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MIM-AMERM
Programme de recherche sur la Migration Internationale des Marocains
Abdallah Ounnir
Faculté des sciences juridiques économiques et sociales de Tanger
Cécile Corso
Faculté de droit de l'Université Lyon 3
La condition des jugements étrangers en France et au Maroc est intimement liée à l’histoire com-
mune de ces deux pays. Jusqu'au début du XIXe siècle, le droit international privé français était
marqué par le cloisonnement des ordres juridiques. L'ordonnance de 1629 disposait que « Les
jugements étrangers n'auront point d'exécution en France, et les Français nonobstant ces jugements
pourront de nouveau débattre de leurs droits comme entiers devant les tribunaux français » 1.
La doctrine dite du juge naturel ne reconnaissait des effets aux jugements étrangers qu'à l'égard
de leurs nationaux. Suite à l'adoption du Code civil et du Code de procédure civile, la jurispru-
dence française abandonna la référence à l'ordonnance de 1629 pour donner naissance au ré-
gime des jugements étrangers en France 2.
1
Citée par S. Clavel, Droit international privé, collection HyperCours, Dalloz, 2ème édition, 2010, p. 228.
2
Arrêt Parker du 19 avril 1919, GADIP, n° 2, M.L. Niboyet et G. de Geouffre De La Pradelle, Droit interna-
tional privé, L.G.D.J., p. 473.
Le système de la révision au fond sera progressivement abandonné au profit d'un contrôle ob-
jectif du juge basé sur les conditions de régularité internationale de la décision 3.
Les évolutions du droit international privé français auront, par le fait et les effets politiques et
juridiques du protectorat, une grande influence sur le droit international privé marocain, tradi-
tionnellement marqué par une forte spécificité découlant de l'appartenance (sentiment général
très subjectif) à la Oumma (communauté) islamique.
On a vu dans ce régime de droit commun de l’étranger, la première réponse de l’Islam aux pro-
blèmes du droit international privé.
Dhimmis et étrangers non musulmans échappaient, donc, au droit musulman pour ce qui est de
leur statut familial mais ils y restent soumis dans tous les autres domaines. En Islam, c’est la
règle de rattachement du statut personnel à la loi nationale qui prévaut, les individus étant sou-
mis à la loi du statut personnel de leur communauté religieuse.
On ne peut comprendre les mécanismes de droit international privé marocain et ses effets en
matière de reconnaissance et d’exécution des jugements, si l’on ne fait pas référence aux con-
cepts de droit public islamique qui le marquent profondément. L’un des concepts clés du droit
public islamique est la notion d’« Al Oumma ». C’est la totalité des fidèles, liés les uns aux autres
par des liens non d’ethnie, mais de religion. Le chef de cette Oumma est Allah. Il est le législateur
unique et il n’existe pas dans la théorie musulmane de place pour une souveraineté temporelle.
Il ne peut donc exister, dans la théorie pure du droit public musulman, d’État souverain si celui-
ci devait avoir le pouvoir de promulguer une législation propre et laïque.
3
Cass, civ, 1ère, 1900 De Wrède et Cass, civ, 1ère, 1964 Munzer, S. Clavel, op. cit.
4
La dhimma est « un contrat par lequel la communauté musulmane accorde hospitalité-protection aux
membres des autres religions révélées, à condition qu'eux-mêmes respectent la domination de l'Islam ». La
dhimma résulte, donc, d’une certaine méfiance et traduit en même temps une idée de protection et de
sujétion. La protection permit aux dhimmis d’être garantis dans leurs biens et dans leurs personnes et la
sujétion leur confère un statut inférieur à celui des musulmans en ce sens qu’ils n’avaient ni les mêmes
droits ni les mêmes obligations que les musulmans.
A vrai dire, il est difficile de parler, à cette époque, de méthode de droit international privé.
En effet le Maroc, tout au moins dans la zone chrâa 5, ignorait le concept de nationalité. Seule la
notion d’Oumma et le concept de soumission à l’autorité du khalife, devenu Sultan, était utilisée
par les jurisconsultes musulmans.
L’existence de communautés non musulmanes (chrétiens et juifs) a conduit sur le plan du statut
personnel à un pluralisme communautaire à base confessionnelle, juridiquement désigné par les
historiens par les termes d’autonomie législative et juridictionnelle des communautés non mu-
sulmanes. 6
La religion fut le critère unique de distinction entre le statut personnel musulman et les autres ;
et c’est en réaction à ce privilège de religion que l’on assista, dès le très haut moyen âge, à une
prolifération de traités diplomatiques conclus entre les princes musulmans et les États chrétiens
relativement à l’organisation de la relation avec l’étranger ; ce fut le passage d’une situation uni-
latéralement définie et imposée par l’autorité musulmane (l’état de protégé) à un statut négocié.
En effet, la reconnaissance aux consuls étrangers d’un pouvoir juridictionnel accentue l’autono-
mie législative et juridictionnelle dont bénéficient désormais les étrangers en ce sens qu’elle
englobe non seulement le statut personnel mais aussi le patrimonial, le contractuel, et même le
pénal à l’exception de l’immobilier. En l'absence de tout conflit de lois, les ordres juridiques res-
tèrent cloisonnés jusqu'à la fin du XIXe siècle.
Suite à l'ouverture du canal de Suez, la multiplication des échanges économiques avec les pays
occidentaux va entraîner une ouverture de l'Empire Ottoman vers un système de droit internatio-
nal privé musulman. La chute de l'Empire Ottoman et les mouvements de colonisation qui vont
suivre vont cependant profondément modifier le visage du droit international privé musulman.
Avec le XIXe siècle, la doctrine islamique cède le pas aux idées réformistes et révolutionnaires.
On assiste à la naissance du concept de patrie (Watane). Le critère religieux qui sert à distinguer
les musulmans des non musulmans n’est plus opérant. Il va faire place à un critère plus politique
qui va englober aussi les musulmans que les non musulmans dans un cadre qui n’est plus dé-
5
Zone soumise à l’autorité du sultan, à l’empire du droit musulman et à la juridiction du Cadi.
6
J. Deprez, op.cit., p. 187.
7
Origine des capitulations : régime privilégié reconnu sur le territoire de l’Empire Ottoman à des étrangers.
La promulgation du dahir du 12 août 1913 réglementant la condition civile des français et des
étrangers (DCC) 8 est un fait majeur dicté essentiellement pour engager les puissances étran-
gères à renoncer à leurs privilèges capitulaires, en raison des garanties qui leurs étaient offertes.
Le DCC constituait à l’époque le premier code de droit international privé paru en langue fran-
çaise 9. Ce texte présente la grande originalité d’accorder une large compétence à la loi nationale
des étrangers. Doctrine et jurisprudence développèrent alors une conception absolue de la per-
sonnalité des lois, une « conception outrancière et exacerbée du respect des lois étrangères » 10 qui,
poussée à l’extrême, aboutit à l’absence de lex fori 11 en matière de statut personnel, à une quasi-
inexistence de l’ordre public, à la recherche de la qualification dans la loi étrangère, etc. 12
L'exécution des décisions françaises au Maroc fut, quant à elle, placée sous le sceau d'une totale
permissivité, « les jugements et arrêts émanés des juridictions françaises de la France continentale,
de l'Algérie sont exécutoires de plein droit au Maroc, ainsi que sont exécutoires les actes passés
devant les officiers publics français » 13 et « les décisions des juridictions des juridictions françaises
du Maroc (z.f.) sont applicables de plein droit en territoire français » 14.
8
Ce texte fut, comme on le sait, l’œuvre de G. G. De La Pradelle. On utilisera les sigles DCC (Dahir relatif à la
Condition Civile des français et des étrangers au Maroc) pour désigner ce texte à travers cette étude.
9
Le Maroc s’est doté aussi d’un DCC en langue espagnol pour la Zone –Nord et Tanger.
10
J. Deprez, Droit international privé et conflits de civilisations, Cour de droit international privé, p. 186 et ss.
11
Lex fori ou loi du for signifie la loi du juge saisi du litige renfermant un élément d’extranéité.
12
Sur ces questions, cf. J. Deprez, Jurisclasseur de droit comparé, « Maroc », fasc., IV, 1er cahier, 1981 et
Droit international privé et conflits de civilisations, op.cit., p. 187.
13
Article 289 du Dahir relatif à la procédure civile du 12 aout 1913 B.O., 9 septembre 1913 consultable sur
le site du secrétariat général du gouvernement marocain, www.sgg.gov.ma.
14
Article 25 du Dahir sur l'organisation judiciaire du 12 aout 1913. B.O., 9 septembre 1913.
Dès la fin du protectorat, des relations privilégiées s’instaurent entre les deux pays. En effet,
considérant l’intensité de leurs liens politiques, géographiques et historiques, la France et le
Maroc décident de s’entendre par voie conventionnelle pour résoudre les litiges privés trans-
frontières. Les conventions signées sont venues bousculer les traditions juridiques des deux
Etats en adoptant, pour la partie marocaine, des règles conflictualistes largement inspirées des
conventions de droit international privé signées dans les pays occidentaux 15, et, pour la partie
française, des préoccupations de droit marocain liées au souci affiché par le Maroc de maintenir
des liens forts d’allégeance avec ses ressortissants, même ceux portant une autre nationalité et
préserver, ainsi, le statut personnel marocain en France.
Un accord est conclu dès 1957 entre les deux pays afin de faciliter la circulation mutuelle de
leurs ressortissants 16. La même année, la Convention d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur des
jugements et d’extradition est signée à Rabat le 11 juin 1957 et à Paris le 5 octobre 1957, mue par
l’impératif de s’assurer de la reconnaissance des jugements prononcés en France ou au Maroc
sur le territoire de l’autre Etat.
Cette convention a fait l'objet d'un protocole additionnel le 15 décembre 1981. Elle prévoit que
les décisions en matière civile et commerciale sont reconnues de plein droit sur le territoire de
l'autre Etat à condition qu'elles émanent d'une juridiction compétente d'après les règles de droit
international privé admises dans le pays où l'exécution de la décision est demandée, que les par-
ties aient été légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes, que la décision soit pas-
sée en force de chose jugée et susceptible d'exécution dans le pays où elle a été rendue, qu'elle
ne contienne rien de contraire à l'ordre public.
Cette époque et les années qui suivirent furent caractérisées par le besoin français de main
d’œuvre donc par une ouverture des frontières à l’égard des ressortissants marocains. Le cou-
rant migratoire fut fort et la nécessité de circulation des jugements d’un pays à l’autre fut très
fortement ressentie.
15
L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé, 2001, p. 175.
16
14-15 août 1957, Echange de notes relatif au régime de la circulation des personnes, signé à Rabat. Cet
accord permettait aux Marocains et aux Français munis d’un passeport en cours de validité d’entrer sur le
territoire de l’autre Etat sans autre formalité et prévoyait la prochaine négociation d’un accord de main
d’œuvre et de travail.
17
Pour une présentation détaillée de la convention du 10 août 1981, voir F. Monéger, « La convention
franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération
judiciaire », in Revue critique de droit international privé, 1984, e.g. P. Decroux, « La convention franco-
marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire »,
in J.D.I., 1985, n° 1.
L’article 310 alinéa 2 du Code civil français 19, issu de la loi du 11 juillet 1975, édictait une nou-
velle règle de conflit de lois donnant compétence à la loi française en matière de divorce lorsque
les époux étaient domiciliés en France. Les époux marocains vivant en France ne pouvaient donc
plus divorcer selon la loi marocaine.
Or, par tradition historique, le principe de personnalité des lois au Maroc assure aux étrangers
non musulmans l'application de leur loi personnelle.
Les deux Etats se sont donc entendus pour adopter des règles de conflit de lois communes en
matière de formation du mariage, de sa dissolution, des effets de cette dissolution en matière
d’autorité parentale 22 et d’obligations alimentaires. La convention franco-marocaine du 10 août
1981 est l'un des premiers traités bilatéraux signé par la France en matière de statut personnel ;
il s'agit donc à ce titre d'un texte majeur 23.
Cependant, en dépit de l’importance des règles qu’elle instaure en matière de statut personnel, la
convention franco-marocaine du 10 août 1981 est avant tout un texte de compromis qui n'est
pas parvenue à faire oublier les aspirations divergentes des deux Etats signataires. Concession
surprenante du côté français en matière de divorce, l'article 13 de la convention prévoit la re-
connaissance des actes de répudiation 24 dans les mêmes conditions que les jugements étrangers
de divorce.
Cette disposition nourrira les passions de la doctrine française tant elle s'accommode mal des
principes égalitaires du droit de la famille français et témoigne de la difficulté de préserver les
principes d'une identité nationale dans un ordre juridique extérieur à ces principes. Le principe de
18
F. Rueda, «Les conditions d’entrée sur le territoire français des ressortissants du Maghreb spécificités et
évolutions », in Les droits maghrébins des personnes et de la famille à l’épreuve du droit français, L’Harmattan,
2009, p. 183. L. Gannagé, op.cit.
19
Article 309 du Code civil actuel.
20
L. Gannagé, op.cit.
21
F. Monéger, op.cit., p. 34 et ss.
22
Le texte emploie la notion de garde.
23
P. Decroux, op.cit.
24
V. F. Monéger, prec. et P. Decroux, prec.
Dans l’ordre judiciaire marocain, cette convention n’a jamais été une référence ni un enjeu dans
la mesure où les règles de droit international privé marocain sont fondées sur le principe de la
personnalité des lois et la politique de l’Etat ne se soucie que du statut de marocain et de mu-
sulman. Peu nombreuses sont les décisions de justice qui font référence à cette convention dans
leurs dispositifs.
Chacun des ordres juridiques français et marocains a cependant été soumis à des évolutions
remarquables, en droit de la famille et en droit international privé, au cours de ces dernières
décennies.
Les revendications internes au sein de la société française et de la société marocaine ont pro-
gressivement conduit à une libéralisation du droit du divorce dans chacun de ces Etats.
Il suffit de constater l'essor du nouveau divorce pour discorde au Maroc introduit par la réforme
du 3 février 2004 26 pour comprendre le besoin d'ouverture vers de nouvelles formes de désu-
nion qui n'impliquent pas la justification des motifs de divorce.
La pacification et le déclin du divorce pour faute, en France, depuis la loi du 26 mai 2004 partici-
pent d'un même constat 27. Selon les sources du Ministère de la justice, la part des divorces pour
faute n’était plus que de 15% en 2007 tandis que les divorces par consentement mutuel repré-
sentaient 55% de l’ensemble des divorces 28.
Un vent d'égalitarisme souffle également sur le droit au divorce. La famille repose, en France, sur
une conception égalitaire des droits et des devoirs des époux. Cette égalité des époux est le fruit
d’une longue évolution des mentalités durant tout le XXe siècle, dont les sources normatives de
droit interne se trouvent aujourd’hui confortées, au plan européen, par l’article 5 du protocole
additionnel n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des liber-
tés fondamentales.
25
M-C. Najm, Principes directeurs du droit international privé et conflits de civilisations, 2005.
26
Le site du ministère de la justice publie, actuellement, les statistiques suivantes, les plus élevées de
toutes les formes de divorce au Maroc, à propos du divorce sur demande de l'un des époux pour cause de
discorde (Chiqaq) : Affaires en instance (17 510), affaires nouvelles (40 728), Affaires en cours (58 238),
Affaires jugée (33 455) soit 57,4%. adala.justice.gov.ma/production/statistiques/famille/FR/
Les%20divorces%20judiciaires.pdf
27
Gérard Pitti, « Le divorce pour faute, point de vue d’un magistrat », in A.J. famille, 2011, p. 84.
28
F. Terré, « Sens de la divortialité, libres propos », in J.C.P.G., n° 1, 10 janvier 2011, p. 3.
29
F. Marchadier, La protection européenne des situations constituées à l’étranger, Dalloz, 2007, p. 2700.
La réforme du Code marocain de la famille du 3 février 2004 témoigne pour sa part de la prise
en compte, dans une certaine mesure, des revendications égalitaires au Maroc.
Le préambule du Code marocain de la famille fait référence à l'égalité entre époux 31, mais cette
égalité déclarée doit néanmoins cohabiter avec des institutions plus classiques et moins égali-
taires du droit musulman.
Les décisions relatives à la garde des enfants demeurent peu fréquentes dans les procédures
d’exequatur, celles relatives à la polygamie se raréfiant en raison de la limitation rigoureuse de
cette institution par le nouveau texte, l’essentiel du contentieux examiné par les juridictions des
deux pays a trait à la dissolution du lien conjugal.
C’est la raison pour laquelle, l’essentiel de cette étude sera consacré à l'impact des différentes
mutations, réformes juridiques et évolutions jurisprudentielles sur l'effet des jugements français
et marocains de divorce dans les relations entre les deux pays.
6. Méthode
Ce travail sera articulé sur un rappel des textes fondamentaux régissant la question de la recon-
naissance et l’exequatur des jugements dans les rapports entre la France et le Maroc, la position
de la doctrine et une étude méthodique des principaux arrêts rendus par la Cour suprême maro-
caine (la Cour suprême est devenue Cour de cassation depuis l’adoption de la nouvelle constitu-
tion marocaine 32) et la Cour de cassation française, plus particulièrement, depuis la réforme du
Code marocain de la famille.
Les arrêts sélectionnés impliquent des époux français, marocains, ou ayant la double nationalité
franco-marocaine et soulèvent la question de l'effet du jugement de divorce de manière princi-
pale ou de manière incidente.
En droit français, comme en droit marocain, l’efficacité d’une décision rendue à l’étranger com-
porte deux aspects : la reconnaissance et la force exécutoire 33. La reconnaissance de plein droit
30
F-X. Train, M-N. Jobard-Bachellier, « Ordre public international – Notion d’ordre public en droit interna-
tional privé », in Jurisclasseur Droit international, Côte 05, 1er juillet 2008.
31
L’exposé des motifs du code de la famille marocain rappelle, en effet, que le Roi du Maroc « a tenu à ce
que la famille marocaine, fondée sur les principes de la responsabilité partagée, de l'égalité et de la justice,
vivant en bonne intelligence, dans l'affection et l'entente mutuelles et assurant à sa progéniture une éduca-
tion saine et équilibrée, constitue un maillon essentiel dans le processus de démocratisation de la société,
dont elle est, du reste, la cellule de base ».
32
La nouvelle constitution marocaine a été adoptée par le Dahir n° 1-11-91 du 29 juillet 2011 portant
promulgation du texte de la Constitution. B.O. n° 5964bis du 30 juillet 2011. L’ancienne dénomination
(« Cour suprême ») sera conservée dans le cadre de cette étude dès lors qu’il sera fait référence à l’activité
de la Cour avant l’entrée en vigueur de la Constitution marocaine.
33
B. Audit, avec le concours de Louis d’Avout, Droit international privé, Economica, 6ème édition, 2010, p. 397.
L'étude est enrichie de l'ensemble des arrêts rendus avant la réforme qui sont apparus perti-
nents pour montrer les lignes force de l'évolution des jurisprudences françaises et marocaines.
Cette étude ne prétend pas à l'exhaustivité, certaines difficultés, notamment d'ordre procédural,
n'ayant pas été abordées.
Le travail de comparaison juridique présente un intérêt particulier pour cette recherche car il
permet de mettre en lumière l'état de la coopération judiciaire franco-marocaine en ce domaine.
Les résultats de cette étude vont conduire, nous l'espérons, à une meilleure compréhension mu-
tuelle des obstacles qui s'opposent encore, au sein de chaque ordre juridique, à la reconnais-
sance des jugements de divorce en France et au Maroc afin de dégager les évolutions possibles.
Les résultats montrent que les deux systèmes sont fortement marqués par la notion centrale
d'ordre public en droit international privé, qui constitue l'axe mais aussi le point de clivage entre
les deux ensembles. Or, depuis la réforme du Code marocain de la famille, le principe d'égalité
entre époux, qui cristallisait toutes les divergences, tant à devenir le vecteur de rapprochement
des deux ordres juridiques en présence.
Sous l'effet des principes égalitaires, les deux systèmes ont donc subi une évolution inversée. Il
nous a donc paru pertinent de construire le plan autour des évolutions ayant marqué chaque
système, l'un par rapport à l'autre, suivant un parallélisme inversé.
Les réformes égalitaires introduites dans le nouveau code marocain de la famille invitent cepen-
dant le juge français à faire preuve d'ouverture à l'égard du droit marocain.
Le choix par le Maroc d’un droit international privé moderne inspiré du système français a im-
posé, d’une certaine manière, une sorte de convergences des deux systèmes dans la technicité
juridique et les mécanismes de la méthode conflictuelle (Partie I).
Cependant, chaque système demeure marqué par son noyau dur de droit international privé que
constitue l’ordre public et c’est en cela que réside et apparaissent les divergences des deux sys-
tèmes dans leurs parties relatives à la reconnaissance et l’exécution des jugements (Partie II).
34
Cass (req), 3 mars 1930, Hainard, S. 1930, 1, 377 note Niboyet.
L’histoire particulière de ces deux pays a favorisé la réunion des conditions d’adoption de cri-
tères communs de reconnaissance et d’exécution des jugements par voie conventionnelle (1.).
La convergence des systèmes ne peut néanmoins être effective qu’à travers la pratique judi-
ciaire. Or en dépit de fondements textuels communs, l’interprétation des conventions bilatérales
est différente selon l’ordre juridique dans lequel elle est invoquée.
L’étude de la pratique judiciaire en France et au Maroc montre les écueils mais également les
évolutions en faveur de la reconnaissance des jugements de divorce rendus sur le territoire de
l’autre Etat (2.).
Marqué très profondément par le système juridique français, le droit international privé maro-
cain demeure régi par un texte établis par le protectorat français et dont la philosophie occiden-
tale ne fut pas remise en cause par les réformes de l’ère de l’indépendance (1.1.) et ouvert en
même temps sur la voie conventionnelle dans le dessein de favoriser la reconnaissance et
l’exécution des jugements (1.2.).
1.1. Le système du droit international privé marocain entre mutation des concepts
juridiques et survivance de la pensée juridique
L’indépendance du Maroc ne changea rien à l’empreinte profonde laissée par le système français
de conflits de lois et de conflits de juridictions sur le plan juridique, mais l’emprise de la pensée
conservatrice fut également grande en la matière : elle marquera, dès le début de l’indépendan-
ce, à la fois le droit de la famille et la pratique judiciaire en matière de droit international privé.
Durant les cents années ayant suivi la signature du traité du protectorat et à l’indépendance, le
Maroc fit application de deux systèmes partageant le même principe relativement aux conflits de
lois et de conflits de juridictions en matière de statut personnel, à savoir le principe de la per-
sonnalité des lois.
Cependant, en raison de la philosophie propre à chacun, les deux systèmes restèrent parallèles,
antinomiques et totalement indépendants l’un de l’autre.
Il est opportun, enfin de noter, que le domaine du droit international privé marocain, dans une
ouverture vers le système occidental, fut marqué par une mutation de certains concepts juri-
diques principaux (1.1.1.) et la réforme de certains textes déterminants en matière de reconnais-
sance et exécutions des jugements étrangers (1.1.2.).
Les concepts juridiques, en général, et ceux propres au droit international privé, ont connu une
remarquable mutation en raison de l’indépendance du Maroc entrainant la naissance d’un Etat
au sens du droit constitutionnel moderne au Maroc et au fur et à mesure que les textes interna-
tionaux s’imposent au juge en matière de conflits de lois et de conflits de juridictions en France
et en Europe.
Dans les anciennes colonies et protectorats comme le Maroc, l’idée de Patrie sera cimentée dans
la lutte politique pour l’indépendance. Le religieux passa au second plan (sauf en matière de
statut personnel) : on ne revendique plus le rattachement à la Oumma mais à la nation, à l’État
tel que le protectorat l’a dessiné : le jus religionis fait place à d’autres critères : le jus sanguinis
délimité lui-même par le jus loci. La nationalité est devenue plus restreinte, plus juridiquement
précise et géographiquement délimitée 35.
Avec la publication du dahir du 22 avril 1957, les tribunaux sont devenus exclusivement maro-
cains. Ils puiseront désormais les règles applicables aussi bien aux situations internes qu’aux
situations externes dans le seul code marocain de droit international privé. Le droit internatio-
nal privé français est devenu à leur égard un droit étranger.
