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SYNTHÈSES

Droit à la santé,
droit au logement,
des droits à géométrie variable
Hanène ROMDHANE
DESS, droit et évaluation des structures sanitaires et sociales, IFROSS, université Jean Moulin, Lyon III.

Résumé

Le développement de la santé publique renvoie indéniablement aux


progrès scientifique et technique de la médecine ou à la qualité de la prise
en charge des patients par les établissements de santé, mais la discussion
mérite d’être élargie à l’accès de chacun à ce système de santé. En effet, la
santé d’une personne ne se résume pas à un passage dans un établissement
de soins, mais elle est étroitement liée à sa qualité de vie, à son
environnement social, aux conditions de travail ou à la qualité d’un
logement.

Depuis Socrate et Platon, nous savons que la discussion des définitions et


des concepts est le début de toute réflexion. Penser est davantage l’art de poser
les bonnes questions plutôt que d’en croire les réponses évidentes. En effet, la
qualité et la pertinence d’une discussion dépendent de son objet.

En l’espèce, l’objet de la réflexion est le droit au logement qui conditionne


l’appartenance à une collectivité humaine.

En effet, on ne peut se sentir membre d’une telle collectivité que si l’on


peut s’enraciner, habiter quelque part1. L’habitat constitue l’espace dans lequel
s’inscrit cette possibilité pour tous les êtres vivants. C’est de l’effectivité de ce
droit que dépendent le respect et l’application d’autres droits fondamentaux.
Sans droit au logement, le droit à la santé qui se traduit par un droit d’accès
aux soins serait fictif ; de même, le droit à la dignité humaine, dont le sens

1. R. DUPRIET, J. LADSOUS, D. LEROUX, M. THIERRY, La lutte contre l’exclusion, Une loi, des avancées, de
nouveaux défis, éditions ENSP, 2002.

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premier est de « représenter juridiquement le refus de l’exclusion et de la dégra-


dation de l’humain dans l’homme ».2

Or, ce droit à la dignité apparaît aujourd’hui comme un principe directeur


et c’est à ce titre qu’il nous interpelle : quelle en est la signification ? Comment
peut-il se décliner ? Quels en sont les corollaires ? Et quels sont les droits qui
en dépendent ?

La référence à la dignité humaine n’est pas nouvelle, le décret du 27 avril


1848 relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies et possessions françaises
y faisait déjà référence « Considérant l’esclavage comme un attentat contre la
dignité humaine… »3. Toutefois, à cette époque, la notion était encore bien
ambiguë, car non définie, et faisait l’objet d’un usage disparate4. Ainsi, la dignité,
de par ce statut ambivalent qui la caractérisait, pouvait servir de base à tout
projet… voire même au maintien de l’ordre public5, objectif qui à l’époque, avait
une signification pour le moins contraire à l’objectif même de dignité.

C’est au lendemain de la Seconde guerre mondiale que la « dignité de la


personne humaine » va être consacrée en tant que concept juridique qui désigne
ce qu’il y a d’humain dans l’homme. De fait, la dignité apparaît comme inhérente
à tous les hommes, à tout sujet de droit, « non en vertu d’une sorte de grâce,
de consécration accordée par l’État ou un autre pouvoir, mais de par sa nais-
sance même »6. Ainsi, au nom de la dignité humaine, tout ce qui tend à exclure
un homme de la communauté des humains sera qualifié et considéré comme une
atteinte à cette même dignité.

Toutefois, la notion même de « sauvegarde de la dignité de la personne


humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation » n’apparaît en
tant que principe positif à valeur constitutionnelle qu’en 1994 dans une décision
du Conseil constitutionnel7 à propos de deux lois relatives au respect du corps
humain, au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à
l’assistance médicale, à la procréation et au diagnostic prénatal.

C’est d’ailleurs la loi du 29 juillet 1994, relative au respect du corps


humain qui introduisit dans le Code civil un article 16, aux termes duquel « la
loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de
celle-ci ».

