L'Information Grammaticale

Sur quelques procédés de style dans À la mystérieuse de Robert

Desnos
Joëlle Tamine-Gardes

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Tamine-Gardes Joëlle. Sur quelques procédés de style dans À la mystérieuse de Robert Desnos. In: L'Information
Grammaticale, N. 25, 1985. pp. 32-35.

doi : 10.3406/igram.1985.2200

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Document généré le 27/09/2015

 Sur quelques procédés de style dans
A la mystérieuse
de Robert Desnos
0. Pour mettre en perspective et unifier certains des
procédés stylistiques de A la mystérieuse, je me propose
d'étudier la construction des sept poèmes du recueil, ce
qui permet de montrer en quoi, malgré leurs différences
évidentes, ils prolongent les textes antérieurs de Corps
et biens en même temps qu'ils traduisent le goût de
Desnos pour la chanson qui se manifestera encore plus
nettement par la suite.
1 . La notion de construction :
J'emprunte la notion de construction du poème à
Molino-Tamine [1982 A]. Nous l'avons ainsi définie :
"c'est ce qui se modifie, ce qui avance, ce qui se
construit à mesure et n'est pas virtuellement présent dans le
début, que ce soit sous forme de renversement ou
d'homologie; c'est ce qui, dans le poème narratif par
exemple, constitue le fil du récit et qui, dans les autres
formes de poésie, constitue aussi un fil du discours"
[pp. 343-344] et encore : "la construction du poème,
c'est ce qui en fait quelque chose d'irréversible" [p.
344]. De la construction des poèmes, on peut donner la
typologie suivante qui suit pour l'essentiel l'histoire de
la poésie, bien que chaque forme puisse apparaître à
toutes les époques :
construction par variation, surtout représentée au
Moyen -Age
construction par progression, surtout fréquente dans
la poésie classique
jeux de construction, qui caractérisent la poésie
moderne.
La construction par variation apparaît comme une
variation généralisée dans tout le texte à partir d'un élément
ou d'un thème. On peut ainsi y distinguer la
construction par variation sur le parallélisme (1) caractéristique
avant tout de la chanson, folklorique ou populaire, mais
aussi de la poésie moderne :
kilomètres à pied, ça use, ça use
(1) Le parallélisme est "la reprise, dans 2 ou n séquences
successives, d'un même schéma morphosyntaxique, accompagné de
répétitions ou de différences rythmiques, phoniques ou lexico-
sémantiques" [Molino-Tamine 1982 B p. 201 ].
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Joëlle TAMINE-GARDES
Le ciel était de nuit
La nuit était de plainte
La plainte était d'espoir
Jean Tard ieu, Etude en de mineur
et la construction par variation sur la topique (2),
variation plus ou moins réglée sur un ensemble de thèmes
codés, qui constituent un stock défini à la disposition de
tous les poètes d'une culture et d'une époque" [p. 353].
Elle est caractéristique de la poésie courtoise, mais aussi,
bien que dans une moindre mesure, de la poésie baroque :
Voilà ce qu'est du corps que tant nous chérissons,
Voilà ce petit ver que tant nous caressons,
Ce poulpe monstrueux qui soi-même se ronge,
Ce fétide bourbier où notre âme se plonge,
Cet opaque brouillard qui cache sa splendeur . . .
Auvray, Voilà ce qu'est du corps . . .
La construction par progression peut prendre la forme
d'une argumentation logico-sémantique, comme on le
voit de manière éclatante dans la Consolation à M. du
Périer de Malherbe, ou d'une progression par association
de mots et d'idées, comme chez les romantiques.