Le texte de base demeure, donc, le dahir du 12 août 1913. Sa mise à jour a été le fait de la juris-
prudence et du législateur à travers certains textes particuliers. Une doctrine autorisée 36 a plai-
dé pour la normalisation de ce système.
Le début des années soixante-dix, l’immigration et le flux de main d’œuvre et d’étudiants maro-
cains vers l’Europe occidentale et principalement vers la France et les pays du Benelux, permi-
rent les échanges socioculturels, la célébration de mariage mixtes et des naissances ; ainsi que la
création d’actes juridiques sur des territoires étrangers, destinés à produire des effets juridiques
et à entraîner l’ouverture de droits sur le sol national.
35
M. Issad, DIP: Les règles matérielles, Publisud, 1986.
36
A. Bahnini, un des premiers présidents de la cour suprême et A. Alfassi, figure charismatique de
l’indépendance et du leader du parti de l’Istiqlal.
37
Les principaux travaux de droit international privé de la période d’après indépendance demeurent ceux
effectués par la génération d’enseignants et chercheurs dans les premières universités du Royaume à savoir,
Rabat, Casablanca et Fès et plus particulièrement P. Decroux, M. Abboud, A. Moulay Rchid et L. Messaoudi.
La réforme du code de procédure civile de 1974 38 a remis en cause le système hérité du protec-
torat. En effet, parmi les innovations apportées par le nouveau code de procédure civile et inté-
ressant le droit international privé dans sa partie relative aux conflits de juridictions, figure
l’unification du régime de l’exequatur.
Deux articles, 430 et 431, constituant le régime de droit commun de l’exequatur, posent les con-
ditions applicables à tous les jugements étrangers en tenant compte des conditions particulières
prévues par les conventions internationales conclues par le Maroc avec des États étrangers.
Les conditions de l’exequatur, comme il ressort de l’analyse des textes, sont : la compétence des
tribunaux étrangers, la compétence du droit applicable au fond du litige, la régularité des juge-
ments étrangers, la non contrariété à l’ordre public marocain, et d’autres conditions particu-
lières prévues par certaines conventions.
La jurisprudence a donné, à travers un ensemble de décisions produites par les divers degrés de
juridictions, des portées nuancées à ces différentes dispositions des articles 430 et 431 du code
de procédure civile.
La réforme de règles juridiques régissant la famille est un moment délicat car il s’agit de mettre
en place une politique législative et de réformer des institutions constituant le socle de la société
avec toutes ses composantes.
La tentative d’établir l’équilibre entre les gardiens de la tradition et les modernistes relève ce-
pendant, toujours et en tous lieux, de la gageure.
Dans sa logique de libéralisation des règles régissant le statut personnel, le code de la famille de
2004 contient, en effet, un article 128 alinéa 2 41, conçu, nous semble-t-il, pour renforcer la nou-
38
Dahir portant loi n° 1-74-447 du 28 septembre 1974 approuvant le texte du Code de procédure civile
(B.O. 30 septembre 1974).
39
Une partie considérable de la jurisprudence de la cour suprême a trait, comme on le verra, à un rappel à
l’ordre des juridictions inférieures en vue d’observer une position fondée sur le droit (lorsque les textes
existent et qu’ils sont clairs) et non sur des impératifs religieux.
40
C’est l’expression désormais utilisée par le dahir portant loi du nouveau texte régissant le statut per-
sonnel et les successions des marocains et qui est la suivant : « Dahir n° 1-04-22 du 3 Février 2004 portant
promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille ».
41
L’Article 128 alinéa 2 dispose que : « Les jugements de divorce, de divorce judiciaire, de divorce par Khol'
ou de résiliation de mariage, rendus par les juridictions étrangères, sont susceptibles d’exécution s’ils sont
Marqué, à l’indépendance, par l’empreinte laissée par le droit international privé français, enga-
gé dans la multiplication des échanges internationaux, le Maroc indépendant s’est, ainsi, doté de
textes relevant de la technicité juridique du droit international privé moderne.
C’est dans un mouvement d’ouverture imposé par des contraintes nationales et internationales
qu’il a accepté de s’engager par voie diplomatique dans la négociation de conventions bilatérales
avec les Etats européens accueillant une forte migration marocaine.
Cette voie s’est imposée dans un premier temps comme la seule issue à la grave crise, en matière
de reconnaissance et d’exécution des jugements, opposant le Maroc à la France, à la Belgique et
aux autres pays d’immigration marocaine.
Il s’agit bien entendu du mouvement migratoire qui connut une grande ampleur, de la globalisa-
tion économique, mais aussi de l’universalisme des droits humains. Ce sont, on le sait, autant
d’écueils à la coexistence pacifique des modèles familiaux.
rendus par un tribunal compétent et fondés sur des motifs qui ne sont pas incompatibles avec ceux prévus par
le présent Code en vue de la dissolution de la relation conjugale. Il en est de même pour les actes conclus à
l’étranger devant les officiers et les fonctionnaires publics compétents, après que ces jugements et actes aient
satisfait aux procédures légales relatives à l’exequatur, conformément aux dispositions des articles 430, 431
et 432 du code de procédure civile. »
42
Cour de Cassation Ch. civ. 20/06/2006 in le nouveau code de la famille marocain. Rapport établi par des
magistrats français à l’issu d’un voyage d’étude (du 19 au 29 juin 2007) sur l’application de cette législa-
tion. www.jafbase.fr/docMaghreb/EtudeDroitMarocain.pdf.
43
La doctrine musulmane vivant en occident reste marquée par un anti universalisme dur qu’elle oppose
à ce que certains auteurs ont qualifié d’ethnocentrisme.
44
V. jurisprudence Rohbi, supra.
45
H. Muir Watt, op.cit., p. 275.
Concrètement, les deux grands textes signés par le Maroc avec la France l’ont été dans deux
perspectives précises : la première est le prolongement de la coopération post indépendance
entre l’Etat protecteur et l’Etat protégé et la seconde est une sorte d’armistice dans le conflit
opposant les deux pays à travers le contentieux familial mixte.
Avec l’indépendance du Maroc, la France maintint son assistance judiciaire aux autorités maro-
caines et signa très tôt un accord et une convention en matière d’exécution des jugements ren-
dus par les juridictions des deux pays.
Il existe ainsi plusieurs instruments internationaux bilatéraux qui ont été signés pour régir la
relation des deux pays en matière de reconnaissance des jugements entre les deux pays.
Le Maroc s’engagea, à travers cet instrument, à prendre en charge définitivement, des conven-
tions qui accordent le régime de réciprocité, l’exequatur sans révision au fond conclues par la
46
Ibidem.
47
Le Maroc signa plusieurs conventions bilatérales avec plusieurs pays en matière de droit de la famille.
On citera, principalement : la convention maroco-tunisienne du 30/03/1959 ; la convention entre le Ma-
roc et la Libye relative aux notifications, aux commissions rogatoires, à l’extradition et à l’exécution des
jugements, la convention signée entre le Royaume du Maroc et le Kuweit en matière de statut personnel et
de statut des personnes du 10/12/1996 ; la convention de coopération judiciaire entre le Royaume du
Maroc et la République arabe d’Egypte en matière de statut personnel et de statut des personnes du
27/05/1998 ; la convention de coopération judiciaire entre le Royaume du Maroc et le Royaume du Ba-
hreïn en matière de statut personnel et de statut des personnes du 29/11/1997 ; la convention de coopé-
ration judiciaire entre le Royaume du Maroc et la République de Syrie en matière de statut personnel et de
statut des personnes du 25/09/1995 ; la convention du 26/06/2002 entre le Royaume du Maroc et le
Royaume de Belgique en matière de reconnaissance et d’exequatur des jugements en matière de pension
alimentaire ; la convention du 26/06/2002 entre le Royaume du Maroc et le Royaume de Belgique en
matière de coopération judiciaire, de reconnaissance et d’exécution des jugements en matière de droit de
garde et de visite. Pour les textes de ces conventions ; cf. RJF, Publications de l’association de diffusion de
l’Information juridique et judiciaire (A.D.I.J.J.), n° 2, 2ème éd., Janvier 2007.
48
A. De Laubadère, « Le statut international du Maroc depuis 1955 », Annuaire français de droit internatio-
nal, vol. 2, n° 2, 1956, p. 122-149.
Cette convention signée à Paris le 5 octobre 1957 51 fut le premier texte international pris par le
Maroc indépendant et accordant le régime de la réciprocité aux jugements prononcés par les
juridictions françaises 52.
L’échange des instruments de ratification eut lieu le 16 décembre 1959 mais aucun dahir de rati-
fication n'a été publié au Bulletin officiel du Royaume ; alors que le dahir du 10 juin 1957 53 avait
chargé le ministre de la justice de parapher le texte de la convention 54.
La convention judiciaire franco-marocaine faisant référence aux décisions contentieuses et gra-
cieuses rendues par les juridictions siégeant en France et au Maroc, englobe, à l'égard du Maroc,
les décisions de toutes les juridictions marocaines : les tribunaux modernes, les tribunaux de
droit commun, les juridictions du Chrâa, les tribunaux rabbiniques, celles du de la zone de Tan-
ger et du sud (art. 16 al.1er).
L’article 16 de la convention d'aide mutuelle judiciaire d'exequatur des jugements et d'extradi-
tion 55 entre le Maroc et la France, prévoit qu’en matière civile et commerciale, les décisions con-
tentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant au Maroc ou en France ont de plein
droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre pays, dès qu’elles réunissent les condi-
tions relatives à la compétence de la juridiction ayant rendu la décision, que les parties aient été
légalement citées représentées ou déclarées défaillantes, que la décision rendue ait acquis
l’autorité de la chose jugée dans le pays requérant et que la décision ne contient rien de con-
traire à l'ordre public du pays où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables
dans ce pays.
Enfin, La décision ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans ce
pays et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée.
L’article 17 exige l’obtention du caractère exécutoire pour que la décision puisse donne lieu exé-
cution forcée.
De même l'exequatur est accordé à la demande de toute partie intéressée par l'autorité compé-
tente d'après la loi du pays où il est requis (article 18) et c’est la loi du pays dans lequel l'exécu-
tion est demandée qui régit la procédure de la demande en Exequatur.
49
C’est le cas par exemple pour la convention judiciaire franco-suisse du 15 juin 1869. P. Decroux, op. cit.
50
Le texte de cette conventions et celui de la convention maroco-tunisienne du 30 mars 1959 relative au
même domaine ont été insérés au B.O. 1958 p. 47 ; 1959, p. 1621.
51
B.O. du 10 janvier 1958 et au J.O. du 14 janvier 1960 des conventions du même type ont été signées avec
l'Algérie (27 août 1964) et la Tunisie (28 juin 1972).
52
Elle sera suivie par la convention maroco-tunisienne du 30 mars 1959 et trois années plus tard par la
convention maroco-libyenne de 1962.
53
B.O. 1957, p. 776.
54
P. Decroux, op.cit., p. 370.
55
Titre II : Exequatur en matière civile et commerciale.
L’article 20 reconnaît à la décision étrangère ayant satisfait à toutes les conditions prévues par la
loi du pays aux autorités duquel l’exequatur est demandée, les mêmes effets reconnus aux juge-
ments par la loi de ce pays et cela à partir de la date d’obtention de l’exequatur.
L’article 21 est relatif à la demande d’exequatur, laquelle doit contenir : une expédition de la déci-
sion réunissant les conditions nécessaires à son authenticité, l’original de l'exploit de signification
de la décision ou de tout autre acte qui tient lieu de signification, un certificat des greffiers compé-
tents constatant qu'il n'existe contre la décision ni opposition, ni appel, ni pourvoi en cassation,
une copie authentique de la citation de la partie qui a fait défaut à l'instance et une traduction
complète des pièces énumérées ci-dessus certifiée conforme par un traducteur assermenté.
L’article 23 reprend les dispositions de l’article 418. 2° du Dahir des Obligations et des Contrat
(D.O.C) 56, qui classe dans la catégorie « acte authentique », les jugements rendus par les tribu-
naux marocains et étrangers, et énonce que cette caractéristique permet à ces derniers de faire
foi des faits qu'ils constatent, même avant d'avoir été rendus exécutoires. La seule limite à cet
effet est la conformité de ces jugements étrangers à l’ordre public.
Enfin, l’article 25 de la convention précise que les dispositions du titre II, s'appliquent quelle que
soit la nationalité des parties.
Le Maroc procéda à la réforme du code de procédure civile, laquelle fut suivie, après la crise
ayant marqué les relations entre les deux pays par la signature d’une nouvelle convention avec
la France en 1981.
L’exposé des motifs de cette convention rappelle avec clarté et solennité les trois impératifs
constituant son fil conducteur et les vœux des hautes autorités des deux Etats.
Il s’agit : du constat l'importance des relations personnelles et familiales entre les ressortissants
des deux États et la nécessité de conserver aux personnes les principes fondamentaux de leur
56
Dahir formant Code des obligations et des contrats du 12 aout 1913. B.O. 12 septembre 1913.
Ce texte laisse clairement apparaitre trois soucis majeurs : la conservation de l’identité nationale
des ressortissants respectifs des deux pays, l’établissement des règles communes de conflit de
lois et de juridictions et surtout le renforcement de la coopération entre les deux pays en vue de
la protection des enfants et des créanciers d'aliments.
L’article 4 fait référence à l’ordre public comme seul obstacle à l’application de la loi de l'un des
deux Etats désignée par la convention.
Quant aux conditions de forme du mariage, elles sont régies par la loi de celui des deux Etats
dont l'autorité célèbre le mariage (article 6).
Les Marocains pourront rompre leur lien matrimonial en France, selon leur loi nationale com-
mune et, par-là, conserver «leur identité nationale».
La convention reconnaît la répudiation en considérant dans son article 13 que « les actes consta-
tant la dissolution du lien conjugal homologués par un juge au Maroc entre conjoints de nationalité
marocaine dans les formes prévues par leur loi nationale produisent effet en France dans les mêmes
conditions que les jugements de divorce prononcés à l'étranger. », et aux termes de l’alinéa 2 de cet
article : « lorsqu'ils sont devenus irrévocables, les actes constatant la dissolution du lien conjugal
selon la loi marocaine entre un mari de nationalité marocaine et son épouse de nationalité fran-
çaise, dressés et homologués par un juge au Maroc, produisent effet en France à la demande de la
femme dans les mêmes conditions que les jugements de divorce. »
S’agissant de cette question, la convention prévoit que les autorités centrales de chaque pays se
prêtent mutuellement leur concours pour la recherche sur leur territoire et la localisation des
enfants dont le droit de garde est contesté ou méconnu.
L’article 24. 1° impose aux deux Etats signataires la reconnaissance et l’exécution d'une décision
rendue dans l'un d’entre eux en matière de garde d'enfants lorsque le tribunal de l'Etat qui a
rendu la décision est celui de la résidence commune effective des parents ou de la résidence du
parent avec lequel l'enfant vit habituellement.
• Le critère de nationalité
L’article 24. 2° tient compte en second lieu de la nationalité comme critère produisant les mêmes
effets, à l’égard des deux Etats signataires dans les cas où le tribunal de l'Etat qui a rendu la déci-
sion a appliqué la loi nationale commune des parents lorsque ces derniers ont la même nationa-
lité, ou la loi de leur résidence commune effective ou, encore, la loi de la résidence du parent
avec lequel l'enfant vit habituellement en l'absence de nationalité commune des parents.
Enfin, les rédacteurs de la convention ont ainsi choisi de soumettre les effets du mariage et sa
dissolution à une même loi. L'article 310 du Code civil français a donc été mis en veilleuse, à la
satisfaction des autorités marocaines.
Cette étude révélera l’efficacité réduite de cette convention à tous les niveaux du droit interna-
tional privé et son inefficacité totale relativement à la lutte contre l’enlèvement international des
enfants et la réglementation de la garde des enfants : Les juges marocains ne l’on jamais réelle-
ment appliquée.
La reconnaissance de la décision étrangère comme son rejet peuvent avoir un effet dévastateur
sur les droits des familles et des enfants en créant des situations boiteuses.
La procédure de l’exequatur produit des effets juridiques à l’égard des parties au procès initial
mais aussi à l’égard des tiers.
Pendant longtemps, des questions techniques et d’interprétation ont empêché des décisions
judiciaires d’être reconnues et produire pleinement leurs effets juridiques au Maroc (2.1.). En
France, les dernières évolutions jurisprudentielles vont dans le sens d’une meilleure reconnais-
sance des jugements marocains de divorce, dès lors que l’ordre public n’est pas en jeu (2.2.).
L’examen de plusieurs décisions relatives à l’exequatur rendues par les juridictions marocaines
révèle que Le juge marocain ne se réfère quasiment jamais aux conventions franco-marocaines
pour statuer sur cette question et ces dernières occupent une place très minime dans le raison-
nement du juge marocain.
Relativement au degré de l'effet des jugements étrangers au Maroc, le dahir formant code des
obligations et contrats a, dès son adoption, on l’a souligné 57, reconnu aux jugements rendus par
les tribunaux étrangers un caractère d'authenticité pouvant faire foi des faits qu’ils constatent,
même avant d'avoir été rendus exécutoires (art. 418. 2°).
Aux termes de ce texte, les jugements étrangers constituent, ainsi, un mode de preuve ; ils sont
ainsi revêtus de plein droit de la force probante.
Cette disposition, souvent ignorée dans la pratique, est importante et ce n’est que très récem-
ment que la doctrine le rappela (a), que la cour suprême veille, désormais, à son respect (b)
même si l’article 128 du code de la famille semble en limiter l’effet (c).
La doctrine moderne 58 est unanime à reconnaitre que le jugement étranger constitue intrinsè-
quement un fait incontournable, qu’il a la force juridique d’un acte authentique pouvant servir le
cas échéant de preuve en cas de besoin. Elle admet également que les jugements d’état et de ca-
pacité produisent leurs effets sans exequatur sauf l’hypothèse dans laquelle il y a lieu de procé-
der à des opérations de saisie sur les biens ou de contrainte sur les personnes, auquel cas, l’exe-
quatur est nécessaire.
Le jugement étranger prononçant le divorce par consentement mutuel et dont l’exequatur est
demandé, constitue un document officiel en vertu des dispositions de l’article 418 du DOC. Le
tribunal ne peut l’écarter et lui ôter ses effets juridiques. La mention du tribunal ayant rendu la
décision et la signature des juges le composant suffisent à sa reconnaissance.
C’est ce qu’a rappelé, solennellement, la cour suprême dans son arrêt du 12 juillet 2006 de cassant
l’arrêt de la cour d’appel d’Oujda qui rejeta la demande d’un époux marocain fondé sur un juge-
57
Cf. infra.
58
M. Abboud, Précis de droit international privé, Rabat, 2002 (en langue arabe) ; L. Messaoudi et A. Ounnir,
Cours de droit international privé. Année universitaire. Faculté des sciences juridiques économiques et
sociales de Fès. 1992/1993.
Cette position fut l’aboutissement d’une jurisprudence exprimée dans plusieurs arrêts retenant
le jugement étranger comme preuve de préjudice 60, ou encore celui prononçant le divorce par
consentement mutuel 61.
c. Les limites éventuelles imposées par une certaine lecture de l’article 128
L’article 128 du nouveau code de la famille marocain a fait l’objet de nombreuses analyses et
débats. On a soulevé ses effets, en matière de reconnaissance et d’exécution des jugements à
plusieurs niveaux. Relativement à l’efficacité du jugement étranger, il semble que cet article
128 ait remis en cause les effets du jugement étranger en dehors de toute procédure d’exequatur
en matière de dissolution du lien conjugal et des actes solennels.
En effet, le premier paragraphe de l’article 128 al 2 énonce que « Les jugements de divorce, de
divorce judiciaire, de divorce par Khol' ou de résiliation de mariage, rendus par les juridictions
étrangères, sont susceptibles d’exécution s’ils sont rendus par un tribunal compétent et fondés sur
des motifs qui ne sont pas incompatibles avec ceux prévus par le présent Code en vue de la dissolu-
tion de la relation conjugale. »
Cet texte a trait à deux formes de dissolution du lien conjugal (le divorce et la résiliation) les-
quelles, lorsqu’elles sont prononcées par des juridictions étrangères compétentes et fondées sur
des motifs compatibles avec ceux prévus par le code marocain de la famille sont susceptibles
d’exécution au Maroc.
Le paragraphe second de l’alinéa 1er de l’article 128 soumet au même principe : « les actes con-
clus à l’étranger devant les officiers et les fonctionnaires publics compétents. »
Cependant, l’exequatur est accordé à la condition sine qua non que « ces jugements et actes aient
satisfait aux procédures légales relatives à l’exequatur, conformément aux dispositions des articles
430, 431 et 432 du code de procédure civile. »
Cette disposition exigeant le respect des règles des articles 430, 431 et 432 du code de procé-
dure civile, laisse penser que le législateur ait voulu exclure les jugements relatifs à la dissolu-
tion du lien conjugal et les actes solennels conclus à l’étranger de la règle établie par l’article 418
du DOC.
En d’autres termes, ces jugements et actes ne produiraient aucun effet au Maroc s’ils n’étaient
pas soumis, au préalable, à la procédure d’exequatur.
Il n’existe pas, à notre connaissance, pour le moment, de jurisprudence relative à cette question
mais la doctrine 62 abonde dans ce sens et considère que la seule exception à cette exigence for-
59
C.S. Arrêt n°452 du 12/07/2006, R.J.F, n°1, 3ème ed., Fév 2007, p. 89.
60
C.S. Arrêt n° 452 du 15/10/2003, Jurisprudence de la C.S, Revue n° 61, 25ème année, p. 69.
61
C.S. Arrêt n° 244, Dossier n° 512/2/1/2000 du 28/02/2001, in B. Bahmani, La jurisprudence en matière
de contentieux familial. Ses règles et nouveautés dans le code du statut personnel et le code de la famille, in
L'exequatur des jugements et des actes étrangers, vol. 2, Dar Essalam, 2009.
62
A. Zouir, op. cit., p. 90. A. Almoutafawik, « Exequatur des jugements étrangers à la lumière de l’art 128 al
2 du code de la famille », article publié sur le site du ministère de la justice.
Mais le débat a trait principalement aux deux aspects de la compétence en matière d’exequatur :
la compétence de la juridiction ayant rendu la décision objet de l’exequatur (a) et celle de la juri-
diction requise pour statuer sur la demande de l’exequatur (b). Les deux systèmes convergent
quant aux autres conditions liées à la compétence (c).
Cependant, on peut noter l’existence de deux positions : celle qui confère la compétence au juge
du fond et la seconde plus récente, qui donne compétence au juge des référés.
C’est la thèse classique défendue par certains magistrats 64 qui considèrent que l’article 430 du
Code de procédure civile est clair. Il fait, en effet, référence à deux reprises au « tribunal » et non
pas président du tribunal ni à un quelconque « juge » en ces termes : « Les décisions de justice
rendues par les juridictions étrangères ne sont exécutoires au Maroc qu'après avoir été revêtues de
l'exéquatur par le tribunal de première instance du domicile ou de la résidence du défendeur ou, à
défaut, du lieu où l'exécution doit être effectuée. Le tribunal saisi doit s'assurer (…) ».
Cette doctrine estime que si cette compétence était une exception au principe général de compé-
tence en matière civile, elle aurait fait l’objet d’un texte expresse comme c’est le cas en matière
63
L’article 14 de la convention franco-marocaine dispose que : « Par exception à l'article 17 de la conven-
tion d'aide mutuelle judiciaire et d'exequatur des jugements du 5 octobre 1957, en matière d'état des per-
sonnes, les décisions en force de chose jugée peuvent être publiées ou transcrites sans exequatur sur les re-
gistres de l'état civil. »
64
Un magistrat à la cour de cassation (B. Bahmani, « L’exequatur des jugements étrangers au Maroc »,
R.J.L., n° 148, p. 95) et un président d’une section de la famille du tribunal de première instance (A. Zouir,
« L’exequatur des jugements et actes étrangers relatifs à la dissolution du mariage », R.J.L., n° 4-5. Fév.
2009, publications de ADIJJ, p. 80).
Cette thèse est étayée par la jurisprudence. En effet, dans un arrêt récent, la cour suprême a con-
sidéré que l’institution compétente pour examiner les demandes d’exequatur d’acte ou de juge-
ment étranger était la juridiction du fond et non le juge des référés 66.