2. M.L. PAVIAT et T. REVET, La dignité de la personne humaine, Economica, 1999.


3. A. HEYMANN-DOAT, Libertés publiques et droits de l’homme, L.G.D.J, 7e édition, 2002.
4. En effet, dans le projet de Constitution du maréchal Pétain, la dignité devait être le facteur qui devait
conduire la société à l’ordre ; l’article 1er énonçait : « La liberté et la dignité de la personne humaine sont
des valeurs suprêmes et des biens intangibles. Leur sauvegarde exige de l’État l’ordre et la justice, et des
citoyens la discipline ».
5. Ibid.
6. Rapport coordonné par Guy Braibant. Rapport Sciences de la vie. De l’éthique du droit.
7. Décision du Conseil constitutionnel n° 94-343-344, en date du 27 juillet 1994.

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De ce principe de respect de la dignité humaine découlent d’autres droits


tels que le droit aux soins, le droit à la vie privée, le droit à un logement… Ce
principe a d’ailleurs servi et sert encore de justificatif à la reconnaissance d’autres
droits en tant qu’objectifs à valeur constitutionnelle. À titre d’exemple, ce prin-
cipe de sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme de dégradation fut
repris lors de l’examen de la loi sur la diversité de l’habitat afin d’en déduire
que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est
un objectif constitutionnel »8. Le Conseil constitutionnel a ainsi rattaché le droit
au logement à ce principe de dignité ; il en fera de même lors de l’examen de la
loi relative à la lutte contre les exclusions9.

Pour François Luchaire, il s’agit d’exiger de la société, au nom de la dignité


de la personne, « des prestations matériellement indispensables à la dignité de la
condition humaine ». À ce titre, il y inclut, la dignité de la vie soit, en d’autres
termes, la protection de la santé, l’instruction, la solidarité et la dignité du travail10.

Afin de compléter cette liste non exhaustive, il apparaît nécessaire d’ajouter


le droit au logement qui est, semble-t-il, à la fois un moyen et un enjeu de santé
publique.

I – La reconnaissance du droit au logement :


un moyen d’action en matière de santé publique
Le droit au logement n’est pas un droit indépendant ; bien au contraire,
son existence conditionne le droit à la santé et, s’il subit une crise, celle-ci se
répercute et se ressent au niveau de la santé publique.

A – L’interdépendance entre droit à la santé


et droit au logement
S’agissant du droit à la santé, rendu effectif par le biais d’un accès aux
soins, il semble nécessaire de souligner, que ce dernier n’est pas limité à l’activité
médicale. En effet, dans une décision récente11, la haute juridiction a examiné
la compatibilité de la législation relative au réaménagement urbain dans des
zones exposées au bruit avec le principe de protection de la santé. En somme,
cette protection de la santé, garantie à tous par la nation, en vertu de l’article 11
du préambule de 1946, apparaît comme un droit non pas isolé mais davantage
comme un maillon d’une chaîne, dont le non respect implique l’inapplication
des autres droits qui en découlent ou qui en dépendent. D’ailleurs, à ce titre, il

8. Décision du Conseil constitutionnel n° 94-359 du 19 janvier 1995, Petites affiches 12 janvier 1996, n° 6,
p. 4.
9. Décision du Conseil constitutionnel n° 98-403 du 29 juillet 1998, Petites affiches 30 juillet 1999, n° 151,
p. 29.
10. François Luchaire, La protection constitutionnelle des droits et des libertés, Economica, 1987.
11. Décision du Conseil constitutionnel n° 2000-436.

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semble nécessaire de souligner le lien réel et direct qui existe entre santé et loge-
ment ou logement et santé. En effet, sans logement, l’effectivité du droit d’accès
aux soins semble compromise.

Malgré les dispositifs mis en place par le gouvernement, tels la couverture


maladie universelle et l’aide médicale d’État… l’état de santé de la population
privée d’accès à un logement décent reste préoccupante12. Si ces lois se sont révé-
lées inefficaces c’est notamment parce qu’elles ont été conçues comme un remède
à des situations déterminées et figées. Or, ce sur quoi il faut agir, ce n’est pas
une situation, un état, mais un processus qui amène à cet état, sur la dynamique
qui conduit à cette précarisation, à cette exclusion. Il faut néanmoins admettre
que cette façon d’agir est caractéristique de notre système ; on agit dans
l’urgence plutôt que sur le long terme. Les remèdes à cette pathologie qu’est le
mal logement doivent être recherchés en amont.

