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le compendium mode d’emploi : quelques rélexions

sur la traduction croate de la prouesse littéraire


perecquienne
Vanda Mikšić, Université de Zadar

Résumé
Le fameux Compendium, placé au cœur même de l’ensemble intitulé La Vie
mode d’emploi que Georges Perec a lui-même qualiié de « romans », représente
un véritable exploit de la part de son auteur, et un des majeurs déis imaginables
pour ses traducteurs. Après une rapide mise en situation de ce texte-dans-le-
texte à contrainte, suivie d’une explication de son fonctionnement formel, qui
inclura toutes les déviations (les clinamens si chers à l’auteur), nous nous pro-
posons d’analyser le cheminement vers une des possibles traductions en croate
(parue en 2014). Notre propos s’appuyera sur les rélexions de poéticiens de la
traduction tels que Antoine Berman et Henri Meschonnic, ainsi que, à titre
comparatif, sur quelques traductions publiées en d’autres langues.

Mots-clés : Compendium, Perec, contrainte, traduction, croate

1. introduction
C’est en 1978 que Georges Perec a publié La Vie mode d’emploi (VME),
son ouvrage le plus célèbre et l’un des romans majeurs de la littérature fran-
çaise du XXe siècle, couronné du prix Médicis. La traduction croate du ro-
man – ou plutôt des « romans », pour reprendre le sous-titre que l’auteur lui
avait donné – réalisée par nos soins, a vu le jour en 2014 sous le titre Život
način uporabe (ŽNU), et fait suite à un nombre important de traductions
dans d’autres langues, à commencer par la traduction allemande, sortie de
l’ouvroir d’Eugen Helmlé en 1982 et autorisée par Perec lui-même. Une
version serbe, rendue par Svetlana Stojanović et intitulée Život uputstvo za
upotrebu (ŽUU), est disponible sous nos latitudes depuis 1997.
Dans la présente contribution, nous allons nous pencher sur une
partie de La Vie mode d’emploi, connue sous le nom de Compendium
et située au cœur même de l’ouvrage, plus précisément dans Le chapitre

195
Li154. Puisqu’il s’agit d’un morceau particulièrement exigeant pour la tra-
duction, nous nous proposons de situer rapidement le Compendium aux
points de vue narratif et formel et, en nous appuyant sur quelques ré-
lexions théoriques des poéticiens français de la traduction tels qu’Antoine
Berman et Henri Meschonnic, sans oublier les positions des oulipiens
Harry Mathews et Georges Perec lui-même, de retracer le cheminement
qui a été le nôtre pour traduire le Compendium en croate, ain de rendre
compte de la stratégie adoptée, des procédés mis en œuvre, et des diicul-
tés rencontrées au cours de cette entreprise.

2. le compendium, un dispositif narratif à double contrainte

Georges Perec, qui puise pour l’intituler à la terminologie médiévale (cf.


Perec, 1984 : 51), considérait ce morceau de texte comme un poème,
composé de 179 vers. il s’agit en efet d’un texte dans le texte, d’une sorte
de mise en abyme, ou d’une représentation fractale, ou synecdochique,
de la partie qui relète l’ensemble. ici, en l’occurrence, ce sont les 179
phrases participiales numérotées référant à 179 personnages « avec leur
histoire, leur passé, leurs légendes » (VME : 946) qui, soit précèdent le
Compendium et le lecteur en connaît déjà la teneur, soit le suivent et le
contenu s’y voit anticipé. Dans son cahier des charges (CC), Georges
Perec a noté sur la feuille du chapitre 51 : « résumé général y compris
de ce qui va suivre !! » (1993), et encore : « ils seraient tous là... » (ibid.).
Lors d’une conversation avec Claudette Oriol-Boyer et Harry Mathews,
en 1981, Perec remarque : « c’est le chapitre qui est le microcosme dans
lequel tout le livre est injecté... », tout en admettant que sa place centrale
dans le roman n’est nullement due au hasard (Perec, 1984 : 51). En fait,
les personnages en question devraient tous trouver leur place sur la toile
de Valène, peintre vivant dans l’immeuble que, chapitre par chapitre,
l’auteur représente dans son roman et que Valène lui-même souhaite
peindre. Le Compendium apparaît donc comme un dispositif narratif
particulier qui est à la fois une condensation spatio-temporelle du roman
et un réseau complexe, où se croisent le passé et l’avenir, le réel (de la
iction) et le potentiel (du désir), la présence et l’absence. Cette longue
liste composée de fragments, de traces, est en fait une énigme, un puzzle
exigeant une participation active du lecteur. Car, comme dans le roman,
là aussi il y a une pièce manquante.
154
Rappelons que le roman est organisé en 6 parties renfermant 99 chapitres. À cela s’ajoutent
un Préambule et un Épilogue. Ainsi, Le chapitre Li – le seul précédé par un article détermi-
né – peut être considéré comme le centre schématique et le nœud herméneutique du roman.

