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Al 10 : Le Poison

Baudelaire, publie le recueil Les Fleurs du mal en 1857. Ce recueil inspiré du Romantisme et du
Parnasse, insuffle le mouvement du Symbolisme et a pour thème central le spleen. Baudelaire est le
précurseur de la modernité par sa conception nouvelle de la poésie qui tisse un lien entre le mal et la
beauté comme le souligne le titre antithétique de l’œuvre. La publication des Fleurs du Mal entraine
un procès long et douloureux qui contraint Baudelaire à payer une amende et à retirer six poèmes
jugés contraires à la morale. Ce Poème hétérométrique qui fait partie de la section « Spleen et idéal
» est composé de 4 quintils d’alexandrins et d’héptasyllabes aux rimes embrassées. Dans ce poème,
Baudelaire aborde les thèmes de l’alcool, de la drogue, de la beauté féminine et de la sexualité
mettant en avant les pouvoirs alchimistes de ces « poisons » qui agissent d’une manière
dangereusement positive sur les hommes. En quoi Baudelaire cherche-t-il donc à faire l'éloge de ces
poisons qui embellissent la réalité ?

Mouvement 1 : Les visions miraculeuses de l’alcool : première strophe

-Le poème débute par l’idée que le vin est un alchimiste capable de transformer la réalité
dans le sens où il offre des visions miraculeuses.
-On peut ainsi relever les verbes d'action : « revêtir » « fait surgir » qui permettent de
transformer la réalité la plus misérable avec le superlatif « le plus », la boue d’un « sordide
bouge » en « or » en « luxe miraculeux » ou en « portique fabuleux ». Notons les adjectifs
mélioratifs
-On peut noter l’éloge de l’état d’ivresse avec l’antithèse « sordide bouge » /« luxe miraculeux ».
Le vin a donc le pouvoir de transformer la boue de la réalité en or de l’imaginaire.
-La tonalité est merveilleuse. Les pouvoirs surpuissants et surnaturels du vin sont mis en
évidence. Ils ouvrent l’âme sur un autre monde avec la métaphore du « portique ». (Monde
imaginaire/ Idéal). Le vin fait ainsi surgir des images fabuleuses : il parle à l'imagination plutôt qu'à la
raison, et c'est l'imagination du poète aidée du vin qui lui permet de s'évader de son quotidien.
-La comparaison du soleil fait l’analogie avec l’alchimiste/le vin : « comme un soleil couchant
dans un ciel nébuleux ». Le soleil transforme un ciel sombre en beauté grâce à ses rayons.
Le vin comme le soleil sont capables de changer la misère, la laideur, l'inquiétant en or :
comme le roi Midas. (Référence mythologique : roi qui change en or tout ce qu’il touche).

-Cependant, la première strophe met aussi en évidence l’ambiguïté du pouvoir du vin.


-La référence à la couleur rouge est symbole de l’ambivalence : de la beauté à la fois
magnifique et inquiétante. Une beauté qui contient son poison. rouge = beauté féminine ?
-La fontaine de sang : le sang du spleen, de la souffrance.
-Ambiguïté soulignée par l’allitération en r qui met en évidence l’aspect inquiétant du vin.

