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LA DECLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU

CITOYEN COMMENTEE
Extrait de La Constitution commentée par Guy Carccassonne et Marc Guillaume, le Seuil, Treizième
édition de 2016. Le livre est au CDI sous la cote 342.02 CON

Article premier
Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne
peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Malgré l’ordre que l’article premier donne aux deux termes, il faut se rendre aux arguments du
doyen Vedel et considérer avec lui que l’égalité précède la liberté : « L’égalité, c’est l’homme même ;
elle identifie l’homme [...]. Si l’on peut dire que tous les hommes sont égaux, à l’inverse tous les
égaux sont des hommes, car si un homme refuse à un autre la qualité d’égal [...], il lui refuse la
qualité d’homme [...]. L’égalité est non un droit naturel mais le fondement même de tout droit
naturel, car il n’y a plus de droit naturel si les hommes ne sont pas égaux entre eux, autrement dit
si les hommes n’existent pas » (« L’égalité », La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789, 1990). Le constituant de 1958 a dû en être bien convaincu, qui n’a fait, dans l’article premier,
aucune référence explicite à la liberté, mais a réaffirmé l’égalité. Les plus ingénieux peuvent même
trouver là, dès le troisième mot, un fondement à l’objectif de parité : lorsqu’il est écrit que les
hommes naissent, ils le font toujours en dernière analyse, quelque progrès que la médecine ait
accompli, d’un homme et d’une femme qui, dès lors, n’appartiennent pas à des « catégories », mais
sont, à la fois ensemble et distinctement, la source unique et duale de l’humanité même.

Article II
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la
résistance à l’oppression.

Comme le précédent, cet article énumère des principes que la suite détaille et met en œuvre.
L’absence de l’égalité n’est fortuite ni gênante compte tenu de ce qui en a été dit ci-dessus. Les
quatre droits énoncés vont deux par deux. Dans un premier appariement, Jean Carbonnier
considère que liberté et propriété sont les finalités ultimes, que sûreté et résistance à l’oppression
permettent d’atteindre ou de retrouver. On peut aussi, prenant en considération non plus la
substance mais la nature de ces buts, les accoupler autrement, en observant que deux d’entre eux
— liberté et résistance à l’oppression — se définissent négativement, et les deux autres — propriété
et sûreté — positivement. Il est de l’essence même de la liberté que d’être incompatible avec une
définition positive préalable. Parce que la liberté est la règle, seules peuvent être prévues les
exceptions, lorsque leur absence, comme il est dit à l’article IV, pourrait nuire à autrui. De la même
manière, l’oppression, qui légitime la résistance, se caractérise négativement par la méconnaissance
des droits de l’homme et du citoyen. L’article VII, qui envisage ses manifestations pénales, les plus
plausibles, prévoit aussi de les punir. Et si les articles 432-4 à 432-9 du Code pénal répriment
effectivement les abus d’autorité, les articles 433-6 à 433-10 sanctionnent très durement la rébellion,
définie dans des termes qui rendent la soumission à l’autorité, même abusive et quitte ensuite à la
poursuivre comme telle, plus prudente que le refus d’obtempérer a priori à une injonction, même
plausiblement illégale.

