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Acte 1 Scène 8 (1784), Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

Introduction : Je vais procéder à l’explication de l’Acte 1, Scène 8, de Le Mariage de Figaro,


publié en 1784 par Beaumarchais. Beaumarchais, de son vrai nom Pierre-Augustin Canon de
Beaumarchais qui est un écrivain français reconnu du XVIIIème siècle qui a puisé des
éléments d’inspirations de sa vie pour les mettre dans ses pièces. Il est souvent considéré
comme un des philosophes des Lumières. La comédie est née au Vème siècle avant J.C dans
les œuvres d’Aristophane et elle emploie le rire comme instrument de rire politique ou
social. Les auteurs du théâtre assouplissent les règles à respecter comme la règle de
bienséance, la règle des trois unités et la règle de vraisemblance. Le Mariage de Figaro est la
suite du Barbier de Séville, publié en 1675 dans laquelle apparait les mêmes personnages qui
vieillissent au fur et à mesure. Beaumarchais raconte l’histoire de Figaro, un ancien barbier
ayant une fonction importante car il est valet, et de Suzanne, qui est d’origine paysanne. Le
comte Almaviva est amoureux de Suzanne. La comtesse est obligée de s’allier à ses
domestiques pour contrecarrer les projets du comte. Ce sont des rapports sociaux qui se
dessinent derrière les personnages et donc Louis XVI, à l’époque, a retardé la représentation
autant qu’il a pu car la pièce de théâtre met en scène les péripéties de cette lutte mais aussi
parce qu’en 1734, ce sont les rapports sociaux qui sont mis en avant à travers cette pièce de
théâtre. L’extrait que je vais commenter, est la scène 8 de l’acte d’exposition, où le Comte
vient voir Suzanne, pensant la trouver seul, alors que tout l’entretien se déroule en présence
du page Cherubin, qui s’est caché derrière le fauteuil en entendant venir son maitre.
Cherubin est amoureux de Suzanne, ce qui pose problème au Comte.
(Lecture du texte)

Après cette lecture, nous nous demanderons comment Suzanne, femme de chambre de la
comtesse, improvise-t-elle une comédie pour résister au comte et protéger Chérubin ? Dans
un premier temps, nous analyserons l’arrivée du Comte (l.1-11), puis, dans un deuxième
temps, nous verrons les avances du Comte envers Suzanne (l.12-34), et enfin, dans un
troisième temps, nous analyserons l’arrivée de Bazile (l.35 à la fin).
(Analyse linéaire)
Voyons à présent l’arrivée du Comte.
L’entrée en scène du comte est un coup de théâtre. Malgré la menace qui pèse sur le
mariage de Suzanne, les premières lignes instaurent une situation comique, particulièrement
théâtrale, marquée par les didascalies : Chérubin est caché (didascalie initiale) et le comte ne
le sait pas tu parlais seule (l.4). Suzanne est tellement surprise par l’arrivée du comte -
signalée par la didascalie aperçoit le comte (l. 1) - qu’elle ne peut rien dire et ne prononce
qu’une interjection ah (l. 2). Les paroles du comte soulignent également la surprise de
Suzanne : tu es émue, une agitation (l. 4), mais accentuent le comique car cette agitation
n’est pas seulement due à la présence du comte, mais aussi à la présence de Chérubin caché.
Dès le début, Suzanne est stratégique elle s’approche du fauteuil pour masquer Chérubin
(l. 2). Mais la tension dramatique augmente quand le comte s’assied dans le fauteuil (l. 11).
Elle va donc réagir pour protéger Chérubin et résister au comte : elle doit mener un habile
double jeu.

Ainsi, si l’arrivée du Comte oblige Suzanne à improviser une comédie pour protéger
Cherubin, les avances du Comte vont alors accentuer cet effet comique.