Enfin, la doctrine classique considère que les sections de la famille du tribunal de 1ère instance
sont exclusivement compétentes pour connaitre des demandes d’exequatur à l’exception de
toute autre juridiction interne conformément à la spécialisation instaurée par l’article 2 du dahir
portant loi n° 1-74-338 fixant l'organisation judiciaire du Royaume 67, lequel dispose que « les
tribunaux de première instance peuvent être divisés suivant la nature des affaires qu'ils connais-
sent en « sections des affaires de la famille » et en chambres : civile, commerciale, immobilière, so-
ciale et pénale.
Les sections des affaires de la famille connaissent des affaires de statut personnel, des successions,
de l'état civil et des affaires d'homologation et des mineurs, de la kafala et tout ce qui a trait à la
sauvegarde et la protection de la famille. » Ce texte ajoute que « toute chambre peut instruire et
juger les affaires soumises au tribunal qu'elle qu'en soit leur nature, à l'exception des affaires rele-
vant des sections de la famille ».
Une nouvelle doctrine 68 a vu le jour depuis l’entrée en vigueur du nouveau code de la famille et
les débats auxquels a donné lieu l’important article 128 du nouveau code de la famille.
Cette doctrine relève un certain nombre d’indicateurs qui laissent penser, en l’absence d’un texte
confortant cette assertion, que la compétence de l’examen de la requête de l’exequatur doit être
dévolu au juge des référés.
En effet, on a considéré que la philosophie générale servant de support à l’article 128 du nou-
veau code de la famille est la confiance accordé au jugement étranger qui a été prononcé au nom
d’une souveraineté, autrement dit, par une entité étatique, suite à une procédure prévue par des
textes légaux et il relèverait de l’absurde de refaire un nouveau procès devant les juridictions
marocaines.
D’ailleurs, l’art 430 du C.P.civ. en abrogeant l’ancien article 290 relatif à l’examen de la demande
d’exequatur a ôté au juge toute possibilité de l’examen de l’affaire de nouveau quant au fond.
De même la célérité recherchée par les auteurs du code en matière de contentieux familial com-
mande l’examen sans délai des requêtes d’exequatur en vue de faciliter les procédures d’accès
65
Article 327-31 ajouté par l'article 1er de la loi n° 08-05 promulguée par le dahir n° 1-07-169 du 30 no-
vembre 2007 ; B.O. n° 5584 du 6 décembre 2007.
66
B. Bahmani , « L’exequatur des jugements étrangers au Maroc », R.J.L., n°148, p. 95.
67
B.O. 17 juillet 1974 modifié par les Dahir n° 1-91-226 du 10 septembre 1993, Dahir portant loi n° 1-93-
205 du 10 septembre 1993, Dahir n° 1-98-118 du 22 septembre 1998, loi n° 72-03 promulguée par dahir
n° 1-04-23 du 3 février 2004.
68
A. Almoutafawik, « Exequatur des jugements étrangers à la lumière de l’art 128 al 2 du code de la fa-
mille », article publié sur le site du ministère de la justice.
Cette thèse est séduisante et il nous semble très opportun d’en tenir compte lors de la prochaine
réforme du droit de la famille, laquelle occupe une place importante dans l’agenda du gouver-
nement actuel 70.
Dans le prolongement du débat sur la juridiction compétente, la question s’est posée, éga-
lement, quant à la portée de l’examen de la requête d’exequatur par la juridiction saisie.
En réalité, « le changement est important sur le plan théorique mais ne porte guère à conséquence
sur le terrain pratique puisque le pouvoir de révision n'a été en fait jamais utilisé par les juridic-
tions marocaines et n'a laissé aucune trace en jurisprudence. » 72
La doctrine considère que la réorganisation législative de l’exequatur dans les articles 430 et
suivants du code de procédure civile rend, effectivement, caduques les dispositions de l’art 19 73.
Dans un arrêt récent n°180, la Cour suprême a rappelé dans le dossier de statut personnel
n° 277/99 en date du 24/04/2003 qu’« il n’y a aucune disposition qui exclut de l’exequatur les
jugements étrangers rendus en matière de statut personnel tant que les conditions requises par la
loi sont remplies » 74.
Dans son commentaire de l’article 128 du nouveau code de la famille, le ministère de la justice
marocain considère que « Le tribunal [saisi de la demande d’exequatur] n’est point compétent
pour connaître d’autres cas comme la qualification des faits, la pertinence et la sincérité des moti-
vations, les moyens de preuve ou l’absence de référence aux dispositions du droit marocain relatif à
la dissolution de l’union conjugale (…) De même, les décisions de justice rendues par les juridictions
étrangères ne sont pas tenues de citer les causes du divorce en usant des mêmes termes utilisés par
69
C’est ce qui résulte du discours royal de à l’occasion de l’adoption du nouveau code de la famille maro-
cain, lequel fut repris intégralement dans l’exposé des motifs de code et dont le 5° affirme la volonté
royale de « Concrétiser la Haute Sollicitude Royale dont Nous entourons Nos chers sujets résidant à l'étran-
ger, et afin de lever les contraintes et les difficultés qu'ils subissent… conformément à cette recommandation
du Prophète : « Facilitez, ne compliquez point. »
70
Depuis que le Roi du Maroc a lancé « le chantier stratégique de mise à niveau de la Justice, à l'occasion de
l'installation de la Haute instance du dialogue national sur la réforme de ce secteur…La réforme de la justice
figure parmi les grands projets initiés par le Souverain pour parachever l'arsenal des réformes politiques,
économiques et sociales et placer le Maroc, de manière irréversible, sur la voie de la modernité et du pro-
grès. », www.maroc.ma/PortailInst/Fr/logoevenementiel/Mustapha+Ramid.htm.
71
J. Deprez, Procédure marocaine et statut personnel des étrangers, op.cit., p. 93.
72
Ibidem.
73
M. Abboud, Précis de droit international privé marocain, Centre culturel Arabe, 1994, p. 337.
74
Cité dans le site des cours judiciaires suprêmes francophones, www.ahjucaf.org/Maroc,7307.html.
Concrètement, en matière de divorce, les décisions étrangères ne se heurtent plus aux obstacles
pouvant résulter d’une interprétation rigide de la question de la compétence de la juridiction ou
du juge lui-même.
Le nouveau code de la famille à travers l’article 128 a assoupli grandement ces questions de
compétence en matière de divorce : le divorce pour discorde et le divorce par consentement
mutuel permettent, en effet, d’englober une multitude de formes de divorce facilitant ainsi la
reconnaissance des jugements les ayant prononcés.
Il y a lieu de rappeler le principe avant d’en examiner les applications en doctrine et en jurispru-
dence.
• La compétence spéciale
75
Guide pratique du ministère de la justice (version papier) ; publications de l’association de diffusion de
l’Information juridique et judiciaire (A.D.I.J.J.). Collections des guides pratiques-numéro 6, 3ème édition,
Novembre 2005, www.justice.gov.ma/MOUDAWANA/Guide pratique du code de lafamille.pdf.
• La doctrine
Une « méconnaissance de ces règles risque, certes, de priver d'effet la décision dans le pays où elle a
été rendue, ce qui la privera par contrecoup d'effet en France, mais l'inefficacité de la décision en
France résultera de son inefficacité dans le pays d'origine plutôt que de l'incompétence du juge
étranger (la lex fori étrangère ne sanctionne d'ailleurs pas forcément ainsi le vice affectant la déci-
sion). Ce qui compte du point de vue du contrôle de la compétence, c'est que la compétence sur la
base de laquelle le juge étranger a statué soit admissible pour nous (…) » 76.
La doctrine marocaine semble adopter la même position en ce sens qu’elle ne retient que la vio-
lation manifeste des règles de compétence qui ôterait toute valeur au jugement rendu à
l’étranger dans le pays même du juge qui l’aurait rendu. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une
juridiction administrative se prononcerait au sujet d’un litige relatif au statut personnel.
En dehors de cette hypothèse, la doctrine marocaine semble, dans son ensemble, ne donner de
l’importance qu’au caractère de l’autorité de la chose jugée de la décision rendue par la juridic-
tion étrangère et qu’en tout état de cause, celui qui soulève l’incompétence de la juridiction doit
en faire la preuve 77.
• La jurisprudence
Enfin, c’est l’article 430 du C.P.civ. marocain qui règlemente la question de la compétence juri-
dictionnelle territoriale en matière d’exequatur en précisant qu’il s’agit du tribunal de première
76
D. Holleaux, J. Foyer, G. Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, Paris, Masson. 1987, p. 433.
77
A. Zouir, « L’exequatur des jugements et actes étrangers relatifs à la dissolution du mariage, RJF, n° 4-5,
Fév. 2009, Publications de ADIJJ, p. 90.
78
CS n°90 du 24 janvier 2001. Recueil des arrêts de la Cour suprême, vol. 3, 2007, p. 65.
Le juge marocain compétent pour statuer sur la demande d’exequatur, à l’instar du juge français,
vérifie, comme le lui ordonne l’article 430 du C.P.civ., l’application régulière des règles de procé-
dure civile étrangères par le juge étranger (les règles de forme du texte du jugement, notamment
la nécessité de se référer aux textes applicables et appliqués, le respect des droits de la défense,
le caractère définitif de la décision rendue et sa non contrariété à l’ordre public du juge de
l’exequatur 79).
Enfin, l’article 431 converge aussi vers le même contrôle instauré par la loi française et la con-
vention de 1957, relatif à la requête d’exequatur elle-même, laquelle doit contenir : Une expédi-
tion authentique de la décision ; l'original de la notification ou de tout autre acte en tenant lieu ;
le certificat du greffe compétent constatant qu'il n'existe contre la décision ni opposition, ni ap-
pel, ni pourvoi en cassation et la traduction complète en langue arabe des pièces énumérées ci-
dessus certifiée conforme par un traducteur assermenté.
Les décisions relatives aux questions de procédure demeurent les plus nombreuses et inédites
en matière de contentieux de l’exequatur, plus particulièrement au niveau du premier degré de
juridiction 80.
Ainsi, le tribunal de première instance de Meknès a rejeté une demande d’exequatur pour
manque des documents exigés par l’article 431 du code de procédure civile, la traduction du
jugement en langue arabe n’étant pas suffisante 81.
Les marocains résidant à l’étranger sont plus sensibilisés à la nécessité de la légalisation des
documents par les autorités diplomatiques que par le contenu même du dossier de demande de
l’exequatur 82.
79
Cette question sera examinée en détail dans les deux systèmes en seconde partie de cette étude.
80
Nous avons pu recenser des dizaines de décisions rendues par les juridictions du nord du Maroc (Tan-
ger, Tétouan, Chaouen, Nador et Alhoceima) rejetant toutes des demandes d’exequatur en raison de l’ab-
sence d’un ou de plusieurs documents exigés par l’article 431 du code de procédure civile et plus particu-
lièrement le certificat du greffe compétent constatant le caractère définitif de la décision étrangère. Les
requérants présentent tous, dans ce cas, une attestation du consulat ou de l’ambassade du Maroc à l’étran-
ger en lieu et place du dit certificat.
81
Jugement du 28 février 2006, inédit cité par A. Zouir, « L’exequatur des jugements et actes étrangers
relatifs à la dissolution du mariage », op.cit., p. 92.
82
Feu M. Bouzoubaa, ancien ministre de la justice a également adressé une circulaire n° 13.s du 12 avril
2004 aux magistrats rattachés aux consulats et ambassades du Maroc à l’étranger et aux chargés de la
justice familiale et de l’authentification des actes de mariage, dans laquelle il leur rappelle la nécessité de
sensibiliser les marocains résidant à l’étranger à la question de l’exequatur en matière de divorce. Circu-
laire publiée in R.J.F., n°1, 3ème édition, Février 2007.
2.2. L’application des conventions franco-marocaines par le juge français : les évolutions
en faveur de l’accueil des jugements marocains
La Cour de cassation française témoigne d’une position d’ouverture l’égard des jugements maro-
cains en France dès lors qu’il n’y a pas d’atteinte à l’ordre public en droit international privé.
Il y a lieu de relever l’efficacité de plein droit des jugements marocains en France (a) sa confir-
mation par la justice française (b), et l’office du juge (c).
La jurisprudence française a très tôt affirmé le principe de la reconnaissance de plein droit des
jugements rendus en matière d’état et de capacité des personnes (Buckley, 28 février 1860 86 ; De
Wrède, 9 mai 1900 87). L’efficacité de plano permet de se prévaloir en France d’un jugement
étranger sans avoir à effectuer de formalité préalable.
83
Jugement du 02 octobre 2006. Dossier n° 13/06/ 617. Inédit et dont le dispositif est repris par A. Zouir,
« L’exequatur des jugements et actes étrangers relatifs à la dissolution du mariage », op.cit., p. 93.
84
Bernard Audit, avec le concours de Louis d’Avout, Droit international privé, Economica, 6ème édition,
2010, p. 397.
85
Cass (req), 3 mars 1930, Hainard, S. 1930, 1, 377, note Niboyet.
86
B. Ancel et Y. Lequette, « Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé »,
Dalloz, 5ème édition, 2006, n° 4.
87
Ibid., n° 10.
88
P. de Vareilles-Sommières, « Jugement étranger », Répertoire Dalloz de procédure civile, sept 2008, p 48.
89
Ibidem.
90
Instruction générale relative à l’état civil n° 584, Les Editions des Journaux officiels, édition mise à jour
au 28 avril 2002.
91
Ibidem.
92
P. Mayer, « Une personne est irrecevable à demander l’inopposabilité en France de la décision de di-
vorce qu’elle a obtenue à l’étranger sur sa propre demande », note ss Civ, 1ère, 29 mars 1989, de Talancé c.
Conlon, R.C.D.I.P., 1990 p. 352 ; A. Benabent, « Mention du divorce, prononcé par une juridiction étrangère,
en marge de l’acte de mariage », Recueil Dalloz, 1990, p. 115.
93
Site du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/les-
francais-etranger_1296/vos-droits-demarches_1395/etat-civil_1399/transcription-actes-etat-civil-
jugements-etrangers_13112/index.html.
94
M. Eppler, « L'exécution de plein droit des jugements de répudiation : vers la fin d'une exception ? - A pro-
pos de Cass. 1ère civ, 25 juin 2008 », Gazette du Palais, n° 158 à 160, 2009, p. 37. Selon nous, il ne s’agissait pas
dans cette décision de reconnaître les effets d’une répudiation en France mais bien de rappeler que les juge-
ments étrangers de divorce ne sont pas soumis à la procédure d’exequatur pour être exécutoires.
95
Cass, civ, 1ère, 14 avril 2010, n° 09-66.717, inédit.
96
L. Abadie, « Effet de fait d’un jugement marocain de divorce non reconnu en France », Droit de la famille,
n° 7, juillet 2011, comm. 120, v ; e.g. A. Boiché, « Prise en compte d’un jugement de divorce marocain pour
rejeter la demande de prestation compensatoire formée par l’épouse devant le juge français », A.J. Famille
2011, p. 322.
97
B. Audit, avec le concours de L. d’Aout, Droit international privé, Economica, 6ème édition, 2010, p. 399.
98
L. Abadie, « Effet de fait d’un jugement marocain de divorce non reconnu en France », Droit de la famille,
n° 7, juillet 2011, comm. 120, v ; e.g. A. Boiché, « Prise en compte d’un jugement de divorce marocain pour
rejeter la demande de prestation compensatoire formée par l’épouse devant le juge français », A.J. Famille
2011, p. 322.
99
D.Bureau, H. Muir Watt, Droit international privé, Tome I, Partie générale, Thémis droit, PUF, 2007, p. 235.
Lorsque la validité de la décision étrangère est invoquée en cours de procédure, les magistrats
saisis de la demande principale ont l’obligation de vérifier, de manière incidente, la régularité
internationale de la décision étrangère 102. Il appartient au juge de vérifier la régularité interna-
tionale d’un jugement, à tous stades de la procédure.
Au cas où une exécution forcée du jugement étranger soit requise, le contrôle des conditions de
régularité internationale sera effectué par le juge lors d’une instance en exequatur.
Le juge est tenu de vérifier d’office que les conditions de régularité du jugement sont remplies,
même si les parties n’invoquent pas l’inopposabilité du jugement étranger.
En droit interne, la Cour de cassation a admis, par arrêt du 9 novembre 1971, que « le juge de
l'exequatur doit, d'office, vérifier si la décision étrangère remplit les conditions requises pour être
déclarée exécutoire en France et constater le résultat de son examen dans sa décision. » 103
100
Civ. 1re, 3 janv. 1980, Clunet 1980. 341, note Huet, D. 1981, IR 161, obs. Audit ; cette Revue 1980. 597,
note D. Holleaux.
101
Cour d'appel de Lyon, 20 mai 2008, 06/07914, Cour d'appel de Versailles, CT0013, 22 juin 2006, Cour
d'appel d'Agen, 13 janvier 2005, 04/564, Cass, civ, 1ère, 8 février 2005, 03-13.956, inédit, Cass, civ, 1ère, 17
mai 1993, 91-15.705, inédit.
102
Cass, civ, 1ère, 14 janvier 2009 : note A. Boiché, « La mise en œuvre des exceptions de litispendance
internationale et de chose jugée à l’étranger requiert que la décision étrangère (existante ou à venir) soit
régulière », AJ famille, 2009, p. 260.
103
Cass, civ, 1ère, 9 nov. 1971, R.C.D.I.P., 1972, p. 312, note D. Holleaux, Cass, civ, 1ère, 19 déc. 1972, Guarte,
R.C.D.I.P., 1975. 83, note D. Holleaux, Gazette du Palais 1973. 1. 323.
104
P. Courbe, « Le rejet des répudiations musulmanes », chronique sous Cass, civ, 1ère, 17 février 2004,
Recueil Dalloz 2004 p 815, F. Cavarroc, conclusions sous Cass, civ, 1ère, 17 février 2004, « Le rejet des ré-
pudiations musulmanes », Recueil Dalloz, 2004, p. 824. J.P. Marguénaud, « Quand la Cour de cassation
française n’hésite plus à s’ériger en championne de la protection des droits de la Femme : la question de la
répudiation », RTDC, 2004, p. 367.
105
M. Farge, « Efficacité des jugements étrangers en France », in Droit de la famille, Dalloz, 2010, chapitre
413.186.
106
Cass, civ, 1ère, 14 janvier 2009 : note A. Boiché, « La mise en œuvre des exceptions de litispendance
internationale et de chose jugée à l’étranger suppose que la décision (existante ou à venir) soit régulière »,
AJ Famille 2009, p. 260.
107
Cass, civ, 1ère, 10 mai 2007 : A. Devers, « Le juge aux affaires familiales peut se prononcer, au stade de la
conciliation, sur la régularité d’une décision étrangère de divorce », J.C.P.G., n° 22, 30 mai 2007, act. 242 ;
A. Boiché, « Précisions sur la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée à l'étranger dans le cadre d'une
procédure de divorce », AJ Famille, 2007, p. 433, Obs ; M. Farge, « La régularité internationale d’une déci-
sion étrangère de divorce peut être appréciée, au stade de la conciliation, par le juge aux affaires fami-
liales », Droit de la famille, n° 7, juillet 2007, comm. 158, Rappr ; aussi Civ. 1re, 9 juill. 1991, D. 1992. Jur.
334, note Massip.
108
A. Boiché, « La mise en œuvre des exceptions de litispendance internationale et de chose jugée à
l’étranger requiert que la décision étrangère (existante ou à venir) soit régulière », note sous arrêt de Cass,
civ, 1ère, 14 janvier 2009, A.J. famille, 2009, p. 260.
109
F. Monéger, « La Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de
la famille et à la coopération judiciaire (suite et fin) », R.C.D.I.P., 1984, p. 268.
110
Cass, civ, 1ère, 20 février 2007, Cornelissen, note L. d’Avout et S. Bollée, « L’abandon du contrôle de la loi
appliquée par les jugements étrangers », Recueil Dalloz, 2007, p. 1115, note M-L. Niboyet, « L’abandon du
contrôle de la compétence législative indirecte (le « grand arrêt » Cornelissen du 20 février 2007 », Ga-
zette du Palais, 3 mai 2007, n° 123, p. 2, « Les conditions de validité d’un jugement étranger en France se
réduisent », A.J. Famille 2007, p. 324, M. Farge, « Nouveau séisme en matière d’exequatur », Droit de la
famille, n°4, avril 2007, comm. 97.
L’évolution de la jurisprudence française en faveur d’une meilleure prise en compte des juge-
ments marocains nous semble être un phénomène relativement récent dont les influences sont
sans doute multiples. Témoignant d’un mouvement plus général en faveur de la reconnaissance
des jugements étrangers, cette évolution participe à une meilleure application des règles con-
ventionnelles franco-marocaines. L’ordre public en droit international privé fait certes toujours
barrage à la reconnaissance des répudiations marocaines en France. Nous aurons l’occasion d’y
revenir plus longuement dans la seconde partie de cette étude. Cependant, les jugements de ré-
pudiation ne sont pas les seuls soumis au juge français. La création du divorce pour discorde en
droit marocain invite les juges français à plus de tolérance dans la réception du droit marocain
en France et semble conduire à un certain assouplissement des autres critères de régularité in-
ternationale tels que la compétence indirecte du juge étranger (c) et l’absence de fraude (d). Au
préalable, il est important de rappeler le caractère indirect des règles de compétence posées par
l’article 11 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 (a) et l’abandon, en jurispru-
dence, du caractère exclusif des privilèges de nationalité (b) qui a grandement contribué à la
reconnaissance des jugements étrangers en France.
La compétence du juge étranger est une des conditions posées par les conventions franco-
marocaines pour permettre la reconnaissance de la décision rendue au Maroc ou en France dans
l’autre pays. Il s’agit là de savoir si le juge étranger était indirectement compétent pour statuer.
Pour rappel, les règles de compétence directe permettent au juge de savoir s’il est compétent pour
statuer sur un litige tandis que la question de la compétence indirecte se pose au stade de la re-
connaissance d’un jugement étranger lorsqu’il s’agit de déterminer si le juge qui a prononcé la
décision était, selon les règles de droit international privé du for, compétent pour se prononcer 111.
Pendant un temps, la question s’est posée de savoir si les dispositions de l’article 11 de la Con-
vention du 10 août 1981 posaient des règles de compétence directe ou indirecte 112. En d’autres
111
A. Devers, « L’articulation des Règlements européens (Bruxelles II bis et Rome III) et des Conventions
franco-marocaines (de 1957 et 1981) », Droit de la famille, janvier 2012, p. 8.
112
Sur cette question, v. not. M. Farge, « La Convention franco-marocaine du 10 août 1981 comporte-t-elle
des règles de compétence directe ? », Droit de la famille, n° 10, octobre 2005, comm. 232.
La jurisprudence française était, cependant, fluctuante sur cette question. La Cour de cassation
considérait à l’origine qu’il s’agissait de règles de compétence indirecte : « Attendu, cependant,
qu'il résulte de la rédaction même de l'article 11 de la Convention précitée qu'il a pour objet de
définir la compétence judiciaire au regard de l'exécution des jugements, par renvoi à l'article 16 de
la Convention du 5 octobre 1957, et non d'imposer des règles de compétence directe (…) » 113.
Dans un arrêt du 2 mars 1999, elle avait en revanche considéré que l’article 11 de la Convention
prévoyait des règles de compétence directe, auxquelles le juge du for devait se référer pour ap-
précier sa compétence : « Les règles directes de compétence édictées par l'article 11 de la Conven-
tion franco-marocaine du 10 août 1981 sont exclusives de l'application de l'article 14 du Code ci-
vil » 114. Les arrêts postérieurs de la Cour de cassation ont ensuite témoigné d’un retour aux
sources.
En, effet, par arrêt du 2 octobre 2001, elle a ainsi jugé que « (…) les règles indirectes de compé-
tence édictées par ce texte sont, au stade de la reconnaissance, exclusives de l’application des ar-
ticles 14 et 15 du Code civil (…) ». Cet arrêt laissait néanmoins subsister un doute quant à la
coexistence de règles directes et indirectes au sein de l’article 11 : « les règles ne seraient indi-
rectes qu'autant que la question se pose dans le cadre de l'examen de la régularité d'un jugement
étranger. Ces mêmes règles pourraient donc être directes à un autre stade (…) » 115.
