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Corrigé analyse linéaire Les Fausses Confidences 

: Acte II, scène 13


Situation de l’extrait

Araminte est au courant de l’amour de Dorante, que les 2 scènes à propos des tableaux ont confirmé
et dont Dubois vient de l’assurer une nouvelle fois à la scène 12. Elle est aussi harcelée par l’autre
« clan » pour renvoyer Dorante. Elle cherche soi-disant un motif sérieux pour le faire et voudrait
l’amener à avouer son amour (« Si, lorsqu’il me parle, il me mettait en droit de me plaindre de lui,
mais il ne lui échappe rien ; je ne sais de son amour que ce que tu m’en dis ; et je ne suis pas assez
fondée pour le renvoyer. Il est vrai qu’il me fâcherait s’il parlait ; mais il serait à propos qu’il me
fâchât »).

Araminte invente donc le stratagème de la fausse lettre pour pousser Dorante dans ses
retranchements et le faire avouer. Mais, si c’est le cas, elle se trouvera elle-même au pied du mur et
contrainte de prendre une décision a son égard.

Inconsciemment, elle désire également l’aveu de cet amour qu’elle ne connait que par les paroles de
Dubois et les faits des scènes précédentes. L’enjeu est donc important psychologiquement pour elle,
et elle risque de se trouver dans une situation difficile s’il avoue et embarrassante s’il n’avoue pas.

Dorante ne sait pas que cette lettre au Comte est fausse : pour lui aussi, l’enjeu est capital. Si cette
lettre est envoyée, tous ses espoirs s’effondrent ; s’il avoue son amour, comme Dubois ne l’a pas
prévenu, il a peur aussi de perdre Araminte.

Problématique : Nous verrons comment Araminte met Dorante à l’épreuve en usant d’un
stratagème cruel.

Mouvement :

1) Une fausse confidence cruelle


2) L’écriture de la lettre et le supplice de Dorante

Idée secondaire procédés citation analyse


I. Une fausse confidence cruelle
La révélation d’A Terme « l’événement leur Araminte retarde le moment de la
« évènement » persuadera que vous révélation en utilisant le terme
Champ lexical de la les avez bien servis ; « évènement » pour désigner son choix
réflexion et de la car toute réflexion d’épouser le Comte. Les termes
décision faite, je suis « réflexion » et « déterminée » soulignent
déterminée à épouser que c’est une décision mûrement réfléchie
le Comte. » et que cette décision sera favorable à
Dorante.
Didascalie, DORANTE, d’un ton La surprise et le trouble de D sont
répétition, ému. − Déterminée, manifestes à travers la didascalie et
exclamation Madame ! l’exclamation qui reprend l’adj employée
ARAMINTE. − Oui, tout par A.
à fait résolue. Le Araminte, avec un peu de perfidie et de
Comte croira que vous ruse, fait mine de proposer la solution la
y avez contribué ; je le plus rationnelle et réfléchie au problème
lui dirai même, et je de Dorante. L’adjectif « résolue » met en
La mise ne place du vous garantis que vous valeur l’aspect irrévocable de sa décision.
piège Aparté resterez ici ; je vous le L’aparté révèle le choc que constitue cette
promets. (À part.) Il révélation pour Dorante qui ne parvient
change de couleur. pas à cacher son désarroi.
L’exclamation suivante révèle l’inquiétude
De D.
ARAMINTE, d’un air La réponse d’A est précédée de la
Didascalie, verbes au délibéré. − Il n’y en didascalie « d’un air délibéré » qui montre
futur puis à aura aucune, ne vous son assurance, mise en valeur par l’emploi
l’impératif embarrassez pas, et du futur à la forme négative « il n’y en aura
Répétition du terme écrivez le billet que je aucune ».
« Madame » vais vous dicter ; il y a Araminte joue ici de son autorité de
tout ce qu’il faut sur maîtresse vis-à-vis de Dorante : c’est en sa
cette table. qualité de secrétaire qu’elle le sollicite.
Cette autorité est manifeste dans l’emploi
répété du vocable respectueux « Madame
» par Dorante, qui marque sa soumission.
Araminte emploie alors le mode injonctif et
emploie deux verbes à l'impératif le
premier à valeur de défense et le second
d'ordre. Elle enjoint D d'écrire une lettre un
billet pour elle, c'est la mise en place de
son stratagème.

