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LE MAROC AU SEUIL DE L’INDÉPENDANCE ÉCONOMIQUE

Une organisation judiciaire taillée à la mesure du jeune État

PAR M’HAMED BOUCETTA 
UNE ORGANISATION JUDICIAIRE TAILLÉE À LA MESURE DU JEUNE ÉTAT
 

Parmi tous les problèmes qui se présentaient au gouvernement du Maroc à l’époque où l’indépendance du


pays fut acquise, celui de l’unification des juridictions du royaume et de la législation applicable devant ces
juridictions devait retenir toute son attention.

Les régimes antérieurs avaient, en effet, entraîné une triple organisation judiciaire, dans l’ex-protectorat
espagnol, dans l’ex-zone de Tanger et dans l’ex-protectorat français où des législations différentes étaient
appliquées.

Cet ensemble complexe avait, sous l’ongle de la compétence, pour effet d’attribuer la connaissance des
litiges dans lesquels un étranger était partie à des juridictions constituées par des juges étrangers, qui
dépendaient de leur gouvernement, la compétence des tribunaux chérifiens étant limitée aux procès qui
intéressaient exclusivement des Marocains.

Là ne se bornait pas l’intervention des puissances étrangères. C’est ainsi que les justices dites « makhzen »
et dites « coutumières » étaient soumises dans l’ex-zone sud au contrôle d’un organisme étranger, et le
ministre de la justice marocain ou vizirat n’avait pour attributions que la surveillance et l’organisation des
juridictions de cadis uniquement chargées de connaitre du statut personnel ou successoral musulman et de
certaines questions immobilières.

D’autre part, sur l’ensemble du territoire, avaient été instituées des juridictions rabbiniques auxquelles
compétence était donnée pour régler conformément au droit hébraïque les différends relatifs au statut
personnel ou successoral des israélites marocains.

Enfin, les pachas et caïds statuaient en matière pénale, à l’égard de certaines infractions, cumulant ainsi les
fonctions d’administrateurs et de juges.

C’est au ministère de la justice, placé à la tête de l’édifice judiciaire, qu’il appartenait d’orienter sans cesse
ses efforts vers la réalisation du but recherché : unification des juridictions, unification de la législation.

Cette œuvre de longue haleine ne devait cependant être entreprise qu’avec toutes les précautions et tout le
soin désirables. Dans le but d’éviter des heurts, des risques de déséquilibre, il convenait de procéder par
étapes dont chacune ne devait être franchie que lorsque toutes conditions requises se trouveraient remplies.

C’est à l’organisation et au fonctionnement des juridictions que devaient être destinées les premières
réformes.

Il importait, d’abord, d’assurer la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. Le Maroc


moderne se devait de franchir ce pas. C’est la raison pour laquelle Mohammed V a promulgué, d’une part,
le dahir du 19 mars 1956 supprimant tout contrôle général et spécial de l’administration de la justice et,
d’autre part, le dahir du 4 avril 1956 relatif à l’organisation et au fonctionnement des tribunaux de droit
commun et créant des tribunaux régionaux (première instance) et des tribunaux du sadad (tribunaux de
paix).

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Au moyen de ces deux textes, se trouvaient dès lors assurées l’indépendance des magistrats vis-à-vis des
pouvoirs publics, la suppression de la dualité des attributions des pochas et caïds et, en conséquence,
l’institution d’une justice nationale, libérée de toute sujétion étrangère et de toute contrainte intérieure.

Le ministère de la justice était, dans le même temps, organisé par un dahir du 30 novembre 1956 et il
recouvrait ainsi toutes les responsabilités qui devaient lui incomber.

Toute une série de textes a été ensuite publiée pour réglementer le fonctionnement des nouvelles
juridictions de droit commun et, parmi ces textes, un dahir du 21 septembre 1957 a supprimé le Haut
Tribunal chérifien pour le rattacher à la cour d’appel de Rabat, de même qu’un dahir du 27 septembre 1957
a créé la Cour suprême, en sorte que, si la fusion des diverses juridictions inférieures ne pouvait être
envisagée dans l’immédiat, l’unité de la jurisprudence était désormais assurée.