Par arrêt du 20 mai 2003, la cour de cassation semble cependant confirmer l’analyse selon laquelle
il s’agit de règles de compétence indirecte, dans un contentieux lié à l’autorité parentale 116.
Certaines décisions du fond, postérieures à cet arrêt, montrent cependant que cette position
n’était pas unanimement respectée par les juges du fond. Ainsi, par arrêt en date du 25 janvier
2005, la Cour d’appel de Lyon fonde la compétence directe du juge aux affaires familiales de
Lyon sur l’article 11 de la convention franco-marocaine 117.
Or, par arrêt du 28 mars 2006, la Cour de cassation confirme sa position en matière de divorce et
lève les doutes : « l’article 11 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 n’édicte que des
113
Cass, civ, 1ère, 23 janv. 1996, n° 94-12.763, Cass, civ, 1ère, 9 novembre 1993, n° 92-10.261.
114
Cass, civ, 1ère, 2 mars 1999 : G. Cuniberti, « Les conventions bilatérales d’entraide judiciaire excluent
l’application des articles 14 et 15 du Code civil », J.C.P.G., n° 50, 15 décembre 1999, II, 10220. La Cour de
cassation avait également fait référence à l’article 11 pour déterminer la compétence internationale de la
juridiction française dans un arrêt du 1er juillet 1997 : P. Mayer, « Office du juge dans la recherche de la
teneur de la loi étrangère et régime de l’accord procédural », R.C.D.I.P., 1998, p 60.
115
G. Cuniberti, « Convention franco-marocaine du 10 août 1981 : exit l’article 15 du code civil au stade de
la reconnaissance des jugements marocains », note ss Cass, 1ère, civ, 2 octobre 2001, R.C.D.I.P., 2002, p. 140.
116
Cass, civ, 1ère, 20 mai 2003 : JDI 2003, p. 827, note G. Cuniberti ; LPA 2004, n° 53, p. 17, obs. J. Massip ;
Dr. et patrimoine, nov. 2003, p. 98, obs. F. Monéger.
117
Cour d’appel de Lyon, 25 janvier 2005, R.G. : 03/02532.
Il s’agit dès lors bien d’un revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt du 2 mars 1999 et
cette interprétation paraît conforme à l’esprit du texte conventionnel 119. Cela étant, elle conduit
nécessairement à un recul de l’application des règles de l’article 11, qui sont désormais écartées
dans les instances directes au profit des règles françaises de droit international privé en matière
de divorce (règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003).
Un ressortissant français peut donc se prévaloir, de manière subsidiaire, des privilèges de juri-
diction en France dès lors qu’il s’agit d’une instance directe. La question se pose désormais de
savoir comment le juge marocain va se positionner lorsque la réception des décisions françaises
rendues sous l’empire de cette jurisprudence lui sera soumise 120.
Une fois précisée la portée indirecte des règles de compétence conventionnelles, restait à savoir
l’appréciation qui en serait faite par les juges du fond, l’appréciation de la compétence indirecte
du juge marocain étant conditionnelle de la reconnaissance du jugement en France.
Divers obstacles semblent progressivement être levés, favorisant ainsi la reconnaissance des
jugements marocains en France.
La nationalité française de l’époux ou de l’épouse ne peut désormais plus faire échec à la recon-
naissance d’un jugement prononcé au Maroc au motif que la juridiction étrangère était incompé-
tente.
Les privilèges de juridiction permettent de fonder la compétence du juge français sur la nationa-
lité française du demandeur ou du défendeur. L’article 14 du Code civil français permet au juge
français de se déclarer compétent dès lors que le demandeur est de nationalité française et
l’article 15 permet à un demandeur étranger de traduire un ressortissant français devant les
tribunaux français. Il s’agit de règles de compétences exorbitantes du droit commun, qui n’inter-
viennent qu’à titre subsidiaire.
Faisant une application extensive de ces textes, la jurisprudence française a refusé de recon-
naître un jugement étranger impliquant un Français défendeur dès lors que celui-ci n’a pas re-
noncé au privilège de juridiction 121. Cela mettait un sérieux obstacle à la reconnaissance des
jugements étrangers en France. Mettant en œuvre cette jurisprudence dans le domaine des con-
ventions franco-marocaines, une juridiction d’appel avait refusé de reconnaître un jugement
118
Cass, civ, 1ère, 28 mars 2006 : V. Larribau-Terneyre, « L’article 11 de la Convention franco-marocaine du
10 août 1981 n’édicte que des règles indirectes de compétence », Droit de la famille, n° 6, juin 2006,
comm. 133, A. Boiché, « Règles de compétence internationale en matière de divorce et Convention franco-
marocaine », AJ Famille, 2006, p. 247.
119
F. Monéger, « La Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de
la famille et à la coopération judiciaire (suite et fin) », R.C.D.I.P., 1984, p. 267 et ss.
120
A. Devers, « Le divorce d’époux marocains ou franco-marocains – les conventions franco-marocaines
face aux droits européen et communautaire », Droit de la famille, n° 3, mars 2006, étude 15.
121
Cass, civ, 2 mai 1928, Banque d’Italie, DH 1928.334, Cass, civ, 1ère, 9 novembre 1971, D. 72.178, RC
72.314 n. D. Holleaux, cités par B.Audit, avec le concours de L. d’Avout, Droit international privé, Economi-
ca, 6ème édition, 2010, p. 407.
122
CA Paris, 4 novembre 1999.
123
P. Courbe, « Privilège de juridiction et Convention franco-marocaine du 10 août 1981 », note sous Cass,
civ, 1ère, 2 octobre 2001, (2ème espèce), Petites affiches, 20 février 2002, n° 37, p. 17 ; Gilles Cuniberti,
« Convention franco-marocaine du 10 août 1981 : exit l’article 15 du code civil au stade de la reconnais-
sance des jugements marocains », R.C.D.I.P., 2002, p 140.
124
P. Courbe, « Privilège de juridiction et Convention franco-marocaine du 10 août 1981 », note sous Cass,
civ, 1ère, 2 octobre 2001, (2ème espèce), Petites affiches, 20 février 2002, n° 37, p. 17.
125
B. Ancel et Y. Lequette, « Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé »,
Dalloz, 5ème édition, 2006, n° 87 ; B. Audit, « La fin attendue d’une anomalie jurisprudentielle : retour à la
lettre de l’article 15 du code civil », Recueil Dalloz, 2006, p. 1846.
126
C. Chabert, « Article 14 du Code civil : première réplique de a jurisprudence Prieur », J.C.P.G., n° 23,
6 juin 2007, act. 258 ; B. Ancel et H. Muir-Watt, note sous Cass, civ, 1ère, 22 mai 2007, J.D.I., n° 3, Juillet
2007, comm. 17.
Les litiges familiaux franco-marocains impliquent fréquemment des ressortissants ayant la na-
tionalité de chacun des Etats français et marocain.
Or les hypothèses de conflits de nationalités n’ont pas été prévues par la Convention franco-
marocaine du 10 août 1981 et les difficultés que cela pouvait susciter ont été soulignées dès son
entrée en vigueur 127. Cette difficulté se pose avec une particulière acuité en matière de recon-
naissance des jugements étrangers de divorce puisque l’article 11 de la Convention franco-
marocaine du 10 août 1981 retient la nationalité, concurremment avec le domicile, comme cri-
tère de compétence indirecte du juge étranger 128.
Dès lors que les époux ont tous deux la nationalité de l’un des Etats, les juridictions de cet Etat sont
indirectement compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l’introduction de la
demande (article 11 al 2). Mais que se passe-t-il lorsque les deux époux ont tous deux la nationalité
des deux Etats ? C’est l’hypothèse très vraisemblable d’un couple de ressortissants français ayant
également la nationalité marocaine qui divorce devant les juridictions marocaines.
Le juge français est saisi postérieurement d’une demande d’inopposabilité de la décision maro-
caine au motif que le juge marocain n’était pas compétent ! Si le juge français fait primer la na-
tionalité du for, à savoir la nationalité française et statue comme si le couple n’avait pas d’autre
nationalité, il pourrait faire échec à la reconnaissance du jugement marocain en France en esti-
mant que le juge qui a statué n’était pas celui de la nationalité commune des époux.
Un arrêt de la Cour de cassation en date du 23 février 2011 est éclairant à ce sujet. Il apporte des
éléments nouveaux pour l’appréciation de la double nationalité dans le cadre des conventions
franco-marocaines 129.
Il s’agit dans cette espèce d’un couple dont l’époux est marocain et l’épouse franco-marocaine. Le
couple réside en France. Le 6 octobre 2004, l’épouse saisi le juge français d’une demande en con-
tribution aux charges du mariage. Deux jours avant l’audience, son mari saisi le juge marocain
d’une demande en divorce. Le juge aux affaires familiales fixe une contribution en 350 euros par
mois mais le mari invoque le jugement de divorce prononcé au Maroc pour faire supprimer la
contribution aux charges du mariage. Le jugement marocain est transcrit à l’état civil français et
l’épouse ne parviendra pas à obtenir l’annulation de la transcription, malgré un pourvoi en cas-
sation.
La Cour de cassation décide « qu’ayant relevé, d’une part, que les deux époux ayant la nationalité
marocaine, le mari pouvait saisir la juridiction marocaine d’une demande en divorce en application
127
P. Decroux, « La Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la
famille et à la coopération judiciaire », J.D.I., n° 1, 1985, p. 73.
128
F. Monéger, « La Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de
la famille et à la coopération judiciaire (suite et fin) », R.C.D.I.P., 1984, p. 274.
129
Cass, civ, 1ère, 23 février 2011 : A. Boiché, « Abandon du principe de la primauté de la nationalité du for
et reconnaissance d’une décision de divorce étrangère », A.J. Famille, avril 2011, 210 ; L. Abadie,
« L’appréciation du caractère frauduleux du choix de la juridiction étrangère dans le contentieux de la
reconnaissance d’un jugement étranger doit s’opérer étroitement », Droit de la famille, n° 5, mai 2011,
comm. 88 ; I. Gallmeister, « Jugement de divorce marocain : transcription sur les registres d’état civil »,
Dalloz actualités, 8 mars 2011.
Le conflit positif de nationalités, que la Cour de cassation avait défini dans une décision relative à
l’attribution de la nationalité par filiation, comme celui « où une personne possède, à la fois, deux
ou plusieurs nationalités et qu’un choix devient nécessaire parce que le contenu de la règle à appli-
quer impose de ne retenir qu’une seule nationalité » 130, se résout traditionnellement par la pri-
mauté de la nationalité du for. S’il s’agit de deux nationalités étrangères, on privilégiera la natio-
nalité la plus effective.
C’est ainsi que dans les relations de droit international privé, où la nationalité joue un rôle
d’élément de rattachement, une approche « fonctionnelle » a pu être développée, permettant de
tenir compte de la fonction que le critère de nationalité est appelé à jouer. Cette approche fonc-
tionnelle avait été privilégiée par la Cour de cassation dans un précédent resté isolé, l’arrêt Du-
jaque du 22 juillet 1987 132 auquel le présent arrêt a été comparé 133.
130
Civ, 1ère, 11 juin 1996, Imhoos : note F. Monéger, « Filiation, mariage et nationalité », Dalloz, 1997, p. 3,
observations F. Granet, « Selon quelle loi établir une filiation pour l’attribution de ma nationalité françai-
se ? », Dalloz, 1997, p. 3, Yves Lequette, « Conflit de lois en matière de nationalité », R.C.D.I.P., 1997, p. 291.
131
B. Audit, avec le concours de L. d’Avout, Droit international privé, Economica, 2010, p. 831.
132
Il est utile de rappeler la motivation de la Cour de cassation dans l’affaire Dujaque. Elle décide que la
convention franco-polonaise est applicable « bien qu’au regard de la loi française toutes les parties en cause
fussent françaises » dans la mesure où « l’esprit de cette convention étant de régler l’ensemble des rapports
juridiques de caractère international en matière de droit des personnes et de la famille, il convient de la faire
jouer dès lors que le litige concerne des personnes qui ont la nationalité polonaise, même si elles ont aussi la
nationalité française ». Civ, 1ère, 22 juillet 1987, Dujaque : P. Lagarde, « Vers une approche fonctionnelle du
conflit de nationalités », à propos de Cass, civ, 22 juillet 1987, R.C.D.I.P., 1988. Civ, 1ère, 22 juillet 1987,
Dujaque : P. Lagarde, « Vers une approche fonctionnelle du conflit de nationalités », à propos de Cass, civ,
22 juillet 1987, R.C.D.I.P, 1988, G. Geouffre de la Pradelle, « Nationalité française, extranéité, nationalités
étrangères », in Mélanges, D. Holleaux, Litec, 1990, p. 135 et s., not. p. 148 et s.
133
A. Boiché, « Abandon du principe de la primauté de la nationalité du for et reconnaissance d’une déci-
sion de divorce étrangère », A.J. Famille, avril 2011, 210.
134
Ibidem.
135
CJCE, 16 juillet 2009, Hadadi c/ Mesko : L. d’Avout, « Commentaire de l’arrêt Hadadi de la CJCE du
16 juillet 2009 », J.D.I., n° 1, janvier 2010, comm. 4, C. Brière, « Du juge compétent pour divorcer des époux
ayant une double nationalité », R.C.D.I.P., 2010, p 184, V. Egéa, « Compétence européenne : divorce d’époux
ayant une double nationalité », Recueil Dalloz, 2009, p. 2106, observations Guillaume Serra, L. Williatte-
Pellitteri, « Droit du divorce », Recueil Dalloz, 2010, p. 1243, P. Courbe, F. Jault-Seseke, « Droit internatio-
nal privé », Recueil Dalloz, 2010, p. 1585.
136
L. d’Avout, « Commentaire de l’arrêt Hadadi de la CJCE du 16 juillet 2009 », op.cit.
137
L. d’Avout, op. cit.
138
Cass, civ, 1ère, 17 février 2010 : C.ristelle Chalas, « Conflits de juridictions, Règlement « Bruxelles II bis »,
Dispositions transitoires (article64 §4), Juge compétent, Contrôle de la compétence indirecte, Conflits de
nationalités, Libre choix des époux », J.D.I., n° 3, juillet 2010, 11, F. Boulanger, « Compétence étrangère du
juge d’origine selon le Règlement Bruxelles II bis », J.C.P. G., n°25, 21 juin 2010, 686, A. Boiché, « Divorce
d’époux à la double nationalité : la Cour de cassation fait sienne la décision de la CJCE », A.J. Famille, 2010,
p. 183.
139
Il est intéressant de noter qu’en principe, la compétence indirecte des juridictions n’est pas contrôlée au
sein de l’Union européenne, en application d’un principe de confiance mutuelle. Dans l’affaire Hadadi, ce
contrôle est donc exceptionnel et lié au caractère chronologique particulier du litige. En effet, la Hongrie
n’était pas encore membre de l’Union européenne lorsque le juge hongrois a été saisi de la demande en di-
vorce. Il convenait donc de se référer aux dispositions transitoires de l’article 64 du Règlement Bruxelles II
bis pour déterminer le régime applicable à la reconnaissance de la décision hongroise dans les autres Etats
membres. Or en application de l’article 64 §4, lorsque la décision a été rendue après la date de mise en appli-
cation du Règlement Bruxelles II bis (1er mars 2005) pour des actions engagées avant cette date (ce qui était
le cas de la décision de divorce hongroise en l’espèce), elle est reconnue dans les autres Etats membres à
condition que les règles de compétence prévues par le chapitre II du Règlement Bruxelles II bis aient été
respectées ou les règles d’une convention bilatérale en vigueur entre les deux Etats concernés.
En effet, par arrêt du 12 janvier 2011 141, la Cour a uniquement pris en compte, au jour de la re-
quête, la nationalité marocaine d’une épouse ayant acquis ultérieurement la nationalité fran-
çaise, pour décider que seule la loi marocaine était applicable en application de la Convention
franco-marocaine 142.
Dans cette affaire, la Cour d’appel avait considéré que la Convention du 10 août 1981 ne permet-
tant pas de trancher le conflit de loi en raison de la double nationalité de l’épouse au jour de
l’assignation, il convenait de faire application de l’ancien article 310 du Code civil alors appli-
cable, qui désignait le droit français en raison du domicile des époux en France.
Ce n’est pas le raisonnement qui a été retenu par la Cour de cassation.
Elle s’est fondée sur le fait qu’au jour de l’introduction de l’instance, l’épouse n’avait pas encore
acquis la nationalité française. Cette décision se situe sur le terrain du conflit mobile pour spéci-
fier que la nationalité s’apprécie au jour du dépôt de la requête en divorce.
Il est vrai qu’à ce sujet la Convention franco-marocaine n’est pas très précise puisqu’elle indique
uniquement que la nationalité et le domicile doivent être appréciés « à la date de la présentation
140
A. Boiché, « Abandon du principe de la primauté de la nationalité du for et reconnaissance d’une déci-
sion de divorce étrangère », A.J. Famille, avril 2011, p. 210.
141
Cass, civ, 1ère, 12 janvier 2011 : Alain Devers, « Le JAF et le divorce international », J.C.P. G., n° 4,
24 janvier 2011, 74, L. Abadie, « Traitement du conflit mobile en matière de divorce en application de la
Convention franco-marocaine du 10 août 1981 », J.C.P. G., n° 16, 18 avril 2011, 449, A. Boiché, « C’est au
jour du dépôt de la requête en divorce que doit être déterminée la loi applicable à celle-ci », A.J. Famille,
2011, p. 212, observations F. Jult-Seseke, « Droit international privé, Février 2010, février 2011 », Recueil
Dalloz, 2011, p. 1374.
142
A contrario, la Cour de cassation avait décidé dans un arrêt du 17 mai 1993 que la loi marocaine n’était
pas applicable au divorce d’un couple de marocains ayant acquis la nationalité française. Il est vrai cepen-
dant que la Cour ne précisait pas la date de la requête et il semble que les époux étaient Français au jour
de la requête : v. P. Courbe, « De la répudiation dans un couple marocain ayant acquis la nationalité fran-
çaise », R.C.D.I.P., 1993, p. 684.
Cette décision s’inscrit dans le fil de la solution rendue en cas de conflit mobile lié au change-
ment de domicile sur le fondement de l’article 309-2 du Code civil 144.
Elle assure ainsi la continuité des solutions conflits de lois / conflits de juridictions 145.
A titre indicatif, cette solution avait déjà séduit certaines juridictions inférieures comme en té-
moigne l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 19 mars 2009 146. Cet arrêt avait été rendu sur ren-
voi après cassation du 20 juin 2006.
Dans cette affaire, la Cour de cassation avait rappelé aux juges du fond le caractère indisponible
de la loi applicable au divorce et sanctionné le fait que les juges avaient appliqué le droit français
au divorce de deux époux marocains.
Or l’épouse avait acquis la nationalité française 3 mois avant l’arrêt de cassation. Devant la Cour
d’appel de renvoi, elle entend alors se prévaloir de sa nationalité française pour faire échec à
l’application de la loi marocaine au divorce.
Or, à cette date les deux époux étaient marocains, la loi marocaine était donc applicable (la Cour
d’appel de Lyon écartera néanmoins la loi marocaine pour contrariété à l’ordre public).
Il serait néanmoins intéressant de connaître la position de la Cour de cassation dans une espèce
où les époux, ou l’un d’eux, seraient binationaux au jour de la requête en divorce.
Aux termes de l’arrêt du 23 février 2011 précité 147, le fait que le mari se soit opposé à la procé-
dure en contribution aux charges du mariage, en saisissant le juge marocain d’une demande en
divorce, ne constitue pas une fraude.
L’épouse indiquait pourtant, dans son pourvoi, que son époux a saisi le juge marocain deux jours
seulement avant l’audience en contribution aux charges du mariage pour demander le divorce
puis qu’il avait invoqué le jugement en France pour obtenir la suppression de la contribution
fixée à 350 euros par mois par le juge aux affaires familiales.
On ne pourra pas manquer de relever la similitude entre ces faits et le contexte dans lequel
s’inscrivent habituellement les répudiations musulmanes.
143
L. Abadie, « Traitement du conflit mobile en matière de divorce en application de la Convention franco-
marocaine du 10 août 1981 », J.C.P. G., n° 16, 18 avril 2011, 449.
144
Civ 1ère, 8 juillet 2010, Dalloz 2010, p. 1786, obs. I. Gallmeister, Dr. Famille 2010, comm. 157, note
M. Farge.
145
L. Abadie, « Traitement du conflit mobile en matière de divorce en application de la Convention franco-
marocaine du 10 août 1981 », J.C.P. G., n° 16, 18 avril 2011, 449.
146
Cour d’appel de Lyon, 19 mars 2009, n° R.G. : 06/06365.
147
V. infra, p. 10.
Or, durant un temps, l’argument de la fraude était retenu par la Cour de cassation pour faire bar-
rage à la répudiation prononcée à l’étranger 148. Ainsi, la fraude était caractérisée dès lors que le
fait d’aller dans le pays d’origine permettait d’obtenir une décision que le juge de résidence au-
rait refusé de prononcer s’il avait été directement saisi 149.
Le recours à la notion de fraude trouve cependant ses limites lorsque l’individu qui saisit son
juge d’origine ne fait qu’exercer une option de compétence qui lui est ouverte 150.
C’est ainsi que la Convention franco-marocaine ouvre un choix au profit des ressortissants ma-
rocains de saisir le juge de leur domicile ou de leur nationalité commune.
En l’espèce, c’est bien le raisonnement qui a été suivi par la Cour de cassation.
L’arrêt du 23 février 2011 traduit un relâchement du contrôle de la fraude à travers une réduc-
tion singulière de son domaine 151, annonçant pour certain un déclin du concept même 152.
Il ressortait pourtant des faits que l’époux avait demandé le divorce au Maroc dans le but princi-
pal d’échapper à la condamnation en contribution aux charges du mariage ; cela étant, la Cour de
cassation a considéré que le mari n’avait pas procédé à une modification frauduleuse des cri-
tères de rattachement et qu’il avait pu légitimement souhaiter divorcer devant les juridictions
marocaines.
Au fond, ce qui sous-tendait le recours à la fraude dans les affaires de répudiations était, de ma-
nière substantielle, l’atteinte à l’ordre public international français. Dès lors, le divorce étant
purgé de toute contrariété au principe d’égalité, l’argument tiré de la fraude n’a pas fait le poids.
Cette espèce met en lumière un aspect qui nous paraît essentiel : le lien entre l’appréciation des
conditions de régularité internationales d’un jugement, prétendues neutres, et les considéra-
tions substantielles qui peuvent sous-tendre certaines décisions.
148
Cass, 1er mars 1988, Dalloz, 1988, 486, note Massip, R.C.D.I.P., 1989, p. 721, note Sinay-Cytermann.
149
V. infra, 2ème partie de cette étude.
150
E. Cornut, « Requiem pour la fraude au jugement ? » J.C.P. G., n° 10, 7 mars 2011, p. 261.
151
Ibidem., v. égal. L. Abadie, « L’appréciation du caractère frauduleux du choix de la juridiction étrangère
dans le contentieux de la reconnaissance d’un jugement étranger doit s’opérer étroitement », Droit de la
famille, n° 5, mai 2011, comm. 88.
152
L. Abadie, op.cit.
Pendant que le Maroc demeure attaché à une conception religieuse et immuable de l’ordre pu-
blic (1), la France et les autres pays européens d’accueil de la communauté marocaine immigrée
adoptent une approche égalitaire de l’ordre public et partant une position rigoureuse à l’égard
de certaines institutions du droit musulman (2).
L’immédiate après indépendance fut une phase délicate dans le processus de la reconnaissance
et l’exécution des jugements français et étrangers au Maroc et la réforme du code de la famille
Le protectorat a édifié, par le biais d’une application sacrée du principe de la personnalité des lois,
ce que l’on peut appeler un compartimentage de deux systèmes de droit international privé en
matière de statut personnel : celui applicable aux indigènes et celui réservé aux français et aux
étrangers. Deux systèmes fondés sur le principe de personnalité des lois, mais parallèles, à la fois
durant le protectorat et depuis la séparation des deux Etats, et cela sans interférence : l’un, « pro-
duit du droit vivant, pluraliste, égalitaire, sociologique, pédocentrique, opposant plasticité et volonta-
risme aux rigueurs 153, [de l’autre], l’ancien modèle monolithique, patriarcal, sacralisé et légitime 154. »
Mais l’application du principe de la personnalité des lois fut un obstacle à l’application du jeu
normal aussi bien des conflits de lois que de conflits de juridictions.