On perçoit ensuite la surprise dans la


La surprise de D courte réplique de D qui est introduite par
« Eh ! Pour qui une interjection « Eh ! » suivie d’une
Madame ? » interrogation

Araminte annonce le destinataire de la


ARAMINTE. − Pour le lettre qui n’est autre que le rival direct de
Comte, qui est sorti D et se livre ainsi à une manigance cruelle :
d’ici extrêmement « Pour le Comte qui est sorti d’ici
inquiet, et que je vais extrêmement inquiet et que je vais
surprendre bien surprendre bien agréablement » (l 7-8)
agréablement par le L’antithèse (inquiet / surprendre bien
petit mot que vous agréablement) est assez comique puisque
allez lui écrire en mon D est en train de vivre le contraire.
nom. (Dorante reste Cependant, nous pouvons remarquer grâce
rêveur, et par à la didascalie que Dorante ne semble pas
distraction ne va point comprendre l’annonce d’Araminte :
à la table.) Eh ! vous « Dorante reste rêveur, et par distraction
n’allez pas à la table ? ne va point à la table ».
À quoi rêvez-vous ? A montre alors son impatience que l’on
peut voir dans l’interjection et les deux
interrogations.
La réplique de D, totalement incohérente
DORANTE, toujours puisqu’elle ne répond pas à la question d’A
distrait. − Oui, montre la montée du trouble du jeune
Madame. homme.
II. Les ressorts de la théâtralité : l’écriture de la lettre et le supplice de Dorante
Un trouble ARAMINTE, à part, Deux apartés permettent de comprendre
grandissant pendant qu’il se place. ce que pensent et ressentent les
Apartés, négation − Il ne sait ce qu’il fait ; personnages.
totale voyons si cela Araminte voit le trouble de D qu’elle met
continuera. en évidence grâce à une négation totale :
DORANTE, à part, « Il ne sait ce qu’il fait. » et espère, à cet
cherchant du papier. − instant, qu’il se déclare : « Voyons si cela
Ah ! Dubois m’a continuera. » Cependant, Dorante, guidé
trompé ! continuellement par son valet, est
ARAMINTE, persuadé que Dubois lui a menti. Il
Stichomythies (= poursuivant. − Êtes- apparaît, dans cette scène, sous son vrai
enchaînement vous prêt à écrire ? jour : sa capacité d’action est nulle.
A en position de rapide de répliques DORANTE. − Madame, L’occasion de dire la vérité se présente à lui
domination brèves) je ne trouve point de mais il ne la saisit pas, bien trop occupé à
Didascalies papier. rendre Dubois responsable de son échec.
Exclamations, ARAMINTE, allant Le dialogue va alors gagner en rapidité
injonctions : elle−même. − Vous grâce à l’emploi
interrogation + n’en trouvez point ! En des stichomythies, présentes des lignes 41
impératif voilà devant vous. à 56 : Araminte domine la scène, puisque
DORANTE. − Il est vrai. c’est elle qui met Dorante à l’épreuve dans
ARAMINTE. − Écrivez. l’espoir de le faire céder et avouer son
Hâtez-vous de venir, amour. Donc elle ne le lâche pas et ne lui
Monsieur ; votre laisse aucun répit, allant même jusqu’à se
mariage est sûr… moquer de lui dans l’exclamation « Vous
Avez-vous écrit ? n’en trouvez pas ! » alors que D ne sait plus
DORANTE. − quoi faire pour gagner du temps et
Comment, Madame ? échapper à ce supplice.
En tant qu’auteure du stratagème,
Araminte le met en scène et dirige
Dorante. Après lui avoir indiqué la table,
elle secoue Dorante par ses interrogations
à valeur injonctive («Etes-vous prêt à
écrire »)? », et autres injonctions très
autoritaire à l’impératif (« Écrivez ». Elle se
déplace elle-même pour le guider (« allant
elle-même »). Malgré sa résistance (« ne va
point à la table » ; « je ne trouve point de
papier », Dorante est contraint d’obéir et
d’accomplir les déplacements et les gestes
ARAMINTE. − Vous ne commandés par Araminte.
m’écoutez donc pas ? Enfin les mots qu’elle veut lui faire écrire
Votre mariage est sur le billet anéantissent tout espoir pour D
sûr ; Madame veut qui est totalement désorienté « Comment,
que je vous l’écrive, et madame ? »
vous attend pour vous Dans sa réplique suivante, A se montre
le dire. (À part.) Il irritée et pour le faire capituler, répète le
souffre, mais il ne dit début de son billet. Le verbe « veut »
mot ; est-ce qu’il ne montre encore la détermination d’A.
Aparté parlera pas ? L’aparté, quant à lui, révèle qu’A analyse
N’attribuez point cette les réactions de D et a pleinement
résolution à la crainte conscience de ce qu’elle lui fait endurer « il
que Madame pourrait souffre ».
avoir des suites d’un A poursuit son entreprise cruelle en
procès douteux. attribuant sa décision d’épouser le Comte à
son propre désir : « n’attribuez point cette
Le sursaut de D résolution… »
DORANTE. − Je vous ai
