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OBJET D’ÉTUDE : LE THÉÂTRE du XVII au XXIe

Parcours : THEATRE ET STRATAGEME


Explication de texte : Marivaux, Les Fausses confidences, Acte II, scène 13, 1737

Éléments d’introduction :
Auteur : Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, bien qu’il se soit essayé au journalisme et au roman (La Vie de Marianne, Le Paysan parvenu), accède à une
véritable reconnaissance littéraire avec ses comédies. A côté de quelques pièces qui remettent en question la société d’ordres de son temps (L’Île des esclaves), ce sont les
pièces qui s’attachent à l’expression et l’analyse du sentiment amoureux qui constituent la spécificité de son théâtre. (On nomme d’ailleurs le langage et l’analyse fine de la
naissance du le marivaudage.)
Œuvre : Les Fausses confidences est « une comédie en trois actes, en prose, représentée pour la première fois par les comédiens-italiens le samedi 16 mars 1737 ».
Elle met en scène un jeune homme désargenté et sans situation, Dorante, éperdument amoureux d’une riche jeune veuve, Araminte, et qui pour parvenir à ses fins va
s’introduire chez elle en tant qu’intendant. Aidé par son ancien serviteur qui est désormais au service d’Araminte, il va tenter de la séduire malgré sa situation peu
avantageuse, alors que dans le même temps, elle est courtisée par le Comte Dorimont (soutenu par la mère d’Araminte).
Passage : Araminte, déjà mise au courant par Dubois de la passion qui dévore Dorante, vient d’apprendre de la même bouche que la personne qui a peint son portrait
est son intendant. Dans cet extrait, elle est bien décidée à lui faire avouer ses sentiments, soi-disant pour avoir un motif pour le renvoyer. Ce faux prétexte va amener une
nouvelle « fausse confidence ». Elle le fait donc venir pour lui dicter une lettre : Dorante est chargé d’avertir son noble rival que son mariage est imminent.

Problématique : En quoi le piège mis en place par Araminte constitue-t-il une épreuve douloureuse pour les deux protagonistes qui l’amène à une prise de
conscience des propres sentiments ?

