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LE PRE-BARREAU

FORMATION ESTIVALE 2017

FASCICULE DE COURS

DROIT DES OBLIGATIONS

"PREUVES"

Toute reproduction de ce document ou communication à des personnes autres que les étudiants
du Pré-Barreau - sauf autorisation expresse et écrite de notre établissement – expose son auteur
à des poursuites judiciaires.
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SOMMAIRE

INTRODUCTION...................................................................................................................................... 5

CHAPITRE 1 : L’OBJET DE LA PREUVE ....................................................................................................... 9


§1 : Détermination de l'objet de la preuve ............................................................................................. 9
§2 : L'aménagement de l'objet de la preuve ........................................................................................ 10
CHAPITRE 2 : LA CHARGE DE LA PREUVE ............................................................................................... 11
§1 : Les principes de répartition de la charge de la preuve entre les parties ....................................... 11
A. La preuve de l’existence de l’obligation....................................................................................... 11
B. La preuve de l’exécution de l’obligation ...................................................................................... 11
§ 2 : Les aménagements aux principes.................................................................................................. 13
A. Les aménagements légaux et jurisprudentiels ............................................................................ 13
B. Les aménagements conventionnels ............................................................................................. 13

CHAPITRE 3 : LES MODES DE PREUVE .................................................................................................... 15


§.1 : Typologie des modes de preuve .................................................................................................... 15
A. Les modes de preuve parfaits ...................................................................................................... 15
1. L’écrit ....................................................................................................................................... 15
a. L'acte authentique ............................................................................................................................ 16
b. L'acte sous seing privé ...................................................................................................................... 17
c. L'acte sous seing privé contresigné par avocat ................................................................................. 19
2. L’aveu judiciaire et le serment décisoire................................................................................. 19
B. Les modes de preuve imparfaits .................................................................................................. 20
1. Le témoignage ......................................................................................................................... 20
2. L'aveu extrajudiciaire et le serment déféré d’office ............................................................... 20
§. 2 : Admissibilité des modes de preuve .............................................................................................. 20
A. La preuve des faits juridiques ...................................................................................................... 21
B. La preuve des actes juridiques ..................................................................................................... 22
1. Le contenu de l’article 1341 ancien (1359 nouv.) du Code civil.............................................. 22
a. La preuve de l’existence de l’acte ..................................................................................................... 22
b. La preuve contre et outre le contenu de l’acte ................................................................................ 23
2. Les dispenses à l'application de l’article 1341 ancien (1359 nouv.) du Code civil .................. 23
a. Conventions relatives à la preuve ..................................................................................................... 23
b. Liberté de preuve pour les tiers ........................................................................................................ 23
c. Contrats conclus par un commerçant ............................................................................................... 24
3. Les exceptions à l’article 1341 ancien (1359 nouv.) du Code civil .......................................... 24
a. L’impossibilité de préconstituer un écrit .......................................................................................... 24
b. La perte par cas fortuit ou force majeure ......................................................................................... 25
c. Le commencement de preuve par écrit ............................................................................................ 25
d. La copie fidèle et durable (ou copie fiable) ....................................................................................... 26

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INTRODUCTION

La question de la preuve en tant que telle est indépendante de la question de l’existence du droit. Cette
question intervient toujours en aval et ne préjuge pas du point de savoir si le droit existe ou non. En pratique
cependant, il faut admettre que le droit que l’on n’arrive pas à prouver revient pour l’intéressé à un droit qui
n’existe pas : c’est ce qu’exprimait le droit romain avec l’adage « idem est non esse aut non probari » (ne pas être
ou ne pas être prouvé, c’est tout un).
Aujourd’hui, le droit de la preuve se trouve codifié dans le Code civil (art. 1315 à 1369 anciens – devenus
art. 1353 à 1386-1 nouveaux depuis le 1er octobre 2016 – ainsi qu'à l'art. 10) et dans le Code de procédure civile
(art. 9 à 11, art. 132 à 322). Cette ventilation s’explique par le fait que les règles de preuve sont à la fois des règles
de procédure intéressant le déroulement du procès et des règles substantielles.
Si l’on essaye de retracer rapidement l’évolution de la matière, deux remarques doivent être formulées.
Tout d’abord, il convient de souligner que le droit civil français de la preuve a évolué d’un objectif de
sécurité juridique – où le juge est un acteur passif – vers un objectif de vérité – où le juge a un rôle plus actif.
Avant, le droit de la preuve était tourné vers les parties : il devait donc leur permettre de s’assurer que le
moment venu, s’il y avait contestation, elles pourraient prouver. Autrement dit, la preuve était uniquement un
moyen d’assurer l’efficacité des prétentions. Depuis les années 1970, le droit de la preuve a davantage pour finalité
la révélation de la vérité. En conséquence, le juge peut rechercher certains faits ou encore ordonner certaines
mesures lui permettant de trancher le litige. Ainsi l’article 10 C. civ. permet au juge d’enjoindre, sous astreinte, à
une partie ou à un tiers de produire certaines pièces. De même, l’article 10 C.P.C. dispose de manière générale
que le juge peut ordonner d’office des mesures d’instruction1.
La seconde évolution résulte de l’apparition de nouvelles technologies qui ont obligé le législateur à
réglementer la preuve électronique.
A ce stade de l'introduction, il convient de dire quelques mots sur la réforme du droit des obligations qui
est entrée en vigueur le 1er octobre 2016 et concerne, entre autres, la question de la preuve des obligations.

La nécessité de cette réforme a été constatée à l’occasion du bicentenaire du Code civil. En dépit de la
remarquable stabilité de ce Code, chacun s’accordait à considérer qu’il avait subi l’effet du temps et qu’une réforme
s’imposait. Plusieurs avant-projets ont ainsi vu le jour : le projet dirigé par Catala en 2005 et les projets dirigés par
Terré, sous l’égide de l’Académie des sciences morales et politiques, diffusés entre 2008 et 2013. Ils ont été
accompagnés de quelques propositions plus officielles émanant du Ministère de la justice, destinées à être
adoptées par voie d’ordonnance prise sur habilitation législative : les projets de la Chancellerie, de 2008, 2010 et
2013. A la différence des avant-projets doctrinaux, les projets du Gouvernement ont été limités au droit des
contrats, des quasi-contrats, du régime général des obligations et de la preuve, l’idée étant que ces matières
pouvaient seules être réformées par voie d’ordonnance, à l’exclusion du droit de la responsabilité civile dont les
implications plus politiques imposaient une réforme par voie législative.
Alors qu’on pensait que la réforme n’aboutirait pas dans un avenir immédiat, celle-ci a été relancée par la
loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines
de la justice et des affaires intérieures qui autorise le Gouvernement à réformer le droit des obligations par voie
d’ordonnance.
En particulier, l’article 8 paragraphe 12 de la loi autorise le Gouvernement à « clarifier et simplifier
l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ».
Aux termes de cette loi d’habilitation, le ministère de la Justice devait prendre une ordonnance de réforme
dans le délai d’un an à compter de la publication de la loi, c’est-à-dire avant le 17 février 2016. A cette fin, le
Gouvernement a élaboré un « projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de
la preuve des obligations » reprenant ses projets antérieurs. Ce nouveau projet a été rendu public le 25 février 2015
et soumis à consultation publique.

1 On peut également citer : art. 138 et s. (relatifs à l'obtention de pièces) ; art. 143 et s. (relatifs aux mesures d'instruction) ; art. 249 et s.
(relatifs aux constatations) ; art. 282 et s. (relatifs aux expertises).

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Suite à cette consultation, l’Ordonnance n°2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime
général et de la preuve des obligations (ci-après « l’Ordonnance ») a été promulguée le 10 février 2016. La loi
d’habilitation imposait qu’un projet de loi de ratification soit déposé à l’Assemblée nationale dans le délai de six
mois à compter de la publication de l’Ordonnance à peine de caducité de celle-ci. Ce projet de loi a été déposé le 6
juillet 2016 et renvoyé à la commission des lois. Il n’a pas encore été, à ce jour, inscrit à l’ordre du jour ni, a fortiori,
voté. Cette absence de ratification par le Parlement ne fait cependant pas obstacle à l’entrée en vigueur de
l’Ordonnance, seul le dépôt du projet de loi de ratification étant nécessaire à sa validité. C’est ainsi que, bien que
non ratifiée, l’Ordonnance du 10 février 2016 est entrée en vigueur le 1er octobre 2016 conformément aux
dispositions de son article 92.

L’Ordonnance entrée en vigueur comprend dix articles dont les articles 1 à 4 qui modifient le Livre III du
Code civil et y instituent un Titre III relatif aux sources des obligations, un Titre IV relatif au régime général des
obligations et un Titre IV bis relatif à la preuve des obligations. Les articles 9 et 10 concernent, quant à eux, les
dispositions transitoires et finales3. En particulier, l’article 9 prévoit que, si l’Ordonnance entre en vigueur le 1er
octobre 2016, les contrats conclus avant cette date restent soumis à la loi ancienne. En l’absence de précisions, il
faut sans doute penser que la même règle s’applique aux faits juridiques : loi ancienne pour les faits antérieurs
au 1er octobre 2016, loi nouvelle pour les faits postérieurs. L’article 9 de l’Ordonnance précise également que
« lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie
et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation »4.