Argument de D assuré que vous le D essaye alors de réagir en contrecarrant
Négation totale, gagneriez, Madame : les propos d’A : il s’appuie sur les scènes
répétition de douteux, il ne l’est précédentes, sur ses propres paroles, en
l’adjectif « douteux » point. employant des mots très forts (« je vous ai
ARAMINTE. − assuré », et en utilisant une négation
N’importe, achevez. totale « il ne l’est point ») ; il reprend les
Non, Monsieur, je suis mots mêmes d’Araminte pour les contrer
chargé de sa part de (« douteux »). On sent qu’il a repris ses
vous assurer que la esprits et joue ses dernières cartes, celles
seule justice qu’elle de la raison et de l’argumentation, en
rend à votre mérite la outrepassant son statut d’intendant. Mais
détermine. Araminte refuse évidemment de l’écouter
Impératif et balaye ses propose de manières très
brutale « n’importe » suivi de l’impératif
« achevez ». On peut d’ailleurs s’interroger
sur les différentes significations que revêt
ce verbe : fin de la lettre, incitation à
DORANTE, à part. − avouer.
Ciel ! je suis perdu. L’aparté de D révèle que c’est lui qu’A a
(Haut.) Mais, achevé avec l’interjection « Ciel ! et « je
Madame, vous n’aviez suis perdu qui souligne son désespoir.
2ème argument de D aucune inclination Après un argument lié au procès, il avance
Conj de coord : pour lui. alors un argument sentimental introduit
« mais » par la conj de coord « mais » « Mais,
Madame, vous n’aviez aucune inclination
pour lui ». Il essaye de mettre en lumière
ARAMINTE. − Achevez, l’incohérence d’A.
vous dis-je… Qu’elle Elle montre bien qu’elle voit son trouble
rend à votre mérite la pour qu’il n’ait pas d’échappatoire et soit
D sous pression détermine… Je crois obligé d’avouer (« Je crois que la main vous
que la main vous tremble ! vous paraissez changé »). Elle le
tremble ! vous traite avec une extrême froideur, sans
paraissez changé. aucune compassion ; les questions n’ont
Qu’est−ce que cela d’autre but que de lui mettre plus de
signifie ? Vous pression. Elle se comporte vraiment avec
trouvez-vous mal ? lui comme avec un domestique, en
DORANTE. − Je ne me l’humiliant.
trouve pas bien,
Madame. Elle l’accable de reproches et brimades
ARAMINTE. − Quoi ! si («Voilà qui est écrit tout de travers! cette
subitement ! cela est adresse-là n’est presque pas lisible», l. 68-
singulier. Pliez la lettre 69). Le rythme de ses consignes s’accélère,
et mettez : À Monsieur alors même que Dorante semble défaillir.
le Comte Dorimont. Enfin, son malaise («Je ne me trouve pas
Vous direz à Dubois bien, Madame», l. 65), réel ou feint, est
qu’il la lui porte. (À une dernière tentative, désespérée, de
part.) Le cœur me résister à l’écriture de cette lettre si
bat ! (À Dorante.) contraire à ses projets et à ses sentiments.
Voilà qui est écrit tout Mais, malgré cette cruauté et cette
de travers ! Cette pression, elle n’arrive à rien.
adresse-là n’est Enfin, un aparté laisse deviner l’amour
presque pas lisible. (À croissant d’Araminte à la fin de la scène : «
part.) Il n’y a pas Le cœur me bat. » Marivaux laisse
encore là de quoi le entendre qu’elle souffre peut-être autant
convaincre. que Dorante et que la mise à l’épreuve
DORANTE, à part. − Ne vaut aussi pour Araminte. L’aparté suivant
serait-ce point aussi correspond à un aveu d’échec de son
pour m’éprouver ? stratagème : « Il n’y a pas encore là de quoi
Dubois ne m’a averti le convaincre ».
de rien. Le dernier aparté, qui est également la
dernière réplique de la scène (« Ne serait-
ce point aussi pour m’éprouver ? »), opère
un retournement : Dorante quitte son
statut de victime grâce à sa perspicacité. Il
s’est repris au fur et à mesure de la scène,
et on peut se demander s’il n’en sort pas
vainqueur : non seulement il n’est pas
tombé dans le piège d’Araminte, mais
encore il l’a retourné à son avantage et
c’est elle, finalement, qui y a le plus perdu.

Conclusion :
Dans cette scène, la comédie se fait un peu plus sombre. Marivaux nous montre que la fausse
confidence peut être source de tourment. Cependant, la comédie est au rendez-vous et nous rions
de la faiblesse de Dorante. Marivaux, amoureux des jeux de masques, en place un sur le visage
d’Araminte qui excelle dans l’art de la cruauté. Le véritable gagnant de cette scène est
indéniablement le spectateur qui savoure, assis sur la même rangée de sièges que l’auteur, le
pouvoir qui est le sien expliquant sans nul doute la formule utilisée par Joseph Fleury en 1881 à
propos des Fausses Confidences : « C’est la comédie de la grâce et du sourire. » 

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