La propriété est définie positivement, au contraire, par l’article 544 du Code civil et protégée
sérieusement par celui-ci, épaulé si nécessaire par l’article XVII de la Déclaration. Quant à la sûreté,
elle peut s’interpréter de diverses manières, dans la mesure où la Déclaration de 1789, contrairement
à celle de 1793, ne la précise pas. Il peut s’agir d’une protection limitée à l’arrestation ou à la
détention arbitraires. Il peut également s’agir d’un droit à l’ordre public, assurant la sécurité des
biens et des personnes. Il peut s’agir enfin, plus globalement, d’une sécurité juridique, par laquelle
chacun sait, à tout moment, ce qu’il est en droit de faire ou non. La première conception est
restrictive, redondante avec les autres principes du droit répressif, également contenus dans la
Déclaration de 1789, et que la sûreté n’enrichirait pas si elle se bornait à en être le résumé. La
deuxième conception, qui séduit les régimes à tentations autoritaires, sous-entend sûreté publique,
et elle devient alors le prétexte à toutes sortes d’atteintes à la liberté privée. La troisième conception,
qu’on peut rattacher à l’évidente nécessité de la garantie des droits, mentionnée à l’article XVI,
serait plus satisfaisante. Le Conseil constitutionnel a progressivement fait une place plus grande à
la sécurité juridique, en limitant très sensiblement le pouvoir parlementaire d’adopter des
dispositions fiscales rétroactives (2012-867 DC et 2012-862 DC du 29 décembre 2012) et en
intégrant la protection de la confiance légitime (2013-682 DC du 19 décembre 2013). Par ailleurs,
le Conseil n’hésite pas à mobiliser l’article II, comme une sorte d’a fortiori, lorsque est en cause
l’un des droits qu’il proclame (par exemple, 81-132 DC du 16 janvier 1982). C’est la liberté qui
implique le respect au droit de la vie privée. Sur ce fondement, le Conseil censure par exemple les
traitements de données à caractère personnel portant, même au nom de l’ordre public et de la lutte
contre la fraude, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée (2012-652 DC
du 22 mars 2012).

Article III
Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul
individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

En 1789, la souveraineté est purement nationale. Elle sera mâtinée de populaire dans la
Constitution de 1958 (article 3), mais le principe demeure. Il a pour premiers effets d’interdire que
la souveraineté puisse être infranationale (la France ne peut se transformer en fédération) ou
supranationale : la France ne peut se transformer ni en fédération, ni en entité fédérée. Si l’article
III entraîne de nombreuses autres conséquences, qui s’égrènent dans les décisions du Conseil
constitutionnel, il fixe également la place de ce dernier, l’amène sagement à s’autolimiter, en ne
prétendant pas exercer un « pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du
Parlement ».

Article IV
La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des
droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres
Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être
déterminées que par la Loi.
Dans le trou du souffleur, Montesquieu et Rousseau ont ici cédé la place à Emmanuel Kant : le
cercle de la liberté individuelle s’arrête au cercle de la liberté d’autrui. D’un point de vue
opérationnel, la liberté peut être soumise à plusieurs régimes : répressif, le plus libéral, malgré sa
dénomination, puisque tout ce qui n’est pas interdit est permis ; préventif, le plus exigeant puisque
ce n’est qu’après avoir obtenu une autorisation (permis de construire, de conduire...) que l’exercice
de la liberté est possible ; déclaratif, compromis entre les deux précédents qui subordonne l’exercice
d’une liberté à une information préalable (droit de grève dans la fonction publique, de
manifestation...). Dans tous les cas, le législateur doit retenir celui des régimes qu’imposent les
caractéristiques de la liberté en cause, son choix étant ainsi dicté. Dans tous les cas encore, la
réglementation est au service de la liberté, pour en organiser harmonieusement la jouissance, non
à son détriment.

D’un point de vue opérationnel toujours, l’article vaut aussi par l’attribution de compétences. C’est
la loi qui fixe les bornes. Elle seule peut le faire. Elle doit le faire sans que ces bornes soient si
étroitement définies qu’elles portent à la liberté des atteintes excessives, mais elle doit le faire elle-
même et complètement, sans jamais s’en remettre à autrui de ce soin. Le Conseil constitutionnel
fonde la protection de la liberté en général et de la liberté d’entreprendre et de la liberté
contractuelle en particulier sur l’article 4 de la Déclaration de 1789. La liberté d’entreprendre se
conçoit comme la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique et comme la
liberté dans l’exercice de cette profession et de cette activité (2012-285 QPC du 30 novembre 2012).
Sa protection s’est progressivement renforcée (n° 2014-692 DC du 27 mars 2014) surtout quand
elle doit se concilier non pas avec un autre principe constitutionnel mais avec un motif d’intérêt
général (2013-672 DC du 13 juin 2013).

Article V
La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas
défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle
n’ordonne pas.