Les dispositions relatives à la preuve sont peu touchées par l’Ordonnance. Il faut dire que les anciens
textes ne posaient pas beaucoup de difficultés en pratique. Les articles de 1804 qui subsistaient semblaient toujours
adaptés à notre société, tandis que la réforme opérée en 2000 concernant la preuve par écrit électronique avait
permis d’adapter le Code aux nouvelles technologies. Telle est la raison pour laquelle l’Ordonnance a globalement
repris les textes en vigueur, sauf à supprimer certaines dispositions jugées dépassées ou à en moderniser la
rédaction.
Il faut toutefois noter que l’Ordonnance modifie la structure des dispositions relatives à la preuve. Alors
que le Code civil traitait auparavant de la preuve avec le droit des contrats et en organisait les dispositions autour
des différents modes de preuve, l’Ordonnance instaure un titre distinct, le titre IV bis, qui suit celui consacré au
régime des obligations et celui qui traite des sources. Ce nouveau titre propose une organisation des règles de
preuve en trois sections :
- la première consacrée aux dispositions générales qui traite de la charge de la preuve, des
présomptions légales et des contrats de preuve (art . 1353 à 1357 nouv.) ;
- la deuxième consacrée à l’admissibilité des modes de preuve (art. 1358 à 1362 nouv.) ;
- la troisième consacrée aux différents modes de preuve (art. 1363 à 1386-1 nouv.).
Cette nouvelle structure permet ainsi de séparer dans des sections distinctes les questions relatives à la
charge de la preuve (section 1) et celles qui touchent aux moyens de preuve (sections 2 et 3).
Dans la suite des développements, vous seront présentés tant le droit antérieur à l’entrée en vigueur de
l’Ordonnance que le droit postérieur. La connaissance des anciennes règles (légales ou jurisprudentielles) reste en

2 La ratification de l’Ordonnance par le Parlement aura pour effet de lui conférer, rétroactivement, valeur législative. En revanche, tant que
cette ratification n’est pas intervenue, l’Ordonnance n’a qu’une valeur réglementaire et peut donc être contestée devant le juge administratif,
compétent pour en apprécier la légalité. Elle ne peut à l’inverse pas faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil
d’Etat ayant décidé que les dispositions d’une ordonnance non-ratifiée ne sont pas des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la
Constitution. Ainsi, tant qu’elle n’a pas été ratifiée, l’Ordonnance répond au régime des actes réglementaires, sauf à remarquer qu’elle ne
peut plus être modifiée que par la loi pour les matières qu’elle couvre et qui relèvent du domaine législatif (au sens de l’article 34 de la
Constitution).
Il reste que, dans le cadre de l’examen du projet de loi de ratification lorsqu’il interviendra, les dispositions issues de l’Ordonnance pourraient
faire l’objet d’amendements. Le texte entré en vigueur le 1er octobre 2016 pourrait donc être modifié à l’avenir. Pour en tenir compte, il vous
sera remis si nécessaire, en cours de préparation, un document complémentaire recensant les corrections apportées à la mouture originelle
de la réforme.
3Les articles 5 et 6 comprennent les dispositions de coordination qui permettent d’adapter les autres dispositions du Code civil ou les
dispositions d’autres codes à la nouvelle numérotation. Les articles 7 et 8 concernent l’application de l’Ordonnance à l’Outre-mer, certaines
dispositions de coordination ne trouvant pas à s’y appliquer.
4 Certaines dispositions sont toutefois d’application immédiate. Elles seront étudiées dans le cadre du cours sur le droit des contrats.

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effet indispensable pour au moins trois raisons. Tout d'abord, l’Ordonnance se veut une réforme à droit et
jurisprudence constants. A l’exclusion de certains articles qui innovent, les nouveaux textes sont donc en principe
la retranscription des règles antérieures. Ensuite, compte tenu des règles d’application de la loi nouvelle dans le
temps, les textes anciens sont en effet toujours applicables aux actes et faits juridiques antérieurs au 1er octobre
2016. Enfin, œuvre de codification, l’Ordonnance ne peut prétendre à l’exhaustivité. Pour toutes les questions
qu’elle ne règle pas, il pourra donc être utile de se référer aux solutions jurisprudentielles antérieures.

Ces précisions étant apportées, on notera qu'il ne sera question dans ce cours - conformément à votre
programme du C.R.F.P.A en obligations - que de la preuve judiciaire et pas de la preuve extrajudiciaire qui peut
devoir être fournie en dehors de tout procès (comme la preuve de l’identité à l’occasion d’un contrôle de police
ou encore la preuve de la propriété à l’occasion d’une vente). La preuve judiciaire est la preuve qui doit être
rapportée à l’occasion d’un litige, dans le cadre d’un procès. Les règles du Code civil et du Code de procédure
civile visent cette preuve judiciaire

Au sujet de cette preuve, trois questions se posent :


- Sur quoi porte la preuve ? (objet de la preuve)
- Qui doit prouver ? (charge de la preuve)
- Comment prouver ? (modes de preuve)

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CHAPITRE 1 : L’OBJET DE LA PREUVE

On envisagera d'abord la détermination de l'objet de la preuve (§1) avant de voir les aménagements qui
peuvent y être apportées (§2).

§1 : Détermination de l'objet de la preuve

Prouver un droit, c’est démontrer l’existence des circonstances qui lui donnent naissance. Or, pour
pouvoir invoquer un droit subjectif, il faut, d’une part, qu’une règle de droit accorde certaines prérogatives à des
catégories déterminées de personnes dans des situations abstraitement définies et, d’autre part, que celui qui
prétend avoir le droit soit concrètement placé dans une situation correspondant à celle qui est visée par la règle
de droit. Il y aurait donc théoriquement deux éléments à établir : la règle de droit et la situation de fait concrète.
Mais les juges sont censés connaître la loi (à ce sujet, v. art. 12 al. 1 C.P.C. : « Le juge tranche le litige conformément
aux règles de droit qui lui sont applicables »). Par conséquent, les justiciables n’ont pas à faire la preuve des règles
de droit. Seule la preuve des faits leur incombe, étant entendu que ces faits se comprennent par opposition au
droit et englobent donc aussi bien les actes juridiques (c'est-à-dire les actes de volonté destinés à produire des
effets de droit) que les faits juridiques (c'est-à-dire les faits quelconques auxquels la loi attache une conséquence
juridique, sans que les parties aient spécialement recherché cette conséquence)5.
Par exemple, le demandeur à une action en responsabilité délictuelle du fait personnel devra établir
concrètement l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité car c'est de la réunion de ces trois
éléments que naît le droit à réparation de la victime selon l'ancien article 1382 qui est devenu - à la suite de la
réforme - l'article 1240. En revanche, on ne pourra lui reprocher de n'avoir pas prouvé l'existence et le contenu
de la règle de l'ancien article 1382 ou du nouvel article 1240.

Tous les faits nécessaires pour déclencher l’application de la règle de droit invoquée ne sont d’ailleurs pas
à prouver, mais seulement, en principe, ceux qui sont pertinents et contestés.
Les faits pertinents sont ceux qui ont une incidence sur la solution du litige. Autrement dit, il est inutile
d'alléguer un fait qui, à le supposer établi, ne pourra exercer aucune influence sur l'opinion du juge et donc sur
l'issue du litige. L'offre de preuve doit porter sur un fait apte à convaincre le magistrat. Pour prendre un exemple,
il est inopérant - afin de prouver la faute d'un conducteur cause d'un accident - de vouloir démontrer sa passion
pour le tiercé ; cela n'a évidemment aucun rapport avec le litige.
Ensuite, l'exigence de rapporter la preuve des faits contestés signifie que seuls les points de divergence
entre les parties sont objet de preuve. Encore faut-il préciser. Il est évident que si les parties s'accordent pour
reconnaître l'existence et le contenu d'un contrat, cette preuve n'aura pas à être rapportée. Mais quid juris
lorsqu'un plaideur oppose un silence à l'affirmation d'un fait par son adversaire. Dans cette hypothèse, la cour de
cassation, après bien des fluctuations, a décidé qu'un tel silence ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait.
Autrement dit, il semble, pour la jurisprudence, qu'un fait ne peut être tenu pour établi que si le silence de
l'adversaire est corroboré par d'autres éléments de preuves (Civ. 1ère, 18 avril 2000).
Les faits à établir sont généralement des faits positifs (par ex. : existence d’un contrat de vente6) et plus
exceptionnellement des faits négatifs (par ex. : prouver que l’on n’a pas commis de faute)7.

5C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’art. 9 C.P.C. : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au
succès de sa prétention. »
6 S'agissant de la preuve du contrat de prêt, voir le fascicule principal d'actualité.
7L'objet de la preuve est ignoré par l’Ordonnance. Cette omission traduit le fait que la détermination de l’objet de la preuve relève en général
d’une question de droit substantiel. Par exemple, dans une action en responsabilité civile, le demandeur doit prouver la réunion des trois
conditions de la responsabilité (fait générateur, dommage et lien de causalité) ; de même, le demandeur qui souhaite obtenir le
remboursement d’un prêt doit établir l’existence du contrat de prêt (en établissant la remise des fonds et l’obligation de restitution). C’est
donc le droit substantiel qui détermine l’objet de la preuve à apporter.

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§2 : L'aménagement de l'objet de la preuve

On vient de voir les règles de détermination de l'objet de la preuve. Cependant, il faut avoir à l'esprit que
la preuve pourra parfois porter sur un autre objet que les éléments donnant naissance au droit. Dans deux
hypothèses en effet, il peut y avoir déplacement de l'objet de la preuve.

La première hypothèse correspond au cas où une convention de preuve a été conclue entre les parties.
Comme on le verra un peu plus tard dans le cours, les règles de preuve ne sont pas, en principe, d'ordre public, de
sorte que les parties peuvent conventionnellement les modifier et peuvent, notamment, modifier l'objet de la
preuve. Ainsi, par exemple, modifie l'objet de la preuve la clause qui, en cas de perte ou de vol de carte bancaire,
autorise la banque à prouver la faute du titulaire de la carte en établissant que le code confidentiel de la carte
perdue ou volée a été utilisé́e par un tiers.

La seconde hypothèse est le recours à des présomptions judiciaires. Lorsque la preuve directe du fait,
initialement objet de la preuve, se révèle difficile à établir - notamment parce qu'il s'agit de prouver un fait négatif,
comme un absence de faute - le droit vient parfois au secours du plaideur - du moins si la preuve est libre - en
admettant que cette preuve soit indirectement rapportée par le biais de présomptions judiciaires.
Les présomptions judiciaires (dite aussi présomptions du fait de l'homme ou encore présomptions de
fait) sont réglementées - en termes à peu prés identiques d'ailleurs - par l'ancien article 1353 et le nouvel article
1382. Elles se définissent comme les conséquences que les magistrats tirent d’un fait connu quant à l’existence
d’un fait inconnu (ancien article 1349 C. civ.). Ainsi, pour reconstituer la vitesse à laquelle roulait une voiture, on
mesure les dépôts qu’ont laissés les pneus sur la route lors du freinage. On prouve ainsi directement des faits (la
longueur et l'intensité des traces de pneus lors du freinage) qui ne sont pas l’objet de la preuve (puisque l'objet
de la preuve c'est la vitesse!), mais en établissant un lien de causalité (la longueur et l'intensité des traces des
pneus est la conséquence d’une certaine vitesse), on déduit de la preuve fournie la preuve indirecte de la vitesse.
La présomption consiste donc en un déplacement de l’objet de la preuve : pour prouver la vitesse, il suffit de
prouver les dépôts qu’ont laissés les pneus sur la route.
Reste que ces présomptions constituent un procédé de preuve dangereux, car elles ne donnent presque
jamais une certitude complète : le juge peut se tromper dans ses déductions, même s’il est éclairé par des
expertises. D’où deux règles.
Tout d'abord, l'ancien article 1353 - repris par le nouvel article 1382 - précise que le juge ne doit admettre
que des présomptions graves, précises et concordantes.
Ensuite, les présomptions du fait de l’homme sont nécessairement simples, c’est-à-dire susceptibles
d’une preuve contraire pouvant être rapportée par tout moyen.