Les craintes évoquées par Suzanne à la scène 1 se confirment ici : le comte veut la séduire. Il
arrive en maître conquérant : la didascalie s’avance (l. 3) traduit son assurance, le diminutif
Suzon l’emploi affectueux de l’adjectif petit dans ton petit cœur (l. 4) révèlent le rôle qu’il
veut jouer, à la fois protecteur en tant que maître et séducteur en tant qu’homme. Le
rapport de domination se traduit notamment par le tutoiement que le comte emploie pour
s’adresser à Suzanne : tu es émue, tu parlais... (l. 4), alors que Suzanne le vouvoie que me
voulez-vous ? Si l’on vous trouvait avec moi... (l.7) et emploie le terme révérencieux de
Monseigneur (l. 7, 22 et 30). Au contraire, le comte adopte un ton familier et condescendant
qui marque sa supériorité avec les diminutifs Suzon (l.4), Suzette (34) ou les expressions ton
petit cœur (l.4), ma chère (l. 20). Malgré la mise en garde de Suzanne si l’on vous trouvait
avec moi (l. 7) - qui prend aussi une dimension comique car Chérubin est effectivement en
train de le « trouver » - le comte, en tant que maître tout-puissant s’autorise une double
transgression : séduire Suzanne bien que ce soit le jour de son mariage la périphrase un
jour comme celui-ci (l. 5) renvoie au mariage de Figaro et Suzanne, et bien que lui-même soit
marié je serais désolé qu’on m’y surprît (l. 8), je n’ai qu’un instant (l. 10) car le comte n’a
rien à faire dans la chambre de Suzanne, et ne doit pas s’y attarder. Il en vient très vite au
cœur de son propos : la séduction. L’intérêt que je prends à toi (l.9), mon amour (l. 10), ma
chère (l.20). Les didascalies indiquent qu’il lui prend la main (l. 14), il la rapproche de lui
(l.19). C’est une pression à la fois physique et psychologique qu’il exerce sur elle. Pression
physique d’un homme sur une femme, d’un maître sur une servante : il la force à avoir un
contact physique avec lui. Très sûr de lui, il vient faire le point sur ses projets avec la
répétition de l’expression tu sais que... (l. 9 et 15) : il ne laisse pas à Suzanne la possibilité de
protester. Il s’agit pour le comte, non de lui demander son avis, mais de lui imposer ses
projets : t’expliquer mes vues (l. 10) Ces projets sont exprimés au présent ce qui les rend
effectifs et donne raison à Figaro qui les avait prévus : J’emmène avec moi Figaro, je lui
donne un excellent poste (l. 15 et 16) Le comte apparaît ainsi dans toute son ingratitude vis à
vis de son valet, il va profiter de lui ; c’est un calculateur qui s’appuie sur une vérité générale
pour se légitimer : comme le devoir d’une femme est de suivre son mari (l.16). Il se montre
également indifférent à ce qu’il impose à Suzanne, ne pensant qu’à son propre plaisir. En
effet, il emploie une périphrase un droit que tu prends sur moi (l. 20), un lexique
mélioratif ce droit charmant (l. 33) ou euphémistique cette légère faveur (l. 34), de
manière à enjoliver et minimiser son abus de pouvoir, voire à l’inverser (un droit que tu
prends sur moi est l’inverse de la réalité, puisque c’est le comte qui abuse d’un droit qu’il a
sur elle). Infidèle et sans scrupule, sa gaieté n’est pas entamée (gaiement l. 32) même après
le bref rappel de Suzanne concernant son mariage. En même temps, la situation ridiculise le
comte qui ignore la présence de Chérubin. Ainsi ses déclarations tu parlais seule (l. 4), je
serais désolé qu’on m’y surprît (l. 8), je n’ai qu’un instant (l.10) font sourire le public car à
son insu, et contrairement à ce qu’il croit, un témoin caché assiste à toute la scène. Cette
pression du comte est d’autant plus évidente que Suzanne lui manifeste son opposition. Elle
emploie de manière répétée des formes négatives : aux injonctions impératives écoute (l.
10), parle (l. 20) elle oppose une négation totale je n’écoute rien (l. 13), je n’en veux point (l.
22). La didascalie vivement (l. 12) souligne la force de son refus ainsi que l’anaphore
péremptoire je n’en veux point et l’impératif quittez-moi (l. 22). Suzanne est bien décidée à
ne pas se laisser faire. On note l’évolution dans les didascalies : d’abord effrayée (l. 21), elle
se met ensuite en colère (l. 25). Dans un premier temps elle ne trouve pas ses mots je ne sais
plus ce que je disais (l. 26) puis elle n’hésite pas à évoquer l’aide que Figaro a apportée au
comte pour séduire Rosine, la comtesse, lorsque Monseigneur enleva la sienne de chez le
docteur, et qu’il l’épousa par amour (l. 30/31). Malgré son insistance, le comte n’arrive pas à
ses fins. Il s’agit pour Beaumarchais de faire rire mais aussi de dénoncer les abus des
puissants : en tournant le comte en ridicule, il « arrache son masque » (cf. la préface) et à
travers lui dénonce les abus des puissants. Suzanne, en habile comédienne, doit aussi