196
Le schéma régulier aurait comporté trois séries de 60 vers, chaque
série étant divisée à son tour en 6 groupes de 10 vers. Mais la troisième
série aiche un clinamen – une déviation dans le système, si chère à Perec,
qui à la fois abolit et airme ce système155 – et se termine par le vers 179,
plaçant dans le tableau rêvé la igure du peintre lui-même (« Le vieux
peintre faisant tenir toute la maison dans sa toile », VME : 952)156.
Le dispositif lui-même est construit sur deux contraintes. La pre-
mière se manifeste dans le nombre de 60 signes-espaces par vers. Avec
60 vers de chaque série, ce nombre de signes-espaces présente un carré
de 60 x 60, qui n’est pas sans renvoyer au plan principal de l’immeuble
(10 x 10). La deuxième contrainte se trouve dans la lecture diagonale
sénestro-descendante (de haut à droite en bas à gauche) des lettres dans
chaque série : le A dans la première, le M dans la deuxième et le E dans
la troisième, ce qui donne la suite aussi reconnaissable qu’interprétable A-
M-E. Mais encore une fois des clinamens, intentionnels ou pas, s’y glissent
à trois reprises :
- le vers 6 comporte 61 signes (Bernard Magné le considère comme
un « faux », cf. 1998 : 47),
- le vers 45 en aiche 59 (un « manque » selon Magné, ibid., et de
toute façon un cas de « dyspoïèse », cf. 1990 : 13)157,
- le vers 104 présente une diagonale quelque peu ébranlée, la lettre
M étant décalée d’une place vers la gauche.
Parmi les jeux supplémentaires on peut encore citer :
- le vers 73, où le nom de Perec anagrammé (percé) est conjugué à
sa date de naissance (le 7 mars), ainsi que
- la réapparition du mot AME à la in des trois premiers vers du
Compendium.
Au niveau de la syntaxe, la formule prévalente est : Nom (syntagme
nominal) + Groupe participial. Le personnage évoqué est systématique-
ment le sujet, sauf dans le vers 21 (« les tristes rêveries de la jeune ille »,
155
Lors de l’entretien avec Ewa Pawlikovska (Littérature, 7, 1983, p. 69-76), Georges Perec af-
irme : « Quand on établit un système de contraintes, il faut qu’il y ait aussi de l’anticontrainte
dedans. il faut et c’est important détruire le système des contraintes. il ne faut pas qu’il soit rigide, il
faut qu’il y ait du jeu, comme on dit, que ça grince un peu ; il ne faut pas que ce soit complètement
cohérent : un clinamen, c’est dans la théorie des atomes d’Épicure ; le monde fonctionne parce qu’au
départ il y a un déséquilibre. »
156
Le vers 180 manquant, qui aurait dû commencer par un E, renvoie à La Disparition, le roman
lipogrammatique de Perec, obéissant à l’une des quatre contraintes supplémentaires program-
mées par l’auteur (allusion à un autre livre de Perec ; cf. Hartje, Magné, Neefs, 1993 : 26).
157
« Le manque » et « le faux » sont des désignations des listes 39 et 40 de la grille que Perec a établie
avant de se lancer dans l’écriture du roman : une grille consistant en 420 éléments qu’il a distribués
dans le roman grâce au bi-carré latin orthogonal d’ordre 10 (cf. Hartje, Magné, Neefs, 1993 : 16-27).

197
VME : 947). Le groupe participial (participe présent avec expansion),
pouvant être considéré comme une condensation de la relative en « qui »,
est pratiquement de règle. Sur 179 phrases il y a 17 exceptions (20, 21,
29, 33, 37, 64, 69, 70, 78, 100, 105, 115, 127, 135, 140, 141 et 165)
où l’on a plutôt un participe passé, un complément circonstanciel, une
relative en « qui », une apposition ou un présent progressif.

3. la traduction et les textes oulipiens


Si nous observons l’activité traductive dans l’optique oulipienne, donc
dans l’optique de la contrainte, nous pouvons dire qu’il s’agit, là aussi,
d’un travail sous contraintes, où le texte original fonctionne comme la
contrainte de base, que l’auteur (im)pose au traducteur. En fait, l’original
peut être considéré comme une singulière forme ixe, que le traducteur
est censé déconstruire, puis reconstruire dans sa propre langue-culture,
sans la dénaturer. Le travail du traducteur est, de ce point de vue, un
travail sur le texte, un travail de réécriture hypertextuelle (cf. Genette,
1985 : 49, 238), où tous les paramètres textuels sont déterminés à
l’avance158. Le traducteur a la possibilité de se positionner par rapport
à cette contrainte de base, en choisissant une stratégie traductive (plan
macrotextuel, global) et des procédés (plan microtextuel, local) qu’il
considère comme appropriés, tenant forcément compte des contraintes
linguistiques et extralinguistiques cible. Ses choix (par exemple transpo-
ser un poème en vers en un texte en prose) relètent certes l’époque et le
milieu dans lequel il travaille, lesquels façonnent sa poétique du traduire.
Chaque activité traductive implique donc tout un réseau de contraintes,
ce qui nous conduit à constater que tout traducteur est un oulipien par
déinition159. Or, qu’en est-il du traducteur des textes oulipiens ?
Quand il s’agit de traduire un texte à contrainte formelle, le traduc-
teur est obligé de considérer la ou les contrainte(s) comme un paramètre
textuel essentiel, ayant une fonction (ou plusieurs), véhiculant un sens et
produisant des efets. Ou comme le dit Bernard Magné à propos de La
158
il va sans dire que le texte lui-même est soumis à des contraintes dictées par la langue qui
le façonne (et l’auteur peut les observer totalement ou dont il peut s’écarter) et la culture dans
laquelle il naît (tous les faits extralinguistiques, dont l’auteur peut également s’écarter).
159
Dans leur préface au numéro de Formules consacré à la traduction des contraintes, Jan
Baetens et Bernardo Schiavetta airment : « Traduire la contrainte suppose [...] une démarche
spéciique qui n’est pas sans rappeler l’écriture à contraintes, et qui rapproche le traducteur de
l’écrivain. À l’inverse, les pratiques de l’écriture à contrainte sont peut-être moins éloignées du
travail de traduction [...] que ne pourraient penser ceux qui croient pouvoir faire l’économie
de toute contrainte. » (1998 : 9).

