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Reprise du DS 

: Aragon

Sujet : faire l’étude du génie poétique d’Aragon dans ce poème


Problématique : Comment Aragon métamorphose-t-il Elsa en déesse ?

RÉFLEXION SUR LE TEXTE

Le texte est un POÈME.


Il relève donc du GÉNIE de la poésie, c’est-à-dire du CHANT.
Le chant se caractérise par :
1. des ÉMOTIONS
2. de la MUSIQUE
3. de l’ÉLÉVATION
d’où trois questions à poser :
1. comment Aragon exprime-t-il ses émotions ?
2. comment Aragon rend-t-il sa parole musicale ?
3. comment Aragon confère-t-il de l’élévation à son propos ?
ATTENTION
Conservez cet ORDRE DES PÔLES
parce qu’il existe un lien de causalité entre les trois pôles :
ÉMOTIONS => MUSIQUE => ÉLÉVATION
C’est parce qu’il ressent des émotions que la parole du poète est musicale, et
c’est parce que la parole est musicale qu’elle s’élève au-dessus des autres
Cet ordre doit vous permet de
PROGRESSER DANS VOTRE RÉFLEXION
≠ revenir au point de départ à chaque nouvel argument

I. COMMENT ARAGON EXPRIME-T-IL SES ÉMOTIONS ?

1. QUELLE ÉMOTION ? De l’AMOUR.

2. QUELS MOTS SERVENT À L’EXPRIMER ?


« rencontre » (v. 3), « coeur » (v. 5), « fidèle » (v. 17), « être deux » (v. 29), « amant » (v. 30)
soit CINQ MOTS SEULEMENT
d’où art d’Aragon =
ART DE LA SUGGESTION :
l’amour est suggéré plus qu’exprimé.

3. QU’EXPRIMENT LES AUTRES MOTS ?


Un mot revient très souvent :
le verbe « ÊTRE »
11 OCCURRENCES dans les trois premières strophes (18 vers) puis Ø
« J’étais » (v. 1), « que serais-je » (v. 3, 5, 6), « je n’eus manqué d’être » (v. 10),
« je ne suis rien que » (v. 13), « je n’étais qu’une pierre » (v. 15),
« être ton lierre » (v. 16), « je ne suis que » (v. 18).
Le verbe « être » sert à dire ce qu’on est,
c’est-à-dire à EXPRIMER L’IDENTITÉ.
Aragon s’en sert pour dire ce qu’il est.

4. COMMENT RELIER LES DEUX IDÉES (AMOUR ET IDENTITÉ) ?


IDENTITE × AMOUR
Dire ce qu’on est (= parler de soi) ≠ déclarer son amour (= parler à/de l’autre).
mais ici
AMOUR => IDENTITE
Aragon précise que c’est l’amour d’Elsa qui l’a fait advenir le poète ce qu’il est.
donc
POEME = RECONNAISSANCE DE DETTE
(« Je te dois tout », v. 13)
EMOTION = GRATITUDE
avec insistance sur ce qu’a fait Elsa :
1. « VENIR » x 3
« toi qui vins » (v. 3), « si tu n’étais venue » (v. 11), « de toi qu’il venait » (v. 14)
2. AUTRES VERBES D’ACTIONS
« changer ma destinée » (v. 11), « n’avais relevé le cheval » (v. 12), « ton pied s’y posa » (v. 15)
ELSA = ACTRICE DU CHANGEMENT
Action d’Elsa => changement de l’identité du poète
changement : ce que j’étais ≠ ce que je suis
Changement exprimé grâce aux
TEMPS DES VERBES
Deux temps
PASSÉ / PRÉSENT de l’indicatif
qui évoquent deux périodes opposées
+
3 temps : CONDITIONNEL PRÉSENT
e

« Que serais-je »
à valeur d’IRREEL DU PRESENT

5. À QUELLE PLACE CES TEMPS OCCUPENT-ILS DANS LE POÈME ?


§1 : PASSE + CONDITIONNEL
§2 : PASSÉ + CONDITIONNEL
------------------------------------------
§3 : PRESENT + PASSE + FUTUR
------------------------------------------
§4 : PASSE COMPOSE + PRESENT
§5 : PASSE COMPOSE + PRESENT

Comment expliquer l’emploi de ces temps ?


§1-2 : passé + conditionnel
= RÉCIT + SPÉCULATION
§3 : PRéSENT + PASSé + FUTUR
= RECONNAISSANCE DE DETTE
§4-5 : PASSé COMPOSé + PRéSENT
= EXPLICATION DE CETTE DETTE
d’où
DÉCOUPAGE du poème en 3 MOMENTS
Aragon s’en sert pour dire ce qu’il est.

