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MASTER SCIENCES

URIDIQUES

Section Droit en langue


Française
(TEMPS AMENAGE)

Exposé sous le thème :

« La polygamie entre le droit et la jurisprudence »

Année Universitaire : 2023 / 2024


Table des matières :

Introduction :.........................................................................................................................................3
Titre I : La polygamie au Maroc et le Droit.............................................................................................4

1
Chapitre 1 : Les fondements juridiques de la polygamie au Maroc :......................................................5
Chapitre 2 : Les enjeux et les critiques du cadre juridique.....................................................................7
Partie II : La polygamie au Maroc et la jurisprudence............................................................................9
Chapitre 1 : L'influence des décisions judiciaires....................................................................................9
Chapitre 2 : La jurisprudence et la société...........................................................................................11
Biographie............................................................................................................................................13

Introduction :

« …si vous craignez de n'être pas justes avec celles-ci, alors une
seule... » Sourate AN-NISA’, verset 3.

2
La polygamie, pratiquée depuis des siècles dans différentes cultures à travers le
monde, demeure un sujet complexe et multifacette. Au Maroc, la polygamie est
ancrée dans une histoire riche et diversifiée, mêlant des influences religieuses,
culturelles et sociales. L'analyse de cette pratique à l'intersection du droit et de la
jurisprudence offre un éclairage pertinent sur cette pratique.
La polygamie au Maroc a des racines profondes qui remontent à plusieurs
époques. Influencée par des traditions tribales, des enseignements religieux et des
pratiques ancestrales, cette forme de mariage a persisté à travers les dynasties et
les changements sociopolitiques.
L'étude de la polygamie entre le droit et la jurisprudence revêt un intérêt crucial à
plusieurs niveaux. Tout d'abord, elle permet d'explorer les fondements juridiques de
la polygamie au Maroc, inscrits dans le Code de la famille. En scrutant ces textes
législatifs, on peut saisir les conditions et les limites imposées par la loi à cette
pratique matrimoniale.
D'autre part, l'analyse de la jurisprudence associée à la polygamie offre un regard
dynamique sur la manière dont les tribunaux marocains interprètent et appliquent la
loi. Les décisions judiciaires influent non seulement sur la régulation de la polygamie,
mais également sur la perception sociale de cette pratique. Ainsi, étudier les cas
traités par les tribunaux permet de saisir les nuances, les évolutions et les tensions
entourant la polygamie au Maroc.
Avant d’entamé notre analyse, il paraît judicieux de définir le terme polygamie et
le différencier d’autres termes proche :
- La polygamie, selon Larousse est : « tout système social qui admet
légalement le mariage d’un homme avec plusieurs femmes ou une femme
avec plusieurs hommes »1

- La polygamie en droit musulman est une institution légale : Dans le Coran, on


lit: « ..., eh bien prenez des épouses, par deux, par trois, par quatre, parmi les
femmes qui vous plaisent, »2. Cette référence claire est la seule que l'on
retrouve dans le Coran au sujet de la polygamie 3. (Uniquement pour l’homme
avec plusieurs femmes à la limite de quatre).

La différence entre la polygamie, la monogamie et la bigamie :


- La monogamie : système dans lequel l'homme ne peut être simultanément
l'époux de plus d'une femme et la femme l'épouse de plus d'un homme. (La
monogamie s'oppose à la fois à la polygynie 4 et à la polyandrie5, l'un et l'autre
étant les deux systèmes qui réalisent la polygamie.)6

1
https://www.larousse.fr.
2
Sourate AN-NISA’, verset 3.
3
https://www.juragentium.org/topics/women/fr/almidani.htm#n11
4
Cas particulier de la polygamie, dans lequel un homme peut avoir plusieurs épouses. Dictionnaire Larousse.
5
Cas particulier de la polygamie, dans lequel une femme peut avoir plusieurs maris. Dictionnaire Larousse.
6
https://www.larousse.fr.

3
- La bigamie : État d'une personne qui contracte un second mariage alors que
le précédent n'est pas dissous.7
La polygamie au Maroc constitue un sujet complexe, étroitement lié à un
contexte juridique, social et culturel particulier. Cette étude s'articule autour de deux
axes distincts : D’abord les aspects juridiques et législatifs de la polygamie (Titre I),
ensuite la jurisprudence associée à cette pratique (Titre II). Autrement dit cette
analyse englobera les fondements légaux, et l'interprétation des tribunaux
marocains.