198
Vie mode d’emploi, mais qui peut s’appliquer à toute écriture oulipienne,
« les contraintes ne sont pas simplement des réglages techniques exigeant
la présence ou l’absence de tel ou tel élément à tel endroit du texte », ce
sont plutôt « des éléments constitutifs du texte et comme tels ils méritent
tous les soins du traducteur : ils relèvent de la pragmatique ictionnelle
régissant les rapports diférés du scripteur et du lecteur à l’intérieur de
cette écriture toujours déinie par Perec comme un jeu qui se joue à deux »
(1993 : 397).
Et si nous acceptons les positions d’Antoine Berman, qui a prôné
le travail sur la lettre (cf. Berman, 1985), et d’Henri Meschonnic, qui
considérait que la traduction doit faire ce que fait le texte (cf. Meschon-
nic, 1995, 1999), si nous tenons compte de la position de Georges
Perec lui-même, qui dans son travail de traducteur a donné la priorité
aux contraintes et la nécessité de la création d’efets équivalents160, nous
sommes amenée à constater que ce que Jacques Derrida appelle une tra-
duction relevante (cf. Derrida, 1999), et Harry Mathews une « eicient
translation » (cf. Mathews, 1999) doit respecter le dispositif original, doit
jouer le jeu que l’auteur s’est proposé. Reste, bien évidemment, la ques-
tion du degré de « jouabilité » dans la traduction, liée aux contraintes de
la langue-culture cible.
Le roman La Vie mode d’emploi a été traduit en diférentes langues.
il est intéressant d’observer que la première traduction, en allemand,
faite par Eugen Helmlé (1982), respecte le dispositif du Compendium
et propose, en diagonale, le mot iCH (« moi »). il en va de même pour
la version anglaise établie par David Bellos (1987), qui aiche, en dia-
gonale, le mot EGO. Nous avons examiné quelques autres traductions :
les versions espagnole (Escué, 1988) et portugaise (Tamen, 1989) ne res-
pectent aucun élément du dispositif, proposant plutôt une traduction
sémantique ; la version serbe (Stojanović, 1997) respecte le dispositif et
reprend, en diagonale, le mot français AME, écrit en majuscules pour
le faire saillir ; la version catalane (Bats – Lladó, 1998), suit le dispositif
original, tout en modiiant l’ordre des histoires racontées, et propose, en
diagonale, le mot ALE (« soule ») ; la version russe (kislov, 2009), enin,
respecte le dispositif et fournit en diagonale le mot DOM (« maison »).

160
il suit de consulter sa traduction du roman Tlooth écrit par Harry Mathews, qu’il a intitulé
Les Verts champs de moutarde de l’Afghanistan. Cf. à ce sujet l’article « Perec traducteur » d’isabelle
Vanderschelden (Translittérature, 4, hiver 1992, p. 13-19), ainsi que le texte « Fearful Symme-
tries » de Harry Mathews (Revue française d’études américaines, 80, mars 1999, p. 6-14).

199
4. la traduction croate du compendium
4.1. la stratégie traductive

Pour la traduction du roman La Vie mode d’emploi, nous avons opté pour
la stratégie du respect maximal des contraintes proposées par l’auteur.
il allait de soi que le dispositif du Compendium devait, lui aussi, être
reproduit en croate ainsi que l’auteur l’avait envisagé.

4.1.1. le mot en diagonale

Consciente du fait que le déi majeur de cette tâche était la diagonale,


la démarche que nous avons adoptée consistait tout d’abord à choisir le
mot qui y serait reproduit. L’équivalent sémantique croate du mot ÂME
est duša, nom composé de quatre lettres, ce qui l’exclut d’emblée. Nous
avons établi une liste de mots de trois lettres, sémantiquement proches ou
relevants par rapport au roman dans son ensemble : duh (« esprit »)161, dah
(« soule »), dom (« maison »), dar (« don »), oko (« œil »), bit (« essence »).
Pour obtenir le mot-clé, nous avons fait un premier jet en croate en res-
pectant la contrainte de 60 signes-espaces. Par la suite nous avons vériié
la fréquence des lettres en bonne position (imposée par la diagonale). Les
trois lettres les plus fréquentes dans cette version préliminaire étaient A, M
et i, qui pourtant ne forment aucun mot en croate. La lettre la plus fré-
quente dans la deuxième série était le i, tandis que le T était relativement
fréquent dans la troisième. Qui plus est, il était en bonne position dans le
vers 179. Hélas, le tant souhaitable E ne pouvait pas être reproduit dans
la troisième série, sauf dans le cas où l’on se serait décidé à reproduire un
mot tel que gle (« tiens »), dont en revanche les deux premières lettres sont
très peu fréquentes, ou encore sve (« tout »), qui aurait été nettement plus
réalisable. Mais même dans ce cas nous aurions diicilement abouti à des
constructions satisfaisantes pour les trois derniers vers.
Nous avons donc opté pour le nom féminin bit, qui signiie « es-
sence » et conirme le Compendium en tant qu’âme, cœur, noyau, es-
sence du roman. À cela s’ajoute le fait que la même suite de lettres peut
représenter la forme tronquée de l’ininitif du verbe être – biti, que l’on
emploie fréquemment au futur, lorsqu’il précède l’auxiliaire. Voici, à titre
d’exemple, l’une des dernières phrases du chapitre XCiX :

