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Stefan Goltzberg
100 principes juridiques
Stefan Goltzberg

« L’exception conirme la règle », « Qui ne dit mot


consent », « Le législateur n’est pas négligent », « Lex
semper loquitur », « La lettre tue, l’esprit viviie »… Ce
manuel réunit les principes juridiques les plus
courants et les illustre par des cas réels et hypo-

100
thétiques. Un tel recueil permettra tant aux étudiants
qu’aux juristes de recourir aux maximes et principes
les plus à même de soutenir leur argumentation.
Dans la mesure où la maîtrise de ces principes est
l’apanage des juristes, un tel outil se révèlera
précieux pour tous les professionnels du droit.

100 principes juridiques


Stefan Goltzberg est chercheur FNRS à l’Université libre
de Bruxelles.

principes
juridiques
Illustration : © iStock / CarlaNichiata

ISBN : 978-2-13-080059-0

-:HSMBNA=]UUZ^U: 11 € TTC France www.puf.com

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goltzberg_100-principes-juridiques.indd Toutes les pages 13/07/2018 10:40
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100 principes juridiques

Stefan GOLTZBERG
Chercheur qualifié FNRS
Université libre de Bruxelles

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© Humensis

ISBN : 978-2
Dépôt légal – 2018, septembre
© Presses Universitaires de France/Humensis
170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris

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Sommaire

Avant-propos................................................ 15

100 principes juridiques

1. « À l’impossible, nul n’est tenu » .......... 41


2. « Audi alteram partem » ......................... 42
3. « À vous votre religion, à moi ma reli- 43
gion » .........................................................
4. « Casus omissus pro omisso habendus est » ... 44
5. « Cessante ratione cessat ipsa lex » ........... 46
6. « Ceteris paribus » .................................. 47
7. « Coacta voluntas, tamen voluntas »........ 48
8. « Dans le doute, le contrat de gré à gré
s’interprète contre le créancier et en faveur du
débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui
qui l’a proposé. » ......................................... 51
9. « De minimis non curat praetor » ........... 52
10. « Dibbera Tora bilshon bene adam » ...... 53
11. « Dibber hakkatuv bahove » ................... 55

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10 100 principes juridiques

12. « Dieu nous garde de l’équité des parle-


ments » ......................................................... 55
13. « Dieu nous garde de l’et cœtera des
notaires » ...................................................... 57
14. « Dura lex sed lex » ................................ 58
15. « Error communis facit ius » ................... 60
16. « Eiusdem generis » ................................. 62
17. « En fait de meubles, possession vaut
titre »............................................................ 64
18. « Ex nudo pacto actio non nascitur » ...... 66
19. « Ex iniuria ius non oritur » .................. 67
20. « Expressio unius est exclusio alterius » .... 68
21. « Eyn adam mesim ‘atsmo rasha‘ » .......... 69
22. « Eyn holekhin bemamon aḥar ha-rov » ... 70
23. « Eyn miqra yotse mide peshuto »............ 72
24. « Fiat iustitia, pereat mundus » .............. 73
25. « Force n’est pas droit » ........................ 75
26. « Genus nunquam perit » ....................... 75
27. « Hamotsi meḥavero ‘alav hare’aya » ...... 76
28. « In dubio, pro reo »............................... 77
29. « In hortulo iuris nil spinosum » ............. 79
30. « In pari materia » ................................. 79
31. « Inter arma silent leges » ....................... 80

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Sommaire 11

32. « Interest rei publicae ne maleficia rema-


neant impunita »........................................... 81
33. « Interpretatio cessat in claris » ............... 83
34. « Iura scripta vigilantibus » .................... 85
35. « Ius non a regula sumatur sed a iure quod
est regula fiat » .............................................. 86
36. « L’exception confirme la règle (exceptio
probat regulam) » .......................................... 87
37. « La bonne foi est toujours présumée ».... 89
38. « La chicane est interdite » .................... 90
39. « La lettre tue » ..................................... 92
40. « La loi ne dispose que pour l’avenir » ... 96
41. « La plume peut bien noter n’importe
quoi » ........................................................... 97
42. « Le contrat s’interprète d’après la com-
mune intention des parties plutôt qu’en
s’arrêtant au sens littéral de ses termes. » ..... 97
43. « Le droit pénal est de stricte interpré-
tation » ......................................................... 98
44. « Le fait juge l’homme » ....................... 100
45. « Le législateur n’est pas négligent » ...... 101
46. « Le silence n’oblige à rien » ................. 102
47. « Les exceptions sont de stricte interpré-
tation » ......................................................... 103