Titre I : La polygamie au Maroc et le Droit.


Au sein d'un contexte juridique particulier, la polygamie au Maroc demeure un
sujet complexe. Cette première partie se propose d'explorer les fondements légaux
de cette pratique matrimoniale à travers l’examinassions des bases légales qui
encadrent la polygamie au sein du système juridique marocain (chapitre 1). Ensuite
les enjeux et les critiques du cadre juridique existant (chapitre 2), ouvrant ainsi la
voie à une analyse gdes tensions et des perspectives entourant la polygamie au
Maroc.

Chapitre 1 : Les fondements juridiques de la polygamie au Maroc :


Lorsque la norme juridique est soumise à un double pouvoir, d’un côté le pouvoir
religieux et d’un autre côté le pouvoir politique, son autonomie par rapport à l’un ou à
l’autre n’est qu’une tentative vaine. C’est le cas des lois relatives au statut personnel
marocain, qui sont gérées à la fois, et par les hommes religieux, et par le pouvoir
monarchique8.
La polygamie est régie par la loi N° 70-03 portant code de la famille.
L'amendement d’un texte aussi important, n'est jamais passé inaperçu dans la
société marocaine. Il a généralement été précédé par des débats animés entre
divers acteurs sociaux. La polygamie est un élément participant à l’identité nationale
qui puise sa légitimité dans la religion, comme l’exprime l’article 1er de la constitution
marocaine9.
Au cours des dernières années, le Maroc a été le théâtre d'un conflit entre les
courants conservateur et moderniste, illustrant la division socio-culturelle profonde de
la société. Cette dualité se manifeste clairement dans le système juridique et
politique marocain. La tension entre un discours axé sur l'affirmation de l'identité et le
"retour aux sources" d'une part, et un courant moderniste prônant l'adoption des
7
Ibid.
8
Faïza Tobich : Les statuts personnels dans les pays arabes : de l'éclatement à la modernisation. Chapitre I. La Moudawwana
marocaine.
9
Art 1 al.3 de la constitution de 2011 dispose que : « La nation s'appuie dans sa vie collective sur des constantes fédératrices, en
l'occurrence la religion musulmane modérée, … »

4
valeurs universelles d'autre part, reflète la quête identitaire de la société. La réforme
du statut personnel, notamment les droits des femmes dans la sphère familiale, est
devenue l'arène privilégiée de ce débat. En fait, c’est la question du référentiel qui
était la source du conflit et posait le véritable problème. Les avis étaient, en effet,
partagés sur le système de référence dont devait s’inspirer la réforme10.
Dans ce sens, SM le Roi Mohammed VI en sa qualité d’Amîr al-Mu’minîn, a
tranché cette question de manière claire dans l’un de ses discours devant le
parlement, en affirmant que toutes les dispositions étaient conformes aux préceptes
de l’islam « Je ne peux en ma qualité de Commandeur des Croyants, autoriser ce
que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé » 11 avait déclaré le Roi
devant le Parlement.
Le Roi se réfère au droit musulman pour légitimer l’adoption du nouveau code de
la famille «Il est nécessaire de s’inspirer des desseins de l’islam tolérant, qui honore
l’homme et prône la justice, l’égalité et la cohabitation harmonieuse, et de s’appuyer
sur l’homogénéité du rite malékite, ainsi que sur l’ijtihâd, qui fait de l’islam une
religion adaptée à tous les lieux et à toutes les époques, en vue d’élaborer un code
moderne de la Famille en parfaite adéquation avec l’esprit de notre religion
tolérante»12.De ce constat, il est clair que la polygamie consacrée par le code de la
famille de 2003, trouve son fondement dans le droit musulman.
Dans la nouvelle rédaction, le législateur a essayé de rendre la polygamie difficile
d’accès, mais n’a pas pris de position tranchée à son égard comme le montre bien le
discours royal à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire : « S’agissant
de la polygamie, nous avons veillé à ce qu’il soit tenu compte des desseins de l’islam
tolérant qui est attaché à la notion de justice, à telle enseigne que le Tout-Puissant a
assorti la possibilité de polygamie d’une série de restrictions sévères. […] En
revanche, dans l’hypothèse d’une interdiction formelle de la polygamie, l’homme est
tenté de recourir à la polygamie de fait, mais illicite. Par conséquent, la polygamie
n’est autorisée que selon les cas et dans les conditions légales ci-après […] 13»14
La version mise à jour décrit le nouveau code la famille comme le résultat d'un
processus interne de réforme, en harmonie avec les préceptes de l'islam et les
valeurs de la société marocaine.
S’agissant de la polygamie au Maroc, les hommes doivent respecter les
conditions de fonds et de formes énoncés dans les articles 40 à 46 de la loi N° 70-03
portant code de la famille15 dont voici une lecture de chacun d’eux :
• Article 40 : Interdiction en cas d'injustice entre les épouses et si la première
épouse impose la condition de non-polygamie dans l'acte de mariage.