Ainsi est permis tout ce qui n’est pas expressément interdit, et l’on ne peut interdire n’importe quoi.
Toutefois, une évolution récente a conduit un législateur paternel à considérer qu’est nuisible à la
société tout ce qui peut nuire à n’importe lequel de ses membres. De là une intrusion de plus en
plus fréquente dans ce qui relevait de la sphère des comportements individuels — port du casque
ou de la ceinture de sécurité, consommation de tabac ou d’alcool —, et le moment n’est peut-être
pas éloigné où, sida aidant, la loi prétendra pénétrer dans les alcôves. Cet article V n’occupe pas,
dans la jurisprudence constitutionnelle et, plus généralement, dans la doctrine, la place qui devrait
être la sienne. C’est pourtant lui, deux siècles avant mai 68, qui proclamait déjà que « il est interdit
d’interdire ». C’est lui aussi qui donne son fondement le plus solide au triple test que le juge fait
désormais subir à toutes les atteintes portées à une liberté : qu’elles soient simultanément
« nécessaires, adaptées et proportionnées » (2008-562 DC du 21 février 2008). Pourquoi
« nécessaires » et pas seulement utiles ou opportunes ? Parce que l’article V l’exige ainsi.

Article VI
La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir
personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour
tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux,
sont également admissibles à toutes dignités, toutes places ou emplois publics, selon leur
capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Finalement, c’est la Ve République qui a donné son véritable sens à la première phrase, en mettant
durablement le peuple, par le référendum, sur le même plan que ses représentants. La deuxième
n’ajoute pas vraiment à ce qui figure déjà dans l’article premier de la Déclaration. La troisième
phrase est celle qui a substitué la méritocratie à l’aristocratie. Vraie révolution, jamais achevée. Si,
aujourd’hui, elle justifie le contrôle vigilant que le Conseil constitutionnel exerce en matière de droit
de la fonction publique, en revanche, elle ne suffit pas à faire échec à des nominations fondées plus
sur la faveur politique que sur les vertus et talents. En écartant ceux qui pourraient avoir des
sympathies pour l’opposition, afin de ne confier les tâches de direction qu’à des amis, les membres
du gouvernement cherchent à se rassurer. C’est illusoire. Il n’y a pas de hauts fonctionnaires
désobéissants, il n’y a que des ministres qui ne savent pas commander.

Article VII
Nul ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon
les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter
des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout Citoyen appelé ou saisi en vertu de la
Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

C’est la base même de tout droit pénal démocratique qui est ici posée. Le principe de légalité des
infractions, et des peines qui leur sont applicables, définit a contrario l’arbitraire et prévoit sa
sanction. Les lettres de cachet ne peuvent ressusciter, par lesquelles l’autorité royale embastillait qui
lui déplaisait trop. Nul ne peut se voir imputer un délit inventé pour les besoins de la cause. Il doit
avoir été défini, par la loi, avec précision (2012-240 QPC du 4 mai 2012). Et les règles ainsi posées
excèdent le champ du seul droit pénal pour s’étendre, logiquement, à toute législation répressive.
Même lorsqu’il arrive que les peines soient seules déterminées (sanctions disciplinaires pour les
fonctionnaires), les infractions le sont aussi, en réalité, même si leur nature contraint à ne le faire
que sommairement (manquement à ses obligations par un fonctionnaire). Les ordres arbitraires
doivent être punis mais il n’est pas précisé, contrairement à ce qui est écrit à l’article IX, qu’ils
doivent l’être sévèrement. Est-ce à cette omission qu’on doit attribuer la chronique des bavures ?

Article VIII
La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut
être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et
légalement appliquée.