161
Ce mot relativement proche du mot ÂME du point de vue sémantique contient des lettres
peu fréquentes, ce qui aurait rendu notre tâche extrêmement diicile.

200
C’est le vingt-trois juin mille neuf cent soixante-quinze et il va
être huit heures du soir (VME : 1279).
que nous avons traduit par :
Dvadeset i treći je lipnja tisuću devetsto sedamdeset i pete i bit će
osam uvečer (ŽNU : 551)
À supposer qu’on puisse mettre un signe d’égalité entre les notions
être et vie, le mot BiT nous renvoie au titre même du roman.
Ayant choisi la suite B-i-T, nous avons vériié les occurrences de ce
nom dans le roman. Nous l’avons trouvé dans le chapitre LXX, consacré
à Bartlebooth et au déi que les puzzles représentaient pour lui :
Bartlebooth retrouvait dans ce sentiment d’impasse l’essence
même de sa passion (VME : 1081)
Bartlebooth je u tom osjećaju škripca pronalazio samu bit svoje
strasti (ŽNU : 380)
Le puzzle est, il va sans dire, l’élément essentiel du roman, présent
tant au niveau du contenu, qu’à celui de la forme et de l’herméneu-
tique de l’écriture perecquienne. Ainsi le mot BiT condense-t-il en lui
les concepts-clé du roman : vie, être, essence, puzzle, écriture. Le sens,
l’essence, au fond l’humain, peuvent alors être recherchés sur l’axe entre
« le mode d’emploi » en tant qu’organisation, ordre, norme, système,
perfection, et « la vie » en tant que désordre, déviation, imperfection,
clinamen, création.
À un autre endroit du texte, dans le Chapitre LXXX, le mot bit a
été choisi comme équivalent contextuel du mot image, à la faveur d’une
reformulation suscitée par deux éléments : la signiication jugée mala-
droite et trop concrète de slika (image, tableau), en particulier introduite
par skrivati se (se dissimuler), et par ailleurs la nécessité de substituer le
substantif verbal slaganje, désignant l’action d’assembler, au syntagme
activité de poseur :
Et dans ce renversement minuscule, se dissimulait l’image même
de son activité de poseur de puzzle. (VME : 1146)
A upravo u tom neznatnom obrtanju skrivala se bit njegova sla-
ganja puzzlea. (ŽNU : 436)
Au risque de détourner légèrement le sens, nous avons donc traduit
« image » par « essence », manipulation rendue possible par les unités de
sens dans lesquelles igurent respectivement « image » et « bit ». Aussi
avons-nous renvoyé le lecteur au chapitre LXX, où Bartlebooth, conscient

201
des pièges que lui tend Winckler, essaie de désautomatiser sa perception et
de regarder chaque pièce de puzzle d’un œil vierge, neutre, objectif, sans
préjugés (cf. VME : 1076). De surcroît, il s’est présenté ainsi une occasion
textuelle de relier discrètement l’épigraphe (« Regarde de tous tes yeux,
regarde »), le Compendium croate et la narration principale.

4.1.2. la contrainte de 60 signes-espaces, les clinamens et les jeux


supplémentaires

Une fois établi le mot qui apparaîtrait en diagonale, nous avons retravaillé
les vers en fonction de la contrainte diagonale, ain que la lettre ixée re-
trouve sa bonne position.
il s’agissait en outre de respecter les clinamens et les jeux supplé-
mentaires. Aussi avons-nous décidé de reprendre les déviations dans le
nombre des signes-espaces :
6 Le faiseur de puzzles s’acharnant dans ses parties de jacquet
– 61 signes (VME : 947)
6 izrađivač puzzlesa koji se tijekom partije jacqueta razbjesni
– 61 signes (ŽNU : 263)
45 L’atomiste lisant aux lèvres de l’homme-tronc sourd et muet
– 59 signes (VME : 948)
45 inženjer koji obučen je za čitanje s usana sakata atomičara
– 59 signes (ŽNU : 264)
104 La petite parfumeuse choisissant les bagues du vieil artisan
– M a glissé d’une place à gauche (VME : 950)
104 Parfumerka što izabire sramežljivo prstenove starog majstora
– i a glissé d’une place à gauche (ŽNU : 266)
À force de proposer une traduction quelque peu tirée par les che-
veux du point de vue sémantique, nous avons réussi à préserver le nom
anagrammé de Perec dans le vers 73162 :
73 L’ancêtre du docteur croyant avoir percé l’énigme du diamant
(VME : 949)
73 Predak liječnika koji vjeruje da perce enigme dijamanta drži
(ŽNU : 265)
162
Si, en revanche, on accepte l’interprétation que Rémi Schulz donne de ce vers (cf. Schulz,
page consultée le 15 septembre 2015, « Le secret de la vie, père C ? », http://remi.schulz.perso.
neuf.fr/perec/secret.htm), force est de constater que nous n’avons pas reproduit l’année de la
naissance de l’auteur (1936), implicitement présente dans la position du mot percé à partir du 36e
signe. Toujours d’après Schulz, il est dans ce vers un deuxième jeu de mots, qui, lui non plus, n’a
pas été respecté dans notre traduction : en fait, si l’on remplace le nom ancêtre par le nom père, et
le nom diamant par son symbole C, on obtient une deuxième occurrence du mot percé (père C) !