De plus, l’un des paradoxes de notre système de santé est que tous nos
efforts sont centrés sur l’accès aux soins, par la technicité des établissements de
santé, des plateaux techniques, par l’accréditation, par la gestion des risques…
donc sur les structures qui permettent de soigner et non pas sur les personnes
qui réclament et nécessitent des soins. De plus, la santé n’est pas l’apanage des
établissements de santé, la santé n’est pas créée au sein des hôpitaux, la santé
n’est assurée que si et seulement si l’environnement dans lequel la personne vit
est stable et décent et, notamment par un logement digne de ce nom.

Dans le même sens, le Haut commissariat à la santé publique (HCSP) relève


dans son rapport « La santé en France en 2002 »13 la persistance ainsi que
l’aggravation des inégalités de santé entre les groupes sociaux.

Enfin, l’Organisation mondiale de la santé ainsi que le HCSP ont démontré


que seuls 10 à 20 % de l’état de santé d’une population est expliqué par le
système de soins. Ainsi, les 80 % restants sont dus à l’hygiène, à l’alimentation,
à l’amélioration de l’environnement, à l’éducation, au logement, à la catégorie
socio-professionnelle… Si l’on s’en tient à ce constat, l’une des solutions pour
remédier à ces inégalités de santé qui sont en réalité des inégalités sociales de
santé, serait d’agir, entre autres, sur l’accès au logement afin de rendre ce droit
effectif.

Ce qui semble également être problématique, c’est ce traditionnel cloison-


nement entre le social et le médical. Or, pour agir efficacement dans le cadre
d’une amélioration de la santé de la population défavorisée en matière de loge-
ment, il est indispensable que le social et le médical se fondent en un véritable
médico-social. Le maître mot dans ce domaine, dans la recherche d’une effi-
cience de nos systèmes social et sanitaire est la complémentarité. Une révision

12. Rapport d’activité de Médecins du monde 2003.


13. Le Haut comité de santé publique, La santé en France 2002, La documentation Française, 2003.

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de la gouvernance de notre système est nécessaire, ne serait-ce que pour éradi-


quer ou du moins estomper la hiérarchisation et le morcellement des droits en
fonction de ce qu’ils relèvent de la santé ou du social. Ces deux domaines diver-
gent de par la gestion et l’attribution de leur budget ; si le budget de la santé
est déterminé au niveau national et ensuite réparti au niveau local, le budget
social quant à lui, du fait même de la décentralisation n’est pas géré de la même
manière. En effet, dans ce dernier cas de figure, la ligne de partage entre l’État
et le département n’est pas clairement définie. Enfin, de par cette décentralisa-
tion on aboutit à une mise en concurrence des différents publics destinataires
des aides.

Enfin, malgré le fait que l’on sache, avec certitude, que la croissance des
dépenses dans le domaine de la santé résulte en partie des dysfonctionnements
du système, nous continuons à injecter de l’argent dans ce secteur alors qu’il
serait certainement plus efficace d’augmenter les ressources dans d’autres fonc-
tions collectives tel que le logement ; cette action peut être, à long terme, davan-
tage productrice de santé que les dépenses de soins. C’est en ce sens que l’on
peut affirmer que le budget de la santé est le budget de l’exclusion. Or, ce budget
ne profitant pas aux « exclus », comme on aime à appeler les personnes hors
circuit, ces dernières sont doublement touchées puisqu’elles ne bénéficient ni du
système de santé ni du système social. Ces individus/exclus de par l’absence de
logement, voient leur santé se dégrader et leurs droits disparaître… dans la plus
totale indifférence. Notre société atteinte de cécité, touche aujourd’hui au
paroxysme de l’indécence. En effet, de par la négligence dont elle fait preuve à
l’égard de cette partie de la population, elle oublie le plus éminent des droits :
celui de vivre.

Ainsi, dans un souci d’amélioration de la santé de la population, le loge-


ment semble être et ce, de manière irréfutable, un véritable moyen d’action en
matière de santé publique, de sorte que la crise qui l’affecte ne peut épargner
celle-ci.

B – De la crise du logement à une crise en santé publique


La question du logement se posait uniquement pour les plus démunis.
Aujourd’hui, il en est tout autrement. En effet, le problème du logement affecte
un tel nombre de personnes, que les conséquences en matière sanitaire risquent,
si elles ne sont pas appréhendées à temps, de causer une véritable crise en santé
publique.