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12 100 principes juridiques

48. « Lettres passent témoins » .................... 104


49. « Lex semper loquitur » ........................... 106
50. « Lex specialis derogat legi generali » ....... 107
51. « Lorsqu’une clause est susceptible de deux
sens, celui qui lui confère un effet l’emporte
sur celui qui ne lui en fait produire aucun » ... 108
52. « Mater semper certa est » ....................... 109
53. « Neminem laedit qui suo iure utitur » ... 110
54. « Nemo plus iuris transferre (ad alium)
potest quam ipse habet » ................................ 111
55. « Non bis in idem » ............................... 111
56. « Non exemplis, sed legibus iudicandum
est » .............................................................. 113
57. « Non fatetur qui errat » ........................ 113
58. « Noscitur a sociis » ................................ 114
59. « Noxa caput sequitur » .......................... 116
60. « Nul n’a le droit de se faire justice » ... 118
61. « Nul n’est censé ignorer la loi (nemo
censetur ignorare legem) » .............................. 118
62. « Nul n’est contraint d’accepter » ......... 119
63. « Nul ne peut invoquer sa propre turpi-
tude (nemo auditur propriam turpitudinem
allegans) » ..................................................... 120

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Sommaire 13

64. « Nulla poena sine lege » ........................ 122


65. « Nullum crimen sine lege » .................... 123
66. « Nullus pluribus uti defensionibus prohi-
betur » .......................................................... 124
67. « Nullum simile est idem » ..................... 126
68. « Obiter dictum » ................................... 127
69. « Omnis similitudo claudicat »................ 128
70. « On ne peut être juge dans sa propre
cause » .......................................................... 129
71. « On ne peut interpréter les clauses claires
et précises à peine de dénaturation » ............ 130
72. « Optimus interpres rerum usus » ............ 131
73. « Pacta sunt servanda » .......................... 133
74. « Par in parem non habet iurisdictionem » ... 134
75. « Pas de contrainte en religion » ........... 136
76. « Pater is est quem nuptiae demonstrant »... 137
77. « Plus semper in se continet quod est minus »... 138
78. « Qui cadit a syllaba cadit a toto » ......... 139
79. « Qui ne dit mot consent » ................... 139
80. « Qui peut et n’empesche pêche » ........ 142
81. « Qui peut le plus peut le moins » ....... 143
82. « Quod abundat non vitiat » .................. 146

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14 100 principes juridiques

83. « Rebus sic stantibus » ............................. 147


84. « Res iudicata » ...................................... 148
85. « Res perit debitori » ............................... 148
86. « Res perit domino » ............................... 150
87. « Semel malus semper praesumitur esse
alus » ............................................................ 151
88. « Solus consensus obligat » ....................... 151
89. « Stare decisis » ....................................... 152
90. « Statuta sunt stricte interpretanda » ....... 154
91. « Summum ius summa iniuria » ............. 155
92. « Tafasta merube lo tafasta, tafasta mu‘at
tafasta » ........................................................ 156
93. « Ubi societas, ibi ius » ........................... 157
94. « Un homme noble tient ses promesses »... 158
95. « Une fois n’est pas coutume » ............. 159
96. « Verba cum effectu sunt accipienda » ..... 161
97. « Vim vi repellere licet » ......................... 163
98. « Yehareg ve al ya‘avor »......................... 164
99. « Yesh em lamasoret, yesh em lamiqra » ... 165
100. « Ze nehene ve ze lo ḥaser » .................. 166