TEXTE ÉTUDE LINÉAIRE

Titre : Une stratégie cruelle destinée à faire avouer Dorante


DORANTE. – Madame, je ne trouve point de papier. • Dorante, désespéré par la situation, semble perdu
ARAMINTE, allant elle-même. – Vous n’en trouvez point ! En o A travers ses gestes et réactions physiques : il a l’esprit trop préoccupé pour trouver
voilà devant vous. du papier. Son trouble se lit également sur son visage ou son attitude, en effet,
DORANTE. – Il est vrai. Araminte l’indique dans l’aparté « Il souffre ».
ARAMINTE. – Écrivez. « Hâtez-vous de venir, monsieur ; votre o A travers ses paroles :
mariage est sûr… » Avez-vous écrit ? § ses premières répliques sont rapides, il avoue d’abord par une formule
DORANTE. – Comment, madame ? négative, qu’il est incapable de trouver du papier dans la pièce dans laquelle il se trouve, alors
ARAMINTE. – Vous ne m’écoutez donc pas ? « Votre mariage qu’Araminte s’en saisit aussitôt (didascalie « allant elle-même »), puis il ne peut que constater que
est sûr ; madame veut que je vous l’écrive, et vous attend pour les feuillets étaient à portée de mains : « Il est vrai » -> phrase très courte dont il est en réalité le
vous le dire. » (À part.) Il souffre, mais il ne dit mot ; est-ce qu’il destinataire.
ne parlera pas ? « N’attribuez point cette résolution à la crainte § Ensuite il est tellement choqué par la teneur de la lettre qu’on lui dicte,
que madame pourrait avoir des suites d’un procès douteux. » qu’il demande la confirmation dans une phrase interrogative : « Comment, madame ? ». Sa surprise
DORANTE. – Je vous ai assuré que vous le gagneriez, madame. est totale et le laisse désarmé, presque sans voix.
Douteux ! il ne l’est point. § et c’est surtout par ses silences qui sont mis en évidence dans les apartés
ARAMINTE. – N’importe, achevez. « Non, monsieur, je suis d’Araminte : « mais il ne dit mot ; est-ce qu’il ne parlera pas ? » que son trouble s’exprime le plus.
chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu’elle rend
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à votre mérite la détermine. » • Araminte prend un plaisir cruel à mettre en place le stratagème
o Elle affiche une détermination qui se concrétise par des prises de parole pleines
d’autorité -> emploi récurrent de l’impératif « Ecrivez », « N’importe, achevez » et
le champ lexical de la certitude « sûr », « deux fois », « résolution », « assurer »,
« détermine ». Elle maintient d’ailleurs l’écart hiérarchique entre elle et son
intendant : elle lui donne des ordres, lui obéit et lorsqu’il s’adresse à elle, il emploie
systématiquement le substantif « madame »
o Elle joue les fausses naïves et appuyant sur les défaillances de Dorante : incapable
de trouver du papier, incapable d’écrire ou de suivre la dictée -> emploi de phrases
interrogatives et exclamatives : « Vous n’en trouvez point ! » ; « Avez-vous
écrit ? », « Vous ne m’écoutez donc pas ? ». Elle sait parfaitement que l’annonce du
mariage le déstabilise et accentue sa souffrance en lui faisant remarquer qu’il n’est
pas apte à accomplir des tâches élémentaires afin de le pousser à parler.
o Non seulement, elle fait croire à Dorante qu’elle va épouser le comte Dorimont
mais en plus, elle tourne la lettre afin que celle-ci soit la plus cruelle possible :
§ Dorante est l’expéditeur officiel, il passe ainsi de la position de rival à celui
d’adjuvant : « Votre mariage est sûr ; madame veut que je vous l’écrive ».
La proposition « madame veut que je vous l’écrive » met en lumière la
puissance d’Araminte mais aussi son stratagème. Cette précision est
d’ailleurs reprise dans sa réplique suivante : « je suis chargé de sa part de
vous assurer que la seule justice qu’elle rend à votre mérite la détermine ».
Le jeu des pronoms et déterminant souligne le piège d’Araminite « je »,
« sa », « vous », elle prend plaisir à demander à Dorante de faire l’éloge du
comte tout en insistant sur son rôle de messager.
§ Elle lui donne les raisons qui l’auraient déterminée :
• Ce serait une juste récompense du caractère du comte -> « la seule
justice qu’elle rend à votre mérite la détermine » : l’adjectif
« seule » appuie sur les mérites personnels du comte
• Elle souhaite rassurer le comte à l’aide de plusieurs formules
négatives, ce mariage n’est pas un arrangement pour mettre fin à un
éventuel conflit (le comte revendique des terres à Araminte, un
mariage mettrait le bien en commun et un point final à ce conflit
financier)
• Dorante, choqué, n’avoue pas ses sentiments et piégé dans son rôle d’intendant tente
désespérément d’opposer à ce mariage. Il réagit violemment lorsqu’Araminte qualifie le
procès qui pourrait l’opposer au comte de « douteux » -> Mis en valeur de l’adjectif placé
en début de phrase et séparé du reste de la phrase par un point d’exclamation. Cette
construction de phrase traduit bien le trouble qu’il ressent.
• Cependant elle guette avec une certaine anxiété les preuves de l’amour de Dorante.
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o La cruauté dont fait preuve Araminte n‘a d’autre but que de pousser Dorante à se
déclarer, son empressement « Hâtez-vous », le rôle d’adjuvant, la détermination et à
sa grande surprise, il reste muet (aparté).
o Elle se voit contrainte d’en rajouter pour le pousser à réagir
§ Par l’évocation du procès
§ Comme Dorante réagit enfin mais uniquement sur le plan juridique, elle
poursuite avec l’éloge du comte.
Araminte se trouve à son tour dans une situation difficile, elle vient d’avouer de faux
sentiments pour un homme qui l’indiffère dans le seul but de faire avouer Dorante en le faisant
souffrir, soi-disant pour le limoger.
Titre : Le piège se referme sur Dorante et Araminte, mais fonctionne comme un révélateur de sentiments
DORANTE, à part. - Ciel ! Je suis perdu. (Haut.) Mais, madame, • Dorante panique
vous n’aviez aucune inclination pour lui. o Aparté révélateur : implore le ciel, exclamation et cri de désespoir. Cependant il ne
ARAMINTE. - Achevez, vous dis-je. « …qu’elle rend à votre révèle pas son amour.
mérite la détermine. » Je crois que la main vous tremble ; vous er

