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Texte 2 : Tours et détours d’une conscience agitée

La Princesse de Clèves est un roman de Mme de Lafayette paru en 1678. La Princesse de Clèves
nourrit une passion pour un autre homme que son mari, le duc de Nemours, dont elle est aimée en retour.
Depuis leur rencontre, les preuves de la passion du duc de Nemours pour la Princesse de Clèves se sont
multipliées (démenti d’une liaison avec la Dauphine, dédain pour l’alliance d’Elisabeth d’Angleterre,
portrait dérobé, déclarations voilées qu’il lui adresse) et l’héroïne ressent une inclination croissante pour
le duc. Si la Princesse ne cesse de lutter contre cette passion, elle prend peu à peu conscience de la vanité
de son effort. Malgré sa résolution de ne jamais donner au duc des marques de son affection pour lui,
elle lui a témoigné involontairement de ses sentiments (silence lorsqu’elle s’est aperçue qu’il dérobait
son portrait, et a manifesté de l’inquiétude lorsqu’il s’est blessé en chutant de cheval). C’est alors qu’elle
prend connaissance d’une lettre que lui a confiée la Dauphine Il s’agit de la lettre d’une maîtresse
délaissée, dont elle croit à tort qu’elle est adressée au duc de Nemours. Le passage évoque les réactions
de l’héroïne après la lecture de la lettre.
LECTURE
Il s’agit d’un moment d’introspection (examen de conscience, effort par lequel une conscience analyse
ses pensées, ses sentiments, ses états d’âme) où l’on suit le cheminement des pensées de l’héroïne que
la narratrice rapporte et commente. On s’aperçoit que la princesse, après la lecture de la lettre, est
tourmentée par les affres de la jalousie.

Comment s’exprime la confusion qui règne dans l’esprit de l’héroïne après la lecture de la lettre ?

1. Choc causé par la lecture de la lettre (l. 1à 3)


2. La jalousie qui ne dit pas son nom (l. 3 à 10)
3. Ressassements d’une conscience agitée (l. 10 à 17)
4. Repentirs (l. 18 à 27)
5. Consolation ou nouvelle illusion ? (l. 27 à la fin)

1. Un choc (l. à 3)
- 1ère phrase : Après avoir lu la lettre qu’elle croit être adressée à Nemours, la PC est en état de choc, de
stupeur, incapable d’abord de réagir. Elle ne peut que relire la lettre sans la comprendre. Sa confusion
est signalée par l’opposition (lit et relit plusieurs fois / sans savoir ce qu’elle avait lu). La répétition du
verbe « lire » témoigne de l’obsession de la PC.
- 2e phrase : le verbe « voir » tend à montrer qu’elle recouvre une lucidité mais celle-ci est d’emblée
restreinte par l’adverbe seulement. Il s’agit d’une lucidité très partielle, qu’on peut imputer en partie à
cet état de choc. Ce qu’elle comprend, c’est que le duc de Nemours lui est infidèle, qu’il aime d’autres
femmes, qu’il trompe toutes les femmes. La suite du récit viendra infirmer cette première conclusion.

2. Jalousie (l. 3 à 10)


- La jalousie se traduit par une souffrance intense :
• la phrase exclamative traduit l’intensité de sa souffrance, relayée par l’expression hyperbolique de la
phrase suivante. L’intensité de la souffrance est proportionnelle à la violence de sa passion
• le champ lexical des sentiments violents : « passion violente », « affliction piquante et vive » (notons
que le terme « affliction » est très fort, il désigne un abattement profond ; il est employé plusieurs fois
dans le texte et associé à des sensations extrêmement désagréables), « aigreur », « mal insupportable »,
« horreurs »…
• Cette passion violente est assimilée à une maladie : un « mal insupportable » (Souvenez-vous que La
Rochefoucauld dans ses Maximes considérait aussi l’amour comme une maladie qui aliène la raison).
- Le personnage cherche les causes de sa souffrance :
• pour les trouver elle se remémore ce qui vient de se passer dans un sommaire : elle a donné des marques
de son amour à Nemours mais aussi à Guise. Elle pense que c’est cela qui la fait souffrir : elle a signifié
à d’autres, même involontairement, sa passion pour un homme qui ne la partage pas, c’est le comble de
l’humiliation !

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• Encore une fois la lucidité dont elle se croit capable dans cet effort d’analyse est mise en échec par la
narratrice : elle se trompe. La passion n’est pas seulement un mal qui fait atrocement souffrir, elle est
aussi une maladie qui aliène sa raison. Ce qu’éprouve le personnage est enfin identifié par la narratrice :
la jalousie, mais pas par le personnage, qui continue d’être aveuglé.
Sa jalousie lui fait perdre la raison comme en témoigne le délire des pensées négatives développées dans
le mouvement suivant. (le jaloux est lui-même son propre bourreau, la jalousie empêche la lucidité dans
l’effort d’analyse car elle infléchit toujours l’interprétation vers le pire).

