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1 ère année français, Poésie

Le poison de Baudelaire
Bilel SALEM, Maître-Assistant, Docteur es lettres modernes, à l’ISL de Tunis

Le Poison

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge

D'un luxe miraculeux,

Et fait surgir plus d'un portique fabuleux

Dans l'or de sa vapeur rouge,

Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,

Allonge l'illimité,

Approfondit le temps, creuse la volupté,

Et de plaisirs noirs et mornes

Remplit l'âme au-delà de sa capacité.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle

Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

De ta salive qui mord,

Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord,

Et, charriant le vertige,

La roule défaillante aux rives de la mort !

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

De ta salive qui mord,

Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord,

Et, charriant le vertige,

La roule défaillante aux rives de la mort.

Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal


1 ère année français, Poésie

Le poison de Baudelaire

Explication thématique

Bilel SALEM, Maître-Assistant, Docteur es lettres modernes, à l’ISL de Tunis

Le lexique

- Sordide : immonde, malpropre, répugnant, dégoûtant, ignoble, infect


- Bouge : taudis, bordel, cabaret, appartement…
- Surgir : apparaître, émerger, naître, se présenter, se manifester
- Portique : péristyle, colonnade, porche, porte
- Ciel nébuleux : ténébreux, obscur, confus, vague, flou, mystérieux
- Plaisirs noirs et mornes : mélancoliques, ternes, morose, sombre, monotone,
triste
- Gouffres amers : abîme, précipice, cavité, fosse
- Terrible prodige : miracle, merveille, phénomène, chef-d’œuvre, génie, surnaturel
- Charriant le vertige : se moquant, raillant, - La roule défaillante aux rives :
faiblissant, chancelant, tremblant,

Explication thématique

Délices du haschisch, consolation de l'Opium... (Les effets de la poésie…)


Les paradis artificiels sont des pièges pour le poète, qui y perd sa volonté. C'est
pourquoi ce thème fait partie des vices, du spleen des Fleurs du Mal.

Baudelaire dédiera tout un essai à ce sujet, qu'il appellera Les paradis artificiels.
Cependant, dans le recueil des Fleurs du Mal, le poète y aborde également ces vices.
Notamment avec toute une section consacrée au Vin. L'ivresse procurée par ce
dernier apparaît comme une délivrance. Elle permet d'échapper aux malheurs du
quotidien, au spleen...
C'est un moyen d'accéder à l'idéal, au paradis perdu. C'est pourquoi ces paradis
artificiels ont une double facette, tout comme Baudelaire. Ils ont un côté positif,
ainsi qu'un côté négatif. (Le principe de la double postulation chez Baudelaire.)
Le poète tente ici d'échapper au spleen, qui signifie pour lui la mauvaise humeur,
grâce aux paradis artificiels. Ce poème ne fait pas parti de la section "Le vin" mais
dans "Spleen et idéal".
Tout d'abord, Baudelaire décrit les effets du vin : "Luxe" (vers 2), "miraculeux"
(vers 2), "fabuleux" (vers 3), "or" (vers 4)... Le vin amène alors des hallucinations
artistiques avec la survenue de "portique fabuleux" (vers 3). L'effet du vin est donc
très positif puisqu'il inspire l'artiste et le fait rêver. Cependant le soleil se couche,
ce qui indique que l'effet du vin est illusoire.

Ensuite, après le vin Baudelaire parle de la drogue, il utilise le champ lexical de


l'agrandissement : "Agrandit" (vers 6), "illimité" (vers 7), "pas de borne" (vers 6),
"au-delà" (vers 10). L'opium est un extenseur de l'espace dans les trois dimensions :
"Allonge" en longueur, "approfondit" et 29 "agrandit" en volume. C'est un domaine de
non-espace et de volupté, étiré à l'infini.

En revanche, les plaisirs sont "mornes et noirs". La chute est brusque, bien plus
terrible que celle du vin. On retombe ici brutalement dans le spleen. Dans les deux
dernières strophes, Baudelaire mêle l'absinthe et la femme. En effet, on retrouve
de nombreuses allusions à ce dernier alcool comme « tes yeux verts » (vers 12), «
ces gouffres amers » (vers 15), ou « ta salive qui mord » (vers 17).

Ainsi, l'absinthe pourrait-elle paraître comme une combinaison du vin et de l'opium,


ce qui correspond pleinement à l'idée que les gens en avaient à l'époque. Ce poème
est donc très paradoxal puisque qu'il élève l'absinthe au niveau de la femme, dans le
sens de la maîtresse ou encore de la muse du poète mais l'inclut aussi pleinement
dans les paradis artificiels qui débouchent à la fin sur la mort de l'âme. La gradation
très Baudelairienne: vin, opium, femme, où plutôt fée verte n'aboutit qu'à la mort.

Les figures de style :

Vers. 4 : métaphore : « Dans l'or de sa vapeur rouge »

Vers. 9 : oxymore : « Et de plaisirs noirs et mornes »

Vers. 11 : métaphore : « Tout cela ne vaut pas le poison qui découle »

Vers. 14 : personnification + hyperbole : « De ta salive qui mord »

Vers. 15 : personnification + métaphore : « Qui plonge dans l'oubli mon âme sans
remord »

Vers. 16 : oxymore : « Et, charriant le vertige »

Vers. 17 : personnification : « La roule défaillante aux rives de la mort ! »

Vers. 18 : personnification : « Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

Vers. 20 : personnification : « Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord »

Vers. 21 : métaphore : (charrier : transporter dans un liquide) : « Et, charriant le


vertige »

Vers. 22 : métaphore : « La roule défaillante aux rives de la mort. »

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