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Université Sidi Mohamed Ben Abdellah

Travail de recherche en :

Master Droit privé et Sciences Criminelle

Sous le thème de :

L’évolution du Système pénal Marocain pendant le


protectorat

Encadré par : Mr Salaheddine MAATOUK,


Docteur en Droit Français.

Présenté par :
Mouad ACHOUANE
Manal OUSALAH
Tachefine Rayd
Youssef TAJI
Hamadi OUARDAOUI

Introduction

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Durant son histoire le Maroc a connu le passage de plusieurs
dynasties musulmanes. Les Arabes venus de l’orient, porteurs de l’islam,
ont cohabité avec les Amazighs (les berbères). Il a été l’objet, de 1912 à
1956, d’un double protectorat espagnol au nord et au sud et français au
centre.
Cet état de choses a généré le développement d’un système juridique
complexe et difficilement accessible. La complexité que revêt l’ordre
juridique est dû à l’existence de nombreuses interférences entre plusieurs
ordres normatifs différents.
Les bases textuelles du droit pénal du Maroc paraissent très
artificielles et très simplistes sous leurs formes actuelles. L’expérience
colonialiste subie par le Maroc laisse des traces bien nettes dans la forme et
le fond de sa législation pénale bien que l’indépendance politique en ait
éliminées.

En dépit de l’insuffisance des informations qu’ils contiennent, les


documents écrits qui renseignent sur la nature, les sources et/ou le contenu
des solutions anticriminelles appliquées au Maroc  permet de soutenir que,
pendant des temps assez longs, les peines étaient distribuées selon des
règles qui affluaient simultanément de sources plurielles.

Avant l’islamisation du pays, la coutume exerçait son pouvoir, sans


concurrence aucune, dans le cadre de la jouissance par les tribus d’une
réelle liberté dans la définition des réponses à la délinquance et dans leur
application.

Suite à l’avènement de l’islam, Les docteurs musulmans et les juges


ont introduit la coutume «l’orf» dans l’ordre juridique Marocain en
recourant au raisonnement par analogie «al kiyas» et en se basant sur le
procédé du bien commun « al maslaha » et ce dans le but de résoudre
certains litiges et affronter les cas nouveaux.

Au temps du Protectorat, certains juristes français, qui relevaient de


l’école d’Alger, recommandaient les coutumes et les usages des tribus dans
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l’Afrique du nord et ce au détriment du droit musulman.les colonisateurs
ont préféré user des moyens à leur disposition pour introduire leur droit et
en étendre le régime aux nationaux.

Depuis ses premiers jours, le Protectorat a cherché à introduire son


droit pénal et à en imposer l’application aux Marocains. Il a rapidement
compris qu’il ne pouvait le faire d’un seul trait et qu’il lui fallait, pour
préparer le terrain, fragiliser les liens de solidarité noués et renforcés à
travers les â ges entre normativité pénale islamique et coutume, quitte à
commettre des fautes et à passer en force.
Cet état de choses a généré le développement d’un système juridique
complexe et difficilement accessible. La complexité que revêtait l’ordre
juridique était dû à l’existence de nombreuses interférences entre plusieurs
ordres normatifs différents de l’époque.

La justice du protectorat se fonde sur une distinction fondamentale


entre, d’une part, les juridictions qui s’adressent aux populations étrangères
pour leur appliquer la nouvelle législation d’inspiration “moderne”, et
d’autre part, les juridictions du qâ di et du Makhzen qui continuent, en
principe, à appliquer le droit antérieur aux populations marocaines. Cette
ségrégation que l’on retrouve d’ailleurs dans maints domaines lui permet
en fait de faire l’économie de l’administration des problèmes sociaux, de
s’attacher la fidélité de l’appareil du Makhzen et des tribus, d’éviter
d’arbitrer entre des conflits secondaires pour le développement de la
colonisation et également de priver les populations autochtones du
bénéfice des mesures économiques et sociales qu’elle sera amenée à
prendre.