La nécessité des peines est affaire d’appréciation et le législateur de l’Alabama n’a pas jugé mauvais
de recréer les travaux forcés, pour des détenus de surcroît enchaînés ! Sans doute la reconnaissance
du principe de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre
toute forme d’asservissement ou de dégradation (94-343-344 DC du 27 juillet 1994) interdirait en
France une telle régression, si la tentation devait en saisir un Parlement qui s’oublierait. Il demeure,
si la stricte et évidente nécessité est celle que le législateur qualifie telle, que l’article VIII impose à
son imagination répressive des limites lointaines, mais néanmoins tangibles. C’est ce que l’on
appelle le principe de proportionnalité, qui doit être respecté, entre la gravité de l’infraction et celle
de sa sanction (par exemple 93-321 DC du 20 juillet 1993), ce que méconnaît par principe toute
peine automatique (99-410 DC du 15 mars 1999). Le Conseil constitutionnel censure la
disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue (2010-604 DC du 25 février 2010,
2013-679 DC du 4 décembre 2013). Quant au principe de non-rétroactivité, indispensable à la
sûreté dans quelque acception qu’on lui donne, il interdit que quiconque puisse être poursuivi et
condamné, ou l’être plus gravement, en application d’une loi intervenue postérieurement aux faits.
Ce principe n’est pas général. Toute disposition rétroactive n’est pas, ipso facto, inconstitutionnelle.
Seule est interdite la rétroactivité de dispositions (pas seulement législatives) répressives (pas
seulement pénales, mais aussi disciplinaires, fiscales...) de fond (par opposition à celles purement
procédurales, réputées neutres) plus sévères (celles moins sévères s’appliquent rétroactivement
puisque, par définition, la sévérité antérieure a cessé d’être considérée comme nécessaire).

Le comité Balladur avait proposé d’étendre le principe de non-rétroactivité bien au-delà du domaine
répressif, sous les réserves nécessaires d’intérêt général. L’Assemblée nationale le vota. Le Sénat le
refusa. Notons, enfin, la mise en garde à l’égard de la loi : elle « ne doit » établir que des peines
strictement et évidemment nécessaires. Sans cette mise en garde, le législateur eût pu méconnaître
les droits naturels. Donc la loi pourrait être contrainte à ces derniers. Donc il faut contrôler qu’elle
ne l’est pas. Donc le contrôle de constitutionnalité est nécessaire, et même induit par les discrets
signes de défiance que la Déclaration elle-même adresse çà et là, dès 1789, à l’égard de la loi, bien
qu’expression de la volonté générale.

Article IX
Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé
indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa
personne doit être sévèrement réprimée par la Loi.

Ici se mêlent le fond et la forme. La forme, c’est celle que doit revêtir l’arrestation, qui exclut toute
violence, tant au moment où il y est procédé qu’ensuite. Le fond, c’est la présomption d’innocence.
Certaines de ses conséquences sont pratiques. D’autres demeurent théoriques. Au nombre des
conséquences pratiques, on peut ranger, quoique le Conseil constitutionnel ne le fasse pas avec
l’appui de cet article 9 mais avec celui de l’article 16 de la Déclaration de 1789, la garantie de
l’ensemble des droits de la défense. Il n’est pas abusif de considérer en effet que c’est parce qu’il
est accusé que l’intéressé a besoin de se défendre, et que c’est parce qu’il est présumé innocent qu’il
doit détenir tous les moyens (accès au dossier, droit de parole, ministère d’avocat...) de répondre
efficacement à ses accusateurs. Cela dit, la présomption d’innocence oscille entre deux excès
contraires. D’un côté, elle est invoquée comme une sorte d’absolu, alors pourtant qu’elle n’est que
relative, et disparaît au moins dans tous les cas, de loin les plus nombreux, où l’intéressé ne conteste
ni les faits ni sa responsabilité. Dans les autres situations, une tendance désolante s’est développée
à confondre présomption d’innocence et innocence : au nom de la première, on prétend interdire,
notamment à la presse, de douter de la seconde, même lorsqu’elle est plus que suspecte. Dès lors,
le principe, présent en 1789 comme une incidente simplement destinée à exclure les mauvais
traitements, est devenu un paravent à l’abri duquel ceux qui ont commis des fautes défendent un
semblant de respectabilité et continuent d’exercer des fonctions jusqu’à épuisement, des années
plus tard, de toutes les voies de recours (quoique déjà condamné en première instance et en appel,
Alain Carignon demeura, en prison, président du conseil général de l’Isère jusqu’au rejet de son
pourvoi en cassation !). D’un autre côté, diamétralement opposé, la présomption d’innocence cède
fréquemment le pas devant la religion de l’aveu. C’est lui que trop souvent le judiciaire recherche,
de préférence à la vérité, moins facile à établir. Non seulement c’est pernicieux en soi, trompeur à
l’occasion, mais encore cela conduit à une utilisation abusive de la détention provisoire. Où le Code
de procédure pénale définit limitativement, dans son article 144, les cas dans lesquels cette grave
décision peut être prise, il arrive qu’il en soit fait usage, de manière pratiquement explicite, pour
rafraîchir la mémoire d’un suspect, l’inciter à l’aveu. C’est alors tout ensemble la négation de la
présomption d’innocence et le rétablissement de la question, sous une forme que n’a adoucie, sur
un principe inchangé, que la substitution de la cellule au chevalet. La loi relative à la présomption
d’innocence a voulu y remédier enfin. Son succès demeure relatif.