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CHAPITRE 2 : LA CHARGE DE LA PREUVE

L’enjeu de la question de la charge de la preuve doit être bien compris : il s’agit de savoir qui va
succomber, qui va perdre le procès si le doute subsiste quant à l’existence d’un certain évènement, nécessaire à
l’application de la règle de droit.
Pour dire les choses autrement, on peut retenir que celui qui supporte la charge de la preuve supporte
le risque de la preuve.
En effet, en proie au doute, le juge ne peut pas pour autant refuser de statuer. Il commettrait en effet un
déni de justice, prohibé par l’article 4 du C. civ. : « L’incertitude et le doute subsistant à la suite de la production
d’une preuve doivent nécessairement être retenus au détriment de celui qui avait la charge de la preuve » (Cass.
soc. 31 janvier 1962). C’est dire que l’identification de la personne sur laquelle pèse la charge de la preuve est l’un
des enjeux essentiels du procès.

Après avoir présenté les principes qui permettent de déterminer sur qui pèse la charge de la preuve (§1),
on s’arrêtera sur les aménagements à la charge de la preuve (§2).

§1 : Les principes de répartition de la charge de la preuve entre les parties

Les règles permettant de déterminer qui supporte la charge de la preuve sont posées, à l’identique, dans
les deux alinéas de l’article 1315 ancien du Code civil, pour le droit antérieur à la réforme, et dans l’article 1353
nouveau du Code civil, pour le droit postérieur.

A. La preuve de l’existence de l’obligation

Selon l’alinéa 1er de 1315 ancien et de l’article 1353 nouveau C. civ. 8, celui qui réclame l’exécution d’une
obligation doit la prouver. C’est donc à celui qui réclame l’exécution d’une créance qu’il appartient de rapporter
la preuve qu’il est véritablement créancier, ce qui implique qu’il établisse l’existence de sa créance9. On dit que
la charge de la preuve repose sur le demandeur à l'allégation. Cette règle n’est que la reprise d’un principe issu du
droit romain qui voulait déjà que la charge de la preuve incombe au demandeur et qui s’exprimait dans un adage
Actori incubit probatio (c’est sur celui qui agit qu’incombe la preuve).
Ex : il appartient au garagiste qui réclame le paiement d’une facture d’établir que les travaux dont il demande le paiement
ont bien été commandés par le client. Il doit établir l’existence de l’obligation qui pèse sur le prétendu débiteur (Cass. 1 re civ., 6 janv.
2004).
Ex : un entrepreneur érige un mur durant un chantier et réclame le paiement pour ce mur. Le client refuse de payer en
faisant valoir qu’il n’a jamais demandé le travail en question. Le problème tient à l’existence du contrat portant sur la construction
du mur. C’est à l’entrepreneur qu’il appartient de rapporter la preuve que la construction lui a bien été demandée. Il doit établir
l’existence de l’obligation dont il demande l’exécution.

B. La preuve de l’exécution de l’obligation

Selon l’alinéa second de l’article 1315 ancien et de l’article 1353 nouveau du Code civil, celui qui se prétend
libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. C’est-à-dire que c’est à celui
qui se prétend libéré, parce qu’il a exécuté son obligation ou bénéficie d’une autre cause d’extinction (remise de
dette, compensation, caducité de l’obligation…), qu’il appartient de prouver cette exécution ou ce fait qui a
entraîné l’extinction de son obligation.

8 V. également l'article 9 du Code de procédure civile.


9 L'existence de la créance comprend sa nature et son contenu. Pour une illustration : Cass. 3e civ., 20 avril 2017.

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Cette hypothèse suppose bien sûr que l’existence même du contrat ne soit pas, ou ne soit plus,
contestée10.
Ex. : un particulier achète des objets auprès d’une société. Il était convenu entre les parties qu’une fraction du prix serait
payée au comptant, et l’autre, à terme. Le terme échu, la société réclame le solde à l’acheteur. L’acheteur refuse d’accéder à cette
demande au motif qu’il a déjà réglé en espèces la somme réclamée. Le vendeur assigne alors en justice l’acheteur afin d’obtenir la
condamnation de celui-ci au paiement du solde litigieux. Sur qui pèse la charge de la preuve ? Est-ce au vendeur de démontrer qu’il
n’a pas reçu le paiement prétendu ou bien à l’acheteur qu’il a effectué le paiement ? En vertu de l’article 1315 al. 2 ancien (art. 1353
nouv.) du Code civil, il appartient à celui qui se prétend libéré de sa dette de rapporter la preuve du paiement allégué (Cass. com., 16
juin 1981).

Il faut noter que, dans les cas où l’alinéa 2 de l’article 1315 anc. (art. 1353 nouv.) C. civ. s’applique, le
demandeur à la preuve est généralement le défendeur à l’instance. La solution s’explique aisément. Il est rare, en
effet, qu’une personne saisisse le juge à la seule fin de voir constater sa libération. L’hypothèse la plus fréquente
est, au contraire, celle dans laquelle la personne assignée en justice se défend d’être véritablement redevable. Il
faut donc supposer que le demandeur à l’instance a prouvé par exemple l’existence d’un contrat ; c’est alors le
défendeur à l’instance qui, devenant « demandeur à la preuve », va devoir prouver, s’il veut échapper à une
condamnation, qu’il a déjà exécuté le contrat.
Pour résumer, il faut retenir que la charge de la preuve incombe au demandeur à l’allégation,
indépendamment du point de savoir s’il est demandeur ou défendeur à l’instance.
On le voit, les règles du Code civil envisagent la charge de la preuve de manière chronologique. Par un
mécanisme d’alternance, chacun apporte la preuve de ses allégations. Celui qui saisit le juge supporte la première
charge de la preuve. S’il la satisfait, il gagne en principe le procès. Mais le défendeur à l’instance peut alléguer une
affirmation contraire et devenir à son tour demandeur à la preuve. S’il réussit à rapporter cette preuve, la charge
de la preuve est renvoyée à son adversaire et ainsi de suite. Ce combat probatoire s’achève lorsque l’une des
parties n’est plus en mesure de rapporter la preuve des faits qu’elle allègue. Elle perd alors la bataille.
Cette présentation classique d’un ordre de la production de la preuve est cependant très théorique. En
général, le plaideur n’attend pas passivement que son adversaire prouve les faits qu’il allègue. En pratique les
deux parties apportent leur contribution à la vérité même lorsqu’elles n’y sont pas obligées. L’ordre théorique
de la production des preuves n’est généralement pas suivi.
Est-ce à dire que les règles relatives à la charge de la preuve du Code civil soient inutiles ? La réponse est
négative, car ces textes – comme on l’a déjà vu – répondent en réalité à la question du risque de la preuve. Si celui
sur lequel pèse la charge de la preuve n’est plus solitaire dans sa recherche, il reste seul sanctionné en cas d’échec.
Si malgré la collaboration de l'autre partie, la preuve nécessaire n’est pas obtenue, c’est le demandeur à
l’allégation qui perdra le procès. Lorsque les faits sont prouvés, peu importe de savoir qui devait les prouver. En
revanche, quand les faits ne sont pas établis, le juge obligé de statuer le fera au détriment de celui sur lequel pesait
la charge de la preuve. C’est lui qui perdra le procès. Le problème de la charge de la preuve est donc bien celui du
risque de la preuve.

10En effet, dans l’hypothèse où la validité du contrat serait contestée, c’est à celui qui invoque la nullité de rapporter la preuve de la cause
de nullité invoquée.

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§ 2 : Les aménagements aux principes

Ces aménagements résultent soit de la loi ou de la jurisprudence (A), soit de la convention des parties (B).

A. Les aménagements légaux et jurisprudentiels

Des auteurs (Geny, Boulanger) ont soutenu que le risque de la preuve doit peser sur celui qui allègue
une situation contraire à la situation la plus normale. La charge de la preuve incomberait donc à celui contre
lequel l’apparence existe, indépendamment du point de savoir s’il est ou non demandeur à l’instance. En d’autres
termes, celui qui invoque une situation normale correspondant au cas le plus vraisemblable devrait être dispensé
de la charge de la preuve alors même qu’il est demandeur à l’allégation.
Ce mode de détermination de la charge de la preuve qui s'appuie sur la probabilité est parfois accueilli
par la loi ou la jurisprudence.

S'agissant des aménagements légaux de la charge de la preuve, ils s'effectuent par le biais de
présomptions légales, dites aussi présomptions de droit. Ces présomptions établies par la loi sont réglementées
aux anciens articles 1350 et 1352 et au nouvel article 1354. Elles ont pour effet de dispenser celui au profit duquel
elles sont édictées de rapporter la preuve du fait que la loi tient pour certain. En bref, elles opèrent principalement
renversement de la charge de la preuve quant au fait présumé.
Ainsi, l’article 2274 C. civ. énonce que la bonne foi est toujours présumée et que c’est à celui qui la
conteste de rapporter la preuve de la mauvaise foi. Autrement dit, comme la plupart du temps les personnes sont
de bonne foi, c’est à celui qui allègue la mauvaise foi, même s’il est défendeur à l’allégation, de produire cette
preuve.
Les présomptions légales sont, en principe, simples. Cependant, il arrive que certaines présomptions
posées par la loi ne supportent pas la preuve contraire (art. 1352 anc. et 1354 al. 2 nouv. du C. civ.). On parle
alors de présomptions irréfragables (voir, par ex., l’article 1282 ancien C. civ. qui présume de manière irréfragable
que le débiteur est libéré de sa dette lorsque le créancier lui remet volontairement l’original du contrat sous seing
privé qui constatait la créance), lesquelles se rapprochent alors de véritables règles de fond. Il existe enfin des
présomptions dites « mixtes » qui ne peuvent être renversées que par certains procédés de preuve ou par des
causes particulières (il en est ainsi, par exemple, de la présomption selon laquelle la propriété du sol entraîne la
propriété du sous-sol qui découle de l’article 552 du Code civil. Il est de jurisprudence constante que cette
présomption ne peut être combattue que par une preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription
acquisitive. De même, ces présomptions mixtes sont nombreuses en droit de la responsabilité civile qui vient
souvent limiter les causes d’exonération de l’auteur présumé du dommage).