6. COMMENT ARAGON MET-IL EN EVIDENCE L’OPPOSITION DES MOMENTS ?


Deux époques :
1. L’ÉPOQUE ANCIENNE OÙ LE POÈTE VIT SANS AMOUR
2. L’ÉPOQUE ACTUELLE OÙ LE POÈTE esT AMOUREUX
§1
« être contre » (v. 1), « le noir » (v. 2), « heure arrêtée » (v. 4),
« au bois dormant » (v. 5), « balbutiement » (v. )
Champ lexical de la NEGATIVITE
• « être contre » (v. 1) = OPPOSITION
L’HOMME SANS AMOUR S’OPPOSE AUX AUTRES
≠ « être pour » = engagement
L’homme amoureux s’engage au côté des autres
• « le noir » (v. 2) = OBSCURITÉ
L’HOMME DANS AMOUR RESTE DANS L’OBSCURITÉ
≠ « le blanc » = LUMIÈRE
L’homme amoureux vit dans la lumière
• « heure arrêtée » (v. 4) = IMMOBILITÉ
L’HOMME SANS AMOUR EST SANS HISTOIRE
≠ « heure qui tourne » = mobilité
L’homme amoureux a une histoire
• « au bois dormant » (v. 5) = SOMMEIL
L’HOMME SANS AMOUR DORT D’UN SOMMEIL DE MORT
≠ « les yeux grands ouverts » = éveil
L’homme amoureux est en éveil
• « balbutiement » (v. 6) = PAROLE EMPÊCHÉE
L’HOMME SANS AMOUR NE SAIT PAS BIEN PARLER
≠ « propos éloquent » = poésie
L’homme amoureux sait bien parler

§2
• « bonhomme hagard » (v. 7) = TROUBLE
Hagard, arde
1. Terme de fauconnerie. Faucon hagard, faucon qui a été pris après plus d'une mue et qui ne s'apprivoise pas
aisément. L'on appelle les vieux faucons, hagards, qui ont beaucoup plus de blanc que les jeunes (Buffon)
Se dit aussi des autres oiseaux.
2. Fig. Qui a l'air farouche et sauvage comme ces faucons. C'est [Boot, médecin anglais] un homme hagard,
superbe et presque insupportable, qui se pique de grande science de chimie, de philosophie nouvelle non
péripatétique et de politique (Patin, Lettres, t. II, p. 30). Et le barreau n'a point de monstres si hagards, Dont
mon œil n'ait cent fois soutenu les regards (Boileau, Lutrin, III). Il se dit, dans un sens analogue, du visage,
du regard, etc.
HISTORIQUE - XIVe s. : Esprevier hagart est celluy qui est de mue de hayes (Ménagier, III, 1) - XVe s. :
Ne soyons point si vilains et hagards Que de laissier ce bon vin aulx souldars Qui nous font tant d'outraige
(Basselin, Vau de Vire, 52). - XVIe s. : Un regard inconstant, farouche et hagard (Paré, Introd., 6). Oyseaux
aguars, peregrins, essors, rapineux (Rabelais, Quart Livre, 47. Ayant les lettres d'elles mesmes ceste
proprieté de façonner et civiliser les hommes, tant hagards et barbares soient ils (Du Verdier, Biblioth. p.
111). L'habitude de l'air produit quand et soy les esprits plus doux ou plus hagards (Pasquier, Lettres, t. I, p
405).
ÉTYMOLOGIE - Angl. hagard. Les étymologistes anglais disent le mot anglais venu du français. Diez en
propose deux étymologies : 1° vieux angl. hauke, aujourd'hui hawk, faucon, avec le suffixe péjoratif ard ; 2°
le scandinave hak-r, tête chaude, avec le même suffixe. Huet avait proposé l'allemand Hag, bas-latin haga
(d'où haie), lieu propre à rendre fier celui qui l'a pour défense ; l'explication est mauvaise, mais l'étymologie
est bonne, car un auteur du XIVesiècle dit que le faucon hagard est celui qui est de mue de haie. Le faucon
hagard est le faucon qui mue de haie, c'est-à-dire dans les haies, et non en domesticité.
L’HOMME SANS AMOUR EST SAUVAGE
≠ « amant doux, obéissant » = douceur
L’homme amoureux est un être doux et civilisé
• « qui ferme sa fenêtre » (v. 7) = FERMETURE
L’HOMME SANS AMOUR SE COUPE DU MONDE
≠ « qui ouvre sa porte » = ouverture
L’homme amoureux s’ouvre au monde.
• « un vieux cabot » + « anciennes tournées » (v. 8) = VIEILLESSE
L’HOMME SANS AMOUR VIT ENTOURÉ DE VIEUX SOUVENIRS
≠ « qui ouvre sa porte » = jeunesse
L’homme amoureux reste jeune.
• « UN VIEUX CABOT » + « l’escamoteur » (v. 9) = MENSONGE,
ILLUSION
L’HOMME SANS AMOUR VIT DANS LE MENSONGE ET ILLUSION
≠ « honnête » = vérité, réalité
L’homme amoureux dit la vérité de son amour.
• « disparaître » (v. 9) = DISPARITION
L’HOMME SANS AMOUR N’ACCÈDE PAS VRAIMENT À
L’EXISTENCE
≠ « exister, créer » = existence
L’homme amoureux accède à une pleine existence.
• « cheval couronné » (v. 11) = BLESSURE
L’HOMME SANS AMOUR EST UN HOMME BLESSÉ
L’homme amoureux jouit d’une pleine santé.