Mouvement 2 : la drogue ou le possible impossible : 2eme strophe

-On retrouve le même processus alchimiste que le vin mais la puissance est décuplée : 5
verbes d’action « agrandit », « projette », « approfondit », « creuse », « remplit »
-L’opium est si puissant qu’il rend possible l’impossible. Il a un pouvoir magique souligné par la
diérèse : effet d’agrandissement, de mise en valeur et permet de lutter contre l’angoisse, le
spleen et la souffrance.
-En effet, il permet la libération de l’espace « bornes », du « temps » et de la profondeur
« creuse »: rien n’échappe à son pouvoir envahissant :
-Comme le souligne l’hyperbole « l’âme » déborde « au-delà de sa capacité »
-et l’emploi de l’adjectif participe passé « illimité » qui rime avec « capacité ».
-L’alchimie de l’opium est ici aussi mise en évidence par les paradoxes sur lesquels repose la
strophe : « agrandi ce qui n’a pas de bornes », « allongé l’illimité », « approfondit le temps ».
-Ainsi, les effets de l’opium sont nombreux et agissent sur :
-Mental : possibilité de sortir des bornes imposées à l’esprit.
-Physique : possibilité de sortir des bornes imposées aux sens.
-Donc le spleen est un enfermement dans le monde sensible, et la drogue permet l’accès
à l’idéal.
-double mouvement : ascensionnel + descente (« creuse ») dans le désir sexuel.
-Les assonance en « a » et en « i », et l’allitération en « p » : alchimiste= perturbation des sens=
chaos des sens, échos, résonance.
-L’opium comme le vin ont un aspect inquiétant mais la connotation ambiguë est
supérieure pour l’opium : un seul terme mélioratif « plaisirs » immédiatement mis sous la
forme oxymorique « plaisirs noirs et mornes »
-Le thème du poison apparaît pour la première fois. On passe du rouge au noir (mort).

Mouvement 3 : la femme, la fascination et l’extase : 3eme et 4eme strophe

-On observe un changement dans l’énonciation le poète s’adresse à une femme : « de tes
yeux »
-Première occurrence de « Poison » dans le poème + 2 strophes qui lui sont consacrées.
-Notons la négation syntaxique totale « tout cela ne vaut pas » et la répétition « de tes yeux, de
tes yeux » qui montre que le poison le plus puissant est le poison féminin.
-La répétition « de tes yeux, de tes yeux » montre de plus la puissance de la fascination qui
déclenche l’imagination. Les yeux de cette femme sont comme un miroir où se reflète l’âme du
poète.
-Métaphore du lac (miroir et yeux)
-Dérèglement de perception : « mon âme tremble et se voit à l’envers » + le tiret qui met en
valeur la puissance de l’ensorcellement provoquée par ses yeux.
-Création d’un besoin qui échappe à son contrôle à travers la personnification « songe(…)
Se désaltérer ».
-« Mes songes » : ses pensées sont transformées (processus alchimiste) en meute assoiffée. —>
Instinct primaire réveillé par la beauté de cette femme + « en foule ». Il perd la maîtrise de
son esprit mis en valeur par l’enjambement (création de confusion).
-Mais ce besoin vital est teinté de danger : « mon âme tremble » + « gouffres amers » =
mouvement de descente.

-L’anaphore : « tout cela ne vaut pas » : redouble le pouvoir de la femme (supérieur au vin
et à l’opium) qui l’emmène vers un territoire encore plus puissant, celui de la beauté et
de la sexualité.
-L’oxymore « terrible prodige » : alliage de plaisir et de danger qui ne vont pas l’un sans
l’autre : le plaisir est dangereux.
-Miracle du contact charnel : « ta salive qui mord », il permet de faire disparaître comme
par magie son spleen : « mon âme sans remord ». Le plaisir charnel permet d’oublier la
souffrance.
-Mais cette souffrance ne disparaît qu’au prix d’une autre souffrance « qui mord »
-Miracle de la force surpuissante de l’extase érotique qui soulève : diérèse « charriant »
provoque le vertige, une perte de repère, le plaisir est si fort qui fait défaillir l’âme.
-Association de plaisir sexuel et mort : désir qui contient sa propre mort « rives de la
mort ».
-Suppression du passé, du futur + emballement sensoriel « roule » ponctuation
expressive.
-Mais comme toujours le danger est synonyme de plaisir.

Le poème sur le poison qu’on comprend au départ comme le vin ou l’opium se transforme donc ici en
une sorte de poème d'amour paradoxal et ambigu, puisque la nuance qu'il apportait à l'opium se
retrouve aussi dans l'éloge de la femme : il s'agit bien d'un plaisir contradictoire et ambigu. Il n’y a
pas de plaisir sans danger. Dans Les Fleurs du mal, l’ambiguïté est à trouver aussi du côté de la
femme comme dans « Le Léthé » où elle est à la fois celle qui permet au poète de s’extraire du
spleen par l’amour charnel mais aussi une femme froide et indifférente.

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