S'agissant maintenant des aménagements jurisprudentiels, ils s'effectuent également par le biais de
présomptions de droit. En effet, si ces présomptions sont avant tout établies par la loi, le juge crée, parfois, des
présomptions systématiques qui renverse la charge de la preuve et qui sont dites quasi légales.
Par exemple, lorsqu’une prestation est fournie dans le cadre de relations d'affaires, la Cour de cassation
décide que la charge de la preuve de son caractère onéreux ou gratuit repose sur celui qui prétend à sa gratuité –
alors même qu’il serait défendeur à l’instance – car la volonté de rémunération, dans la logique marchande, est
normale et l’intention libérale exceptionnelle (Cass. 1re civ., 28 février 1984 ; Cass. 3e civ., 31 mai 1989 ; Cass. com.,
11 décembre 2001).

B. Les aménagements conventionnels

Sachant que les règles de la preuve sont considérées, en principe, comme étant d’ordre privé, la
jurisprudence a depuis longtemps admis que les parties puissent aménager conventionnellement la répartition de
la charge de la preuve, voire de son objet ou des modes de preuve (sur ce point, v. par ex. : Cass. req., 15 mars
1909 ; Cass. com. 19 juillet 1965).
L’Ordonnance du 10 février 2016 offre désormais un fondement textuel aux contrats sur la preuve.
L’article 1356 nouveau du Code civil affirme ainsi expressément leur validité : « les contrats sur la preuve sont

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valables ». De la généralité des termes employés, il ressort que peuvent faire l’objet d’un contrat non seulement
les questions de charge de la preuve, mais également celles d’objet ou de modes de preuve.
Si ces conventions sont admises, le risque qu’elles conduisent à mettre en place un système probatoire
trop déséquilibré, voire à priver une partie d’un droit substantiel, impose toutefois que des limites y soient fixées.
Ainsi, traditionnellement, deux limites à ce pouvoir des volontés ont été posées.

Tout d’abord, en ce qu’elles constituent de véritables contrats, les conventions sur la preuve sont, en
vertu de l’article 6 du Code civil, limitées par les règles d’ordre public auxquelles elles ne peuvent déroger. Ainsi,
la validité de ces conventions peut être remise en cause quand elles se heurtent à une loi qui relève de l’ordre
public probatoire ou de l’ordre public substantiel.
L’ordre public probatoire désigne les règles impératives posées en matière de preuve. En particulier, ne
peuvent faire l’objet d’une convention de preuve les règles probatoires applicables à la procédure d’inscription de
faux ou celles relatives à la force probante d’un acte authentique. De même, les présomptions irréfragables, en
ce qu’elles constituent de véritables règles de fond, ne peuvent en principe pas être renversées par convention.
L’ordre public substantiel concerne les droits qui font l’objet de conventions de preuve : seuls les droits
librement disponibles peuvent en faire l’objet. Ainsi, un mineur ne pourrait convenir avec son cocontractant de
fixer sa majorité à une autre date que celle établie par la loi. Autre exemple, tiré cette fois-ci du droit de la
consommation. Dans le cadre de la réglementation des clauses abusives, le décret du 18 mars 2009 interdit
certains conventions probatoires puisque ce texte place sur la liste noire les clauses ayant pour objet « d’imposer
au non-professionnel ou au consommateur la charge de la preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait
incomber normalement à l’autre partie au contrat » (R.212-1, 12° C. consom. dans sa rédaction issue du décret du
29 juin 2016).
L’Ordonnance du 10 février 2016 reproduit cette première limite. En particulier, l’article 1356 alinéa 1
nouveau du Code civil précise que les contrats de preuve ne sont valables que s’ils « portent sur les droits dont les
parties ont la libre disposition ». Par ailleurs, l’article 1356 alinéa 2 nouveau prévoit que ces contrats ne peuvent
« contredire les présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment ».
Plus généralement, ces contrats sur la preuve sont soumis en tout état de cause à l’article 1102 nouveau du Code
civil qui dispose que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ».
C’est donc bien, outre les principes posés à l’article 1356, l’ensemble des règles d’ordre public que ces contrats
doivent respecter.

Ensuite, une convention sur la preuve ne saurait faire obstacle au droit à la preuve des parties. En effet,
si une telle convention a pour effet de rendre impossible la preuve de son droit par une partie, elle revient à
l’empêcher de faire valoir ses droits substantiels devant le juge, la privant ainsi de son droit à un recours effectif.
C'est alors sur le fondement de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales que l'on pourra critiquer devant le juge la convention probatoire (par ex. : Cass. civ. 1re, 10 mars
2004).
L’Ordonnance de réforme confirme cette solution. L’article 1356 alinéa 2 nouveau du Code civil prévoit
ainsi que les contrats sur la preuve ne peuvent « établir au profit d’une des parties une présomption irréfragable ».
Il est donc loisible aux parties d’établir, par convention, une présomption simple au profit de l’une d’entre elles et
notamment de ses propres écritures (en pratique, ce cas se rencontre fréquemment. Il n’y a qu’à songer aux
nombreux contrats d’abonnement qui prévoient que le montant de la créance sera déterminé par le relevé du
compteur ou le relevé des communications tels qu’établis par le créancier). En revanche, l’article 1356 nouveau -
reprenant les solutions antérieures - interdit qu’une telle convention prive le défendeur de toute chance de
contester la validité ou la régularité de ces preuves et le juge de la possibilité d’en apprécier la valeur.

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CHAPITRE 3 : LES MODES DE PREUVE

Une fois détermine ce qui devra être prouvé lors de l'instance et comment devra être reparti le fardeau
de cette preuve entre les intervenants au procès, il faut encore préciser comment la partie débitrice de la preuve
pourra satisfaire cette obligation. Si la question se pose, c'est que les parties ne sont pas nécessairement libres de
faire la preuve par n'importe quel moyen.

Deux grands systèmes s’opposent ou se complètent quant au régime de la preuve.


Le système de la preuve libre, dit aussi de la preuve morale, qui ne pose aucune hiérarchie entre
les modes de preuve et laisse au juge toute liberté pour former sa conviction.
Le système de la preuve légale qui limite l’admissibilité des modes de preuve et commande au
juge de tenir pour vrais les faits établis par les moyens de preuve admis.

Le système français est, en la matière, dualiste, au sens où, selon ce qui est à prouver, c’est le système
de la preuve légale ou le système de la preuve libre qui prévaut.
Pour l’application de ce système mixte, le Code civil classe les procédés de preuve en deux catégories.
D’une part, ceux qui leur paraissent très sûrs : les modes de preuve parfaits. Ils sont admissibles
en toutes matières et lient, dans une mesure variable, le juge.
D’autre part, les modes de preuve imparfaits, écartés dans certains domaines, et qui ne
s’imposent jamais au juge qui demeure libre de sa décision.

C’est dire que le système est tout à la fois équilibré - puisqu’il est fait une place à chacun des deux grands
systèmes envisageables - et complexes. Pour tenter de l’appréhender de manière claire, il importe avant tout de
savoir ce à quoi correspondent les modes de preuve parfaits et imparfaits avant de savoir quand on recourt aux
uns ou aux autres.

L’étude de la typologie des modes de preuve (§1) précédera donc celle de l’admissibilité des modes de
preuve (§2).

§.1 : Typologie des modes de preuve

On l’aura compris : on peut distinguer les modes de preuve parfaits (A) et les modes de preuve imparfaits (B).

A. Les modes de preuve parfaits

Sont des modes de preuve parfaits, à la valeur et à la force probante légalement fixées, d'une part, l’écrit
(1) et, d'autre part, l’aveu judiciaire et le serment décisoire (2).

1. L’écrit

Dans la lecture qui était traditionnellement effectuée du droit de la preuve, l'écrit était confondu avec le
support papier sur lequel il était apposé. Autrement dit, on ne concevait pas que l'écrit soit autre chose qu'un
papier signé par les parties et, le cas échéant, le notaire. Le développement de l'économie numérique ou
immatérielle a modifié la donne. Le législateur a dû prendre en compte l'essor de l'informatique. Il l'a fait par la
loi du 13 mars 2000 en alignant, dans la mesure du possible, l'écrit électronique sur l'écrit papier.
Depuis cette loi, la preuve littérale, c'est-à-dire la preuve par écrit, est défini de telle sorte qu’elle n’a
pas besoin d’être transcrite sur un support papier. Plus précisément, l'article 1365 - qui reprend en substance
l'ancien article 1316 - définit l'écrit comme « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes
ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support ».

Mais, qu’elle soit traditionnelle, c’est-à-dire transcrite sur papier, ou électronique, cette suite de lettres,
de caractères, ou de chiffres, se décline selon trois modes qui n’ont pas exactement la même valeur. Il faut en

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effet distinguer l’acte authentique (a) et l’acte sous seing privé (b), et l'acte sous signature privée contresigné par
avocat (c).

a. L'acte authentique

On envisagera les conditions de l'authenticité (a-1) avant d'étudier la force probante de l'acte authentique (a-2).

a-1. Conditions de l'authenticité

Au terme de l'ancien article 1317 du Code civil - repris en substance par le nouvel article 1369 alinéa 1 -
l'authenticité d'un acte résulte de deux conditions : Il faut que l'acte ait été reçu par un officier public compétent
(*) et qu'il respecte certaines solennités (**).

(*) L'officier public compétent

L'officier public est la personne ayant la mission régalienne d'établir de façon impartiale les droits et
obligations des parties. En tant qu'il est dépositaire d'une parcelle de puissance publique, l'officier public est choisi
et contrôlé par l'Etat. Sont ainsi des officiers publics, les agents publics comme le préfet, le maire, l’officier d’état
civil ; ou encore les officiers ministériels comme les huissiers et les commissaires-priseurs. Mais l’auteur par
excellence d’un acte authentique, c’est le notaire.

Le recours à l’acte authentique reçu par notaire est obligatoire pour la validité de certains contrats : c’est ainsi qu’une
donation doit en principe, pour être valable, être passée devant notaire. C’est une formalité que l’on dit exigée ad validitatem,
pour la validité de l’acte.
Mais l’exigence d’une telle forme pour la validité d’un contrat est exceptionnelle, le principe étant en droit français
celui du consensualisme et donc de l’absence de forme.
Pourquoi recourir alors à un notaire, procédure coûteuse, lorsque ce n’est pas indispensable ?
D’abord, parce que le notaire est tenu d'un devoir de vérification et de conseil et que recourir à ce
professionnel assure – ou devrait assurer – un acte de très bonne qualité.
Ensuite, parce que l’acte notarié est exécutoire c’est-à-dire qu’il peut donner lieu à exécution forcée sans
qu’il soit nécessaire pour le créancier de saisir le juge pour faire constater sa créance.