Article X
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

La liberté d’opinion est générale. On l’appelle aujourd’hui liberté de conscience, ce qui atteste
l’immodestie des juristes modernes. La conscience a toujours été libre, non parce qu’il plaisait au
pouvoir qu’elle le fût, mais parce que pas plus hier qu’aujourd’hui il ne pouvait sonder les âmes et
débusquer le délit qu’il eût aimé sanctionner. La conscience est une zone de non-droit. La torture
même ne pouvait y donner qu’un accès aléatoire et controuvé. Tout autre est le cas de l’opinion
qui ne devient telle que quand on la professe, mais retrouve l’abri de la conscience dès qu’on la
garde pour soi. Chacun peut donc manifester celle de son choix, et cette affirmation ne fait pas
double emploi avec l’article suivant, puisqu’il est des convictions qui peuvent se passer de parole,
d’écriture ou d’imprimerie. Prier, ou ne pas prier, participer, ou non, à une procession, c’était, dès
1789, l’expression d’une opinion, même religieuse, comme le dit drôlement l’article X, et elle devait
bénéficier d’un régime de liberté. Si la République, plus tard, est devenue laïque, les individus ont
conservé le droit naturel de ne pas l’être. C’est la République seule qui est laïque, pas la France ni
les Français. Comme à l’accoutumée, la loi reçoit compétence pour fixer des limites, celles-là seules
qu’exigerait la sauvegarde de l’ordre public qu’il lui revient de définir.

Article XI
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi.

Les médias ont changé, pas les principes. L’orateur juché sur des tréteaux, sans micro ni relais, sans
autre vecteur que sa voix, éprouvait un besoin de liberté en tous points égal à celui du locuteur
audiovisuel ou de l’internaute. Le nombre de ceux qui pouvaient lire était incomparablement
moindre, mais cette différence quantitative est sans effet sur le droit de celui qui écrit.

Le papier, enfin, épuisait l’impression, qui se prête désormais à d’autres supports, dont le celluloïd
cinématographique ou l’enregistrement numérique, sans que cela puisse altérer le libre choix de qui
les utilise. La Déclaration de 1789 s’est souciée de principes. Techniques et volumes n’étaient pas
son affaire (par extension, et quoique la Révolution les ait omis, on peut sans doute ajouter, aux
pensées et opinions, les sentiments, également dignes de communication, et étendre à toutes les
formes d’expression, notamment plastiques, la liberté consacrée au profit de la parole, l’écriture et
l’imprimerie). Mais en faisant de cette libre communication un des droits les plus précieux de
l’homme, elle invitait à entourer sa protection d’une vigilance particulière. Ainsi le Conseil a pu en
déduire que cette liberté profitait non seulement aux émetteurs, mais encore aux destinataires, c’est-
à-dire au public, qui y a trouvé, parmi d’autres choses, le fondement d’un droit au pluralisme — le
but — et à la transparence — l’un des moyens de l’atteindre. Quant à la capacité de la loi à définir
des abus, elle s’exerce normalement à la lumière de la définition que l’article IV donne de la liberté
: l’usage de la liberté de communication ne peut devenir abusif que lorsqu’il entre en conflit avec
d’autres exigences constitutionnellement protégées. C’est ce qui seul explique que certaines lois
aient pu limiter la liberté d’expression, par exemple au nom du respect de la personne humaine
(protection de la vie privée, répression du racisme ou de l’antisémitisme...) ou de l’ordre ou la
morale publics (législation sur la presse, protection de la jeunesse, réglementation des œuvres à
caractère pornographique...). Ne répond pas à cette saine logique l’article 9 de la loi n° 90-615 du
13 juillet 1990, dite « loi Gayssot ». Pour lutter contre des thèses « révisionnistes », méprisables
autant qu’infondées, il a fait entrer dans notre droit le précédent troublant d’une vérité officielle
par détermination de la loi. Il n’y a que la Cour de cassation pour nier qu’il puisse y avoir un
problème (7 mai 2010) puis refuser d’en saisir le Conseil constitutionnel. Celui-ci, en revanche, n’a
pas laissé passer l’occasion de censurer sur ce fondement la loi qui prétendait pénaliser la négation
(au demeurant à peu près inexistante) du génocide arménien de 1915 (2012-647 DC du 28 février
2012).

