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COMMENTAIRE Les fiancailles fragement 3, 4, 5

Je n'ai plus même pitié de moi

Et ne puis exprimer mon tourment de silence

Tous les mots que j'avais à dire se sont changés en étoiles

Un Icare tente de s'élever jusqu'à chacun de mes yeux

Et porteur de soleils je brûle au centre de deux nébuleuses

Qu'ai-je fait aux bêtes théologales de l'intelligence

Jadis les morts sont revenus pour m'adorer

Et j'espérais la fin du monde

Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan

J'ai eu le courage de regarder en arrière

Les cadavres de mes jours

Marquent ma route et je les pleure

Les uns pourrissent dans les églises italiennes

Ou bien dans de petits bois de citronniers

Qui fleurissent et fructifient

En même temps et en toute saison

D'autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes

Où d'ardents bouquets rouaient

Aux yeux d'une mulâtresse qui inventait la poésie

Et les roses de l'électricité s'ouvrent encore

Dans le jardin de ma mémoire

Pardonnez-moi mon ignorance

Pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers

Je ne sais plus rien et j'aime uniquement

Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes

Je médite divinement
Et je souris des êtres que je n'ai pas créés

Mais si le temps venait où l'ombre enfin solide

Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour

J'admirerais mon ouvrage

INTRODUCTION :

Apollinaire, qui a vécu une période marquée par la Première Guerre mondiale et la perte de sa muse,
exprime son désespoir et sa quête de sens à travers une poésie à la fois lyrique et moderne. Le
recueil Alcools,publié en 1913 par Guillaume Apollinaire, rassemble des poèmes écrits entre 1898-
1912 .Il présente un parcours personnel depuis les poèmes de jeunesse jusqu’à « Zone », poèmes qui
sont séparés en plusieurs sections. Dans ce poème, le poète se livre à une introspection profonde en
utilisant un ton mélancolique pour exprimer son désespoir, mais également un ton de détermination
pour trouver une nouvelle voie poétique. Nous nous demanderons comment le poète exprime le
désespoir et la perte de sens qui l'habitent, ainsi que sa quête d'une nouvelle forme d'expression
poétique ? Dans un premier temps, nous analyserons la profonde crise du poète Apollinaire qui se
traduit par la suite par une perte de repères poétiques avant de voir comment le poète parvient à
renouveler l'expression poétique en se tournant vers une nouvelle sensibilité artistique.

PLAN :

I. C’est tout d’abord , en nous faisant par de ces tourment et de sa difficulté à s’exprimer
qu’Apollinaire aborde La crise existentielle qui le touche et le fait souffrir :

 Le poète est confronté à une crise profonde qui l'empêche d'exprimer son tourment
 Les mots se transforment en étoiles, symbole de la perte de repères et de la difficulté à
s'exprimer
 Le poète brûle intérieurement au centre de deux nébuleuses, image de sa souffrance
intérieure

II. les thèmes de la mort et de la perte dominent les vers l’empêche de voir clair dans la poésie
traditionelle :

 Les cadavres des jours qui jalonnent la route du poète


 La mort qui se profile, symbolisée par les morts qui reviennent pour l'adorer
 La perte de la poésie traditionnelle, que le poète ne maîtrise plus

III. Sa remise en question et sa reconception de la poésie l’amène vers la quête d'une nouvelle forme
d'expression poétique :

 Le poète médite et sourit des êtres qu'il n'a pas créés


 L'amour de la beauté et des fleurs, qui peut devenir une source d'inspiration poétique
 L'ouverture à une nouvelle forme d'expression poétique, que le poète peut admirer s'il
parvient à la réaliser
I. C’est tout d’abord, en nous faisant part de ces tourment et de sa difficulté à s’exprimer
qu’Apollinaire aborde La crise existentielle qui le touche et le fait souffrir :

Dans ce poème, Apollinaire décrit une crise existentielle profonde qui le paralyse et l'empêche de
s'exprimer. Cette idée est renforcée par la phrase nominale qui ouvre le poème. En effet, la première
phrase "Je n'ai plus même pitié de moi" est une phrase nominale, c'est-à-dire qu'elle ne comporte
pas de verbe conjugué. Cette absence de verbe traduit l'immobilisme et l'incapacité du poète à agir
ou à se définir. De même, la répétition de la négation "plus même pitié de moi" insiste sur le
désespoir du poète et sur sa souffrance. Le verbe "exprimer", qui apparaît dans la deuxième partie de
la phrase, est ainsi mis en relief et souligne l'incapacité du poète à communiquer son tourment. Cette
crise existentielle, symbolisée par l'impossibilité d'exprimer son mal-être, est donc au cœur du
poème et semble lui faire perdre ses repères poétique .