Quant aux jeux de construction, surtout fréquents chez
les modernes, ils apparaissent lorsqu'en l'absence de
référence à un système de versification codée, il s'agit pour
le poète de renouveler les règles et les contraintes
poétiques, en les dissimulant dans la poésie hermétique, ou
au contraire en les exhibant par un jeu systématique sur
un ou plusieurs paramètres, sonorités, vocabulaire,
syntaxe, rythme, etc. C'est justement ce qui se produit
dans lAumonyme ou Langage cuit, essentiellement à
partir des sonorités :
Les chats hauts sur les châteaux
d'espoir
Croquent des poires d'angoisse
la nuit
l'ennui
l'âme nuit.
(2) La topique est un réservoir de lieux communs, de topoi,
plus ou moins codés dans une culture, un groupe et adaptés à
un genre de discours.
C'est à ce mode de construction qu'appartiennent la
plupart des textes d'A la mystérieuse, bien que le
nombre des jeux sur les répétitions les rapproche du premier
mode et constitue une variation libre sur les parallélismes.
Deux poèmes seulement offrent une sorte de
progression. Quel que soit le mode de construction, on retrouve
néanmoins le même type d'enchaînements locaux, de
rappels sémantiques ou phoniques qui donnent une forte
cohésion au recueil.
2. La construction d'ensemble :
2.1. La progression :
Bien qu'il s'agisse d'une progression souple et non
argumentative, un tel mode de construction se décèle
néanmoins dans Non l'amour n'est pas mort et A la faveur
de la nuit. Dans le premier cas, il y a un fil du discours
(l'amour n'est pas mort, tout au contraire, et pour un
poète, la seule réputation à rechercher n'est pas celle
d'être poète, mais d'aimer), dans le second, un fil du
récit.
Non l'amour n'est pas mort ne présente évidemment pas
une argumentation rhétorique (aucune visée persuasive
ne s'y manifeste), appuyée sur un raisonnement déductif
ou inductif, mais un certain nombre d'enchaînements
logico-sémantiques s'y manifestent. Ainsi la première
phrase est expliquée par la suivante : non l'amour n'est
pas mort puisque j'aime l'amour. Un passage du général
(l'amour) au particulier (mon amour) permet
d'introduire tu, cependant qu'un pseudo-argument de symétrie
dérive de mon seul amour, je fus seul à t'aimer
davantage, ce qui en définitive constitue le meilleur titre de
gloire possible. Il y a donc un ordre dans le texte, chaque
phrase apportant du nouveau par rapport à la précédente.
A la faveur de la nuit est un petit récit : une ombre se
profile derrière la fenêtre. Le poète croit que c'est la
femme qu'il aime. La fenêtre s'ouvre et ce n'est pas elle.
C'est le double lien de la successivité et de l'opposition
(c'est toi/ ce n'est pas toi) qui assure le déroulement du
texte.
Dans l'un et l'autre cas, la construction par progression
se reconnaît à ce que l'ordre des éléments n'est pas
interchangeable et à ce que la fin du texte s'impose [cf.
B. Hernnstein-Smith 1968]. Ainsi, après La fenêtre
s'ouvre : ce n'est pas toi, il ne peut y avoir de suite,
sauf le bref commentaire Je ie savais bien qui n'est
qu'une façon de marquer le caractère inéluctable de
l'événement.
2.2. Variation et jeux de construction :
Au contraire les textes construits par variation souffrent
sans mal de voir leurs strophes, ou leurs paragraphes
comme ici, intervertis : ainsi, tout paraît interchangeable
dans J'ai tant rêvé de toi où c'est la même idée qui se
trouve reprise tout au long. Bien entendu, les poèmes
d'A la mystérieuse, puisque toute contrainte versifica-
toire a priori est exclue, obéissent à des variations non
codées. Ils sont donc bien le prolongement de Rrose
Sélavy, l'Aumonyme et Langage cuit, même si le jeu
n'est plus sur les sonorités, la morphologie et
l'homonymie, mais plutôt sur les parallélismes
morphosyntaxiques et la thématique. Mais, du coup, Desnos retrouve,
souplement, les variations codées de la chanson, et la
construction est à la fois un jeu de construction et une
construction par variation.