Les diverses catégories d'officiers publics ne sont pas habilitées à conférer l'authenticité à n'importe quel
acte. Leur pouvoir d'authentification peut être limité à certains types d'actes (par exemple les notaires ne
peuvent procéder à des actes de mariage ou à des significations) et à certains lieux (par exemple les huissiers ne
peuvent signifier d'acte ou procéder à des mesures d'exécution forcée que dans le ressort de la cour d'appel où
ils ont leur résidence professionnelle).

**) Solennités requises

Au-delà d'être reçu par un officier public compétent, l'acte, pour être authentique doit respecter des
solennités. L'authenticité suppose l'accomplissement de nombreuses formalités requises ad probationem, au titre
desquelles figure la signature de l'officier public, le paraphe, la rédaction en langue française, ou encore - lorsque
l'acte est rédigé sur support papier - le recours à une encre indélébile.
Si l’une de ces conditions de forme n’est pas remplie, l’acte authentique dégénère, selon l’article 1318
ancien du Code civil (devenu l’article 1370 nouveau), en simple acte sous seing privé, si du moins il a été signé par
toutes les parties.
Si seules certaines parties ont signé l’acte, celui-ci ne vaut acte sous seing privé qu'entre les parties signataires (v.
par ex. : Cass. civ. 1re, 28 septembre 2011, pour une hypothèse de co-donateurs dont un seul des deux avait
apposé sa signature sur l’acte reçu par le notaire).

a-2. Force probante

Parce qu'il est reçu par un officier public, l'acte authentique bénéficie d'une force probante renforcée.
L’article 1371 énonce en effet la même règle que l’ancien article 1319 du Code civil en disposant que
« l’acte authentique fait foi jusqu’à inscription de faux ».
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L’inscription de faux est une procédure spécifique de contestation de la véracité des actes authentiques
qui peut conduire au prononcé d’une sanction pénale contre celui qui s’y engagerait à tort. Le succès de cette
procédure n'est pas subordonné au fait que l'officier public ait conscience de l'inexactitude de ses constatations
(Cass. civ. 1re, 21 février 2016).
Cette force probante s'attache à la date et à la signature.
S'agissant du contenu de l'acte, il convient d'apporter une précision : l’acte authentique ne fait foi jusqu’à
inscription de faux que des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme
s’étant passés en sa présence, dans l’exercice de ses fonctions (par ex. : Cass. civ. 1re, 26 mai 1964).
S'agissant du contenu de l'acte, il convient d'apporter une précision : l’acte authentique ne fait foi jusqu’à
inscription de faux que des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme
s’étant passés en sa présence, dans l’exercice de ses fonctions (par ex. : Cass. civ. 1re, 26 mai 1964).
Mais d’autres éléments peuvent être contenus dans l’acte : l’acte peut, par exemple, mentionner que les
parties déclarent avoir, l’une, effectué et l’autre, accepté un paiement hors la vue du notaire; l’acte peut
également mentionner que le testateur apparaît sain d’esprit. De fait, tous ces éléments, ou bien n’ont pas été
vérifiés par le notaire, ou bien ne relèvent pas de la compétence du notaire. La force probante particulière des
actes authentiques ne s’y attache donc pas. Ces mentions ne font foi que jusqu’à preuve du contraire (v. par ex. :
Cass. civ. 3e, 27 février 2008 et Cass. civ. 1re, 11 mars 2009 : hypothèse d'un paiement hors la comptabilité du
notaire ; v. aussi Cass. civ. 1re, 25 mai 1959 : hypothèse de la déclaration du notaire sur l'état psychique d'un
disposant ; v. enfin l'article 1371 nouveau qui reprend explicitement cette règle).

b. L'acte sous seing privé

On envisagera les conditions de l'acte sous seing privé (b-1) avant d'étudier sa force probante (b-2)

b-1. Les conditions de l'acte sous seing privé

L’acte sous seing privé est un acte sous signature privée. Comme son nom l’indique, il ne peut en effet
être valable que s’il porte la signature de celui duquel il est censé émaner.
La signature remplit, aux termes de l’article 1316-4 ancien C. civ. - et désormais de l'article 1367 alinéa 1er
dans sa rédaction issue de l’Ordonnance - une double fonction :
- d’identification de la partie qui l’appose.
- de manifestation du consentement de cette partie.

La signature peut être manuscrite ou électronique. Lorsqu'elle est électronique, elle suppose - au terme
de l'ancien article 1316-4 devenu l'article 1367 alinéa 2 - non seulement l'identification fiable de son auteur mais
aussi une garantie du lien de cette signature - et donc de l'auteur - avec l'acte auquel elle se rattache. En pratique,
cette fiabilité électronique est difficile à admettre en raison des risques de manipulation techniques. Ainsi, la seule
mention en bas d'un fichier d'un nom ou d'une signature manuscrite scannée ne saurait satisfaire à l'exigence de
la fiabilité de la signature électronique. En réalité, apposer une signature électronique fiable sur un document
numérique nécessite d’avoir recours aux services d’une entreprise spécialisée et d’un organisme de certification
vérifiant l’identité du signataire comme le prévoit le décret du 30 mars 2001 qui présume, dans une telle
hypothèse, la fiabilité de la signature.

En dehors de l’exigence de signature, la forme de l’acte sous seing privé peut être très libre : peu importe
que l’acte, autrement dit l’instrumentum, ait été rédigé par l’une ou l’autre des parties ou par un tiers, qu’il ait été
manuscrit ou tapé à la machine ou imprimé, peu importe même que la signature ait été apposée après ou avant
la rédaction du texte.
Malgré ce principe de grande liberté de forme (voir par ex. : Cass. civ. 1re, 30 octobre 2008), l’acte sous
seing privé ne vaudra écrit préconstitué au sens du droit de la preuve que sous certaines conditions, qui varient
selon les hypothèses.

- La 1re hypothèse est celle où un acte sous seing privé contient une convention synallagmatique, c’est-
à-dire un contrat qui crée des obligations réciproques et interdépendantes, comme une vente par exemple.

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L’ancien article 1325 - repris par le nouvel article 1375 - prévoit alors que l’acte doit être fait en autant d’originaux
qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct. Cette formalité - dite du double - a pour but de conférer à chaque
partie une situation égale au point de vue de la preuve : il ne faut pas, en effet, que l’une d’elles ait entre les mains
l’écrit probatoire, alors que les autres en seraient démunies ; sinon, celles-ci seraient à la merci de leur adversaire
qui pourrait, au gré de ses intérêts, soit invoquer l’existence du contrat, soit en nier la conclusion.
Il ne suffit d’ailleurs pas que l’acte écrit ait été rédigé en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un
intérêt distinct ; la loi veut encore que chaque original contienne « la mention du nombre des originaux qui ont
été faits ». La raison de cette formalité supplémentaire est qu’autrement, il dépendrait de chaque contractant,
quand bien même la formalité requise aurait été régulièrement accomplie, de rendre inopérante la preuve de son
adversaire, en détruisant ou en dissimulant l’original resté entre ses mains, pour invoquer alors la prétendue
violation de la règle de l’original multiple.
Toutefois, les textes prévoient que celui qui a exécuté le contrat - même partiellement - ne peut plus
invoquer le défaut de pluralité d'originaux ou l'absence de mention du nombre d'originaux.
De la même manière, s'il n'y a qu'un seul original et qu'il est déposé entre les mains d'un tiers, la formalité
du double n'a plus à être respectée. Cette solution se comprend dans la mesure où elle assure que chacune des
parties pourra obtenir copie de l’acte auprès du tiers concerné de sorte que l’égalité des armes est assurée. Cette
règle, posée traditionnellement par la jurisprudence (v. par ex. : Cass. civ., 2 juillet 1952 ; Cass. 3e civ., 15 avril
1992), est explicitement consacrée par la loi nouvelle (art. 1375).

- La 2e hypothèse est celle où l’acte sous seing privé rend compte d’un acte unilatéral par lequel une
seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent (comme par exemple une
reconnaissance de dette) ou à livrer une certaine quantité de choses fongibles (c-a-d de choses
interchangeables, comme par exemple du blé ou du vin). Dans cette hypothèse - comme l'acte n'est rédigé qu'en
un seul exemplaire puisqu'il n'y a qu'une seule personne engagée - le risque est important que le créancier, qui
détient l'exemplaire unique, modifie le chiffre de la créance: 100 euros au lieu de 10 euros ; 100 quintaux au lieu
de 10 quintaux de blés. C’est principalement pour prévenir ce type de fraude que l’ancien article 1326 - devenu
le nouvel article 1376 - prévoit que l’acte ne vaudra écrit sous seing privé que s’il porte la mention écrite par le
débiteur (mais pas nécessairement de sa main, la mention peut être tapuscrite) de la somme ou de la quantité
en toutes lettres et en chiffres, ce qui rend évidemment les falsifications beaucoup plus complexes (par ex. : Cass.
civ. 1re, 25 mai 2005 ; v. également : Cass. civ. 1re, 13 mars 2008 ; 12 janvier 2012 ; 28 octobre 2015). Les textes
précisent qu’en cas de différence entre la mention en lettres et la mention en chiffres, il faut privilégier la mention
écrite en toutes lettres.

b-2. La force probante de l'acte sous seing privé

Selon l’ancien article 1322 - devenu l'article 1372 - l’acte sous seing privé fait foi entre ceux qui l’ont
souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause. Quelques précisions toutefois.
Tout d'abord, quant à son contenu, l’acte sous seing privé ne fait foi que jusqu’à preuve contraire, et non
jusqu’à inscription de faux comme l'acte authentique.
Ensuite, les anciens articles 1323 et 1324 - qui sont repris à l'article 1373 - prévoit également que la
signature ne vaut pas jusqu'à inscription de faux. Si une personne désavoue sa signature, il appartient au juge de
vérifier la signature litigieuse selon la procédure de vérification des écritures sous seing privé. En pratique, eu
égard aux progrès de l'expertise en écriture, il est devenu assez rare qu'un plaideur de mauvaise foi désavoue sa
signature.
Enfin, s'agissant de la date, alors que celle de l'acte authentique est certaine à l'égard de tous dès sa
conclusion, la date de l'acte sous seing privé appelle une distinction prévue à l'ancien article 1328, devenu 1377.
Si, à l'égard des parties, de leurs héritiers ou de leurs créanciers, la date vaut jusqu'à preuve contraire ; en
revanche, à l'égard des tiers - et afin de protéger ces tiers contre les actes antidatés- la date n'est certaine que
dans des circonstances particulières. Il en est ainsi lorsque l'acte a fait l'objet d'un enregistrement ou à compter
du jour du décès de l’une des parties (puisque, par hypothèse, l’acte ne peut pas être postérieur) ou encore à
compter du jour où il est fait référence à leur contenu dans un acte authentique.