§3
« ta poussière » (v. 13) + « une pierre » (v. 15), « ton lierre » (v. ),
« ton ombre » (v. ), « ta menue monnaie » (v. )
= MÊME NÉGATIVITÉ
mais
« ma gloire et ma grandeur » (v. )
« le fidèle miroir » (v. )
CONVERSION du poète À LA POSITIVITÉ
donc §3 = STROPHE DE TRANSITION
qui nous fait passer
DE LA NÉGATIVITÉ D’HIER
À LA POSITIVITÉ D’AUJOURD’HUI
or
POSITIVITÉ PARADOXALE
car
positivité de l’INSIGNIFIANCE et de la DÉPENDANCE :
• « poussière » =ce que soulève la femme en marchant
• « lierre » = plante parasite qui s’agripper à une autre
• « miroir » = accessoire qui produit le reflet de celui qui s’y regarde
• « ombre » = obscurité portée par un corps
• « menue monnaie » = somme restante d’une somme plus élevée
ÉLOGE PARADOXAL DE L’HÉTÉRONOMIE
(≠ éloge égotique de l’autonomie)
Existence du poète placée sous la dépendance de la femme aimée
// CRÉATURE FIDÈLE
PLACÉE SOUS LA PROTECTION DE LA DIVINITÉ
qui l’a créée.

§4
• « les choses humaines » (v. 19) = HUMANITE
× animalité blessée du « cheval couronné » (v. 11)
• « on boit aux fontaines » (v. 21) = EAU QUI VIVIFIE
× existence mortifère des « anciennes tournées » (v. 8)
• « les étoiles lointaines » (v. 22) = ENVOL VERS L’EXTÉRIEUR
× enfermement de l’homme « qui ferme sa fenêtre » (v. 7)
• « qui chante… sa chanson » (v. 23) = PAROLE LEGERE ET JOYEUSE
× imperfection du « balbutiement » (v. )
• « frisson » (v. 24) =DÉSIR
× inertie de la « pierre » (v. 15)

§5
• « jour », « midi » (v. 25) = ECOULEMENT DU TEMPS
× immobilité de l’« heure arrêtée » (v. )
• « ciel », « bleu » (v. 26) = LUMIÈRE COLORÉE
× obscurité du « noir » (v. )
• « être deux » (v. 29) = UNION DU COUPLE
× opposition d’« être contre » (v. )
• « par la main » (v. 28) = BIENVEILLANCE DU GUIDE
× illusion de l’« escamoteur » (v. 9)
• « amant heureux » (v. 30) = JOIE AMOUREUSE
× solitude farouche du « bonhomme hagard » (v. 7)

Conclusion
STRUCTURE SYMÉTRIQUE ET ANTITHÉTIQUE
où Aragon procède par
RENVERSEMENT DU NÉGATIF EN POSITIF
dans la strophe centrale.