2.2.1 . Variations sur les parallélismes :
Ces variations se rencontrent dans les cinq autres poèmes
d'y^ la mystérieuse. Les parallélismes consistent dans la
répétition d'un schéma morphosyntaxique, associé de
surcroît à des répétitions lexicales importantes, par
exemple :
J'ai tant rêvé de toi que Proposition
Dans la nuit il y a SN.
Ces schémas sont presque toujours couplés avec une
position marquée dans les poèmes, puisqu'ils
apparais ent souvent au début des lignes ou paragraphes. Ils sont
repris dans tout un poème et on peut y voir des
"parallélismes matrices" qui constituent l'ossature du texte et
le principe même de son déroulement. Ils peuvent être
répétés de deux, dans Comme une main à l'instant de la
mort à dix-neuf fois dans Si tu savais, et, sauf dans Les
espaces du sommeil, ils reprennent le titre du poème.
Il arrive que ces parallélismes soient doubles : Les
espaces du sommeil repose par exemple sur la reprise de
dans la nuit d'une part et // y a toi d'autre part. On peut
alors se demander si certains de ces parallélismes ne
méritent pas le nom de refrain. Si l'on appelle ainsi "tous
mots, groupes de mots ou phrases qui se retrouvent à la
fin de chaque strophe d'un poème" [Molino-Tamine
1982 B p. 200], et si on lit paragraphe à la place de
strophe, // y a toi dans la première partie de Les espaces
du sommeil peut être considéré comme un refrain
succédant aux couplets qu'ouvrent les parallélismes dans la
nuit il y a SN. De même le poème Si tu savais peut-M être
décrit de la façon suivante : une succession d'ensembles
(équivalents de strophes) où toutes les séquences isolées
typographiquement (équivalents de vers) commencent
par une même formule, Loin de moi, suivie d'éléments :
loin de moi et Adjectif
loin de moi, Apposition
loin de moi, parce que
qui diffèrent par le lexique, la syntaxe et le rythme, leur
longueur s'inscrivant entre une demie et sept lignes et
demie. Chacun de ces ensembles, eux-mêmes de longueur
variable, loin de moi figurant selon les cas de une à
quatre fois, est délimité par le refrain Si tu savais.
Mais cette tendance à la reproduction de codages
existant dans la chanson est battue en brèche par les jeux
de construction, puisque ce qui était initialement refrain
devient parallélisme à la fin du texte :
Si tu savais comme Proposition
Dans Les espaces du sommeil, le refrain initial H y a toi
se transforme également en parallélisme II y a toi X, qui
va lui-même donner naissance à un autre parallélisme :
Toi relative.
Ces variations manifestent ainsi qu'en l'absence de règles
de versification codées a priori, sont recrées des
contraintes formelles qui se substituent à "la règle fondamentale
de la poésie, la contrainte métrico-rythmique" [Molino-
Tamine 1982 A p. 389], trait qui n'est pas propre à
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Desnos, mais caractérise une grande partie de la poésie
du XXème siècle. Mais elles témoignent aussi du goût du
poète pour la chanson qui le conduira entre autres à
écrire des textes pour des interprètes (3).
2.2.2. Variations sur la typographie :
Puisque les variables qui accompagnent le membre stable
du parallélisme sont de différentes longueurs, il s'ensuit
une variation sur la typographie. Ainsi J'ai tant rêvé de
toi fait-il succéder les séquences suivantes :
J'ai tant rêvé de toi + 1 ligne + 1 court paragraphe
+ 1 ligne + 2 courts paragraphes
+ 1 invocation
+ 1 paragraphe relativement long
+ 1 paragraphe relativement long.
Je ne m'appesantirai pas sur ce type de variations que je
voulais seulement signaler pour mémoire.
