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Séance 5 : Lecture linéaire 1

La peau de chagrin, Balzac

« Le pacte avec la peau de chagrin »

Objectifs : -Analyser le pacte maléfique

-Comprendre le destin funeste de Raphaël

La Peau de Chagrin, roman publié pour la première fois en 1831, est une
œuvre clé de La Comédie Humaine de Balzac (vaste fresque romanesque
composée de 90 romans), car l’auteur y expose sa philosophie de la vie. Pour
Balzac, chaque homme disposerait en effet d’un capital d’énergie que le désir et
la volonté entament. Dans ce roman, la peau de chagrin incarne ce capital
d’énergie vitale qui diminue à chaque manifestation de la volonté.

Entré dans un magasin d’antiquités alors qu’il songeait au suicide, Raphaël


de Valentin est subjugué par une Peau de chagrin à l’inscription mystérieuse :
elle exaucerait tous ses désirs en échange des jours de sa vie.
Le vieil antiquaire le met longuement en garde contre la folie de pouvoir et
vouloir tout, en vain. Dans l’extrait analysé, Raphaël accepte le pacte maléfique
avec le Talisman. Comment les désirs de Raphaël annoncent-ils déjà son destin
funeste ? Dans une première partie, nous verrons que Raphaël choisit une vie
d’excès et l’assume. Mais son rêve d’un destin de jouissance dans une seconde
partie agit, enfin, comme une prémonition funeste.

I. Raphaël affirme son choix (de « Eh ! bien, oui, je veux vivre avec
excès » à « où mon existence est désormais impossible »).

a) Des propos vains

-L’extrait s’ouvre sur une interjection (« Eh ! » l.1) qui coupe court à la mise en
garde du vieillard.
-L’assertion « je veux vivre avec excès » (l.1) indique que les propos du vieillard
ont été vains puisque Raphaël affirme sa volonté à la première personne (« je
veux » l.1).

b) Des personnages aux antipodes

-Le jeune homme affirme son choix par sa prise de parole mais aussi par son
geste, comme l’indique le gérondif « en saisissant la Peau de chagrin » (l.1-2). Les
deux personnages sont aux antipodes : le vieillard rappelle une dernière fois le
risque d’un tel choix par l’impératif « prenez garde » (l.3).
-Le complément circonstanciel de manière « avec une incroyable vivacité » (l.4)
tranche d’ailleurs avec son vénérable âge plus que centenaire.

c) Une dramatisation de la scène

-Cette vive réaction dramatise la scène et suggère l’importance de ce moment


crucial dans le roman.
-À la précaution et à la sagesse du vieillard s’oppose la fougue de Raphaël de
Valentin. L’explication de Raphaël arrive rapidement : à ses yeux, suivre « son
cerveau » comme le conseille le vieillard a été un échec. En effet, l’étude et la
pensée « ne m’ont même pas nourri » (l.5) affirme Raphaël.
-Cette personnification souligne implicitement la pauvreté qu’il connaît. L’emploi
du passé composé évoque une époque considérée par Raphaël comme révolue. -
Raphaël affirme ensuite son caractère par l’insistante répétition de « je veux »
(l.1) : après « je veux vivre avec excès » (l1), on peut relever « je ne veux être …
» (l.6), « je veux un dîner » (l.11), « je commande » (L.21) : il se positionne de
façon autoritaire, comme seul décideur du destin qu’il s’imagine. Le rythme
ternaire «ni d’une prédication digne de Swedenborg, ni de votre amulette
orientale, ni des charitables efforts » (l.7-8) montre l’emportement progressif
du personnage. Plus précisément, ce dernier affirme prendre ses distances avec
un prêche d’un prophète suédois, avec la Peau de chagrin qui est cantonnée à un
simple petit objet exotique par le terme « amulette » (l.7), et avec la mise en
garde du vieillard, mise ironiquement à distance comme de « charitables
efforts » (l.8).
-Avant d’entrer dans le magasin, Raphaël errait dans Paris pour se suicider. Son
désespoir est toujours lisible à travers l’expression « dans un monde où mon
existence est désormais impossible » (l.9-10).

II. Le rêve d’un destin de jouissance (de « Voyons ! ajouta-t-il en serrant


le talisman » à « peu m’importe ! »).

a) Un défi

-L’exclamation « Voyons ! » (l.10) lance un défi à la fois au talisman et au vieil


homme.