Un bref rappel des réalités du système pénal du protectorat (zone


Sud) permet de faire des constatations similaires. D’un cô té la justice
chérifienne se maintient pour assurer la répression de la criminalité
indigène dans un "statu-quo apparent"; de l’autre, les tribunaux français
organisés suivant le modèle métropolitain reçoivent une compétence
exclusive à l’égard des non Marocains. Ils se présentent ainsi comme le
prolongement de la justice consulaire qui ne disparaît pas totalement pour
autant. Mais à la différence de celle-ci, la justice pénale française s’étend aux

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Marocains dans les conflits mixtes et pour des infractions dont la liste
augmentera au cours des années. Elle confirme par ailleurs sa prééminence
sur la justice chérifienne.

Un aperçu sur le mode structural et organisationnel des juridictions et


de manière générale de la justice marocaine lors du protectorat (partie I)
permet de dégager le dilemme dans lequel s’est retrouvé la justice pénale
avant d’emprunter les traces du régime colonial et devenir le droit pénal
marocain (partie II).

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Plan :
Partie I : Aperçu historique sur le système juridico-
judiciaire avant et en temps du protectorat
A - la période précoloniale
B - L’organisation judiciaire du Maroc protectoral
1- La justice rabbinique

2- La justice du chraâ

3- La justice berbère

4- La justice des caïds et des pachas

Partie II : Le début d’une législation pénale positive


A - acculturation pénale forcée
1- Le recul du rôle de la chariaa en matière pénale

2- L’infiltration graduelle de la législation du protectorat

3- la réforme de la législation pénale.

B - de nouvelles sources de droit pénal


1-Influence de nature politique 

2-influence de nature technique 

3-Les différents textes réglementant la matière pénale sous le régime du


protectorat

Conclusion

Partie I : Aperçu historique sur le système juridico-judiciaire


avant et en temps du protectorat
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Durant une longue période, l’ordre juridique islamique subit une
régression considérable et son domaine d’application se trouve
continuellement amputé. Le point de départ de ce processus régressif est
difficile à dater avec précision mais le mouvement s’amorce bien avant le
protectorat et s’amplifie au cours de la période coloniale.

A – la période précoloniale :

La situation qui prévaut au cours des XVIIe et XVIIIe siècles se


caractérise, d’un point de vue juridique, par un "pluralisme législatif"
prononcé mais librement accepté qui fait dépendre le droit applicable de la
religion, de l’appartenance culturelle et ethnique et de la nationalité des
personnes concernées. La communauté juive se trouve ainsi régie, dans une
large mesure, par la loi judaïque ; les populations de culture berbère
relèvent, dans des mesures variables, des coutumes régionales et les
étrangers non musulmans se trouvent en partie gouvernés par des lois
étrangères. Mais au sein de cette mosaïque de droits, c’est la tradition
juridique islamique qui occupe incontestablement le devant de la scène. Et
pour cause, le Maroc est une partie du Dar Al islam et l’Etat marocain est un
Etat musulman qui tire sa légitimité de l’Islam. Aussi l’ordre juridique
islamique est-il l’ordre juridique dominant qui seul a vocation à régir le
fonctionnement de l’Etat et l’organisation de la société, à réprimer les
troubles de l’ordre social, à régler les contestations relatives à la propriété
immobilière quelle que soit l’appartenance des intéressés et à trancher les
litiges opposant un musulman à un non musulman ou des non musulmans
appartenant à des religions différentes.