Synthèse
Dans ce poème, Aragon parvient à ériger Elsa au rang de divinité grâce au puissant amour qu’elle
lui inspire : il sera question de l’amour d’Aragon pour Elsa, mais le poète est assez distrait. Le
poème porte surtout sur le bouleversement que cette femme a provoqué dans la vie et dans l’identité
du poète. Pour mettre en évidence ce rôle jouée par Elsa, Aragon construit son poème en trois
temps : les deux premières strophes abordent sa vie passée sans amour, puis la troisième strophe
opère un renversement, tandis que les deux dernière strophes expliquent comment s’est opéré ce
miracle. Aragon développe ainsi un jeu d’opposition entre l’existence triste et mortifère du
célibataire, et l’existence heureuse et pleine de vie de l’homme amoureux qu’il est devenu. Tout le
poème résonne de la reconnaissance du fidèle à l’égard de celle qu’il regarde comme une divinité.

II. COMMENT ARAGON REND-T-IL SA PAROLE MUSICALE ?

La MUSICALITE est liée au RYTHME et aux SONORITÉS.


Comment Aragon crée-t-il un rythme ?
En quoi ce rythme consiste-t-il ?
Quel lien peut-on établir entre ce rythme et la divinisation d’Elsa ?

7. QU’EST-CE QUI EST RÉPÉTÉ RÉGULIÈREMENT DANS LE POÈME ?

1. le même NOMBRE DE SYLLABES dans les vers :


ce sont tous des ALEXANDRINS
2. l’emplacement de la CESURE à l’HÉMISTICHE
qui fait de ces vers des alexandrins REGULIERS (6/6)
3. les RIMES qui sont au nombre de DEUX PAR STROPHE avec :
• la MÊME DISPOSITION : ababb
• la MÊME ALTERNANCE : fmffmm
• la MÊME RICHESSE : rimes suffisantes ou riches
4. le choix du SIZAIN comme PATRON UNIQUE
5. les anaphores répétées en début de vers ou dans le vers :
• « celui qui » x2 v. 1, 2
• « que serais-je sans toi » x3 v. 3, 5, 6
• « je ne suis que » x2 v. 13, 18
• « j’ai tout appris de toi » x4 v. 19, 21, 24, 25
• « Tu m’as pris par la main » x 2 v. 28, 30

8. LES MOTS RÉPÉTÉS ONT-ILS UNE IMPORTANCE PARTICULIÈRE ?


• « celui qui » x 2 (v. 1, 2) <=> identité ancienne du poète
• « que serais-je sans toi » x 3 (v. 3, 5, 6) <=> identité évitée du poète
• « je ne suis que » x 2 (v. 13, 18) <=> identité présente du poète
• « j’ai tout appris de toi » x 4 (v. 19, 21, 24, 25) <=> dette du poète à l’égard de la femme
• « Tu m’as pris par la main » x 2 (v. 28, 30) <=> rôle jouée par la femme

Le JEU DES ANAPHORES s’accordent avec le MOUVEMENT LOGIQUE du poème.


A remarquer :
parmi tous les alexandrins, un seul est irrégulier :
« Je te dois tout / je ne suis rien / que ta poussière »
= ALEXANDRIN TERNAIRE (ou romantique)
qui redouble la RUPTURE THÉMATIQUE
(passage de la solitude à l’union amoureuse)
par la RUPTURE PROSODIQUE
On peut donc affirmer que
LA MUSICALITÉ DES PAROLES SOULIGNE LE CONTENU DU PROPOS
On remarque aussi que
plusieurs anaphores terminent par « TOI » :
• « que serais-je sans toi » x3 v. 3, 5, 6
• « j’ai tout appris de toi » x4 v. 19, 21, 24, 25
alors placé À L’HÉMISTICHE,
c’est-à-dire au SOMMET DU VERS
Aragon place Elsa au sommet du vers
comme on place en hauteur les STATUES DES DIVINITÉS
par opposition au « JE »
toujours placé au début du vers, du moins avant l’hémistiche :
• « que serais-je sans toi »
• « j’ai tout appris de toi »
Le fidèle adorateur de sa divinité reste en RETRAIT.

