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Analyse linéaire : Histoire de Manon Lescaut et du Chevalier Des Grieux, L’abbé Prévost, 1731

Idées secondaires Procédés d’écriture citation Analyse

I. Des retrouvailles inattendues (lignes 1 à 10)


Une scène pathétique Champ lexical du trouble « Je demeurai interdit à Le narrateur est bouleversé par
et de la stupéfaction : sa vue ; et, ne pouvant l’apparition de Manon à laquelle il
« interdit », « yeux conjecturer quel était le ne s’attendait pas et dont il ne
baissés », dessein de cette visite, comprend pas l’objet (« ne
« tremblement » j’attendais, les yeux pouvant conjecturer »)
baissés et avec
CCM placé entre le verbe tremblement, qu’elle Met en valeur le trouble et
« attendre » et la sub s’expliquât. Son embarras explique cette impossibilité de
conj compl « qu’elle fut pendant quelque prendre la parole
s’expliquât » temps égal au mien ;
Gestuelle assez mais, voyant que mon Suggère la peine et la honte de la
théâtrale : « la main silence continuait, elle mit jeune femme qui va s’exprimer.
devant ses yeux » + la main devant ses yeux
adjectif « timide » pour cacher quelques
larmes. »
Une confession
« Elle me dit d’un ton Permet de montrer l’évolution de
singulière
timide qu’elle confessait son discours qui passe de la
Paroles de Manon que son infidélité méritait reconnaissance de sa faute aux
rapportées au DI dans ma haine ; mais que, s’il reproches.
une longue phrase. était vrai que j’eusse
jamais eu quelque Dans un premier temps M admet
Des paroles habiles tendresse pour elle, il y sa culpabilité et la conséquence
Verbe : « confessait » avait aussi bien de la qui en découle : « la haine » de son
dureté à laisser passer amant.
deux ans sans prendre La conj de coord inverse ensuite la
Conj de coord « mais » soin de m’informer de son situation.
marque l’opposition sort, et qu’il y en avait Mettent en doute l’amour passé et
sub de condition + plus beaucoup encore à la voir l’attitude de Des Grieux à qui elle
que parfait du subjonctif dans l’état où elle était en reproche de l’avoir abandonné.
+ nom « dureté » ma présence, sans lui dire Elle reproche ensuite à celui-ci son
une parole. Le désordre comportement présent, c’est-à-
gradation : « il y en avait de mon âme en l’écoutant dire son silence.
beaucoup encore » ne saurait être exprimé. » →La culpabilité est finalement
rejetée sur celui qui a été trompé.
La stratégie a fonctionné puisque
Des Grieux ne peut plus
raisonner ce que l’on voit dans la
dernière phrase.

II. Du blâme au transport amoureux (lignes 10 à 20):


Un homme bouleversé Passage au passé simple « Elle s’assit. Je demeurai Manon a terminé de parler et
et déstabilisé qui exprime les actions debout, le corps à demi s’assied , très calme contrairement
des personnages. Phrase tourné, n’osant au héros, totalement bouleversé.
très courte : « elle l’envisager directement. Le contraste des émotions est
s’assit » en opposition Je commençai plusieurs souligné par le déséquilibre des
avec une phrase plus fois une réponse que je phrases.
longue qui exprime la n’eus pas la force
réaction du narrateur. d’achever. » La position corporelle du narrateur
CCM : « debout, le corps (CCM) souligne sa forte émotion et
à demi tourné, n’osant son trouble puisqu’il ne peut
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l’envisager » affronter le regard de son ancienne