2.2.3. Variations sur la topique :
Peut-être plus que d'une variation sur la thématique, est-
on autorisé à parler d'une variation sur la topique, s'il est
vrai que les thèmes présentés par Desnos dans ces poèmes
(le rêve, l'amour, la mort, la poésie . . .) ne lui sont pas
spécifiques, mais se retrouvent chez la plupart des
surréalistes, et constituent ainsi une sorte de stock d'idées a
priori où puiser. Les attaches de Desnos avec la chanson
en apparaissent d'autant plus claires.
Ainsi, J'ai tant rêvé de toi associe aux variations
formelles toute une série de retours d'une même idée,
clairement exprimée au début du poème, J'ai tant rêvé de
toi que tu perds ta réalité :
J'ai tant rêvé de toi que
devant toi, si tu étais réelle, je deviendrais une
ombre
il n'est plus temps que je m'éveille
il ne me reste plus qu'à être fantôme parmi les
fantômes.
De même, bien que moins nettement, O douleurs de
l'amour reprend ce topos du rêve (j'ai rêvé ... je vous
imagine . . . vous que je crée . . .).
Cette variation ne se fait pas, comme par exemple dans
la lyrique courtoise ou la poésie baroque, par une série
de métaphores différentes, mais par des reprises synony-
miques, et par des termes appartenant au même champ
associatif (4) : ombre, apparence, fantôme, rêves,
s'éveil er, dormir par exemple dans J'ai tant rêvé de toi. De
ces réseaux de termes quasi synonymes ou proches naît
du même coup une forte cohésion sémantique sur
laquelle je reviendrai.
(3) Dans ces conditions, il paraît difficile de se ralliera
l'analyse de M. Cl. Dumas [1980] lorsqu'à propos de ces mêmes
textes, elle parle de "bipartition de l'énoncé" ("Aux formules
d'appel qui se réitèrent au fur et à mesure du poème, répond un
énoncé variable qui lui fait contrepoids" p. 488) et l'interprète
comme le signe de la "séparation" du je et du tu ou comme "la
reprise du duo qui tente de s'inscrire contre l'évidence de la
réalité". Il me semble que point n'est besoin de cette interprétation
qui suppose une homologie bien douteuse entre la forme
et le contenu.
(4) Pour la différence entre champ sémantique et champ
associatif voir Tamine-Gardes, Introduction à la lexicologie in
l'Information Grammaticale N° 1 5, octobre 1 982.
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2.2.4. La fin des poèmes :
Variation formelle ou sémantique, la matrice du poème
dans aucun des cas évoqués, ne porte en elle de principe
de clôture et pourrait théoriquement se répéter
indéfiniment. La fin du poème a donc besoin d'être marquée,
puisqu'elle ne s'impose pas. Elle le sera par une rupture
antithétique comme dans Les espaces du sommeil où au
Dans la nuit qui organise l'ensemble du poème s'oppose
le Dans le jour aussi de la dernière ligne (5). Elle le sera
par une image, comme dans J'ai tant rêvé de toi où la
seule métaphore insolite, le cadran solaire de ta vie, clôt
le texte, métaphore d'autant plus sensible que solaire
s'oppose au thème de la nuit qui parcourt implicitement
tout le texte. Elle le sera par le rythme et la typographie,
et Comme une main à l'instant de la mort offre à la fin
des lignes plus courtes que dans l'ensemble du poème.
Bref, la fin constitue une rupture, quelles qu'en soient
les formes.
Pour conclure sur cette question de la construction
d'ensembles des textes, on peut donc dire que A la
mystérieuse s'organise de ce point de vue en deux ensembles,
l'un, court, celui des poèmes à progression, l'autre, plus
large, celui des textes à variation. Il ne faudrait pourtant
pas croire à une franche opposition entre ces deux types,
car les procédés locaux d'enchaînement sont souvent
les mêmes dans l'un et l'autre cas.