Mais à partir du XIXe siècle cette prééminence se trouve remise en


cause. A cette époque, en effet, s’amorce un repli de la tradition juridique
islamique qui va s’intensifier à mesure que s’aggrave l’emprise étrangère
sur le pays. Les privilèges de juridiction et de législation dont bénéficient les
étrangers connaissent une expansion sans précédent et s’appliquent à tous
les domaines du droit y compris le droit pénal de sorte qu’à l’exclusion des
affaires immobilières, les étrangers finissent par échapper complètement à
la justice marocaine et à l’application du droit musulman.
Par ailleurs, la compétence des juridictions consulaires s’élargit
encore du fait de l’extension des privilèges consulaires à des sujets
marocains qui, en devenant "protégés" de telle ou telle puissance étrangère
échappent à leur tour et dans une mesure considérable, à la justice
nationale et à l’application du droit musulman. De plus, le juge habilité à

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connaître des litiges mixtes n’est plus nécessairement le juge marocain mais
le plus souvent le juge du défendeur, de sorte qu’un justiciable marocain
peut désormais relever de la compétence d’un juge étranger et être soumis,
dans son propre pays, à une loi autre que la loi islamique.
Enfin, l’affaiblissement du pouvoir central dû aux crises internes et
au renforcement de l’emprise étrangère devait sans doute entraîner une
régression du droit musulman dans les régions de culture berbère et une
expansion corrélative d’un droit coutumier resté en marge de la tradition
juridique islamique.

B- L’organisation judiciaire du Maroc protectoral 


le système judiciaire dans les zones dites "arabes" ou "musulmanes"
était régi sous l’égide des "autorités de contrô le " par deux systèmes
juridiques, voire trois. Sous le Protectorat français, et pour mieux cerner " la
justice indigène" de la zone française de l’Empire chérifien, nous allons
présenter les quatre juridictions qui la composent : la justice rabbinique, la
justice du chraâ appelée aussi justice coranique, celle des jmaâ s judiciaires
berbères et la justice des mahkamas (tribunaux) des pachas et des caïds.

1- La justice rabbinique
Elle est organisée par un dahir du 22 mai 1918, sa compétence porte
sur les affaires concernant le statut personnel et successoral des juifs. Les
tribunaux mis en place étaient contrô lés par un inspecteur général des
institutions israélites. Un haut tribunal rabbinique a été instauré à Rabat
comme justice de recours pour les affaires importantes. À ce niveau, il n’y
avait ni berbères ni arabes pour la simple raison que l’appartenance
religieuse des concernés suffisait à lui seul à soumettre les habitants des
campagnes à ceux de la ville, prolongeant ainsi le vieux duel des Andalous
et des autochtones parmi les Marocains de confession juive.

2- La justice du chraâ

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Elle est administrée par le cadi qui a compétence pour traiter toutes
les questions relatives au statut personnel et successoral concernant les
musulmans et pour toutes les affaires immobilières, lorsqu’il s’agit
d’immeubles non immatriculés ou en cours d’immatriculation, y compris
pour les Européens. Un agent français, le contrô leur civil ou l’officier des
Affaires indigènes, exerce son autorité de contrô le sur le cadi, tout en
veillant au respect des procédures, des tarifs et du bon fonctionnement de
la justice. Il fait également transiter toutes les correspondances entre le cadi
et son administration de tutelle. Un tribunal d’appel du chraâ a été mis en
place pour juger en second recours certaines affaires importantes, surtout
celles impliquant des ressortissants français ou européens dans des affaires
immobilières relevant des compétences des cadis. Un délégué du
gouvernement chérifien (un agent français) y siège comme assistant. Ce
système est mis en place comme une norme du "bled makhzen", "arabe",
" fortement islamisé " dès 1913 et il a connu des réformes successives, tout
en gardant sa forme et son contenu.