Les autorités du protectorat se devaient de faire échapper les français et les étrangers à la pos-
sible application du droit musulman malikite caractérisant le code du statut personnel marocain
et les autorités politiques et judiciaires marocaines appliquaient avec grande rigueur les privi-
lèges de nationalité et de religion.
Le propre de la règle de conflit de lois est d’être bilatérale ; c'est-à-dire qu’elle désigne norma-
lement le droit applicable sans distinguer selon qu’il s’agit de la loi du for ou d’une loi étran-
gère 155 : en réalité le propre de la règle de conflit bilatérale c’est qu’elle désigne précisément une
loi étrangère 156.
Or, force est de constater, que dans les relations du Maroc avec les pays occidentaux, en général,
depuis l’indépendance, la règle de conflits de lois et partant celle des conflits de juridictions, sont
marquées par l’unilatéralisme.
153
Cf. Partie II.
154
H. Muir Watt, « Les modèles familiaux à l’épreuve de la mondialisation (aspects de droit international
privé) », Arch. phil. Droit, 45, 2001, p. 273.
155
D. Holleaux, op. cit., p. 183, n°293.
156
Ibid., n° 294.
L’unilatéralisme marquant à la fois les conflits de lois et les conflits de juridictions, est ainsi con-
sacré à la fois par les textes (1.1.1.), par une jurisprudence constante (1.1.2.) et par la doctrine
majoritaire (1.1.3.).
Les textes produits dès l’indépendance, laissent à penser que le Maroc allait adopter une concep-
tion rigide de la personnalité des lois en matière du statut personnel et appréhender, mêmes, les
situations caractérisées par la présence d’un élément d’islamité.
Cela aura des effets drastiques à la fois en matière de conflits de lois et relativement à la recon-
naissance et l’exécution des jugements étrangers.
Ce privilège réside dans un certain nombre d’institutions, étudiées ci-dessous, marquant tout le
système de droit international privé marocain.
a.1. Le mariage d'une musulmane avec un non musulman (Art 29. 4° du CSP)
Cette union ne peut avoir lieu en terre marocaine marquée par le lien ancestral du mariage avec
le droit musulman rigoriste prohibant l’union de la marocaine musulmane à un non musulman
fut-il marocain.
Les disparités religieuses dans le cas de figure de la marocaine musulmane et le non musulman
constituent, aux termes de l’art 29.4° du code du statut personnel, un cas d’empêchement tem-
poraire au mariage.
En revanche, aucune interdiction légale n'existe cependant vis-à-vis du marocain musulman qui
désire se marier en dehors de la communauté musulmane, mais à condition que la future épouse
appartienne aux gens du livre, à savoir les juifs et les chrétiens 160.
157
Dahir n° 1-57-343 du 22 novembre 1957 portant application des livres I et II du code de statut per-
sonnel et des successions. B. O. n° 2378 du 23 mai 1958, p. 806.
158
M.E. F. Fihri, L'itinéraire de la justice marocaine. Rabat, ed. de l’APREJ, 1997, p. 252.
159
Ibidem.
160
C. Chehata, note de droit musulman sur les mariages mixtes, RJ.P.I.C., n°1, 1976, p. 130, cité par M. Chafi,
Code du statut personnel annoté, Imp. Walil, 1996, p. 50.
Nous n’avons recensé aucune demande d’exequatur d’un acte ou jugement relatif à un tel ma-
riage, alors même que nombreux sont les mariages qui sont conclus chaque année par des maro-
caines avec des étrangers non musulmans.
La parade, faut-il le souligner, est soit une conversion de complaisance à l’Islam du prétendant
ou le choix de vivre cette situation matrimoniale illégale à l’étranger sans pouvoir ou vouloir
l’invoquer sur le territoire marocain.
161
A. Benzarroua, « L’effet de l’ordre public laïc sur l’application du droit de la famille marocain à l’étran-
ger », in L’application du code de la famille en pays d’immigration, publication Code de la famille et réalité
d’application à l’étranger. Actes du Colloque organisé par le laboratoire de recherche en droit de la famille
et de la migration, Oujda, 9 et 10 avril 2010, p. 224.
162
M. Chafi, op. cit., p. 191 et ss.
163
Ibidem.
164
CS. Arrêt n°451, Jurisprudence de la C.S., Revue n° 61, 25ème Année, p. 134.
Ce régime juridique de la garde favorisa l’enlèvement international des enfants issus de couples
mixtes désunis, par l’un ou l’autre parent 166.
Certains pères ont déplacé l'enfant dans leur pays d'origine, soit à cause du droit de visite qui ne
leur permettait pas de surveiller l'enfant dans de bonnes conditions en Europe, soit en raison de
l'absence d'une autorisation d'héberger l'enfant à l'étranger 167.
C’est l’une des raisons majeures qui ont poussé la France à négocier et signer avec la Maroc la
convention du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération
judiciaire 168.
Le père et les enfants n’héritent pas de la mère et vice versa. Cette situation est vécue par plu-
sieurs couples mixtes installés au Maroc. Les épouses et mères européennes, notamment, la vi-
vent dramatiquement.
Un comité de réflexion sur un projet de réforme de la loi en ce sens a été créé à Rabat et il est
question de faire pression sur le gouvernement marocain pour supprimer cet empêchement
contraire aux principes fondamentaux reconnus aux membres d’une même famille et qui est
contestable sur le plan du fiqh 169.
b. Le dahir du 24 avril 1959 170 ou le maintien de la théorie du juge naturel, pour les musulmans,
au Maroc
Ce texte est venu compléter le dahir du 4 avril 1956 relatif à l’organisation et au fonctionnement
des juridictions de droit commun171.
165
La doctrine conservatrice majoritaire, comme, le marocain musulman bon père de famille, considère
que l’intérêt de l’enfant issu d’un père musulman est d’être maintenu dans un milieu musulman. Conclu-
sion qui revient dans toutes les études et enquêtes que nous avons effectuées dans le domaine du droit de
la famille. Cf., notamment H. Alami, M. Benradi, F.Z. Boukaissi, M. Moaquit, A. Ounnir, R. Zaidguy, Le code de
la famille. Perceptions et pratique judiciaire, Ouvrage collectif édité par la fondation F. Ebert, 2007.
166
V.S. Kiefe, « Les enfants à travers les frontières », Bulletin de la société de protection de l'enfance, 1980, p. 5.
167
M. Chafi, op. cit., p. 192. V Cass, civ. 3 février 1982, R.C.DJ.P., 1982, p. 552 note P. Lagarde. L. Chatin,
Comment prévenir les déplacements ou les rétentions illicites d'enfants à l'étranger: l'arrêt de la cour de
cassation du 3 fév. 82. G.P. 82. I. Doct. 342 ; réponse ministérielle J.O. débat. Ass. Nat. Questions, 14 mars 83
P. 1 239, R.CD.I.P. 1983, p. 352.
168
Dans le même sens, d'autres conventions ont été signées avec la Tunisie (convention du 18 mars 1982,
R.C.DJ.P., 1983 p. 539), l'Egypte (convention du 15 mars 1982, R.C.D.I.P., 1983, p. 745) et l'Algérie (conven-
tion du 21 juin 1988). V. F. Monéger, « La convention relative aux enfants issus de couples mixtes séparés
franco-algériens du 21 juin 1988 », J.D.I., 1989, p. 41.
169
L. Rahou, Manuel des règles de succession en droit marocain entre tradition et logique, Dar Elkalam, Ra-
bat, 2010 et spec., p. 42 et s.
170
Il s’agit de l’application du dahir du 24 avril 1959 complétant le dahir du 4 avril 1956 relatif à l’organi-
sation et au fonctionnement des juridictions de droit commun.
Par suite, quel que soit le rite musulman, sunnite ou chiite, de l'étranger de statut musulman, celui-
ci, soumis à la juridiction du cadi marocain, se trouve régi par le rite malékite marocain.
Cette extension de compétence du Chrâa local et, par suite, l'extension de la loi musulmane locale,
joue même à l'égard des étrangers, qui, sans être de statut musulman, sont de confession musul-
mane, toutes les fois du moins qu'ils relèvent de la juridiction du cadi ; leur statut au Maroc pourra
donc être variable suivant la juridiction saisie. » 174
Ce ne sera pas la territorialité mais une conception fondée sur le jus religionis : un musulman
sera soumis au droit musulman malékite marocain et l’exequatur de décisions le concernant
relève de cette règle par le recours à l’obstacle de l’ordre public islamique marocain.
Bien que reconnue expressément dans le DCC, la compétence exclusive de leur loi nationale, pour
les étrangers, en matière de statut personnel et successoral, sera systématiquement écartée.
De ce fait, l’étranger musulman avait deux statuts :
• Un statut devant les juridictions chraâ devant laquelle on ne lui retient son islamité à la fois
au niveau de la loi applicable et du jeu des mécanismes de conflits de juridictions (juridiction
compétente et ordre public).
• Un second statut « normal », celui-ci, devant les autres tribunaux marocains.
171
B.O n° 2427 du 1 mai 1959, p. 734.
172
Cette règle fut désormais applicable en zone sud des tribunaux modernes et à Tanger et en zone nord
des tribunaux de droit commun.
173
P. Decroux, Droit privé, op.cit., p. 135.
174
« Il en résulte notamment que les Français métropolitains, qui se sont convertis à l'Islam, ont perdu dé-
sormais devant les tribunaux du chraâ, devenus compétents à leur égard, leur statut personnel français et se
trouvent régis par les règles du droit musulman local, en matière de statut personnel et successoral, bien
qu'ils aient gardé leur nationalité française. Il en est de même des autres étrangers : Italiens, Espagnols (…)
qui se sont convertis à l'Islam. Il en sera de même encore des nationaux turcs qui, bien qu'en grande majorité
de confession musulmane, ne sont pas en Turquie soumis au droit musulman. » Ibidem.
Ce texte est relatif aux mariages mixtes. Il énonce dans son article 1er que les mariages entre ma-
rocaines et étrangers peuvent être célébrés dans la mesure où ils ne sont pas interdits par le
statut personnel du conjoint marocain.
1.1.2. La doctrine
a. L’école classique
Cette école suit l’itinéraire tracé par les grands penseurs de l’Islam et les premiers défenseurs de
l’instauration d’un système fondé sur la charia’ (droit musulman) dans tous les domaines et à
175
P. Decroux se demandait si en cas de conversion de la femme à l'Islam, le cadi marocain ne se reconnaî-
tra pas compétent pour délier cette femme des liens qui l'attachent à un infidèle.
176
B.O. n°2474 du 25 mars 1960, p. 689.
177
Elle comprenait en outre le Ministre de la Justice et dix personnalités (tous des oulama) nommées
par décret du 21 août 1957. Il s’agit de : Mohamed Ben Larbi, ministre de la Couronne, Mohamed Mokhtar
Soussi, ministre de la Couronne, Allal El Fassi, président du parti de l'Istiqlal. Mohamed Daoud, membre
de la Chambre Consultative, Ahmed Bedraoui, président du Tribunal d'appel du Chra', Abderrahman
Chefchaouni, Vice-président de cette Haute juridiction, Mehdi Alaoui, conseiller en cette même Cour et Ab-
delouahed Alaoui, président de la Chambre d'appel du Chra' au tribunal régional de Casablanca. Cf.
M.F. Fihri, op. cit., p. 256.
178
V. Notes de A. Elfassi qui fut rapporteur général de la commission de codification du code du statut
personnel en 1957. Cf. M.F. Fihri, op. cit., p. 279.
179
. M.F. Fihri ; op. cit., p. 256.
J. Deprez s’est attaché à la pensée d’Allal El fassi en matière de droit international privé comme
représentant de la conception classique à tendance personnaliste et à dimension politique et
idéologique 181.
L’argument majeur de cette approche est construit sur le constat que « l'extrême tolérance mani-
festée envers les statuts étrangers est une anomalie, un legs de l'histoire, liée aux capitulations puis,
dans certains pays, à une situation coloniale, et qu'elle n'a pas lieu de subsister aujourd'hui. Le
temps serait venu pour l'Islam de traiter l'étranger et sa loi comme on le fait partout ailleurs, c'est-
à-dire sans égard particulier pour le statut d'origine. 182»
La thèse de A. El fassi prône la territorialité absolue sur la terre d’Islam marocaine. Autrement dit,
« l'application généralisée du droit musulman à titre de la loi exclusive en vigueur sur le territoire
marocain. A la tradition millénaire rattachant le statut des personnes à leur loi d'origine serait subs-
tituée l'application directe de la loi islamique à tout étranger sur le territoire marocain » 183
On a relevé fort pertinemment que « la thèse dépasse le cadre du droit international privé. Elle est
à replacer dans l'ensemble de l'œuvre doctrinale de l'auteur, penseur musulman, juriste, mais aussi
militant nationaliste. La thèse est plus politique que juridique et n'est pas représentative de l'en-
semble de l'actuelle doctrine marocaine. » 184
La pensée de Allal El fassi produit incontestablement des effets à la fois sur le plan interne (ju-
ristes et magistrats) et sur le plan international.
Les postulats de l'application du statut personnel musulman à tous les étrangers 185, aux ma-
riages mixtes entre musulmans et étrangers spécialement dans les relations franco- marocaines
et le plaidoyer pour la restauration de la loi de l'Islam en tant que seul droit positif en vigueur au
Maroc, y compris en droit international privé marquèrent la doctrine et la jurisprudence maro-
caine et incitèrent les Etats de l’Europe occidentale à envisager la voie conventionnelle.
Les thèses de A. El fassi ont semble-t-il inspiré les auteurs du dernier projet de réforme du DCC
établi par le ministère de la justice en 1981, lequel retient deux règles générales et exclusives de
180
Parmi les principaux ouvrages publiés par cet auteur : Défense de la charia et l’autocritique.
181
J. Deprez, Conflits de lois et conflits de civilisations, op.cit., p. 197.
182
Ibidem.
183
Ibidem.
184
Ibidem.
185
Allal El Fassi, Défense de la loi islamique, commission du patrimoine de feu Allal El Fassi, Casablanca,
1977, édition française, traduction Charles Samara.
A. Bahnini, juriste et premier président de la cour suprême s’en tient à une reconnaissance d’un
droit international privé marocain fondé sur des mécanismes juridiques caractérisant la mé-
thode et la résolution des conflits de lois.
Sa doctrine bien que moderne n’a pas remis en cause l’essence religieuse du système de conflits
de lois et de juridictions et plus particulièrement, relativement à la notion de l’ordre public.
b. L’école moderne
Elle est représentée principalement par A. Moulay Rchid, L. Messaoudi, F. Serhane et K. Berjaoui.
L. Messaoudi 190 et F. Serhane 191 de par leurs travaux consacrés à la condition juridique de la
femme marocaine dénoncent à la fois le statut inférieur de la femme dans le droit marocain et les
186
L’expression est celle de J. Deprez, op.cit., p. 187.
187
J. Deprez, op.cit., p. 187.
188
Casablanca, 15 juin 1973, Clunet, 1978, p. 677 ; C.S., 28 mai 1964, Clunet, 1966, p. 383 ; C.S., 5
juillet 1974, Clunet, 1978, p. 681 et R.J.P.E.M., n°13-14 ; R.J.P.EM n° 10.
189
A. Moulay Rchid, « Le droit international du Maroc indépendant » in Le statut des musulmans…, op.cit.,
p. 161 et s.
190
M. L. Messaoudi, « La discrimination à l'égard de la femme en droit international privé marocain », in
Revue internationale de droit comparé, vol. 44, n°4, Octobre-décembre 1992, p. 947-957.
191
F. Sarhane. « La répudiation, quels obstacles pour les marocains résidant en France ? » (Exercice au
Maroc et reconnaissance en France), R.I.D.C., 1-2006 et 2 Loi n° 70/03, 3 févr. 2004, BO n° 5184, 5 févr.
2004 ; v. F. Sarhane, « Le nouveau Code ».
1.1.3. La jurisprudence
La jurisprudence a toujours observé, depuis l’indépendance 193, une position allant dans le sens
des la philosophie générale voulue par les auteurs du code du statut personnel et de la thèse
classique de la soumission de tous les statuts à la règle du privilège de religion.
C’est ainsi que la cour suprême a-t-elle décidé que « l’époux musulman assigné par son épouse,
doit être soumis, en ce qui concerne son statut personnel à la moudouwana, laquelle constitue son
droit naturel » 194. Jurisprudence devenue constante chez les juges du fond 195 et dans les déci-
sions subséquentes de la haute juridiction 196.
Parfois le privilège de religion se confond avec l’ordre public. C’est le cas du jugement, du
tribunal de Casablanca, lequel, faisant état de l'article 83 alinéa 2 de l’ancien code de statut per-
sonnel marocain, constate que la filiation non légitime ne crée aucun lien à l'égard du père, que
par suite la demande en exequatur est « contraire aux lois et coutumes politiques (sic) et reli-
gieuses représentant l'ordre social et public au Maroc » et qu'elle est donc irrecevable 197.
La position de la jurisprudence ne changea pas depuis l’indépendance.
Avec l’accroissement de l’immigration marocaine vers l’Europe et les divergences en matière de
règles de conflits de lois et leur application, la situation va s’exacerber à la fois par une expres-
sion des unilatéralismes des règles de conflits de loi et le recours aux armes de l’ordre public et
de la fraude : c’est le temps des crises.
Le nouveau code de la famille a été adopté, croyons-nous, en vue de répondre à deux attentes. La
première est celle du mouvement des femmes du Maroc, dont les revendications fondées sur
l’égalité et le respect du droit international, exigeait une réforme du statut de la femme et de la
192
K. Elbarjaoui, Droit international privé du statut personnel, Rabat, 2001, p. 73 (en langue arabe).
193
C.S. 28 mai 1964, Clunet, 1966, p. 383 et CS 5 juillet 1974, Revue juridique, politique et économique Ma-
rocaine, n°13 et 14.
194
C.S. 2 juillet 1972 Jurisprudence de la cour suprême, Novembre 1972, p. 64, CS. Dans le même sens.
195
Cour d’Appel de Casablanca, 15 juin 1978, Clunet, 1978, p. 677.
196
C.S., 28 mai 1964. Clunet, 1966, p. 383 et C.S., 5 juillet 1974. Clunet, 1978, p. 681 et R.J.P.E.M.,
n°13-14 ; R.J.P.E.M., n° 10.
197
P. Decroux, Droit international privé, op. cit.
Les relations du Maroc, avec les pays occidentaux ayant accueilli une forte communauté maro-
caine, en matière de conflits de lois et de reconnaissance des jugements étrangers, résument à
elles seules, les divergences et confrontation du système islamique et européen. « L'importance
de la communauté musulmane en France, écrit Jean Deprez, donne à l'application de leur statut
personnel une ampleur, une fréquence et une publicité jusqu'alors inconnues, au point de transfor-
mer en véritable problème de société ce qui n'était à l'origine qu'une réception occasionnelle et en
quelque sorte confidentielle » 198.
Cependant, « C'est dans [la] différence de philosophie, et non dans une prétendue domination post-
coloniale ou un refus de l'identité culturelle de l'autre, qu'il faut rechercher les raisons de cet
échange inégal dont il est la traduction logique et nécessaire : un Islam encore très (trop?) person-
naliste face à des systèmes tous marqués par une plus forte territorialité. » 199
Avec la France, les relations en ce domaine furent difficiles et marquées par des actions législa-
tives et un recours au système conventionnel.
La convention de 1957 fut conclu, principalement, comme suite logique de l’indépendance et du
passage de rapports de protecteur et protégé à des relations d’Etats égaux et souverains liés par
un passé politique, juridique et culturel commun.
La convention franco-marocaine du 10 août 1981, signée dans un contexte différent, a pour fina-
lité d’inciter la partie française à admettre au profit des Marocains d'importantes dérogations à
la règle française de conflit de lois en matière de divorce, garantissant à ces derniers le bénéfice
de leur loi d'origine.
Ces instruments furent, en réalité, l’expression en termes de coopération juridique, du bras de fer
qui opposa le Maroc à la France, lequel est très manifeste dans les jurisprudences des deux pays.
Le nouveau code de la famille marocain n’a pas dérogé à la tradition personnaliste. Il consacre
expressément les privilèges de religion et de nationalité en soumettant au droit marocain tous
les Marocains, même ceux portant une autre nationalité, toute relation entre deux personnes
lorsque l'une d'elles est marocaine et toute relation entre deux personnes de nationalité maro-
caine lorsque l'une d'elles est musulmane (art 2 du NCF).
La cour suprême a considéré que « Constitue une atteinte à l’ordre public marocain, le fait pour
une partie qui, pour échapper à l’application sa loi nationale, de recourir à une juridiction étran-
gère en vue d’avoir un jugement dont elle requiert l’exequatur. Le jugement étranger relevant la
non application de la loi marocaine alors qu’il s’agit d’un litige relatif au statut personnel de maro-
cains musulmans est contraire à l’ordre public et ne peut ainsi être exequaturé » 200.
198
J. Deprez, note à la R.C. D.I.P. 1991, p. 709.
199
J. Deprez, Conflits …, op.cit., p. 201.
200
Arrêt n°854. Dossier n°83/2/1/00 du 20/09/2000 in Bahmani, op.cit., p 85.
1.2.2. L’art 128 du nouveau code de la famille ou l’assouplissement des effets des privilèges
de nationalité et de religion
Il a été dit que l’art 128 du code de la famille a donné plus de souplesse à la question de la recon-
naissance et l’exécution des jugements étrangers au Maroc en ouvrant cette possibilité à toutes
les formes de divorce prononcés à l’étranger 203.
L’Article 128 est ainsi formulé : « Les décisions de justice rendues en matière de divorce judiciaire,
de divorce par Khol' ou de résiliation de mariage, conformément aux dispositions du présent livre,
ne sont susceptibles d’aucun recours dans leur partie mettant fin aux liens conjugaux.
Les jugements de divorce, de divorce judiciaire, de divorce par Khol' ou de résiliation de mariage,
rendus par les juridictions étrangères, sont susceptibles d’exécution s’ils sont rendus par un tribu-
nal compétent et fondés sur des motifs qui ne sont pas incompatibles avec ceux prévus par le pré-
sent Code en vue de la dissolution de la relation conjugale. Il en est de même pour les actes conclus
à l’étranger devant les officiers et les fonctionnaires publics compétents, après que ces jugements et
actes aient satisfait aux procédures légales relatives à l’exequatur, conformément aux dispositions
des articles 430, 431 et 432 du code de procédure civile. »
201
Arrêt n° 310. Dossier n° 431/2/1/2010 du 31 mai 2011. Jurisprudence de la cour de cassation Arrêts
de la chambre du statut personnel et des successions ; n° 74. P 168.
202
Certains auteurs font effectivement référence à la doctrine classique du droit public musulman qui
divise le monde en deux pôles : la terre d’Islam et Dar alharb (terre de guerre, terre hostile). Cf. Not.
J. Tahiri, Les marocains résidant à l’étranger entre la religiosité de leur droit et la laïcité du droit de leur pays
d’accueil, Colloque Code de la famille et réalité d’application à l’étranger, 9 et 10 avril 2010, organisé par le
laboratoire de recherche en droit de la famille et de la migration. Oujda. Publication du laboratoire de
recherche en droit de la famille et de la migration, 2011, p. 41-49.
203
L’art 128 a fait l’objet de plusieurs développements dans la partie I.
L’art 128 a été le facteur déclenchant une nouvelle pensée (moderne) en matière de conflits de
lois et de conflits de juridictions. Nous avons pu constater206, en effet, qu’une nouvelle doctrine
remet en cause, par référence à cet article, la question de la compétence d’attribution en matière
d’exequatur et les effets du jugement étranger en matière de dissolution du lien conjugal 207.
Cette doctrine dissidente 208, que nous partageons, va plus loin en considérant que l’article 128 a
inauguré l’abandon des privilèges de juridictions en matière de dissolution du lien conjugal par
divorce et par résiliation.