-Le complément circonstanciel de manière « en serrant le talisman d’une main


convulsive » (l.10-11) indique l’émotion de Raphaël. Le verbe « je veux » (l.11) est
suivi de deux compléments d’objet : le groupe nominal « un dîner royalement
splendide » (l.11-12) où l’adverbe « royalement » (l.11) connote déjà la folie des
grandeurs ; puis le groupe nominal « quelque bacchanale digne du siècle » (l.12)
qui rappelle les fêtes romaines antiques données en l’honneur du dieu du vin
Bacchus et où la démesure était de mise.

b) L’enthousiasme de Raphaël

-Puis l’enthousiasme de Raphaël grandit et est rythmé par l’emploi de phrases


exclamatives et par l’anaphore de la conjonction « que » : « Que mes convives
soient jeunes… ! » (l.13)
-Ces tournures exclamatives suivies de verbes au subjonctif sonnent comme des
vœux qui scellent définitivement le pacte avec la peau de chagrin, et rappellent
l’atmosphère des Milles et une Nuits, notamment l’histoire d’Aladdin et la lampe
merveilleuse.
-La soirée imaginée transpose d’ailleurs le rêve oriental à Paris. Raphaël évoque
successivement les mets, les participants, les vins, les femmes. Sous les yeux du
lecteur naît une scène presque orgiaque, où les courtisanes forme une sorte de «
sérail ».

c) Une vie à l’excès

-Les propos de Raphaël matérialisent sa vision d’une vie à l’excès, sans mesure,
comme le laisse transparaître la gradation « jeunes, spirituels et sans préjugés,
joyeux jusqu’à la folie ».(l.13-14)
-L’excès se trouve aussi dans la consommation de vins : l’usage des comparatifs
pour les définir, « plus incisifs, plus pétillants » (l.15), conduit au paroxysme «
nous enivrer pour trois jours !». (l.15-16) Cette orgie imaginée passe par la
présence de femmes « ardentes » (l.16) : l’adjectif est polysémique et peut
désigner la chaleur, le désir, la sensualité de ces femmes et l’intensité de la
soirée.
-Enfin, l’excès se traduit par le recours à une allégorie : la Débauche, elle-même
personnifiée en conducteur de quadrige (« son char à quatre chevaux »), « en
délire et rugissant » (l.17-18).

-L’imagination de Raphaël n’a pas de limite : comme la Débauche, elle conduit vers
« des plages inconnues » (l.19), « par-delà les bornes du monde » (l.18). Ces
indications relèvent de l’hybris grecque, c’est-à-dire ce goût orgueilleux de
l’homme pour la démesure, pour se hisser au niveau des Dieux.

-En effet, comme un Dieu, Raphaël en vient à imaginer le destin des âmes selon
une construction binaire : les unes montent « dans les cieux »(l.19) , les autres «
se plongent dans la boue »(l.20), comme un reflet moral des vies menées.
Certaines « s’élèvent », d’autres « s’abaissent »(l.20).
-Cette suite d’antithèses révèle une vision manichéenne du Paradis ou de
l’Enfer. Surtout, l’exclamation qui suit suggère que Paradis et Enfer se
confondent pour le jeune homme : « peu m’importe ! »(l.21). Les valeurs morales
n’ont plus de sens et s’inversent. Raphaël dévoile par là son cynisme et sa vision
de la vie : le plaisir des sens, la jouissance à tout prix sont les seuls mots
d’ordre, peu importe le prix à payer.

III. Une prémonition funeste (de « Donc je commande à ce pouvoir


sinistre » à « dernière étreinte pour en mourir »).

a) L’affirmation de sa volonté

-Le discours de Raphaël s’achève par une énième affirmation de sa volonté : «


Donc je commande à ce pouvoir sinistre » (l.21). On note une gradation entre le
verbe « vouloir » puis « commander ».
-Le complément d’objet est une périphrase qui désigne la Peau de chagrin.
L’adjectif « sinistre » confirme que le personnage principal a conscience des
conséquences de son choix.

b) Une mort certaine

-Seule prime sa jouissance toute-puissante : son souhait est « de [se]fondre


toutes les joies dans une joie » (l.22). Le champ lexical de l’union est renforcé
par les termes « embrasser » (l.22), « plaisirs du ciel et de la terre » (l.23), «
étreinte » (l.23). L’extrait se clôt sur un verbe significatif « mourir », qui, pour
le lecteur, prendra tout son sens à la fin du roman.

Raphaël saisit le pacte de la Peau de chagrin : il y voit l’opportunité


de ne plus vivre de façon indigente et de mettre à distance son mal de
vivre. Son assurance et sa volonté toute puissante sont mises en valeur dans
cet extrait, au point qu’il crée mentalement sa propre destinée. Faite
d’excès, de plaisirs des sens, elle apparaît comme la matérialisation d’une
vie de débauche, sans limite : le dîner rêvé aura lieu juste à la sortie du
magasin d’antiquités. Mais cette hybris du personnage principal a un prix
exorbitant : celui de sa vie.

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