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Avant-propos

Les principes juridiques

Il existe de multiples expressions qui évoquent


les principes juridiques : adages, maximes, apho-
rismes, formules, brocards, apophtegmes, principes
généraux du droit. Ces termes présentent des
nuances. L’adage est proche du proverbe, ce qui
le range de plein droit dans le champ de la paré-
miologie – étude des proverbes sous leur aspect
linguistique, grammatical, sémantique, historique,
rhétorique et rythmique.
La maxime a une connotation morale, elle côtoie
le précepte. Plusieurs de ces formes courtes sont
également des genres littéraires. La Rochefoucauld
compose des maximes, Érasme sélectionne et
commente des adages, Cioran publie des aphorismes.
En droit, la question resurgit régulièrement :
comment différencier tous ces genres littéraires de
forme courte ? Tout se passe comme si une
classification permettrait d’y voir plus clair, comme
si un peu d’ordre, une typologie, aiderait à ne
plus confondre ces soi-disant synonymes. Nous

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aborderons une approche différente, partant du


principe que la nécessité d’une typologie ne se
présume pas. S’il existe des nuances possibles, elles
semblent parfois artificielles : pour preuve, les
auteurs ne se mettent pas souvent d’accord sur la
spécificité de chacune de ces formes. Aussi, plutôt
que d’esquisser une nouvelle typologie, nous pré-
férons nous montrer minimalistes pour ce qui est
de la terminologie : nous utiliserons presque indif-
féremment tous ces termes : nous avons sélectionné
certains principes issus de la doctrine, de la cou-
tume, de la jurisprudence, mais également de la
législation. D’une manière générale, on peut tout
de même souligner le fait que certaines de ces for-
mules courtes sont souvent anonymes ou orphelines
de leurs auteurs. En effet, le proverbe et l’adage
connotent volontiers la sagesse populaire et se dis-
tinguent ainsi de la citation, dont on peut, sauf
accident de parcours, identifier l’auteur. En ce sens,
les proverbes et les adages ont ceci de commun
avec les principes généraux du droit, qu’ils paraissent
provenir d’un passé immémorial, d’une source
sapientielle, même moderne.

On peut opposer, pour simplifier, deux vues


d’ailleurs assez extrêmes, du fonctionnement des
principes juridiques : l’axiomatique juridique, qui

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« L’exception confirme la règle… » 87

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« L’exception confirme la règle
(exceptio probat regulam) »
Ce principe est connu du grand public, qui lui
prête des significations comme : « certaines excep-
tions existent, mais elles ne mettent pas en ques-
tion la règle » ; voire, « il n’y aurait pas d’exception
s’il n’y avait pas de règle ». Voici ce qu’on lit
dans la préface d’une grammaire du français : « à
l’adage scolastique – scandaleux, quand on y
réfléchit – “l’exception confirme la règle”, j’ai
substitué le credo intangible que “l’exception
infirme la règle” 1 ». Selon ce grand connaisseur
des exceptions de la langue, « l’exception confirme
la règle » signifierait quelque chose comme :
« l’exception ne met pas en question la règle,
voire la confirme ».
Il se trouve qu’en droit, le principe véhicule une
autre signification – assurément moins « scanda-
leuse 2 ». Il ne s’agit en effet pas de proférer que
sans exception, il n’y aurait pas de règle ; on voit

1. Marc Wilmet, Grammaire critique du français, Bruxelles, De Boeck-


Duculot, 2010, 5e éd.
2. Michèle Lenoble-Pinson, avec le concours de Paul Martens, Dire et écrire
le droit en français correct. Au plaisir des gens de robe, Bruxelles, Bruylant,
2014.

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88 « L’exception confirme la règle… »

