être intégrée telle quelle dans les traités.

Précisons que l'article 6 UE est ainsi rédigé : « 1. L’Union reconnaît les droits, les

libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000,

[…] laquelle a la même valeur juridique que les traités ; […] 2. L’Union adhère à la

Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette

adhésion ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies dans la

Constitution ; 3. Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Conv. EDH et tels

qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux EM, font partie du droit de

l’Union en tant que principes généraux ». Il est indiqué dans le protocole n° 5 que l’accord

relatif à l’adhésion de l’Union à la CEDH « doit refléter la nécessité de préserver les

caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union », notamment les modalités

particulières de l’éventuelle participation de l’Union aux instances de contrôle de la

Convention.

Par ailleurs, l’art. 17-1 du Protocole n° 14 à la CEDH prévoit d’insérer un

nouveau paragraphe à l’article 59 de la Convention aux termes duquel : « L’UE peut adhérer

à la présente Convention ».

15
Section 2 – La spécificité de la Communauté ou de l’Union

Soutenir qu’une entière communautaire est spécifique revient notamment à mettre

en valeur la nature de sa charte constitutive ainsi que la nature de l'entité elle-même.

& 1. La nature des traités communautaires

La première qualification qui vient à l’esprit est celle de chartes constitutives

d’organisations internationales. On peut néanmoins s’interroger sur l’éventuelle nature

constitutionnelle des traités communautaires. S’il est vrai que ces derniers conservent un inné

tiré du droit international (qu’ils sont enracinés dans le droit international), il n’en reste pas

moins qu’eu égard à la spécificité communautaire, on peut avec la CJCE affirmer l’existence

d’une « charte constitutionnelle » de la Communauté (rappeler arrêt Les Verts de 1986 et avis

1/91, EEE de 1991).

A) Les liens étroits avec le droit international

Les Communautés sont fondées sur des traités internationaux, conclus comme

pour toutes les organisations internationales, par la volonté souveraine des États telle qu’elle

s’est exprimée dans le cadre du droit international public. Certes les traités contiennent des

règles matériellement constitutionnelles dans la mesure où ils définissent les objectifs, les

compétences, la structure institutionnelle et le processus décisionnel communautaires. Mais il

s’agit d’un trait commun à toutes les organisations internationales. Certes, par rapport aux

autres organisations internationales, les Communautés présentent des caractères spécifiques

(allusion à la notion d’organisation d’intégration). Ceci ne conduirait pas pour autant à

modifier l’analyse, car toutes les spécificités communautaires tirent leur origine des traités

conclus entre États souverains. Les Communautés constitueraient donc un ensemble de droit

international. Pour la plupart des spécialistes de droit international, le fait que l’Union trouve

sa source dans le droit international reste déterminant. Pour eux, ce que l’on considère comme

16
des spécificités du droit communautaire (effet direct, non-réciprocité, etc.) ne sont que

l’application poussée à l’extrême de principes de droit international. L’Union ne serait donc

qu’une forme perfectionnée d’organisation internationale. Voir sur ce point, Alain PELLET,

« Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », Recueil des Cours de

l’Académie de Droit Européen 1997.

B) L’affirmation de la nature « constitutionnelle » des traités

communautaires

Il est vrai que la Cour a d’abord été sensible à la position ci-dessus présentée,

lorsqu’elle affirmait que la Communauté était un “ nouvel ordre juridique de droit

international… (5 février 1963, Van Gend & Loos, 26/62). Mais le démarquage de l’ordre

communautaire par rapport au droit international sera effectué l’année suivante dans l’arrêt

Flaminio Costa c/ Enel du 15 juillet 1964 (6/64) : « à la différence des traités internationaux

ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système

juridique des EM lors de l’entrée en vigueur du traité et qui s’impose à leurs juridictions ».

La Cour se fonde donc sur les caractéristiques propres au droit communautaire pour asseoir

l’autonomie de celui-ci. La Cour de Justice de la CEMAC évoque quant à elle, dans son arrêt

du 31 mars 2011, Banque Atlantique du Cameroun, la « nature spécifique originale » de la

Communauté et, par conséquent, de son droit.

De ce point de vue, la vision internationaliste permet seulement d’expliquer

l’origine des Communautés (l’existence d’un « patrimoine génétique » de la Communauté

issu de ses racines internationales, Professeur Denys SIMON), mais n’a qu’un effet

subsidiaire quant à l’analyse de leur fonctionnement ou de la structure de leur ordre juridique.

Le mouvement qui va du traité international vers une charte constitutionnelle a été

remarquablement relevé par la Cour dans son avis déjà cité sur l’EEE : « …le traité CEE,

17
bien que conclu sous la forme d’un accord international, n’en constitue pas moins la charte

constitutionnelle d’une communauté de droit ».

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a été beaucoup plus précise

dans son avis 2/13 du 18 décembre 2014 portant sur la question de l'adhésion de l'Union à la

CEDH ; avis dans lequel on peut lire au paragraphe 158 que : « ...L'Union est dotée d'un ordre

juridique d'un genre nouveau, ayant une nature qui lui est spécifique, un cadre constitutionnel

et des principes fondateurs qui lui sont propres, une structure institutionnelle particulièrement

élaborée ainsi qu'un ensemble complet de règles juridiques qui en assurent le

fonctionnement... »

On a pu parler à cet égard d’un processus de constitutionnalisation. Parlant de

Constitution, il s’agit plutôt d’une constitution matérielle : un ensemble de règles relatives à

des questions qui sont ordinairement considérées comme relevant de la matière

constitutionnelle. Mais ces règles n’ont pas été adoptées au terme d’une procédure

constitutionnelle. On n’est donc pas en présence d’une Constitution au sens formel, d’où

l’expression de charte constitutionnelle.

Compte tenu du caractère évolutif du processus d’intégration européenne, il n’est

pas simple de savoir à partir de quel moment on passe de la catégorie du traité international à

celle de Constitution. Il n’en demeure pas moins que l’analyse du fonctionnement des

institutions communautaires relève en l’état actuel beaucoup plus du droit constitutionnel que

du droit international.

Ceci est en tout état de cause davantage plausible pour ce qui concerne la

construction européenne. Voir par exemple sur cette question, la prise de position du Conseil

Constitutionnel français, dans sa décision du 19 novembre 2004 : dans son considérant n° 9, il

estime qu’il résulte des stipulations du « traité établissant une Constitution pour l’Europe »,

18
« et notamment celles relatives à son entrée en vigueur, à sa révision et à la possibilité de le

dénoncer, qu’il conserve le caractère d’un traité international souscrit par les États

signataires du TCE et du TUE ». Il ajoute au considérant suivant que la dénomination de ce

nouveau traité « est sans incidence sur l’existence de la Constitution française ». Le

considérant n° 11 de la même décision comporte tout de même une reconnaissance de la

spécificité de l’ordre juridique de l’Union. En effet, en adoptant l’article 88-1 de la

Constitution, « le constituant a ainsi consacré l’existence d’un OJC intégré à l’ordre

juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ».

& 2. La nature juridique de la Communauté ou l’Union

Il s’agit ici d’une question lancinante pour la doctrine de droit communautaire

alors que la seule formule institutionnelle qu’ait jamais utilisée la Cour de justice pour

qualifier la Communauté est celle de « pouvoir public commun » (14 novembre 1978,

délibération 1/78, à propos de la Communauté Economique de l’Energie Atomique (CEEA)).

Et pour la Cour de justice de l'UEMOA (Avis n° 002/2000 du 22 mars 1999, Demande d'avis

complémentaire du Président de la Commission de l'UEMOA relative à l'interprétation de

l'article 84 du traité de l'UEMOA), « ...l'Union constitue en droit une organisation de durée

illimitée, dotée d'institutions propres, de la personnalité et de la capacité juridique et surtout

de pouvoirs issus d'une limitation de compétences et d'un transfert d'attributions des EM qui

lui ont délibérément concédé une partie de leurs droits souverains pour créer un ordre

juridique autonome qui lui est applicable ainsi qu'à leurs ressortissants ».

A. La Communauté ou l’Union n’est pas un État

Au-delà du territoire et de la population, l’élément le plus caractéristique d’un État

est l’exercice d’une autorité souveraine. La question devient dès lors qui de l’organisation

d'intégration ou de ses États membres détient actuellement la souveraineté. Il est vrai que la

19
Communauté ou l'Union ne dispose que de compétences d’attribution. Le préambule du traité

CEMAC fait référence par exemple d'une « organisation commune dotée de compétences et

d'organes propres agissant dans la limite des pouvoirs qui leur sont conférés par le présent

traité ». Quant à l'UE, (Art. 1er UE : mise en place de l’Union, « à laquelle les EM attribuent

des compétences pour atteindre leurs objectifs communs » ; principe d’attribution défini à

l’article 5, & 2 UE : « l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les EM lui ont

attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute

compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux EM »).

Mais on peut soutenir que l’exercice de la souveraineté est partagé dans les

domaines dans lesquels les États ont transféré certaines de leurs compétences souveraines.

Cela étant, l’organisation communautaire ne détient pas le monopole de la contrainte

physique ; son recours appartient aux États. Elle ne dispose pas non plus de la compétence de

disposer de ses propres compétences (kompetenz – kompetenz) : la révision des traités requiert

l’accord de tous les EM, dès lors tout renforcement de la construction communautaire exige

l’accord de tous ses membres (art. 106 UEMOA : ratification des modifications par tous les

EM selon leurs règles constitutionnelles respectives ; art. 57 CEMAC ; art. 90-3 CEDEAO).

Au total, si l’organisation d'intégration dispose de plus en plus de certains attributs

de l’État, elle ne saurait pour l’instant être analysée comme une entité étatique. Au demeurant,

le caractère étatique est davantage exclu par la mention explicite d'un droit de dénonciation ou

de retrait volontaire du traité (107 UEMOA ; 58 CEMAC et 91 CEDEAO ; art. 50, & 1 TUE :

« & 1. Tout EM peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles de se retirer de

l’Union »).

20
B. Le dépassement de la catégorie de l’organisation internationale

On a vu que certains internationalistes considéraient toujours les Communautés

comme une organisation internationale. Pour eux, dès lors qu'elles ne peuvent être considérées

comme un État, il s’agit nécessairement d’une organisation internationale. Rappelons

simplement à ce sujet la jurisprudence de la Cour de justice passant de l’analyse de la

Communauté comme « un nouvel ordre juridique de droit international » (Van Gend en Loos,

1963) à une conception selon laquelle “ …les traités communautaires ont institué un nouvel

ordre juridique… ” (Costa c/ Enel, 1964 et avis EEE, 1991) ; Cour de justice UEMOA, avis

22 mars 1999, « ordre juridique autonome ». Si l’on additionne l’ensemble des spécificités de

l’Union (non-réciprocité, effet direct qui est la règle, citoyenneté, etc.), on réalise que l’on est

en présence d’un phénomène qui ne répond plus à la notion traditionnelle d’organisation

internationale.

C. La Communauté ou l’Union, une organisation sui generis ?

Dès les débuts de l’entreprise communautaire, certains auteurs ont adopté la

notion de supranationalité : une association d’États au sein de laquelle ceux-ci mettent en

commun certaines de leurs compétences, acceptent qu’un nombre important de décisions soit

pris à la majorité qualifiée, que ces décisions s’insèrent dans les ordres juridiques nationaux

sans formalité particulière, et qu’elles l’emportent sur les normes nationales contraires. Il

s’agit là néanmoins d’une simple description des caractéristiques des Communautés. Ce serait

une gageure aujourd’hui de vouloir faire entrer ces dernières dans des catégories juridiques

connues.

C’est la raison pour laquelle, et concernant l'Union européenne, de nombreux

auteurs ont avancé la qualification empruntée à J. Delors, qui est celle de fédération d’États-

nations – contradiction intrinsèque de cette expression (Alan DASHWOOD, « Ordre

21
constitutionnel d’États souverains », in « « A Constitution order of sovereign States » in

States in the European Union », European Law Review 1998, n° 23, p. 201). L’idée sous-

jacente dans cette qualification est la suivante : l’exercice en commun de compétences au

niveau de l’Union doit sauvegarder la diversité des États nationaux. La difficulté qu’il y a à

trouver une qualification qui fasse autorité montre que l’Union demeure fondamentalement un

concept original.

22
CHAPITRE I : LES NORMES DE DROIT COMMUNAUTAIRE

On parle encore de Normativité communautaire.

Les dispositions des traités ne comportent aucune typologie explicite des sources

du droit communautaire. Par conséquent, il faut opérer une construction du système des

sources, identifiant les différentes catégories de normes et précisant leurs rapports réciproques

(coordination ou hiérarchie), à partir des indications fournies par les traités, par la pratique des

institutions et des EM, ainsi que par la jurisprudence communautaire. On peut distinguer à cet

égard les sources écrites du droit communautaire ou les sources non écrites, ou les sources

secondaires. Mais il convient, du point de vue pédagogique, de distinguer classiquement le

droit primaire, le droit dérivé, les sources externes et les sources non écrites. Sur cette

question, voir l’excellent Que sais-je ? (n° 3560, PUF, Paris, 2000), de Pierre-Yves MONJAL,

Les normes de droit communautaire.

Section I : Les normes droit primaire ou originaire

Le droit primaire est constitué par les traités fondateurs des Communautés. Il

s’agit de traités internationaux négociés et conclus entre les EM, ces derniers apparaissant

ainsi comme les « maîtres des traités ». Il convient tout d’abord d’identifier le contenu de ce

droit, avant de s’interroger sur son autorité ou sa portée.

& 1. L’identification du droit primaire

Le droit primaire s’est constitué au fil des révisions successives des traités. On est

en présence d’un nombre croissant d’instruments conventionnels dont le recensement et les

rapports mutuels s’avèrent complexes.

23
A. Le traité fondateur et ses révisions successives

(RAPPEL) L’ensemble du droit originaire repose sur les traités constitutifs :

renvoyer à ce qui a été dit en introduction à propos des différents traités fondateurs des

Communautés ou Union envisagées, ainsi que leurs révisions respectives.

Ces différents traités sont très souvent complétés de protocoles et annexes qui ont

la même valeur juridique que les traités eux-mêmes (cf. notamment art. 102 UEMOA : le

protocole additionnel n° II définissant les politiques sectorielles de l'Union fait partie

intégrante du présent traité ; art. 51 UE : les protocoles et annexes des traités en font partie

intégrante » ; 11 protocoles au TUE et au TFUE).

La jurisprudence communautaire (10 juillet 1986, Wybot, 149/85 ; 22 octobre

1987, Foto-Frost, 314/85), voire le Conseil constitutionnel français (décision Maastricht I du

9 avril 1992, & 45, qui précise que les protocoles sont « indissociables » des articles

stipulations du TUE), a confirmé que les dispositions des protocoles faisaient partie intégrante

du droit originaire, avec la même valeur juridique que les traités eux-mêmes. Cependant, les

déclarations insérées dans l’acte final des traités n’ont en principe aucun caractère normatif et

sont généralement considérées comme exprimant seulement un engagement politique. On

peut tout de même penser que si ces déclarations expriment l’accord unanime des EM, elles

ont, en dépit de leur forme, valeur d’engagement au même titre que les protocoles.

B. Les autres actes de droit primaire

Ces autres actes conventionnels sont généralement constitués par les protocoles

additionnels qui soit viennent compléter les traités dans des domaines bien précis (protocole

CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance par exemple), ou encore des conventions

relatives soit à la mise en place de certains organes ou institutions (Cour de justice, Parlement

communautaire, ou pour le cas spécifique de la CEMAC, conventions du 25 juin 2008

24
relatives d'une part à l'Union économique d'Afrique centrale (UEAC) et d'autre part à l'Union

monétaire d'Afrique centrale (UMAC). Il s'agit de conventions ou de protocoles qui sont

adoptés selon les procédures formelles de révision des traités fondateurs et ratifiés par

l'ensemble des États selon leurs règles constitutionnelles respectives.

En droit communautaire européen, on peut par exemple citer, la « révision

autonome » opérée par l’Acte du 20 septembre 1976 portant élection des représentants à

l’Assemblée au SUD en vertu de l’art. 190, & 4 CE (ex-138), entré en vigueur le 1er juillet

1978, après adoption par les EM selon leurs règles constitutionnelles respectives. Certaines de

ses stipulations ont été introduites dans l’art. 190 précité par le traité d’Amsterdam.

C. Les tentatives de simplification des traités

La multiplicité des sources du droit primaire peut conduire à envisager un certain

nombre d’initiatives concernant la restructuration et la simplification des traités, notamment

en supprimant des dispositions devenues caduques ou encore en proposant des versions

consolidées des traités. Il peut s'agir aussi de réflexions autour de la fusion des organisations

elles-mêmes entraînant fusion de leurs instruments conventionnels (travaux en cours sur le

processus de constitution d’une nouvelle Communauté, par la fusion de la CEEAC et de la

CEMAC, placés sous l’égide du Président de la République du Cameroun avec pour bras

opérationnel, le Comité de Pilotage de Rationalisation des Communautés Économiques

Régionales en Afrique Centrale, dit COPIL/CER-AC).

& 2. L’autorité du droit primaire

L’autorité des traités résulte de leur rang, en cas de conflit avec d’autres normes

ainsi que des conditions de leur révision. De ce point de vue, les traités se situent au sommet

de la hiérarchie des normes communautaires et bénéficient à ce titre d’une primauté absolue

25
dans l’OJC. Quant aux clauses concernant la révision des traités, elles marquent le caractère

évolutif et le dynamisme de la construction communautaire.

A. La prééminence du droit originaire

Il s’agit d’une primauté hiérarchique sur les autres sources du droit

communautaire. Bien qu’il ne soit pas expressément formulé par les traités, le principe de la

hiérarchie entre droit primaire et droit dérivé s’impose à l’évidence. D’une part, les actes pris

par les institutions ne peuvent être adoptés que dans la limite des attributions qui leur sont

conférées par les traités ; d’autre part, le système juridictionnel communautaire prévoit une

série de procédures destinées à sanctionner la violation par les institutions des dispositions du

droit primaire. Les « principes régissant la hiérarchie des normes » excluent qu’un acte de

droit dérivé puisse déroger à une disposition du traité (Tribunal de Première Instance de la

Communauté Européenne (TPICE), 10 juillet 1990, Tetra Park, T-51/89). Cette supériorité du

droit primaire sur l’ensemble des autres sources du droit communautaire est corroborée par

l’interdiction de toute révision déguisée des traités par un acte ou une pratique des institutions

ou des EM en dehors des procédures normales de révision.

B. Les rapports du droit primaire avec les autres engagements internationaux

Concernant les accords conclus par la Communauté avec des États tiers, le

principe de primauté des traités constitutifs s’impose aussi comme la conséquence logique de

leur caractère de charte constitutionnelle d’une Communauté de droit. Les risques de conflits

entre les traités conclus par la Communauté et les traités de base sont en principe résolus, en

droit de l'UE, par la procédure consultative préventive de l’art. 300, & 6 CE (ex-228, art. 218,

& 11 TFUE) ; l’avis négatif de la CJCE subordonnant la conclusion du traité à une décision

prise selon les formes de la révision ; par ailleurs la décision de conclusion d’un accord

international en violation des traités de base est susceptible d’être annulée par la Cour (9 août

26
1994, France c/ Commission, C-327/91, dans cette espèce qui concernait l’incompétence de

la Commission pour conclure un accord avec les USA en matière de concurrence, l’accord a

fait l’objet d’une nouvelle décision de conclusion prise cette fois par le Conseil, institution

compétente dans cette hypothèse pour engager la Communauté), avec le risque d’une

éventuelle mise en jeu de la responsabilité internationale de la Communauté si cette décision

ne respecte pas les règles du droit international des traités.