3. Ressassement d’une conscience agitée (l. 10 à 17)


Comparaison avec la rivale et dévalorisation d’elle-même.
- les horreurs qui accompagnent la jalousie sont développées dans les lignes suivantes : la narratrice
rapporte les pensées de l’héroïne au discours indirect grâce à des verbes de perception (« voyait »,
« paraissait »), d’opinion et de jugement (« trouvait », « pensait »).
- On suit le cheminement des pensées de l’héroïne, on entre dans sa conscience. Notons l’absence de
liens logiques entre les propositions, le plus souvent juxtaposées. Cela donne l’impression de désordre,
de confusion : on suit le fil des pensées de la princesse telles qu’elle se présentent à sa conscience, avant
même qu’elle ait pu les organiser, faire des liens entre elles (ou alors des liens confus, erronés). Sont
exprimés les tours et les détours d’une conscience jalouse.
- accumulation de subordonnées : les phrases complexes, tortueuses, sont à l’image de son désordre
intérieur.
- Lecture de la lettre débouche sur une cascade de déductions :
• Nemours a une galanterie.
• Sa rivale est digne d’être aimée : qualités intellectuelles et morales (esprit, mérite, courage) ;
idéalisation de la rivale et dévalorisation d’elle-même
• Sa jalousie lui fait changer de regard sur Nemours : jusqu’à présent elle avait été touchée par
sa discrétion, maintenant elle craint que cette discrétion soit l’effet de sa passion pour une
autre…
• L’énumération se termine par une formule hyperbolique et indéfinie « tout ce qui pouvait
augmenter son affliction et son désespoir », comme s’il était devenu impossible de décrire
précisément ses pensées tant elles baignent dans la confusion.
- Son agitation extrême se manifeste dans le ressassement de pensées négatives : les mêmes pensées
reviennent en boucle dans le passage, retour obsédant de pensées qui la font souffrir (ex : son erreur :
« elle voyait seulement que M. de Nemours ne l’aimait pas comme elle l’avait pensé » = « elle voyait
[…] que M. de Nemours avait une galanterie depuis longtemps » ; humiliation d’avoir laissé
transparaître sa passion).
- Notons le choix de l’imparfait, et non du passé simple. L’imparfait traduit le mouvement de la pensée
en train de s’élaborer (à l’inverse le passé simple exprime une action achevée). Il peut aussi ici avoir
une valeur itérative pour traduire le ressassement (imparfait de répétition).

4. Repentirs (l. 18 à 27)


- Sa conscience agitée est en proie au remords : repentirs, retours, réflexions que traduit une série de
phrases exclamatives.
- ces remords la conduisent à reconstruire le passé avec d’autres scénarios : aurait dû se retirer du
commerce du monde, avouer sa passion pour Nemours à son mari, mieux entendre les avertissements
de sa mère
- Dénigrement croissant de Nemours : répétition de « indigne », qui la trompait, la sacrifiait (gradation)
et le juge coupable « d’orgueil et de vanité ». Mais on ne peut s’empêcher d’attribuer l’orgueil et la
vanité à la princesse elle-même, elle qui est obsédée par l’humiliation d’avoir laissé transparaître son
amour pour le duc ; sa passion n’est pas dénuée d’amour propre, comme le confirme cette vague de
jalousie qui la submerge.
- La jalousie prive la princesse de sa lucidité et la fait verser dans l’exagération dont les signes abondent
: « tous les maux » « toutes les extrémités » lui paraissent moindres que son malheur présent… la
jalousie empêche la lucidité car elle infléchit toujours l’interprétation vers le pire
- le remords l’entraîne encore à ressasser les pensées négatives dont on a déjà parlé : Obsession d’une
pensée qui s’impose et ne cesse de faire retour dans sa conscience par la douleur qu’elle provoque (tous
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les maux sont moindres à côté) : Nemours en aime une autre et elle a laissé paraître à Nemours qu’elle
l’aimait. Véritable pensée obsessionnelle dont elle ne peut se libérer.
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5. Consolation ou nouvelle illusion ? (l. 27 à la fin)


- Au terme de l’introspection, elle semble trouver un apaisement, une consolation dans la leçon qu’elle
croit tirer de cette expérience : « Tout ce qui la consolait était de penser au moins, qu'après cette
connaissance, elle n'avait plus rien à craindre d'elle-même, et qu'elle serait entièrement guérie de
l'inclination qu'elle avait pour ce prince. »
- Cette consolation semble étrange car elle n’est pas préparée, on a du mal à croire cette promesse
d’apaisement tant elle contraste avec l’agitation extrême de l’héroïne.
- Or on peut percevoir l’ironie de la narratrice dans cette phrase car la suite du roman va démentir cette
croyance. Rien ne parviendra à guérir la princesse de cette passion. Dès le paragraphe suivant, on
comprend que cette consolation est une illusion.
=> Si l’introspection a pour but de clarifier les pensées, les sentiments, les émotions, la jalousie produit
une confusion telle que cet effort de clarification se trouve mis en échec car la pensée consolatoire est
une nouvelle illusion.

Conclusion :
Ainsi, cette introspection montre une princesse submergée par la jalousie, jalousie qui la prive
de sa raison et met en échec son effort d’analyse. Elle reste dans l’erreur, dans l’aveuglement, dans
l’illusion de guérir prochainement de sa passion. La suite du roman viendra démentir cette croyance.
D’ailleurs le souvenir des douleurs cuisantes de la jalousie entrera pour une grande part dans son choix
final.

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