3. Cohésion et enchaînement :
Il ne s'agit plus ici des procédés qui font passer du début
à la fin des poèmes, mais de ceux qui permettent des
enchaînements locaux et donnent au texte une grande
partie de sa cohésion.
3.1. Les répétitions :
Elles concernent des mots ou des groupes de mots qui ne
sont pas situés dans la partie fixe des parallélismes
évoqués précédemment. Ce sont par exemple fenêtre ou
s'ouvre dans A la faveur de la nuit, bouche, forme, nom,
et bien sûr, amour et mort dans Non l'amour n'est pas
mort. Si tu savais présente ainsi plusieurs réseaux
sémantiques qui parcourent le poème : étoiles et mer réunis
à la première ligne vont être dissociés et se retrouver
respectivement dans mer, huître et île, et étoile fi/an te,
étoile enclose et constellations au milieu du texte. Ainsi
donc, ce sont soit les mêmes mots, soit des mots du
même champ associatif qui sont employés dans des
répétitions dont la place est aléatoire. La cohésion qui en
découle est d'autant plus forte que le même mot est
souvent repris sous des formes fléchies (polyptote) ou
dérivées (dérivation). C'est bien sûr dans la plupart des
poèmes les couples aimer/amour, mort/mourir, mais
aussi ferme/fermer dans A la faveur de la nuit, vêtue/
vêtement dans O douleurs de l'amour. Polyptote et
dérivation se trouvent associés dans l'exemple suivant
de Comme une main à l'instant de la mort :
Je n'ai jamais pleuré depuis que je te connais.
J'aime trop mon amour pour pleurer.
Tu pleureras sur mon tombeau.
Ou moi sur le tien.
(5) La fin du poème est d'ailleurs déjà marquée à la ligne
précédente par la réunion des deux segments répétés isolément au
long du texte : Dans la nuit il y a toi.
Tous ces cas particuliers de répétitions, par le réseau de
renvois des mots qu'ils constituent, assurent la cohésion
et l'enchaînement des poèmes.
3.2. Les antithèses :
L'antithèse peut jouer le même rôle. Elle peut s'exercer
dans une même phrase, sur des syntagmes proches : Les
derniers souffles du crépuscule et les premiers frissons de
l'aube (Les espaces du sommeil), la mer silencieuse et
bruyante (Si tu savais), J'aime l'amour, sa tendresse et sa
cruauté (Non l'amour n'est pas mort) ou assurer des
liaisons plus ou moins distantes de phrase à phrase ou de
paragraphe à paragraphe :
Si tu savais comme le monde m'est soumis.
Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma
prisonnière
O toi, loin-de-moi, à qui je suis soumis.
Si tu savais
Ici d'ailleurs à l'antithèse se joint la répétition et la
dérivation et l'on voit comment les procédés peuvent se
renforcer. L'antithèse est dans l'ensemble des textes d'A la
mystérieuse un procédé fréquent et si important qu'il lui
arrive d'assurer l'enchaînement de toute une partie d'un
poème, comme la fin de Les espaces du sommeil.
3 .3 . Les associations phoniques :
Bien qu'elles soient ici cantonnées dans d'étroites limites,
les associations phoniques ont un rôle non négligeable.
Comme les associations sémantiques, elles peuvent jouer
sur de courts segments ou au contraire prendre la forme
d'échos et de rappels disséminés dans le texte. Du
premier fonctionnement, on peut citer les allitérations de
le cri du paon dans des parces (Les espaces du sommeil),
l'effet de rime comme vous m'êtes nécessaires et comme
vous m'êtes chères de O douleurs de l'amour, où les sons
répétés se situent à la fin de chacun des membres d'un
parallélisme. Il est rare que, comme dans ce paragraphe
de Les espaces du sommeil :
Quand je ferme les yeux, des floraisons
phosphorescentes apparaissent et se fanent et renaissent comme
des feux d'artifice charnus.