3- La justice berbère
Cette justice a existé dans les faits, sans aucun texte lui donnant force
de droit, jusqu’en 1930, date à laquelle un dahir lui a donné un statut
juridique légal. C’est ce dahir daté du 16 mai 1930 que "le mouvement
national" et les différents textes ayant trait à la période coloniale du Maroc
avait appelé " le dahir berbère ". Dahir qui a procédé à la légalisation d’un
ensemble de mesures administratives, sous forme d’arrêtés viziriels
concernant les tribus dites de coutume ou d’instructions résidentielles aux
officiers en matière de "politique indigène ".
Cette justice, appelée, justice des jmaâ s judiciaires a été administrée
par des conseils de notables choisis et nommés par les autorités de contrô le
dans les tribus cataloguées comme "berbères"par arrêté viziriel. Les textes
avaient fait de ses conseils, des jmaâ s présidées par le caïd et ayant comme
secrétaire et commissaire du gouvernement, les officiers des Affaires
indigènes. Ces " tribunaux coutumiers" avaient compétence en matières
personnelles, successorales, civiles et commerciales. Les affaires de meurtre
étaient du seul ressort du caïd jusqu’en 1930, date à laquelle elles ont été
transférées aux tribunaux français qui jugeaient déjà les mêmes affaires des

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"musulmans " et des "juifs ". Ce système de la " justice berbère " a été
réformé par un dahir du 8 avril 1934 qui a institué un haut tribunal
coutumier d’appel avec compétence dans les affaires pénales relatives aux
crimes attribuées aux tribunaux français, selon l’article 6 du dahir du 16
mai 1930. Jusqu’à cette date, un seul dahir aux contours flous, le dahir du 11
novembre 1914 qui évoque le respect des us et coutumesdes tribus qui
acceptent d’entrer dans la paix française de l’Empire chérifien, a été utilisé
pour produire les arrêtés et les circulaires à chaque fois que les besoins en
textes des administrateurs en tribu se faisaient ressentir.

4- La justice des caïds et des pachas


Le gouvernement chérifien mis en place par l’administration française
consistait à administrer le Maroc d’une manière parallèle entre l’agent
français et l’agent autochtone ou indigène. Les villes ont été administrées
par des contrô leurs civils et militaires aux cô tés d’un pacha ayant
compétence directe sur les indigènes sous le contrô le des autorités. Les
tribus furent soumises à l’administration du caïd ayant les mêmes
compétences que les pachas en ville. Les deux agents ne faisaient pas
qu’administrer, ils avaient le droit et le devoir de rendre justice et de tenir
des séances hebdomadaires de "mahkama" où les plaignants et les accusés
sont présentés et condamnés séance tenante dans la majorité des cas.
Leur juridiction s’étendait comme au pénal, aux obligations aussi, et à
toute une catégorie de litiges en matière civile et commerciale. Toutes les
affaires dont la peine ne dépassait pas les deux ans et les amendes ne
dépassant pas une certaine somme étaient soumises à ses tribunaux, sur
rapport et proposition du commissaire du gouvernement, qui n’était autre
que le contrô leur civil ou l’officier des Affaires indigènes. Un arrêté viziriel
du 3 janvier 1913 a réglementé les premiers fonctionnements, et le dahir du
4 aoû t 1918 a réglementé cette justice en y ajoutant un haut tribunal
chérifien pour les affaires en appel ou ne relevant pas des compétences des
caïds et des pachas. Un dahir du 24 juillet 1920 avait institué une Direction
des affaires chérifiennes chargée de contrô ler l’ensemble de cette justice du
chraâ et du makhzen..

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Partie II : Le début d’une législation pénale positive
Sous l’action conjuguée de plusieurs facteurs, la tradition juridique
islamique perd sa place dominante en subissant les assauts d’un ordre
juridique concurrent qui se montre plus compétitif et plus agressif.
A-acculturation pénale forcée
Depuis ses premiers jours, le Protectorat a cherché à introduire son
droit pénal et à en imposer l’application aux Marocains. Il a rapidement
compris qu’il ne pouvait le faire d’un seul trait et qu’il lui fallait, pour
préparer le terrain, fragiliser les liens de solidarité noués et renforcés à
travers les â ges entre normativité pénale islamique et coutume.
1- Le recul du rôle de la chariaa en matière pénale
Aux termes du traité conclu entre la France et le Maroc le 30 mars 
1912, le Protectorat avait le droit, voire même le devoir, de réformer la
justice en général et la justice pénale en particulier. Ses experts ont eu tort
de considérer qu’il fallait au préalable réduire la place et affaiblir l’autorité
de la tradition juridique islamique en hypertrophiant notamment
l’importance de la coutume. Faisant preuve de machiavélisme, ils se sont
employés à créer des ségrégations au sein de la société marocaine en
soustrayant une partie des citoyens au magistère de la loi religieuse.