En effet, l’art 128 fait référence à toutes les formes de divorce pouvant être prononcés par les
juridictions étrangères occidentales (divorce, divorce judiciaire, divorce par Khol' ou de résilia-
tion de mariage). Ses auteurs ont voulu faciliter la circulation des jugements en matière de di-
vorce lesquels, on l’a vu, constituent l’essentiel du contentieux traité par les sections de la famille
des tribunaux de 1ère instance aussi bien sur le plan interne qu’en matière d’exequatur.
L’élément principal sur lequel se fonde la doctrine dissidente est une lecture à contrario de l’alinéa
2 de l’art 128 qui conditionne l’exequatur des décisions étrangères de divorce, de divorce judi-
ciaire, de divorce par Khol' ou de résiliation de mariage, à l’existence de deux conditions : la com-
pétence de la juridiction ayant rendu la décision dont on demande la reconnaissance et l’exequatur
et le fait que la dissolution du mariage (divorce, divorce judiciaire, divorce par Khol' ou résiliation
de mariage) soit fondée sur des motifs qui ne sont pas incompatibles avec ceux prévus par le (nou-
veau) Code de la famille en vue de la dissolution de la relation conjugale.
Le code ne prévoyant, pour la matière de dissolution du lien conjugal, aucun autre motif, il est
donc permis de penser, à contrario, qu’il n’est plus question d’exigence de la condition du res-
pect de privilèges de religion et de nationalité.
204
Toutes les études et les enquêtes effectuées depuis l’entrée en vigueur montrent en effet le recours
quasi systématique des conjoints au divorce pour discorde. Sur demande de l'un des époux pour cause de
discorde (Chiqaq) ; 17 510 40 728 58 238.
205
Statistiques consultées sur le site du ministère de la justice marocain, http://adala.justice.gov.ma/
production/statistiques/famille/FR/Les%20divorces%20judiciaires.pdf.
206
Cf Partie I.
207
Cf Partie I.A.c.
208
A. Almoutafawik, « Exequatur des jugements étrangers à la lumière de l’art 128 al 2 du code de la fa-
mille », article publié sur le site du ministère de la justice.
La réception en France des décisions marocaines rendues en matière familiale à l’aune du res-
pect de l’égalité entre les hommes et les femmes 212 est un sujet délicat. Il s’agit, en effet, d’abord,
d’une confrontation du for à des institutions qui sont bien souvent inconnues du droit français,
d’où la difficulté de la qualification, première phase du processus de résolution du conflits de lois
et, ensuite, de la nécessaire formulation d’un jugement de valeur sur la teneur du droit étranger
en prenant pour référence les exigences du droit du for 213.
Pour cela, elles suscitent les réticences d’une société française dont la relation entre époux se
veut caractérisée par un ensemble de droits et devoirs réciproques, énumérés aux articles 212 et
suivants du Code civil. Particulièrement importante au cours du mariage, cette égalité entre
époux se manifeste également au moment de sa dissolution, dans l’égalité d’accès au divorce.
Or la répudiation est un droit marital. Elle peut se définir comme le droit du mari de dissoudre le
lien conjugal par sa seule volonté, à tout moment, sans avoir à invoquer de motifs et sans requé-
rir le consentement de sa femme 214.
209
Nous avons vu que dans son commentaire de l’art 128 du nouveau code de la famille, le ministère de la
justice marocain considère que « Le tribunal [saisi de la demande d’exequatur] n’est point compétent pour
connaître d’autres cas comme la qualification des faits, la pertinence et la sincérité des motivations, les
moyens de preuve ou l’absence de référence aux dispositions du droit marocain relatif à la dissolution de
l’union conjugale (…) De même, les décisions de justice rendues par les juridictions étrangères ne sont pas
tenues de citer les causes du divorce en usant des mêmes termes utilisés par le droit marocain tels le préju-
dice, la discorde et les vices rédhibitoires. Il suffit cependant que ces décisions ne soient pas incompatibles
avec les causes prévues par le Code en matière de dissolution du mariage».
210
Aussi bien la volonté royale que les déclarations de gouvernement. Cf. Les développements relatifs à
l’article 128 figurant dans la Parti II de la 1ère Partie.
211
Toutes les décisions de jurisprudence citées font référence au principe d’égalité entre les époux et non
à des considérations de laïcité.
212
Cette recherche a donné lieu à une intervention sur le thème de « La réception du droit musulman en
France à l’épreuve de l’égalité entre les hommes et les femmes » lors du colloque du 21 octobre 2011 sur
les droits des femmes migrantes organisé par l’association FIJI-RA et la Maison des Passages à Lyon.
213
Marie-Claire Foblets, « Le statut personnel musulman devant les tribunaux en Europe : une reconnais-
sance conditionnelle », in L’étranger et le droit de la famille, pluralité ethnique, pluralisme juridique, Phi-
lippe Khan (dir.), La documentation française, 2001, p. 33.
214
Y. Linant de Bellefonds, Traité de droit musulman comparé, tome 2, Paris, Editions Mouton et Co, 1965,
p. 315, cité par Louisa Hanifi p. 70, Eugène Clavel, Droit musulman, du statut personnel et des successions
d’après les différents rites et particulièrement le rite hanifite, Paris, Larose, 1895, tome 1, p 173, cité par
Louisa Hanifi p. 70, Fernand Dulout, Traité de droit musulman et algérien, tome II : Le mariage – Effets
juridiques – Régime dotal – Mariages mixtes – Divorces et Répudiation – La tutelle – L’interdiction –
L’absence, Alger, La maison des livres, 1947.
C’est donc essentiellement avec les populations originaires du Maroc et d’Algérie que ces institu-
tions posent des difficultés en France.
Les évolutions législatives connues par les systèmes du statut personnel des pays du sud et plus
particulièrement du Maroc, réduisent le cercle des conflits, au point névralgique de la dissolu-
tion du lien conjugal. Le législateur marocain de la famille a affiché le souci d’assurer la promo-
tion des droits des femmes dans la sphère familiale et place désormais la famille sous la direc-
tion conjointe des deux époux 216.
L’innovation majeure introduite en droit marocain de la famille par la réforme du 3 février 2004
est le divorce pour discorde 217. Ce mode de dissolution du mariage, ouvert aussi bien à l’épouse
qu’à l’époux, permet aux conjoints de se désunir sans en invoquer de motifs.
Qualifié de divorce très « libéral » 218, plus encore que le divorce pour altération du lien conjugal
de droit français, il instaure une stricte égalité légale entre les époux marocains dans l’accès au
divorce. Cette conception de l’égalité entre époux ne se retrouve cependant pas dans l’ensemble
des dispositions du nouveau code marocain, exception faite du divorce par consentement mu-
tuel. Le père reste seul détenteur de la tutelle sur les enfants mineurs et les autres cas de divorce
restent sexués.
Ainsi, le mari détient toujours seul le droit de répudiation unilatérale malgré le changement de
terminologie « divorce sous contrôle judiciaire » (talak) 219 et certains types de divorce ne sont
ouverts qu’à l’épouse : le divorce pour causes, prévu par l’article 98 du Code marocain de la fa-
mille, permet à l’épouse de demander le divorce en cas de manquement du mari à l’une des con-
ditions stipulées dans l’acte de mariage, de préjudice subi, défaut d’entretien, absence du con-
joint, vice rédhibitoire, serment de continence ou de délaissement.
Le divorce par khôl, prévu par l’article 115 du Code marocain de la famille, permet pour sa part à
l’épouse d’acheter son divorce moyennant le versement d’une somme d’argent à l’époux, ce qui
n’est pas sans susciter certaines interrogations au regard du principe d’égalité entre les hommes
et les femmes.
215
Articles 29 et 31-3 du Code de statut personnel tunisien.
216
Guide pratique du Code marocain de la famille, avant-propos.
217
Articles 94 et s.
218
Allocution orale de Me Zouhair Aboudahab, « Focus sur le divorce marocain en France », présentée lors
du colloque Le droit français à la rencontre des statuts personnels des deux rives de la Méditerranée,
mardi 22 novembre 2011, Maison de l’avocat, Grenoble.
219
Fatna Sarehane, « Le nouveau Code marocain de la famille », Gazette du palais, recueil septembre-
octobre 2004, p. 2792 et ss.
Cette question est particulièrement intéressante dans le cadre des rapports franco-marocains
puisque la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 prévoyait l’application de la loi natio-
nale commune au divorce d’époux marocains résidant en France (article 9) et entendait per-
mettre la reconnaissance des répudiations en France (article13).
220
M-C. Foblets, J-Y. Carlier, Le Code marocain de la famille : incidences au regard du droit international
privé en Europe, Brussels, Bruylant, 2005, p. 69.
Dans un deuxième temps, l’accueil des répudiations en France a été limité au cas par cas en in-
voquant la fraude ou l’ordre public procédural ou alimentaire pour y faire échec (a.2.), puis, dans
un troisième temps, le juge est passé d’un contrôle subjectif, fondé sur les intentions de l’époux,
à un contrôle objectif, prenant en considération un ordre public intégrant la dimension égalitaire
du rapport entre époux, donnant, ainsi, un coup d’arrêt à la reconnaissance des répudiations en
France 221 (a.3.).
Seul les garanties pécuniaires accordées à l’épouse furent prises en compte, ce qui laissa certains
auteurs penser, qu’en est en présence « d’ordre public substantiel » 223 voire « d’ordre public au
rabais » 224, car seules les considérations d’ordre financier furent prise en compte abstraction
faite des valeurs égalitaires du for.
Cet arrêt s’inscrit dans une position marquée par un certain libéralisme à l’égard des répudia-
tions, favorisée et confortée par l’adoption de la Convention du 10 août 1981 qui prévoit la re-
connaissance des répudiations dans les mêmes conditions que les autres jugements de divorce
(article 13).
Cette convention, on l’a souligné, a joué un rôle déterminant dans la jurisprudence de la Cour de
cassation en faveur de l’accueil des répudiations marocaines 225.
221
Sous la direction d’Hugues Fulchiron et Cyril Nourissat, Travaux dirigés de droit international privé,
Litec, 3ème édition, p. 151.
222
I. Fadlallah, R.C.D.I.P., 1984, p. 325, Philippe Khan, J.D.I., 1984, p 322.
223
R. El-Husseini Begdache, « Le droit international privé français et la répudiation islamique », L.G.D.J.,
2002, p. 163.
224
Léna Gannagé, « Refus de reconnaître une répudiation marocaine », R.C.D.I.P., 2002, p 730.
225
P. Courbe, « Des conditions de reconnaissance en France d’un jugement de répudiation », note ss Cass,
civ, 1ère, 6 et 26 juin 1990, R.C.D.I.P., 1991, p. 593.
226
La Convention franco-marocaine du 10 août 1981 est en vigueur en France depuis le 13 mai 1983.
227
P.Courbe, Ibid.
a.2. Les limites à la reconnaissance des répudiations : de l’ordre public procédural à l’ordre public
alimentaire en passant par la fraude
Sous l’influence des exigences européennes et internationales relatives à l’égalité entre les
hommes et les femmes 231, la fin des années 80 et les années 90 sont marquées par un reflux de la
permissivité à l’égard des répudiations.
Dans cette espèce, le mari avait répudié sa femme en Algérie pour tenter d’échapper à
l’exécution forcée d’une décision relative à la contribution aux charges du mariage obtenue par
son épouse en France.
L’arrêt Akla du 6 juin 1990 marqua un tournant dans l’accueil en France des répudiations pronon-
cées au Maroc 233. Libérale jusqu’à cette date, la Cour de cassation tranche avec sa jurisprudence
antérieure en fondant son raisonnement sur la notion de « fraude aux conséquences du jugement
français » pour écarter la reconnaissance d’une répudiation obtenue par le mari au Maroc 234.
228
Cass, civ, 1ère, 18 décembre 1979, Dahar, R.C.D.I.P. 1981.88, 2ème espèce, Clunet, 1981.597, note P Khan,
DS 1980.549, note E. Poisson-Drocourt, cité par P. Courbe, « Des conditions de reconnaissance en France
d’un jugement de répudiation », note ss Cass, 1ère civ, 6 et 26 juin 1990, R.C.D.I.P., 1991, p. 593.
229
Cass, civ, 1ère, 6 juillet 1988, R.C.D.I.P., 1989, 733, note M-L. Niboyet-Hoegy, J.D.I., 1989, p. 63, note Fran-
çoise Monéger, cité par L. Gannagé, « La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international pri-
vé », L.G.D.J., 2001, 382 pages, p 221.
230
K. Meziou et A. Mezghani, « Les musulmans en Europe. L’application de la loi nationale au statut per-
sonnel : essai de clarification », Cahiers des droits Maghrébins, 1995, n° 1, p 65 et s., spéc. p 71.
231
La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes du
18 décembre 1979 a été ratifiée par la France le 14 décembre 1983 et le Protocole n° 7 additionnel à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du
4 novembre 1950 a été signé par la France le 22 novembre 1984. Il est entré en vigueur en France le 1er
novembre 1988.
232
Cass, civ, 1ère, 1er mars 1988, Sinay-Cytermann, R.C.D.I.P., 1989, 721, Jacques Massip, Dalloz 1988. J. 486.
233
Cass, civ, 1ère, 6 juin 1990, P. Courbe, R.C.D.I.P., 1991, 593 (1re esp.).
234
Ibid.
L’épouse avait introduit, en effet, une demande en contribution aux charges du mariage en
France et l’époux se prévalait d’un acte de répudiation obtenu au Maroc postérieurement à la
saisine du juge français pour faire échec à l’action de sa femme.
Ces décisions saluées par la doctrine en ce qu’elles freinaient l’accueil des répudiations en France
n’étaient pas exemptent de critiques : le fait de vouloir rompre une union, en dépit d’une condam-
nation à l’entretien du ménage, n’est pas en soi, à l’évidence, un comportement frauduleux et le
mari peut légitimement vouloir divorcer devant les juridictions de son pays d’origine 235.
La Cour de cassation se servit, ensuite, de l’ordre public procédural et alimentaire pour tenter de
mettre un terme à l’accueil des répudiations en France.
Dès lors que l’épouse répudiée n’a pas pu bénéficier des droits de la défense (absence de convo-
cation, …) 236, ou que le montant des pensions accordées à l’épouse et aux enfants apparaît déri-
soire 237, l’ordre public fait obstacle à la reconnaissance de la répudiation.
Par décision en date du 5 janvier 1999, la Cour de cassation estime que l’acte de répudiation
obtenu par le mari au Maroc, selon la loi commune des époux, ne peut pas être reconnu en
France en l’absence d’une convocation effective de l’épouse de nature à assurer le respect des
droits de la défense 238.
La convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 exige que les parties aient été légalement
citées, représentées ou déclarées défaillantes (article 16 b).
Il est important de noter, à ce propos, que l’article 81 du nouveau Code marocain de la famille
pénalise le fait, pour l’époux, d’user de manœuvres frauduleuses en produisant par exemple une
adresse erronée 240.
a.3. Le coup d’arrêt porté par les arrêts du 17 février 2004 ou l’ordre public égalitaire 241
La position adoptée par la Cour de cassation française dans les arrêts du 17 février 2004 avait
connu un précédent dans un arrêt du 1er juin 1994 242. Dans cette décision, la Cour de cassation
235
J. Deprez, « Des conditions de reconnaissance en France d’un jugement de répudiation marocain »,
R.C.D.I.P., 1995, p. 103, v. eg. Cass, civ, 1ère, 23 février 2011 préc.
236
Cass, civ, 1ère, 6 juin 1990 préc., rappr. de Cass, civ, 1ère, 18 décembre 1979, R.C.D.I.P., 1981, p. 88 et ss.
237
Cass, civ, 1ère, 16 juillet 1992 : J. Deprez, J.C.P., 1993, II, n° 22138, p. 402 et s.
238
Cass, civ, 1ère, 5 janvier 1999 : E. Agostini, « Statut personnel : requiem pour l’ordre public », Recueil Dal-
loz, 1999, p. 671.
239
Cass, civ, 1ère, 8 juillet 2010.
240
F. Sarehane, Fasc. 2-1 : « Le statut personnel – droit commun. Capacité. Mariage. Filiation. », Jurisclas-
seur Droit comparé, Cote 01,2009, 6 février 2009.
241
Expression empruntée à R. El-Husseini Begdache, Le droit international privé français et la répudiation
islamique, L.G.D.J., 2002, 305 pages.
Cette jurisprudence fut confirmée, depuis, par les arrêts désormais célèbres du 17 février
2004 243, qui affirmèrent avec force qu’ « une répudiation unilatérale du mari sans donner d’effet
juridique à l’opposition éventuelle de la femme et en privant l’autorité compétente de tout pouvoir
autre que celui d’aménager les conséquences de cette rupture du lien matrimonial, est contraire au
principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage, reconnu par l’article 5 du Protocole
du 22 novembre 1984 ».
Il apparaît aujourd’hui que les répudiations sont, « en tant que telles », contraires à l’ordre public
en droit international car elles sont intrinsèquement inégalitaires, la faculté de répudier étant
exclusivement une prérogative maritale.
Si certains juges du fond persistent à reconnaître des répudiations et qu’ils ne sont pas toujours
sanctionnés dès lors qu’aucun pourvoi en cassation n’est formé à l’encontre de l’arrêt de la cour
d’appel 244, la jurisprudence de la Cour de cassation demeure néanmoins constante depuis ces
arrêts.
Si la solution semble justifiée au plan des principes, elle fut source de vives critiques tenant au
non-respect de la Convention du 10 août 1981, sous l’influence de la Convention européenne des
droits de l’homme 245.
Sans entrer dans le débat relatif à l’articulation des textes internationaux en présence, la Cour de
cassation a préféré prendre soin d’utiliser l’exception d’ordre public, prévue par les conventions
242
J. Deprez, « Des conditions de reconnaissance en France d’un jugement de répudiation marocain »,
R.C.D.I.P., 1995, p. 103.
243
H. Fulchiron, « Requiem pour la répudiation musulmane ? », J.C.P.G., n° 36, 1er septembre 2004, II, 10128,
chronique de P. Courbe, « Le rejet des répudiations musulmanes », Recueil Dalloz, 2004, p. 815, conclusions
de F. Cavarroc, avocat général, « Le rejet des répudiations musulmanes », Recueil Dalloz, 2004, p. 824, S. Da-
vid, « Les répudiation à nouveau dans le collimateur de la Cour de cassation ! » (n°01-11.549), A.J. Famille,
2004, p. 140 et « Accueil des répudiations musulmanes en France : une voie décidément sans issue ! » (n°02-
15.766), A.J. Famille, 2004, p. 141, M-L. Niboyet, « L’avenir du nouveau revirement de la Cour de cassation
sur la reconnaissance des répudiations musulmanes », Gazette du Palais, 4 septembre 2004, n° 248, p. 27, J.
Massip, « Contrariété de la répudiation à l’ordre public », Defrénoix, 15 juin 2004, n° 1, p. 812, H. Peroz, « Du
dernier râle avant trépas des répudiations unilatérales ? », Petites affiches, 5 août 2004, n°156, p 13.
244
Exemple : CA Lyon, 15 décembre 2005, RG 05/03114. Cet arrêt de la Cour d’appel de Lyon en date du
15 décembre 2005 accueille un jugement de répudiation marocain au motif que le principe du contradictoire
a été respecté et que l’épouse a bénéficié de compensation pécuniaire. Ce faisant, les juges d’appel ne tien-
nent pas compte des arrêts du 17 février 2004 et de l’ordre public égalitaire. Le fait que l’épouse soit domici-
liée au Maroc méritait en revanche discussion au plan de l’ordre public de proximité. La domiciliation de
l’épouse au Maroc alors que le mari et les enfants vivent en France empêche-t-elle l’épouse de se prévaloir
des dispositions égalitaires de l’ordre public international français ? La réponse ne semble pas aussi évi-
dente. Un pourvoi en cassation aurait pu permettre à la Cour de cassation de se prononcer sur cette question
mais l’arrêt de la Cour d’appel du 15 décembre 2005 n’a fait l’objet d’aucun pourvoi en cassation.
245
R. El-Husseini Begdache, Le droit international privé français et la répudiation islamique, L.G.D.J., 2002,
p. 221 et ss, L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé, L.G.D.J., 2001,
p. 223 et ss.
La référence à la Convention européenne des droits de l’homme est perçu par certains comme le
signe de « l’hégémonisme » porté par les droits fondamentaux, contraire aux objectifs du droit
international privé et a fortiori du droit international privé conventionnel 247.
La position de la Cour de cassation nous semble, cependant, devoir être approuvée tant au plan
des principes qu’au plan de la technique juridique employée.
En effet, d’une part, le principe d’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas l’apanage des
sociétés occidentales, ainsi que le montrent les mouvements de réformes au Maghreb et dans
bien d’autres pays de droit musulman, d’autre part, le principe d’égalité entre les hommes et les
femmes a valeur constitutionnelle, et aucun texte, fût-ce de droit international, ne saurait y dé-
roger.
Deux auteurs maghrébins ont écrit avec pertinence, à ce propos, que : « la Cour de cassation fran-
çaise revient aujourd’hui sur ces positions et cela est à approuver. En effet, il y a une différence
entre la volonté de normaliser selon les vues occidentales, les sociétés anciennement colonisées et la
prise en compte des évolutions internes à ces sociétés.
S’il est vrai que l’ordre public ne peut être utilisé pour porter des jugements de valeur sur les autres
cultures juridiques, ce qui fut le cas pendant la période coloniale, il est difficile d’exclure ces mêmes
cultures au nom de leur identité nationale, du mouvement universel des idées.
En l’état actuel, la jurisprudence française manifeste au grand jour les méfaits du sociologisme ; les
tendances de certaines jurisprudences occidentales constitueraient une négation du dualisme des
sociétés en transition et surtout du mouvement de réforme qui s’y développe.
Qui peut méconnaître aujourd’hui que coexistent dans les pays d’Islam, deux sociétés, l’une tradi-
tionnelle, l’autre moderne ? Qui peut occulter le fait que le droit est aujourd’hui le terrain d’âpres
luttes entre les traditionalistes et les modernistes ? Qui peut ignorer que ces luttes ont pour objet la
réforme du système juridique par l’adoption de règles assurant l’égalité entre l’homme et la femme,
entre le national et l’étranger, entre le musulman et le non musulman ? » 248.
246
L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé, L.G.D.J., 2001, p. 224.
247
J-P. Marguénaud, « Quand la Cour de cassation française n’hésite plus à s’ériger en championne de la
protection des droits de la Femme : la question de la répudiation », R.T.D.C., 2004, p. 367.
248
K. Meziou et A. Mezghani, « Les musulmans en Europe. L’application de la loi nationale au statut per-
sonnel : essai de clarification », Cahiers des droits Maghrébins, 1995, n° 1, p. 65 et s., spéc. P 71, cité par
Léna Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé, L.G.D.J., 2001, p. 269.
Le constat général en jurisprudence française est que, même après 2004, le divorce sous con-
trôle judiciaire demeure marquée par sa contrariété à l’ordre public en droit international. Ce-
pendant des voix se sont élevées, depuis les réformes, en faveur de la reconnaissance des répu-
diations en France au motif que d’autres types de divorces ont été ouverts aux époux en droit
marocain, notamment le divorce pour discorde, qui permet à l’épouse de se libérer du mariage
sans en invoquer les motifs 249.
Avant de donner l'autorisation, le tribunal convoque les époux et procède à une tentative de
conciliation (article 81).
Si la réconciliation est impossible, le tribunal fixe un montant que l'époux doit déposer au secré-
tariat-greffe dans un délai de 30 jours. Ce montant comprend le reliquat du sadaq, la pension du
délai de viduité et le don de consolation ainsi que le droit au logement (article 84).
Il s'agissait désormais de savoir quel accueil la Cour de cassation française allait réserver aux
nouvelles dispositions marocaines en matière de répudiation.
L'occasion de se prononcer sur le nouveau divorce sous contrôle judiciaire se présenta à la Cour
de cassation dans une affaire du 4 novembre 2009 250. Se situant dans la continuité de sa juris-
prudence antérieure, la Cour de cassation écarte le jugement marocain pour contrariété au prin-
cipe d’égalité des époux.
249
K. Zaher, « Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains, A propos de l'arrêt de la première
chambre civile du 4 novembre 2009 », R.C.D.I.P., 2010, p. 313.