Article XII
La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique: cette force
est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels
elle est confiée.

L’État, selon Max Weber, se caractérise par le monopole de la violence légitime. Lui seul peut être
fondé à recourir à la force, à la coercition, et il lui faut pouvoir le faire afin d’assurer le respect
effectif des droits de chacun et de tous contre qui y porterait, ou y aurait porté, atteinte. L’emploi
de la force publique ne peut lui-même se faire que dans le respect du droit, et c’est le fait que l’État
se plie à cette exigence qui définit justement ce qu’on appelle l’État de droit (par opposition à l’État
de police, qui ne connaît pas d’autres limites à sa volonté ou à son action que celle de ses forces).
De plus, même quand elle est légalement prévue, l’exécution forcée ne doit intervenir qu’« en cas
de nécessité » (79-109 DC du 9 janvier 1980). Quant à ceux auxquels est confiée la force publique,
qu’elle soit civile ou militaire, tous sont soumis à une stricte subordination, à l’égard, selon les cas,
du pouvoir politique ou de l’autorité judiciaire. Ils ne sont pas les maîtres de leur propre puissance,
qui ne leur vient que du mandat que leur donne la Nation. Enfin, le Conseil constitutionnel a
considéré, de manière logique quoique inattendue, que puisque cette force, de quelque façon qu’elle
s’exerce, doit toujours être « publique », c’est cet article qui interdit qu’un pouvoir de police puisse
être délégué à une personne privée (2011-625 DC du 10 mars 2011).

La nécessité et la proportionnalité de l’impôt sont affirmées, sa progressivité n’est que déduite.


Parce que l’impôt est nécessaire, la lutte contre la fraude fiscale constitue un objectif de valeur
constitutionnelle (2013-684 DC du 29 décembre 2013), même si la recherche et la répression de la
fraude fiscale doivent évidemment respecter les libertés constitutionnellement protégées (83-164
DC du 29 décembre 1983). La nécessité l’a également emporté sur son objet initial : elle n’est plus
limitée à l’entretien de la force publique et aux dépenses d’administration mais peut s’étendre à
l’ensemble des charges publiques, sous réserve des différences de nature qui les soumettent à
différents régimes (impositions de toute nature, redevances...), de même que l’impôt peut servir des
finalités incitatives, sans souci de son rendement. Quant à la rétroactivité éventuelle de la loi fiscale,
le Conseil constitutionnel contrôle qu’elle répond à un motif d’intérêt général suffisant. Tel n’est
pas le cas de la volonté du législateur d’assurer des recettes supplémentaires (2012-662 DC du 29
décembre 2012). Quant à la progressivité, le juge l’apprécie positivement dans son principe (90-285
DC du 28 décembre 1990), mais se satisfait que ne soit pas remis « en cause le caractère progressif
du montant de l’imposition globale » (93-320 DC du 21 juin 1993), même si la progressivité
disparaît en partie de l’un des éléments importants, la CSG en l’occurrence, de cette imposition
globale. Les promesses — ou menaces — fiscales du nouveau gouvernement ont déjà conduit le
Conseil à affirmer, préventivement, la nécessité constitutionnelle d’un plafonnement des
prélèvements (2012-654 DC du 9 août 2012). Il a ensuite veillé à ce que ce plafonnement n’inclut
pas des revenus latents et non réalisés. Il veille aussi à ce que le niveau d’imposition ne fasse pas
peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives, ce qui
serait contraire au principe d’égalité devant les charges publiques. Il censure, en fonction de
l’assiette de l’impôt, des taux marginaux maximaux jugés confiscatoires (2012-662 DC du 29
décembre 2012).