La question des rapports entre le droit communautaire primaire et les traités

conclus par les EM est plus complexe. Concernant les traités conclus postérieurement à

l’entrée en vigueur des traités communautaires, ils ne peuvent prévaloir sur le droit

communautaire primaire en vertu des règles de droit international relatives aux obligations

conventionnelles successives souscrites par les mêmes parties. On voit mal en effet comment

les EM pourraient conclure un accord dans des domaines dans lesquels ils ne sont plus

compétents. Toute interdiction de compétence parallèle des EM et de la Communauté a en

effet été fermement rappelée par la Cour dans ses avis 1/75 (11 novembre 1975, Arrangement

concernant une norme pour les dépenses locales) et 1/76 (26 avril 1977, Fonds européen

d’immobilisation de la navigation intérieure) en ces termes : “ Admettre une telle compétence

équivaudrait en effet à reconnaître que les EM peuvent prendre, dans les rapports avec les

pays tiers, des positions divergentes de celles que la Communauté entend assumer, et

reviendrait à fausser le jeu institutionnel, à ébranler les rapports de confiance à l’intérieur de

la Communauté et à empêcher celle-ci de remplir sa tâche, dans la défense de l’intérêt

commun ”. A l’inverse, ces mêmes règles de droit international général conduisent à ce que les

droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l’entrée en

vigueur des traités communautaires entre un ou plusieurs EM d’une part, et un ou

plusieurs États tiers d’autre part, ne peuvent être affectés par les dispositions des traités de

27
Paris et de Rome, comme le confirme l’art. 351, & 1er TFUE. Tout au plus est-il prévu qu’en

cas d’incompatibilité, les EM sont supposés recourir à “ tous les moyens appropriés pour

éliminer les incompatibilités constatées ”. Dans cette perspective, la Cour juge que les EM

sont tenus par une véritable obligation d’éliminer les incompatibilités avec le droit

communautaire primaire des engagements conclus antérieurement à l’entrée en vigueur des

traités communautaires à leur égard.

Par contre, les EM, s’ils restent tenus par les engagements souscrits à l’égard

d’États tiers, ne peuvent plus se prévaloir des droits qu’ils tirent de conventions antérieures

pour se soustraire à l’application des dispositions des traités communautaires insusceptibles

d’affecter les droits des États tiers (27 février 1962, Commission c/ Italie, 10/61, impossibilité

de faire prévaloir les droits tirés du GATT sur les règles douanières communautaires dans les

échanges intracommunautaires). Par ailleurs, l’obligation posée par l’art. 307 de ne pas

entraver l’exécution par les EM des engagements souscrits antérieurement à l’entrée en

vigueur des traités communautaires ne saurait avoir pour effet de lier la Communauté à

l’égard des États tiers concernés (14 octobre 1980, Burgoa, 812/79).

La Cour de justice de l'UEMOA a considéré que :

- Avis précité du 22 mars 1999 : la politique commerciale commune est une

compétence exclusive de l'Union ; par conséquent, « les EM ne peuvent ni individuellement,

ni collectivement négocier ou conclure des accords internationaux en matière

commerciale... » ;

- Avis précité du 19 octobre 2007 : accords de promotion et de protection des

investissements = compétences partagées entre l'Union et les EM ; ces derniers peuvent donc

continuer de conclure des accords en la matière, mais « en cas de contrariété de dispositions

entre les accords conclus individuellement et ceux conclus par l'Union, la priorité revient aux

28
accords conclus par l'Union en vertu du principe de primauté du droit communautaire sur le

droit interne... ».

C. La procédure de révision des traités

Les procédures générales de révision des traités comportent généralement trois

phases : une phase d’initiative au cours de laquelle un EM ou la Commission peut soumettre

au Conseil un projet de révision ; une phase de négociation qui débute par la décision du

Conseil prise après avis du Parlement et le cas échéant de la Commission, de convoquer une

CIG chargée de l’élaboration et de l’adoption, d’un commun accord, des amendements au

traité ; enfin, une troisième phase purement nationale, qui correspond à la ratification des

amendements par tous les EM selon leurs règles constitutionnelles respectives. Renvoyer aux

dispositions pertinentes des traités évoquées plus haut.

La voie de révision ouverte par les traités est-elle exclusive ? La question a été

débattue de savoir si les EM pouvaient réviser les traités en dehors des procédures normales

de révision. On a en effet soutenu que les traités de base comme tous les traités internationaux

pouvaient faire l’objet d’une révision d’un commun accord des parties contractantes,

conformément aux règles du droit international général. Cette position n’est pas partagée par

la Cour de justice, qui estime dans l’arrêt Defrenne du 8 avril 1976 (43/75) « qu’en effet une

modification du traité ne peut résulter – sans préjudice de dispositions spécifiques – que

d’une révision opérée en conformité avec l’art. 236 ».

Existe-t-il des limites matérielles à la révision, qui excluraient la possibilité de

modifier certaines dispositions des traités fondateurs ? Certains auteurs ont voulu voir

dans la jurisprudence de la Cour l’affirmation de valeurs supra constitutionnelles auxquelles

la révision ne pourrait porter atteinte. Dans son avis 1/91 rendu à propos de la compatibilité

du système juridictionnel institué par l’accord relatif à l’EEE avec le traité CEE, la Cour

29
soulignait que l’accord était incompatible avec l’art. 164 du traité CEE (art. 19, & 1er UE : elle

assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités). En réponse à la

question de savoir s’il pouvait être remédié à cette incompatibilité par une révision de l’art.

238 (possibilité de conclure des accords d’association avec un ou plusieurs États ou

organisations internationales ; art. 217 TFUE), la Cour affirmait : “ Toutefois, l’art. 238 du

traité CEE ne fournit aucune base pour instituer un système juridictionnel qui porte atteinte à

l’art. 164 de ce traité et, plus généralement, aux fondements même de la Communauté. Pour

les mêmes raisons, une modification de cette disposition dans le sens indiqué par la

Commission ne saurait remédier à l’incompatibilité du système juridictionnel de l’accord

avec le droit communautaire ” (14 décembre 1991). Cette affirmation paraît accréditer

l’existence de « principes méta-communautaires », de dispositions « qui ne sont pas

révisables », voire de l’« ébauche d’une supra constitutionnalité communautaire ». Pour le

professeur Jean-Paul JACQUÉ, la Cour a simplement indiqué qu’il n’était pas possible

d’altérer indirectement un élément essentiel du traité par la voie d’une révision du seul art.

238. Pour qu’une telle altération intervienne, il faudrait procéder à une révision directe de

l’art. 164. Ceci entraînerait peut-être, dans des cas extrêmes, une modification de la nature de

la Communauté, mais n’implique en rien que la révision soit impossible.

Section II : Les actes de droit communautaire dérivé

Par droit communautaire secondaire ou dérivé, on entendra les actes unilatéraux

adoptés par les institutions communautaires tels qu’ils sont prévus par les traités. Il s’agit d’un

corps de règles prises en application et pour l’application des traités. Les actes de droit

communautaire dérivé peuvent être distingués selon une typologie qui repose sur le traité. Ils

répondent cependant de règles communes.

30
& 1. La typologie des actes communautaires de droit dérivé

Stricto sensu, le droit dérivé englobe les règlements, directives, décisions,

recommandations et avis (visés à l'art. 288 TFUE). En droit communautaire africain, s'est

ajoutée une catégorie originale : celle des actes additionnels. Au-delà de l’énumération des

actes telle qu'elle figure dans les traités, la pratique a conduit au développement de toute une

série d’actes atypiques.

A. La typologie officielle

Aux termes de l’art. 9 du traité CEDEAO, tel que modifié par le protocole du 14

juin 2006, « Les actes de la Communauté sont dénommés Actes additionnels, règlements,

directives, décisions, recommandations et avis ». C'est la même typologie qui est retenue par

les traités européens, et par le traité CEMAC (art. 41, sauf règlements cadres) et par traité

UEMOA (art. 43). De manière générale, les actes additionnels sont pris par la seule

Conférence des chefs d'État et de Gouvernement (art. 40, traité CEMAC) ; tous les autres

actes peuvent être adoptés ou émis par le Conseil, alors que la Commission ne peut prendre

que des décisions ou émettre des recommandations ou avis.

1. L’acte additionnel

Art. 41, al. 1 CEMAC (9, al. 1 CEDEAO ; 19, al. 2 UEMOA) : « Les actes

additionnels sont annexés au traité de la CEMAC et complètent celui-ci sans le modifier. Leur

respect s'impose aux institutions, aux organes et aux institutions spécialisés de la

Communauté ainsi qu'aux autorités des EM ».

L'originalité de cette catégorie d'actes communautaires tient à son hybridité ou

plus clairement à son caractère à mi-chemin entre droit primaire et dérivé. Il peut d'abord se

réclamer du droit primaire : il est annexé au traité et complète celui-ci (même nature que l'acte

31
auquel il est annexé) ; il s'impose aux actes pris par les institutions et organes communautaires

comme par les autorités des EM.

Il renvoie cependant clairement au droit dérivé car il est édicté par une institution

de la Communauté (fut-elle suprême) ; il ne peut modifier le traité et n'est pas subordonné,

pour son entrée en vigueur, à la ratification par l'ensemble des EM selon leurs règles

constitutionnelles respectives.

La Cour de justice de l'UEMOA, arrêt n° 03/2005 du 27 avril 2005, Eugène Yaï c/

Conférence des chefs d'État et de Gouvernement et Commission de l'UEMOA, a considéré que

« c'est un acte communautaire spécifique » et « qu'en exigeant de l'acte additionnel de ne pas

modifier le traité qu'il complète, le législateur communautaire a entendu soumettre à la

conformité à celui-ci ». La Cour a en l'espèce conclu qu'elle est compétente pour apprécier la

légalité d'un acte additionnel à caractère individuel (nomination) ; ce qui laisse en suspens la

question du contrôle des actes additionnels à portée générale ou réglementaire (ceux mettant

en place ou fixant l'organisation et le fonctionnement de certaines institutions ou organes).

Quant à la Cour de justice de la CEMAC, elle a implicitement mais clairement

réfuté l’appartenance des actes additionnels au droit primaire. En effet, à propos d’une

demande d’avis du Président de la Commission sur l’interprétation de l’article 13 de la

convention régissant la Cour de justice communautaire, la Cour a souligné que « …les

conventions faisant partie du traité, les actes additionnels ne peuvent que les compléter sans

les modifier ». Par conséquent, les articles de l’acte additionnel en cause, qui modifiaient les

stipulations de l’article 13 susmentionné, sont entachés d’illégalité (Avis n° 001/2008 du 17

avril 2008).

32
2. Le règlement communautaire

Le 2e alinéa de l’art. 41 CEMAC stipule clairement que : « Les règlements […]

ont une portée générale. [Ils] sont obligatoires dans tous leurs éléments et directement

applicables dans tout EM » (idem, art. 43, al. 1 UEMOA).

C’est l’acte qui manifeste la substitution radicale de la réglementation

communautaire à la réglementation nationale ; il est considéré comme l’instrument privilégié

de la fonction législative communautaire, ce d’autant plus que c’est à son propos que la Cour

de justice a utilisé l’expression de « pouvoir législatif de la Communauté » (17 décembre

1970, Köster, 25/70).

Il a une portée générale parce qu’il s’applique de manière abstraite à toutes les

personnes qui entrent dans son champ d’application. Il s’oppose ainsi à la décision de l’art.

41, al. 4 CEMAC (43, al. 3 UEMOA) qui est un acte à caractère particulier ; d’où l’indication

suivante de la Cour de justice : “ les traits essentiels de la décision résultent de la limitation

des destinataires auxquels elle s’adresse, alors que le règlement, de caractère essentiellement

normatif, est applicable non à des destinataires limités, désignés et identifiables, mais à des

catégories envisagées abstraitement et dans leur ensemble ” (14 décembre 1962, Fédération

nationale de la boucherie, aff. jointes 19-22/62).

Le règlement est obligatoire dans tous ses éléments. Il est obligatoire, ce qui

permet de le distinguer des actes dépourvus d’effets juridiques contraignants

(recommandations et avis qui « ne lient pas »). Il l’est dans tous ses éléments, ce qui l’oppose

à la directive qui ne lie que « quant au résultat ». Il prescrit non seulement une obligation de

résultat, mais peut également imposer des obligations extrêmement détaillées. Il en résulte

l’obligation d’appliquer le règlement, tout le règlement et rien que le règlement. Autrement

dit, l’intensité normative complète du règlement exclut toute application partielle ou sélective,

33
de même que toute modification ou adjonction, voire toute édiction de règles obligatoires

susceptibles d’affecter le contenu ou la portée de l’acte.

Le règlement est directement applicable dans tout EM. Les règlements sont

donc investis de l’immédiateté normative, en ce sens qu’ils produisent, dès la date de leur

entrée en vigueur, leurs effets juridiques dans les ordres juridiques nationaux sans

interposition d’aucune mesure nationale de réception, de transposition, voire de publication,

au risque de faire obstacle à leur effet direct et de compromettre ainsi leur application

simultanée et uniforme dans l’ensemble de la Communauté. Le règlement s’adresse

directement aux sujets de droit interne des EM et il ne saurait avoir pour destinataires

exclusifs les seuls États et institutions. Autrement dit, le règlement engendre par lui-même des

droits et des obligations pour les particuliers eux-mêmes : « en raison de sa nature même et de

sa fonction dans le système des sources de droit communautaire, il produit des effets

immédiats et est, comme tel, apte à confier aux particuliers des droits que les juridictions

nationales ont l’obligation de protéger » (14 décembre 1972, Politi, 43/71). Les particuliers

peuvent faire valoir les droits et obligations créés par un règlement tant à l’égard des autorités

nationales (effet direct vertical) qu’à l’égard d’autres particuliers (effet direct horizontal).

En droit communautaire CEMAC existe la catégorie des règlements cadres qui

ont, comme les règlements, une portée générale. A la différence cependant des règlements,

« ils ne sont directement applicables que pour certains de leurs éléments » (41, al. 2). Quant à

l'UEMOA, l'article 24 du traité révisé stipule que « le Conseil peut déléguer à la Commission

l'adoption des règlements d'exécution des actes qu'il édicte. Ces règlements d'exécution ont la

même force juridique que les actes pour l'exécution desquels ils sont pris ». A notre

connaissance, cette catégorie d’actes de droit communautaire dérivé n’a jamais été utilisée

dans le cadre de la CEMAC.

34
3. La directive communautaire

Art. 41, al. 3 CEMAC : « Les directives lient tout EM destinataire quant au

résultat à atteindre, tout en laissant aux autorités nationales la compétence en ce qui

concerne la forme et les moyens ». Art. 43, al. 2 UEMOA : « Les directives lient tout EM

quant aux résultats à atteindre ».

A la différence du règlement, la directive est l’instrument adapté aux hypothèses

dans lesquelles les EM restent titulaires de la compétence normative, la Communauté ne

disposant que d’une compétence d’harmonisation des législations et réglementations

nationales. Il en résulte que la directive renvoie à une méthode législative à double détente,

combinant l’adoption d’un acte communautaire fixant les objectifs à atteindre et la

transposition par un acte national destiné à traduire ces objectifs dans le droit interne de

chaque EM. Il s’agit sans doute de l’acte de droit dérivé qui révèle le plus nettement la

contradiction entre le souci d’assurer une application uniforme des règles communautaires et

la volonté de respecter l’autonomie institutionnelle et procédurale des EM.

Portée de la directive. Sur le plan juridique, les directives apparaissent, à la

différence des règlements, comme des actes à caractère individuel qui ne lient que le ou les

EM destinataires. La pratique conduit néanmoins à nuancer notablement cette assertion : les

directives sont le plus souvent adressées à l’ensemble des EM et sont donc destinées à

produire leurs effets sur l’ensemble du territoire communautaire, au point que le juge

communautaire lui-même a pu parler d’« acte de portée générale » (22 février 1984,

Kloppenburg, 70/83).

Intensité normative de la directive. En principe, la directive lie les EM quant au

résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et

aux moyens. Elle fixe donc seulement une obligation de résultat. Dans la pratique, la tendance

35
rédactionnelle de la Commission et du Conseil s’est en effet orientée, pour des raisons

d’uniformité d’application des règles communes, vers un degré de précision des directives qui

laisse peu de marge d’appréciation aux EM quant aux moyens de mise en œuvre.

Effet direct de la directive. Silence de l’art. 41, al. 3 CEMAC concernant cet

effet direct. La doctrine estimait généralement par voie de conséquence que la directive était

dépourvue d’effet direct, d’autant plus que l’intervention des autorités nationales quant à la

forme et aux moyens était censée faire écran entre l’acte communautaire et le justiciable, qui

n’était directement affecté que par la mesure nationale. Il a été cependant admis que dans

certaines conditions, les dispositions des directives soient susceptibles de créer des droits

invocables en justice devant les tribunaux nationaux même si cet effet direct, cantonné à un

effet « vertical », demeure à la fois exceptionnel et limité. Notons que la pénétration des

directives dans l’ordre juridique interne n’est pas subordonnée à une mesure de réception du

droit national : la directive est intégrée dans l’ordre interne des EM dès sa publication au

Bulletin officiel, au même titre qu’un règlement, mais elle ne déploiera son plein effet que par

l’intermédiaire de la mesure nationale de transposition. De même, les directives entrent en

vigueur à la date qu’elles fixent ou à défaut le vingtième jour qui suit leur publication, et non

au terme du délai imparti aux EM pour assurer leur transposition en droit interne.

L’obligation de transposer les directives. Disons d’emblée que l’opération de

transposition consiste dans l’adoption par les autorités nationales compétentes, dans le délai

imparti, des mesures nationales nécessaires à l’application, dans l’ordre juridique interne, des

normes établies par la directive. Il s’agit d’une obligation de faire qui peut comprendre une

obligation négative (abroger ou modifier le droit national incompatible avec le droit

communautaire) et une obligation positive (adopter les règles indispensables à la réalisation

des objectifs de la directive).

36
L’existence d’une pratique administrative conforme aux exigences de la directive,

voire d’une interprétation juridictionnelle constante conforme aux exigences de la directive,

n’exonère pas l’État de son obligation de transposition formelle. En effet, une pratique ou une

jurisprudence ne présentent pas les garanties de stabilité et de publicité nécessaires à la pleine

efficacité de la directive.

Le choix de l’instrument de transposition. L’art. 41, al. 3 CEMAC reconnaît

aux EM la compétence de choisir la forme et les moyens qui conformément à leurs règles

internes, sont les mieux adaptés pour assurer la réalisation des objectifs fixés par la directive.

Cette compétence est néanmoins encadrée, afin de garantir l’application effective et uniforme

de la directive dans tous les EM. La transposition doit être effectuée par un acte

« contraignant », à caractère « normatif », équivalant à celui qui aurait été pris en droit interne

pour réaliser spontanément un objectif analogue. Le recours à la loi est indispensable dès lors

que la transposition de la directive suppose l’abrogation ou la modification de dispositions

législatives existantes, ou impose l’adoption de dispositions fiscales ou pénales, impliquant

généralement l’intervention parlementaire. Il est concevable que soit utilisée la procédure des

ordonnances de l’art. 28 de la Constitution. La transposition par voie de circulaire ou de note

de service interne à l’administration s’avère cependant insuffisante pour remplir les conditions

de publicité, de sécurité juridique et d’opposabilité aux administrés imposés par l’application

effective de la directive.