250
Arrêt n° 08-20.574. A Boiché, « Contrariété à l'ordre public international d'un divorce prononcé au
Maroc en application des articles 78 à 93 du code de la famille », note ss arrêt rendu par Cass, civ, 1ère,
4 novembre 2009, A.J. Famille, 2010 p. 86 ; K. Zaher, op. cit., p. 313 ; G. Lardeux, « Ordre public internatio-
nal et nouveau droit marocain de la famille », Recueil Dalloz, 2010, p. 543, E. Pouliquen, « Quand l’ordre
public international s’oppose à la reconnaissance d’un jugement étranger », Lamy droit civil, n° 67, 3688,
2010, p. 47.
L’arrêt attaqué déclare recevable la demande en divorce de l’épouse au motif que le divorce ma-
rocain est contraire à l’ordre public international puisque le mari peut obtenir le divorce sans
que l’épouse ne puisse s’opposer à la demande, l’intervention du juge étant limité aux consé-
quences de la séparation lorsque la tentative de conciliation a échoué, que l’épouse ne peut saisir
le tribunal d’une demande similaire que si elle y a été autorisée par le mari, enfin que les deux
époux vivent sur le territoire français.
Au terme d’un contrôle appuyé des motifs, la Cour de cassation confirme l’analyse de la Cour
d’appel en prenant soin de rappeler la règle prétorienne désormais célèbre des arrêts du
17 février 2004 selon laquelle « la décision d’une juridiction étrangère constatant une répudiation
unilatérale par le mari sans donner d’effet juridique à l’opposition éventuelle de la femme et pri-
vant l’autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d’aménager les conséquences financières
de cette rupture du lien matrimonial, est contraire au principe d’égalité des époux lors de la disso-
lution du mariage énoncé par l’article 5 du protocole du 22 novembre 1984 n° VII, additionnel à la
Convention européenne des droits de l’homme (…) et donc à l’ordre public international (…) ».
L'accès à ce mode de dissolution du mariage reste une prérogative maritale et, sur ce point, la
réforme marocaine est restée fidèle à la tradition 251.
Le pourvoi était fondé sur le fait que la Cour d'appel aurait du « rechercher si les différentes pro-
cédures de divorce prévues par le code de la famille marocain du 5 février 2004 et ouvertes, selon
les cas, à l'époux ou à l'épouse, n'assurent pas, globalement, une égalité des époux lors de la dissolu-
tion du mariage ».
Certains juges du fond ont pris en considération, en effet, le fait que la réforme marocaine a ou-
vert à l'épouse d'autre types de divorce et notamment la possibilité de divorcer sans motif pour
considérer que, globalement, l'égalité était rétablie et accueillir une répudiation marocaine. Par
arrêt en date du 14 mai 2009, la Cour d’appel de Lyon avait accueilli un divorce sous contrôle
judiciaire au motif qu’« il est inexact de dire que le jugement de divorce rendu au Maroc (…) ne
respecterait pas le principe d’égalité des époux, lors de la dissolution du mariage, au motif que seul
l’époux peut recourir au divorce sous contrôle judiciaire et que l’épouse ne pourrait l’exercer que si
l’époux lui consent le droit d’option au divorce. En effet, le nouveau code de la famille marocain
entré en vigueur le 5 février 2004 prévoit des cas de dissolution du lien conjugal, à la demande de la
femme » 252.
251
F. Sarehane, « Le nouveau Code marocain de la famille », Gazette du palais, recueil septembre-octobre
2004, p. 2792 et ss.
252
Cour d’appel de Lyon, 14 mai 2009, R.G. : 08/05552.
Les débats suscités par la question de la réception du divorce sous contrôle judiciaire montrent
que plusieurs lectures du droit étranger s’affrontent 256.
Pour certains, il convient de procéder à une lecture globale du droit étranger pour voir si, dans
son ensemble, il ne respecterait pas les exigences de l’ordre public en droit international. Les
partisans de cette lecture sont favorables à la reconnaissance de la répudiation marocaine
puisque l’épouse dispose d’un droit équivalent à celui du mari avec le divorce pour discorde.
Pour d’autres en revanche, il convient de « segmenter les institutions étrangères » 257 et de les con-
fronter les unes après les autres aux exigences de l’ordre public en droit international privé, ce
qui revient à considérer que la répudiation marocaine est contraire à l’ordre public.
Une telle position nous paraît justifiée au regard de l’appréciation in concreto de l’ordre public.
En effet, seuls les effets de la décision étrangère doivent être confrontés in concreto aux valeurs
du for 258.
Le fait que d’autres dispositions prises dans le droit étranger soient plus égalitaires devrait, nous
semble-t-il, être indifférent.
Cette lecture laisse cependant planer certaines zones d’ombre. D’où la tentation de contrôle de la
conformité de chacune des dispositions du droit marocain de la famille ayant trait aux droits et
actions ouverts à l’épouse, uniquement !
A notre connaissance, la Cour de cassation, ne s’est pas encore prononcée sur telle question mais il
serait intéressant de savoir comment elle se positionnerait si elle était saisie par un mari d’une
demande tendant à l’application du droit français à l’encontre d’un divorce pour cause obtenu par
l’épouse au Maroc ou en raison de l’absence de garanties pécuniaires allouées à l’époux au Maroc.
253
K. Zaher, « Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains, A propos de l'arrêt de la première
chambre civile du 4 novembre 2009 », R.C.D.I.P., 2010, p. 313.
254
G. Lardeux, « Ordre public international et nouveau droit marocain de la famille », Recueil Dalloz, 2010,
p. 543.
255
F. Sarehane, « Le nouveau code marocain de la famille », Gazette du palais, recueil septembre-octobre
2004, p. 2792 et ss.
256
Propos conclusifs de Michel Farge lors du colloque Le droit français à la rencontre des statuts person-
nels des deux rives de la Méditerranée, mardi 22 novembre 2011, Maison de l’avocat, Grenoble.
257
Ibidem.
258
D. Bureau, H. Muir Watt, Droit international privé, Tome I, Partie générale, Thémis droit, PUF, 2007, p. 255.
259
X. L’abbé, « Comment le droit français appréhende-t-il la séparation marocaine ? », Droit de la famille,
n° 7, juillet 2012, comm. 130.
260
Gwendoline Lardeux, « Ordre public international et nouveau droit marocain de la famille », Recueil
Dalloz, 2010, p. 543.
261
La faiblesse de l’argument est relevée pour plaider en faveur de la reconnaissance des répudiations en
France : v. Khalid Zaher, « Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains. A propos de l’arrêt de
la première chambre civile du 4 novembre 2009 », R.C.D.I.P., 2010, p. 313.
262
M-C. Foblets, J-Y. Carlier, Le Code marocain de la famille, Incidences au regard du droit international
privé en Europe, Brussels, Bruylant, 2005, p. 58.
263
Ibidem, v. eg. F. Sarehane, « Le nouveau Code marocain de la famille », Gazette du Palais, recueil sep-
tembre-octobre 2004.
Elle intègre ainsi, dans son conclusif, le nouveau rôle du juge dans la tentative de conciliation,
afin peut-être de mieux réaffirmer que cela n’ôte en rien le caractère inégalitaire de cette forme
de divorce.
Cet argument avait déjà été relevé par la Cour de cassation par motifs adoptés dans la décision
du 4 novembre 2009. La Cour d’appel de Caen, dont l’arrêt du 4 septembre 2008 avait fait l’objet
du pourvoi ayant donné lieu à rejet, retenait en effet que « l’intervention du juge, au regard des
art.83 et 84 du code (marocain), étant limitée aux conséquences de la séparation lorsque la tenta-
tive de conciliation a échoué ».
Cela montre, à notre sens, que les juges français sont attentifs aux implications de la réforme de
la procédure de répudiation au Maroc, mais qu’ils ont choisis de se montrer fermes sur les prin-
cipes invoqués.
L’exception d’ordre public, pour être déclenchée, reste néanmoins subordonnée à l’exigence que
l’épouse répudiée entretienne un lien suffisamment étroit avec le territoire français. L’exigence
de proximité semble cependant appréciée de manière élargie par la Cour de cassation 265.
Il y a lieu de faire référence à la notion de lien de la situation juridique avec la France (a) avant
de rappeler le traitement de faveur réservée à l’épouse française par la convention (b),
L’exception d’ordre public en droit international prend en compte le statut personnel des
femmes migrantes et seules celles qui présentent des liens suffisamment étroits avec la France
peuvent se valoir du principe d’égalité entre les hommes et les femmes 266.
La protection des femmes migrantes dépend donc de leur rattachement au territoire français, de
part leur nationalité française ou leur résidence en France.
264
La Cour d’appel de Lyon avait accueilli les prétentions de Monsieur au motif que la décision respecte
l’égalité des époux, même s’agissant d’une répudiation unilatérale, au motif que le nouveau Code maro-
caine de la famille prévoit des cas de dissolution du lien conjugal à la demande de la femme (Cour d’appel,
arrêt du 14 mai 2009).
265
Allocution orale de Me R. Rahache, avocate, « Focus : le sort des répudiations », présentée lors du col-
loque Le droit français à la rencontre des statuts personnels des deux rives de la Méditerranée, mardi
22 novembre 2011, Maison de l’avocat, Grenoble.
266
F. Monéger, « La polygamie en questions », J.C.P. G., n° 37, 12 septembre 1990, I 3460.
267
M. Farge, « Quel degré de proximité avec la France justifie l’intervention de l’ordre public pour faire
échec aux répudiations musulmanes ? », Droit de la famille, n° 4, avril 2007, comm. 95.
268
Article 1 de la Convention européenne des droits de l’homme « Les Hautes Parties contractantes re-
connaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la pré-
sente convention ».
269
Cass, civ, 1ère, 10 mai 2006 : A. Boiché, « Dissolution du mariage : la répudiation unilatérale est con-
traire au principe d’égalité des époux », Recueil Dalloz, 2006, p 1481, Tristan Azzi, « Précisions sur l’ordre
public de proximité », J.C.P.G., n°41, 11 octobre 2006, II, 10165.
270
T. Azzi, « Précisions sur l’ordre public de proximité », J.C.P.G., n° 41, 11 Octobre 2006, II, 10165.
La formule utilisée dans cette décision est intéressante. Au lieu de se référer simplement à l’ordre
public en droit international, ou à l’ordre public français, la Cour de cassation se réfère à l’ordre
public « dont les époux avaient choisi de devenir les nationaux », ce qui révèle que le lien de proximi-
té avec la situation est ici déduit du choix des époux d’acquérir la nationalité française272.
Le choix de la nationalité française impliquant « l’adhésion volontaire des époux à une nouvelle
communauté, donc aux valeurs que se partagent ses membres », la Cour de cassation refuse par
ailleurs que le mari étranger puisse se prévaloir d’une répudiation qui contrevient à ces mêmes
valeurs 273.
Déjà, dans un arrêt du 22 avril 1986, la Cour de cassation s’était fondée sur le fait que l’époux
était français au moment où il avait répudié l’une de ces épouses pour refuser de reconnaître la
répudiation 274. La nationalité française du mari et/ou de sa femme permet donc de justifier
l’intervention de l’ordre public à l’encontre des répudiations marocaines.
Dans la seconde décision (n° de pourvoi 02-11.618), elle avait invoqué le fait que « la femme,
sinon même les deux époux, étaient domiciliés sur le territoire français ». Dans ces deux affaires,
les époux étaient de nationalité algérienne.
Dans un arrêt antérieur du 1er juin 1994, la Cour de cassation avait relevé que les époux sont
« tous deux ressortissants marocains domiciliés en France » 275.
Dans ces trois arrêts, l’intervention de l’ordre public eut comme fondement la domiciliation des
deux époux en France, en dépit de leur nationalité étrangère 276.
Dans un arrêt du 7 juin 2006, la Cour de cassation rappelle que la répudiation est contraire à
l’ordre public international dès lors que « les parties ont leur domicile en France ». Dans cette
espèce, les deux époux, de nationalité marocaine, étaient domiciliés en France 277.
271
B. Audit, « Des époux marocains ayant choisi la nationalité française avant l’acte de répudiation, leur
mariage ne peut être dissous que par application de la loi française et la reconnaissance de la répudiation
de la femme est contraire à l’ordre public français », Recueil Dalloz, 1993, p. 349, Patrick Courbe, « De la
répudiation dans un couple marocain ayant acquis la nationalité française », R.C.D.I.P., 1993, p. 684.
272
P. Courbe, « De la répudiation dans un couple marocain ayant acquis la nationalité française », R.C.D.I.P.,
1993, p. 684.
273
P. Courbe, « De la répudiation dans un couple marocain ayant acquis la nationalité française », op.cit.,
p. 684.
274
Cass, civ, 1ère 22 avril 1986 : P. Courbe R.C.D.I.P., 1987, p 374, Philippe Kahn, J.D.I., 1987, p 629.
275
J. Deprez, « Des conditions de reconnaissance en France d’un jugement de répudiation marocain », Cour
de cassation 1ère civ, 4 mai et 1er juin 1994, R.C.D.I.P., 1995, p. 103.
276
M. Farge, « Quel degré de proximité avec la France justifie l’intervention de l’ordre public pour faire
échec aux répudiations musulmanes ? », Droit de la famille, n° 4, avril 2007, comm. 95.
277
Cass, civ, 1ère, 7 juin 2006, n° 04-17.219.
On y lit, en effet, que : « la répudiation (…) est contraire au principe d’égalité des époux (…), et
donc à l’ordre public international ; que l’arrêt retient d’abord que le divorce des époux B./El.K. est
le « divorce sous contrôle judiciaire (…) » ; enfin, que « les deux époux vivent sur le territoire fran-
çais ; (…) ».
Ce choix didactique, qui met en avant l’analyse du droit étranger à l’aune du principe d’égalité
entre les hommes et les femmes, semble amoindrir du même coup l’exigence de proximité que la
situation entretien avec le for. Sans doute faut-il y voir ici un autre signe de la position inflexible
de la Cour à l’égard des répudiations.
Dans un arrêt du 18 mai 2011, la Cour de cassation relève que les époux sont « domiciliés sur le
territoire français » pour refuser à nouveau la reconnaissance du divorce sous contrôle judiciaire
prononcé au Maroc 279. Et, aux termes de son visa, la répudiation unilatérale est contraire au
principe d’égalité, « et donc à l’ordre public international, spécialement lorsque les deux époux sont
domiciliés en France ».
Elle reprend ainsi la formule énoncée plus haut en matière de nationalité « spécialement lorsque
les deux époux sont de nationalité française » (1ère chambre civile de la Cour de cassation, 10 mai
2006). Le terme « spécialement » pourrait indiquer que la solution retenue serait la même si un
seul des époux vivait en France, voir que d’autres types de rattachements sont possibles.
Cela étant, l’épouse répudiée pourra-t-elle se prévaloir des dispositions égalitaires de l’ordre
public en droit international si elle n’habite plus en France ? Où si elle n’habitait pas en France
au moment de la répudiation ? A quel moment faut-il apprécier l’intensité des liens avec le terri-
toire français ? Faut-il retenir la notion de domicile ou de résidence ? D’autres critères que la
nationalité ou le domicile peut-ils être pris en compte ?
Ces questions présentent un intérêt bien plus que théorique lorsque l’on considère la situation
des femmes migrantes, qui, en plus de difficultés familiales, peuvent se retrouver en butte avec
des difficultés liées à l’entrée et au séjour en France.
On pense ici notamment à la femme dont le conjoint profite d’un séjour dans le pays d’origine
pour lui dérober le titre de séjour, la répudiant dans la foulée. Il ne s’agit pas de cas isolés et la
278
Cass, civ, 1ère, 4 novembre 2009 : Alexandre Boiché, « Contrariété à l’ordre public international d’un
divorce prononcé au Maroc en application des articles 78 à 93 du code de la famille », A.J. Famille, 2010,
p. 86, I. Gallmeister, « Nouveau code marocain de la famille : répudiation », Recueil Dalloz, 2010, p. 543,
Gwendoline Lardeux, « Ordre public international et nouveau droit marocain de la famille », Recueil Dalloz,
2010, p. 543, Khalid Zaher, « Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains – A propos de
l’arrêt de la première chambre civile du 4 novembre 2009 », R.C.D.I.P., 2010, p. 313, Elodie Pouliquen,
« Quand l’ordre public international s’oppose à la reconnaissance d’un jugement étranger- A propos de
cass, 1ère civ., 4 nov. 2009 », Revue Lamy droit civil, 2010, n° 67, 3688, p. 47.
279
Cass, civ, 1ère 18 mai 2011, 10-19.750.
Les femmes qui n’ont pas pu bénéficier des dispositions favorables de cette loi et/ou dont le titre
de séjour a expiré, n’ont cependant d’autre choix que de demeurer dans le pays d’origine.
L’épouse ainsi répudiée pourra-t-elle alors saisir la juridiction française pour demander l’inop-
posabilité de la répudiation en France ?
Certaines décisions apportent des éléments de réponse, tout en laissant subsister des interroga-
tions.
Dans un arrêt du 20 septembre 2006, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour avoir donné
effet à une répudiation au motif que l’épouse répudiée n’avait vécu que 3 mois en France avec
son mari avant de repartir en Algérie alors que « le mari, de nationalité française, est domicilié en
France, et que son épouse, actuellement domiciliée en France, a agi en contribution aux charges du
mariage » 280.
Outre un rattachement strictement territorial et national, cette décision s’est appuyée sur un
« faisceau de circonstances » 281 permettant d’évaluer le lien de proximité de l’épouse répudiée avec
la France : la nationalité française du mari, son domicile, mais aussi, le domicile actuel de l’épouse
et le fait qu’elle ait saisi une juridiction française en contribution aux charges du mariage.
Ces liens doivent normalement s’apprécier au jour du prononcé de la répudiation mais, en l’espèce,
certains indices étaient antérieurs au prononcé de la répudiation, d’autres, postérieurs 282.
La Cour de cassation a par ailleurs tenu compte d’éléments tels que la saisine du juge français
appelé à se prononcer sur la régularité de la décision étrangère 283.
Cela assure ainsi une égalité dans la protection offerte aux femmes répudiées, qu’elle soit de
nationalité française ou étrangère.
280
Cass, civ, 1ère, 20 septembre 2006 : M. Farge, « Quel degré de proximité avec la France justifie l’inter-
vention de l’ordre public pour faire échec aux répudiations musulmanes ? », Droit de la famille, n° 4, avril
2007, comm. 95, A. Boiché, « Répudiations : la Cour de cassation maintient le cap, la Cour d’appel de Paris
marche dans son sillage », A.J. Famille 2007, p. 139.
281
M. Farge, « Quel degré de proximité avec la France justifie l’intervention de l’ordre public pour faire
échec aux répudiations musulmanes ? », Droit de la famille, n° 4, avril 2007, comm. 95.
282
Ibidem.
283
Ibidem.
La réforme du Code marocain de la famille a eu un impact important sur la réception des déci-
sions marocaines en France (a). Cependant, la Cour de cassation française fait preuve de cons-
tance quant aux exigences relatives au principe d’égalité entre époux (b).
2.2.1. La rupture discrétionnaire, mais égalitaire, du lien conjugal n’est pas contraire à
l’ordre public
Par arrêt en date du 23 février 2011 précité, la Cour de cassation reconnaît le nouveau divorce
pour discorde et rappelle que les juridictions marocaines sont compétentes dès lors que les deux
époux ont tous deux la nationalité marocaine : « qu’ayant relevé, (…) d’autre part, que le divorce
prononcé au Maroc était un divorce pour discorde en application de l’article 97 du code de la fa-
mille marocain (…) la cour d’appel a pu en déduire que, même si M. Y. s’est opposé à la procédure
de contribution aux charges du mariage, le jugement du tribunal d’Agadir n’avait pas été obtenu
par fraude, M. Y. (…) ayant pu légitimement souhaiter divorcer devant les juridictions marocaines,
de sorte que cette décision qui ne constatait pas une répudiation unilatérale pouvait être transcrite
sur les registres d’état civil (…) » 284.
a. Le caractère égalitaire
Le divorce pour discorde est une des innovations majeures du nouveau Code marocain de la
famille 285. Prévu au chapitre I du titre IV du nouveau code, il s’agit d’un divorce judiciaire sur
demande de l’un ou l’autre des époux pour raison de discorde.
Le Guide pratique du code indique que la discorde est « le différent profond et permanent qui
oppose les deux conjoints au point de rendre impossible la continuité du lien conjugal » 286.
L’article 97 du Code prévoit qu’en cas d’impossibilité de conciliation et lorsque la discorde per-
siste, le juge prononce le divorce dans un délai maximum de 6 mois à compter de l’introduction
de la demande.
Ce type de divorce étant accessible aussi bien à l’homme qu’à la femme, il ne pose pas de difficul-
té au regard de l’ordre public en droit international privé. Il a rapidement été avancé qu’il pour-
rait être reconnu en Europe et même y être prononcé lorsque la loi marocaine commune des
deux époux est applicable 287.
L’arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2011 confirme cette analyse. Le divorce pour dis-
corde apparaît en effet égalitaire, tant au niveau de son régime procédural qu’au niveau des
284
Cass, civ, 1ère, 23 février 2011 : A. Boiché, « Abandon du principe de la primauté de la nationalité du for
et reconnaissance d’une décision de divorce étrangère », A.J. Famille, avril 2011, 210, Laurent Abadie,
« L’appréciation du caractère frauduleux du choix de la juridiction étrangère dans le contentieux de la
reconnaissance d’un jugement étranger doit s’opérer étroitement », Droit de la famille, n° 5, mai 2011,
comm. 88, I. Gallmeister, « Jugement de divorce marocain : transcription sur les registres d’état civil »,
Dalloz actualités, 8 mars 2011.
285
M-C. Foblets, J-Y. Carlier, Le Code marocaine de la famille, Incidences au regard du droit international
privé en Europe, Brussels, Bruylant, 2005, p 63.
286
Guide pratique du code de la famille, ss art. 95.
287
M-C. Foblets, J-Y. Carlier, Op.cit. p. 65.
Cela étant, l’apport de l’arrêt se situe également à un autre niveau : il enseigne que la rupture
discrétionnaire et sans délai d’une union est conforme à la conception française de l’ordre public
en droit international. Cette conception de la dissolution du mariage n’a pas toujours été en vi-
gueur dans l’ordre juridique français.
La loi du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce, avait établi quatre cas de divorce : le divorce
par consentement mutuel avec ses deux variantes, sur demande conjointe ou demandé par un
époux et accepté par l’autre, le divorce pour rupture de la vie commune et le divorce pour faute.
La loi du 26 mai 2004 relative au divorce a, selon certains auteurs, consacré un véritable droit au
divorce en remplaçant le divorce pour rupture de la vie commune par le divorce pour altération
définitive du lien conjugal 290.
Ce nouveau type de divorce permet aux époux de divorcer sans avoir à invoquer de cause et sans
avoir à supporter les charges du divorce, dès lors que le juge constate une cessation de commu-
nauté de vie entre les époux depuis deux ans lors de l’assignation en divorce (articles 237 et 238
du Code civil).
En cela, la loi du 26 mai 2004 reconnaît aux époux la liberté de mettre fin de manière unilatérale
au lien conjugal, en dépit du refus de l’autre conjoint et sans qu’il puisse se protéger derrière la
« clause de dureté » qui permettait au juge, sous l’empire de la loi du 11 juillet 1975 portant ré-
forme du divorce, de refuser de dissoudre l’union dès lors que le divorce aurait eu des consé-
quences d’une exceptionnelle gravité pour l’autre conjoint.
La comparaison avec la répudiation sous la forme que l’on rencontre dans les pays de droit ara-
bo-musulmans n’a pas manqué d’être faite et pour certains, la loi du 26 mai 2004 a fait entrer la
répudiation dans le droit français 291.
Deux différences subsistent néanmoins selon nous : celle du délai et du rôle du juge.
En droit français, la rupture de l’union est subordonnée à la cessation de la communauté de vie
depuis plus de deux ans, appréciée souverainement par le juge, durant lequel l’autre époux peut
s’opposer au divorce.
Il demeure donc permis de s’interroger sur la conformité du caractère discrétionnaire et sans délai
de la rupture à l’ordre public en droit international, une fois purgée de son caractère inégalitaire.