Article XIV
Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et
d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

« No representation, no taxation »: c’est au nom de cette exigence que les treize colonies entrèrent
en rébellion, d’abord fiscale, contre l’Angleterre, rébellion qui allait donner naissance aux Etats-
Unis d’Amérique. Quelques années plus tard, des causes similaires ont joué un rôle essentiel dans
l’effervescence d’où allait exploser la Révolution française. Ce n’est pas le principe de l’impôt qui
est contesté, comme l’atteste l’article précédent, c’est le droit d’y consentir qui est exigé.
Historiquement, il n’a pas été un principe démocratique parmi les autres, il a été celui qui a donné
naissance à la démocratie elle-même. La Constitution le met directement en œuvre, et s’il est vrai
qu’aucun référendum fiscal n’a été organisé à ce jour, au moins les représentants des citoyens,
l’Assemblée nationale ici, sont-ils dotés des moyens effectifs de décision et de contrôle qu’implique
l’article XIV. L’entrée en application de la loi organique du 1er août 2001, en rénovant
profondément la matière, a voulu donner leur pleine signification aux exigences proclamées ici. Et
c’est aussi l’article XIV qui impose, ou au moins induit, les quatre principes fondamentaux du droit
budgétaire. Pour autant, le Conseil constitutionnel a considéré que le consentement à l’impôt ne
relève pas des « droits et libertés que la Constitution garantit » au sens de l’article 61-1 (2010-5 QPC
du 18 juin 2010) en ce qu’il est tourné vers le respect des droits des parlementaires davantage que
vers ceux des justiciables. Voilà qui est plus péremptoire que convaincant s’agissant d’un droit que
l’article confère expressément à « tous les citoyens ».

Article XV
La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.
Point de responsabilités exercées sans responsabilité assumée. Le principe est sain, qu’ont mis en
œuvre à titre principal, chacune dans son domaine, les juridictions administratives et financières.
En amont de leur intervention, c’est aussi une exigence de bonne administration que celle qui
impose inspections et contrôles sur les détenteurs de l’autorité, le tout étant couronné, en bonne
logique démocratique, par la responsabilité politique du gouvernement, qui « dispose de
l’administration et de la force armée ». Il reste que peut être menaçante une conception abusive de
ce droit de demander des comptes, mais que son exercice plus méthodique et déterminé
contribuerait à remédier au constat affolant qui fait que tout Français qui naît aujourd’hui le fait
avec environ 30000 euros de dettes que nous avons accumulées sur sa tête ! Notons, enfin, que
tout le droit des finances publiques trouve sa source dans ces articles XIII, XIV et XV. Si complexes
qu’en soient les règles, toutes découlent des principes énoncés ici et leur donnent à la fois leur
légitimité et leur intérêt.

Article XVI
Toute Société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

Autant, depuis Montesquieu, la littérature est abondante, passionnée, sur la séparation des pouvoirs,
autant la garantie des droits a excité moins de verve, lors même qu’on peut la considérer comme la
fin, dont la séparation des pouvoirs ne serait que le moyen. C’est bien pour prévenir l’oppression
qu’il faut que le pouvoir arrête le pouvoir.

Formellement, la garantie des droits se traduit par le principe de légalité, qui domine l’ensemble des
activités publiques et, pour les personnes publiques comme pour les personnes privées, en amont
par l’étendue des compétences législatives, en aval par l’existence même des ordres juridictionnels.
Ce n’est pas rien. Mais la marge de progrès est encore vaste, qui permettrait de déduire de la garantie
des droits une conception plus exigeante de la notion de sûreté (article II).