Le délai de transposition. Le respect du délai de transposition fixé par la

directive est une obligation dont les EM ne peuvent s’affranchir, au risque de compromettre

l’applicabilité uniforme des normes communautaires. Il est donc proscrit de laisser passer le

délai sans adopter les mesures de transposition requises. En principe, on ne peut reprocher aux

EM de ne pas avoir transposé la directive tant que le délai n’est pas expiré. Cependant, il pèse

37
sur ces États, pendant le délai imparti pour la transposition, une exigence de « loyauté », qui

s’analyse comme l’obligation de « s’abstenir de prendre des dispositions de nature à

compromettre sérieusement le résultat » prescrit par la directive, obligation qui devrait être

sanctionnée par les juridictions nationales sur le terrain de l’annulation des mesures de

transposition non conformes (CJCE, 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie).

L’obligation de transparence. Les directives comportent systématiquement une

disposition finale imposant aux EM de transmettre à la Commission des indications sur l’État

du droit national dans le domaine considéré et sur les mesures prises en vue d’assurer la

transposition de la directive. Cette transparence permet notamment à la Commission de

contrôler la transposition correcte en droit interne. Par ailleurs, le plus souvent, la directive

comporte l’obligation pour les destinataires de faire mention de la directive dans l’acte de

transposition ; ce qui implique un acte positif de transposition.

Les exigences substantielles de transposition. Il s’agit de l’obligation d’assurer

matériellement la compatibilité du droit national avec les objectifs des directives

communautaires.

Il en est ainsi notamment de l’obligation d’atteindre effectivement le résultat

prescrit par la directive. Les autorités nationales se voient interdire d’introduire des

dérogations ou des exceptions non prévues par la directive, ou de procéder à une mise en

œuvre partielle ou sélective, ou de modifier le contenu normatif de la directive. La

transposition doit être intégrale, même si la directive vise des activités inexistantes de fait

dans l’EM concerné.

L’effet utile attaché aux directives suppose également que toutes les autorités

publiques assurent, chacune dans le cadre de sa compétence, la mise en œuvre des

dispositions de la directive. La directive communautaire diffuse son effet obligatoire non

38
seulement à l’égard des services centraux et extérieurs des administrations centrales, mais

également auprès des autorités déconcentrées de l’État ou auprès des collectivités publiques

autonomes ou décentralisées. C’est ainsi que les États fédérés des EM fédéraux, les

collectivités territoriales décentralisées, sont soumises à l’obligation de respecter les

dispositions des directives communautaires, dans la mesure où il serait inadmissible que l’État

“ fasse écran ” entre les institutions communautaires et les collectivités territoriales

(matérialisation du principe de l’unité de l’État en droit communautaire).

Enfin, les contraintes imposées aux EM dans la mise en œuvre des directives

comprennent l’obligation, pour les autorités de transposition comme pour les autorités

d’application, de faire en sorte que les mesures prises dans le champ de la directive respectent

non seulement la directive elle-même, mais également l’ensemble du droit communautaire en

vigueur.

4. La décision

L’art. 43, al. 4 CEMAC stipule que : « Les décisions sont obligatoires dans tous

leurs éléments pour les destinataires qu’elles désignent » (idem, art. 43, al. 3 UEMOA). (Art.

288, al. 4 TFUE : « La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu’elle désigne

destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux-ci »).

Il s’agit d’une mesure d’exécution administrative, destinée à mettre en œuvre dans

des cas individuels une compétence communautaire. C’est donc un acte à portée individuelle,

dont les destinataires peuvent être soit un EM (ex : décisions de la Commission se prononçant

sur la compatibilité avec le traité des aides publiques aux entreprises au titre des règles de

concurrence applicables aux États ; décisions relatives à l’éligibilité des demandes nationales

au bénéfice des financements des fonds structurels), soit une personne physique ou morale

(ex : décisions adressées par la Commission aux entreprises en vertu des pouvoirs de contrôle

39
des ententes ou des abus de position dominante dans le cadre des règles de concurrence

applicables aux entreprises).

L’instrument de la décision peut à titre exceptionnel être utilisé, dans les cas

prévus par les traités, sous forme de décision adressée à tous les EM ; il s’agit là d’une

technique de législation indirecte se rapprochant dans une certaine mesure de la directive.

Cependant, à la différence de cette dernière, la décision est obligatoire dans tous éléments, ce

qui implique que les éventuelles mesures nationales d’exécution se limitent à l’exercice d’une

compétence liée. La décision est d’effet direct à l’égard de ses destinataires dans la mesure où

elle crée directement des droits et/ou des obligations dans leur patrimoine juridique. En outre,

les décisions adressées aux EM sont susceptibles, le cas échéant, d’engendrer des droits dans

le chef des particuliers, c’est-à-dire de produire un effet direct analogue à celui reconnu dans

certaines conditions aux directives communautaires (effet direct vertical).

5. Les recommandations et avis

Selon l’art. 41 CEMAC, in fine « Les recommandations et les avis ne lient pas »

(art. 43, al. 4 UEMOA : « Les recommandations et les avis n'ont pas de force exécutoire ».

Il s’agit là d’actes non obligatoires et donc dépourvus de force contraignante. Ce

sont des instruments d’orientation, invitant leur destinataire à adopter une ligne de conduite

déterminée. Ils peuvent intervenir dans des domaines où la Communauté ne dispose pas de

compétence normative, ou dans les secteurs où l’adoption de mesures à caractère contraignant

est subordonnée à l’achèvement d’une période de transition, la recommandation ou l’avis

permettant alors de préparer l’EM destinataire à la survenance d’une obligation formelle.

L’efficacité du recours à ces instruments ne doit pas être sous-estimée, dans la mesure où ils

sont dotés d’une portée politique certaine, et peuvent le cas échéant produire des effets

juridiques indirects : la Cour de justice a estimé que les juridictions nationales devaient

40
utiliser la recommandation comme instrument d’interprétation de mesures nationales adoptées

pour leur mise en œuvre ou lorsqu’elle vient à l’appui d’autres mesures communautaires de

caractère contraignant (13 décembre 1989, Grimaldi).

Il convient tout de même de préciser qu'il existe plusieurs catégories d'avis : les

moins contraignants sont les avis simples ; on trouve par ailleurs des avis obligatoires (budget

de la Communauté, politiques sectorielles communes, procédure d'élection des membres du

Parlement, impôts, taxes et tous prélèvements communautaires) et les avis conformes

(adhésion de nouveaux membres, accords d'association avec les États tiers, droit

d'établissement, libre circulation des personnes, des biens et des services), par exemple du

Parlement de la CEMAC (art. 25 convention).

B. Les actes atypiques et hors nomenclature

Présenter d'abord la notion et mettre en exergue la pluralité de ces actes.

1. La notion

La nomenclature prévue par les traités n’exclut pas l’existence d’autres formes

d’actes juridiques adoptés par la Commission et le Conseil. Dans la pratique, les institutions

ont recours à divers actes qui ne sont pas mentionnés dans cet article. Certains auteurs ont

utilisé à cet égard la qualification de sources secondaires : une série d’actes relativement

hétérogènes, qui échappent à la qualité de « droit dérivé » stricto sensu, même s’ils

constituent à n’en point douter de véritables sources du droit communautaire. Cela concerne

notamment des actes qu’on peut qualifier d’« atypiques », comprenant à la fois les actes

unilatéraux « hors nomenclature » pris par les institutions et les actes « conventionnels »

procédant de l’accord entre institutions.

Cette catégorie d’actes a fait l’objet d’une reconnaissance par le juge

communautaire en zone CEMAC, dans l’arrêt du 31 mars 2011, Banque Atlantique du

41
Cameroun. En effet, à propos d’un protocole d’accord faisant office de plan de restructuration

d’un établissement bancaire, la Cour a mis en évidence que : « Attendu qu’il va sans dire que

le contrôle de la légalité ne se limite pas aux actes communautaires figurant dans la

nomenclature (prévue par le traité), mais s’étend à d’autres actes communautaires

innommés ».

2. La pluralité de ces actes

Nous présenterons ci-après principalement la situation existant en droit

communautaire européen.

Les accords interinstitutionnels. La pratique communautaire a mis en place

toute une série d’actes exprimant des engagements réciproques des institutions, qui présentent

une assez grande diversité à la fois quant à leur dénomination ou à leur forme, et quant à

leur objet.

Sur le plan de la forme, il peut s’agir tout d’abord d’accords non écrits, dont la

teneur résulte de la rencontre des volontés exprimées par des déclarations concordantes

émanant de deux ou plusieurs institutions, ou encore d’échanges de lettres entre les présidents

des institutions : les relations entre le Parlement et la Commission, ou entre le Parlement et le

Conseil, sont largement organisées sur la base de ce type d’accords informels. On trouve

ensuite des déclarations signées conjointement par le Parlement, le Conseil et la Commission,

et publiées au JOCE, le plus souvent sous la dénomination de « déclarations communes ».

Enfin, il peut s’agir de véritables accords interinstitutionnels, désignés comme tels.

Quant à leur objet, il permet de distinguer différentes catégories. Une première

série de déclarations communes ou d’accords interinstitutionnels vise à organiser les rapports

de coopération entre institutions communautaires en complétant ou en précisant les

mécanismes établis par les traités : accords relatifs à la procédure budgétaire (accord

42
interinstitutionnel du 6 mai 1999 sur la discipline budgétaire et l’amélioration de la procédure

budgétaire) ou aux processus de collaboration institutionnelle (accords interinstitutionnels du

25 octobre 1993 sur les procédures pour la mise en œuvre du principe de subsidiarité,

concernant le Médiateur, sur le déroulement des travaux du comité de conciliation dans le

cadre de la procédure de codécision), qui peuvent engager deux institutions (code de conduite

de 1990 ou de 1995 sur la collaboration interinstitutionnelle entre le Parlement et la

Commission). Une deuxième série s’attache à formaliser une position commune des

institutions sur une question jugée fondamentale, comme les déclarations communes en

matière de droits de l’homme (1977, sur les droits fondamentaux ou de 1986 sur le racisme et

la xénophobie ; la Charte des droits fondamentaux a été publiée au JOCE comme accord

institutionnel du Parlement européen, du Conseil et de la Commission).

La valeur juridique des conventions interinstitutionnelles demeure controversée.

Les institutions qui ont y recours ont souvent tendance à y voir seulement « une déclaration

d’intention de caractère politique qui lie les trois institutions politiquement et moralement,

entre elles-mêmes et vis-à-vis du public, sans pour autant constituer une obligation juridique

en tant que telle ». Pour autant, la Cour a admis assez prudemment que de tels actes puissent

produire des effets juridiques entre institutions (12 mai 1998, RU c/ Conseil). Même si la

Cour de Luxembourg a estimé que les accords exprimant une coordination volontaire entre

institutions ne pouvaient par eux-mêmes créer des effets juridiques obligatoires pour les tiers,

et donc n’étaient pas des actes susceptibles de recours en annulation ; il faut reconnaître que la

jurisprudence fournit de nombreux exemples de référence directe par le juge communautaire

aux dispositions issues d’accords interinstitutionnels. Aussi peut-on évoquer la condamnation

du Conseil pour violation de l’obligation de coopération interinstitutionnelle, telle qu’elle était

mise en œuvre dans un arrangement entre le Conseil et la Commission relatif à la

43
représentation de la Communauté au sein des organes de la FAO (19 mars 1996, Commission

c/ Conseil). On peut parler d’une pratique constante des institutions qui ne peut en aucun cas

déroger aux règles du traité et constituer un précédent contra legem.

L’introduction pour la première fois d’une mention des accords interinstitutionnels

dans une déclaration relative à l’art. 10 CE annexée au traité de Nice de 2001 renforce

incontestablement leur portée. Cette déclaration précise le fondement de ces accords, qui

réside dans le principe de coopération loyale. En outre, elle institue un encadrement de ces

actes, en définissant leur objectif, les trois institutions signataires ne pouvant y recourir que

dans le but de faciliter l’application des traités, sans pouvoir modifier ou compléter leurs

dispositions. En somme, cette déclaration concilie un double objectif : elle propose un cadre

juridique précisant les fondements et les conditions du recours à ces actes, tout en maintenant

une souplesse nécessaire à l’organisation des relations interinstitutionnelles communautaires.

Il faut enfin préciser que le traité de Lisbonne de 2007 vise à institutionnaliser les

accords interinstitutionnels dans l’article 295 TFUE : « Le PE, le Conseil et la Commission

procèdent à des consultations réciproques et organisent d’un commun accord les modalités de

leur coopération. A cet effet, ils peuvent, dans le respect des traités, conclure des accords

interinstitutionnels qui peuvent revêtir un caractère contraignant ».

Les communications de la Commission. Elles correspondent le plus souvent au

souci de la Commission de fixer sa « doctrine » générale dans les domaines où elle dispose du

pouvoir de prendre des mesures individuelles au cas par cas (concurrence, aides publiques),

ou de déclencher la procédure de manquement en vue de faire constater les violations du droit

communautaire par les EM (libre circulation des marchandises, libre circulation des

personnes). Par ailleurs, la Cour de justice a admis que de tels actes étaient susceptibles de

produire des effets contraignants : 24 mars 1993, CIRFS, la « discipline » établie par une

44
lettre de la Commission en matière d’aides publiques dans le secteur textile, ne peut être

modifiée par une décision individuelle ; TPICE, 30 avril 1998, Cityflyer Express Ltd, T-16/96

et Het Vlaamse Gewest, T-214/95, les « lignes directrices » contenues dans une

communication de la Commission étaient opposables aux justiciables pour autant qu’elles

étaient conformes aux dispositions des traités ; et a reconnu qu’ils pouvaient faire l’objet d’un

recours en annulation dès lors qu’ils produisaient des effets juridiques à l’égard des tiers (16

juin 1993, France c/ Commission). Cependant, de tels actes ne doivent pas être de nature à

imposer de nouvelles obligations aux EM en se substituant à l’acte contraignant qui aurait pu

être adopté selon les règles du traité ; ils seraient annulés pour incompétence (20 mars 1997,

France c/ Commission).

Les actes « informels » des institutions. Il s’agit d’actes des institutions non

prévus par les traités, et qui sont nés de la pratique institutionnelle et ont été qualifiés de façon

extrêmement diverse : dénominations renvoyant à une fonction programmatique (programmes

d’action, livres blancs, livres verts, codes de conduite, etc.) ; celles renvoyant à une fonction

déclaratoire (résolutions, déclarations, délibérations, conclusions, procès-verbaux, etc.). Cette

extrême diversité va de pair avec une incertitude juridique manifeste. En règle générale, ces

actes ont vocation à exprimer une position ou un engagement politique, et ne sont pas

susceptibles comme tels de produire des effets de droit (simples documents préparatoires de

futurs actes obligatoires). Pour autant, la CJCE a estimé que de tels instruments pouvaient le

cas échéant engendrer des effets juridiques, dès lors que l’auteur de l’acte en manifestait

clairement l’intention. C’est ainsi que certaines délibérations ou résolutions du Conseil ont été

considérées comme liant les institutions et/ou les EM (4octobre 1979, France c/ RU).

Nonobstant les critiques qui lui ont été adressées, cette pratique persiste ; on peut d’ailleurs la

rapprocher de la plupart des positions arrêtées par le Conseil européen (Conférence des chefs

45
d'État et de Gouvernement en droit communautaire africain), qui ne sont traduites

qu’ultérieurement en actes communautaires formels.

& 2. Le régime juridique des actes communautaires de droit dérivé

Les règles communes relatives au régime juridique des actes découlent,

notamment en ce qui concerne la publicité et l’entrée en vigueur, du traité lui-même et des

règlements intérieurs des institutions.

Le droit communautaire impose tout d’abord le respect, à peine de nullité, d’un

certain nombre d’exigences formelles. Il en est ainsi d'abord de l'obligation de motivation des

actes : art. 44 UEMOA « Les règlements, les directives et les décisions du Conseil et de la

Commission sont dûment motivés » (voir aussi, art. 42 CEMAC). Il s'agit d'une obligation

générale de motivation à la fois pour donner aux administrés les moyens de faire valoir leurs

droits et pour fournir au juge les éléments nécessaires à l’exercice de son contrôle. Le degré

de précision auquel est assujettie la motivation dépend de la nature et de la portée des mesures

concernées.

Ensuite l’application d’un acte communautaire est subordonnée à une publicité

préalable qui conditionne son opposabilité aux administrés (CJCE, 25 janvier 1979, Racke).

C’est ainsi que l'article 43 CEMAC précise-t-il que les actes additionnels, les règlements et

les règlements cadres sont publiés au Bulletin officiel de la Communauté, et sont également

publiés aux JO des EM ; alors que les directives et décisions sont notifiées à leurs

destinataires (voir aussi art. 45 UEMOA).

L’entrée en vigueur des actes communautaires peut être soit fixée par les auteurs

de l’acte, soit intervenir à défaut, en vertu de l’art. 43 CEMAC précité, le vingtième jour

suivant leur publication. L’entrée en vigueur et l’application différées sont souvent préférées à

l’entrée en vigueur immédiate au jour de la publication, qui demeure exceptionnelle. Quant

46
aux directives et décisions, elles prennent effet le lendemain de leur notification à leurs

destinataires.

Le droit communautaire consacre par ailleurs le principe d’application immédiate

des réglementations nouvelles, y compris aux effets actuels et futurs des situations nées sous

l’empire de la réglementation précédente, sous réserve de respecter l’équilibre entre l’absence

de droits acquis au maintien d’une législation existante et la protection de la confiance

légitime des opérateurs économiques. Le PG de sécurité juridique exclut normalement

l’application rétroactive des normes communautaires, sauf, « à titre exceptionnel, lorsque le

but à atteindre l’exige et que la confiance légitime des intéressés est dûment respectée »

(respect du principe de prohibition de toute rétroactivité en matière pénale : 10 juillet 1984,

Kirk), et à l’exception des règles purement procédurales qui, selon une solution traditionnelle,

s’appliquent aux situations juridiques antérieures à leur entrée en vigueur.

La jurisprudence communautaire a également construit un régime du retrait et de

l’abrogation inspiré par les principes applicables au niveau national : le retrait des actes

créateurs de droits est licite dans un « délai raisonnable » et exclusivement pour illégalité, et

sous réserve d’une confrontation de l’intérêt public et des intérêts privés en cause ; le retrait

des actes non créateurs de droits est également possible dans un délai raisonnable ;

l’abrogation est licite dans les conditions prévues pour l’adoption d’une réglementation

nouvelle dépourvue d’effets rétroactifs.

Section III : Les normes d’origine externe en droit communautaire

Il s'agit de mettre en valeur l'activité conventionnelle de la Communauté, et donc

sa participation aux relations internationales. En effet, différentes catégories d’engagements

extérieurs des Communautés constituent des sources de droit dans l’OJC, où elles s’insèrent

avec un rang spécifique tout comme le droit international général.

47
& 1. Les accords conclus par la Communauté avec des Etats tiers ou des

organisations internationales

Font-ils partie de l’OJC ? Si oui, quelle est leur place dans la hiérarchie des

normes communautaires ?

A. L’intégration des accords dans l’OJC

En droit communautaire africain, et en application de la personnalité juridique

reconnue aux Communautés, il est de principe que ces dernières puissent conclure des accords

de coopération avec des États tiers ou des organisations internationales (art. 13, al. 2 et 84

UEMOA ; 8, al. 1 et 3 et 34, alinéa 2 CEMAC ; 83, al. 1 CEDEAO). Mais ces traités sont très

souvent silencieux sur le processus d'insertion de ces accords dans l'ordre juridique

communautaire, hors la précision sur l'obligation de leur conclusion ou de leur approbation

par le Conseil. Par conséquent, l'on se résoudra à mettre en valeur la situation, telle qu'elle se

présente en droit communautaire européen.

Aux termes de l’art. 216, & 2 TFUE : « Les accords conclus selon les conditions

fixées au présent article lient les institutions de la Communauté et les EM ». A travers cette

formule, il est clair que les accords conclus par la Communauté avec des États tiers ou des

organisations internationales pénètrent dès leur conclusion dans l’ordre juridique

communautaire et constituent des sources à part entière du droit communautaire. Ainsi la

Cour a-t-elle affirmé dans l’arrêt Haegeman du 30 avril 1974 que « les dispositions de

l’accord forment partie intégrante, à partir de l’entrée en vigueur de celui-ci, dans l’OJC ».