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c. L'acte sous seing privé contresigné par avocat

L'acte contresigné par avocat, crée en droit français par la loi du 28 mars 2011, a intégré le Code civil à
l'article 1374, à l'occasion de la réforme.
Il s’agit d’un acte sous seing privé rehaussé par la signature de l'avocat ou des avocats des parties et dont
la force probante est renforcée. Plus exactement, si le contenu et la date ne valent que jusqu'à preuve contraire
(comme pour l'acte sous seing privé ordinaire), en revanche ce type d'acte fait foi de l’écriture et de la signature
des parties comme un acte authentique. Autrement dit si l’une des parties entend désavouer sa signature ou son
écriture, elle devra respecter la procédure d'inscription de faux.

2. L’aveu judiciaire et le serment décisoire

On se contentera simplement d'évoquer les deux autres modes de preuve parfaits que sont l'aveu
judiciaire (a) et le serment décisoire (b) parce qu'ils sont d'intérêt marginal dans le cadre de votre examen.

a. L’aveu judiciaire

Régi par les anciens articles 1354 et 1356 - et aujourd'hui par les articles 1383 et 1383-2 - l'aveu judiciaire
est la déclaration, faite en justice, par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire
contre elle des conséquences juridiques11.
Mode de preuve parfait, il est recevable même lorsqu’un écrit est exigé. Selon les textes, « il fait pleine
foi contre celui qui l’a fait », c’est-à-dire que toutes les informations qu’il comprend pourront être retenues contre
l’auteur du fait.
Mais s’il y a du contre et du pour dans l’aveu, c’est-à-dire si la personne, à l’occasion de son aveu, certes
établit un élément de fait contre son intérêt, mais également un élément dans son intérêt, on ne pourra pas retenir
le premier aspect sans retenir également le second. Cela se traduit par le fait que, en application de l’alinéa 3 des
articles 1356 ancien et 1383-2, l’aveu est indivisible.
L’aveu pourra être divisé, c’est-à-dire que l’on pourra retenir ce qui est contraire à l’intérêt de celui qui
avoue et écarter ce qui lui est favorable, uniquement si l’autre partie, sur qui pèse désormais la charge de la
preuve, établit l’invraisemblance ou prouve l’inexactitude de la partie de l’aveu favorable à celui qui le formule.
L’aveu est en principe irrévocable.

b. Le serment décisoire

Le serment décisoire - prévu aux anciens art. 1357 et s. et aux nouveaux articles 1384 et s. - est
l'affirmation solennelle par une partie, à la demande d'une autre, de la véracité des faits qu'elle invoque au
soutien de sa prétention. Le serment est un mode de preuve hérité de la morale qui s'appuie sur la crainte du
parjure et le sens de l'honneur des parties,
À la demande d’une des parties, le tribunal, s’il juge qu’une telle mesure est nécessaire et permettrait de
trancher le litige, va inviter l’autre partie à jurer que ce qu’elle dit est vrai.
L’objet du serment ne peut donc être qu’un fait personnel, un fait que la partie en question est en mesure
de savoir vrai ou faux. Il faut relever que le serment peut être utilisé même si la partie qui enjoint au tribunal de
déférer le serment à l’autre partie ne dispose d’aucun élément de preuve de quelque sorte que ce soit. Le serment
peut donc être un palliatif à l’absence totale de preuve. Quelle est l’issue ?

 Soit la partie à laquelle le serment est déféré jure, prête serment : le fait est irrémédiablement établi et donc
la partie gagne le procès.
 Soit la partie à laquelle le serment est déféré refuse de jurer : le fait en cause est considéré comme n’étant pas
établi et donc la partie succombe dans sa demande ou son exception : elle perd le procès.

11 Pour une illustration récente, v. Cass. civ. 3me, 10 mars 2016.

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 Soit elle ne jure pas mais invite la partie, qui lui a demandé de jurer, de jurer elle-même la véracité du contraire.
C’est ce qu’on appelle référer le serment. Les rôles sont alors inversés. Si la partie à qui le serment est référé refuse
de jurer, elle succombe sur sa demande ou son exception, c’est-à-dire qu’elle perd le procès ; si elle prête serment,
elle l’emporte.

Susceptible d’intervenir à tout moment, en toute matière (du moins, dès lors qu’est en cause un fait
personnel), non susceptible de preuve contraire, et s’imposant au juge, le serment est certainement la reine des
preuves, ce qui peut sembler quelque peu anachronique lorsqu'on sait que la peur du parjure n’est plus une des
craintes majeures de la population.

B. Les modes de preuve imparfaits

On peut aller infiniment plus vite en la matière puisque, par hypothèse, ces modes de preuve sont beaucoup
moins réglementés. On peut signaler les trois principaux : le témoignage d'une part (1), l'aveu extrajudiciaire et le
serment déféré d’office, d'autre part (2).

1. Le témoignage

La preuve testimoniale, la preuve par témoins, le témoignage, est certainement le recours le plus naturel
d’un plaideur qui ne dispose pas d’un écrit pour justifier ses prétentions.
Le témoignage est la déclaration faite au juge par une personne qui a perçu par ses propres sens le fait
contesté.
L’Ordonnance du 10 février 2016 s’emploie à définir expressément la force probante du témoignage, ce
que ne faisait pas le Code civil dans son ancienne version. L’article 1381 nouveau, unique article en la matière,
dispose ainsi que « la valeur probante des déclarations faites par un tiers dans les conditions du code de procédure
civile est laissée à l’appréciation du juge ».

Le témoignage doit être distingué de la preuve par commune renommée qui est la déclaration consistant
à rapporter les propos d’un tiers relatifs au fait contesté. La preuve par commune renommée est dangereuse de
sorte qu'elle est rarement admise par le juge, pour ne pas dire pas du tout

2. L'aveu extrajudiciaire et le serment déféré d’office

Il faut assimiler au témoignage, d'une part, l’aveu extrajudiciaire (anciens articles 1354 et 1355 devenus
1383 et 1383), formulé en dehors du prétoire, et d'autre part, le serment déféré d'office (anciens articles 1357 et
1366 à 1369 devenus les articles 1384, 1386 et 1386-1) qui est déféré par le juge de sa propre initiative.
Leur force probante est, comme celle de tout mode de preuve imparfait, laissée à l’appréciation des juges
du fond. Le juge n’y recourt quasiment jamais.

§. 2 : Admissibilité des modes de preuve

Les modes de preuve parfaits sont admissibles en toutes matières ; les modes de preuve imparfaits ne
le sont que dans certaines matières.

En droit pénal, la preuve est absolument libre : les modes de preuves imparfaits sont admissibles. C’est
ce qu’indique l’article 427 du Code de procédure pénale, qui dispose : « Hors les cas où la loi en dispose autrement,
les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. »
En droit social également, le principe est la liberté de la preuve. La Cour de cassation a ainsi pu affirmer
qu’« en matière prud’homale, la preuve est libre ».

En revanche, en droit civil, il importe de distinguer. Tous les modes de preuve ne sont pas admissibles
en cette matière. Comme on l’a déjà vu, deux systèmes sont concevables quant à l’admissibilité des moyens de
preuve. L’un est permissif, c’est le régime de la liberté probatoire. Dans ce système (dit de la preuve morale), la
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preuve est libre et tous les moyens de preuve peuvent être utilisés. L’autre système pose des restrictions. La loi
énonce alors les modes de preuve légalement admissibles dans telle ou telle matière. C’est le système de la preuve
légale.
En matière civile – et singulièrement en droit des obligations –, le système probatoire, antérieurement à
la réforme, est partagé entre ces deux tendances suivant une distinction fondamentale entre la preuve des faits
juridiques (A) et la preuve des actes juridiques (B).

A. La preuve des faits juridiques

La preuve du fait est libre, ce qui signifie que tous les moyens de preuve sont admissibles, étant précisé
que les modes de preuve parfaits n’ont pas nécessairement, ici, une force probante supérieure aux modes de
preuve imparfaits : si la preuve est libre, c’est au juge, et à lui seul, de forger sa conviction librement.
Il y a toutefois deux limites à ce principe de liberté absolue de la preuve du fait.
1re limite : dans certaines matières, comme l’état civil des personnes, l’importance particulière de certains
faits conduit à n’en admettre qu’une preuve réglementée. Ainsi, la preuve de la naissance ou encore du décès se
fait par les actes de l’état civil.
2e limite : la preuve doit être obtenue de façon loyale et non frauduleuse sous peine de ne pas être
recevable. La preuve est illicite dans deux hypothèses.
En premier lieu, elle est déloyale lorsqu'elle a été obtenue à l'insu de celui auquel on l'oppose
Ainsi un enregistrement télévisé, par caméra cachée, ne peut être utilisé à l’insu de l’intéressé (Cass. soc.,
20 novembre 1991 ; v. égal., Cass. soc. 10 déc. 1997 ; Cass. com. 25 février 2003). L’enregistrement d’une
conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé
déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (Cass. 2e civ., 7 octobre 2004 ; A.P., 7 janvier 2011).
Des photocopies illicites (Cass. soc., 2 décembre 1998) ou des correspondances couvertes par le secret
professionnel (Cass. com., 14 décembre 1994 ; Cass. civ. 1ère, 4 juin 2014) ne sont pas des preuves susceptibles
d’être produites lors d’une instance civile. En revanche, un SMS – « minimessage » selon le terme adopté par la
commission générale de terminologie et de néologie – n’est pas un procédé déloyal car l’auteur du texto ne peut
ignorer qu’il est enregistré par l’appareil récepteur (Cass. soc, 23 mai 2007 ; comp. avec les solutions retenues en
matière de divorce, Cass. 1re civ., 17 juin 2009).
En second lieu, la preuve est illicite lorsqu'elle a été obtenue en violation d'un droit fondamental comme
par exemple le droit au respect de la vie privée ou encore le droit au respect du secret professionnel ou des
correspondances (par ex. : Cass. civ. 1re, 5 février 2009 : hypothèse d'irrecevabilité comme preuve d'un courrier
adressé par un avocat à un confrère).
Il convient cependant de noter que le droit tempère, parfois, le principe de l’irrecevabilité de la preuve
déloyale. C'est notamment le cas en raison de l'émergence du droit à la preuve. Au nom de ce droit, certaines
preuves a priori déloyales peuvent en effet être déclarées recevables. Pour admettre la production d'une telle
preuve, la Cour de cassation impose aux juges du fond de caractériser la réunion de deux conditions. D'une part,
la preuve produite doit être "indispensable à l'exercice du droit à la preuve", ce qui signifie sans doute qu'elle doit
être le seul moyen d'établir la réalité du droit litigieux. D'autre part, la Haute juridiction exige que l'atteinte
résultant de la production de la preuve litigieuse soit "proportionnée aux intérêts antinomiques en présence", ce
qui revient à une pesée d'intérêt propre à chaque espèce. Ainsi, au nom de ce droit à la preuve, la Cour de cassation
a pu casser, pour manque de base légale, un arrêt où les juges du fond avait retiré des débats une lettre protégée
par le respect de la vie privée et le secret des correspondances (Cass. civ. 1ère, 5 avril 2012)12.