mal l’intérêt, pour le juriste, d’une telle vérité. La


formulation complète nous guide pour sa compré-
hension : « l’exception confirme la règle pour les
cas non exceptés » (exceptio probat [parfois : firmat]
regulam in casibus non exceptis). Le principe entend
répondre à la difficulté qui se pose lorsqu’une règle
est assortie d’une ou plusieurs exceptions : comment
gère-t-on celles qui ne sont pas prévues par la règle ?
Peut-on les généraliser ? Énoncer que « l’exception
confirme la règle » répond par la négative : seules
sont acceptées celles qui sont explicitement men-
tionnées, les cas non prévus confirment la règle
qui doit s’y appliquer. Autrement dit, et pour citer
un adage assez proche, les exceptions sont de stricte
interprétation : exceptio est strictissimae interpreta-
tionis. L’exception étant une forme d’entorse faite
à la règle, il ne s’agit pas d’en permettre une lecture
extensive.
Le droit pénal est connu pour être également
de stricte interprétation – pœnalia sunt restringenda.
La lecture extensive, très courante en droit, n’est
pas admise lorsque cela conduirait à s’écarter d’une
règle plus générale. Dans le cas du droit pénal,
la règle générale veut que l’interprétation du texte
légal soit en faveur de l’accusé. Pourtant – et cela
n’est pas scandaleux non plus – il arrive que l’on
autorise les lectures extensives des exceptions en

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« La bonne foi est toujours présumée » 89

droit pénal ; en effet, cela se fait au bénéfice de


l’accusé.
Voir : Interpretatio cessat in claris • Le législateur
n’est pas négligent


37
« La bonne foi est toujours présumée »
« La bonne foi est toujours présumée, et c’est à
celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver » ;
ainsi s’exprime l’article 2274 du Code civil. La
présomption de bonne foi est réfragable, c’est-à-dire
qu’elle peut être renversée : elle est présumée
jusqu’à preuve du contraire. La raison pour laquelle
on présume la bonne foi est notamment qu’elle
n’est pas facile à prouver. L’article 2274 fait presque
suite à l’article 2272, qui énonce : « Le délai de
prescription requis pour acquérir la propriété
immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui
acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble
en prescrit la propriété par dix ans ». Ainsi, l’on
comprend que l’article 2272 aurait pu laisser
entendre que celui qui acquiert doit prouver sa
bonne foi. L’article 2274 nous informe que la

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90 « La chicane est interdite »

charge incombe à celui qui veut démontrer la mau-


vaise foi de l’acquéreur.
Voir : Pacta sunt servanda


38
« La chicane est interdite »
Les hommes de chicane sont des gens procédu-
riers, ce dernier terme étant clairement péjoratif.
La chicane est un raisonnement portant sur un
détail, une attention excessive accordée à certains
détails afin d’embrouiller l’affaire. Ce caractère
excessif de la chicane rapproche ce principe de la
théorie de l’abus de droit, qui introduit ou réin-
troduit certaines valeurs dans la relation interper-
sonnelle. D’une manière générale, le droit autorise
des subtilités que le sens commun aurait, en dehors
du contexte juridique, réprouvées. Cependant,
toutes les cultures juridiques ne sont pas alignées :
si toutes rejettent la chicane ou plutôt imposent à
cette dernière un seuil, certaines y sont plus tolé-
rantes que d’autres. En common law, par exemple,
certains raisonnements ont pignon sur rue alors
qu’ils seraient mal vus en droit français, notamment

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92 « La lettre tue »

39
« La lettre tue »
La formule entière est : « La lettre tue, l’esprit
vivifie ». Il s’agit d’un verset de Paul (2 Cor 3, 6).
Ce principe est typiquement non juridique ou
post-juridique, la lettre étant assez constamment
suivie en droit, du moins au titre d’une présomp-
tion : elle est de mise, à moins que l’on s’en écarte
pour certaines raisons. Alors pourquoi le citer dans
une liste de principes juridiques ? Parce qu’il est
utilisé par les juristes. Il faut préciser ce point.
Remarquons d’abord que l’opposition entre une
lettre, formaliste et légaliste, et un esprit, véritable
et vivifiant, a connu de nombreuses interprétations
depuis Origène ; la lettre est devenue synonyme
de lecture crispée et légaliste. Il n’est pas du tout
certain que tel était le sens que ces mots revêtaient
dans l’esprit (de la lettre) de Paul. Nous nous
contenterons de décrire la manière dont ce verset
est utilisé comme principe juridique.
Nous avons vu dans l’introduction que le sens
littéral (ou le sens ordinaire) bénéficiait d’une pré-
férence en droit, sous le signe d’une présomption
réfragable : le juge est censé appliquer la loi telle
qu’elle est formulée, à moins que les termes ne
soient pas clairs ou qu’il y ait une lacune ou une