Cette intégration dans l’OJC ne vaut que si l’accord a été publié et elle ne prend effet qu’à la

date d’entrée en vigueur de l’accord. En tout état de cause, il faut dire que la Communauté est

moniste en ceci que les accords internationaux font partie de l’OJC sans qu’il soit besoin

qu’intervienne une mesure interne de transposition ou de transformation (les étudiants devront

48
se remémorer, à l’occasion, la distinction classique entre théories moniste et dualiste dans les

rapports entre droit international et droit interne).

On peut en dire de même de certains actes unilatéraux pris par les organes de

certains accords externes des Communautés. En effet, nombreux sont les accords ou les

conventions conclus par la Communauté avec les États tiers qui instituent des organes de

gestion et leur confèrent le pouvoir d’adopter des actes obligatoires unilatéraux, c’est-à-dire

qui n’ont pas besoin d’une ratification ou d’une approbation pour lier les parties (ex : Conseils

des accords d’association ou de coopération avec les pays de la Méditerranée ; conseil des

ministres de la Convention de Cotonou, etc.). La pratique générale consiste à reprendre

systématiquement de tels actes dans des règlements communautaires en annexe desquels ils

sont publiés au JOUE. Cette pratique des institutions a introduit quelques doutes sur leur

qualité de sources autonomes du droit communautaire. Mais, il faut bien reconnaître que le

doute n’est plus de mise depuis l’affirmation jurisprudentielle selon laquelle : “ du fait de leur

rattachement direct à l’accord qu’elles mettent en œuvre, les décisions du Conseil

d’association font, au même titre que l’accord lui-même, partie intégrante, à partir de leur

entrée en vigueur, de l’OJC ” (20 septembre 1990, Sevince).

B. La place des engagements externes dans l’OJC

Comme on l’a dit plus haut les accords conclus par la Communauté doivent être

considérés comme subordonnés au droit originaire. En revanche, à partir du moment où l’art.

216, & 2 TFUE précité stipule que ces accords lient les institutions communautaires, ces

engagements externes et les actes unilatéraux pris en application occupent dans la hiérarchie

des normes une place supérieure à celle du droit dérivé. Autrement dit, le droit issu des

engagements externes s’insère dans la hiérarchie de l’OJC à un rang inférieur au droit

communautaire primaire, mais supérieur au droit communautaire dérivé. Le caractère

49
subordonné du droit dérivé aux engagements externes implique que ce droit soit interprété

conformément aux dispositions d’un accord, et peut conduire à l’annulation d’un acte

contraire aux dispositions d’un accord, ou à l’engagement de la responsabilité de la

Communauté en cas de violation des dispositions de l’accord.

La Cour de justice de justice de l'UEMOA (avis n° 01/2007 du 19 octobre 2007

précité) a pour sa part considéré que, si les EM et l'Union ont des compétences partagées dans

le domaine des accords de promotion et de protection des investissements, « en cas de

contrariété de dispositions entre accords conclus individuellement et ceux conclus par

l'Union, la priorité revient aux accords conclus par l'Union en vertu du principe de la

primauté du droit communautaire sur le droit interne et du principe de coopération [loyale]

prévus respectivement aux articles 6 et 7 du traité ».

& 2. La succession aux accords internationaux conclus par les EM

En principe les accords conclus par les EM ne lient que ces derniers et ne

s’imposent pas à la Communauté. Cette dernière a néanmoins l’obligation de ne pas entraver

l’exécution des engagements conclus antérieurement à l’entrée en vigueur des traités

communautaires. Cette obligation ne vaut que pour autant qu’il s’agisse de « permettre à

l’EM concerné d’observer les engagements qui lui incombent en vertu de la convention

antérieure sans, pour autant, lier la Communauté à l’égard de l’Etat intéressé ” (CJCE, 14

octobre 1980, Burgoa).

Cependant, la Cour a admis dans certaines hypothèses exceptionnelles que la

Communauté pouvait être liée par certaines obligations conventionnelles souscrites par les

EM antérieurement à la conclusion des traités communautaires. Ainsi en est-il du GATT, dont

tous les EM sont parties. La Cour constate tout d’abord que les EM n’ont pas entendu se

dégager des obligations souscrites à l’égard des autres parties contractantes du GATT, et

50
qu’ils ont au contraire manifesté leur volonté de respecter les buts et les stipulations de

l’Accord général (art. 351 TFUE). Le juge communautaire estime ensuite que le transfert de

compétences opéré en matière douanière au profit de la Communauté impliquait

nécessairement que cette dernière fut liée par les dispositions de l’Accord général (12

décembre 1972, International Fruit). Cette solution n’a plus qu’un intérêt historique puisque

la Communauté est devenue partie à l’accord sur l’OMC qui a succédé au GATT.

En droit communautaire ouest-africain, la Cour de justice de l'UEMOA (avis n°

002/2000 du 22 mars 1999 précité) a précisé qu'en application de l'article 84 du traité, l'Union

dispose d'une compétence exclusive en matière de politique commerciale commune tant

intérieure qu'extérieure ; que par conséquent, « sous peine de violation de l'article 7 du traité

[principe de coopération loyale], les EM ne peuvent ni individuellement, ni collectivement

négocier ou conclure des accords internationaux en matière commerciale... ».

Par ailleurs, l'article 84 du traité CEDEAO règle la question de l'articulation entre

accords internationaux de la Communauté et engagements internationaux des EM. En effet,

son paragraphe 1 précise que les EM peuvent conclure des accords internationaux « à

condition que ces accords ne soient pas incompatibles avec les dispositions du présent

traité ». Quant au paragraphe 2, il concerne les accords conclus antérieurement à l'entrée en

vigueur du traité ; en cas d'incompatibilité avec ce dernier, « le ou les EM concernés

prendront toutes les mesures nécessaires pour éliminer les incompatibilités constatées ».

& 3. Les principes et règles du droit international coutumier

Là aussi, la situation ne s'est pour l'instant principalement présentée en droit

communautaire européen. En effet, la Cour n’avait à sa disposition aucune clause expresse du

traité CE pour reconnaître que les règles du droit international général font partie de l’OJC.

Ceci étant, dans son arrêt Poulsen et Diva Navigation du 24 novembre 1992, la Cour de

51
Luxembourg a, pour la première fois, imposé à la Communauté, dans l’exercice de ses

compétences de pêche, le respect de conventions internationales, bien que celles-ci ne lient

pas formellement la Communauté. Cela n’a cependant été possible que dans la mesure où ces

conventions « codifient des règles générales consacrées par la coutume internationale » ou

« sont considérées comme l’expression du droit international maritime coutumier ».

C’est sur la base de ce principe que la Cour fait largement application comme

source du droit communautaire des règles du droit international des traités. A cet égard, les

arrêts rendus par le TPICE dans l’affaire Opel Austria c/ Conseil (22 janvier 1997) et par la

Cour dans l’affaire Racke (16 juin 1998) révèlent une évolution notable dans le sens de la

reconnaissance de l’autorité des normes de droit international coutumier. Dans le premier cas,

le Tribunal avait reconnu, sur la base du droit international des traités, l’existence d’une

obligation de bonne foi pesant sur les parties contractantes entre la signature et la conclusion

d’un accord (codifiée par l’art. 18 des conventions de Vienne de 1969 et de 1986 sur le droit

des traités) ; principe qui « lie la Communauté ». Dans l’espèce Racke, la Cour a reconnu

explicitement le caractère obligatoire en droit communautaire des règles coutumières

internationales, en ces termes : « les règles du droit coutumier international portant sur la

cessation et la suspension des relations conventionnelles en raison d’un changement

fondamental de circonstances lient les institutions de la Communauté et font partie de

l’OJC ».

De façon récente, le TPICE a pris en compte les règles supérieures du droit

international général relevant du jus cogens (droits fondamentaux des particuliers) : 21 sept.

05, Yusuf c/ Conseil et Commission, confirmé par 12 juillet 2006, Ayadi c/ Conseil et Hassan

c/ Conseil et Commission. Il en résulte que ces règles s’imposent aux institutions dans

l’adoption d’actes de droit dérivé, et que l’incompatibilité de ces derniers avec les premières

52
impliquerait l’annulation ou la déclaration d’invalidité de l’acte communautaire. Cependant,

le juge communautaire ne s’est pas encore directement prononcé sur une hypothèse de conflit

entre une règle coutumière internationale et une norme de droit communautaire primaire.

Section IV : Les normes communautaires non écrites

Parmi ces sources, la jurisprudence tient une place considérable ; l’existence par la

Cour de cette mission normative se singularise spécialement par un large recours aux PGD et

par l’utilisation de méthodes d’interprétation très dynamiques. Les développements ci-après

seront fondés essentiellement sur le droit communautaire européen ; la jurisprudence

communautaire africaine n'étant pas encore assez développée dans ce domaine.

& 1. Les principes généraux du droit communautaire

Les PGD communautaire sont des sources non écrites qui procèdent d’une

« invention » jurisprudentielle, opérée par le juge à partir d’un fonds commun de valeurs.

L’opération de découverte de ces PG de l’OJC présente des caractéristiques propres.

A. L’origine des PGD

La Cour de justice, dans son opération d’identification des principes érigés en

PGD communautaire, a fait appel d’une part à des principes empruntés au droit international

et au droit interne des EM, et dégagé d’autre part des principes issus de la structure du

système communautaire lui-même. Il s’agit ici d’une acceptation sélective destinée à éviter

que la cohérence du système juridique communautaire soit affectée.

Le juge communautaire a d’abord eu recours aux PG de l’ordre international.

C’est ainsi que la Cour applique « les principes de droit international », en matière de traités

contradictoires (CJCE, 27 février 1962, Commission c/ Italie) ou bien se réfère au « principe

de droit international (qui) s’oppose à ce qu’un État refuse à ses propres ressortissants le

droit d’avoir accès à son territoire et d’y séjourner » (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn).

53
Quant à la Cour de Justice de la CEMAC, elle a par exemple consacré le principe de non-

discrimination en tant que principe de droit international (arrêt du 31 mars 2011, dame

MBADIAGA MATSIENDI c/ Ecole inter-Etats des douanes).

La Cour de justice a ensuite emprunté aux PG communs aux droits internes des

EM. Ainsi a-t-elle abondamment recours aux règles fondamentales reconnues par les

Constitutions ou les législations, voire la jurisprudence ou la doctrine des EM (égalité devant

la réglementation économique, CJCE, 21 juin 1958, Hauts Fourneaux et Aciéries belges ;

principes issus des droits constitutionnels nationaux et garantissant les droits fondamentaux,

17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft). Pour ce qui est de la démarche de la

Cour, il ne s’agit pas pour elle de ne retenir que les principes strictement communs à

l’ensemble des ordres juridiques nationaux. La Cour se réserve, en effet, non seulement de

choisir parmi les différentes solutions offertes par les droits nationaux, mais encore d’écarter

les principes communs qui seraient incompatibles avec les exigences communautaires (11

juillet 1968, Dausin). En tout état de cause, les PG issus des droits nationaux ne seront admis

en qualité de PGD communautaire que dans la mesure où ils sont compatibles avec « le cadre

de la structure et des objectifs de la Communauté ».

En droit communautaire CEMAC, l'article 28 de la Convention du 30 janvier 2009

régissant la Cour de justice communautaire précise, concernant les litiges relatifs à la

réparation des dommages causés par les organes et institutions communautaires ou par les

agents de ceux-ci dans l'exercice de leurs fonctions, que la Cour doit statuer « en tenant

compte du droit positif communautaire et des PGD qui sont communs aux EM ».

Il existe enfin un certain nombre de principes qui sont liés à la structure

institutionnelle de la Communauté. Il en va ainsi du principe de l’équilibre institutionnel ou

du pouvoir d’auto-organisation des institutions que l’on ne peut vraiment qualifier de PGD,

54
car ils s’appliquent au fonctionnement institutionnel de l’Union et trouvent leur source dans

les dispositions institutionnelles des traités.

B. La typologie des PGD communautaire

Il est difficile de présenter de façon systématique la richesse de la jurisprudence de

la Cour dans le domaine des PGD. Amenée à combler les lacunes du droit communautaire, la

Cour a fait preuve d’une grande créativité. En effet, les traités étaient muets sur des questions

aussi essentielles que la protection des droits fondamentaux, le régime des actes juridiques, la

procédure administrative non contentieuse, etc. Trois grandes catégories peuvent se dégager :

les droits fondamentaux, les principes découlant de la Communauté de droit et les principes

structurels.

1. Les droits fondamentaux de la personne

En droit communautaire CEMAC, la Cour de justice a eu à consacrer plusieurs

catégories de droits fondamentaux. A titre d’exemple, il convient de citer deux arrêts.

D’abord, celui du 2 juillet 2009, Société Price Waterhouse SARL, dans lequel elle estime :

« Attendu que les droits de la défense et le principe du contradictoire ont valeur de principes

de droit naturel dont le respect s’impose en matière contentieuse et disciplinaire, à toute

procédure susceptible d’aboutir à une décision faisant grief, le respect de ces droits

participant à l’exigence de l’idéal de justice ». Ensuite, dans l’affaire Banque Atlantique du

Cameroun, jugée le 31 mars 2011, elle souligne : « Attendu que le droit au recours ou droit au

juge faisant partie des droits fondamentaux qui se trouvent au cœur de l’Etat de droit, le

législateur CEMAC n’est pas resté en marge de la problématique communautaire de la

protection des justiciables… ».

En droit de l’Union Européenne et sans revenir en détail sur ce qui a été dit plus

haut, précisons que le contenu essentiellement économique des traités communautaires et le

55
caractère fonctionnel des compétences attribuées aux institutions expliquent certainement

qu’ils n’aient pas été assortis d’un catalogue communautaire des droits fondamentaux. Pour

surmonter cette lacune, la Cour de justice va avoir recours aux PGD (« le respect des droits

fondamentaux fait partie intégrante des PGD dont la Cour assure le respect ») et, plus

précisément aux PG communs aux droits des EM (« la sauvegarde de ces droits, tout en

s’inspirant des traditions constitutionnelles communes aux EM doit être assurée dans le cadre

de la structure et des objectifs de la Communauté », arrêt Internationale de 1970 précité). Il

s’agit donc ici de protéger l’ensemble des droits de l’homme et libertés publiques

généralement garantis par les droits constitutionnels nationaux et par les instruments

internationaux de protection des droits de l’homme, parmi lesquels la CEDH.

Aux termes de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, ces droits sont

appréhendés, non comme des « prérogatives absolues », mais sous réserve des « limites

justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté dès lors qu’il n’est

pas porté atteinte à la sauvegarde de ces droits ». Ont été notamment consacrés l’ensemble

des droits individuels attachés au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la

correspondance, ou de la liberté religieuse. Certains droits sont liés à la vie économique et

sociale comme le droit de propriété, le droit au libre exercice des activités économiques, la

protection du secret des affaires, la liberté syndicale, ou encore les libertés rattachées à la

liberté d’expression. Il faut par ailleurs que l’OJC tend à assurer le respect de la dignité

humaine en tant que PGD ; la protection d’un tel droit fondamental constitue un intérêt

légitime de nature à justifier, en principe, une restriction à la libre prestation de services

(CJCE, 14 oct. 2004, Omega).

56
2. Les principes découlant de la Communauté de droit

Il s’agit de principes inhérents à tout système juridique organisé selon le modèle

du respect du droit. Ainsi en est-il du principe de sécurité juridique constitué lui-même de

« sous-principes » qui en sont les corollaires, notamment le principe de respect des droits

acquis, le principe de prévisibilité et de clarté des règles applicables, le principe de bonne foi,

le principe de publicité des actes, le principe de non-rétroactivité, et plus largement

l’ensemble des conséquences attachées au principe dit de « confiance légitime ». Concernant

cette catégorie de principes, il ressort de l’avis n° 001/2016-17 du 26 octobre 2019, que :

« …l’impératif de sécurité juridique ou l’obligation pour notre Communauté, d’assurer mais

aussi de respecter la stabilité des situations juridiques déjà existantes… ».

Cette catégorie comporte également les principes liés au droit à une protection

juridictionnelle effective et au droit à un procès équitable : ont été ainsi affirmés le « droit au

juge » et les droits de la défense dans les procédures contentieuses. Pourraient être encore

cités le principe de proportionnalité, le principe de transparence et la consécration récente, et

de façon expresse, par le TPICE du principe de précaution comme PGD communautaire (28

janv. 2003, Les Laboratoires Servier) : « …le principe de précaution peut être défini comme

un PGD communautaire imposant aux autorités compétentes de prendre des mesures

appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité

et l’environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur

les intérêts économiques ».

3. Les principes structurels

Ces principes sont en quelque sorte le reflet de la structure économique et

politique de la Communauté. On peut ainsi citer les principes régulateurs qui gouvernent la

répartition des compétences tels que la subsidiarité, le principe d’équilibre institutionnel, le

57
principe de coopération loyale, le principe d’égalité et de solidarité entre États membres (7

février 1973, Commission c/ Italie).

Pour ce qui est des principes à caractère économique citons par exemple les

principes fondamentaux de la libre circulation et de la non-discrimination, complétés par les

principes de libre concurrence et d’unité du marché commun.

Précisons qu’il existe des non PGD communautaire à l’instar du principe de la

préférence communautaire ou encore du principe de la cohésion économique et sociale.

C. La portée des principes généraux du droit communautaire

Deux points : l’autorité jurisprudentielle de ces principes, puis l’entreprise de

consolidation d’une catégorie particulière, en l’occurrence les droits fondamentaux.

1. L’autorité jurisprudentielle

Les PGD communautaire font partie intégrante de la légalité communautaire dont

la Cour assure le respect ; ils s’imposent à ce titre aux institutions dans l’élaboration et

l’application du droit dérivé. Il faut également préciser que ces principes s’imposent aussi aux

EM dès lors qu’ils agissent dans le champ du droit communautaire (CJCE, 13 juillet 1989,

Wachauf). Ainsi les mesures prises en application du droit communautaire ou « dans le cadre

du droit communautaire » sont assujetties au respect des PGD communautaire.

2. La consolidation de la protection des droits fondamentaux

La construction jurisprudentielle des PGD communautaire a été appuyée,

s’agissant de la garantie des droits fondamentaux, par une prise en compte de l’importance de

la protection nécessaire de la part des institutions communautaires et des “ maîtres des

traités ”. C’est ainsi que les trois autres institutions ont adopté une déclaration commune le 5

avril 1977 par laquelle elles s’engageaient à respecter les droits fondamentaux. Cette

démarche a été confortée par le préambule de l’Acte Unique Européen qui fait référence aux

58
principes contenus dans les droits constitutionnels nationaux et dans les instruments

internationaux tels que la CEDH. Le traité de Maastricht a inséré dans le corps des traités le

principe de soumission de l’Union au respect des droits fondamentaux : valeur

conventionnelle est ainsi accordée à la jurisprudence de la Cour relative aux droits

fondamentaux. Le traité d’Amsterdam a accompli un pas supplémentaire dans la consécration

des droits fondamentaux, en les érigeant en fondements de l’Union. L’art. 6, & 2 est

désormais justiciable de la Cour ; ce qui renforce d’autant la garantie du respect des PGD

communautaire. La consolidation ici évoquée réside également dans le traité de Lisbonne. En

effet, le respect des droits de l’homme fait partie des valeurs de l’Union (art. 2 UE), et le & 3

de l’art. 6 UE précise que : « Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH

et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux EM, font partie du droit

de l’Union en tant que principes généraux ».