202
Rétrotraduction : L’ancêtre du docteur qui croit détenir la petite
plume de l’énigme du diamant
Enin, nous avons reproduit la suite B-i-T à la in des trois premiers vers :
1 Pélage vainqueur d’Alkhamah se faisant couronner à Covadonga
2 La cantatrice exilée de Russie suivant Schönberg à Amsterdam
3 Le petit chat sourd aux yeux vairons vivant au dernier étage
(VME : 946)
1 Pelayo što krunu dobi priredivši u Covadongi Maurima zlu kob
2 Ruska operna diva koju još Schönberg u Amsterdamu uči glazbi
3 Mala gluha maca šarenih očiju o kojoj cijeli kat voli skrbit
(ŽNU : 263)

4.1.3. la syntaxe

À l’instar du texte original, la version croate a maintenu le protagoniste de


chaque vers en position de sujet, sauf pour le vers 21, où la construction
proposée par l’auteur a été respectée (« tugaljiva razmišljanja djevojke »,
ŽNU : 263).
Le groupe participial étant impossible en croate, nous avons re-
couru à la formule Sujet + Relative en « qui ». il faut dire qu’en croate
le pronom qui est variable (genre, nombre, déclinaisons), ce qui suscite
une panoplie de formes (koji, koja, koje, kojem(u), ko(je)ga, kojoj, etc.) ;
de surcroît, il est également possible d’employer à sa place le pronom
relatif što, qui dans le registre littéraire peut être accompagné de la
particule li. En optant pour cette formule syntaxique, dont la seule
exception se trouve dans le vers 37, où nous avons recouru au participe
passé (« Žena trgovca slikama zaboravljena poradi talijanske zvijezde »,
ŽNU : 264), nous avons préservé l’accent mis sur le personnage, à la
diférence, par exemple, de la version serbe où la prédominante for-
mule Sujet + Prédicat déplace, à notre avis, l’accent sur l’action (cf.
ŽUU : 288-293).

4.2. pertes et décalages

La stratégie traductive ainsi adoptée a entraîné quelques pertes et décalages


par rapport à l’original. Tout d’abord, nous n’avons pas pu reproduire en
croate les phrases participiales revêtant une double fonction d’épithètes et
de prédicats. En fait, dans la version française, n’ayant pas de marques de

203
temps ou de personne, les participes présents placent, de par leur aspect
descriptif (fonction adjectivale), les histoires racontées dans une atempo-
ralité, dans une éternité pareille à celle d’un tableau, en l’occurrence du
tableau envisagé par Valène. Toutefois, on peut considérer que les phrases
relatives efectuent dans la traduction à peu près la même fonction de
prédicat second (cf. Samardžija-Grek, 2016), et leur emploi est justiié
par l’usage que l’auteur lui-même en fait (vv. 64 et 100).
Une deuxième perte textuelle importante a été, à notre avis, l’im-
possibilité de reproduire le renvoi implicite à La Disparition à travers
l’absence du vers 180, qui aurait commencé par un E.
Parmi les décalages dus à la contrainte de 60 signes-espaces, nous
pouvons compter les 7 conjonctions de coordination i (« et ») et pa
(« puis ») placées en tête des vers 49, 55, 114 117, 120, 172 et 178, qui
cassent quelque peu l’efet d’une liste d’éléments disparates sans aucune
liaison entre eux.
Enin, la même contrainte a imposé par endroits un ordre des
mots inattendu, véhiculant des efets d’expression archaïque ou littéraire.
il s’agit, le plus souvent,
- de la postposition de l’adjectif au nom (« 75 Sin antikvarke što
okolo motorom jurca u kombinezonu crvenom », ŽNU : 265),
- de l’antéposition du complément du nom par rapport au nom
(« 121 Mark Twain koji u novini pročita o vlastitoj smrti obavi-
jest », ŽNU : 267),
- de la postposition de l’adverbe au verbe (« 13 Samodostatno pleme
što miroljubivu antropologu bježi vječito, ŽNU : 263), ou
- du rejet du verbe à la in de la phrase (« 63 Drugi čovjek Foxa koji
posljednju poruku Fitz-Jamesa otkriva », ŽNU : 265).
Notons néanmoins que les phrases proposant ces inversions, au
mieux étonnantes, au pire forcées, réorientent plus ou moins discrète-
ment l’attention du lecteur vers la forme et le poussent à se question-
ner sur leur motivation. Cet aspect textuel devient, par conséquent, une
sorte de déclencheur interprétatif.