288
K. Zaher, « Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains, A propos de l’arrêt de la première
chambre civil du 4 novembre 2009 », R.C.D.I.P., 2010, p 313.
289
Ibidem.
290
P. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, 3ème édition, Defrénois, 2009, p. 228 et ss.
291
H. Fulchiron, « Droits fondamentaux et règles de droit international privé : conflits de droits, conflits de
logiques ? L’exemple de l’égalité des droits et responsabilités des époux au regard du mariage, durant le
mariage et lors de sa dissolution », in Frédérique Sudre (dir.), Le droit au respect de la vie familiale au sens
de la Convention européenne des droits de l'homme, Nemessis-Bruylant 2002, p. 353, spéc. p. 376, v. eg.
K. Zaher, « Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains, A propos de l’arrêt de la première
chambre civil du 4 novembre 2009 », R.C.D.I.P., 2010, p 313.
Cela laissait entendre qu’outre le caractère inégalitaire de la répudiation, son caractère discré-
tionnaire posait également problème. La loi marocaine qui introduit le divorce pour discorde,
ouvert aux deux époux, conduit à se pencher de plus prêt sur cette question.
La loi marocaine apparaît plus permissive que la loi française et la question de savoir si la rup-
ture discrétionnaire et sans délai du lien conjugal était conforme à l’ordre public international
restait donc posée.
L’arrêt du 23 février 2011 enseigne qu’une fois débarrassé de toute contrariété au principe
d’égalité des époux, le divorce discrétionnaire et sans délai est conforme à l’ordre public, ce qui
apparaît, au regard des évolutions en droit interne, somme toute assez prévisible.
Dans un arrêt du 10 mai 2006, la Cour de cassation avait également jugé que « n’est pas contraire
à l’ordre public international le prononcé du divorce, selon la loi étrangère applicable, au seul cons-
tat de la cessation de toute cohabitation entre les époux pendant plus d’un an » 294.
Il est vrai que les délais ne mettent en général pas en cause la conception française de l’ordre
public.
La question de la conformité à l’ordre public d’un divorce en cas de « délai excessivement bref de
quelques semaines ou d’un petit nombre de mois » se posait cependant 295.
A fortiori, la possibilité de divorcer sans motif et en l’absence totale de délai pouvait susciter des
questionnements. Il semble néanmoins que la Cour de cassation, se situant dans une conception
particulièrement libérale du divorce, ne se soit pas souciée de cette question en l’espèce.
Au plan alimentaire, la loi marocaine a évolué avec l’entrée en vigueur de la réforme du Code de
la famille.
292
I. Fadlallah, R.C.D.I.P. 1977, p. 725.
293
H. Gaudemet-Tallon, R.C.D.I.P. 1989, p. 89.
294
Cass, civ, 1ère, 10 mai 2006 : observations T. Garé, R.J.P.F. 2006-9/29, p 17, cité par A. Devers, « Applica-
tions du droit international privé au couple », in Droit de la famille, Dalloz Action, 4ème édition, novembre
2007, 424.173, p 1168.
295
H. Gaudemet-Tallon, « Divorce prononcé en France », Jurisclasseur Divorce, 04, 2008, 1er décembre 2007.
En l’absence de dispositions spécifiques sur la loi applicable aux obligations alimentaires décou-
lant du mariage dans la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 (les obligations alimen-
taires entre époux sont régies par l’article III de la convention franco-marocaine qui ne com-
porte pas de règles de conflits de lois)297, la loi marocaine avait vocation à être appliquée par le
juge français en application de l’article 8 de la Convention de la Haye du 2 octobre 1973 sur la loi
applicable aux obligations alimentaires lorsque cela concernait des obligations alimentaires
après divorce.
Cet article disposait que « la loi appliquée au divorce régit, dans l'Etat contractant où celui-ci est
prononcé ou reconnu, les obligations alimentaires entre époux divorcés et la révision des décisions
relatives à ces obligations ».
Avec l’entrée en vigueur de ce texte, L’article 3-1 du Protocole désigne la loi de la résidence habi-
tuelle du créancier d’aliments.
Une épouse marocaine vivant en France peut donc demander, sur la base de cet article, une pres-
tation compensatoire de droit français. Cette disposition ne devrait pas poser de problème au
regard des conditions de reconnaissance et d’exécution des jugements marocain en matière
d’aliments en France 298
L’article 5 du Protocole contient par ailleurs une règle spéciale concernant les obligations ali-
mentaires entre époux et ex-époux.
Il dispose, en effet, que la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments s’efface, lors-
qu’une des parties le demande et que le mariage présente des liens plus étroits avec une autre
loi, notamment celle de la dernière résidence habituelle des époux 299.
296
M-C. Foblets, J-Y. Carlier, Le Code marocaine de la famille, Incidences au regard du droit international
privé en Europe », Brussels, Bruylant, 2005, p. 102.
297
Cour de cassation, 23 janvier 2007 : elle considère que l’article 7 de la convention franco-marocaine du
10 août 1981 n’est pas applicable aux obligations alimentaires découlant de relations entre époux (il
s’agissait en l’espèce d’une action en contribution aux charges du mariage) : v. A. Boiché, « Loi applicable aux
obligations alimentaires découlant du mariage de deux époux marocains domiciliés en France », A.J. Famille
2007, p. 314, C. Delaporte-Carré, « Loi applicable en matière d’action en contribution aux charges du ma-
riage », Recueil Dalloz, 2007, p 511, P. Lagarde, « Loi applicable aux obligations alimentaires découlant du
mariage de deux époux marocains domiciliés en France », R.C.D.I.P., 2007, p. 402, S. Valory, « La loi applicable
à un litige franco-marocain relatif à la contribution aux charges du mariage est déterminée par la Convention
de la Haye du 2 octobre 1973 sur les obligations alimentaires », Personnes et familles, 2007, n° 3, p. 30.
298
Cf supra.
299
A. Bonomi, Rapport explicatif, Protocole de la Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obli-
gations alimentaires, Bureau permanent, HCCH, octobre 2009, p 21.
L’article 5 cite notamment la loi de l’ancienne résidence habituelle des époux mais le rapport
explicatif révèle qu’il peut aussi s’agir de la loi de la nationalité commune 300. Sur la base l’arti-
cle 5 du Protocole, on peut imaginer que la loi marocaine pourra être invoquée par des époux
marocains vivant en France 301.
La question de la conformité du droit marocain au droit français sera alors examinée par le juge
français saisi de la demande en divorce.
La reconnaissance ne peut être refusée lorsque le tribunal qui a rendu la décision est celui de la
résidence habituelle du créancier d’aliments, et qu’il a appliqué la loi de la résidence habituelle
du créancier d’aliment.
La décision doit néanmoins respecter les conditions prévues par les articles 16 et 17 de la Con-
vention du 5 octobre 1957 d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur des jugements et d’extradition
et notamment être en conformité avec l’ordre public de l’Etat dans lequel la reconnaissance ou
l’exécution est demandée.
Ainsi, la validité du jugement marocain accordant une pension alimentaire à l’épouse sera ap-
préciée par le juge français à l’aune des exigences de l’ordre public international.
L’ordre public alimentaire a une importance particulière dans le cadre de la protection accordée
par le droit français aux ex-époux divorcés à l’étranger. Pendant un certain temps, il a été utilisé
pour faire barrage à la reconnaissance des répudiations 302.
La Cour de cassation avait admis que la loi marocaine ne permettait pas à l’épouse d’obtenir
d’allocation suffisante après le divorce et était de ce fait contraire à l’ordre public en droit inter-
national.
300
Ibidem, p. 22.
301
Cour de cassation, 11 mars 2009 : dans cette espèce, aucune des parties n’avait sollicité l’application du
droit marocain à la question de l’obligation alimentaire après divorce. Les juges de première instance
avaient alloués une prestation compensatoire à l’épouse sur la base du droit français et la Cour d’appel
n’avait été saisie par le mari que sur le montant de la prestation. La Cour de cassation rappelle que les
droits alimentaires étant disponibles, les juges n’étaient pas tenus de mettre en œuvre le conflit de loi et
pouvait appliquer la loi française, v A. Boiché, « Mise en œuvre ou non de la loi étrangère en cas de divorce
ou de mesures financières post-divorce », A.J. Famille, 2009, p. 220, Alain Devers, « L’accord procédural
des époux sur la compensation du divorce », Recueil Dalloz, 2009, p. 2084, P. Hammje, « L’accord procédu-
ral des époux sur la compensation du divorce », R.C.D.I.P., 2010, p. 344, M. Farge, « L’office du juge et la
règle de conflit : rappels à l’ordre et affirmation du caractère disponible du droit à compensation pécu-
niaire après divorce », Droit de la famille, n° 6, juin 2009, comm. 81, F. Boulanger, « La soumission à la loi
française des effets pécuniaires d’un divorce relevant de la loi marocaine », J.C.P.G., 31 août 2009, 190.
302
Versailles, 9 octobre 1989, Dalloz, 1989, somm., p. 99.
A contrario, dans un arrêt du 3 juillet 2001, la Cour de cassation avait reconnu une répudiation
au motif que le jugement algérien « avait garanti des avantages financiers à l'épouse en condam-
nant le mari à lui payer des dommages et intérêts pour divorce abusif, une pension de retraite lé-
gale et une pension alimentaire d'abandon » 304.
Cette jurisprudence a été abandonnée mais la question de l’ordre public alimentaire demeure,
dès lors qu’il ne s’agit pas d’une répudiation.
Dans un arrêt du 28 novembre 2006, la Cour de cassation a considéré que la loi étrangère qui ne
prévoit pas d’allocation « suffisante » après le divorce est également contraire à l’ordre public 305.
La loi marocaine alors applicable (avant la réforme de 2004) ne prévoyait pas de pension ali-
mentaire pour l’épouse divorcée après le délai de viduité.
Plusieurs compensations financières s’offrent désormais à l’épouse dans le nouveau Code maro-
cain de la famille : « le reliquat du Sadaq, le cas échéant, la pension due pour la période de viduité
(Idda) et le don de consolation (Mout’â) qui sera évalué en fonction de la durée du mariage, de la
situation financière de l’époux, des motifs du divorce et du degré d’abus avéré dans le recours au
divorce par l’époux » et le logement (article 84 du Code marocain de la famille).
Ces compensations en faveur de l’épouse sont censées s’offrir aussi bien en cas de divorce par
répudiation qu’en cas de divorce pour discorde ou pour cause déterminées 306.
En pratique cependant, dans un arrêt de principe, très récent, la cour suprême a refusé
d’accorder le don de jouissance (la mout’â) à une épouse qui fut à l’initiative de la demande de
divorce pour discorde 307.
En effet, la cour suprême rappelle dans son principal attendu que la mout’â n’est due qu’en cas
de répudiation (divorce sous contrôle judiciaire : Talaq) ou de divorce judiciaire (tatliq) pronon-
cé à la demande de l’époux.
En revanche l’épouse ne peut prétendre à la mout’â lorsque le divorce pour discorde a été pronon-
cé à sa demande. Elle n’a droit qu’à la réparation du préjudice causé par la rupture lorsque la res-
ponsabilité de l’époux est établie en application des règles de la responsabilité civile délictuelle.
303
J. Deprez, J.C.P. G., 1993, II, 22138, P. Courbe, R.C.D.I.P., 1993, p. 269, J. Massip, Defrénois 1993, p. 292.
304
Cour de cassation, 3 juillet 2001 : P. Kahn, « A propos de l’arrêt de la Cour de cassation, chambre civile
1, du 3 juillet 2001 », J.D.I., 2002, n° 1, p. 182, T. Vignal, « Reconnaissance en France d’un divorce étranger
par répudiation unilatérale », J.C.P. G., n° 10, 6 mars 2002, II, 10039, M-L. Niboyet, « La Cour de cassation
répudie sa propre jurisprudence sur les répudiations musulmanes », Recueil Dalloz, 2001, p. 3378, L. Gan-
nagé, « L’ordre public ne s’oppose pas à la reconnaissance, en France, d’une répudiation unilatérale »,
R.C.D.I.P., 2001, p. 704.
305
A. Devers, « Un droit à une « allocation suffisante » après le divorce ? », Recueil Dalloz, 2007, p. 280.
306
L’article 97 du Code marocain de la famille qui concerne le divorce pour discorde et l’article 113 qui
concerne le divorce pour causes renvoient aux dispositions des articles 84 et 85 pour ce qui concerne le
calcul des droits alimentaires de l’épouse et des enfants.
307
Arrêt n° 433 du 21 septembre 2010. Dossier n° 623/2/1/2009 Revue spécialisée de la jurisprudence
de la cour suprême (statut personnel et successions), p. 83, Note B. Bahmani.
Cette jurisprudence à tendance à être observée par les juridictions du fond marocaines 309. Il est
fort à craindre que cette nouvelle attitude des juges ait pour effet de freiner la réception des ef-
fets du divorce pour discorde en France et déclenche une certaine vigilance des juges français.
En cas de divorce pour préjudice, l’article 101 prévoit que l’épouse peut, en outre, demander des
dommages et intérêts fixés en fonction de l’étendue du préjudice et de son effet sur la femme
divorcée 310.
Les droits des enfants après le divorce sont également renforcés ; ainsi, ils bénéficient d’un lo-
gement et d’une pension alimentaire qui leur garantissent, en principe, le train de vie qu’ils me-
naient avant le divorce 311.
Prenant appui sur ces réformes, la Cour d’appel de Paris a décidé, par arrêt en date du 19 mai
2005, que la loi marocaine « reconnaissant le droit à compensation pécuniaire » ne heurte pas
l’ordre public français 312 pour appliquer la loi marocaine à un divorce pour préjudice et à ses
effets.
Dans un arrêt du 4 novembre 2009, la Cour de cassation a cassé un arrêt d’appel pour avoir écarté
la loi marocaine applicable au litige au motif que l’insuffisance de la pension attribuée à l’épouse
par la loi marocaine était contraire à l’ordre public français alors que le nouveau Code marocain de
la famille « a édicté de nouvelles règles qui concernent la fixation du montant de la pension et les mo-
dalités de son recouvrement et ce, en vue de sauvegarder les droits de l'épouse et des enfants » que le
principe de variabilité de l’ordre public imposait de prendre en compte313. La Cour d’appel aurait
dû analyser les termes des nouvelles dispositions étrangères afin de savoir si elles sont désor-
mais conformes ou non à l’ordre public français en matière internationale. Il s’agissait d’un di-
vorce pour préjudice à la demande de l’épouse en application des articles 98-2 et 99.
Faut-il voir dans cette décision le signe d’un assouplissement de la jurisprudence française à
l’égard du droit marocain en matière alimentaire ?
308
Revue spécialisée de la jurisprudence de la cour suprême (statut personnel et successions), p. 87.
309
Certains juges (hommes) nous ont affirmé que cette décision est la logique de l’égalité réclamée par les
femmes en matière de divorce.
310
Note sous article 101 du Guide pratique du code de la famille.
311
F. Sarehane, « Le nouveau code marocain de la famille », Gazette du palais, recueil septembre-octobre
2004, p 2792 et ss.
312
M. Farge, « Application de la Convention franco-marocaine par la cour d’appel de Paris », Droit de la
famille, n° 2, février 2006, comm. 40.
313
Cour de cassation, 4 novembre 2009, n° 08-20.355 : A. Boiché, « De la distinction des règles de fond et
de procédure s’agissant de l’application d’un droit étranger », A.J. Famille, 2010, p. 38, Gwendoline Lar-
deux, « Ordre public international et nouveau droit marocain de la famille », Recueil Dalloz, 2010, p. 543, I.
Gallmeister, « Nouveau code marocain de la famille : allocation d’une somme après le divorce », Recueil
Dalloz, 2009, p. 2750.
La Cour de cassation rappelle néanmoins l’obligation de prendre en compte les évolutions in-
ternes à la loi étrangère, conforme à l’appréciation in concreto de la conformité à l’ordre public.
Cette décision témoigne du fait que les juges français ne sont pas restés « insensibles au souci de
modernisation de la réforme marocaine » 314.
Le juge français reste cependant hostile à l’idée selon laquelle le droit aux aliments des enfants
puisse être donné en compensation dans le cadre du divorce.
En droit marocain, toute somme ou contrepartie qui peut en tenir lieu peut permettre à l’épouse
qui souhaite divorce par khôl de se défaire du lien conjugal. La mère peut ainsi délivrer le père
de son obligation de verser une pension alimentaire en donnant la pension alimentaire au titre
de la compensation à condition qu’elle ne soit pas insolvable et qu’elle puisse subvenir aux be-
soins de ces enfants elle-même 315.
Cette disposition du droit marocain, maintenue par la réforme de 2004, est contraire à l’ordre
public alimentaire français selon lequel le droit aux aliments des enfants est insusceptible de
renonciation de la part des parents 316.
Un jugement marocain qui prévoit que la mère s’engage seule à subvenir aux besoins de sa fille
est ainsi contraire à l’ordre public en droit international.
Il semble que les juges français cherchent à éviter que l’épouse qui souhaite divorcer cède au
mari l’abandon de toute pension alimentaire pour pouvoir se défaire du lien conjugal, ce qui irait
à l’encontre de la réforme marocaine et du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. 317
Un jugement marocain qui prévoit que la mère s’engage à subvenir seule aux besoins de sa fille
est ainsi contraire à l’ordre public en droit international.
En l’espèce, il semble que le contexte ait aussi incité les juges français à écarter le jugement ma-
rocain sans compromission, afin d’éviter que l’épouse qui souhaite divorcer cède au mari
l’abandon de toute pension alimentaire pour pouvoir se défaire du lien conjugal, ce qui irait à
l’encontre de la réforme marocaine du droit de la famille et du principe d’égalité entre les
hommes et les femmes 318.
Si le principe même de dissolution de l’union par « rachat de la liberté » parait difficilement con-
ciliable avec l’exigence d’égalité entre les époux, a fortiori, la protection de l’intérêt supérieur
des enfants commande le déclenchement de l’ordre public lorsque la protection du droit aux
aliments destinés aux enfants est en jeu.
314
G. Lardeux, « Ordre public international et nouveau droit marocain de la famille », Recueil Dalloz, 2010,
p. 543.
315
Article 119 du Code marocain de la famille.
316
Nathalie Joubert, « Le droit aux aliments est un droit qui s’impose aux père et mère qui ne peuvent y
renoncer », note sous Cass, civ, 1ère, 14 octobre 2009, R.C.D.I.P., 2010, p. 361.
317
Ibidem.
318
Ibidem.
L’étude du système de reconnaissance et d’exécution des jugements étrangers dans les rapports
du Maroc avec l’Europe occidentale et plus particulièrement la France révèle une histoire d’une
convergence dans l’affrontement.
En effet, si sur le plan de la technique juridique, le Maroc maintint les règles de conflits de lois et
de conflits de juridictions héritées du protectorat, il fera de l’exception de l’ordre public un mé-
canisme défensif, protecteur des valeurs religieuses en premier lieu : un ordre public édifié sur
deux grands piliers que sont le privilège de religion et le privilège de nationalité.
Les aspects de convergence des deux systèmes, notés après l’indépendance, furent vite oubliés et
classés au second rang des exigences dictées par l’un et l’autre système. Les deux sphères géogra-
phiques furent cependant très proches par la communauté humaine qui les unit : les immigrés.
La jurisprudence française rappela très tôt dans son grand arrêt Lautour, de 1948, que les prin-
cipes de justice universelle sont considérés dans l’opinion française comme doués de valeur inter-
nationale absolue 319, mais les intérêts en jeu et la neutralité de la règle de conflits de lois, permi-
rent la reconnaissance, durant une longue période, d’institutions juridiques et familiales très dé-
criées par une partie de l’opinion publique et des juristes des deux rives de la méditerranée.
Bien que l’attachement des autorités marocaines aux institutions du droit musulman en matière
de statut personnel soit viscéral, la société civile et les mouvements féminins et féministes ont
donné plus de vigueur aux exigences de la communauté marocaine résidant à l’étranger et plus
particulièrement, les femmes, qui ont eu à souffrir le plus, des institutions du droit musulman,
intrinsèquement, patriarcales et discriminatoires à leur égard.
La voie conventionnelle fut le seul moyen permettant de tempérer les effets des divergences.
L’ambition affichée par les auteurs de ce texte était modeste : respecter les identités respectives
même au prix de violations de principes fondamentaux.
La voie conventionnelle reste une source très secondaire pour les juges au Maroc et les multiples
rebondissements jurisprudentiels montrent les difficultés éprouvées par les juges français dans
la recherche d’un équilibre.
Sous l’effet de la globalisation des rapports économiques mais aussi familiaux, les systèmes ont
dû s’adapter : face à l’intransigeance du système juridique français marqué par le droit euro-
péen, le système du statut personnel marocain dut évoluer.
319
Cass, civ, 25 mai 1948, Rev crit DIP 1949.89, note Batiffol.
Le divorce marocain pour discorde, ouvert aux deux époux, est reconnu dans son principe par la
jurisprudence française. Les juges français ne sont pas restés insensibles à la réforme marocaine,
contribuant ainsi à la reconnaissance des décisions marocaines de divorce en France.
Le fait qu'un des plaideurs soit de nationalité française ne permet plus de faire échec à l'effet
d'un jugement marocain en France, la compétence indirecte du juge étranger est appréciée plus
souplement et la notion de fraude est réduite au minimum, de sorte qu'un époux marocain qui
souhaite saisir le juge de son pays d'origine d'une demande en divorce alors même que sa
femme a introduit une demande en contribution aux charges du mariage en France ne pourra
pas se voir reprocher le fait de vouloir se désunir du lien conjugal au Maroc.
Cela étant, en dépit des réformes, le droit marocain est resté attaché à un certain nombre d'insti-
tutions patriarcales du droit musulman de la famille qui, lorsqu'elles sont invoquées en France,
sont écartées au nom de l'ordre public en droit international français.
La jurisprudence française refuse ainsi de reconnaître le nouveau divorce sous contrôle judi-
ciaire, qui maintient le droit marital de répudiation unilatérale, dès lors que la situation présente
un lien de rattachement avec la France.
L’étude de la réception du droit marocain de la famille en France, faut –il le rappeler, révèle la
complexité d’une problématique qui se situe au carrefour entre respect du statut personnel, pro-
tection des droits des femmes migrantes, relativité de l’ordre public en droit international privé
et exigences des droits fondamentaux.
La Cour de cassation française adopte aujourd'hui une position nuancée à l'égard du droit maro-
cain selon les dispositions en cause, position qui nous paraît devoir être approuvée.
Sans doute faut-il y voir le signe d’un encouragement à l’égard de la société marocaine dans sa
lutte en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Ouvrages spécialisés
ANCEL Bertrand, LEQUETTE Yves: Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international
privé. Dalloz, 5ème édition, 2006.
BATIFFOL Henri: Aspects philosophiques du droit international privé. Dalloz, 2002, ouvrage paru initiale-
ment en 1956 dans la coll. Philosophie du droit.
FOBLETS Marie-Claire, CARLIER Jean-Yves: Le Code marocain de la famille, Incidences au regard du droit
international privé en Europe. Bruylant, 2005.
FULCHIRON Hugues, NOURISSAT Cyril (dir.): Travaux dirigés de droit international privé. Litec, 3ème édition.
MONEGER Françoise: Droit international privé. Litec, 4ème édition, 2007.
MOUSSAOUI (M): La règle de rattachement en droit international privé marocain, étude comparée. Marra-
kech, 2002 (en langue arabe).
RAIMON Michaël: Le principe de l'unité du patrimoine en droit international privé. L.G.D.J., bibli. dr. pr.
n° 359, 2002.
Travaux universitaires
EL-HUSSEINI BEGDACHE Roula: Le droit international privé français et la répudiation islamique. L.G.D.J.,
2002, 305 pages.
GANNAGE Léna: La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé. L.G.D.J., 2001, 382 p.
SAREHANE Fatna: Les conflits de lois relatives aux rapports entre époux en droit international privé maro-
cain et tunisien. Paris II, 1984, ANRT, 1985,
Recueils de jurisprudence
Jurisprudence de la Cour suprême marocaine.
Jurisprudence de la Cour suprême en matière de contentieux de la famille.
Arrêts de la chambre du statut personne et successoral, centre de publication et de documentation judi-
ciaire, 2007.
Recueil de jurisprudence de la Cour de cassation du Maroc, n° 74, 2012.