& 2. La jurisprudence

Les pouvoirs conférés à la Cour de justice dans le système communautaire, la

nature largement économique du droit communautaire et les défaillances du constituant et du

législateur communautaires expliquent l’apport normatif de la jurisprudence ; apport qui

apparaît très clairement dans les méthodes d’interprétation utilisées par la juridiction

communautaire.

A. La fonction normative de la jurisprudence

Aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel relatif aux organes de contrôle

de l'UEMOA, « la Cour de justice veille au respect du droit dans l'interprétation et

l'application du traité de l'Union » (voir aussi art. 48, al. 1 CEMAC ; art. 9, & 1 du protocole

relatif à la Cour de justice CEDEAO, qui ajoute les « principes d'équité » ; également, art. 19,

& 1 TUE). Il n’est pas exagéré de dire que la jurisprudence d'une Cour de justice a une valeur

59
normative. En effet, en droit communautaire européen, cette jurisprudence a contribué, de

façon particulièrement manifeste, à l’intégration juridique de l’ordre communautaire. Ceci

s’explique essentiellement par l’ampleur des fonctions contentieuses et consultatives

attribuées à la Cour, la nature dynamique et évolutive du droit communautaire, etc.

B. Les méthodes d’interprétation du juge communautaire

On peut parler d’une grande diversité des techniques interprétatives utilisées par la

Cour. Ainsi est intensivement exploitée l’interprétation textuelle, notamment par un recours au

contexte élargi à l’économie des traités et par un emploi hautement productif de l’effet utile.

L’appel à l’intention des parties est globalisé de façon à tirer les conséquences ultimes de la

volonté de construire un système intégré. Par ailleurs, le raisonnement téléologique contribue

sans nul doute à faire prévaloir les finalités des traités. La Cour procède ainsi à une utilisation

combinée de ces différentes méthodes, procédant ainsi à une lecture systématique des traités.

Le droit communautaire est en effet interprété comme un système autonome et cohérent :

l’affirmation de l’irréductible spécificité du droit communautaire, à la fois par rapport au droit

international et par rapport au droit interne des EM, se combine avec la démonstration

permanente de la cohérence du système juridique, conçu comme un tout structuré et organisé.

60
CHAPITRE II : LES RAPPORTS ENTRE LE DROIT COMMUNAUTAIRE
ET LES DROITS NATIONAUX

La question des rapports entre l’OJC et les ordres juridiques nationaux est l’une

des plus déterminantes de l’intégration communautaire. Elle commande l’autorité dont jouira

le droit communautaire dans les différents EM. Par sa nature propre le droit communautaire

possède une force spécifique de pénétration dans l’ordre juridique des EM. Aussi acquiert-il

automatiquement statut de droit positif dans les ordres juridiques nationaux ; est-il susceptible

de créer, par lui-même, des droits et des obligations pour les particuliers ; prend-il place avec

rang de priorité sur toute norme nationale. Au vu de ce qui précède, il convient tout d’abord

d’examiner l’affirmation théorique des principes majeurs de l’OJC, avant de présenter ensuite

l’attitude des juridictions nationales à l’égard des effets des normes communautaires dans les

ordres juridiques nationaux.

Section I : L’affirmation théorique des principes fondamentaux de l’ordre

communautaire

Avant d’évoquer les théories de l’effet direct et de la primauté, il apparaît

important d’évoquer succinctement un autre principe de base qu’est l’immédiateté du

droit communautaire. La nature du droit communautaire, et notamment son autonomie par

rapport aux ordres juridiques nationaux, exclut que sa pénétration dans les droits nationaux

soit subordonnée à une quelconque formule spéciale d’introduction ou de transformation.

Autrement dit, la spécificité du droit communautaire postule le monisme : le droit

communautaire est intégré de plein droit dans le droit interne des EM, en ce sens que sa

pénétration s’effectue sans aucune « médiatisation ». Ceci vaut tout d’abord pour le droit

originaire car les traités constitutifs, dès lors qu’ils sont régulièrement ratifiés, font partie de

l’ordonnancement juridique des EM et doivent être appliqués par les autorités et juridictions

nationales en tant que tels.

61
Le même principe vaut pour l’ensemble du droit dérivé (cf. art. 41 CEMAC pour

les règlements), et selon la formule jurisprudentielle suivante : « l’applicabilité directe d’un

règlement exige que son entrée en vigueur et son application en faveur ou à la charge des

sujets de droit se réalisent sans aucune mesure portant réception dans le droit national »

(CJCE, 10 octobre 1973, Variola). Ceci vaut également pour les directives ainsi que pour les

décisions prises par les institutions, ou encore les accords internationaux liant la

Communauté, qui s’imposent aux EM de façon « immédiate ». Au-delà de cette immédiateté

qui constitue le noyau irréductible concernant la pénétration du droit communautaire dans les

ordres juridiques nationaux, les rapports entre droit communautaire et droits nationaux sont

classiquement gouvernés d’une part par le principe d’effet direct et d’autre part par la théorie

de la primauté.

& 1. La théorie de l’effet direct du droit communautaire

Une norme communautaire est d’effet direct lorsque qu’elle est capable de créer

directement des droits ou des obligations au profit des particuliers (applicabilité directe) ;

droits et obligations que ces derniers peuvent invoquer devant le juge national (invocabilité

directe). Il est vrai que le droit international connaît également les normes d’applicabilité

directe ou self executing. C’est ainsi que la CPJI, dans l’avis du 13 mars 1928, Compétences

des tribunaux de Dantzig a reconnu que les parties à une convention internationale pouvaient

avoir l’intention de faire produire aux dispositions de celle-ci des effets à l’égard des

particuliers. Mais ceci est l’exception alors qu’en droit communautaire, l’effet direct est la

règle. Ainsi les particuliers, en tant qu’acteurs du droit communautaire, peuvent contraindre

les autorités nationales à se conformer aux exigences de l’OJC.

62
A. L’affirmation jurisprudentielle de l’effet direct

La seule mention incidente de l’effet direct dans les traités fondateurs concerne les

règlements communautaires ; qu'il s'agisse du droit communautaire européen ou africain, les

traités précisent en effet que le règlement est « directement applicable dans tout EM ». Il n’en

demeure pas moins que la généralisation de la théorie de l’effet direct résulte d’une

construction jurisprudentielle dont l’arrêt fondateur date du 5 février 1963, Van Gend en Loos

La Cour était saisie de la question de l’applicabilité directe à un particulier de l’art. 12 CE

(devenu art. 25), relatif à l’introduction de nouveaux droits de douane. Le raisonnement de la

Cour va se fonder sur la nature spécifique de la Communauté et plus particulièrement de ses

objectifs. Autrement dit c’est la finalité d’intégration qui postule le principe de l’applicabilité

directe du droit communautaire. Au centre du raisonnement de la Cour se trouve l’idée selon

laquelle l’objectif du traité est d’instituer un marché commun dont le fonctionnement

concerne directement les particuliers. A ce titre, le traité ne comporte pas seulement des

obligations mutuelles entre EM, il fait naître directement des droits pour les justiciables. Ceci

peut prendre appui à la fois sur le texte du préambule du traité de Rome qui s’adresse aux

peuples des EM, et surtout sur le fait que les individus contribuent aux prises de décision en

participant à des organes communautaires comme le Parlement européen ou le Comité

économique et social. La Cour s’appuie enfin sur un argument tiré du renvoi préjudiciel ;

mécanisme qui « confirme que les EM ont reconnu au droit communautaire une autorité

susceptible d’être invoquée par leurs ressortissants devant les juridictions nationales ».

De cette analyse, la Cour en déduit un véritable principe général aux termes

duquel : « le droit communautaire indépendant de la législation des EM, de même qu’il crée

des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent

dans leur patrimoine juridique ». Aussi, contrairement au système internationaliste, ces droits

63
« naissent non seulement lorsqu’une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi

en raison d’obligations que le traité impose d’une manière bien définie, tant aux particuliers

qu’aux EM et aux institutions communautaires ».

De ce point de vue, contrairement aux traités internationaux classiques, les traités

communautaires confèrent aux particuliers des droits que les juridictions nationales doivent

sauvegarder, non seulement lorsque les dispositions en cause les visent expressément comme

sujets de droit, mais encore lorsqu’elles imposent aux EM une obligation bien définie. On

peut donc parler d’une présomption d’effet direct découlant de la jurisprudence de la Cour ;

effet direct dont les conséquences ont été parfaitement résumées dans l’arrêt Simmenthal du 9

mars 1978 : les règles du droit communautaire doivent « déployer la plénitude de leurs effets

de manière uniforme dans tous les EM » ; elles constituent « une source de droits et

d’obligations pour tous ceux qu’elles concernent, qu’il s’agisse des EM ou des particuliers

qui sont parties à des rapports juridiques relevant du droit communautaire » ; « tout

juge…saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu’organe d’un EM, pour mission de

protéger les droits conférés aux particuliers par le droit communautaire ».

Quels sont les critères de l’effet direct ? Ces critères ont été synthétisés dans

l’arrêt de la CJCE du 5 avril 1979, Ministère public c/ Ratti : « …dans tous les cas où des

dispositions…apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et

suffisamment précises ». Pour ce qui concerne la précision de l’acte, il a été jugé que la

nécessité d’une clarification par la voie d’une interprétation juridictionnelle ne s’opposait pas

à l’effet direct.

Pour autant le critère majeur de l’effet direct est l’inconditionnalité des effets de

l’acte : l’application de la norme doit pouvoir intervenir sans qu’aucune mesure ultérieure des

EM ou de la Communauté ne soit nécessaire. Cette condition est remplie non seulement

64
lorsque la mesure est applicable par elle-même, mais également lorsque, lors de l’adoption

d’éventuelles mesures de mise en œuvre, la Communauté ou les EM ne disposent d’aucune

marge d’appréciation. L’existence d’un terme mis à l’entrée en vigueur de l’acte n’est pas non

plus susceptible d’affecter l’inconditionnalité. L’acte ne produira simplement d’effet direct

que lorsque le terme sera expiré. En somme, la norme communautaire produit des effets

directs dès lors que sa mise en œuvre n’est subordonnée à aucune appréciation discrétionnaire

de la Communauté et des EM.

(Rappel) Quant à l’intensité de l’effet direct, certaines dispositions peuvent être

invoquées devant les juridictions nationales, y compris dans des litiges entre particuliers, et

pleinement applicables par le juge : il s’agit de l’effet direct horizontal. Par contre, d’autres

actes ne produisent qu’un effet direct limité, dès lors qu’ils ne créent pas directement

d’obligations à la charge des justiciables, mais seulement à l’égard des États, et qu’elles ne

sont alors invocables devant les tribunaux nationaux que dans les litiges opposant les

personnes privées aux autorités étatiques : on parle d’effet direct vertical.

B. Les normes communautaires d’effet direct

L’effet direct du droit communautaire varie selon les différentes catégories de

normes communautaires.

1. Les dispositions de droit originaire

Il faut dire d’emblée que c’est à propos d’une disposition du traité CE que la Cour

de justice a reconnu l’effet direct du droit communautaire.

Effet direct horizontal. Même si l’ensemble des stipulations des traités

fondateurs sont susceptibles de produire un effet direct, il faut reconnaître que seules certaines

d’entre elles peuvent faire naître des droits et obligations que les tribunaux nationaux sont

conduits à sauvegarder quel que soit le type de litige (horizontal ou vertical) en cause. Il en est

65
ainsi des dispositions visant explicitement les personnes privées (personnes physiques ou

morales) comme destinataires des obligations qu’elles contiennent : les règles de concurrence

applicables aux entreprises, « se prêtent par leur nature même à produire des effets directs

dans les relations entre particuliers » (CJCE, 30 janvier 1974, BRT c/ Saban).

Il s’agit par ailleurs de stipulations qui, sans avoir des particuliers comme

destinataires, mettent à leur charge des obligations qui leur sont opposables de la part des

bénéficiaires des droits créés directement par le droit communautaire : a été admis l’effet

direct horizontal des règles de libre circulation et de non-discrimination concernant les

personnes ou les marchandises, ou encore des règles relatives à la non-discrimination à raison

du sexe.

Effet direct vertical. Ce sont les plus nombreuses, et comme on l’a dit plus haut,

elles créent des droits et obligations pour les particuliers à l’égard des seuls EM. Citons

d’abord des dispositions instituant des obligations de ne pas faire : la prohibition des

discriminations à raison de la nationalité, l’interdiction des restrictions au droit

d’établissement, à la libre prestation des services ou la prohibition des discriminations

fiscales.

Évoquons ensuite des stipulations instituant des obligations de faire en l’absence

de pouvoir discrétionnaire des autorités communautaires ou nationales : l’aménagement des

monopoles, la suppression des restrictions tarifaires.

A l’inverse ne bénéficient pas de l’effet direct, les stipulations à caractère

institutionnel, ou encore les dispositions laissant soit aux institutions, soit aux EM une marge

d’appréciation.

66
2. L'effet direct des actes additionnels

Les actes additionnels qui ont une portée réglementaire peuvent avoir un effet

direct vertical, notamment s'ils portent non pas sur les institutions mais sur les politiques

sectorielles, et à condition de remplir les critères de l'effet direct.

S'agissant des actes additionnels de portée individuelle (par exemple un acte de

nomination), ils disposent en principe d'un effet direct complet.

3. L’effet direct des règlements

Le règlement est la seule norme pour laquelle le traité prévoit expressément

l’applicabilité directe. L’applicabilité directe du règlement est complète : il est apte à conférer

des droits et des obligations aux particuliers non seulement dans leurs relations avec les EM et

les institutions communautaires mais également dans leurs relations interindividuelles.

Ceci étant, de nombreux règlements comportent des dispositions dont la pleine

application requiert l’adoption par les institutions communautaires ou les EM de mesures

d’application. Dans ce cas, l’effet direct du règlement a pour conséquence de permettre aux

juridictions nationales de contrôler la conformité de ces mesures nationales avec le contenu du

règlement.

4. L’effet direct des directives

Les directives étant adressées aux EM et devant faire l’objet de transposition en

droit interne, elles ne produisent en principe pas d’effets directs. La création de droits et

d’obligations pour les particuliers ne résulte pas de la directive elle-même, mais des mesures

nationales de transposition. De ce point de vue, la reconnaissance par la Cour de l’effet direct

des directives a suscité de nombreuses controverses, alors que le traité attribue expressément

cet effet direct au règlement, et ne le mentionne pas à propos des directives.

67
Ce sont les arrêts de la CJCE SACE (17 décembre 1970 précité) et Van Duyn (4

décembre 1974, 41/74) qui posent le principe de l’effet direct des directives. L’absence en

principe d’effet direct de la directive n’est pas contestée par la Cour ; mais elle vise

l’hypothèse particulière dans laquelle l’État n’a pas ou a mal transposé la directive à

l’expiration du délai de transposition. Refuser l’effet direct de la directive dans cette

hypothèse reviendrait à ôter tout effet utile à la directive alors qu’elle est, selon le traité, un

acte obligatoire. Par ailleurs, l’EM qui n’a pas pris dans les délais, les mesures d’exécution

imposées par la directive ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement, par lui-

même, des obligations qu’elle comporte (CJCE, 19 janvier 1982, Becker).

L’effet direct des directives ne constitue, selon la Cour, qu’une garantie minimale

pour les particuliers : « Ce n’est que dans des circonstances particulières, notamment dans le

cas où un EM a omis de prendre les mesures requises, ou adopté des mesures non conformes

à une directive, que la Cour a reconnu le droit, pour les justiciables, d’invoquer une directive

à l’encontre d’un EM défaillant. Cette garantie minimale découlant du caractère

contraignant de l’obligation imposée aux EM par l’effet direct des directives, en vertu de

l’art. 189, 3e alinéa, -art. 249 nouveau – ne saurait servir de justification à un EM pour se

dispenser de prendre, en temps utile, des mesures adéquates à l’objet de chaque directive » (2

mai 1996, Commission c/ Allemagne).

a) L’effet direct vertical.

Les dispositions des directives qui sont inconditionnelles et suffisamment précises

disposent d’un tel effet direct. Ainsi, à défaut de toute mesure d’application prise dans les

délais, les dispositions d’une directive qui remplissent les conditions de l’effet direct peuvent

être invoquées à l’encontre de toutes dispositions nationales non conformes à la directive

68
(invocabilité d’exclusion), ou encore en tant qu’elles créent des droits que les particuliers sont

en mesure de faire valoir à l’égard de l’État (invocabilité de substitution).

Compte tenu de sa conception de l’invocabilité des directives comme sanction du

comportement de l’État défaillant, cet effet vertical est entendu par la Cour au sens large,

c’est-à-dire qu’une directive peut être opposée à l’État quelle que soit la qualité en laquelle il

se présente, autorité publique ou simple employeur, mais encore aux autorités décentralisées

comme les communes, ainsi qu’aux entreprises publiques.

b) L’absence, en principe, d’effet direct horizontal.

Il est incontestable que les directives ne peuvent être invoquées à l’encontre de

particuliers. Ainsi, comme l’affirme la Cour elle-même dans son arrêt Marshall de 1986

précité, le caractère contraignant d’une directive n’existe qu’à l’égard de « tout EM

destinataire ». Il en découle « qu’une directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations

dans le chef d’un particulier et qu’une disposition d’une directive ne peut donc pas être

invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne ». Relevons tout de même qu’une

telle solution empêche aussi un particulier d’invoquer à l’encontre d’un autre particulier (effet

direct horizontal) les dispositions d’une directive qui rempliraient cependant les conditions de

l’effet direct.

Nonobstant le fait que cette position prive les particuliers d’une possibilité de

défendre leurs droits, la Cour a nettement réitéré son refus de consacrer l’effet direct

horizontal des directives, qui remettrait en cause le système des sources du droit

communautaire, puisqu’il « reviendrait à reconnaître à la Communauté le pouvoir d’édicter

avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers, alors qu’elle ne détient cette

compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements » (CJCE, 14 juillet

1994, Faccini Dori).

69
Ceci n’exclut pas que les dispositions d’une directive puissent produire certains

effets dans les litiges entre particuliers. Il est ainsi admis qu’un distributeur pharmaceutique

soit habilité à obtenir l’annulation d’une autorisation administrative accordée à un de ses

concurrents en violation d’une directive (CJCE, 12 novembre 1996, Smith & Nephew

Pharmaceuticals Ltd). De plus l’obligation d’interprétation conforme du droit national est

généralement considérée comme un palliatif notable à l’absence d’effet direct horizontal des

directives, car elle s’applique même dans les litiges opposant deux particuliers (CJCE, 13

novembre 1990, Marleasing).

5. L’effet direct des décisions

Il faut ici distinguer les décisions adressées à des particuliers de celles adressées à

des EM. L’effet direct des décisions adressées à une personne privée. Le destinataire peut

être une personne physique ou morale ; une décision communautaire produit à son égard un

effet direct complet : elle crée des droits et/ou obligations au profit de son destinataire ; celui-

ci pouvant s’en prévaloir devant les juridictions nationales. Elle crée aussi des droits pour les

tiers, qui peuvent invoquer la décision à l’encontre de l’entreprise à laquelle elle était adressée

(effet horizontal).

L’effet direct des décisions adressées aux EM. Elles créent des obligations à la

charge des seuls EM destinataires, mais peuvent par ricochet créer des droits au profit des

particuliers qui peuvent s’en prévaloir devant les tribunaux nationaux. Il s’agit d’un effet

direct vertical qui peut concerner les dispositions combinées du traité, d’une décision et d’une

directive, d’une décision seule, ou encore d’une décision prise par un organe créé par une

convention conclue par la Communauté avec des États tiers.

