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Intro 

:
Reçu à l’académie Française en 1743, Marivaux n’écris plus que des pièces en un acte. Il a alors
49 ans et est devenu un auteur célèbre depuis le succès de ses comédies dans les années 20, tranchant avec
ses collègues qui tentaient de garder le comique de Molière. La dernière de ses comédies en 3 actes, Les
Fausses Confidences, fut jouée pour la première fois en 1737. Elle présente une dynamique dramatique
puissante et une critique plus pointue de la société de son temps. D’un côté, Araminte, veuve fortunée, est
éprise de Dorante, un homme ruiné qu’elle a pris à son service, mais son amour propre ayant intégré les
règles de son temps, l’empêche d’admettre son penchant aux autres comme à elle-même. De l’autre se
trouve Dubois, stratège omniscient dirigeant dans l’ombre le comportement des autres personnages de sa
pièce dans le but de marier Araminte à Dorante celui-ci était d’ailleurs son ancien maitre. La scène 14 de
l’acte 1 est une longue scène où ces deux personnages, Araminte et Dubois, se retrouvent seuls. Dubois
durant toute la scène mène une ruse, construit lentement mais habilement un piège dans lequel il enferme
Araminte. Feignant d’être surpris de voir Dorante chez elle, il lui fait la première de ses fausses
confidences.
Nous pouvons nous demander de quelle façon Dubois mène sa fausse confidence, en quoi celle-ci
constitue un piège pour la pauvre Araminte.

Partie 1 :

« sa démence » métaphore Sentiments de Dorante


assimilés à une maladie, la
passion devient folie
amoureuse
 Flatte Araminte
« Elle le ruine, elle lui coupe la Elle : pronom remplaçant le Les sentiments de Dorante sont
gorge » nom démence, sujet de ruine et amplifiés un tel amour ne peut
de coupe que flatter Araminte.
Dorante est placé comme
Personnification victime de ses propres
sentiments qui semblent le
mettre à genoux.
« Bien fait, d’une figure Accumulation de qualités Dubois peint un portrait
passable, bien élevé et de élogieux de son ancien maitre
bonne famille » Adv de manière bien et adjectif faisant prendre conscience à
bonne mélioratifs Araminte que c’est un homme
merveilleux qui l’aime.
« mais » Conjonction de coordination Rupture qui permet d’expliquer
marquant une rupture pourquoi Dubois ferait un
portrait élogieux de son ancien
maitre auquel il s’oppose.
« d’épouser des femmes qui Pluriels Dubois excite la jalousie
l’étaient, et de fort aimables, d’Araminte en hyperbolisant la
ma foi, qui offraient de lui Description méliorative des multiplicité des prétendantes de
faire sa fortune et qui auraient femmes Dorante par une description
mérité qu’on la leur fît à elles- générale aux multiples pluriels.
mêmes » Cette description est d’autant
plus efficace qu’elle décrit les
concurrentes d’Araminte très
méliorativement.

« Il y en a une » Singulier Dubois rend sa description


encore plus vraisemblable en la
« et qui le poursuit encore tous Présent de l’indicatif précisant par l’exemple d’une
les jours » femme plus persistante, et fait
prendre conscience à Araminte
de l’urgence de la situation.
« je le sais car je l’ai Argument d’autorité Rajoute de la vraisemblance.
rencontré »

« Avec négligence » Didascalie Laisse penser qu’Araminte


tente de dissimuler ses
véritables sentiments face au
discours du valet, mais qu’elle
n’arrive pas à réfréner son
inquiétude face à l’urgence de
la situation soulignée par
Dubois.
« Actuellement ?» 1 mot Le valet domine la
conversation et Araminte ne
Ponctuation expressive prononce qu’un seul mot.

« Oui, Madame, actuellement » Adverbe d’affirmation Dubois, voyant dans le jeu


d’Araminte le succès de sa
Reprise de la réplique première attaque, rebondit sur
d’Araminte son inquiétude avec la
puissance de l’adverbe
d’affirmation oui et en
reprenant le mot employé par
Araminte.
« Une grande brune très Accumulation d’adjectifs Il précise sa description de la
piquante » qualificatifs prétendante pour la rendre
encore plus réelle et
menaçante. Dans la mise en
scène de Jean Piat, cette
description est d’autant plus
efficace que le portrait de la
prétendante est fait à l’opposé
de celui d’Araminte qui blonde,
menue et délicate.
« Monsieur refuse tout » Proposition indépendante et Proposition simple et puissante
courte (sujet verbe mettant en valeur la force des
complément) sentiments de Dorante et celle
de sa fidélité.
Tout : pronom indéfini
« je ne puis les aimer, mon 1ère personne du singulier Dubois va jusqu’à énoncer
cœur est parti » indirectement un aveu
mon cœur sujet de partir amoureux de Dorante, aveu
d’autant plus puissant qu’il est
à la 1ère personne du singulier,
comme si c’était Dorante qui
parlait à travers lui.