9. TROUVE-T-ON DES MOTS RÉPÉTÉS AU DÉBUT ET À LA FIN DU POÈME ?


Au début (v. 1) et à la fin (v. 29) du poème, sont répétés deux mots :
• « Je suis celui qui sait seulement être contre » (v. 1)
• « Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux » (v. 29)
Ces deux vers forment une BOUCLE,
qui permet de mesurer l’évolution opérée dans l’identité du poète,
le PASSAGE D’UN SAVOIR À UN AUTRE.
10. QUEL EST L’EFFET PRODUIT PAR LE RYTHME BINAIRE DE L’ALEXANDRIN ?
Prenons le vers 1 :
« J’étais celui qui sait / seulement être contre »
L’effet est ici produit par la césure entre les deux hémistiches :
Il faut, conformément à la prosodie, lire le premier hémistiche :
« J’étais celui qui sait »
On parle de
PREMIER HÉMISTICHE MÉLIORATIF OU EUPHORIQUE
avant le revirement opéré par
« seulement être contre »
On parle de
SECOND HÉMISTICHE PÉJORATIF OU DYSPHORIQUE
On relève le MÊME REVIREMENT dans les AUTRES VERS :
v. 9 : « L’escamoteur qu’on fait / à son tour disparaître »
faire disparaître → disparaître soi-même
v. 28 : « Tu m’as pris par la main / dans cet enfer moderne »
union → division
La LOGIQUE est très souvent DE L’AGGRAVATION
(+ → - ou - → –)
C’est surtout vrai au début,
quand le POÈTE est SEUL,
s’applique la LOI DE LA DÉGRADATION :
v. 2 : « Celui qui sur le noir (-) / partie à tout moment (--) »
v. 5 : « Que serais-je sans toi (-) / qu’un coeur au bois dormant (–) »
v. 7 : « Un bonhomme hagard (-) / qui ferme sa fenêtre (--) »
mais
il existe quelques rares exceptions comme ici :
v. 3 : « Que serais-je sans toi / qui vins à ma rencontre »
solitude → union
où seule ELSA est seule capable de
REVERSER LE TERRIBLE ORDRE DES CHOSES.
On voit bien comment la prosodie de l’alexandrin concourt à célébrer la divinité d’Elsa.

III. COMMENT ARAGON ÉLÈVE-T-IL SON PROPOS ?

11. QUELS SONT LES MOTS QUI PRODUISENT CETTE ÉLÉVATION ?


• « tout » x 6 (v. 2, 13, 19, 21, 24, 25) + « chaque » (v. 14)
« à tout moment » (v. 6), « Je te dois tout » (v. 13)
« j’ai tout appris appris » (v. 19, 21, 24, 25)
« chaque mot de mon chant » (v. 14)
HYPERBOLE par TOTALISATION
• « destinée » (v. 11) + « gloire » et « grandeur » (v. 16)
Vocabulaire de la TRAGÉDIE
• « enfer » (v. 28)
Vocabulaire de la MYTHOLOGIE et de la RELIGION
donc
peu de mots hyperboliques

12. QUE NOUS APPORTENT LES AUTRES MOTS EN LIEN AVEC L’ÉLÉVATION ?
Ces quelques MOTS NOBLES propices à l’élévation
forment un puissant CONTRASTE avec
d’autres MOTS TRÈS PROSAÏQUES comme
« CABOT » (v. 8), « ESCAMOTEUR » (v. 9),
« MENUE MONNAIE » (v. 18), « QUINQUET DE TAVERNE » (v. 27)
Or ces mots désignent tous
le POÈTE.
On peut donc dire qu’Aragon construit l’élévation de son propos
grâce au CONTRASTE entre
d’une part la NOBLESSE SUBLIME D’ELSA
et d’autre part la MISÈRE PROSAÏQUE DU POÈTE.
On peut faire la liste de tous ces termes dépréciatifs dans le poème :
• « seulement » (v. 1)
• « cette heure arrêtée » (v. 4)
• « ce balbutiement » (v. 6)
• « un bonhomme hagard » (v. 7)
• « ta poussière » (v. 28)
• « une pierre » (v. 28)
• « ton lierre » (v. 28)
• « ton ombre » (v. 28)

13. TOUTES CES MARQUES ONT-ELLE QUELQUE CHOSE EN COMMUN ?


• « seulement » (v. 1) vie sans idéal
• « cette heure arrêtée » (v. 4) vie sans histoire
• « ce balbutiement » (v. 6) vie sans parole
• « un bonhomme hagard » (v. 7) vie sans douceur
• « ce vieux cabot » (v. 8) vie sans but
• « l’escamoteur » (v. 9) vie sans existence