4.3. la contrainte respectée impose une certaine liberté

La contrainte de 60 signes-espaces s’est répercutée, dans la traduction,


sur les plans lexical, syntaxico-sémantique et discursif.

204
4.3.1. plan lexical

Sur le plan lexical, nous avons été obligée de nous écarter à plusieurs
reprises de la langue standard, en recourant
- au registre parlé (des ininitifs tronqués dans les vers 3, 11, 29,
148 ; v. 142 profa, la forme abrégée du nom profesor),
- à des mots vernaculaires (v. 14 furt, emprunt à l’allemand [cf.
in einem fort] répandu dans les régions kajkaviennes, et signiiant
« sans cesse »),
- à des archaïsmes (v. 46 hudi, au lieu de zao, « méchant » ; v. 59
ubava, au lieu de lijepa, « belle » , v. 161 što snatri o raspri, au lieu
de što sanja o raspravi, « rêvant de la polémique »),
- à des mots savants (v. 155 epiphyllum, mot latin pour « épiphylle »)
et à des termes (v. 43 K primbrojevi, pour « k premiers » ; v. 111
faktorijele, pour « factorielles »), ou
- à des emprunts.
Ce dernier représente un cas particulièrement intéressant. En fait,
nous pouvons distinguer
- les emprunts repris de l’original,
- les emprunts non-repris, et
- les emprunts nouveaux.
Parmi les premiers, certains
- n’ont subi aucune modiication (lady, boy-friend),
- ont reçu des désinences croates (puzzles devenu puzzlesa, fans de-
venu fanovi, kinckerbockers devenu knickerbockersice),
- ont été translittérés (barman devenu barmen, pidgin devenu piđin), ou
- ont subi les deux modiications à la fois (glob-trotteuse devenu glob-
troterica, jazzman devenu džezer).
Dans le deuxième groupe se situent les emprunts utilisés par l’au-
teur et que nous n’avons pas repris dans notre traduction (star devenu
zvijezda, diva ; stayer devenu biciklist ; pacemaker devenu motovoditelj ;
clown devenu cirkuski zabavljač, night-club devenu noćni klub). En re-
vanche, nous avons été amenée à recourir à quelques emprunts français,
soit parce que
- la langue croate n’a pas d’équivalent (bukinisti pour bouquinistes),
soit parce que
- le mot français est entré dans l’usage courant (au pair, metro, petit-
beurre, žongler pour jongleur), ou encore

205
- pour accentuer l’origine française du texte (nonšalantno, au lieu
de nehajno, nemarno, pour avec nonchalance ; magazin au lieu de
časopis, pour magazine ; klijenti, au lieu de stranke, pour clients),
et enin
- parce que les contraintes textuelles imposées par Perec nous ont
poussée à garder le terme original là où il était possible de choisir
un terme croate (jacquet pour tavla).

4.3.2. plan syntaxico-sémantique

Certaines phrases du Compendium ont pu être traduites littéralement,


ou presque :
28 Robinson Crusoé vivant bien à l’aise dans son îlot solitaire
(VME : 947)
28 Robinson Crusoe koji lagodno prebiva na svome pustom
otočiću (ŽNU : 264)
Le plus souvent, néanmoins, il a fallu recourir à une traduction
plus ou moins libre. Pour le faire, nous avons dû retrouver dans le roman
le personnage et l’histoire en question ain de la reformuler sans en défor-
mer le contenu. Parfois il a sui de réorganiser les éléments existants :
4 Le crétin chef d’îlot faisant préparer des tonneaux de sable
(VME : 947)
4 kretenski šef koji bačvama s pijeskom zatrpava stambeni blok
(ŽNU : 263)
Rétrotraduction : Le chef crétin qui recouvre l’îlot d’habitation
de tonneaux de sable
Parfois, par contre, la reformulation comportait des remaniements
plus importants :
3 Le petit chat sourd aux yeux vairons vivant au dernier étage
(VME : 946)
3 Mala gluha maca šarenih očiju o kojoj cijeli kat voli skrbit
(ŽNU : 263)
Rétrotraduction : Le petit chat sourd aux yeux vairons dont tout
l’étage aime s’occuper