Depuis l’entrée en vigueur de l’Ordonnance du 10 février 2016, les nouvelles dispositions du Code civil
consacrent désormais un principe général de liberté de la preuve. L’article 1358 nouveau dispose ainsi que « hors
les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen ». La preuve des faits
juridiques13 est donc, en principe, libre. On notera d’ailleurs, à ce titre, que les auteurs de l’Ordonnance, sans pour

12V. égal. : Cass. civ. 1re, 31 octobre 2012 qui énonce qu'un assureur peut se prévaloir du résultat d'une filature ; Cass. civ. 1re, 25 février
2016 : irrecevabilité d'une filature en raison d'une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
13Les faits juridiques sont désormais définis dans le Code civil. L’article 1100-2 nouveau dispose ainsi que « les faits juridiques sont des
agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit ».

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autant le remettre en cause, n’ont pas saisi l’occasion qui leur était donnée de consacrer le principe de loyauté
comme limite à la liberté de la preuve.

B. La preuve des actes juridiques

Si la preuve du fait est libre, la preuve des actes juridiques est légale¸ ce qui signifie non seulement que
la loi indique quels sont les modes de preuve recevables, mais aussi que le juge est lié par la hiérarchie que la loi
instaure pour déterminer la force probante des différents moyens de preuve.
Les règles régissant la preuve des actes juridiques14 sont posées dans l’article 1341 ancien du Code civil,
pour le droit antérieur à la réforme, et dans l’article 1359 pour le droit postérieur15.
Commençons par étudier le contenu des règles énoncées par ces textes (1), avant de voir les dispenses à
leur d'application (2) et enfin les exceptions dont elles souffrent (3).

1. Le contenu de l’article 1341 ancien (1359 nouv.) du Code civil

Deux principes complémentaires sont posés par les textes qui ont trait, d'une part, à la preuve de
l'existence de l'acte (a) et, d'autre part, à la preuve contre et outre le contenu de l'acte (b).

a. La preuve de l’existence de l’acte

Selon l'alinéa 1 de l'article 1359, qui reprend en substance l'alinéa 1 de l'ancien article 1341, « l’acte
juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous
signature privée ou authentique ».
De cet article, il faut comprendre que la preuve de l’existence d’un acte juridique doit être rapportée
par écrit. L’écrit exigé est un écrit préconstitué (c-a-d établi par les parties au moment de la naissance de l’acte,
ou en tout cas, avant l’apparition de tout litige) qui peut être soit un acte authentique, soit un acte sous seing
privé (sous réserve, bien évidemment, que l’acte sous seing privé respecte les exigences des articles 1325 et 1326
anciens du Code civil devenus les articles 1375 et 1376).
L’exigence d’un écrit préconstitué n’est cependant requise que si l’acte juridique porte sur une somme
supérieure à 800 €, pour les actes passés avant le 1er janvier 2005 (décret du 15 juillet 1980), et 1500 €, pour les
actes passés après le 1er janvier 2005 (décret du 20 août 2004 pour l'application de l'ancien article 1341 et décret
du 29 septembre 2016 pour l'application de l'article 1359 nouveau). Pour les actes d’un montant inférieur, la
preuve est donc libre.
Pour déterminer si ce seuil monétaire est atteint, il faut s'attacher à l'objet de l'acte et non à l'objet de
la demande. C'est la règle que l'on peut induire de l'ancien article 1344 devenu l'alinéa 4 de l'article 1359. Ainsi,
par exemple, dans l'hypothèse où une personne demande le paiement du solde d'une créance d'un montant de
1000 euros alors que l'ensemble de la créance est d'un montant de 2000 euros, la preuve devra être rapportée
par le biais un écrit préconstitué.

14Les actes juridiques sont désormais définis à l’article 1100-1 nouveau du Code civil comme des « manifestations de volonté destinées à
produire des effets de droit ».
15 S’agissant des actes juridiques, si le principe est désormais la liberté de la preuve en vertu du nouvel article 1358, le Code civil limite toutefois
cette liberté dans les mêmes conditions que le droit antérieur (art. 1359 nouv.). On relèvera enfin que le Code civil consacre désormais le
principe prétorien selon lequel « nul ne peut se constituer de titre à soi-même » (art. 1363 nouv.). Ce principe, qui relève du bon sens, interdit
qu’une partie puisse se prévaloir d’un écrit qu’elle aurait elle-même établi pour se proclamer créancier, acquéreur ou se délivrer tout autre
titre.

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b. La preuve contre et outre le contenu de l’acte

Au terme de l’alinéa 2 de l’article 1359 qui reprend en substance l'alinéa 1 de l'article 1341 « il ne peut
être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce
montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique ».
L’hypothèse est qu’un acte juridique a été constaté par écrit, mais qu’une partie au procès prétend que
l’acte est incomplet, inexact, ou bien qu’il a été postérieurement modifié entre les parties. Le plaideur conteste
donc le contenu de l’acte : soit il souhaite agir contre le contenu en arguant des stipulations contraires à ce qui
est écrit, soit il souhaite aller au-delà du contenu, en soutenant des allégations qui ne figurent pas dans l’acte
écrit.
Dans tous ces cas, la preuve par témoin est interdite, c’est-à-dire qu’il faut établir un écrit pour prouver
contre et outre le contenu d’un acte écrit. Cette règle est valable dès lors qu’il y a un écrit constatant l’opération
juridique, même si cet écrit ne porte pas sur une somme supérieure à celle fixée par décret (800 € ou 1500 € selon
la date de passation de l’acte)16.
Il y a cependant deux limites à cette interdiction.
Tout d'abord, l’article 1353 ancien in fine du Code civil réserve le cas de la fraude. S’il s’agit de prouver
une fraude, la preuve par témoignage et présomption est admise (Cass. civ 1re, 17 décembre 2009)17.
Ensuite, en cas d'erreur matérielle évidente (par ex. : noms des parties inversés, mauvais report d'un
numéro de compte), la jurisprudence décide d'écarter le jeu de la deuxième proposition de 1341 ancien du Code
civil (par ex. : Cass. civ. 1re, 26 janvier 2012).

2. Les dispenses à l'application de l’article 1341 ancien (1359 nouv.) du Code civil

Dans certains cas, le jeu des principes qui viennent d'être exposés peut être purement et simplement
exclu. Il en est ainsi dans trois hypothèses.

a. Conventions relatives à la preuve

L’article 1341 ancien n’est pas d’ordre public. C’est une règle d’ordre privé ayant pour simple objet la
protection des intérêts privés. Les parties peuvent donc conventionnellement modifier les règles de preuve
notamment en les allégeant (par exemple en écartant l’écrit au bénéfice d’autres modes de preuve). Cette solution
a été posée par la Cour de cassation dans une affaire concernant une carte bleue (Cass. 1re civ., 8 novembre 1989 ;
v. égal. Cass. 1re civ., 23 mars 1994).
Il faut préciser que si ces conventions probatoires sont valables, le juge conserve le pouvoir d'apprécier
la force probante des moyens de preuve que les parties ont conventionnellement substitués à l’écrit18.

b. Liberté de preuve pour les tiers

Ensuite les règles exigeant un écrit préconstitué ne s'appliquent qu’à l’égard des parties à l’opération
juridique et non à l’égard des tiers. En effet, les tiers peuvent difficilement rapporter par écrit la preuve d’un acte
auquel, par principe, ils n’ont pas été partis. Or, comme ils peuvent avoir intérêt à se prévaloir de cet acte juridique.

16Il est classique de considérer que la seconde proposition de 1341 ancien du Code civil ne s'applique qu'aux actes juridiques à l'exclusion
donc des faits. Ainsi la jurisprudence décide régulièrement qu'un instrumentum librement établi pour constater une situation de fait est
susceptible de preuve contraire par tous moyens (par ex. : Cass. 3ème civ., 23 mai 2002). Il reste qu'un arrêt récent - rendu en matière de
paiement constaté par une quittance - à jeter un certain trouble en exigeant un écrit pour prouver contre la quittance (Cass. 1re civ., 4
novembre 2011).
17Le cas de la fraude n’est plus envisagé par la réforme. Est-ce à dire que la règle est désormais abandonnée ? Sans doute pas si l’on considère
que la fraude est un fait juridique dont la preuve est donc libre.
18 On rappelle que l’Ordonnance consacre désormais la validité des contrats de preuve (art. 1356 nouv. du Code civil).

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Il leur est donc possible de rapporter par tous moyens une telle preuve (pour une illustration récente : Cass. civ.
1re, 3 juin 2015).

c. Contrats conclus par un commerçant

L’article L. 110-3 du Code de commerce dispose qu’à « l’égard des commerçants, les actes de commerce
peuvent se prouver par tous moyens, à moins qu’il n’en soit disposé autrement par la loi ».
Encore faut-il, pour que le principe de liberté joue pleinement, que l’acte ait été conclu entre
commerçants19. Si l’acte a été conclu entre un commerçant et un non-commerçant, il relève de la catégorie des
actes mixtes. Si la preuve est dirigée par le commerçant contre le non-commerçant, la preuve est alors légale et
l’écrit est exigé. Si la preuve est dirigée par le non-commerçant contre le commerçant, la preuve en revanche est
libre.