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« La lettre tue » 93

contradiction apparente. La nécessité de l’interpré-


tation – au sens d’interprétation non littérale – ne
se présume pas : interpretatio cessat in claris, le juge
ne peut interpréter que s’il est établi que les termes
de la loi ne sont pas clairs. Si le caractère obscur de
la loi est établi, le juge n’a pas le droit de refuser
de juger sous peine de déni de justice ; il doit, au
contraire, interpréter. Il existe de nombreux prin-
cipes qui soulignent la nécessité, in concreto, d’in-
terpréter les dispositions légales ou les clauses d’un
contrat.
Lorsque le juge, l’avocat ou la doctrine entend
renverser cette présomption, il lui faut justifier la
nécessité ; il n’est en effet pas loisible d’écarter le
sens littéral ou ordinaire des termes sans autre
forme de procès. Plusieurs raisons peuvent être
invoquées : le caractère absurde de l’application
du sens ordinaire des termes de la loi, ce qu’on
appelle l’absurdity doctrine en common law ; le
caractère particulièrement injuste (le caractère sim-
plement injuste ne saurait suffire, le droit tolère en
effet une part de résultats sous-optimaux, notam-
ment des résultats quelque peu injustes). Toutes
ces raisons peuvent plaider en faveur d’un renver-
sement de la présomption, car en l’occurrence, une
application littérale donnerait lieu à un résultat
particulièrement insatisfaisant.

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94 « La lettre tue »

La particularité de la formule « la lettre tue, l’es-


prit vivifie », est qu’elle n’exprime pas les raisons
d’un renversement ponctuel, mais plutôt l’annonce
générale que le sens littéral serait mortifère, tandis
que l’esprit de la loi serait vivifiant. Or, un tel
principe est valable en dehors du droit. En effet,
l’une des différences entre la communication non
juridique et la communication juridique tient pré-
cisément à ce qu’en dehors du droit, en cas de
conflit entre ce que le locuteur a dit (what is said)
et ce qu’il a voulu dire (what is meant), c’est ce
dernier qui l’emporte, car le sens littéral ne sert
qu’à véhiculer un vouloir-dire – sauf en poésie,
lors d’une plaisanterie… ou de communication
juridique. En droit, on estime largement que le
législateur s’est bien exprimé (« le législateur n’est
pas négligent ») et que le citoyen a bien lu la loi
(iura scripta vigilantibus). Ce qui compte est donc
également ce que le législateur a voulu dire, mais
comme on présume qu’il s’est bien exprimé, on
considère qu’il a dit ce qu’il a voulu dire. Dès lors,
le juriste peut se prévaloir du sens littéral (qui n’est
pas forcément le sens strict). Aussi, s’il est envisa-
geable que le juriste renverse in concreto la pré-
somption de l’application du sens littéral, il serait
curieux qu’il généralise l’abandon de sa primauté.
En disant « la lettre tue », le juriste invoque un

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« La lettre tue » 95

principe typiquement non juridique (car en dehors


du droit l’esprit l’emporte sur la lettre). Cette invo-
cation est audible car le lecteur, juriste ou non
juriste, pétri de culture occidentale, a assimilé l’idée
qu’il serait erroné de s’arrêter à la lettre, puisque
celle-ci n’est que le véhicule de l’esprit et de la
véritable signification. On relèvera cette formula-
tion dans ce principe : « Le contrat s’interprète
d’après la commune intention des parties plutôt
qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes ».
On trouvera donc en droit français une condam-
nation d’une lecture pharisienne (dite aujourd’hui
littérale, légaliste ou formaliste) comme s’attachant
trop à la lettre, alors que la lecture jésuitique, éga-
lement dénoncée, se sera éloignée de manière arti-
ficielle de la lettre.
Voir : Interpretatio cessat in claris • Iura scripta
vigilantibus • Le contrat s’interprète d’après la
commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant
au sens littéral de ses termes • Le législateur n’est
pas négligent

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