Adverbe « enfin » + maîtresse et son incapacité à
tonalité pathétique : « je s’exprimer sans doute par peur de
fis un effort », sa faiblesse.
« m’écrier » + adv « Enfin je fis un effort Un effort violent lui est nécessaire
« douloureusement » pour m’écrier pour pouvoir s’exprimer tant son
Passage au DD + douloureusement : trouble et son émotion
interjection et « Perfide Manon ! Ah ! l’envahissent.
exclamations + répétition perfide ! perfide ! » Passage au DD + interjection et
de l’adjectif « perfide » : exclamations + répétition de
« Perfide Manon ! Ah ! l’adjectif « perfide » : Mettent en
perfide ! perfide ! » valeur l’agitation, la perte de
contrôle et la souffrance de
De nouveau DI pour l’amant blessé qui explosent dans
Une jeune femme retranscrire la réponse de le reproche que le héros ne peut
sincère ou une Manon + CCM au contenir et qui reprend l’aveu.
gérondif « en pleurant à Elle me répéta, en Même stratégie de Manon : aveu
comédienne
chaudes larmes » pleurant à chaudes de sa culpabilité, absence de
manipulatrice ?
larmes, qu’elle ne justification avec une mise en
Retour au DD prétendait point justifier scène qui accentue le pathétique :
Répétition du verbe sa perfidie. « Que « en pleurant à chaudes larmes »
« prétendre » prétendez-vous donc ? →Cherche à émouvoir Des Grieux
Sub de condition « si m’écriai-je encore. L’enchaînement des répliques
vous…je vive » — Je prétends mourir, montre l’exaltation des
répondit-elle, si vous ne personnages marquée par le verbe
Anaphore de l’impératif me rendez votre cœur, de parole « s’écrier » pour DG et
« demande ma vie » + sans lequel il est par l’hyperbole « je prétends
apostrophe + tonalité impossible que je vive. mourir » pour Manon.
pathétique — Demande donc ma Chantage affectif de Manon
vie, infidèle, repris-je en perceptible dans la sub ccielle de
versant moi-même des condition dans laquelle elle
pleurs que je m’efforçai menace de mettre fin à ses jours.
en vain de retenir ; Réponse de Des Grieux avec de
demande ma vie, qui est nouveau une anaphore de
l’unique chose qui me l’impératif « demande ma vie »
reste à te sacrifier ; car +apostrophe « infidèle » = tonalité
mon cœur n’a jamais pathétique accentuée par les
cessé d’être à toi. » larmes.
Opposition « infidèle » et « mon
cœur n’a jamais cessé d’être à toi »
Ce dialogue à la tonalité
pathétique et aux tournures
hyperboliques qui révèlent
l’engagement sacrificiel des deux
amants accentue l’effet
romanesque.
→L’aveu de Manon ne semble
avoir été formulé que pour mieux
reconquérir celui qu’elle a perdu.
DG est toujours dans l’exaltation et
sous l’emprise de ses sentiments :
l’amour prend alors la dimension
d’une fatalité avec le verbe
« sacrifier ».
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III. La réconciliation et le triomphe de la passion : (lignes 20 à la fin)


La victoire de Manon Locution conjonctive « à « À peine eus-je achevé A présent sure de son pouvoir,
peine…que » : succession ces derniers mots, qu’elle Manon change radicalement
extrêmement rapide des se leva avec transport d’attitude et devient extrêmement
deux actions + « se leva pour venir m’embrasser. entreprenante : elle est le sujet de
avec transport » = Elle m’accabla de mille toutes les actions (successions de
vivacité de la réaction caresses passionnées. Elle verbes au passé simple)et prend la
Champ lexical de la m’appela par tous les situation en mains par de
manifestation noms que l’amour invente nombreuses manifestations
amoureuse : pour exprimer ses plus amoureuses (champ lexical +
« embrasser », tournure vives tendresses. » hyperboles) qui ne peuvent mener
hyperbolique : qu’à la soumission de son amant.
« m’accabler de mille
caresses passionnées »,
« tous les noms que
l’amour »