Ce mouvement fut initié par l’attribution expresse à l’exécutif de


certaines compétences pénales jusqu’alors exercées par le cadi. Il fut
ensuite poursuivi par la revivification de la coutume aux dépens de la charia
et de son rô le dans le fonctionnement de la justice pénale. Par ces actes, le
Protectorat parvint, d’une certaine manière, à imposer sa supervision de la
structure et du fonctionnement de la justice répressive. Il en organisa
jusqu’au plus petit détail sans se mettre toutefois sur le devant de la scène.
Qu’il s’agisse des tribunaux coutumiers, des juridictions islamiques ou de la
justice des pachas et caïds, les hommes du Protectorat agissaient dans les
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coulisses, même là où le colonisateur s’était engagé formellement à
respecter les lois et les institutions judiciaires des tribus en contrepartie de
leur reddition.

2- L’infiltration graduelle de la législation du protectorat

Le Protectorat s’était résigné, au début, à surseoir à la généralisation


de l’application de son droit. Il s’était rendu compte qu’il lui était même
difficile de rendre effectives les solutions transitoires par lesquelles il
souhaitait préparer les conditions de l’invasion juridique. De sa
déconvenue, c’est le mauvais accueil réservé au Maroc et dans le monde
arabo-musulman au « dahir berbère » qui fournit l’illustration la plus nette.

Le Protectorat fondait de grands espoirs sur ce dahir pour installer


durablement la tension là où prévalait l’harmonie, l’exclusion là où
dominait l’échange. L’hégémonie consentie par calcul à la coutume aux
dépens de la charia fut unanimement considérée comme une tentative de
christianisation du pays et de séparation entre Arabes et Berbères.

La contestation de cette politique permit d’ailleurs au Mouvement


national naissant de s’affirmer et de s’inviter dans le débat public. Le "dahir
berbère" fut particulièrement vilipendé par ceux-là même sur l’appui
desquels le Protectorat avait cru pouvoir compter : « Ces Berbères, et
surtout les plus autonomes d’entre eux, sont des musulmans passionnés. On
les eû t fort étonnés à dissocier devant eux leur foi de leur système de vie et
de leur civilisation. Du reste, leur particularisme, pour réel qu’il fû t, tournait
fatalement assez court. Il ne pouvait soutenir un séparatisme . Le signe dont
ils se réclamaient ne pouvait rester en situation coloniale le même que du
temps de la Siba. Au Makhzen musulman ils s’étaient opposés par
l’orthodoxie de l’observance. Au Makhzen français ils ne pouvaient le faire
que par l’islamisation des mœurs.

Cette réforme qui n’avait trouvé aucun appui local crédible fut non
seulement "un abus juridique incontestable et une violation des principes
du Protectorat au détriment du Sultan […] mais bien davantage une faute
politique " qui allait retarder de plusieurs années l’application aux