10
Faïza Tobich, Op. cit., P4
11 Discours de S.M. le Roi Mohammed VI lors de l'ouverture de la 2e année législative de la 7e législature en date 10 octobre 2003
.
12 Ibid.

13 Ibid.

14 Soufyane El Mortaja Oukhiti. Les voies d’une modernisation enfin efficiente du Code de la famille marocain. Droit. Université de Perpignan, 2021. Français. NNT : 2021PERP0023 . tel-

03685195

15 Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant Code de la Famille.

5
• Article 41 : Autorisation du tribunal nécessaire, basée sur l'établissement d'un
motif exceptionnel et la démonstration de ressources suffisantes pour
subvenir aux besoins des deux familles, assurant l'égalité.

• Article 42 : Présentation d'une demande au tribunal justifiant les motifs objectifs


exceptionnels de la polygamie, accompagnée d'une déclaration sur la
situation matérielle du demandeur.

• Article 43 : Convocation de l'épouse concernée, avec possibilité de statuer en


son absence dans certaines conditions. Sanctions en cas de mauvaise foi de
l'époux.

• Article 44 : Débats en chambre du conseil avec autorisation potentielle de la


polygamie par le tribunal, assortie de conditions en faveur de la première
épouse.

• Article 45 : Fixation des montants pour les droits de l'épouse et de ses enfants
en cas d'impossibilité de la relation conjugale, avec la nécessité de consigner
ces sommes dans un délai imparti.

• Article 46 : Informations et consentement de la future épouse nécessaire avant


de conclure le mariage polygame, consignés officiellement.
En somme, la polygamie est soumise à l’autorisation du juge et à des conditions
légales draconiennes qui la rendent presque impossible, c’est ce qu’il ressort de la
lecture de ces dispositions légales qui encadre cette pratique.

Chapitre 2 : Les enjeux et les critiques du cadre juridique.


Malgré les innovations apportées par le code marocain de la famille en 2004, la
polygamie reste une institution à part entière du droit marocain, même si elle est
désormais soumise à des conditions qui rendent sa pratique plus restrictive, cette
pratique demeure source de vives critiques sous l’égide du code la famille.
A cette effet, plusieurs critiques ont étaient soulever à son égard, dont les plus
marquant reste celle formuler face à l’interprétation ambiguë de l'article 41 et l’article
16 dudit code, ainsi que l’application d’office la procédure de discorde prévue aux