Négation restrictive : « Je n’y répondais encore La négation restrictive = DG


« ne que » + terme qu’avec langueur. Quel conserve encore une forme de
« langueur » = sans passage, en effet, de la réserve et subit l’assaut de Manon
dynamisme. situation tranquille où La phrase exclamative suivie des
Phrase exclamative avec j’avais été, aux antithèses souligne le changement
antithèses « situation mouvements tumultueux brutal entre la situation calme qui
tranquille/ mouvements que je sentais renaître ! était la sienne et l’agitation qu’il
tumultueux » J’en étais épouvanté. ressent de nouveau.
Champ lexical de la peur :
« épouvanté »/ Après le discours de l’amant
La plainte d’un homme Verbe asseoir à la 1ère Nous nous assîmes l’un bafoué, DG semble vaincu par
vaincu par le charme pers du plur au PS + près de l’autre. Je pris ses Manon et se calme. C’est lui-même
verbe prendre à la 1ère mains dans les miennes. qui se rapproche à son tour de la
pers du sing. « Ah ! Manon, lui dis-je en jeune femme en signe de
Champ lexical du la regardant d’un œil réconciliation.
rapprochement : « l’un triste, je ne m’étais pas Le discours direct renforce le
près de l’autre », « ses attendu à la noire registre pathétique de la
mains dans les miennes » trahison dont vous avez déclaration de l’homme amoureux
Paroles de DG payé mon amour. Il vous qui a été trahi.
retranscrites au DD : était bien facile de L’interjection qui débute le
Interjection qui débute le tromper un cœur dont discours de DG « ah ! » + la
discours « ah ! » + la vous étiez la souveraine précision « d’un œil triste »
précision « d’un œil absolue, et qui mettait soulignent la blessure de l’amant.
triste » toute sa félicité à vous DG ne peut retenir ses reproches,
Opposition entre le plaire et à vous obéir. » rappelant à l’infidèle « la noire
champ lexical de la trahison » tout en peignant son
trahison : « noire propre portrait d’amoureux soumis
trahison » « tromper » et et de victime.
celui de l’amant soumis : La métonymie « un cœur » =
« la souveraine absolue », renforce la culpabilité de M suivie
« à vous plaire et à vous de la métaphore hyperbolique « la
obéir », « d’aussi tendres souveraine absolue » qui le place
et soumis » en tant que sujet totalement
Métonymie « un cœur » dévoué. (cf amour courtois)

Cette déclaration d’amour


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Succession « Dites-moi maintenant si indirecte est suivie de plusieurs


d’interrogations vous en avez trouvé interrogations directes en partie
d’aussi tendres et d’aussi rhétoriques. Notamment la 1ère
soumis ? Non, non, la suivie de la réponse introduite par
nature n’en fait guère de la répétition de la négation
la même trempe que le « non ».
mien. Dites-moi du moins Par ces interrogations, le héros
si vous l’avez quelquefois cherche à se rassurer et s’assurer
regretté ? Quel fond dois- que M a bien changé en invitant la
2 hyperboles : « vous je faire sur ce retour de jeune femme à répondre de
êtes plus charmante que bonté qui vous ramène manière affirmative à ses
jamais » et « au nom de aujourd’hui pour le interrogations.
toutes les peines que j’ai consoler ? Je ne vois que L’opposition entre le charme de
souffertes » + champ trop que vous êtes Manon et l’évocation de la
lexical de la douleur plus charmante que souffrance que cela lui a
« peines », verbe jamais ; mais, au nom de occasionné révèle la faiblesse de
« souffrir » toutes les peines que j’ai DG qui est totalement séduit et
Conjonction de souffertes pour vous, ensorcelé par M malgré ce qu’elle
coordination « mais » belle Manon, dites-moi si lui a fait subir.
vous serez plus fidèle ? » La phrase suivante retranscrit la
Le triomphe de la réponse de Manon sous Elle me répondit des réponse de Manon au discours
passion forme de discours choses si touchantes sur narrativisé.
narrativisé. son repentir, et elle La sub de conséquence montre le
Sub de conséquence s’engagea à la fidélité par résultat des paroles de M sur DG :
« si…, tant de… que » + tant de protestations et il est vaincu. M a non seulement
champ lexical de de serments, qu’elle reconnu sa faute « son repentir »,
l’engagement : m’attendrit à un degré mais lui promet fidélité.
« s’engagea », inexprimable. » DG ne peut désormais plus faire
« serments » appel à sa raison.
+ Hyperbole « m’attendrit L’attendrissement du héros
à un degré inexprimable » exprimé par une hyperbole est le
signe de sa défaite.
DD de DG L’extrait se conclut sur les paroles
« Chère Manon, lui dis-je, de DG au DD. Discours lucide des
Verbe « prévoir » + « je […] je vais perdre ma conséquences de son amour : la
lis ma destinée dans tes fortune et ma réputation perte matérielle d’abord : « sa
beaux yeux » pour toi ; je le prévois fortune » et morale : « ma
Proposition exclamative bien, je lis ma destinée réputation »
introduite par la conj de dans tes beaux yeux ; En effet, son père a assuré qu’ils
coord « mais » : « mais de mais de quelles pertes ne serait déshérité s’il quittait le
quelles pertes…ton serai-je pas consolé par séminaire.
amour ! » ton amour ! » Il s’est engagé à une vie
ecclésiastique, donc au célibat.
Il est conscient de l’issue tragique
de son choix.
L’exclamation exaltée précédée de
la conj de coord « mais » marque
le triomphe de la passion qui
rachète toutes les pertes.