206
4.3.3. plan discursif

Lors de ces reformulations sont survenus diférentes pertes, modulations


(cf. Vinay, Darbelnet, 1979 [1958]), ainsi qu’ajouts lexicaux et / ou
syntagmatiques. Cela est particulièrement saillant dans les phrases
contenant des références extra-textuelles (historiques, géographiques,
littéraires, etc.), y compris des realia. Même si notre stratégie de base a
été de sauvegarder un maximum d’éléments présents dans l’original, la
combinaison des deux contraintes formelles, de la contrainte du conte-
nu de la phrase et enin celle de la langue d’arrivée s’est parfois avérée
extrêmement limitante :
41 L’ancien clown de Varsovie menant une petite vie dans l’Oise
(VME : 948)
41 Cirkuski zabavljač bivši koji sada mirno živi u oblasti Oise
(ŽNU : 264)
Rétrotraduction : L’ancien amuseur de cirque qui actuellement
vit paisiblement dans le département de l’Oise
En l’occurrence, la contrainte de la lettre B en vingtième position
nous a amenée à placer tout d’abord au bon endroit le seul mot qui le
contenait (bivši, « ancien »). Par la suite, il a fallu trouver le début, et le
syntagme attendu Varšavski klaun s’est révélé trop court. À sa place, nous
avons proposé une sorte de déinition de ce qu’est un clown, qui peut
fonctionner en croate – amuseur de cirque. La référence géographique a
été perdue ici, mais on la retrouve, bien évidemment, dans le roman.
Dans le Compendium, nous avons repéré quelques autres pertes de ce
type (v. 52 l’Américain, v. 72 belge).
Pour la même raison d’hyper-contraintes, la modulation s’est, elle
aussi, imposée à plusieurs reprises, à commencer par le premier vers :
1 Pélage vainqueur d’Alkhamah se faisant couronner à Covadonga
(VME : 946)
1 Pelayo što krunu dobi priredivši u Covadongi Maurima zlu kob
(ŽNU : 263)
Dans cet exemple, Alkhamah, le rival de Pelayo, a été remplacé
par les Maures. C’est au chapitre ii que nous avons puisé cette solution :
Plus précisément selon lui, la légende de Lebtit décrivait ce qu’il ap-
pelait « la débâcle cantabrique des Maures », c’est-à-dire la bataille
de Covadonga au cours de laquelle Pélage déit l’émir Alkhamah
avant de se faire couronner, sur le champ de bataille, roi des Astu-
ries. (VME : 664)

207
D’autres modulations concernent les vers 47 (allemand est traduit
par iz Bavarske, « de Bavière »), 60 (au lieu d’Aetius la traduction propose
Burgundi, « les Bourgondes » qui, conduits par Aetius, ont arrêté les
Huns) et 173 (L’Empereur a été modulé en Bonaparte).
Enin, nous avons repéré trois ajouts par rapport au texte origi-
nal : dans le vers 119, Amerigo devient Firentinac Amerigo (« Amerigo le
Florentin ») ; dans le vers 172, le syntagme le prince Eugène est rendu en
croate par proaustrijski princ Eugen (« le prince Eugène proautrichien »),
tandis que dans le vers 177, Gédéon Spilett est devenu Smithov drug Gé-
déon Spilett (« le copain de Smith, Gédéon Spilett »).
Les realia sont des références extra-textuelles propres à la culture
source (cf. Vlahov, Florin, 1969), que la culture cible n’est pas censée
connaître. Dans le Compendium, nous avons rencontré plusieurs oc-
currences de ce type, que nous avons résolues soit en recourant à un
emprunt, soit en optant pour un attribut déinitoire : dans le vers 30, les
bouquinistes sont devenus bukinisti ; dans le vers 44, Scipion est devenu
enigmatičar (« cruciverbiste ») ; dans le vers 109, le viandox a été traduit
par mesni ekstrakt (« extrait de viande »), tandis que dans le vers 152 Le
livreur de chez Nicolas a été rendu en croate par Dostavljač iz popularne
vinoteke (« le livreur du fameux caviste »).
Sur le plan discursif, il nous reste à évoquer le jeu de mots proposé
par l’auteur dans le vers 44 : « Scipion déinissant par du vieux avec du
neuf un nonagénaire » (VME : 948). il est clair que là où Georges Perec
joue avec la polysémie du mot neuf (le chifre 9 et « nouveau »), nous
avons été obligée de proposer un autre jeu, car une traduction littérale
n’aurait pas véhiculé le même efet. Ayant voulu sauvegarder le contraste
entre « jeune » et « vieux », entre « nouveau » et « ancien », nous avons opté
pour la traduction suivante : « Enigmatičar što bistroumno deinira start
Početak a već star » (ŽNU : 264), ou, en rétrotraduction : Le cruciverbiste
perspicace qui déinit le point de départ comme Début, et déjà vieux. En
fait, le nom start (« point de départ ») contient l’adjectif star (« vieux »), ce
qui nous a permis de jouer avec le contraste présent dans l’original.
Cet exemple démontre bien à quel point la traduction peut devenir
un espace de création, au moment où il s’agit de reproduire les efets pour
préserver le sens, même si cette opération va au détriment du contenu.
Bien évidemment, la créativité du traducteur s’accompagne par-
fois de chance. Ainsi le vers 19 (« Le couple gras et mangeur de sau-
cisses n’arrêtant pas la TSF », VME : 947), reprend l’histoire des Berger,
couple qui apparaît dans le chapitre LXi, où il est question de leur travail
(Charles travaille dans un restaurant et Lise dans un dispensaire), mais
aucune mention n’est faite de la radio. Une heureuse coïncidence a voulu

208
qu’en croate le nom radio représente une homophonie avec le participe
passé du verbe raditi (« travailler »), dont nous avons proité dans notre
traduction : « Pretili bračni par koji živi za radio i obožava jesti kobase »,
ŽNU : 263). En rétrotraduction, cette phrase peut être traduite tant par :
Le couple gras qui vit pour sa radio et adore manger des saucisses, que
par : Le couple gras qui vit pour travailler et adore manger des saucisses.