Le défaut de logement, le mal logement, n’est pas exclusivement dû au parc


locatif privé. L’État, en n’assurant pas une offre adéquate à la demande en
matière de logements sociaux engage sa responsabilité du fait non pas de son
inaction car il agit, mais de l’inefficacité et de l’inadéquation de son action.
Actuellement, l’offre de logements et notamment de logements sociaux est

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inadaptée quantitativement mais aussi qualitativement, c’est pourquoi certains


parlent de crise : il est, toutefois, à noter que nous sommes passés d’une crise
de logements avec logement à une crise de logements sans logement.

La production de logements neufs, ne permet de répondre qu’à la demande


des plus solvables. Ce n’est pas l’offre qui est en crise, c’est davantage le mode
de régulation de l’offre et de la demande qui l’est. En effet, cette crise conduit
à la réduction de logements construits à un niveau inférieur aux besoins, estimés
à 350 000 par an14. Le nombre de logements sociaux construits chaque année
est en baisse constante : sur les 150 000 logements sociaux nécessaires, seuls
45 000 à 55 000 seront construits15. De plus, on constate que les budgets ne
sont pas consommés par les collectivités locales qui sont de plus en plus réti-
centes à construire de nouveaux logements sociaux. Parallèlement, la démolition
des logements les plus vétustes, entraîne une réduction du parc locatif privé. De
plus, la réhabilitation du parc social public engendre des augmentations de
loyers et ainsi l’exclusion des ménages les plus modestes. Enfin, les projets de
reconstruction après démolition sont rares où alors débouchent sur des pro-
grammes trop coûteux pour répondre aux besoins des mal-logés.

Le problème du logement ne se réduit pas seulement à une question de


production mais il s’étend également à des difficultés d’accès. En effet, si une
partie des logements dans les parcs privé et public ne trouvent pas preneurs,
c’est parce qu’un nombre croissant de ménages, à la recherche d’un logement,
ne sont pas solvables au regard des bailleurs en raison de leurs ressources et/ou
garanties insuffisantes.

Il faut également signaler que certaines pratiques, ou attitudes de mauvais


locataires, hélas trop médiatisées, ont pu instaurer un climat défavorable à la
location de logements privés, les propriétaires étant souvent découragés par une
législation trop protectrice des droits des locataires.

Le résultat de cette situation est que toutes ces personnes privées du droit
au logement, se sentent exclues de la société et de ce fait, leurs soucis de santé
sont ressentis comme secondaires. Or, certaines maladies telles que la galle et
la tuberculose réapparaissent dans de nombreux foyers. Enfin, cette impossibi-
lité d’accéder à un logement est une réalité concrète pour les « familles de la
rue », ces personnes malades qui ne peuvent pas accéder aux soins alors que cet
accès est censé être libre et égal pour tous. Pour se soigner, il faut exister aux
yeux de la société, avoir fait des démarches administratives… ou tomber dans
la rue, de préférence dans un lieu fréquenté afin de bénéficier du transport vers
le service des urgences qui, dans un tel cas de figure, est tenu de vous prendre
en charge.

14. M. DUSART, Responsable Activités Logement CGT, Habitat et société, n° 30 juin 2003, p. 35.
15. Ibid.

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Ainsi, négliger le droit au logement revient à négliger la santé publique. En


effet, il ne s’agit plus de se focaliser sur l’accès aux soins et une relative égalité
d’accès aux soins. Aujourd’hui, l’action en matière de santé publique doit égale-
ment porter sur les facteurs périphériques au système de soins et notamment, le
logement. Il est inutile de continuer à tenter d’éliminer la maladie seulement en
soignant les malades car, une fois les soins donnés, ces personnes retournent dans
leur lieu de vie, lieu inadapté pour suivre un traitement quelconque, ce lieu peut
être la rue, un logement insalubre ou tout simplement un logement inadapté.

Sachant que les inégalités d’accès aux soins existant au sein de notre pays
sont réelles et inacceptables, l’objectif prioritaire en matière de santé publique
doit consister à corriger ce déséquilibre. Une loi contre l’exclusion a été votée
en 199816, complétée par une autre loi instaurant la couverture maladie univer-
selle17, mais ce dispositif dont l’objectif était d’enrayer les difficultés d’accès aux
soins a échoué. Ce qui est en cause, ce sont les inégalités d’accès à la santé liées
directement à de vraies inégalités de notre société.

De plus, ces lois ont été conçues comme un remède à des situations déter-
minées et figées. Or, il faut agir sur le processus qui crée cette situation : sur la
dynamique qui conduit à l’exclusion ; c’est en ce sens que le droit au logement
est un enjeu de santé publique.