14. PEUT-ON DÉCOUVRIR UN ORDRE DANS CES TERMES DÉPRÉCIATIFS ?


On peut d’abord établir un
LIEN LOGIQUE DE CAUSALITÉ :
idéal => histoire => amour (parole et douceur) => but => existence
mais
on peut y ajouter un
LIEN CHRONOLOGIQUE DE SUCCESSION
de sorte que
POÈME = FRAGMENT D’AUTOBIOGRAPHIE POÉTIQUE
comme les « les mémoires d’une âme » de Hugo
mais
Roman inachevé d’ARAGON ≠ Contemplations de Victor HUGO
car
clef de voûte (Hugo) = mort de Léopoldine
Les Contemplations = travail poétique du deuil
avec déploration d’une perte de l’être aimé
alors que
CLEF DE VOÛTE (ARAGON) = ELSA
POÈME = CÉLÉBRATION
AVEC GLORIFICATION DE L’ÊTRE AIMÉ
Aragon nous délivre ici une
VERSION HEUREUSE DES « MÉMOIRES D’UNE ÂME »
avec cependant un point commun :
exploitation de l’inaccompli
HUGO : DÉPLORATION À L’IDÉE DU BONHEUR PERDU
(/ce qu’aurait pu sa vie être Léopoldine)
ARAGON : ENTHOUSIASME À L’IDÉE DU BONHEUR REÇU
(/ce qu’aurait pu être sa vie sans Elsa)

17. QUELLE FORME PREND LA DIVINITÉ ET AVEC ELLE LE POÈTE ?


Nous avons dit qu’Aragon opérait une
REHABILITATION PARADOXALE DU POÈTE
en ce sens que la femme l’élève
(« ma destinée », « ma gloire et ma grandeur »)
tout en maintenant sa profonde insignifiance
(« ta poussière », « ton lierre », « ton ombre »)
On peut donc dire qu’il procède à une
EXALTATION CONJOINTE DE LA DIVINITÉ ET DU FIDÈLE
Le poème raconte la RÉVÉLATION DE L’AMOUR
tout en maintenant une
IRRÉDUCTIBLE DISPROPORTION ENTRE L’HUMAIN ET LE DIVIN
Cette distance est obtenue par toute une
SÉRIE D’INVERSIONS
au coeur de références culturelles :

1.
« UN COEUR AU BOIS DORMANT » (v. 5)
fait référence au conte de
LA BELLE AU BOIS DORMANT
publié par Charles Perrault dans Les Contes de ma mère l’Oye (1697)
mais ARAGON INVERSE LES RÔLES :
c’est Elsa qui joue le rôle de prince charmant,
le poète celui de la princesse endormie.

2.
« cette HEURE ARRÊTÉE au CADRAN DE LA MONTRE » (v. 4)
fait écho au conte
ALICE AU PAYS DES MERVEILLES
publié par Lewis Caroll
mais Aragon inverse une fois encore les rôles :
le poète est comme Alice l’objet d’une initiation

3.
« ce BALBUTIEMENT » (v. 6)
fait écho à l’importance de la parole dans les contes de fées
avec la FORMULE MAGIQUE
notamment dans l’opération de la MÉTAMORPHOSE
mais
le poète est restreinte à balbutier tandis que c’est la femme qui le transforme.

4.
« LE CHEVAL COURONNÉ » (v. 8)
fait référence aux personnages princiers des contes de fées
mais l’ironie veut ici que COURONNÉ = BLESSÉ
donc FAUSSE COURONNE pour un FAUX ROI

5.
« LE FIDÈLE MIROIR OÙ TU TE RECONNAIS » (v. 13)
écho au conte BLANCHE NEIGE des frères Grimm
mais une fois encore inversion :
alors que, dans le conte, le miroir est symbole de Vérité
dans le poème, le poète-miroir est symbole de soumission et d’adoration.

6.
Cependant le phénomène majeur est ici la reprise du
MYTHE DE NARCISSE ET D’ORPHEE
avec la même inversion des rôles :
• « chaque mot de mon chant c’est de toi qu’il venait » (v. 14)
= reprise de la posture d’Écho/Narcisse comme équivalent Aragon/Elsa
• « Le fidèle miroir où tu te reconnais » (v. 16)
= reprise de l’auto-contemplation de Narcisse mais appliquée à Elsa
• « Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne » (v. 28)
= reprise de la catabase (descente aux Enfers) mais Orphée = Elsa : c’est la femme
qui vient chercher le poète pour le soustraire à l’enfer.

CONCLUSION

On comprend, au terme de cette étude, de quelle façon Aragon procède à la divinisation d’Elsa. Ce
poème est moins une déclaration d’amour qu’un témoignage de gratitude qui confine à l’adoration
de celle qui a transformé son être. Aragon emploie les ressources prosodiques de l’alexandrin
classique pour mettre à l’honneur celle qui est à la fois une muse, une sauveuse et une initiatrice. Il
convient donc de regarder ce poème comme un véritable cantique, c’est-à-dire un poème religieux
entonné par un amant fidèle en l’honneur de celle qu’il regarde comme une authentique déesse.

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