5. en guise de conclusion
En écrivant La Vie mode d’emploi, Georges Perec a pris le soin de glisser les
contraintes, conçues par l’énorme échafaudage sur lequel il a longuement
travaillé, de telle manière qu’elles ne soient visibles que pour l’œil qui sait
les trouver (cf. Magné, 1993 : 398). il en va de même pour le Compen-
dium, où il n’a nullement mis en relief les trois lettres en diagonale, ni
facilité l’appréhension des contraintes par la justiication du texte à droite
(cf. Magné, 1993 : 401). Et si le traducteur est censé être avant tout le
lecteur le plus attentif, il devient alors forcément ce deuxième joueur du
jeu littéraire que Perec ne cessait de proposer. Mais ce jeu ne suirait pas
pour produire une traduction relevante. Car, comme le remarque Maria
Eduarda keating :
Le traducteur de VME se trouve donc dans une position très ins-
table et ambiguë – en tant que lecteur il est le « joueur du texte »,
victime des pièges et des illusions créés dans le roman; en tant
qu’auteur du texte il devient « poseur de puzzles », donc créa-
teur de ce même fonctionnement piégé dans le système d’arrivée.
(2001 : 481)
La traduction serait alors un jeu à deux étapes : le premier cor-
respondrait à un travail critique et analytique sous-entendant une lec-
ture profonde du texte, ainsi qu’un travail de recherche autour du texte
(l’épitexte) ; le second serait un travail de création, s’efectuant sur le
texte, impliquant également un travail sur la langue. Et en partant du
global pour aller vers le particulier (du texte vers le mot, cf. Ricœur,
2004), en partant des éléments textuels essentiels (en l’occurrence, des
contraintes du Compendium), le résultat que nous devons viser est
l’équivalent de l’original, donc un texte qui fonctionne à peu près comme
le texte original (cf. Eco, 2006), et qui permette, dans l’œuvre traduite,
à peu près le même travail de la langue. La subjectivité inhérente du
résultat n’exclut nullement la rigueur et la responsabilité face au texte (à
l’auteur) et face à son futur lecteur. Et le credo quelque peu paradoxal

209
de l’écriture perecquienne – « rester caché, être découvert » – pourrait
trouver un écho dans le travail du traducteur oulipien : dans ce type de
textes, son invisibilité est impossible, ses empreintes sont partout.

références bibliographiques

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l’anglais. Méthode de traduction, Montréal, Beauchemin.
Vlahov, Sergej, Florin, Sider, 1969, « Neperevodimoe v perevode. Realii », Masterstvo
perevoda, n° 6.

Abstract
Compendium, a user’s manual : some relexions on the translation of Pe-
rec’s literary prowess into Croatian
he famous Compendium, placed at the very heart of the work entitled La
Vie mode d’emploi (Life A User’s Manual) and designated as ‘novels’ by Georges
Perec himself, represents quite a feat for the author, but also one of the grea-
test challenges imaginable for its translators. in this paper i will irst briely
situate this text-within-the-text written under constraint. i will then explain
its formal functionning, together with all deviations (clinamens, so dear to the
author), and inally analyze the process leading to a possible translation into
Croatian (published in 2014). My discourse will rely both on the relections of
some theoreticians of translation poetics, such as Antoine Berman and Henri
Meschonnic, and, for comparison purposes, on some translations published in
other languages.

Keywords : Compendium, Perec, constraint, translation, Croatian

211
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Actes du colloque international


« Écriture formelle, contrainte, ludique : l’Oulipo et au-delà »
29-31 octobre 2015, Université de Zadar
entre jeU et cOntrAinte : prAtiqUes et expÉriences OUlipiennes

Volume dirigé par / Urednice :


Vanda Mikšić
Évaine le calvé ivičević

Auteurs des comptes rendus / recenzenti :


Maja Zorica (Université de Zagreb)
tomislav Frleta (Université de Zadar)

relecture des résumés en anglais / lektura engleskih sažetaka :


suzana Matvejević

Éditeurs / nakladnici :
MeandarMedia
Université de Zadar / sveučilište u Zadru

pour les éditeurs / Za nakladnike :


Branko Čegec
Dijana Vican, rectrice / rektorica

pour le conseil éditorial de l’Université de Zadar / povjerenstvo za izdavačku djelatnost


sveučilišta u Zadru :
josip Faričić, président / predsjednik

Maquette / Dizajn i prijelom :


MeandarMedia

©editions Albin Michel pour les 5 images de romance de Blexbolex / prava za 5


ilustracija iz djela romance Blexbolexa

isBn 978-953-334-129-3 (MeandarMedia)

isBn 978-953-331-106-7 (Université de Zadar / sveučilište u Zadru)

les données catalographiques (cip) sur cet ouvrage sont disponibles dans le catalogue
digital de la Bibliothèque nationale et universitaire croate sous le numéro 000936661
cip zapis dostupan u računalnom katalogu nacionalne i sveučilišne knjižnice u Zagrebu
pod brojem 000936661

imprimé en croatie / tiskano u Hrvatskoj 06/2016

le présent volume a été publié grâce aux soutiens accordés au projet par l’Agence
Universitaire de la Francophonie (AUF) et l’Université paris-sorbonne (Anr « Difdepo »).
svezak je objavljen zahvaljujući potporama sveučilišne agencije za Frankofoniju (AUF) i
sveučilišta pariz-sorbona (Anr « Difdepo »).

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