6
articles 94 à 97, présenter comme solution, si l’époux persiste à demander
l’autorisation de la polygamie et que l’épouse ne donne pas son accord et ne
demande pas le divorce (article 45 du C.F16).
S’agissant l'article 41 du Code de la famille, qui interdit la polygamie sauf en cas
de justification objective et exceptionnelle, est critiqué pour son interprétation
ambiguë. Selon l’article 41 du Code de la famille il doit vérifier la capacité matérielle
de la personne à contracter un nouveau mariage. Cela confirme que la polygamie
participe toujours d’un privilège de classe, semblant devoir être réservée aux
hommes des plus aisées17. Car si même l’homme dispose d’un motif objectif
exceptionnel établi, il besoin prouver qu’il dispose de ressources financières
suffisantes pour assumer les charges financières normales nécessaires aux besoins
de deux familles quant à l’entretien et au logement.
Ce texte joue un rôle déterminant dans l'orientation des juges à l'égard de la
question de la polygamie. En quittant les grandes métropoles pour des zones plus
rurales ou des villes conservatrices, son interprétation peut diverger
considérablement de l'intention initiale du législateur. Les juges optent alors pour une
lecture littérale du texte, mais en se basant sur des critères issus des prescriptions
religieuses, ce qui pourrait ne pas correspondre aux attentes initiales18.
L'article 16 du Code de la famille quant à lui est critiqué pour être exploité comme
une voie de recours par les hommes désireux de contracter un mariage polygame. Il
est utilisé de manière frauduleuse pour contourner l'autorisation de la première
épouse, entraînant ainsi la survie de la polygamie malgré les réformes.
La prolongation de la validité de l'article 16 du Code de la famille, initialement conçue
comme une mesure temporaire, est soumise à des critiques en raison de son
implication présumée dans le maintien de la polygamie au sein de la société. Cette
extension semble favoriser la persistance de cette pratique malgré les tentatives
législatives visant à la restreindre.
A ce propos, et face à la déclaration d’une source ministérielle qui affirme que la
hausse de la polygamie est certes régulière mais elle reste insignifiante, les adouls,
quant a eux, avance que les chiffres du ministère de la justice ne reflètent pas la
réalité car «ils ne tiennent pas compte des mariages contractés dans le cadre de
l’article 16 du Code de la famille de 2004 (reconnaissance des mariages établis sans
acte) qui permet de contourner la loi et d’éviter la procédure normale prévue dans
l’article 42 du même code»19.
Plusieurs polygames attendent, expliquent des avocats, qu’il y ait une grossesse
d’un deuxième mariage, pour procéder à l’établissement de l’acte de mariage dans le

16 C.F : Code de la Famille.

17 Souffrante El Mortaja Oukhiti, Op. cit., P5.

18 Il considère que la polygamie est « un droit d’essence divine antérieur à toute législation humaine […] on ne peut pas priver l’homme de ce droit sous n’importe quel prétexte. Le code de la

famille a autorisé la polygamie, et ce, pour des raisons juridiques exceptionnelles et physiologiques […] La femme traverse plusieurs phases et elle est la première à ne pas accepter que son

conjoint aille assouvir ses instincts naturels à l’extérieur […] nous sommes une société musulmane et nous devons respecter la charia à ce niveau » Soufyane El Mortaja Oukhiti, Op. cit., P5.

19 https://www.lavieeco.com/influences/societe/polygamie-le-code-de-la-famille-na-rien-change/

7
cadre d’une action en reconnaissance de mariage. Le juge, ne pouvant prouver la
malhonnêteté de l’époux, ne peut que valider le mariage20.
Enfin, le divorce pour discorde, introduit par le nouveau Code de la famille dans
son article 45, offre aux femmes une option, mais elle peut être perçue comme
inéquitable. Car les femmes peuvent se retrouver à la rue du jour au lendemain. En
adoptant, vis-à-vis de la polygamie, une démarche qui conduit l’épouse à choisir
entre la peste et le choléra, le législateur met la partie la plus vulnérable, la femme et
accessoirement les enfants, en demeure de choisir entre le partage des droits
conjugaux avec une autre femme ou la perte de la totalité de ses droits et être livrée
aux aléas de la vie21.
Il y a lieu de signaler que cette procédure, divorce pour discorde, ne laisse aucune
latitude au juge pour évaluer le niveau de danger inhérent aux situations qui en
découlent.
En somme, et face à ce qu'il vient 'd'être dit, des enjeux cruciaux peuvent guider
une réforme future du Code de la famille au Maroc. L'ambiguïté entourant l'article 41,
autorisant la polygamie sous certaines conditions exceptionnelles, souligne la
nécessité d'une clarification pour garantir une interprétation uniforme. L'exploitation
de l'article 16 comme moyen de contourner les autorisations et les critiques des
statistiques officielles révèlent des lacunes dans le suivi et la régulation de la
polygamie. Une réforme pourrait viser à renforcer les conditions de l'article 16,
améliorer la collecte de données et ainsi mieux adapter les politiques aux réalités du
terrain. De plus, les conséquences inéquitables du divorce pour discorde appellent à
une réévaluation de cette procédure pour garantir une protection accrue des droits
des femmes. A ce propos, la jurisprudence pourrait influencer la réforme en éclairant
la compréhension des co.nditions de la polygamie, offrant ainsi des orientations
pratiques pour une mise en œuvre plus uniforme et éthique des dispositions
législatives.