Ainsi dans ce premier mouvement, Araminte est piégée dans une fausse situation d’un homme
merveilleux amoureux d’elle, mise face à deux tendances contraires : l’urgence de la situation qui
l’amènerai à accepter son amour et son soucis d’avoir un comportement honnête et exemplaire qui
l’amènerai à les refuser.
Partie 2 :

« Hélas ! » Interjection lyrique + Exclamation lyrique qui vient


ponctuation émotive ouvrir le récit de Dubois : il va
raconter une histoire digne
d’une tragédie antique.
« fut (…) sortîtes (…) perdit » Passé simple Dubois raconte une histoire, il
Cadre spatiotemporel conte des évènements qui se
« Opera (…) vendredi »  Marqueurs du récit sont déroulés hors de la vue
d’Araminte et des spectateurs.
« c’était un vendredi, je m’en Elément temporel précis ( ?) Nous ne savons pas si les faits
ressouviens ; oui un vendredi » récontés par dubois se sont
réellement passés, et certaines
mises en scène comme celle de
Didier Besace jouent de la
prononciation pour mettre en
valeur le doute sur la véracité
de l’histoire de Dubois.
« vous (…) vous (…) vous (…) Accumulation de vous et votre Dubois place Araminte au
votre » centre de l’action
« il vous vit (…) il ne remuait Verbe voir Reprise du topos littéraire du
plus » cdf amoureux, Dorante étant le
noble chevalier, Araminte la
souveraine au centre de ses
pensées et le regard vecteur de
l’amour qui porte un coup
brutal au chevalier
« Monsieur ! » Alternance entre discours Dubois joue, mime son histoire
indirect et indirect libre dans le pour la rendre d’autant plus
récit de Dubois vraisemblable et épique, pour
captiver la jeune femme qui
l’écoute.
« il n’y avait personne au Expression utilisée pour parler Amour de Dorante qui suivant
logis » des fous la tradition est décrit comme
une maladie, une folie
« je l’aimais : c’était le Superlatif Dubois profite de son récit pour
meilleur maitre » « ce bon Ponctuation émotive vanter régulièrement et le place
sens, cet esprit jovial, cette en supériorité par rapport aux
humeur charmante » Accumulation autres maitres, aux autres
Rythme ternaire hommes qu’Araminte pourrait
envisager.
Cependant le valet fait cela
habilement : en effet le
superlatif et la ponctuation
émotive est dissimulée par les
autres exclamations de Dubois,
et l’accumulation de qualités
suit un rythme ternaire, que
l’on retrouve dans un très grand
nombre de récits,
« vous (…) lui (…) vous (…) Alternance de pronoms L’existence du maitre et du
vous (…) moi (…) vous » valet est inondée par la
présence de la jeune femme,
comme si celle-ci les séparait,
les envahissait.
« Quelle aventure ! » Répliques courtes Le récit de Dubois a des effets
« Tu m’étonnes à un point ! » Ponctuation émotive remarquables sur Araminte : il
« Est-il possible » domine totalement la
conversation et elle n’a que des
répliques courtes, comme des
exclamations incontrôlées,
marquées de ponctuation
émotive.
« Et qui m’instruisait, et à qui Corruption Araminte est si captivée par le
je payais bouteille » Absence de réaction lors de la conte de Dubois que cette si
mention de pratiques de honnête femme ne réagit pas
corruption ou de filature lorsque celui-ci mentionne
avoir eu recours à de la
corruption ou lorsqu’il dit
l’avoir suivie chez elle
« Morfondus et gelé » Situation critique Et à la suite de l’aveu de toutes
ces friponneries, Araminte ne
« Est-il possible ? » réagit que lorsque Dubois
décrit Dorante dans une
situation critique
« Ma santé s’altérait, la sienne L’amour de Dorante est devenu
aussi » une maladie : sa santé est
moins importante pour lui que
la nécessité de voir celle qu'il
aime
« S’attrister de votre absence » Absence COD de s’attrister L’absence d’Araminte est une
cause d’une grande tristesse
pour Dorante : Elle semble être
devenue la cause de son
bonheur, de son malheur, il ne
vit plus que pour elle.
« il voulut me battre, tout bon Opposition entre la volonté de Dorante est transformé par son
qu’il est » Dorante de battre son valet et amour, et est prêt à tout pour
son caractère être au près de sa dame.
Il n’est néanmoins pas devenu
Est : présent mauvais, le verbe être suivit de
l’attribut du sujet bon est au
présent : Dorante était bon
avant, il l’est encore
maintenant, mais il ne l’est plus
lorsqu’il est privé de son
amour.

