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1. Nous allons travailler sur l’extrait suivant : Énéide, 1, v. 1-33, à consulter dans l’édition
louvaniste habituelle (http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Virg/V01-001-222.html).
Dans d’autres éditions, quatre vers « apocryphes43 » précèdent le vers 1 (ils sont cités avec
une astérisque, de 1* à 4*, pour les distinguer des suivants). Les voici :
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• Rappel : le commentaire composé dégage les aspects essentiels d’un texte, tant sur le fond
que sur la forme. En un plan progressif qui éclaire la problématique du texte, il propose
plusieurs parties, organisées chacune autour d’un axe de lecture (au moins deux), qui
permettront de saisir quels sont les enjeux du texte et quels sont les moyens littéraires mis
en œuvre.
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Dont on ignore l’auteur.
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— Littérature latine L1 : Les Origines de Rome © Anne Rolet 2022 —
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NB : Pour plus de clarté, j’ai mis des titres aux parties et j’ai utilisé des alinéas
marqués par des tirets. Dans une copie rédigée, certains de ces éléments (titres et
tirets notamment) devront disparaître et être remplacés par des articulations
rhétoriques.
INTRODUCTION
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Ces quatre vers sont apocryphes et nous ont été transmis par la Vie de Virgile de Donat et par le
commentaire de Servius. Pour certains éditeurs, l’Énéide commence avec la formule arma uirumque
cano, « je chante les armes et le héros… ».
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I. Première partie
L’ÉNÉIDE OU LE COURONNEMENT D’UNE CARRIÈRE POÉTIQUE
Prise de parole personnelle d’un auteur/ narrateur (v. 1* : ille ego qui, « moi,
l’homme qui » ; v. 1 : cano, « je chante », présent d’éternité pour dire « je suis
l’auteur » et revendiquer clairement la paternité du poème).
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Figure de répétition qui joue sur l’apparition d’un même mot pourvu de caractéristiques
morphologiques différentes, en particulier les désinences (en grec, poly- = plusieurs ; ptôsis = flexion,
désinence).
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Qui donne son nom au titre (Énéide : histoire de l’homme qui s’appelle Énée ; cf. Odyssée : histoire
de l’homme qui s’appelle Odysseus/Ulysse).
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Virgile n'est d'ailleurs pas clair sur le sujet : s'agit-il bien de Lavinium, dans la mesure où il semble
que Latinus habite une ville qui existe déjà lors de l'arrivée des Troyens ? Certes, seule la citadelle,
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- puis celle d’Albe-la-Longue (cf. v. 7 : Albani patres, « les pères d’Albe »).
- puis celle de Rome, présentée sous l’apparence d’une ville fortifiée aux hautes
murailles (Romae en fin de vers 7). L’adverbe relatif unde au vers 7 (« d’où ») est
essentiel, car il introduit la question très importantes aux yeux des Romains des
filiations urbaines, aussi fondamentales, voire plus, que les généalogies mythiques.
Rome est fille de Lavinium et d’Albe.
– La trajectoire intérieure : en annonçant le caractère mouvementé du voyage
d’Énée, et en insistant sur la variété des épreuves qui l’attendent (labores), Virgile
certifie à son lecteur que ce ne sont pas là de simples ressorts narratifs. Le parcours
qui fera connaître à Énée les passions, les peurs et les joies humaines, et qui
l’amènera à descendre aux Enfers (comme d’autres héros tels Thésée et Hercule)
promet aussi un voyage initatique qui mûrira le héros intérieurement et en fera une
sorte de paradigme de l’humanité tout entière.
avec le palais royal, est évoquée. On peut supposer que l'arrivée des Troyens et leur sédentarisation
va imposer une refondation nécessaire, ne serait-ce que pour augmenter la taille de la cité.
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l’épopée virgilienne ne commence pas avec la fuite d’Énée hors de Troie, mais le
saisit au milieu de son errance. Ses aventures antérieures (en particulier la chute de
Troie) feront l’objet d’un récit rétrospectif à la première personne, lors du banquet
donnée par Didon. Ce récit est d’ailleurs anticipé par les peintures représentant la
guerre de Troie qu’Énée aperçoit sur le temple de Junon, quand il se présente à
Carthage, et qui lui tirent des larmes et suscitent en lui une grande émotion.