Partie II : La polygamie au Maroc et la jurisprudence.


Les décisions judiciaires exercent une influence sur le cadre entourant la
polygamie au Maroc. L’examen de ces décisions, nous donne une vue d’ensemble
sur comment l'interprétation des lois entoure la pratique de la polygamie, en prenant
compte de la complexité des relations entre le droit établi et les dynamiques
sociétales. Pour ce faire, nous nous pencherons sur l'impact des décisions judiciaires
sur la régulation de la polygamie (chapitre1), ce qui va permettre d’apprécier les
dilemmes éthiques auxquels sont confrontés les tribunaux et leur influence sur les
perceptions de cette pratique au sein de la société marocaine (chapitre 2).

20 Ibid.

21 Soufyane El Mortaja Oukhiti, Op. cit., P5.

8
Chapitre 1 : L'influence des décisions judiciaires
Les tribunaux marocains ont interprété et mis en œuvre les lois liées à la
polygamie en se fondant sur une analyse juridique approfondie qui tient compte des
dispositions légales, des principes du droit musulman, ainsi que des caractéristiques
culturelles et sociales spécifiques au contexte marocain. Cette interprétation a évolué
au fil du temps, avec les évolutions sociales et les débats entourant cette pratique
matrimoniale. Les décisions judiciaires ont joué un rôle crucial dans la définition des
contours juridiques de la polygamie, façonnant ainsi la manière dont elle est perçue
et encadrée au sein de la société marocaine.
Pour évaluer l'impact des décisions judiciaires, on va analyser l’interprétation du
juge a loi a traves deux arrêt de la cour de cassation redu dans le cadre d’une
demande de polygamie.
Pour le premier arrêt22 , Le requérant a sollicité l'autorisation de contracter un
mariage polygame arguant que la santé de sa femme retraitée s'était détériorée, la
laissant confinée à un fauteuil roulant depuis 2005, incapable d'accomplir ses devoirs
conjugaux. En réponse, la défenderesse a soutenu que son handicap n'entravait pas
la poursuite de la relation conjugale, demandant le rejet de sa demande.
À l'issue de l'enquête, le tribunal de première instance, a émis une décision de rejet
de la requête du demandeur23. La décision, faisant l'objet d'un recours devant la cour
d'appel, a été annulée, et un arrêt a été rendu en faveur de l'appelant, accordant une
suite favorable à sa demande.
Suite à la décision de la cour d'appel, l'intimée a interjeté un pourvoi en cassation qui
a été rejeté, car l'arrêt émis par la cour d'appel n'était pas susceptible de recours,
conformément à l'article 44, alinéa 2, qui stipule : "Le tribunal peut autoriser la
polygamie, par décision motivée non susceptible de recours, si le motif objectif
exceptionnel de la polygamie est établi et si les conditions légales sont remplies…"
Dans le second arrêt 24, le requérant soutient que la défenderesse, en
l'occurrence son épouse souffrant d'une maladie grave, refuse de retourner au Maroc
avec lui après qu'il ait pris sa retraite. Il affirme qu'il n'a pas l'intention de quitter son
épouse, mais plutôt qu'il souhaite contracter un second mariage pour veiller sur lui,
alléguant qu'il est physiquement et financièrement capable de subvenir aux besoins
des deux familles. Le demandeur soutient également que son épouse a abandonné
le devoir conjugal. La défenderesse, quant à elle, affirme cohabiter avec le requérant
dans la même résidence.
Le tribunal de première instance a rendu une décision de rejet de la requête du
demandeur25, arguant que le motif objectif exceptionnel de la polygamie n'était pas
établi. Cette décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel, qui a confirmé
la décision du tribunal de première instance pour le même motif. De plus, la
22 Cour de cassation, 21 mai 2019 - N°409/2/1/2017; 351