C’est la Constitution elle-même qui met en œuvre le principe de séparation des pouvoirs. Au-delà
de ce qu’elle prévoit expressément, le principe se décline également en un certain nombre de règles
que le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de réaffirmer quand le besoin s’en est fait sentir.
Ainsi, par exemple, celle qui interdit au législatif d’adresser des injonctions à l’exécutif (82-142 DC
du 27 juillet 1982), ou de censurer des décisions de justice (87-228 DC du 26 juin 1987), ou encore
de répartir de manière hasardeuse les compétences entre juridictions administratives et judiciaires
(89-261 DC du 28 juillet 1989). L’article 16 est aujourd’hui la clé de la protection des droits et
libertés constitutionnels. Du la mars 2010 au la mars 2014, il a été invoqué dans plus de 150
décisions devant le Conseil constitutionnel et cité 88 fois par celui-ci. Il a entraîné 18 réserves
d’interprétation, une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne et 38
censures. Il recouvre le droit à un procès équitable (2004-496 DC du 10 juin 2004) les principes
d’indépendance et d’impartialité (2012-280 QPC du 12 octobre 2012), la confiance légitime (2013-
682 DC du 19 décembre 2013) ou encore le contrôle des lois de validation (2013-366 QPC du 14
février 2014). Quant à dénier l’existence d’une Constitution là où les droits ne sont pas garantis et
les pouvoirs séparés, c’est ce qui disqualifie les constitutions antidémocratiques. Il y a là une
contradiction dans les termes. Si les enseignants du droit constitutionnel ne l’ont pas toujours
perçue, les constituants de 1789 ne s’y étaient pas trompés, eux, qui liaient la forme et la substance
et dénonçaient par avance les impostures à venir. Une Constitution stalinienne est autant une
Constitution qu’une démocratie populaire est une démocratie, pas même une contrefaçon, un
mensonge pur et simple, celui, ordinaire, que font les dictatures dans l’espoir, hélas pas toujours
vain, de leurrer quelques gogos.

Article XVII
La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque
la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une
juste et préalable indemnité.

C’est avant tout cet article qui a conduit le socialisme révolutionnaire du me siècle à voir dans la
Déclaration de 1789 le palladium de la bourgeoisie: «La propriété, c’est le vol» aux yeux de
Proudhon, qui enrage de la voir proclamée sacrée, seule à l’être, qui plus est. Et, à sa suite, le
marxisme se gaussera d’un texte qu’il juge moins dangereux que dérisoire parce qu’exposé au balai
de l’histoire. C’est pourtant la propriété, son sens peut-être plus que son droit, qui a eu raison du
communisme. Et, chez nous, la France des petits propriétaires, fille du Code civil et de son héritage
égalitaire (voir Jean Carbonnier, « Le Code civil », Les Lieux de mémoire, t. II : La Nation,
Gallimard), lui a donné le maillage méticuleux des cadastres. Mais la critique a été si durable et si
vive qu’elle a même conduit le Conseil constitutionnel, peu coutumier du fait, à disserter pour
considérer que «si, postérieurement à 1789 et jusqu’à nos jours, les finalités et les conditions
d’exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable
extension de son champ d’application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations
exigées par l’intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme
ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de
propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mise au
même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties
données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique » (81-132 DC du 16
janvier 1982). Pour la protection du droit de propriété, le Conseil constitutionnel distingue
nettement l’article 17 de la Déclaration de 1789 relatif à la privation de ce droit et l’article 2 relatif,
en l’absence de privation au sens de l’article 17, aux atteintes portées à ce droit (2011-208 QPC du
13 janvier 2012). Les mesures relevant de l’article 17 doivent être justifiées par une nécessité
publique légalement constatée et comporter une juste et probable indemnité ; celles relevant de
l’article 2 doivent être fondées sur un motif d’intérêt général et ouvrir une atteinte proportionnée
à l’objectif poursuivi (2013-370 QPC du 28 février 2014). La propriété, ainsi protégée, est à la fois
immobilière et mobilière, privée bien sûr, mais également publique (86-207 DC du 26 juin 1986).
Parce qu’elle fait partie des libertés individuelles (article 66 de la Constitution), l’autorité judiciaire
se trouve compétente. Le droit de l’article XVII et la liberté de l’article IV, en s’accouplant, ont
engendré une fille, la liberté d’entreprise, vouée à rester mineure puisque placée sous la tutelle
éternelle de la loi. Cette liberté seconde « il est loisible au législateur d’y apporter les limitations
exigées par l’intérêt général, à la condition que celles-ci n’aient pas pour conséquence d’en dénaturer
la portée » (90-283 DC du 8 janvier 1991). Elle n’est « ni générale ni absolue », mais n’est-ce pas là
le lot commun de toutes les libertés ?

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