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Marocains du droit pénal né en France. Les dahirs qui, dès 1912, ont
introduit progressivement au Maroc le Code pénal, le Code d’instruction
criminelle et les lois pénales particulières ne concernaient que les
ressortissants français. Le Protectorat ne parvint à imposer sa législation
aux nationaux qu’au crépuscule de sa vie et au moyen d’une réforme dite de
la justice makhzen portée par quatre dahirs promulgués en 1953.
3- la réforme de la législation pénale.
D’abord, la réforme bouleversait la nature du rapport entre l’autorité
chargée de créer, légiférer et de distribuer les peines et les individus sur
lesquels pesait la menace de la punition. Jusqu’aux dernières années du
Protectorat, la distribution des peines mettait le détenteur du pouvoir local
en face des individus qui relevaient de son commandement. Le pouvoir
central n’exerçait au mieux qu’une fonction arbitrale qu’il utilisait dans
certaines situations pour tempérer l’hégémonie des chefs locaux. Avec la
réforme de 1953, et  au nom du pouvoir central, le Protectorat met l’É tat et
l’individu face à face, exposant ce dernier au despotisme du premier. 
Ensuite, la réforme constituait l’acte final de tout un processus
d’acculturation juridique. La technique utilisée consistait à déclarer
impropre à la consommation l’eau des sources coutumières et islamiques
du « système pénal marocain » taxées de s’alimenter dans la théocratie
et/ou d’irriguer le sol de la justice retenue. Lorsque le Code pénal de 1953
annonça que la loi était seule fondée à créer les infractions et à édicter les
peines, il fallait comprendre que les autres normes étaient disqualifiées. La
même conclusion devait d’ailleurs être tirée de la promulgation des textes
de la même époque relatifs à l’organisation judiciaire, au statut de la
magistrature et à la procédure pénale. En unifiant les modalités de
recrutement des juges, d’exercice de la fonction judiciaire, de détermination
de la composition des juridictions, de précision des compétences reconnues
à chacune d’entre elles, d’organisation et de conduite du procès, ces textes
mirent fin tacitement, mais non moins sû rement, à la situation antérieure
caractérisée par l’hétérogénéité des systèmes de distribution des peines et
par la diversité des acteurs.
C’était enfin un véritable coup de force contre la réforme de la justice
makhzen elle-même, dont les textes se révélèrent inadaptés à
« l’oppression » pratiquée contre le Mouvement national. Le Maroc devint
un « pays sans loi » selon les propres termes de l’historien Charles-André
Julien. La France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du
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citoyen, n’essaya même pas de mettre fin à la confiscation du pouvoir
judiciaire par les agents d’autorité (pachas et caïds). Bien au contraire, leur
compétence, initialement cantonnée aux contraventions et aux délits de
simple police, fut prorogée à des délits passibles de plus deux ans
d’emprisonnement « lorsque les circonstances, en raison de leur peu de
gravité, ne justifiaient qu’une peine égale ou inférieure à deux ans ».
Parallèlement, l’autorité des commissaires du gouvernement fut
renforcée dès lors que leur avait été reconnue, pour chaque infraction, une
grande marge d’appréciation dans le choix de la juridiction appelée à en
connaître. Ils pouvaient ainsi en toute légalité proroger la compétence des
juridictions des pachas et caïds à des matières qui, selon la première
version du Code pénal, devaient leur échapper. Plus encore, la liste des
infractions dont les auteurs encouraient la peine de mort, limitée dans la
version initiale du Code pénal aux auteurs d’attentats contre la vie du
souverain et des membres de sa famille, fut allongée sous l’effet d’une
modification apportée à ce code quelques semaines seulement après son
entrée en vigueur. La peine capitale pouvait être prononcée de ce fait contre
l’auteur d’un attentat ayant pour but de changer ou de détruire le
gouvernement ou d’exciter à la révolte ou à la sédition et en cas de
constitution ou de participation à une bande armée ; de tortures,
mutilations ou autres actes de barbarie ; d’assassinat ou d’homicide
précédé, accompagné ou suivi d’un autre crime.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le Protectorat avait pris la
précaution juridiquement superfétatoire de s’assurer de la licéité de sa
démarche auprès des jurisconsultes musulmans qui lui étaient inféodés
avant d’accentuer ainsi la rigueur du Code pénal. Plus étonnante encore
sera l’attitude que le législateur marocain va choisir d’adopter en décidant,
aux immédiats lendemains du retour à l’indépendance, de reconduire le
droit pénal introduit par le Protectorat.

B-de nouvelles sources de droit pénal


C’est dans le cadre des sources légales que le Protectorat a marqué le
droit pénal marocain. L’influence française, espagnole et européenne en
général surgit dans deux optiques : la politique générale et la technique
législative.