– le détour carthaginois, c’est-à-dire sur le continent africain, et la rencontre avec
une reine phénicienne, qui n’aboutira pas à un mariage, fait partie des fausses pistes
nécessaires à l’épopée et à la maturation d’un héros humain, trop humain, qui ne
sait donc pas toujours interpréter correctement les volontés divines. Les amours
avec Didon, vouées à l’échec, tout comme le partage impossible du pouvoir avec
une femme préparent et font attendre le terme véritable du voyage d’Énée : l’arrivée
en Ausonie sur la terre italique, le mariage avec Lavinia, la royauté pleine et entière
sur Lavinium et les Latins.
2. Carthage la rivale
– Carthage est posée dès le départ comme une rivale, mais aussi comme un miroir
de la future Rome : par son ascendance étrangère (colonie de Tyr, v. 12), son
antiquité (v. 12 : urbs antiqua), par sa situation géographique menaçante qui fait face
à l’Italie et au Tibre (v. 13 : contra veut dire à la fois « en face de » et « contre » avec
une nuance d’hostilité), par sa prospérité économique (v. 14 : diues opum, « riche en
biens »), par son tempérament très belliqueux (studiis asperrima belli, « très âpre par
ses passions guerrières »). Un puissant effet d’attente est ménagé entre le v. 12 qui
s’ouvre sur urbs, nom indéterminé, et Karthago qui apparaît seulement au vers
suivant.
– Virgile sort du temps de l’épopée en prédisant la chute inéluctable de Carthage :
en temps que déesse, Junon peut avoir accès à cette connaissance prophétique
(v. 20 : audierat, « elle avait entendu dire », « elle avait appris). Les vers 19 à 24
anticipent les trois guerres puniques qui opposeront Rome et Carthage entre 264 et
146 av. J.-C. L’expression du vers 20 (Tyrias olim quae uerteret arces : [la race troyenne]
« qui renverserait un jour les forteresses tyriennes »), est à prendre au pied de la
lettre : le général romain Scipion Émilien fera raser les murailles de Troie en 146 et
verser du sel pour que rien n’y repousse.
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à chaque être. D’où la formule liée au travail du tissage au v. 22, sic uoluere Parcas,
« ainsi l’ont filé les Parques ». Les Parques, nommées parfois fata, sont toujours en
action, comme le montre l’expression du v. 32, acti fatis, « [les Troyens] poussés par
les destins ». Sœurs de Némésis, la déesse vengeresse qui rétablit l’équilibre et
restaure la bonne répartition des choses (némô = « distribuer » en grec), les Parques
incarnent la dimension punitive du destin lorsque les passions dépassent la mesure,
y compris chez les dieux. Ainsi, Junon connaîtra une double défaite : non seulement
Énée abandonnera Didon dans l’épopée, mais la chute de Carthage, ville chérie de
la reine des dieux, et le triomphe des Romains sont annoncés pour l’époque
historique.
Conclusion
DU HÉROS SOLITAIRE AUX FORCES COLLECTIVES
Vous aurez remarqué que les vers 29-33 reprennent en les modulant certaines
formules du début qui s’appliquaient à Énée. On y retrouve en particulier le motif
de la très longue (multosque per annos, « pendant de longues années ») errance en
mer (v. 29 : iactatos aequore, « ballottés sur la mer » ; v. 32 : errabant, « ils erraient » ;
v. 32 : maria omnia circum, « autour de toutes les mers »), celui du rôle du destin
(v. 32 : acti fatis, « poussés par les destins »), celui de la souffrance (v. 33 : tantae molis
erat, « tant était grande l’épreuve »), puis celui de la fondation (condere gentem). Quel
est l’intérêt de cette répétition ? C’est le passage d’une troisième personne du
singulier à une troisième personne du pluriel, qui agrège le destin du héros à la
trajectoire d’un peuple tout entier. L’Énéide annonce comment une poignée d’exilés
(v. 30 : reliquias Danaum, « restes échappés aux Danaens ») condamnée au
nomadisme va se transformer en une véritable nation (gentem) en se dotant d’un
nouveau nom (Romanam).
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