Partie 3 :

« Je suis si lasse » Adverbe d’intensité Comique car elle dit cela à
Dubois qui est en train de la
tromper.
« parce qu’il a de la probité » Qualité Le discours de Dubois a eu des
Opposition Dorante/Trompeurs effets impressionnants sur la
jeune femme qui se met à
valoriser son intendant et à
l’opposer à tous ceux qui
trompent, alors qu’elle ne le
connait que depuis le matin
même.
« Ce n’est pas que je sois Araminte essaie alors de
fâchée » s’expliquer et de se justifier, elle
prétend que l’histoire de Dubois
ne l’a pas affectée.
« Il y aura de la bonté à le Substantif Dubois suggère que renvoyer
renvoyer » Dorante est une bonne action.
« mais ce n’est pas là ce qui le Araminte est mal à l’aise : elle
guérira » sait qu’il vaudrait mieux
renvoyer dorante, mais son
savoir vivre lui dicte qu’une telle
action serait blessante et traitre
envers à la fois Dorante et
Monsieur Remy, qu’elle estime.
« incurable » Champ lexical de la maladie Le nom incurable reprends le
verbe guérir employé par
Araminte et fait écho au récit de
Dubois où l’amour était décrit
comme une maladie : il a réussi
à imposer à la jeune femme une
vision de Dorante comme
malade d’amour.
« Vivement » Didascalie Les sentiments d’Araminte
prennent le dessus et sur sa
raison et sur son savoir vivre.
« Je suis dans des circonstances Faux Elle déblatère de fausses
où je ne saurais me passer d’un justifications à ses actions et
intendant » Plus longue phrase prononcée semble vouloir convaincre
par Araminte, suite de plusieurs Dubois autant qu’elle même
« Je suis (…) lui rendre » propositions coordonnées et
juxtaposées formant un
ensemble décousu
« il mourrait plutôt » Hyperboles Dubois voyant que les
« me l’a dit mille fois » sentiments ont eu raison
d’Araminte décide de porter le
« un respect une adoration, une Gradation coup de grâce et enchaine des
humilité pour vous » figures de style d’intensité.

« vous voir, vous considérer, Accumlation et répétitions de


regarder vos yeux, vos grâces, pronoms de la 2ème personne du
votre belle taille » pluriel

Cette longue réplique permet en réalité à Araminte de retrouver son aplomb. Elle feint à nouveau
l’indifférence et la raisonnabilité. Dubois, voyant que sa mission ici est achevée et qu’il ne peut plus rien
tirer de la jeune femme écourte la discussion, par des répliques brèves : il a réussi son coup.
Conclu
Au terme de notre analyse, nous pouvons conclure que Dubois a, dans sa première fausse confidence, su
réveiller chez Araminte des sentiments nouveaux. La plaçant sans cesse fasse à des dilemmes entre sa
raison et sa bienveillance, il jette la jeune femme aux prises avec elle-même, tout en renforçant ses
passions de jeune femme. Ainsi, commençant par réveiller sa jalousie, puis sa pitié tout en flattant à la fois
Dorante et elle-même il arrive à rendre son cœur maitre de son esprit, et ainsi à faire naitre en elle les
graines d’un amour pour son intendant. Dubois reprend dans son récit la tradition de l’amour courtois. Il
décrit Dorante comme un chevalier pathétique, pleins de qualités et de mérite mais mis à genoux par
l’amour. Il place aussi Araminte comme souveraine, elle aussi aux nombreuses qualités et dominant
entièrement l’esprit et le sort de l’amoureux. Il crée ainsi une tension dramatique et brosse un portrait des
deux amoureux. On retrouve ce procédé dans de nombreux récits de chevalerie, comme Ivain le chevalier
au lion. Pour répondre à notre projet de lecture nous pouvons dire que Dubois mène cette première fausse
confidence, son récit, avec maitrise et virtuosité.

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