70
6. L’effet direct des engagements internationaux de la Communauté

Comme en droit international classique, l’effet direct n’est pas la règle. Il en

résulte que les normes issues des engagements externes de la Communauté ne bénéficient pas

de la présomption d’effet direct. Mais la Cour a souligné que les critères de l’effet direct

doivent être ici utilisés eu égard à l’objet et à la nature de l’accord : « une disposition d’un

accord conclu par la Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant

d’application directe lorsque, eu égard à ses termes, ainsi qu’à l’objet et la nature de

l’accord, elle comporte une obligation claire et précise, qui n’est subordonnée, dans son

exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte extérieur » (CJCE, 7 juin 1987,

Demirel).

La question la plus délicate à cet égard fut celle de l’effet direct du GATT puis des

règles de l’OMC. La Cour de justice a refusé de reconnaître un effet direct aux règles du

GATT en raison de leur souplesse et du caractère incomplet du système de règlement des

différends (CJCE, 12 décembre 1972, International Fruit Company). Nonobstant les

novations contenues dans les règles de l’OMC depuis les accords de Marrakech, la Cour de

justice exclut un effet direct de ces règles (23 novembre 1999, Portugal c/ Conseil).

Cependant la légalité d’un acte communautaire au regard de l’OMC peut être contrôlée

lorsque cet acte vise à exécuter une disposition particulière des accords ou renvoie à des

dispositions précises de ceux-ci (22 juin 1989, Fediol, 70/87 et 7 mai 1991, Nakajima). Par

ailleurs, n’est pas exclue la reconnaissance d’une forme d’invocabilité minimale, notamment

l’obligation pour le juge communautaire comme pour le juge national de procéder à une

interprétation conforme du droit communautaire à la lumière des dispositions des accords

OMC. Ces principes, dégagés à propos de l’OMC, sont applicables à l’ensemble des accords

conclus par la Communauté.

71
& 2. La théorie de la primauté du droit communautaire

Contrairement au droit communautaire européen, en droit communautaire africain,

des traités posent, de façon explicite, le principe de primauté du droit communautaire.

A. La consécration de la primauté

C’est dans le célèbre arrêt Costa c/ ENEL (15 juillet 1964), que la Cour de justice

a solennellement affirmé le principe de la primauté du droit communautaire, à propos d’un

conflit entre le traité et la loi italienne de nationalisation de l’électricité de 1962. En droit

communautaire dans les espaces africains, la primauté est d’abord et surtout consacrée dans

les traités.

1. La consécration principalement textuelle de la primauté

C'est ainsi que l'article 44 CEMAC stipule que : « ...Les actes adoptés par les

institutions, organes et institutions spécialisées de la Communauté pour la réalisation des

objectifs du présent traité sont appliqués dans chaque EM nonobstant toute législation

nationale contraire, antérieure ou postérieure ». Stipulation à rapprocher de l'art. 41, al. 1,

selon laquelle le respect des actes additionnels « s'impose aux institutions, aux organes et aux

institutions spécialisées de la Communauté ainsi qu'aux autorités des EM ». Quant à l'article

6 UEMOA, il prévoit que « Les actes arrêtés par les organes de l'Union pour la réalisation

des objectifs du présent traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-

ci, sont appliquées dans chaque EM nonobstant toute législation contraire, antérieure ou

postérieure ». Ce qui vaut pour les actes de droit privé s'impose a fortiori pour le droit

primaire.

Cette primauté, conventionnellement posée, a été par ailleurs reconnue par la Cour de

justice de l'UEMOA, dans l'avis n° 001/2003 du 18 mars 2003, Demande d'avis de la

Commission de l'UEMOA relative à la création d'une Cour des comptes au Mali, dans les

72
termes suivants : « La primauté du droit communautaire bénéficie à toutes les normes

communautaires, primaires comme dérivées, immédiatement applicables ou non, et s'exerce à

l'encontre de toutes les normes nationales administratives, législatives, juridictionnelles et

même constitutionnelles parce que l'ordre juridique communautaire l'emporte dans son

intégralité sur les ordres juridiques nationaux. Les États ont le devoir de veiller à ce qu'une

norme de droit national incompatible avec une norme de droit communautaire qui répond aux

engagements qu'ils ont pris, ne puisse pas être valablement opposée à celui-ci. Cette

obligation est le corollaire de la supériorité de la norme communautaire sur la norme

nationale. Ainsi, le juge national, en présence d'une contrariété entre le droit communautaire

et une règle de droit interne, devra faire prévaloir le premier sur la seconde en appliquant

l'un et en écartant l'autre ». Cette position a été confirmée par un arrêt récent, du 8 juillet

2020, Commission de l’UEMOA c/ Décision n° 19/287 du 22 août 2019 de la Cour

constitutionnelle du Bénin, dans lequel la même Cour affirme dans son dispositif : « La

primauté de l’ordre juridique de l’Union dans son intégralité sur les ordres juridiques

nationaux implique qu’aucune disposition juridique administrative, législative,

juridictionnelle et même de niveau constitutionnel interne ne saurait être utilisée pour mettre

en échec le droit communautaire ».

Elle a été également consacrée par la Cour de justice CEMAC, 13 novembre 2009, aff.

Sielenou Christophe et a. c/ Décision COBAC, Amity Bank Cameroun : « ...une

restructuration assise sur le cadre légal national ne saurait se superposer à une

restructuration décidée sur la base des textes communautaires, en raison du principe de la

hiérarchie des normes juridiques qui veut que les textes communautaires priment sur les

lois nationales ». Cette position a été confirmée et prolongée dans l’arrêt du 31 mars 2011,

Banque Atlantique du Cameroun, d’où il résulte : « Qu’il importe de noter, (…), que le

73
principe de primauté permet de faire prévaloir la norme communautaire sur la norme

nationale, d’écarter l’application de la norme nationale contraire au droit communautaire ;

Attendu que la primauté évoquée est « une condition existentielle » du droit

communautaire qui, en raison de sa nature spécifique originale, ne peut se voir opposer tout

texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en

cause la base juridique de la Communauté elle-même ;

Que la norme interne incompatible est donc inapplicable, et de plein droit ;

que selon la doctrine établie et la jurisprudence constante, tout juge de l’application du droit

communautaire, toute autorité nationale ou communautaire a l’obligation absolue de la

laisser inapplicable… ».

Quant au droit communautaire européen, les traités fondateurs ne contiennent

pas une clause expresse affirmant la primauté du droit communautaire sur le droit national. Il

est donc revenu à la Cour de justice de consacrer le « principe fondamental de la primauté de

l’OJC » (CJCE, 10 octobre 1973, Variola). La primauté du droit communautaire est donc une

construction jurisprudentielle conçue comme une exigence logique eu égard à certaines

caractéristiques particulières de l’intégration européenne.

Dans le traité de Lisbonne, la primauté est néanmoins évoquée dans la

Déclaration n° 17 dans laquelle il est rappelé que « selon une jurisprudence constante de la

Cour de justice de l’UE, les traités et le droit adopté par l’Union sur la base des traités

priment le droit des EM, dans les conditions définies par ladite jurisprudence ». Est adjoint à

cette Déclaration un Avis du Service juridique du Conseil du 22 juin 2007, pour lequel : « il

découle de la jurisprudence de la Cour de justice que la primauté du droit communautaire est

un principe fondamental dudit droit. [Principe inhérent selon la Cour à la nature particulière

de la CE]. Le fait que le principe de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne

74
modifiera en rien l’existence de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de

justice ». Il convient malgré tout de mettre en valeur l'évolution de la question en droit

communautaire européen.

2. Fondement : l’autonomie de l’ordre juridique communautaire

Il était possible de soutenir que les rapports entre droit communautaire et droits

nationaux étaient régis par les formules monistes ou dualistes retenues par les règles

constitutionnelles nationales. Ce n’est pas la position retenue par la Cour de justice ; pour elle

en effet, les relations entre OJC et ordres juridiques des EM ne peuvent en aucun cas

s’apprécier à la lumière des solutions diverses prévues par les droits constitutionnels

nationaux. Ainsi, le fondement de la primauté doit être recherché dans l’autonomie du droit

communautaire lui-même : « issu d’une source autonome, le droit né du traité ne peut se voir

judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit sans perdre son caractère

communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-

même » (arrêt Costa). Comme l’a affirmé dans les années 1970, Pierre PESCATORE (ancien

juge luxembourgeois à la CJCE), « le droit communautaire porte en lui une exigence

« existentielle » de primauté : s’il n’est pas capable de l’emporter en toutes circonstances sur

le droit national, il est inefficace, et donc, pour autant, inexistant. L’idée même d’un ordre

commun serait battue en brèche ».

3. Justification : l’uniformité d’application du droit communautaire

Nonobstant les indices textuels de primauté (art. 189 CE, devenu 249 et 5-2 CE,

devenu 10), il faut soutenir que la véritable justification de la doctrine de la primauté réside,

autant sur la nature propre de l’OJC, que sur la nécessaire application uniforme de ce droit de

l’intégration. La volonté des États de construire un marché commun, puis par la suite un

marché unique, implique juridiquement l’uniformité du droit communautaire. Cette

75
uniformité suppose que le droit interne d’un EM ne puisse faire obstacle à la mise en œuvre

des règles communes. Cette exigence fondamentale de l’OJC impose en effet que toutes les

normes communautaires disposent dans tous les EM de la même signification, de la même

force obligatoire et du même contenu. Trois passages significatifs de l’arrêt Costa traduisent

de façon remarquable une telle position :

« …la force exécutoire du droit communautaire ne saurait, en effet, varier d’un

État à l’autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la

réalisation des buts du traité… Invariabilité

« les obligations contractées dans le traité instituant la Communauté ne seraient

pas inconditionnelles mais seulement éventuelles, si elles pouvaient être mises en cause par

les actes législatifs futurs des signataires ; Même force obligatoire

« …le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de

l’OJC des droits et d’obligations correspondant aux dispositions du traité, entraîne donc une

limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte

unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté ».

4. Portée : une primauté générale et absolue

Voir, à titre de rappel, les positions mises en évidence plus haut, de la Cour de

justice de l’UEMOA, respectivement en mars 2003 et juillet 2020.

L’OJC l’emporte dans son intégralité sur les ordres juridiques nationaux. En effet,

la Cour a elle-même affirmé dans son arrêt Costa que le droit communautaire ne pouvait se

voir opposer un texte interne quel qu’il soit. On est donc en présence d’une primauté

inconditionnelle de tout le droit communautaire sur tout le droit national. Cette vision

englobante postule que les normes communautaires, y compris certains éléments tirés de la

jurisprudence communautaire, sont considérées comme étant supérieures à toutes les règles

76
des ordres juridiques nationaux. Tout d’abord l’ensemble des sources communautaires sont

concernées par cette primauté : le droit primaire et le droit dérivé, les engagements

internationaux de la Communauté ou les principes généraux du droit.

Il faut dire ensuite que la primauté du droit communautaire concerne l’ensemble

du droit national. Le droit communautaire s’impose aussi bien aux normes des autorités

étatiques qu’à celles découlant des collectivités infranationales. Il est clair également que cette

obligation s’impose au législateur (cf. arrêt Costa). On pouvait s’interroger sur l’applicabilité

de cette problématique aux relations délicates entre droit communautaire et constitutions

nationales ; et notamment sur la portée de l’expression « tout texte interne quel qu’il soit »

(arrêt Costa). Cette expression a été précisée par l’arrêt Internationale H. de 1970, en ces

termes : « l’invocation d’atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont

formulés par la Constitution d’un EM soit aux principes d’une structure constitutionnelle

nationale ne saurait affecter la validité d’un acte de la Communauté ou son effet sur le

territoire de cet État ». Les normes constitutionnelles ne donc pas opposables au droit

communautaire originaire, comme l’ont confirmé deux arrêts de la Cour de justice du 2 juillet

1996, Commission c/ Luxembourg et Commission c/ Grèce. La Cour y suivra les conclusions

de son avocat général Ph. Léger pour qui, il suffisait « de rappeler que, selon une

jurisprudence bien établie, la primauté du droit communautaire existe à l’égard de toute

norme nationale, même d’ordre constitutionnel ». Le droit constitutionnel des États se trouve

également subordonné au droit communautaire dérivé (notamment aux règlements et

directives communautaires). En effet, dans l’arrêt Commission c/ Italie du 8 févr. 1973, la

Cour a indiqué qu’un « EM ne saurait exciper de dispositions ou pratiques de son ordre

interne pour justifier le non-respect des obligations et délais résultant des règlements

communautaires ». On retrouve la même logique pour ce qui concerne les directives

77
communautaires (9 juill. 1998, Comm. c/ Belgique). Pour une confirmation récente : 11 janv.

2000, Tanja Kreil (La Cour y a interprété la directive sur l’égalité de traitement entre hommes

et femmes comme s’opposant à l’application de l’art. 12a de la LF all. qui excluait de manière

générale les femmes des emplois militaires comportant l’utilisation d’armes).

Voir en dernier lieu, CJUE, aff. C-999/11, 26 février 2013, Stefano Melloni c/

Ministerio fiscal, & 59 : « Il est ,..., de jurisprudence bien établie qu'en vertu du principe de

primauté du droit de l'Union, qui est une caractéristique essentielle de l'ordre juridique de

l'Union […], le fait pour un EM d'invoquer des dispositions de droit national, fussent-elles

d'ordre constitutionnel, ne saurait affecter l'effet du droit de l'Union sur le territoire de cet

État ».

B. Les conséquences de la primauté

C’est principalement à ce niveau que l’on mesure encore un peu plus la spécificité

du droit communautaire. En effet la primauté implique que la compatibilité du droit national

avec le droit communautaire soit assurée de façon uniforme et effective, mais aussi directe et

immédiate.

1. L’encadrement de l’autonomie procédurale des États membres

Si le droit communautaire prévaut sur le droit national, cela ne veut pas dire que la

Cour de justice détienne le pouvoir d’annuler la norme nationale illicite. Cette tâche revient

aux juridictions nationales car il incombe au droit interne, conformément à ses propres

procédures, de garantir l’effectivité du respect du droit communautaire. C’est l’expression du

principe d’autonomie procédurale des droit nationaux, reconnu en ces termes par la Cour : le

droit communautaire « ne limite…pas le pouvoir des juridictions nationales compétentes

d’appliquer, parmi les divers procédés de l’ordre juridique interne, ceux qui sont appropriés

pour sauvegarder les droits individuels conférés par le droit communautaire » (CJCE, 3 avr.

78
1968, Molkerei Zentrale). Cependant le respect absolu de ce principe d’autonomie

procédurale est porteur de dangers pour l’uniformité d’application du droit communautaire ;

d’où l’encadrement progressif par la Cour de cette autonomie procédurale reconnue au droit

national.

Cette autonomie procédurale est en effet subordonnée à l’obligation pour les juges

nationaux de considérer comme étant inopposables ou d’écarter l’application de la norme

nationale incompatible. La portée de cette exigence a été mise en valeur par la Cour

lorsqu’elle affirme que l’effectivité du droit communautaire implique « pour les autorités

nationales compétentes prohibition de plein droit d’appliquer une prescription nationale

reconnue incompatible avec le traité, et le cas échéant, obligation de prendre toutes

dispositions pour faciliter la réalisation du plein effet du droit communautaire » (CJCE, 13

juill. 1972, Comm. c/ Italie : Rec. 529). Deux effets sont ainsi reconnus au droit

communautaire : un effet abrogatoire rendant inapplicable de plein droit les normes

nationales antérieures incompatibles ; un effet bloquant ou neutralisant empêchant la

formation valable de normes nationales postérieures.

Ainsi que l’affirme la Cour dans son arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 : « le juge

national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit

communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes, en laissant au besoin

inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale,

même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci

par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ».

Conclusion empruntée au Professeur Denys SIMON : La spécificité de la

prévalence du droit communautaire sur le droit national par rapport aux rapports classiques du

droit international et du droit interne apparaît ainsi très clairement : l’affirmation de la

79
« primauté internationale » est complétée par la « communautarisation » de la « primauté

interne », c’est-à-dire par l’encadrement communautaire de la mission du juge interne en sa

qualité de juge communautaire de droit commun.

2. La protection juridictionnelle des particuliers

Au-delà de la possibilité d’écarter les normes nationales contraires au droit

communautaire, l’application uniforme et effective de ce droit implique également que soit

prévu un contrôle juridictionnel réel de la part des juridictions nationales sur toutes les

atteintes éventuelles au droit communautaire, et que soient éliminées les conséquences

dommageables de ces atteintes.

a) Le droit au juge

Cette expression est assimilable à l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif

dans l’objectif d’assurer la garantie des droits issus du droit communautaire. En effet, les

justiciables ne sauraient être privés, par l’effet du droit processuel interne, du droit de faire

valoir par la voie contentieuse les droits qu’ils tirent du droit communautaire. Ce principe

assure que toute violation du droit communautaire par les autorités nationales fera l’objet d’un

contrôle juridictionnel. La CJCE le considère à la fois comme une exigence inhérente à la

primauté du droit communautaire et comme une obligation découlant d’un PGD (au juge)

consacré par les traditions constitutionnelles communes aux EM et par les textes

conventionnels. C’est ainsi par exemple qu’a été condamnée l’impossibilité résultant des

règles procédurales nationales, de soumettre à un tribunal l’appréciation d’une éventuelle

discrimination à raison de la nationalité (CJCE, 15 oct. 1987, Heylens).

Cette exigence d’un contrôle juridictionnel effectif est susceptible d’engendrer des

modifications sensibles des procédures nationales, par exemple en imposant un recours

juridictionnel à l’encontre d’actes qui en vertu du droit national n’ont qu’une portée

80
consultative. Notons par ailleurs que le droit à une protection juridictionnelle a pu faire l’objet

d’une concrétisation spécifique à travers des obligations insérées dans des actes de droit

dérivé. Il faut d’ailleurs observer que la Cour de justice a récemment précisé que les

juridictions nationales ont l’obligation d’interpréter le droit national à la lumière de la

disposition d’une directive garantissant le droit à un recours juridictionnel, et le cas échéant,

d’écarter une disposition nationale faisant obstacle à la compétence du juge administratif, fût-

elle une disposition constitutionnelle (CJCE, 22 mai 2003, Connect Austria Gesellschaft).

b) Le principe d’équivalence du traitement juridictionnel

La primauté du droit communautaire implique par ailleurs un droit à l’égal accès à

la protection juridictionnelle. La garantie des droits tirés du droit communautaire doit être

assurée dans les mêmes conditions qu’aux nationaux à tous les justiciables. Ce principe

d’égalité de traitement juridictionnel a été déduit, par la Cour, directement de l’art. 12 CE (ex-

6, principe de non-discrimination), impliquant ainsi que les EM puissent accorder aux

citoyens de l’Union les mêmes droits et facilités linguistiques que ceux reconnus à leurs

nationaux. Un tel principe doit dès lors être considéré comme une condition nécessaire à la

garantie effective des droits attribués aux justiciables par le droit communautaire.

c) Le droit à une protection provisoire

La Cour de justice a également consacré la « protection au provisoire » des droits

issus du droit communautaire. En effet, elle a jugé dans le prolongement de l’arrêt

Simmenthal qu’il incombe aux tribunaux nationaux d’écarter toute règle procédurale nationale

qui pourrait avoir pour effet de priver les justiciables d’une protection immédiate et effective

de leurs droits, fût-ce à titre temporaire, dans l’attente du jugement définitif sur l’existence de

la violation du droit communautaire : « la pleine efficacité du droit communautaire serait

diminuée si une règle du droit national pouvait empêcher le juge saisi d’un litige régi par le

81
droit communautaire d’accorder des mesures provisoires en vue de garantir la pleine

efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur la base des droits invoqués en

application du droit communautaire » (CJCE, 19 juin 1990, Factortame). Cette jurisprudence

a été confirmée et précisée dans la mesure où le juge communautaire a admis la possibilité de

prononcer un sursis à exécution dans le cas d’actes nationaux conditionnant l’application du

droit communautaire (CJCE, 21 févr. 1991, Zuckerfabrik).

d) Le relevé d’office des moyens tirés du droit communautaire

Cela correspond à la faculté et/ou l’obligation, pour les juridictions nationales, de

soulever d’office un moyen tiré de la violation du droit communautaire. A cet égard, la Cour a

d’abord jugé que le droit communautaire ne s’opposait pas à ce qu’un juge national décide

d’apprécier d’office la compatibilité d’une réglementation nationale avec le droit

communautaire, ou d’interpréter le droit national en conformité avec le droit communautaire

(CJCE 11 juill. 1991, Verholen).