 Introduction
Analyse linéaire : Histoire de Manon Lescaut et du Chevalier Des Grieux, L’abbé Prévost, 1731

De l’œuvre romanesque considérable de l’Abbé Prévost, les sept volumes des Mémoires d'un homme de
qualité (1728-1731) et les huit volumes de Monsieur de Cleveland (1731-1737), ressort un roman plus
court, publié à part dès 1757, La Véritable Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut. Ce
récit tire sa véracité d'abord du décalage temporel entre le moment des faits, la passion douloureuse
entre les deux personnages, et celui du récit que le chevalier fait après la mort de Manon à l'homme
de qualité.

Après sa rencontre avec Manon, le jeune Chevalier, alors âgé de dix-sept ans, a renoncé à entrer au
séminaire pour vivre sa passion avec elle, à Paris. Mais Manon, malgré son jeune âge, quinze ans, est
déjà une habile courtisane, et le trompe rapidement. Le père du Chevalier fait arrêter son fils, et lui
apprend la vérité. Le Chevalier, après deux ans de désespoir, décide de rejoindre le séminaire de Saint-
Sulpice, mais, à peine y est-il arrivé qu’une visite lui est annoncée.

Comment le récit pathétique de cette scène romanesque de retrouvailles met-il en évidence la fatalité
de l’amour ?

 CONCLUSION

Cette scène commence par un aveu, mais se transforme rapidement en une scène de séduction, terme
à prendre ici dans son sens étymologique, « se-ducere », soit conduire hors du droit chemin, donc
séparer des normes sociales et morales. Les armes de la séduction sont doubles : l’apparence physique,
la beauté, mais aussi la parole, ici les serments d’amour et de fidélité de Manon. Mais le récit laisse le
lecteur dans le doute : le repentir de Manon est-il sincère, éprouve-t-elle vraiment un tel amour pour
Des Grieux, ou bien espère-t-elle seulement tirer profit de sa faiblesse ?

L’abbé Prévost inscrit cette scène dans une tonalité pathétique, et même tragique à la fin du passage.
C’est la traduction d’une condamnation de la passion amoureuse, qui, par les désordres qu’elle
provoque, ne peut qu’être fatale : le code d’honneur familial, la force de son éducation, celle de sa foi,
ne sont d’aucun poids face à la puissance de l’amour. En même temps, nous retrouvons l’image biblique
de la femme, tantôt ange et consolatrice, tantôt, telle Ève, dangereuse tentatrice qui conduit l’homme
au péché.

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