les répétitions jouent sur plus de deux ou trois mots
contigus. Par contre, des échos sonores peuvent
s'échelonner au long du texte et jouer le même rôle que la
répétition de mots. Ainsi, dans Si tu savais, joyeuse du
début est repris deux fois par joyeux à la fin du texte, et
trouve également un écho sonore dans silencieuse, lui-
même répété. Cette trame sonore est un moyen d'assurer
une certaine cohésion au texte. Il faut mentionner
également que ces associations sonores sont parfois créatrices
de liaisons sémantiques importantes comme dans
douleurs de l'amour ou l'amour/la mort.
3.4. L 'enumeration et la coordination :
A côté de tous ces procédés de reprise ou d'écho,
sémantique ou phonique, signalons enfin une dernière figure
très fréquente dans^ la mystérieuse : l'énumération, qui
leur est parfois associée, ainsi dans ce passage de Comme
une main à l'instant de la mort :
Des bateaux de sauvetage peints de rougeâtres couleurs,
Des orages qui s'enfuient
Une valse surannée qu'emportent le temps et le vent
durant les longs espaces du ciel.
où elle se clôt par le terme récapitulatif Paysages.
L'énumération est parfois cohérente, comme ici, elle peut être
cahotique selon le terme de Spitzer :
Et l'âme palpable de l'étendue.
Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq
d'il y a 200 ans et le cri du paon dans des parcs en
flamme et des baisers.
Elle a parfois pour intérêt de permettre de renouveler un
stéréotype ou un cliché (6) :
Un jour sur la mer . . .
A l'heure où . . .
Un matin de printemps . . .
Un jour de pluie . . .
A l'aube . . .
où l'on a affaire à une succession de formules temporelles
toutes faites dont le contraste permet de faire apparaître
ce qu'elles ont de conventionnel et de figé.
Ces enumerations sont le plus souvent asyndétiques.
Lorsque ef apparaît, il est le plus souvent en début de
ligne :
Un air de piano, un éclat de voix.
Une porte claque. Une horloge.
Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits
matériels.
Les espaces du sommeil.
Et d'ailleurs semble servir moins à coordonner qu'à
relancer le texte ou à l'élargir comme lorsqu'il apparaît
en fin de poème :
Je mentirai. Je dirai que tu fus ma maîtresse
Et puis vraiment c'est tellement inutile,
Toi et moi, nous mourrons bientôt.
Comme une main à l'instant de la mort.
4. Conclusion :
Tels sont donc quelques uns des procédés stylistiques
employés par Desnos dans A la mystérieuse. Ils ont une
remarquable convergence puisqu'ils permettent les
enchaînements locaux des poèmes et leur construction.
On peut noter qu'ils se présentent presque tous comme
des répétitions ou des figures qui en sont proches, ce qui
concourt à leur donner un caractère incantatoire et
musical.
Joëlle TAMINE-GARDES
Université de Provence
(6) D'une manière générale, les ruptures de stéréotypes dont
Desnos joue systématiquement ailleurs sont assez rares dans/4 la
mystérieuse. Elles existent malgré tout et consistent soit à les
prendre au pied de la lettre comme dans l'expression Je dors
debout (J'ai tant rêvé de toi) »oit à remplacer un terme du cliché
par un autre terme, comme dans Je suis joyeux à en mourir
(triste figure quelques lignes plus tôt).
Références :
Dumas, M. CI., 1980 : Robert Desnos ou l'exploration des
limites, Paris, Klincksieck.
Hernnstein-Smith, B., 1968 .Poetic Closure. A Study of How
Poems End, Chicago, The University of Chicago Press.
Molino, J., Tamine, J., 1982 A : La construction du poème, in
RSSI, vol.1, no 4.
Molino, J., Tamine, J., 1982 B : Introduction à l'analyse
linguistique de la poésie, Paris, PUF. (Coll. "Linguistique nouvelle")
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