Le juge communautaire européen a tenu par la suite à respecter le droit procédural

national, en admettant que chaque fois que le droit interne oblige à relever un moyen d’office,

la même obligation s’impose s’agissant des moyens tirés des règles contraignantes du droit

communautaire. Il admet néanmoins que, dès lors que le droit processuel national interdit au

juge de soulever d’office un moyen, le droit communautaire n’impose pas au juge interne de

relever d’office les moyens tirés du droit communautaire (CJCE, 14 déc. 1995, Van

Schijndel). Cette dernière solution doit cependant être nuancée : certains arrêts de la Cour de

justice poussent à penser que le juge communautaire tient à limiter l’obligation pour le juge

national de relever d’office l’application des règles communautaires aux seules hypothèses où

seraient en cause des dispositions fondamentales du droit communautaire (CJCE, 1er juin

1999, Eco Swiss).

82
3. La responsabilité de l’État du fait de la violation du droit
communautaire
Cette question n'a pour l'instant pas connu de développements significatifs en droit
communautaire africain.
En droit communautaire européen, l’idée selon laquelle la violation du droit

communautaire par les autorités nationales est de nature à engager la responsabilité de la

puissance publique a été solennellement consacrée par l’arrêt Francovich et Bonifaci du 19

nov. 1991 : « les EM sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les

violations du droit communautaire qui lui sont imputables ». En l’espèce, le défaut de

transposition par l’Italie d’une directive constituait le fait générateur de la responsabilité.

Le raisonnement de la Cour est en substance le suivant : le principe de la

responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers par des violations de la

législation communautaire qui lui sont imputables est « inhérent au système du traité » ; et le

droit à réparation « trouve directement son fondement dans le droit communautaire ».

Un autre principe a été également mis en exergue, accentuant ainsi l’emprise des

contraintes du droit communautaire sur l’autonomie des régimes nationaux de responsabilité.

La Cour a ainsi affirmé que le principe du droit à réparation en cas de violation du droit

communautaire « est valable pour toute hypothèse de violation du droit communautaire par

un EM, et quel que soit l’organe de l’EM dont l’action ou l’omission est à l’origine du

manquement » (CJCE, 3 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame). C’est dans le

prolongement de ce principe qu’il a été récemment considéré que la responsabilité pouvait

être engagée du fait de la violation du droit communautaire par une juridiction suprême. En

effet, il découle de l’arrêt de la CJCE, 30 septembre 2003, Köbler c/ Autriche, que : « Le

principe selon lequel les EM sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers

par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est également applicable

83
lorsque la violation en cause découle d’une décision d’une juridiction statuant en dernier

ressort… ».

Cet arrêt vient d’être confirmé par la Cour (13 juin 2006, Traghetti del

Mediterraneo c/ Italie) : cette responsabilité ne peut être limitée aux seuls cas du dol et de la

faute grave du juge si une telle limitation conduisait à exclure l’engagement de cette

responsabilité dans les cas où une méconnaissance manifeste du droit communautaire a été

commise. Elle peut être engagée lorsque la violation manifeste du droit communautaire

résulte d’une interprétation des règles de droit ou d’une appréciation des faits et des preuves.

Les conditions d’engagement de la responsabilité.

La responsabilité de l’État est engagée dès lors que trois conditions sont remplies :

le résultat prescrit par la norme communautaire doit comporter l’attribution de droits au profit

des particuliers, la violation doit être suffisamment caractérisée, et il doit exister un lien de

causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par la

victime de la violation.

Si les première et troisième conditions sont aisément compréhensibles, il n’en est

pas de même de celle qui a trait à l’exigence d’une violation suffisamment caractérisée. Dans

l’arrêt Brasserie du Pêcheur et Factortame, la Cour la définit comme « une méconnaissance

manifeste et grave par un EM ou par une institution communautaire des limites qui

s’imposent à son pouvoir d’appréciation ». La violation est sans nul doute toujours

caractérisée en cas de non –transposition d’une directive (8 oct. 1996, Dillenkoffer) ;

hypothèse qui se distingue de la transposition incorrecte qui doit donner lieu à une

appréciation de la marge d’appréciation laissée à l’État. Ce n’est que lorsque le texte

communautaire laisse à l’EM une certaine marge d’appréciation que la Cour exige une

violation caractérisée.

84
Dans l’arrêt Köbler de 2003, la Cour considère qu’afin de déterminer si la

violation est suffisamment caractérisée lorsque la violation en cause découle d’une décision

d’une juridiction suprême, « le juge national compétent doit, en tenant compte de la

spécificité de la fonction juridictionnelle, rechercher si cette violation présente un caractère

manifeste ».

La réparation s’effectue dans le cadre du droit national. En effet, le principe

d’équivalence impose aux États de traiter les réclamations dans ce domaine de la même

manière que les réclamations fondées sur la violation du droit interne. Cependant, le principe

d’effectivité leur impose d’écarter toute règle nationale qui rendrait l’obtention de la

réparation impossible voire excessivement difficile.

Cas de la prise en compte de cette jurisprudence par les juridictions

françaises. Le CE avait à l'origine opté pour l’application du régime général de la

responsabilité administrative (ass., 28 févr. 1992, Arizona Tobacco Products et SA Philip

Morris France), mais avait semblé éprouver plus de difficulté à reconnaître sans équivoque la

responsabilité du législateur (notamment la seule base de la violation du droit communautaire)

(Aff. des tabacs : responsabilité de l’État engagée à l’égard de sociétés importatrices de

tabacs, en raison du préjudice que leur a causé l’application d’un décret du 31 déc. 1976,

fixant les prix de vente des tabacs selon des modalités incompatibles avec les objectifs d’une

directive du 19 déc. 1972 ; or l’illégalité de ce décret était la conséquence de l’incompatibilité

avec la directive de la loi en application de laquelle il avait été pris). La même perspective se

retrouve dans un jugement récent du TA Paris, 7 mai 2004, Assoc. France Nature

Environnement, dans lequel le juge accepte d’engager la responsabilité de l’État pour la non

compatibilité des arrêtés ministériels ou préfectoraux fixant les dates d’ouverture et de

fermeture de la chasse avec les objectifs de la directive de 1979 sur la conservation des

85
oiseaux sauvages ; et refuse de l’engager pour l’incompatibilité avec le même texte de la loi

du 3 juillet 1998 sur la chasse : « il n’appartient pas au juge administratif d’engager la

responsabilité de l’État sur le fondement d’une faute du législateur du fait de l’adoption de

lois qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs d’une directive communautaire ».

Il faut dire cependant que la CAA Paris a été plus audacieuse en reconnaissant la

responsabilité de l’État (1er juill. 1992, Sté Jacques Dangeville, s’il évite le terme de faute,

l’arrêt déclare l’État responsable en raison du caractère illicite de la situation créée par la non-

adaptation d’une loi fiscale aux objectifs d’une directive) ; mais le CE a soigneusement évité

de se prononcer sur le bien-fondé de cette solution en cassant l’arrêt d’appel pour des raisons

procédurales (30 oct. 1996, Dangeville). Soulignons que la France a été récemment

condamnée dans cette affaire par la Cour EDH, se fondant sur l’absence d’un recours effectif

devant le juge français. La Cour a jugé que la directive non transposée étant d’effet direct,

devait servir de fondement à l’action en responsabilité engagée par la société requérante. Elle

contribue ainsi à une application effective du droit communautaire (Cour EDH, 16 avr. 2002,

SA Dangeville c/ France).

Le TA de Clermont-Ferrand s’est montré quant à lui beaucoup plus audacieux en

n’hésitant pas à établir la responsabilité de l’État « sur le fondement d’une faute du pouvoir

législatif » du fait de la violation du droit communautaire (23 sept. 2004, SA Fontanille). Ce

n’est cependant pas cette voie qu’a récemment empruntée le CE.

La haute juridiction administrative a plutôt opté pour un régime de responsabilité

sui generis, de type objectif dans son arrêt d’ass., 8 février 2007, M. Gardedieu : RFDA 2007,

p. 361 : « Considérant que la responsabilité de l'État du fait des lois est susceptible d'être

engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques,

pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette

86
loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé

réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme

une charge incombant normalement aux intéressés, d'autre part, en raison des obligations

qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités

publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi

adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ».

En dernier lieu, le CE français s’est rapproché de la logique de la jurisprudence

Köbler dans son arrêt du 18 juin 2008, Gestas : « En vertu des principes généraux régissant la

responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la

fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à

indemnité. Si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette

responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la

décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de

l'État peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle

est entaché d'une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer

des droits aux particuliers ».

Section 2 - La mise en articulation du droit national avec le droit

communautaire

L’objectif dans cette section est de mettre en valeur ce qu’il convient de qualifier

avec le Professeur Joël RIDEAU de « dimension étatique » de la construction communautaire.

La mise en articulation ici postulée permet de faire l’esquisse d'un droit national de

l'intégration communautaire en Afrique francophone ; droit national qui constitue à la fois

l'expression d'une liberté et la traduction d'un engagement. Dans cette mesure, l'on peut

identifier un ensemble de dispositifs normatifs et institutionnels organisant les relations de ces

87
États avec les systèmes juridiques mis en place au niveau communautaire. Il y aurait ainsi

d'une part des dispositifs normatifs d'habilitation de la participation de l'État à la construction

communautaire (droit national d'habilitation de l'engagement communautaire de l'État) et,

d'autre part, des mécanismes normatifs et institutionnels de mise en œuvre du droit

communautaire dans l'ordre juridique interne (droit national d'exécution du droit

communautaire).

& 1. Le droit national d'habilitation du droit communautaire

Il s’agit ici de rechercher quels sont les fondements de la participation de l’État à

la construction communautaire. On retrouve à ce stade les considérations tenant à la

légitimation constitutionnelle de l’engagement communautaire de l’État. De ce point de vue,

on note d’une part la prégnance de la volonté de l’État, qui déteint d’autre part sur

l’appréhension constitutionnelle banalisée ou singulière de l’engagement communautaire de

l’État.

A) Une expression de la volonté de l’État

En droit des relations extérieures comme en droit communautaire, la volonté de

l’État légitime son engagement dans l’ordre externe. Elle se traduit généralement par

l'expression formelle des autorités habilitées au sein de l'État à nouer, notamment par

conventions, des relations avec d'autres entités étatiques ; processus que le doyen Maurice

KAMTO traduit par les consentements d'attestation et d'engagement (« La volonté de l’Etat

en droit international », Recueil des Cours de l’Académie de Droit International (RCADI)

2004, vol. 310). Cette considération ne constitue, en d'autres termes, que la manifestation de

l'affirmation selon laquelle, et comme l’a souligné la CPJI dans son arrêt de 1923, affaire du

Vapeur Wimbledon, « la faculté de contracter des engagements internationaux est

précisément un attribut de la souveraineté de l’État ». Par conséquent, et en empruntant à la

88
formule du Tribunal constitutionnel allemand, les États demeurent les « maîtres des traités ».

Cette approche consensualiste peut se vérifier à un double point de vue.

Elle est d'abord perceptible dans le fait que l'engagement communautaire de l'État,

dans la plupart des pays d'Afrique noire francophone, a pour principal vecteur les dispositions

constitutionnelles relatives aux traités et accords internationaux. Il s'agit là d'une constante du

« droit constitutionnel international » de ces États, qui est révélatrice de l'incontestable

« classicisme des procédures... » en matière de répartition des compétences internationales.

Sans avoir à trop insister, l'observation générale de la plupart de ces Constitutions montre que

c'est le Président de la République qui est la principale autorité habilitée à engager l'État au

plan international, et donc dans le cadre de la construction communautaire. C'est ainsi par

exemple que lui est reconnue la mission générale de garant du respect des traités et accords

internationaux, ou encore que lui revient la compétence de négocier et de ratifier les traités, y

compris communautaires.

Pour ce qui concerne en particulier les traités instituant les Communautés

économiques régionales, la compétence présidentielle de ratification ou d'approbation des

engagements internationaux est subordonnée à l'autorisation préalable du Parlement. En effet,

ces engagements peuvent être qualifiés de « traités relatifs à l'organisation internationale » et

ressortissant de ce fait à la prérogative constitutionnelle reconnue au Parlement. Il apparaît

significatif dans cette mesure de mettre en valeur la considération selon laquelle la volonté de

l'État contraint le droit national d'habilitation de l'engagement communautaire à emprunter la

même porte d'entrée constitutionnelle que les engagements internationaux classiques.

Il faut ensuite préciser que cette même volonté de l'État est prégnante dans le

processus d'adoption et de révision des traités communautaires. En effet, à l'exception notable

89
du traité CEDEAO révisé1, tous les autres engagements communautaires font une place

exclusive au consensus voire à l'unanimité. C'est ainsi qu'ils doivent être signés ou révisés par

l'ensemble des États membres, et que leur entrée en vigueur est subordonnée à la ratification

par les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives. A ce sujet, le traité

révisé CEMAC de juin 2008 prévoit respectivement que : les modifications des traités ou des

conventions subséquentes « entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les États

membres en conformité avec leurs règles constitutionnelles respectives » (article 57, alinéa 3)

; « Le présent traité sera ratifié à l'initiative des Hautes parties contractantes, en conformité

avec leurs règles constitutionnelles respectives » (article 66). L'autonomie constitutionnelle

des États membres, et au final leur liberté souveraine, est ainsi sauvegardée. Ce diagnostic est

conforté par la possibilité qui est ouverte à tout État membre de dénoncer ou de se retirer

volontairement du traité communautaire2.

L'horizon du droit national d'habilitation demeure donc rivé, sous l'influence de la

volonté de l'État, vers les règles classiques du droit des traités. Nonobstant ses contours quasi

indépassables, cet horizon peut composer, s’agissant de l’engagement communautaire, avec

l’existence d’un fondement constitutionnel, plus ou moins en adéquation avec la spécificité du

droit de l’intégration.

B) Le droit national d’habilitation, entre banalisation et singularisation

La question qui se pose en l’espèce est celle de l’existence ou non de clauses

constitutionnelles d’intégration. Autrement dit, existe-t-il des dispositions constitutionnelles

habilitant, de façon spécifique, l’État à conclure des traités communautaires ? Cette question

1
L'article 89 du traité CEDEAO révisé à Cotonou en 1993 et l'article 4 du protocole additionnel du 11 juin 2006
portant amendement de ce traité subordonnent l'entrée en vigueur à l'accomplissement des formalités appropriées
en la matière par 9 États membres.
2
Articles 107 du traité UEMOA révisé, 91 du traité CEDEAO révisé, 91, paragraphes 1 à 3 du traité CEEAC et 58
du traité CEMAC révisé.

90
est d'autant plus essentielle que « les organes compétents, les procédures à utiliser pour la

mise en œuvre du droit communautaire sont déterminés par les prescriptions

constitutionnelles étatiques ». De plus, envisager ici d'évoquer ces normes constitutionnelles

d'habilitation de l'engagement communautaire des États c'est postuler qu'elles conduisent à

« renforce[r] à la fois l'ancrage juridique et la légitimité politique de [leur] participation [à

l'intégration communautaire] ». A ce propos, deux catégories d’habilitation peuvent être

dégagées de la mobilisation des Constitutions des États d’Afrique noire francophone ; les unes

emportant relative singularisation des processus d'intégration et les autres valant banalisation

de l'intégration communautaire.

La première approche est la plus dominante, celle qui accorde une place

relativement singulière à l'intégration communautaire. A cet égard, les préambules de

plusieurs Constitutions, notamment d'Afrique de l'Ouest (Bénin, Niger ou Sénégal)

réaffirment l'attachement à l'unité africaine et s'engagent « à tout mettre en œuvre pour

réaliser l'intégration régionale et sous régionale ». Dans le prolongement de ces

proclamations préambulaires, les constituants concernés ont prévu des clauses d'intégration

rédigées ainsi qu'il suit : « La République du Sénégal peut conclure avec tout État africain des

accords d'association ou de communauté comprenant abandon partiel ou total de

souveraineté en vue de réaliser l'unité africaine »3, ou encore « La République du Bénin,

soucieuse de réaliser l'unité africaine peut conclure tout accord d'intégration sous régionale

ou régionale... »4.

3
Article 96, alinéa 3 de la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 révisée ; voir aussi l'article 172 de la
Constitution de la VIIème République du Niger en date du 25 novembre 2010.
4
Article 149 de la Constitution du Bénin du 11 décembre 1990 modifiée.

91
Cette clause constitutionnelle d'intégration a fait l'objet d'une interprétation souple

visant à juger compatible avec la souveraineté internationale de l'État la participation du

Bénin aux différentes entreprises d'intégration régionale ou sous régionale.

En effet, saisi par le Président de la République du traité OHADA signé à Port-

Louis le 17 octobre 1993, la Cour constitutionnelle du Bénin a considéré que ce traité

d'intégration ne contenait aucune clause contraire à la Constitution, se fondant sur une

approche souple de la souveraineté de l'État5. En effet, si elle reconnaît que certaines

stipulations (compétences reconnues à la Cour commune de justice et d'arbitrage,

dessaisissement de certaines institutions nationales, etc.) constituent un abandon partiel de

souveraineté, la Cour affirme d'une part « qu'il n'en résulte pas cependant changement de

statut international du Bénin en tant qu'État souverain et indépendant » (considérant 8) et

considère d'autre part – suite à une interprétation combinée du préambule et de l'article 149 -

« que la réalisation de l'Unité africaine implique nécessairement un abandon et à tout le

moins une limitation de souveraineté ; qu'une telle limitation ou un tel abandon partiel de

souveraineté a un fondement constitutionnel... » (considérant 10).

Soulignons au demeurant que la position de la Cour constitutionnelle rejoint, à

certains égards, celles adoptées d'une part par le Conseil constitutionnel sénégalais et d'autre

part par la Cour suprême de justice de République démocratique du Congo. Pour le premier,

le préambule de la Constitution fonde d'éventuels abandons de souveraineté, et en tout état de

cause le traité OHADA s'assimile « non pas à un abandon de souveraineté, mais [à] une

limitation de compétences qu'implique tout engagement unilatéral »6. Quant à la seconde, elle

5
Décision DCC 19-94 du 30 juin 1994, Président de la République.
6
Conseil constitutionnel sénégalais, 16 décembre 1993 : Recueil Pénant, n° 827, mai-août 1998, pp. 225-234,
note Alioune SALL.

92
a jugé – se fondant sur l'article 217 de la Constitution7 – que les stipulations conventionnelles

incriminées doivent être analysées comme « des clauses de transfert de compétences et de

limitation de souveraineté des États membres au profit de l'OHADA »8. Au vu de ces

décisions, il ne fait pas de doute que le constituant béninois a, comme certains autres en

Afrique francophone, « préparé un terrain juridique propice à l'intégration ».