1-Influence de nature politique :


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Quelque soit la zone visée, internationale de Tanger, espagnole au nord ou
française du sud, les marocains demeurent négligés sinon ignorés du droit
pénal. Dans toutes ces régions on introduit les codifications modernes, en
vue de les appliquer aux ressortissants des Etats protecteurs et des autres à
l’exclusion des nationaux. Ceci s’explique par une volonté d’adapter le droit
musulman et les coutumes locales, aux besoins nouveaux des "indigènes".
Malheureusement aucun effort n’avait lieu en ce sens. En matière pénale, les
marocains, comme il a été déjà signalé supra, relevaient des juridictions de
pacha et caïd qui ne leur appliquaient aucun droit. Cet état des lieux se voit
prolonger même après l’indépendance dans les zones de Tanger et u nord.
La position française a travers l’adoption du code du 24 octobre 1953, était
liée à sa politique générale de vouloir accorder une apparence de réforme
pour répondre aux revendications des nationalistes de l’époque et offrir un
cadre textuel à la répression qu’elle exerçait sur le pays.

2-influence de nature technique :

Les législations occidentales donnent au droit pénal marocain la


forme de leurs sources, les critères de leurs classifications, l’orientation
laïque et positive et le sens étroit de la légalité. Désormais, le droit pénal
marocain puise des bases dans les textes écrits et préalablement élaborés.
La coutume et l’usage n’y jouent aucun rô le.

Le code pénal unifié reprend la classification française en matière de


peines et d’infraction, le législateur marocain ne se réfère guère aux notions
d’infraction et sanction de base islamique. La légalité, enfin, prend le sens
de texte préétabli et non plus, comme le concevait le droit musulman, de
règle préexistent.

3-Les différents textes réglementant la matière pénale sous le


régime du protectorat.
A l’avènement du régime protectoral, les textes et écrits réglementant
le champ pénal du royaume chérifien ont remplacé, sous forme de dahir,
les préceptes et les règles du droit musulman et la jurisprudence islamique.
Dans ce cadre, on peut citer les textes suivant :

-Dahir du 12 aoû t 1913 sur la procédure criminelle, B.O., n° 46 du


12 septembre 1913,

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-Dahir du 4 aoû t 1918 réglementant la juridiction des pachas et caïds, B.O.,
n° 306 du 2 septembre 1918.

-Dahir du 8 avril 1934 soumettant à un régime uniforme en matière pénale


les juridictions des pachas et caïds et portant extension de compétence et
réorganisation du Haut tribunal chérifien.

-Dahir du 24 octobre 1953 formant code pénal marocain, B.O., n° 2142 bis
du 19 novembre 1953.

-Dahir du 23 décembre 1953 modifiant et complétant le dahir du 24


octobre 1953 formant code pénal marocain.

Conclusion :

En bref, le système juridique marocain continue à s’inspirer de deux registres


juridiques européen, notamment français, et musulman. Le Royaume du Maroc
se réfère dans son système politique à des règles reconnues par tous les
systèmes modernes. Néanmoins étant un Etat musulman, il s’appuie sur les
règles de droit musulman (système califal et la Bey’a) pour asseoir le régime
monarchique et légitimer les prérogatives conférées au Roi.

En droit privé, le Maroc a hérité le système juridique du Protectorat. Une


refonte de la plupart de cet héritage n’a pas empêché le législateur à continuer
de s’inspirer de l’esprit et du texte législatif français. Ce système s’est aussi
imprégné du droit musulman dans plusieurs domaines, notamment en droit
pénal, en droit de la famille et en droit foncier, d’où sa complexité.

En définitive, tout le système pénal marocain, ne va pas à l’encontre de l’Islam,


tant il est élaboré dans l’optique de l’intérêt général révélé (al-maslaha al-
mursala), selon l’avis du conseil supérieur des oulémas, instance
constitutionnelle.

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