3. Les exceptions à l’article 1341 ancien (1359 nouv.) du Code civil

Lorsque l'on se trouve dans le champ d'application de l'ancien article 1341 ou du nouvel article 1359, la
preuve doit être rapportée par le biais d'une preuve littérale. Cependant, ce principe connaît des exceptions. Elles
sont au nombre de quatre si on met de côté l'aveu judiciaire et le serment décisoire qui, en tant que modes de
preuve parfaits, peuvent toujours suppléer l'absence d'écrit préconstitué (art. 1361 nouveau). Ces quatre
exceptions sont l'impossibilité de préconstituer un écrit (a), la perte par cas de force majeure (b), le
commencement de preuve par écrit (c) et la copie fidèle et durable (d).

a. L’impossibilité de préconstituer un écrit

L'ancien article 1348 alinéa 1, comme le nouvel article 1360, instaure une première exception à l'exigence
de la preuve littérale qui tient dans l'impossibilité de se préconstituer un écrit.
Cette impossibilité peut être matérielle. Il en est ainsi de tout événement qui par sa brutalité, sa
soudaineté, sa gravité ne permet pas d’envisager de pourvoir à la rédaction d’un écrit.
Cette impossibilité peut également être morale. Elle est retenue dès lors qu’un obstacle psychologique
se révèle assez fort pour empêcher les parties de rédiger un écrit préconstitué. La jurisprudence admet cette
impossibilité morale dans deux cas.
D’abord, lorsqu’il existe des relations d’ordre personnel ou affectif entre les parties. Il en est ainsi entre
membres de la même famille, entre fiancés ou encore entre concubins (par ex. Cass. 1re civ., 17 mars 1958 : contrat
entre frère et sœur ; Cass. 1re civ., 13 janvier 1969 : contrat entre beau-père et gendre ; Grenoble, 12 avril 1967 :
contrat entre fiancés ; Paris, 16 mai 2013 : contrat entre deux amis gendarmes dont la relation est qualifiée de
"fraternité d'armes" par la cour d'appel).
Ensuite, lorsqu’il existe un usage conduisant les parties à ne pas constater par écrit la convention
existant entre eux. Cette usage peut être professionnel (par ex. : Cass. 3ème Civ., 22 mars 2011 : vente d'aliments
pour bétails) ou bien résulter de pratiques constantes entre les parties (par ex. : Cass. 1re civ., 29 janvier 2002).
On notera juste que si la jurisprudence rattachait, avant la réforme, l'impossibilité résultant de l'usage à
l'impossibilité morale, le nouvel article 1360 en fait une cause autonome d'impossibilité.

Le juge apprécie souverainement la réalité de cette impossibilité (Cass. 1re civ., 19 juillet 1978) ;
cependant, il doit justifier sa décision en énonçant précisément les éléments qui permettent de caractériser ou
d’exclure une impossibilité de se procurer un écrit (Cass. 3ème Civ., 14 janvier 2014).
Si l’impossibilité est admise par le juge, la preuve est alors libre (v. par ex. : Cass. 1re civ., 29 janvier 2014).

19Attention à bien distinguer les notions de commerçants et de professionnels. De nombreux professionnels ne sont pas à proprement parlé
des commerçants. Ainsi, les professions libérales et notamment les avocats sont soumis au droit commun de la preuve et notamment aux
règles de l’article 1341 ancien du Code civil.

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b. La perte par cas fortuit ou force majeure20

L’alinéa 1 de l’ancien article 1348 du C. civ. vise aussi l’hypothèse dans laquelle l’acte instrumentaire a
été à l’origine dressé, mais a été ensuite perdu.
Pour bénéficier de la liberté de la preuve, le plaideur doit prouver, par tous moyens, que l’écrit a existé et
qu’il a été perdu dans un événement de force majeure. Celui-ci doit donc rapporter la preuve que la perte n’est
pas imputable à son fait personnel mais résulte d’une circonstance extérieure à sa volonté, imprévisible et
irrésistible : inondation, incendie, fait d’un tiers qui aurait égaré l’acte.
Il doit de plus établir – là encore par tous moyens – le contenu de l’acte.

c. Le commencement de preuve par écrit

A titre liminaire, il convient de souligner que si l’ancien article 1347 énonce que l’exigence d’une preuve
littérale reçoit exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit (CPPE), le nouvel article 1361
prévoit que ce commencement permet de suppléer le défaut d'acte écrit. C'est dire autrement que, pour les
rédacteurs de l'ordonnance, le commencement de preuve par écrit est en soi un mode de preuve. En réalité, cela
n'a aucune conséquence dans le cadre du cas pratique que vous aurez à l'examen dés lors qu'il vous faudra
toujours vérifier s'il existe une preuve littérale avant de faire jouer, éventuellement, le commencement de preuve
par écrit.
Le nouvel alinéa 1 de article 1362 - qui reprend en substance l'alinéa 1 de l'article 1347 - définit le CPPE
comme l’ « écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui
est allégué ». La qualification de CPPE est donc subordonnée - aujourd'hui comme hier - à la réunion de trois
éléments.
- Il faut un écrit. La jurisprudence et la loi comprennent assez largement cette condition. Tout d’abord, la
jurisprudence admet que peuvent constituer de tels écrits les actes préconstitués irréguliers au regard des articles
1325 et 1326 anciens du Code civil (voir, par ex. : Cass. com., 5 décembre 2002). Ensuite, les tribunaux se
contentent d’un écrit quelconque, comme par exemple une simple lettre missive. Enfin, la loi est encore allée plus
loin en prévoyant que le juge pourra considérer comme CPPE, non seulement les déclarations que fera la personne
lors d’une comparution personnelle, mais encore son refus de répondre ou son absence de comparution (art. 1347
al. 3 anc. devenu l'art. 1362 al. 2).
- Il faut que l’écrit émane de la personne à qui on l’oppose : l’interprétation large de la notion de CPPE
vaut également en ce qui concerne la personne de qui il émane. En principe, la loi prévoit qu’il doit émaner de
celui auquel on l’oppose, mais elle admet qu’il peut aussi émaner de son mandataire (par ex. : Cass. civ. 3e, 10 oct.
1978, a contrario).
- Il faut enfin que l’écrit invoqué rende vraisemblable - et non simplement possible - le fait allégué. La
détermination de cette vraisemblance est un point de fait soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond
(Cass. civ. 1re, 22 juin 1976).
Si ce CPPE est établi, il ne suffit pas à lui seul à rapporter la preuve de l’acte juridique, mais il rend
admissibles tout moyen de preuve complémentaire, alors pourtant qu’un écrit serait requis. Le CPPE doit en effet
être complété par d’autres éléments de preuve appréciés souverainement par les juges du fond. Ces
compléments de preuve peuvent être des témoignages, présomptions ou tout autre moyen de preuve. La seule
condition les concernant est qu’ils soient extérieurs au CPPE (Cass. com, 11 juin 2003).

20L'ancien article 1348 du Code civil envisage la perte par cas fortuit ou force majeure. En réalité, il y a là une maladresse de rédaction. Le
cas fortuit étant un sous-ensemble de la force majeure, la référence au cas fortuit est superfétatoire. Le nouvel article 1360 en a tenu compte
en supprimant la référence au "cas fortuit".

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d. La copie fidèle et durable (ou copie fiable)

Traditionnellement, une copie ne valait, en termes de preuve, que si l’original pouvait être produit (art.
1334 anc. C. Civ.). Autrement dit, une copie ne valait rien lorsque l’original avait été perdu ou détruit. Cette règle
connaissait toutefois des exceptions.
L’article 1348 al. 2 ancien (rédaction loi du 12 juillet 1980) établissait une dérogation aux règles de
l’ancien article 1341 dans le cas où, l’écrit n’ayant pas été volontairement conservé, était présentée une copie
qui en est la reproduction fidèle et durable. Ce texte avait été adopté sous la pression des banques. Celles-ci ont
en effet l’obligation de conserver les chèques de leurs clients pendant 10 ans. Or, pour des raisons de stockage,
ces établissements avaient pris l’habitude de reproduire les chèques sur microfilms et de détruire les originaux.
Afin de valider le procédé, le législateur était donc intervenu en décidant que la reproduction fidèle et durable
d’un écrit qui n’a pas été volontairement conservé vaut, en principe, preuve complète.
La fidélité de la copie suppose l’absence de falsification, montage ou autre trucage ; quant au caractère
durable, il est, selon le texte, attaché à toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification
irréversible du support.
Ce texte n’aurait dû concerner que les microfilms de banques. Cependant la jurisprudence l’a utilisé pour
les simples photocopies au terme d’une évolution qu’il convient de retracer.
Dans un premier temps, la Cour de cassation a introduit une distinction. Si la copie était un carbone, elle
pouvait valoir CPPE (Cass. civ. 1re, 27 mai 1986). En revanche, si la copie était une photocopie, elle refusait,
conformément à 1334 C. civ., de lui attribuer une quelconque valeur probatoire (Cass. com., 15 déc. 1992).
Dans un second temps, la Haute juridiction a admis que la qualification de CPPE puisse être retenue à
propos de photocopies (Cass. civ. 1re, 14 février 1995).
Enfin, au terme d’une ultime évolution, la première Chambre civile de la Cour de cassation – par des arrêts
en date du 9 mai 1996, 25 juin 1996 et surtout du 30 mai 2000 – a décidé que la valeur d’une photocopie dépend
du pouvoir d’appréciation des juges du fond qui peuvent l’assimiler à la copie fidèle et durable de l’article 1348 al.
2 ancien dès lors que cette photocopie présente des caractères de fidélité et de « durabilité » et alors même que
l’original n’aurait pas été volontairement détruit. Plus précisément, soit les juges du fond ne reconnaissent pas
ces caractères à la photocopie et alors celle-ci ne vaut rien (pas même un CPPE), soit les juges du fond
reconnaissent ces caractères et alors la photocopie a la même valeur que l’original21.
La réforme, quant à elle, consacre cette solution jurisprudentielle en la généralisant à l'ensemble des
copies. Le nouvel article 1379 alinéa 1 dispose en effet que « la copie fiable a la même force probante que
l’original », étant précisé que la fiabilité - qui n'est rien d'autre que la fidélité et la durabilité - est laissée à
l’appréciation du juge. Ce pouvoir d’appréciation connaît cependant des limites.
D’une part, l’article 1379 alinéa 1 nouveau pose une présomption irréfragable de fiabilité des copies
exécutoires ou authentiques d’un acte authentique.
D’autre part, l’article 1379 alinéa 2 nouveau institue une présomption simple de fiabilité pour les autres
copies dès lors qu’elles présentent certaines caractéristiques. Ce texte dispose ainsi qu’ « est présumée fiable
jusqu’à preuve du contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de
l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en
Conseil d’Etat ». Où l’on retrouve les deux critères retenus par le droit antérieur: la fidélité à l’original d’une part,
la copie devant résulter d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et la « durablité »
d’autre part, l’intégrité de la copie devant être garantie dans le temps. Le texte ne précise cependant pas les
conditions permettant de garantir cette intégrité et renvoie, pour ce faire, à un décret en Conseil d’Etat qui a été
adopté le 5 décembre 2016.
On notera qu’en ne reprenant pas l'exigence de la destruction volontaire de l'original, prévue par l’ancien
article 1348 alinéa 2, les nouvelles dispositions du Code civil consacre indirectement la jurisprudence sur la pleine
force probante de la photocopie.

21 Sur la valeur de la photocopie fidèle et durable d'un original imparfait, v. par ex. : Cass. civ. 1re, 19 février 2013.

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