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Droit à la santé,
droit au logement,
des droits à géométrie variable
Hanène ROMDHANE
DESS, droit et évaluation des structures sanitaires et sociales, IFROSS, université Jean Moulin, Lyon III.
Résumé
1. R. DUPRIET, J. LADSOUS, D. LEROUX, M. THIERRY, La lutte contre l’exclusion, Une loi, des avancées, de
nouveaux défis, éditions ENSP, 2002.
8. Décision du Conseil constitutionnel n° 94-359 du 19 janvier 1995, Petites affiches 12 janvier 1996, n° 6,
p. 4.
9. Décision du Conseil constitutionnel n° 98-403 du 29 juillet 1998, Petites affiches 30 juillet 1999, n° 151,
p. 29.
10. François Luchaire, La protection constitutionnelle des droits et des libertés, Economica, 1987.
11. Décision du Conseil constitutionnel n° 2000-436.
semble nécessaire de souligner le lien réel et direct qui existe entre santé et loge-
ment ou logement et santé. En effet, sans logement, l’effectivité du droit d’accès
aux soins semble compromise.
De plus, l’un des paradoxes de notre système de santé est que tous nos
efforts sont centrés sur l’accès aux soins, par la technicité des établissements de
santé, des plateaux techniques, par l’accréditation, par la gestion des risques…
donc sur les structures qui permettent de soigner et non pas sur les personnes
qui réclament et nécessitent des soins. De plus, la santé n’est pas l’apanage des
établissements de santé, la santé n’est pas créée au sein des hôpitaux, la santé
n’est assurée que si et seulement si l’environnement dans lequel la personne vit
est stable et décent et, notamment par un logement digne de ce nom.
Enfin, malgré le fait que l’on sache, avec certitude, que la croissance des
dépenses dans le domaine de la santé résulte en partie des dysfonctionnements
du système, nous continuons à injecter de l’argent dans ce secteur alors qu’il
serait certainement plus efficace d’augmenter les ressources dans d’autres fonc-
tions collectives tel que le logement ; cette action peut être, à long terme, davan-
tage productrice de santé que les dépenses de soins. C’est en ce sens que l’on
peut affirmer que le budget de la santé est le budget de l’exclusion. Or, ce budget
ne profitant pas aux « exclus », comme on aime à appeler les personnes hors
circuit, ces dernières sont doublement touchées puisqu’elles ne bénéficient ni du
système de santé ni du système social. Ces individus/exclus de par l’absence de
logement, voient leur santé se dégrader et leurs droits disparaître… dans la plus
totale indifférence. Notre société atteinte de cécité, touche aujourd’hui au
paroxysme de l’indécence. En effet, de par la négligence dont elle fait preuve à
l’égard de cette partie de la population, elle oublie le plus éminent des droits :
celui de vivre.
Le résultat de cette situation est que toutes ces personnes privées du droit
au logement, se sentent exclues de la société et de ce fait, leurs soucis de santé
sont ressentis comme secondaires. Or, certaines maladies telles que la galle et
la tuberculose réapparaissent dans de nombreux foyers. Enfin, cette impossibi-
lité d’accéder à un logement est une réalité concrète pour les « familles de la
rue », ces personnes malades qui ne peuvent pas accéder aux soins alors que cet
accès est censé être libre et égal pour tous. Pour se soigner, il faut exister aux
yeux de la société, avoir fait des démarches administratives… ou tomber dans
la rue, de préférence dans un lieu fréquenté afin de bénéficier du transport vers
le service des urgences qui, dans un tel cas de figure, est tenu de vous prendre
en charge.
14. M. DUSART, Responsable Activités Logement CGT, Habitat et société, n° 30 juin 2003, p. 35.
15. Ibid.
Sachant que les inégalités d’accès aux soins existant au sein de notre pays
sont réelles et inacceptables, l’objectif prioritaire en matière de santé publique
doit consister à corriger ce déséquilibre. Une loi contre l’exclusion a été votée
en 199816, complétée par une autre loi instaurant la couverture maladie univer-
selle17, mais ce dispositif dont l’objectif était d’enrayer les difficultés d’accès aux
soins a échoué. Ce qui est en cause, ce sont les inégalités d’accès à la santé liées
directement à de vraies inégalités de notre société.
De plus, ces lois ont été conçues comme un remède à des situations déter-
minées et figées. Or, il faut agir sur le processus qui crée cette situation : sur la
dynamique qui conduit à l’exclusion ; c’est en ce sens que le droit au logement
est un enjeu de santé publique.
16. Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, JO du 31 juillet
1998.
17. Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle.
18. E. PICARD. L’émergence des droits fondamentaux en France. L’actualité juridique, Droit administratif,
juillet/août 1998, p. 6 à 42.
19. G. LEBRETON (sous la direction de), Regards critiques sur l’évolution des droits fondamentaux de la
personne humaine en 1999 et 2000, L’Harmattan, 2002.
c’est parce que l’approche de la fondamentalité n’est pas unique mais multiple
et relative. La seule certitude est que cet attribut « fondamental » conditionne
le passage du commun au particulier. À partir de quel moment peut-on alors
considérer ou doit-on considérer qu’une norme est fondamentale ?
Enfin, s’il existe des droits fondamentaux, c’est qu’il y a des droits non
fondamentaux, c’est-à-dire, un ensemble, de droits susceptibles de subir des limi-
tations, voire même d’être dénaturés par la concurrence d’autres droits qui eux
auraient le privilège d’être reconnus comme fondamentaux. D’ailleurs, si l’on
se tourne vers la Convention européenne des droits de l’homme où une classi-
fication est faite entre les droits de première catégorie et les droits de seconde
catégorie, on constate que les premiers sont absolus alors que les seconds
peuvent subir des limitations.
Le propre d’un droit fondamental est d’être énoncé par une norme
constitutionnelle et protégé dans un « noyau dur » contre les atteintes du légis-
lateur20.
20. Laurence Gay, thèse de doctorat en droit, Les « droits-créances » constitutionnels, Aix-en-provence,
15 décembre 2001, Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille.
21. Loi n° 90-449 du 31 mai 1990, loi visant la mise en œuvre du droit au logement.
22. Cour d’appel de Paris, arrêt du 15 septembre 1995, affaire dite de la rue du Dragon où la CA a
affirmé que « le droit au logement est considéré comme un droit fondamental et un objectif à valeur
constitutionnelle ».
De plus, il faut rappeler que, le fait qu’un droit soit consacré par un texte,
une loi ou dans la Constitution, ne suffit pas à garantir son effectivité car le
droit ne doit pas simplement être déclaré pour exister. La transposition de droits
dans les textes doit être suivie de la création et de la mise en place d’outils
permettant dans les faits, dans la vie de chaque homme, que ce droit devienne
viable. Notons, que c’est la création d’outils et non d’institutions foisonnantes
qui garantit l’effectivité du droit au logement. En effet, à titre d’exemple, Lyon
qualifiée de « capitale de la résistance » par le général de Gaulle, l’une des pre-
mières villes en 1989 à se doter d’une Commission extra-municipale des droits
de l’homme, devenue en 2001 le Conseil lyonnais pour le respect des droits
(CLRD.), une instance de concertation qui a en charge les questions relatives
aux droits de l’homme et notamment au droit au logement, Lyon qui dispose
d’un groupe d’initiative pour l’intégration dans la ville (GIPIV.)25 est pourtant
une cité où le logement demeure encore un droit non pas fictif mais dont l’effec-
tivité est encore à rechercher.
23. B. MATHIEU et M. VERPEAUX, note sous décision du Conseil constitutionnel n° 98-403 du 29 juillet 1998,
Petites affiches 12 janvier 1996, n° 6, p. 4.
24. Le Monde, 17 et 18 septembre 1995.
25. Me U. IANNUCI. L’effectivité des droits, quelques expériences lyonnaise, dossier réalisé à titre de
contribution de la Ville de Lyon au Forum des autorités locales de Saint Denis du 11 au 13 novembre 2003.
Ainsi, pour qu’un droit soit reconnu comme effectif, il faut que l’écart entre
la théorie c’est-à-dire le texte de loi et la pratique soit nul. L’effectivité est un
moyen, un instrument conceptuel d’évaluation du degré de réception du droit
dans la pratique26, dans la sphère sociale. Vérifier cette effectivité revient à mesu-
rer l’impact de ces textes de droit sur les pratiques sociales.
Conclusion
La préservation de l’état de santé est si précieuse qu’elle incombe aux auto-
rités publiques souveraines de chaque État. À ce titre, l’État se doit d’identifier
et d’analyser les problèmes de santé afin de fixer les objectifs de santé publique.
Toutefois, il ne doit pas se contenter de donner des consignes, il lui revient de
donner des orientations et des engagements politiques dans l’unique but d’amé-
liorer l’état de santé de tous les membres de la société, sans discrimination
aucune.
26. P. LASCOUMES, E. SERVERIN. Théories et pratiques de l’effectivité du droit, Droit et Société (2), 1986.