II – La reconnaissance du caractère fondamental


du droit au logement, un enjeu de santé publique
Eu égard à l’interdépendance entre droit au logement et santé publique, la
reconnaissance du droit au logement en tant que droit fondamental est un enjeu
de santé publique.

A – La reconnaissance nécessaire du droit au logement


en tant que droit fondamental
Ce qui est fondamental, écrit Étienne Picard18, c’est ce qui est important,
prééminent, essentiel. Cette explication revient à proclamer que des droits « sont
fondamentaux parce que fondamentaux »19, ce qui ne nous avance guère.

S’il s’avère si difficile de définir cette notion de droits fondamentaux, si


l’on tend vers une définition universelle mais que l’on n’atteint pas l’objectif,

16. Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, JO du 31 juillet
1998.
17. Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle.
18. E. PICARD. L’émergence des droits fondamentaux en France. L’actualité juridique, Droit administratif,
juillet/août 1998, p. 6 à 42.
19. G. LEBRETON (sous la direction de), Regards critiques sur l’évolution des droits fondamentaux de la
personne humaine en 1999 et 2000, L’Harmattan, 2002.

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c’est parce que l’approche de la fondamentalité n’est pas unique mais multiple
et relative. La seule certitude est que cet attribut « fondamental » conditionne
le passage du commun au particulier. À partir de quel moment peut-on alors
considérer ou doit-on considérer qu’une norme est fondamentale ?

On peut relever trois moyens de concevoir la fondamentalité. Le premier


mode d’approche dans cette quête de la fondamentalité est intuitif : est fonda-
mental ce que l’on ressent comme étant fondamental. Le deuxième mode
d’approche est positiviste : est fondamental ce que le texte ou le juge déclare
comme tel. Enfin, la troisième approche se veut quant à elle systématique ou
encore dogmatique : est fondamental ce qui est constitutionnellement reconnu
comme tel.

Se pose alors la question de savoir quelle approche retenir ? A priori, il


semblerait qu’il ne faille en exclure aucune et davantage se servir des trois appro-
ches en tant que faisceaux d’indices.

À l’évidence, tous les droits ne sont pas fondamentaux et il semble que


ceux qui le sont se caractérisent par leur rôle, lui-même fondé sur l’importance
reconnue à ce droit. Ce sont tous ceux qui apparaissent suffisamment essentiels
pour pouvoir se prévaloir contre une quelconque opposition ; il y a de la préé-
minence dans la fondamentalité. Toutefois, ce phénomène de prééminence ne
fonctionne que face et par rapport aux droits fondamentaux. En effet, si l’on
est en présence de deux droits fondamentaux, il n’y a plus de fondamentalité
car ils sont tous deux au même niveau. Dans un tel cas de figure, le juge fera
primer l’un ou l’autre en fonction d’une appréciation in concreto ; dans ce
domaine, il n’y a pas de hiérarchisation, le juge décide au cas par cas et non de
manière générale. En somme, si hiérarchie il y a, celle-ci n’est que ponctuelle.

De plus, la fondamentalité peut s’apprécier à différents niveaux. Au niveau


national, elle peut être constitutionnelle ou simplement normative (respective-
ment, le droit de propriété et les articles 16 et suivant du code civil). La fonda-
mentalité peut être communautaire c’est-à-dire à vocation commerciale et dans
ce cas de figure, intervenir dans le cadre de Traité de l’Union et notamment à
travers la Charte de droits fondamentaux. Elle peut aussi être européenne et, à
ce titre avec une vocation protectrice ; dans ce cas, elle intervient dans le cadre
de l’Europe et plus précisément dans le champ d’application de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Enfin, s’il existe des droits fondamentaux, c’est qu’il y a des droits non
fondamentaux, c’est-à-dire, un ensemble, de droits susceptibles de subir des limi-
tations, voire même d’être dénaturés par la concurrence d’autres droits qui eux
auraient le privilège d’être reconnus comme fondamentaux. D’ailleurs, si l’on
se tourne vers la Convention européenne des droits de l’homme où une classi-
fication est faite entre les droits de première catégorie et les droits de seconde

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catégorie, on constate que les premiers sont absolus alors que les seconds
peuvent subir des limitations.

