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Rimbaud, « poète maudit » du XIXe siècle, déclare dans sa lettre à Paul Demeny que le

poète doit se faire « voyant » pour révéler le monde tel qu’il est vraiment. C’est ce qu’il
entreprend de faire dans le sonnet (poème constitué de deux quatrains et deux tercets)
« Le Buffet » où il donne une vision singulière d’un objet banal.
PBQ possibles : En quoi le buffet renferme-t-il un monde passé ? / En quoi l’objet
quotidien devient-il poétique ?
I- Un objet familier
A- Un objet du quotidien
C’est un objet du quotidien, présent dans toutes les maisons qui est à l’honneur dans le
sonnet de Rimbaud. Il est désigné, montré au lecteur dans le v.1 par
le présentatif « c’est ». Le poète semble avoir cet objet sous les yeux et il le décrit. Nous
pouvons relever l’utilisation du présent de description : « c’est », « est ouvert », v 2
« verse », v 2 « se mêle », v 11 « bruis » v 13. Le poète décrit son apparence, ses
caractéristiques, de manière simple et précise grâce aux adjectifs présents dans les
strophes 1 et 4 : sa taille : « large » v 1, tout d’abord, « grandes portes » v 12, son
matériau : « chêne » v 1, sa décoration : « sculpté » v 1, sa couleur : « sombre » v 1,
« portes noires » v 12. L’accent est porté sur son ancienneté à l’aide d’une polyptote :
« très vieux », « vieilles gens », « vieux », « du vieux temps »
B- Un objet qui en contient d’autres
Il y a une mise en abîme puisque le buffet, un objet, contient un amoncellement d’autres
objets. Il y a une absence de rangement dans le meuble. Le buffet déborde comme
l’indique l’hyperbole « tout plein » v 5. Son contenu, en désordre, n’est pas clairement
détaillé au lecteur. Le substantif utilisé pour le décrire au vers 5 : « fouillis » n’apporte
pas d’informations précises. Par la suite, l’énumération des choses anciennes qui
s’entassent sur ses étagères reste imprécise comme si le poète souhaitait garder pour lui
certains éléments.
II- Un témoin du passé
A- Le buffet et son contenu symbolisent le temps qui s’écoule
Le buffet porte la trace du temps qui passe en témoigne la polyptote relevée plus tôt :
« vieilles », « vieux », « vieilles vieilleries ». Pourtant, cet objet vieillit, mais ne meurt pas
comme semble l’indiquer la plupart des verbes au présent et non pas au passé. Le vieux
meuble est associé à de vieux objets, devenus inutiles mais pourtant conservés. Nous
pouvons relever le champ lexical de la vieillesse : « linges jaunes » v 6, « dentelles
flétries » v 7, « grand-mère » v 8, « cheveux blancs », « fleurs sèches » v 10. Ces objets sont
marqués par le temps. Ils ont un aspect fané : « jaunes », « flétries », « sèches », « blancs ».
Ils sont démodés : « chiffons », « dentelles », « fichus ». Le passé est visible et les objets en
portent concrètement la trace. Néanmoins, dans la strophe 3, les objets portent la trace du
passé de manière symbolique. Ce sont des souvenirs, ils rappellent les moments passés :
« cheveux » coupés pour garder le souvenir des personnes, « médaillons » et « portraits »
qui représentent ces personnes, « fleurs séchées » qui symbolisent un événement. La
strophe 3 commence par un tiret (qui peut symboliser une rupture, une différence par
rapport à la strophe 2) et un conditionnel : « on trouverait » v 9. Il s’agit de la charnière
du poème : le poète ne parle plus de ce qu’il voit vraiment, il imagine, il rêve sur ce que
le buffet pourrait contenir ou alors ce conditionnel indique qu’on ne peut pas voir le
contenu, qu’on peut seulement le deviner, parce qu’il relève d’un passé intime, donc
secret, caché. Deux buffets se superposent alors : dans les deux premiers quatrains il
s’agit du buffet réel que Rimbaud voit et décrit, dans les deux tercets, le buffet réel le fait
penser à un autre buffet qui est imaginaire. Le meuble est une métaphore de la mémoire.
Il contient un fouillis d’objet, de même que la mémoire contient pêle-mêle des souvenirs
qu’on ne parvient plus forcément à mettre dans l’ordre.
B- Le regard du poète
D’un côté, le poète semble faire l’éloge de la vieillesse. La vieillesse est regardée de
manière bienveillante. Elle fait l’objet de comparaisons valorisantes : « cet air si bon des
vieilles gens » v 2, « comme un flot de vin vieux » v 4. Ces vieux objetssont regardés avec
tendresse car ils sont des témoins, ils racontent l’histoire de leurs propriétaires disparus,
ils en gardent la trace. De l’autre, il montre aussi que la mémoire est fragile, et qu’elle est
guettée, comme les êtres et les objets, par le néant. La trace que le buffet conserve du
passé est un peu dérisoire : les souvenirs s’effacent progressivement au fur et à mesure
que le temps passe. Le buffet conserve des objets-souvenirs, mais ils sont devenus
anonymes, leurs propriétaires ne sont plus connus. Effectivement, nous pouvons
remarquer l’absence de noms propres, l’utilisation de déterminants indéfinis : « de
femmes », « d’enfants », « de grand-mère », v 6-7-8. En outre, l’adverbe « ou » est
incertain. Le poète ne sait plus si l’objet a appartenu à une femme ou à un enfant. La
chute du sonnet semble évoquer l’arrivée de la mort : les portes du buffet s’ouvrent, mais
il n’en sort aucune parole, seulement le silence et l’obscurité. Les « grandes portes
noires » pourraient symboliser le tombeau, le cercueil, la mort, le néant. C’est sur
l’adjectif : « noires » que s’achève le sonnet, et ensuite le poète laisse la place au silence.
Le buffet n’est pas un objet aussi ordinaire et banal qu’il en a l’air, mais un témoin
précieux du passé. C’est le poète qui est capable de voir ce « don caché » du buffet, qui
est capable d’en comprendre la lien une complicité entre le poète et l’objet. L’objet a un
pouvoir secret, et le poète a une sensibilité qui lui permet de le percevoir.

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