En évoquant, la transformation de ses mots en étoiles, le poète semble vouloir nous communiquer ce
qu’il conçoit comme une perte de repères et la difficulté à s'exprimer. Cette idée est d’autant plus
confirmé par la subordination. En effet, la proposition "Tous les mots que j'avais à dire se sont
changés en étoiles" est subordonnée à la phrase précédente "Et ne puis exprimer mon tourment de
silence". Cette subordination met en relief l'idée que le poète est pris dans un état de silence, de
blocage qui le rend incapable de communiquer. La métaphore des étoiles suggère que les mots sont
devenus des éléments éloignés et inaccessibles, des points lumineux qui ne peuvent être atteints.
Cette image poétique souligne l'incommunicabilité du poète et son sentiment d'impuissance qui par
ailleurs l’empêche de vivre en paix intérieurement.

Apollinaire nous fait part de la souffrance intérieure qui l'habite. En effet, l’utilisation du verbe
"brûler" au présent de l'indicatif permet d'insister sur l'intensité de la souffrance du poète, qui est
présente en lui à chaque instant. La juxtaposition de deux nébuleuses autour du poète renforce l'idée
de l'intériorité de sa souffrance, qui est ici décrite comme une explosion de lumière et de feu. Cette
image poétique suggère que la souffrance du poète est d'une telle intensité qu'elle est comparable à
la violence des forces cosmiques qui agissent dans l'univers. Cependant , la souffrance dont il nous
fait part ne peut que rejoindre l’idée de mort qui pèse sur Apollinaire

II. les thèmes de la mort et de la perte dominent les vers l’empêche de voir clair dans la poésie
traditionnelle :

Le poète évoque sa confrontation à la mort. Une idée qui est particulièrement marquante est celle
des "cadavres de mes jours" qui "marquent [sa] route". Cette idée est exprimée grâce à un procédé
syntaxique qui met en évidence la répétition du syntagme nominal "les cadavres de mes jours" en
début de deux vers successifs. Cette répétition crée un effet d'insistance sur l'image des cadavres des
jours qui jonchent la route du poète et met en évidence la répétition de cette expérience
douloureuse tout au long de sa vie. Le choix de ce syntagme nominal est également significatif. En
effet, l'utilisation du terme "cadavre" implique une idée de mort, de pourrissement, qui renforce le
caractère morbide et désespéré du poème. On perçoit dans ces vers la profondeur de la douleur
ressentie par le poète, confronté à une vie marquée par la mort et la souffrance.
En effet, la mort est évoqué de manière récurrente et angoissante. Il nous présente les morts qui
reviennent pour l’adorer, que l’on peut interpréter comme une manière de dire que la mort est
inéluctable et qu'elle finira par rattraper chacun d'entre nous. Cette idée est d'autant plus renforcée
par la suite du poème où Apollinaire évoque la fin du monde et sa propre mort qui arrive "en sifflant
comme un ouragan". Le poète semble conscient de la brièveté de l'existence, ce qui lui inspire une
grande tristesse et une profonde mélancolie. Toutefois ,La dimension obsédante de la mort dans la
vie du poète s’accompagne d’une perte des règles de l’Art poétique .

Le poète, Apollinaire se met en scène ,confronté à une crise profonde et sentant incapable de
s'exprimer convenablement. En effet , on remarque une sorte de juxtaposition entre la perte de la
poésie traditionnelle et un amour symbolisé par des fleurs. Apollinaire semble nous indiquer qu’il
n'est plus capable de maîtriser les codes de la poésie traditionnelle, symbolisée ici par "l'ancien jeu
des vers", ce qui renforce l'idée d'un désarroi profond. Cependant, il trouve un certain réconfort dans
les fleurs, qui semblent lui permettre de retrouver une forme d'expression poétique. Ainsi, on peut
interpréter cette juxtaposition comme une métaphore de la crise que traverse le poète : il est
incapable de suivre les règles établies de la poésie, mais il parvient à trouver de nouvelles formes
d'expression qui lui permettent de continuer à créer malgré tout.