On décèle ainsi la difficulté d’exiger l’effectivité d’un droit qui ne serait


pas reconnu comme fondamental, difficulté grandissante et infranchissable si le
droit qui s’y oppose est fondamental. C’est notamment le problème qui se pose
entre la défense du droit au logement qui n’est reconnu qu’en tant qu’objectif
à valeur constitutionnelle et le droit de propriété qui, lui, est un droit fonda-
mental.

En effet, le droit au logement, de par l’impact qu’il a sur la santé publique,


sur la dignité humaine, sur le respect de la vie privée, sur le principe d’égalité,
sur le droit au travail… est un droit qui ne peut être considéré autrement que
comme fondamental. D’autant plus que qualifier le droit au logement de droit
fondamental n’implique pas de facto de porter atteinte au droit de propriété ;
consacrer ce droit dans la Constitution permettrait d’assurer un meilleur équi-
libre entre le droit de propriété et le droit au logement. En effet, ce dernier est
un droit, que chaque individu vivant dans une société peut exiger de l’État, au
nom du droit à la santé, au nom de la dignité humaine.

Le propre d’un droit fondamental est d’être énoncé par une norme
constitutionnelle et protégé dans un « noyau dur » contre les atteintes du légis-
lateur20.

Or, malgré la reconnaissance par le Conseil constitutionnel du droit au


logement comme objectif à valeur constitutionnelle, bien que la loi du 31 mai
199021 en ait fait un devoir de solidarité nationale, et malgré les décisions de
nombreuses juridictions22 affirmant qu’il méritait protection au même titre que
le droit de propriété, malgré cela, le droit au logement n’est toujours pas inscrit
dans la Constitution française.

B – La qualification d’objectif constitutionnel, garantie


insuffisante pour l’effectivité d’un droit
Le Conseil constitutionnel a consacré le droit au logement comme simple
objectif à valeur constitutionnelle. Cette qualification est révélatrice de la portée
juridique que la haute juridiction accorde à ce droit au logement. Pour le Conseil
constitutionnel, le droit au logement est un droit-créance, en d’autres termes, il
ne s’agit pas d’un droit fondamental mais d’une simple directive constitution-

20. Laurence Gay, thèse de doctorat en droit, Les « droits-créances » constitutionnels, Aix-en-provence,
15 décembre 2001, Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille.
21. Loi n° 90-449 du 31 mai 1990, loi visant la mise en œuvre du droit au logement.
22. Cour d’appel de Paris, arrêt du 15 septembre 1995, affaire dite de la rue du Dragon où la CA a
affirmé que « le droit au logement est considéré comme un droit fondamental et un objectif à valeur
constitutionnelle ».

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nelle que le législateur doit mettre en œuvre en fonction du contexte politique,


économique et social23.

Toutefois, même si l’on considère que cette qualification d’objectif à valeur


constitutionnelle est insuffisante pour garantir l’effectivité d’un droit au loge-
ment, celle-ci permet néanmoins une certaine limitation du droit de propriété.
Car c’est à ce titre que les juridictions judiciaires, à l’instar du Conseil consti-
tutionnel ont reconnu un droit au logement. Ainsi, dans l’affaire dite de la rue
du Dragon, la cour d’appel de Paris, le 15 septembre 1995 a affirmé que « le
droit au logement est considéré comme un droit fondamental et un objectif à
valeur constitutionnelle »24.

On voit, par là, le rôle prééminent du juge en matière de droit. En effet,


l’acteur juridique le plus directement confronté à la question des droits de
l’homme et à celle de la juridisation est le juge ; c’est lui qui doit, d’un côté,
appliquer le droit c’est-à-dire s’en tenir à la lettre de la loi et d’un autre côté,
assurer la légitimité de sa décision en la rattachant aux valeurs ainsi qu’à l’idée
que l’on se fait de l’homme à un moment donné, dans une société donnée. On
voit donc le paradoxe français dans lequel se retrouvent nos juges : les textes
qui n’affirment pas le droit au logement en tant que droit fondamental préten-
dent s’imposer à eux. De fait, à travers des arrêts comme celui précité, on devine
que le juge français est le principal artisan des droits fondamentaux : s’il ne peut
changer la loi, il change la situation de fait.