23 Affaire numéro 14/2381 en date du 06/06/2016

24 Cour de cassation, 13 juillet 2021 - N°175/2/1/2019; 366

25 Affaire numéro 47/2017 en date du 29/11/2017

9
défenderesse a affirmé cohabiter avec le requérant dans la même résidence. À la
suite de cet arrêt, l'appelant a formé un pourvoi en cassation.
La cour de cassation a cassé l'arrêt en justifiant cela par le fait que même si la cour
d'appel dispose d'un pouvoir souverain d'appréciation pour décider si le motif objectif
et exceptionnel est établi ou non, il est nécessaire qu'il soit correctement motivé.
Cela fait défaut dans le cas d'espèce, ce qui signifie que la cour d'appel n'a pas
correctement appliqué l'article 4126.
À la lecture des deux arrêts, il apparaît que l'interprétation de la condition relative
au motif objectif et exceptionnel, telle qu'évoquée par l'article 41 du code de la
famille, peut revêtir différentes formes, souvent divergentes en fonction de la position
du juge par rapport à l'affaire qui lui est présentée.
Cette divergence d'interprétation de la condition relative au motif objectif et
exceptionnel, énoncée à l'article 41 du code de la famille, met en lumière la
subjectivité inhérente à l'appréciation juridique. En effet, chaque juge peut interpréter
les critères de manière distincte en fonction des circonstances spécifiques de l'affaire
qui lui est soumise.
L'article 41 du code de la famille, qui concerne la possibilité d'autoriser la
polygamie dans des circonstances exceptionnelles, offre une marge d'appréciation
aux tribunaux. Cette latitude permet aux juges d'évaluer le caractère objectif et
exceptionnel du motif allégué par les parties. Cependant, la nature subjective de ces
termes peut conduire à des interprétations variées, créant ainsi des divergences
d'opinions au sein du système judiciaire.
Dans le second arrêt, la cour de cassation a souligné l'importance de la
motivation correcte de la décision de la cour d'appel. Cette exigence de motivation
adéquate vise à garantir une interprétation uniforme et équitable de la condition
énoncée à l'art 41. L'absence de motivation adéquate peut conduire à des
interprétations divergentes et à des décisions qui ne respectent pas les principes
juridiques fondamentaux.
Ainsi, la lecture des arrêts met en évidence la nécessité d'une interprétation
cohérente et uniforme de la condition du motif objectif et exceptionnel, afin de
garantir la stabilité et la prévisibilité du cadre juridique régissant les demandes de
polygamie.
Les arrêts jouent un rôle déterminant dans l'établissement des limites et des
normes entourant la polygamie en contribuant à clarifier les conditions et les critères
requis pour la pratique de cette forme de mariage au Maroc.
À travers leurs décisions, les tribunaux ont précisé les paramètres légaux,
éthiques et sociaux qui encadrent la polygamie, définissant ainsi les contours des
droits et des responsabilités des parties impliquées. Ces jugements ont servi de
références juridiques, éclairant la manière dont la polygamie est autorisée, régulée et
interprétée dans le contexte marocain, et ont influencé les perceptions de cette
pratique au sein de la société.
26 la loi n° 70-03 portant Code de la Famille.

10
Chapitre 2 : La jurisprudence et la société
Les tribunaux au Maroc sont confrontés à des dilemmes éthiques, incluant le défi
de concilier les principes religieux avec les normes juridiques contemporaines, tout
en préservant les droits individuels et en respectant les traditions culturelles.
En matière de polygamie, la mise en œuvre d’une quelconque tentative d’ijtihad
de la part du juge est plus complexe. L’instauration du droit au mariage polygame fait
partie des questions que les juges considèrent comme des « nassous qatiya »27. Une
telle perception de cette institution amène nombre d’entre eux à faire du rôle qui leur
est dévolu par le nouveau Code de la famille une interprétation plus sociale que
juridique. Cette attitude est d’autant plus justifiée à leurs yeux que le législateur n’a
pas pris de position ferme et définitive vis-à-vis de cette pratique28.
La responsabilité du juge dans la gestion de l'évolution de la pratique polygame au
sein de la société découle du pouvoir d'appréciation étendu que le législateur lui a
octroyé. Cette attribution de pouvoir crée une dualité dans les positions des juges.
D'une part, ils adoptent une position de rejet envers toute interprétation restrictive de
la polygamie, préservant ainsi une flexibilité dans l'interprétation des lois. D'autre
part, ils avancent par moments que le texte légal peut être étendu au-delà de la
deuxième épouse.
Cette dualité reflète la complexité entourant la polygamie dans le contexte juridique
marocain. Le refus d'adopter des interprétations restrictives peut être interprété
comme la préservation de la marge de manœuvre du juge pour tenir compte des
spécificités de chaque cas. En même temps, l'idée que le texte légal puisse être
étendu au-delà de la deuxième épouse soulève des questions sur la cohérence et la
prévisibilité de la régulation légale de la polygamie.
Cette situation met en évidence la délicate balance entre la tradition, la religion,
et l'évolution sociale dans laquelle les juges doivent opérer. Leur interprétation des
lois relatives à la polygamie peut influencer directement la perception et la régulation
de cette pratique au sein de la société marocaine, soulignant ainsi l'importance du
rôle du juge dans l'évolution de cette question complexe.
Le juge marocain est devenu, malgré lui, l’incarnation de cette dualité entre le
droit positif et le fiqh qui reposent sur deux principes opposés dans leurs finalités.
L’un prend en effet en considération la communauté dans son ensemble avec
comme objectif prioritaire l’application de la règle commune alors que l’autre,
relavant d’une vision plus universelle, s’efforce de favoriser systématiquement et par
principe une approche individuelle dans le respect de l’esprit de la loi29.
La dualité dans l'attitude des magistrats se matérialise à propos de l'application
de l'article 40030 du Code de la famille. Cet article demande explicitement au juge de
27 Textes catégoriques : ‫نصوص قطعية‬