Sous une forme moins offensive, plusieurs États membres de la CEMAC

prévoient dans leurs Constitutions la possibilité de conclure des accords d'association, de

coopération ou d'intégration. C'est ainsi que l'article 115 de la Constitution gabonaise de 1991

révisée dispose que : « La République conclut souverainement les accords de coopération ou

d'association avec d'autres États. Elle accepte de créer avec eux des organismes

internationaux de gestion commune, de coordination ou de libre coopération »9. Sur cette

base, la Cour constitutionnelle gabonaise a pu exercer un contrôle peu approfondi de l'Acte

Constitutif de l'Union africaine, en déclarant que : « Considérant qu'il résulte de l'examen du

texte de l'Acte constitutif de l'Union africaine, d'une part, que celui-ci constitue un traité ou

accord au sens des articles 113 à 115 de la Constitution et, d'autre part, que ledit texte ne

comporte aucune clause contraire à la Constitution »10 ; sans aucun éclairage quant aux

motifs conduisant à cette déclaration de non contrariété. Ce qui incline à penser que la Cour

7
Aux termes de l'article 217 de la Constitution de 2006 : « La RDC peut conclure des traités ou accords
d'association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l'Unité
africaine ».
8
Cour suprême de justice de RDC, décision n° R.CONST.112/TSR, 5 février 2010, comm. Marcel
WETSH'OKONDA KOSO, www.la-constitution-en-afrique.org/8-categorie-10195444.html
9
Voir, pour des formules proches, les articles 218 de la Constitution tchadienne de 1996 révisée et 182 de la
Constitution congolaise du 20 janvier 2002.
10
Décision n° 009/CC du 13 juin 2001 relative à la loi n° 003/2001 autorisant la ratification de l'Acte constitutif de
l'Union africaine. Voir de manière générale.

93
considère la clause de l'article 115 comme habilitant l'État à conclure des traités instituant des

organisations d'intégration régionale ou sous régionale.

La seconde catégorie se rapporte aux États qui ne prévoient dans leurs

Constitutions aucune clause d'intégration. De ce point de vue, l'on a pu considérer que les

formules figurant dans les préambules pouvaient servir de fondement implicite à l'engagement

communautaire. Il en est notamment ainsi du préambule de la Constitution togolaise de 1992

révisée qui proclame que le Peuple togolais s'engage « à défendre la cause de l'unité

nationale, de l'unité africaine et à œuvrer à la réalisation de l'intégration sous régionale et

régionale ». Moins expressif à l'égard de l'entreprise d'intégration communautaire est la

Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 révisée. En effet, il faut souligner que l'option

assimilationniste du constituant camerounais transparaît clairement de certains énoncés du

préambule. Il en est ainsi du passage suivant : « ...convaincu que le salut de l'Afrique se

trouve dans la réalisation d'une solidarité de plus en plus étroite entre les peuples africains,

[le Peuple camerounais] affirme sa volonté d'œuvrer à la construction d'une Afrique unie et

libre, tout en entretenant avec les autres nations du monde des relations pacifiques et

fraternelles conformément aux principes formulés par la Charte des Nations Unies ». S'il

s'agit là incontestablement d'un marqueur international de la Constitution camerounaise, il

n'en demeure pas moins – ainsi que l'ont montré certains auteurs – que nous sommes en

présence d'une forme de « profession de foi internationaliste » ou encore de « ...la

sanctification de la coopération à l'échelle africaine ».

Un tel énoncé constitutionnel peut certes servir de fondement implicite à

l'engagement communautaire du Cameroun, mais il ne peut constituer une véritable clause

constitutionnelle d'intégration. Il a pu être à cet égard soutenu que dans le texte

constitutionnel camerounais, « aucune référence n'est faite à l'intégration régionale ou la mise

94
en place d'organismes intergouvernementaux », ou encore que cette loi fondamentale est

« ...muette sur la question et ne consacre spécifiquement aucun titre, chapitre ou article aux

conventions d'association ou d'intégration ».

Dans la mesure où les clauses d'intégration permettent de mesurer le « degré

d'ouverture des Constitutions nationales au phénomène communautaire... », il n'est pas

exagéré de penser que l'option assimilationniste sus-évoquée tient vraisemblablement à la

culture principalement internationaliste des « rédacteurs » de la Constitution camerounaise.

Une mise en adéquation de cette dernière avec les processus d'intégration communautaire

apparaît de ce point de vue nécessaire. En effet, et paraphrasant les termes d'un rapport

parlementaire concernant la situation de la France avant la révision constitutionnelle de 1992,

« il semble paradoxal […] qu'en dépit de l'ancienneté de l'engagement [camerounais] dans la

construction communautaire, et des incidences chaque jour croissantes que celle-ci entraîne

dans l'ordre juridique interne, le système communautaire ne tire finalement sa force en droit

interne que des dispositions très générales de la Constitution en matière de traités

internationaux ».

En tout état de cause, l’existence du droit national d’habilitation de l’engagement

communautaire de l’État est donc indéniable, même si l’on peut considérer qu’il est à

géométrie variable. La prégnance de la volonté de l’État soulignée plus haut peut, à certains

égards, se retrouver dans le processus de fabrique du droit communautaire dérivé ; où l’on

peut déceler une dose de présence étatique (rôle moteur de la Conférence des chefs d’État et

de gouvernement ; place centrale des Conseils des ministres ou Comités ministériels dans le

processus décisionnel communautaire). Tout ceci questionne, en tout état de cause, la figure

de l’État comme autorité de mise en œuvre du droit communautaire.

95
& 2. Le droit national d'exécution du droit communautaire

Le droit national d’exécution du droit communautaire se rapporte à la question de

la mise en œuvre de ce droit de l’intégration. Il s’agit, à ce titre, de prendre la mesure des

implications du statut de l’État membre d’une Communauté sous régionale. Cela renvoie en

d’autres termes à la fonction d’exécution du droit communautaire, « qui désigne l’ensemble

des actes juridiques et matériels par lesquels les organes étatiques concourent à

l’« exécution » du droit communautaire » ; exécution qui traditionnellement recourt à des

moyens normatifs (A) ainsi qu’à l’activité juridictionnelle (B), étant entendu que les premiers

s’avèrent timorés et la seconde apparaît retenue.

A) Les difficultés tenant à l'exécution normative

La question de l’exécution normative, et a fortiori administrative, du droit

communautaire traduit quelques figures théoriques mises en valeur par la doctrine, avec pour

entrée la théorie du dédoublement fonctionnel soutenue par G. Scelle aux termes de laquelle

« les agents dotés d’une compétence institutionnelle ou investis par un ordre juridique

utilisent leur capacité fonctionnelle telle qu’elle est organisée dans l’ordre juridique qui les a

instituées mais pour assurer l’efficacité des normes d’un autre ordre juridique privé des

organes nécessaires à sa réalisation ». Par la suite a été privilégié le principe d’administration

indirecte qui implique que la mise en œuvre normative du droit communautaire revient aux

États membres conformément à leurs règles procédurales. On répond ainsi à un impératif

démocratique et de subsidiarité, car « le recours aux « moyens étatiques » aux fins de mise en

application du droit communautaire […] présente un avantage indéniable qui garantit leur

efficacité : le droit [communautaire] est ainsi mis en œuvre « le plus près possible du

citoyen » par des moyens conformes aux exigences de l’État de droit ». On ne peut à ce stade

qu’en déduire que, pour ce qui est de l’exécution normative, la recherche d’articulation entre

96
les exigences tirées du principe de coopération loyale et le nécessaire respect de l’autonomie

constitutionnelle et procédurale des États membres est centrale.

L’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres s’impose d’autant

plus que les Communautés économiques régionales, y compris en Afrique noire francophone,

ne disposent pas de moyens leur permettant de faire appliquer en droit interne le droit élaboré

par les institutions communautaires. De ce point de vue, ce principe « signifie que, lorsque

des mesures de mise en œuvre du droit [communautaire] doivent être arrêtées par les États

membres, ceux-ci se conforment aux règles qui découlent de leur droit interne et notamment

de leur droit constitutionnel, pour ce qui concerne la détermination des organes compétents et

des procédures à utiliser ». Les États membres sont ainsi libres de recourir à l’instrument

juridique de leur souhait pour mettre en œuvre le droit communautaire ; ce dernier étant

indifférent à la distinction classique en droit interne entre la loi et le règlement.

Cependant, cette autonomie procédurale doit être conciliée avec l’exigence de

coopération loyale ; ce que donne à voir par exemple l’article 5, paragraphe 2 du traité

CEDEAO révisé qui stipule que « Chaque État membre s’engage à prendre toutes les mesures

appropriées, conformément à ses procédures constitutionnelles, pour assurer la promulgation

et la diffusion des textes législatifs et réglementaires nécessaires à l’application du présent

traité ». Le principe de loyauté communautaire est par ailleurs décliné à l’article 4 traité

CEMAC révisé dans les termes suivants : « Les États membres apportent leur concours à la

réalisation des objectifs de la Communauté en adoptant toutes mesures générales ou

particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité. A cet

effet, ils s’abstiennent de prendre toute mesure susceptible de faire obstacle à l’application du

présent traité et des actes pris pour son application »11. Ainsi formulé, le principe de

11

97
coopération loyale, comme l’a mis en exergue le professeur Anne LEVADE, implique une

double obligation : « positive à la charge des États membres […] qui se traduit par un pouvoir

général d’exécution du droit communautaire… », et « négative qui les oblige à s’abstenir de

toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des buts du traité ».

Tout ceci impose aux États membres d’une Communauté d’adapter leurs systèmes

normatifs et institutionnels, à commencer par les structures gouvernementales qui doivent

traduire leur engagement communautaire. Cette approche a été par exemple retenue par l’Acte

additionnel n° 18/CEMAC-CCE-O9 du 25 juin 2008 portant adoption du principe de la mise

en place généralisée des ministères chargés de l’intégration régionale au sein des

gouvernements des États membres de la CEMAC ; texte qui invite les États membres à mettre

en place une structure nationale chargée des questions d’intégration, au sein de laquelle serait

prévue une Cellule interministérielle dédiée au suivi des questions d’intégration. A ce propos,

et concernant de manière générale les structures gouvernementales des États d’Afrique noire

francophone, il faut reconnaître qu’une telle recommandation est assez largement prise en

compte. De façon plus précise, les questions d’intégration régionale ou africaine sont souvent

rattachées au ministère des affaires étrangères (Gabon, Tchad, Niger notamment).

Pour le reste, l’adaptation institutionnelle et normative des ordres juridiques

nationaux semble encore timorée. En effet, la « face institutionnelle du droit [national] de

l’intégration » comme « l’adaptation de l’État à son statut d’État membre » ne sont pas encore

assez visibles. Cela implique de mettre en place : des organes de suivi, de veille et d’analyse

juridico-politique (adaptation de l’administration centrale, commissions parlementaires

chargées spécialement des questions d’intégration), des organes spécifiques de projection

Ce principe de loyauté communautaire a été précisé par la Cour de justice des Communautés européennes, 22
octobre 1998, Kellinghusen, aff. C-36/97 et C-37/97, Rec. I-6337 : « Selon une jurisprudence de la Cour, les
relations entre les États membres et les institutions communautaires sont régies […] par un principe de
coopération loyale. Ce principe oblige […] les États membres à prendre toutes les mesures propres à garantir la
portée et l’efficacité du droit communautaire ».

98
(assurant la représentation des intérêts étatiques dans les mécanismes complexes de prise de

décision et de mise en œuvre du droit communautaire), d’un Secrétariat général chargé des

questions d’intégration (assurant principalement la coordination interministérielle dans le

processus d’élaboration et d’exécution du droit communautaire).

En matière d’exécution normative et administrative, on est loin d’assister – hors

certains domaines de l’intégration – à un véritable réflexe communautaire dans l’élaboration

des législations et réglementations nationales. Ceci est notamment dû à une insuffisante

culture de l’intégration voire à une absence de volonté politique des États. Est significative à

cet égard la non-application par certains États de l’Acte additionnel n° 01/13-CEMAC-070U-

CCE-SE du 25 juin 2013 portant suppression du visa pour tous les ressortissants de la

CEMAC circulant dans l’espace communautaire, à partir du 1er janvier 2014. Il n’est donc pas

aisé à l’heure actuelle de mesurer le taux comme la qualité de la mise en œuvre du droit

communautaire par les États d’Afrique francophone. En effet, on peine à voir la traduction

concrète des principes d’équivalence (les mêmes règles doivent être applicables en matière

d’application du droit communautaire qu’en matière d’application du droit national) et

d’effectivité (les mesures nationales ne rendent pas impossible ou particulièrement difficile

l’exercice des droits issus du droit communautaire). L’impression qui prédomine alterne entre

la piètre discipline communautaire des États et l’existence, certes réelle, d’un droit national de

l’exécution du droit communautaire, mais encore largement « souterrain ». En tout état de

cause, ce rôle communautaire des EM est central dans l’effectivité et l’application uniforme

du droit de l’intégration ; une telle considération n’est pas étrangère à l’office du juge

national.

99
B) Les limites de l'exécution juridictionnelle

Les juges nationaux au contact du droit communautaire n’exercent plus seulement

un office de pur droit interne. On parle dans cette mesure de juridictions nationales, juges de

droit commun du droit communautaire. Ce rôle a par exemple été remarquablement mis en

exergue par le juge communautaire européen dans son arrêt Administration des douanes de

l’État c/ SA Simmenthal du 9 mars 1978 : « Tout juge saisi, dans le cadre de sa compétence, a,

en tant qu’organe d’un EM, pour mission de protéger les droits conférés aux particuliers par

le droit communautaire ». Cette affirmation communautaire a été par ailleurs reprise par

certains juges européens, à l'instar du Conseil d'État français qui considère que la juridiction

administrative est « ...juge de droit commun de l'application du droit communautaire... »12.

A ce propos, l'on peut formuler l'hypothèse qu'en Afrique noire francophone, « le

rôle communautaire des juridictions nationales » n'a pas encore été appréhendé à sa juste

mesure ; alors même qu'il est impliqué par l'affirmation du principe de primauté du droit

communautaire présenté plus haut (art. 44 CEMAC, 6 UEMOA et avis de la Cour de justice

de l'UEMOA n° 001/2003 du 18 mars 2003). Or, nos investigations ne nous ont pas permis

d'identifier des prises de position de juridictions nationales reconnaissant la primauté du droit

communautaire, notamment sur le fondement de l'autonomie de cet ordre juridique

d'intégration. Une telle situation est peut-être inhérente au tropisme national de la plupart des

juridictions concernées, qui ont du mal à rendre inapplicables une norme législative ou

réglementaire nationale pour cause de contrariété avec le droit communautaire. Autrement dit,

l’instrument du contrôle de « communautarité » n’est pas encore suffisamment utilisé,

excluant par conséquent l'existence d'un contentieux spécifique des actes nationaux

d'exécution du droit communautaire.

12
Conseil d'Etat français, ass., 30 octobre 2009, Mme Perreux.

100
Quelques solutions du juge judiciaire camerounais peuvent tout de même être

relevées :

- TPI de Yaoundé, ordonnance de référé n° 200/c du 30 novembre 2000 : « Tout

juge national saisi dans le cadre de sa compétence a l'obligation d'appliquer intégralement le

droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers en laissant

inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, qu'elle soit

antérieure ou postérieure » ;

- Cour suprême, 15 juillet 2010, arrêt n° 21/civ., Michel Zouhair Fadoul c/ Omaïs

Kassim Selecta SARL : « Attendu qu'il ressort de cette disposition constitutionnelle [article

45] une hiérarchie des normes qui consacre la primauté des conventions internationales

ratifiées par le Cameroun sur la norme interne ; que le juge national en tire son investiture à

exercer le contrôle de la conventionnalité des dispositions de la loi interne pour faire

prévaloir le traité sur celles-ci au cas où elles lui sont contraires ; qu'ainsi, en cas de conflit

entre une convention internationale et une norme interne contraire, la seconde est écartée du

champ de contentieux de l'espèce » ;

- Cour suprême, ordonnance n° 498 du 5 novembre 2013, Dame Veuve Yamsi c/

Dame Gomdjim : « qu'en vertu de l'article 45 de la Constitution, les traités régulièrement

ratifiés et entrés en vigueur prennent place dans la hiérarchie des normes juridiques à côté de

la Constitution et au-dessus des lois... ».

Cette retenue des juridictions des États d'Afrique noire francophone, dans

l'exercice de leur office de juge communautaire de droit commun, s'observe aussi dans le

recours au renvoi préjudiciel. En effet, cette voie de droit permet au juge national de saisir la

juridiction communautaire d'une question préjudicielle d'interprétation ou d'appréciation de

validité du droit communautaire. Et il a été démontré que le renvoi préjudiciel contribue à

101
« ...assurer une interprétation et une application uniformes du droit communautaire sur

l'ensemble du territoire de la Communauté ; ensuite faciliter l'intégration de ce droit dans les

systèmes juridiques nationaux... ». Là encore, et à notre connaissance, les juridictions

nationales y ont très peu recours, et lorsque tel est le cas, elles ne le font nullement dans la

logique du dialogue des juges. Ainsi, la Cour de justice de l'UEMOA a-t-elle dû se déclarer

incompétente, dans son arrêt n° 02/2005 du 12 janvier 2005, Cie Air France et Syndicat des

agents de voyage et de Tourisme du Sénégal, à désigner la juridiction nationale devant

connaître d'un pourvoi ainsi que le lui demandait le Conseil d'État sénégalais, car « la

compétence que le traité de l'UEMOA attribue à la Cour de justice dans le cadre de la

procédure de renvoi est expressément celle de statuer « à titre préjudiciel ». En outre, dans un

arrêt du 25 novembre 2010, École inter-Etats des douanes c/ Djeukam Michel, la Cour de

justice CEMAC a été contrainte d'affirmer que : « ...le « contentieux préjudiciel n’étant que

l’archétype d’une justice dialogique » la Cour d’appel de Bangui qui ne dit pas en quoi la

légalité de la décision n° 23/CEMAC/EIED concernée est contestée, ne met pas la Cour en

l’état d’apprécier la validité de cette décision. Il incombait aux juridictions centrafricaines, à

partir des indications factuelles du litige, de constater leur incompétence ratione materiae

pour connaître d’un recours entrepris par un fonctionnaire de la CEMAC contre une de ses

Institutions spécialisées, et portant sur le paiement d’une indemnité de fonction ».

Au vu de ce qui précède, il est indéniable que les juridictions nationales d'Afrique

centrale et de l'Ouest peinent à maîtriser la systématique des voies de droit communautaire.

D'où les considérations en guise de recommandations formulées par deux juges de la chambre

judiciaire de la Cour de justice CEMAC : pour l'un, « ...une connaissance générale des

principes du droit communautaire et de son champ d'application est seule à même de conférer

au juge national, quel qu’il soit, le « réflexe communautaire » sans lequel l'application

102
uniforme du droit communautaire ne serait qu'une vaine exigence théorique » (juge Taty), et

pour l'autre, « ...au travers de la vulgarisation soutenue et continue des normes

communautaires et du rôle de la Cour, elle devrait parvenir à renforcer la capacité du juge

national de sauvegarder et de protéger par ses décisions les droits individuels engendrés par

des dispositions communautaires... » (juge Elenga-Ngapovo). En tout état de cause, et comme

on l’a dit, la question de l’existence d’un droit national de l’intégration communautaire couve

celle plus générale de la banalisation ou de la spécificité du droit de l’intégration

communautaire. Dans le prolongement de celle-ci, elle permet de mesurer le degré de

communautarisation des droits nationaux des pays d’Afrique noire francophone. A ce dernier

propos, et de façon tout à fait réaliste, il est difficile en l'état actuel du degré d'appréhension,

par les pays d'Afrique noire francophone, de la qualité d'État membre d'une organisation

d'intégration de formuler « ...le constat de l'émergence d'un corps de règles nationales propres

aux relations organiques et normatives avec [les Communautés dont ils sont membres] ». Que

de « chemin communautaire » restant à parcourir pour lesdits États membres, en tant que cela

conditionne le processus d'approfondissement des entreprises communautaires.

103

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