improviser pour protéger Chérubin caché derrière le fauteuil. Ce meuble est mentionné
plusieurs fois, soulignant sa fonction dans la scène : Suzanne se place astucieusement devant
le siège : elle s’approche du fauteuil pour masquer Chérubin (l.2), le comte s’assoit sur le
fauteuil : il s’assied dans le fauteuil (l. 11). Les réactions de Suzanne ont donc deux
explications : elle est troublée (l. 6) puis effrayée (l. 21) par les avances du comte mais aussi
car elle craint pour Chérubin. Cette crainte s’accroît avec l’arrivée de Bazile.
Ainsi, si les avances du Comte insiste sur l’effet comique de cette pièce, l’arrivée de Bazile va
accentuer cet effet.
Au premier coup de théâtre que constitue l’arrivée du comte, succède un deuxième coup de
théâtre : l’arrivée de Bazile (l. 35) qui est à l’extérieur mais se fait entendre. D’abord la
didascalie indique qu’il parle en dehors (l. 35) puis qu’il crie en dehors (l. 45). Il est en effet
indispensable que ce qu’il dit soit compris du public et qu’il soit vraisemblable que le comte
l’entende. L’exclamation de Suzanne que je suis malheureuse ! (l. 40) vise à souligner la
situation, ce qui en renforce paradoxalement le comique (si Bazile arrive, la présence de
Chérubin risque d’être dévoilée). Elle s’adresse à la fois à elle-même et au public, par le fait
de la double énonciation. Le comique réside aussi dans le renversement de situation. Au
début, le comte ne se méfie pas, il est très serein : gaiement (l. 32), ce qui contraste avec sa
brusque frayeur en entendant Bazile : le comte se lève : quelle est cette voix ? (l. 38). Son
agitation se traduit dans son changement de posture : assis, en toute sécurité, il se redresse,
aux aguets. Beaumarchais le tourne en ridicule, le montrant dans toute sa lâcheté. Il pense
d’abord empêcher Bazile d’entrer en demandant à Suzanne : Sors, pour qu’on n’entre pas
(l.42), mais la réplique de Bazile je vais voir (l. 46), oblige le comte pris au piège à se
dissimuler. L’intensité dramatique est à son comble quand le comte déclare : Et pas un lieu
pour se cacher ! Ah ! derrière ce fauteuil...(l. 48). La longue didascalie finale traduit les
talents de metteur en scène de Beaumarchais : le chassé-croisé du comte et de Chérubin,
l’un prenant la place de l’autre sans que le comte puisse s’apercevoir de quoi que ce soit
demande des déplacements prévus avec la précision d’un ballet pour rester vraisemblables.
En lui faisant prendre ainsi la place de Chérubin, Beaumarchais souligne la similitude des
deux personnages. D’une part il montre la bassesse du comte, qui se conduit comme un
jeune page ; d’autre part il suggère que le page sera peut-être comme lui, un futur don Juan,
ce que semblait laisser entendre la scène précédente. La rapidité du chassé-croisé est
marquée par le lexique renvoie-le bien vite (l. 48), il se jette (l. 50) et par le grand nombre de
verbes d’action barre, pousse, recule, se met, s’abaisse, prend, tourne, se jette, se blottit.
Suzanne parfait son jeu de comédie : elle lui barre le chemin, elle recule. Par sa présence
d’esprit, Suzanne prend la robe qu’elle apportait, en couvre le page et se met devant le
fauteuil (l. 51). Grâce à elle, Chérubin peut donc, pour l’instant, échapper à la vigilance du
comte.
Dans cette courte scène, l’intérêt du spectateur ainsi est constamment relancé, car le public
s’interroge : comment Chérubin va-t-il se sortir de cette situation ? Puis de nouveau, il se
demande ce qui peut arriver si le comte, sans le savoir, se trouve enfermé seul avec
Chérubin, et enfin il se demande comment le comte va pouvoir se cacher sans voir Chérubin.
Cette situation reflète l’un des éléments constitutifs de la pièce qui est un constant jeu de
cache-cache. Ce n’est pas la dernière fois qu’une telle situation se reproduira. Et comme
dans la plupart des situations de dissimulations, c’est le comte qui en fait les frais.
Conclusion : Pour conclure, à travers cet extrait, l’auteur nous met en scène un comique de
situation et un rebondissement. La scène exploite les possibilités multiples du théâtre et de
ses conventions, dans une orchestration rapide et bien menée, qui ménage sans cesse
l’intérêt du spectateur par des rebondissements successifs. Beaumarchais exerce ici son
talent de metteur en scène, par un enchaînement rythmé des gestes et des répliques, dans
le but de créer un comique de situation qui fasse rire les spectateurs. Mais il s’agit aussi de
les faire réfléchir en dénonçant les abus. La soubrette Suzanne, tout comme le page
Chérubin caché et muet, se jouent de leur maître, le comte, qui fait les frais de leur comédie.

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