Vous êtes sur la page 1sur 2

Séance

5 : modernité poétique – le thème de la ville.

Texte 1 : Charles Baudelaire, « A une passante », Les Fleurs du Mal (1857)

La rue assourdissante autour de moi hurlait.


Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?
Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!

Texte 2 : Paul Verlaine, « Sonnet boîteux », Jadis et naguère (1884)

Ah ! vraiment, c'est triste, ah ! vraiment ça finit trop mal.


Il n'est pas permis d'être à ce point infortuné1. 1
malchanceux
Ah! vraiment c'est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.

Londres fume et crie. Ô quelle ville de la Bible2 ! 2


allusion à Sodome et Gomorrhe
3 3
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles . rouge foncé
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Epouvantent comme un sénat4 de petites vieilles. 4
ici, un rassemblement

Tout l'affreux passé saute, piaule5, miaule et glapit 5


piaille
Dans le brouillard rose et jaune et sale des Soho6 6
quartier mal famé de Londres
Avec des indeeds7 et des all right7 et des haôs8. 7
« en effet », « très bien »
8
interjection, probablement une
Non vraiment c'est trop un martyre sans espérance, référence à « how » en anglais
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c'est triste :
Ô le feu du ciel sur cette ville de la Bible !

Texte 3 : Rimbaud, « Les Ponts », Illuminations (1886)


Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou
obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal,
mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes, s'abaissent et s'amoindrissent.
Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux,
de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent et filent, des cordes montent des berges. On distingue
une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires,
des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme
un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.
Texte 4 : Léopold Sédar Senghor, « À New-York », Éthiopiques (1956)

A New York (extrait)


New York ! D'abord j'ai été confondu par ta beauté, ces grandes filles d'or aux jambes longues.
Si timide d'abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givre
Si timide. Et l'angoisse au fond des rues à gratte-ciel
Levant des yeux de chouette parmi l'éclipse du soleil.
Sulfureuse ta lumière et les fûts livides, dont les têtes foudroient le ciel
Les gratte-ciel qui défient les cyclones sur leurs muscles d'acier et leur peau patinée de pierres.
Mais quinze jours sur les trottoirs chauves de Manhattan
– C'est au bout de la troisième semaine que vous saisit la fièvre en un bond de jaguar
Quinze jours sans un puits ni pâturage, tous les oiseaux de l'air
Tombant soudain et morts sous les hautes cendres des terrasses.
Pas un rire d'enfant en fleur, sa main dans ma main fraîche
Pas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur.
Pas un mot tendre en l'absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forte
Et pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de corail.
Nuits d'insomnie ô nuits de Manhattan ! si agitées de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures
vides
Et que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres
d'enfants.

[...]

Texte 5 : Blaise Cendrars, « Ville-champignon », Du monde entier au cœur du monde (1958)

Vers la fin de l'année 1911 un groupe de financiers yankees décide la fondation d'une ville en plein
Far-West au pied des Montagnes Rocheuses
Un mois ne s'est pas écoulé que la nouvelle cité encore sans aucune maison est déjà reliée par trois
lignes au réseau ferré de l'Union
Les travailleurs accourent de toutes parts
Dès le deuxième mois trois églises sont édifiées et cinq théâtres en pleine exploitation
Autour d'une place où subsistent quelques beaux arbres une forêt de poutres métalliques bruit nuit et
jour de la cadence des marteaux
Treuils
Halètement des machines
Les carcasses d'acier des maisons de trente étages commencent à s'aligner
Des parois de briques souvent de simples plaques d'aluminium bouchent les interstices de la charpente
de fer
On coule en quelques heures des édifices en béton armé selon le procédé Edison
Par une sorte de superstition on ne sait comment baptiser la ville et un concours est ouvert avec une
tombola et des prix par le plus grand journal de la ville qui cherche également un nom.

Vous aimerez peut-être aussi