paraissez changé. Qu’est-ce que cela signifie ? Vous trouvez- o Après le 1 argument logique juridique qui n’a pas porté ses fruits, il essaye un
vous mal ? argument plus sentimental pour mettre Araminte face à ses contradictions :
DORANTE. - Je ne me trouve pas bien, madame. conjonction de coordination + emploi de l’imparfait -> incompréhension totale de
ARAMINTE. - Quoi ! si subitement ! cela est singulier. Pliez la Dorante qui exprime sa surprise.
lettre et mettez : « À Monsieur le comte Dorimont. » Vous direz o Une nouvelle fois, c’est le corps de Dorante qui le trahit : « [s]a main […]
à Dubois qu’il la lui porte. (À part.) Le cœur me bat ! Il n’y a pas tremble », sa physionomie est « changé[e] »
encore là de quoi le convaincre. o Toutefois, il reste maître de son discours : alors que ses mains et sa figure, il
DORANTE, à part. - Ne serait-ce point aussi pour m’éprouver ? concède éprouver un simple malaise à l’aide d’une litote : « Je ne me trouve pas
Dubois ne m’a averti de rien. bien, madame ».
• Araminte prise à son propre piège
o Ne sachant toutefois pas comment poursuivre sa lettre, elle détourne l’attention sur
les réactions physiques de Dorante : « la main vous tremble », « vous paraissez
changé », elle prend la peine de nuancer ses propos à l’aide de modalisateurs « je
crois », « paraissez » comme si elle ne guettait pas désespérément ces signes.
o Elle veut le contraindre à formuler lui-même ce qu’il ressent, elle le soumet alors à
un interrogatoire : « Qu’est-ce que cela signifie ? Vous trouvez-vous mal ? »
o Conserve son ton autoritaire mais l’exaspération la gagne -> impératif + formule
qui appuie son ordre : « Achevez, vous dis-je », « Pliez-la et mettez », « Vous direz
à Dubois » (le futur prend une valeur d’injonction). Face à son échec, elle coupe
court à la discussion -> phrase hachée, ponctuée par deux exclamations, vocabulaire
de l’étonnement, « Quoi ! si subitement ! cela est singulier » elle laisse entendre
qu’elle n’est pas dupe mais ne veut pas aller plus loin.

• Un éclair de lucidité ?
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§ Chez Araminte, cette lucidité s’exprime dans la prise de conscience qu’elle
aussi est très émue par la situation, l’aparté « Le cœur me bat ! » peut être
interprété de deux façons : la première est qu’elle exprime la tension de la
scène : elle a fait souffrir Dorante inutilement. La deuxième signification de
l’expression est plus sentimental, elle réalise que son « cœur bat », mais
er
sans en donner la raison : est-ce un 1 aveu de sentiment pour Dorante ?
§ Chez Dorante, là aussi, c’est l’aparté qui nous renseigne. Il envisage pour la
ère
1 fois qu’Araminte a pu se jouer de lui. La tournure interrogative souligne
son doute. La scène lui parait subitement étrange et l’adverbe « aussi »
suggère qu’Araminte poursuit plusieurs buts. Il semble cependant rejeter
cette hypothèse ou du moins il la nuance : « Dubois ne m’a averti de rien ».
Cette scène le laisse perdu : Araminte est-elle décidée à épouser le comte ?
la met-il à l’épreuve ? Dubois l’a-t-il trahi ?

Eléments de conclusion : Alors que depuis le début de la pièce, Araminte est victime d’un stratagème mis en place par Dubois et Dorante, elle tente de reprendre le dessus en
élaborant à son tour un piège pour contraindre Dorante à révéler ses sentiments. Mais cette « fausse confidence » ne fait que resserrer le piège sur Araminte: Dorante s’est
muré dans son silence sans parvenir à dissimuler la violence de ses sentiments et Araminte réalise qu’elle souffre à la fois de ce silence et de ses tourments. Comme souvent,
le déchirement intérieur prend place dans les apartés, les personnages se disent ce qu’ils ressentent, prennent conscience de la progression du sentiment amoureux.
Marivaux s’amuse du spectacle de l’amour naissant, les stratagèmes s’enchainent et conduisent les protagonistes à mettre à l’épreuve la sincérité de leurs sentiments. Pour ce
faire, il fait la part belle aux objets : boite, portrait, lettres…D’ailleurs, Dorante usera du même objet pour son ultime stratagème, il écrira une lettre annonçant son
embarquement prochain (acte III, scène 8) pour une destination inconnue, lettre qui tombera entre les mains d’Araminte, forcée alors de s’avouer et d’avouer ses sentiments
pour Dorante.

Ci-dessous les liens vers éduthèque et gallica

https://www.reseau-canope.fr/edutheque-theatre-en-acte/oeuvre/marivaux/les-fausses-confidences.html#scenes

https://www.reseau-canope.fr/edutheque-theatre-en-acte/pistes-
pedagogiques/auteur/marivaux.html?oid=29&ret=oeuvre&mid=&cHash=05173c523b2ef93322da0cdb91bd7502

https://gallica.bnf.fr/essentiels/marivaux/auteur-images

https://gallica.bnf.fr/essentiels/marivaux/marivaudage

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