De plus, il faut rappeler que, le fait qu’un droit soit consacré par un texte,
une loi ou dans la Constitution, ne suffit pas à garantir son effectivité car le
droit ne doit pas simplement être déclaré pour exister. La transposition de droits
dans les textes doit être suivie de la création et de la mise en place d’outils
permettant dans les faits, dans la vie de chaque homme, que ce droit devienne
viable. Notons, que c’est la création d’outils et non d’institutions foisonnantes
qui garantit l’effectivité du droit au logement. En effet, à titre d’exemple, Lyon
qualifiée de « capitale de la résistance » par le général de Gaulle, l’une des pre-
mières villes en 1989 à se doter d’une Commission extra-municipale des droits
de l’homme, devenue en 2001 le Conseil lyonnais pour le respect des droits
(CLRD.), une instance de concertation qui a en charge les questions relatives
aux droits de l’homme et notamment au droit au logement, Lyon qui dispose
d’un groupe d’initiative pour l’intégration dans la ville (GIPIV.)25 est pourtant
une cité où le logement demeure encore un droit non pas fictif mais dont l’effec-
tivité est encore à rechercher.

23. B. MATHIEU et M. VERPEAUX, note sous décision du Conseil constitutionnel n° 98-403 du 29 juillet 1998,
Petites affiches 12 janvier 1996, n° 6, p. 4.
24. Le Monde, 17 et 18 septembre 1995.
25. Me U. IANNUCI. L’effectivité des droits, quelques expériences lyonnaise, dossier réalisé à titre de
contribution de la Ville de Lyon au Forum des autorités locales de Saint Denis du 11 au 13 novembre 2003.

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Ainsi, pour qu’un droit soit reconnu comme effectif, il faut que l’écart entre
la théorie c’est-à-dire le texte de loi et la pratique soit nul. L’effectivité est un
moyen, un instrument conceptuel d’évaluation du degré de réception du droit
dans la pratique26, dans la sphère sociale. Vérifier cette effectivité revient à mesu-
rer l’impact de ces textes de droit sur les pratiques sociales.

Lorsque l’on met en place ce concept d’effectivité, on constate que nom-


breuses sont les législations qui n’ont pas atteint leur objectif. Cependant, en
matière de droits fondamentaux, l’État se doit de mettre à sa disposition ainsi
qu’à celle de tous les acteurs responsables en la matière, des outils, des moyens
pour assurer l’application de ces droits ; à défaut, il s’agirait d’un manquement
grave et l’État pourrait ainsi voir sa responsabilité mise en jeu et ce, que ce soit
au niveau national ou européen.

Ainsi, en ne reconnaissant pas au droit au logement son caractère fonda-


mental, notre État le relègue au rang d’un droit secondaire alors même qu’il est
la condition d’effectivité d’autres droits, qui eux sont reconnus comme étant
fondamentaux.

Conclusion
La préservation de l’état de santé est si précieuse qu’elle incombe aux auto-
rités publiques souveraines de chaque État. À ce titre, l’État se doit d’identifier
et d’analyser les problèmes de santé afin de fixer les objectifs de santé publique.
Toutefois, il ne doit pas se contenter de donner des consignes, il lui revient de
donner des orientations et des engagements politiques dans l’unique but d’amé-
liorer l’état de santé de tous les membres de la société, sans discrimination
aucune.

Jusqu’à présent, la politique nationale de santé publique s’est exprimée et


continue de s’exprimer par le biais d’affichage des objectifs, par des plans stra-
tégiques, par des programmes… Or, tant que l’État ne fera pas de l’accès à un
logement digne et salubre un droit fondamental, un objectif prioritaire au niveau
national, qu’il ne se donnera pas les moyens de l’effectivité de ce droit, la notion
de politique de santé restera malgré ses nombreux et ambitieux objectifs, qui ne
sont pas pour autant prioritaires… vide de sens. En effet, comme démontré pré-
cédemment, l’interdépendance entre le logement et la santé fait que ce dernier
devient à la fois un moyen et un enjeu de santé publique. La santé étant un
domaine sur lequel on ne peut transiger, le logement étant une des conditions
de l’effectivité du droit aux soins et de l’amélioration de l’état de santé, il devient
donc à son tour, par voie de conséquence, un domaine sur lequel il est impossible
de transiger. La proclamation des droits doit ouvrir sur une seconde phase : la
garantie de leur effectivité.

26. P. LASCOUMES, E. SERVERIN. Théories et pratiques de l’effectivité du droit, Droit et Société (2), 1986.

236 Droit, déontologie et soin Juin 2004, vol. 4, n° 2

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