28 Soufyane El Mortaja Oukhiti, Op. cit., P5.

29 Soufyane El Mortaja Oukhiti, Op. cit., P5.

30 Art.400 : « Pour tout ce qui n’a pas été prévu par le présent code, il conviendra de se référer au rite Malikite et à l’effort jurisprudentiel (ijtihad) qui tient compte de la concrétisation des

valeurs de l’islam en matière de justice, d’égalité et des bons rapports de la vie commune. »

11
recourir à l'ijtihad malékite ou musulman afin de combler les lacunes dans la
recherche de la justice, de l'égalité, et de la coexistence harmonieuse dans la vie
commune, que prône l'Islam, tout en respectant l'ordre public marocain.
Il est indéniable que les positions plus strictes ou plus flexibles adoptées par les
tribunaux à l'égard de la polygamie ont le pouvoir d'influencer l'opinion publique,
renforçant ou remettant en question les normes sociales en vigueur.
En outre, les jugements qui tiennent compte des principes religieux, des droits
individuels et des considérations culturelles peuvent contribuer à façonner une
approche plus équilibrée et nuancée de la polygamie dans la société marocaine.
Ainsi, la jurisprudence agit comme un miroir réfléchissant les valeurs juridiques et
éthiques qui, à leur tour, contribuent à façonner les attitudes et les croyances au sein
de la population.
En fin, la relation entre le droit et la jurisprudence met en lumière la complexité
inhérente à la question de la polygamie au Maroc. La façon dont les juges interprètes
les textes de lois à travers ces dilemmes éthiques influence de manière significative
l'évolution de cette pratique dans le cadre légal marocain et, par extension, son
image au sein de la société.

Biographie
• Texte sacré :
Le Saint-Coran - Sourate AN-NISA ;

• Ouvrage :
Faïza Tobich : Les statuts personnels dans les pays arabes : de l'éclatement à la
modernisation. Chapitre I. La Moudawwana marocaine

• Thèse de Doctorat :
Soufyane El Mortaja Oukhiti. Les voies d’une modernisation enfin efficiente du Code
de la famille marocaine. Droit. Université de Perpignan, 2021. Français. NNT :
2021PERP0023 . tel-03685195 ;

12
• Discours Royal :
Discours de S.M. le Roi Mohammed VI lors de l'ouverture de la 2e année législative
de la 7e législature en date 10 octobre 2003 ;

• Texte de Lois :
La constitution de 2011 ;
Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant
Code de la Famille ;

• Arrêt :
Cour de cassation, 21 mai 2019 - N°409/2/1/2017; 351 ;
Cour de cassation, 13 juillet 2021 - N°175/2/1/2019; 366 ;

• Webographie :
https://www.larousse.fr;
https://www.juragentium.org/topics/women/fr/almidani.htm#n11;
https://www.lavieeco.com/influences/societe/polygamie-le-code-de-la-famille-na-rien-
change/.

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