III. Sa remise en question et sa reconception de la poésie l’amène vers la quête d'une nouvelle forme
d'expression poétique :

Une forme de renouveau se dessine, même si elle est indissociable de la perte qui la précède. ce vers
,"Le poète médite et sourit des êtres qu'il n'a pas créés", présente le poète comme méditant, c'est-à-
dire réfléchissant profondément, alors que dans le même temps il sourit. Ces deux termes semblent
contradictoires, l'un étant sérieux et l'autre exprimant de la joie. De plus, le poète sourit des êtres
qu'il n'a pas créés, c'est-à-dire qu'il prend du plaisir à observer la création des autres, tout en ne
cherchant pas à rivaliser avec eux. Cette antithèse met en évidence la dualité du poète, qui est à la
fois contemplatif et créatif. Il est capable de méditer sur la beauté de la création sans chercher à la
contrôler ou à la posséder. Cette dualité est au cœur de la poésie, qui nécessite à la fois une
profonde réflexion et une capacité à se laisser aller à l'inspiration. Le sourire du poète est alors le
signe d'une joie intérieure, celle de la contemplation et de l'admiration.

Le poète exprime sa fascination pour la beauté des fleurs et comment cet amour peut être une
source d'inspiration poétique. On remarque que l'utilisation de l'adverbe "uniquement" souligne
l'intensité de son amour pour les fleurs. Le poète est prêt à abandonner sa maîtrise de la poésie
traditionnelle pour se laisser inspirer par leur beauté. Il décrit les fleurs comme des flammes qui
ravivent ses yeux et sa mémoire. Cette idée est également renforcée par l'utilisation du verbe
"redeviennent", qui suggère que cette flamme était présente auparavant et qu'elle a été ravivée par
l'amour du poète pour les fleurs. Ainsi, le poème suggère que l'amour de la beauté peut être une
source d'inspiration poétique puissante, capable de transcender les formes traditionnelles de la
poésie.

On pourrait relever une idée d’ouverture à une nouvelle forme d'expression poétique. Et c’est par un
questionnement qu’Apollinaire nous la suggère : "Mais si le temps venait où l'ombre enfin solide / Se
multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour / J'admirerais mon ouvrage". Cette forme
interrogative est utilisée pour inciter le lecteur à réfléchir sur l'éventualité d'une nouvelle forme
d'expression poétique et pour mettre en avant l'importance de l'innovation dans le domaine de la
poésie. En effet, le poète semble montrer que l'inspiration poétique ne peut pas être limitée à un
seul mode d'expression et que la beauté de la poésie réside dans sa capacité à se renouveler
constamment. Ainsi, la capacité du poète à se laisser inspirer par cette nouvelle forme d'expression
et à la réaliser est vue comme une réussite artistique à admirer.

CONCLUSION :

Ces vers d’Apollinaire exprime avec force le désespoir et la perte de sens qui l’habitent. Face à la
perte de la poésie traditionnelle qu'il ne maîtrise plus, le poète se retrouve dans une impasse
créative. Cependant, cette souffrance est accompagnée d'une quête intérieure, celle de découvrir
une nouvelle forme d'expression poétique qui pourrait lui permettre de renouer avec la création.
Cette quête se manifeste notamment à travers l'amour de la beauté, ainsi que dans l'ouverture à une
nouvelle forme d'expression poétique. Le poète se trouve alors face à un choix difficile : accepter sa
perte de sens et devenir un "cadavre des jours" ou bien chercher à renouveler sa poésie et atteindre
une nouvelle forme de création qu'il pourra admirer. C'est donc à travers ce processus de création et
de recherche de sens que le poète parvient à transcender sa douleur et à trouver une nouvelle
source d'inspiration. Ainsi, le poème d’Apollinaire illustre parfaitement la quête permanente du
poète pour donner du sens à son art et trouver une nouvelle voie pour s'exprimer. D’autant plus qu’il
nous invite à nous questionner sur notre propre rapport à la poésie et à la créativité. Comment
pouvons-nous, nous aussi, nous renouveler dans notre manière de voir le monde et de l'exprimer ?
Comment pouvons-nous continuer à faire face à nos difficultés tout en restant ouverts à la beauté et
à l'inspiration qui nous entourent ?

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