Concurremment à ces réformes, l’organisation judiciaire de l’ancienne zone de Tanger et de l’ex-protectorat


espagnol a été entièrement révisée, si bien que la cour d’appel de Tanger instituée le 11  avril 1957 s’est
substituée à la juridiction internationale de Tanger et à la cour d’appel de Tétouan et qu’enfin ont été
supprimés les anciens tribunaux hispano-khalifiens dont les compétences ont été recueillies tant par les
trois tribunaux régionaux créés à Tanger, à Nador et à Tétouan que par les douze tribunaux du sadad
appartenant au ressort de la nouvelle cour d’appel de Tanger.

Dans l’ex-zone sud, la coexistence des juridictions à personnel français instituées par le dahir du 12 août
1913 sur l’organisation judiciaire et des juridictions de droit commun s’était, jusqu’à présent, imposée en
raison des divers problèmes soulevés par l’intégration des premières dans les secondes.

Il était nécessaire, en effet, que les tribunaux régionaux et les tribunaux du sadad dont la compétence
territoriale et la compétence d’attribution avaient été calquées, pour des raisons de simplification et de
commodité, sur celles des juridictions dites « modernes » aient acquis, depuis leur établissement, une
expérience suffisante pour devenir aptes à prendre la relève de ces dernières. C’est maintenant chose faite,
et des textes qui consacrent l’intégration de toutes les juridictions modernes de la zone sud dans les
juridictions de droit commun sont sur le point d’être publiés.

En vue de parfaire l’unification judiciaire du royaume, il est, en outre, apparu que les juridictions de cadis et
les juridictions rabbiniques devaient, elles aussi, être rattachées aux tribunaux de droit commun.

Ces diverses intégrations sont depuis un an dans leur phase d’expérimentation pratique et deviendront
effectives lorsque cette phase aura, dans les prochains mois, donné les résultats escomptés. Cette phase est
déjà très avancée en ce qui concerne le rattachement des juridictions modernes dans les circonscriptions
judiciaires de Fès, Marrakech, Meknès et Oujda.

L’unification des juridictions posait bien entendu, dans toute son acuité, le problème de l’unification de la
législation. Le Maroc s’est attaché à faire en sorte, s’inspirant du droit moderne et des codes les plus
récents, que les diverses législations dispersées sur l’ensemble du territoire soient en toutes matières
unifiées et que disparaisse la diversité des textes applicables suivant la nature des juridictions.

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C’est ainsi qu’ont été promulgués les codes de statut personnel et successoral de la nationalité marocaine et
le code de procédure pénale tandis qu’un projet de code pénal applicable sur l’ensemble du territoire est sur
le point d’être mis en application.

D’autres projets tels que ceux d’un code de statut des biens, d’un code de procédure civile, viendront, dans
un proche avenir, s’ajouter à l’important travail de synthèse déjà accompli.

Sous l’impulsion de Sa Majesté le roi Hassan Il, de nombreuses commissions siègent sans désemparer pour
accomplir ce travail de codification et d’unification.

Dans un autre ordre d’idées, le gouvernement marocain s’est préoccupé du recrutement des magistrats, car
la nouvelle organisation nécessitait des effectifs accrus. Un statut de la magistrature a instauré un Conseil
supérieur de la magistrature et a défini les règles à observer dans la nomination des magistrats et pour tout
ce qui concerne l’exercice de leur profession.

D’autre part, des conventions judiciaires signées avec des pays étrangers ont permis la mise à la disposition
du gouvernement marocain de magistrats et d’auxiliaires de justice étrangers, au titre de l’aide technique.

Nous noterons, dans ce domaine, le rôle éminent que jouent de grands magistrats de France, qui, en plus de
leurs fonctions de juges compétents et avisés, remplissent celles de maîtres pour la formation des
magistrats marocains.

Tel est, dans les lignes essentielles, le chemin parcouru dans l’unification de la législation et des juridictions
du Maroc. Il n’est pas douteux que, sur le point de parvenir à leur terme, les réformes entreprises
permettent déjà au pays de trouver la certitude réconfortante d’une justice moderne, indépendante, unifiée
et égale pour tous.

M’HAMED BOUCETTA
Ministre de la justice du Maroc

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