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Phèdre, Racine, acte 5 scène 6 (la tirade de Théramène)

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Par Amélie Vioux

Voici un commentaire de l’acte 5 scène 6 de Phèdre de Jean Racine.

L’extrait étudié est la tirade de Théramène, de « A peine nous sortions des portes de
Trézène » jusqu’ à « Et que méconnaîtrait l’oeil même de son père ».

Pour une meilleure compréhension de l’œuvre, va voir ma fiche de lecture sur Phèdre de
Racine.

Introduction
Phèdre est une des tragédies les plus célèbres de Racine. La pièce évoque la passion
incestueuse de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte.

Phèdre, croyant son époux Thésée mort, a révélé son amour pour Hippolyte. Mais son
beau-fils repousse ses avances et le retour de Thésée conduit Phèdre à accuser
Hippolyte de lui avoir déclaré son amour.

A l’acte IV, scène 2 Thésée maudit son fils et demande à Neptune de le venger.

Dans l’acte V, scène 6, Théramène, un messager, rapporte à Thésée les circonstances


de la mort du jeune héros.

Questions possibles à l’oral de français sur l’acte 5 scène 6 de Phèdre :


♦ A travers cette scène 6 de l’acte 5, comment définiriez-vous le tragique ?
♦ Quels sont les différents registres dans cette scène et quels sont leurs effets ?
♦ Hippolyte est-il un héros épique ?

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♦ A quoi sert le merveilleux dans cette scène ?
♦ Qu’est-ce qui rend cette scène théâtrale ?

Annonce du plan :
Racine, à travers Théramène, crée un récit théâtral (I) pour mettre en valeur un héros
épique (II) qu’il enferme dans un univers tragique (III)

I – Un récit théâtral

A – Un récit pour sauvegarder les bienséances

La bienséance, une des règles du théâtre classique théorisée par Boileau, consiste à
ne montrer sur scène que ce qui est conforme à l’opinion publique. La bienséance
impose notamment de ne pas représenter sur scène des actes violents ou choquants.

Si elle avait été représentée, la scène 6 de l’acte 5 de Phèdre aurait heurté le bon goût
et la sensibilité des spectateurs du 17ème siècle.

Le récit de Théramène permet donc de raconter la mort d’Hippolyte sans la faire voir
mais en faisant appel à l’imagination du spectateur.

En effet, l’«effroyable cri», la «voix formidable», le «monstre sauvage» et ses


mouvements suggérés par le vers «Sa croupe de recourbe en replis tortueux», et enfin le
«généreux sang» d’Hippolyte sont autant d’épisodes impossibles à représenter sur une
scène du 17ème siècle car les règles de la tragédie classique bannissaient tout excès,
tout bruit excessif et tout mouvement.

La tirade de Théramène est donc une tirade narrative qui respecte les caractéristiques
traditionnelles du récit :

♦ Une situation initiale à l’imparfait qui couvre les 8 premiers vers;


♦ Le «cri effroyable» du monstre est l’élément modificateur.
♦ Suivent les péripéties : les mouvements du monstre, la fuite des Habitants de Trézène,
le combat d’Hippolyte qui blesse le monstre, la frayeur des chevaux, le corps d’Hippolyte
traîné par les chevaux.
♦ L’élément de résolution est le pardon d’Hippolyte
♦ La situation finale est sa mort.

B – La théâtralité du récit

Mais ce récit de Théramène a une profonde dimension théâtrale.

Le récit passe de l’imparfait «nous sortions», au passé composé («a troublé le repos»)
puis au présent de narration «répond en gémissant» ce qui accentue l’effet dramatique
en donnant l’impression que la scène devient actuelle et se déroule sous nos yeux.

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Cette dramatisation est accentuée par l’émotion de Théramène «Excusez ma douleur.
Cette image cruelle / Sera pour moi de pleurs une source éternelle» : en interrompant le
discours de Théramène, Racine met en scène la douleur du personnage comme s’il
revivait le spectacle de la mort d’Hippolyte.

II – Une scène épique

A – Un univers baroque et merveilleux

Racine, à travers le récit de Théramène, utilise une esthétique baroque qui plonge ses
personnages dans un univers surnaturel.

En littérature, le baroque se caractérise par des thèmes de prédilection ( l’instabilité des


choses, le mouvement, la métamorphose…) et une écriture foisonnante avec une
abondance d’hyperboles, de métaphores et un mélange des genres.

Or on assiste bien dans la scène 6 de l’acte 5 de Phèdre à une explosion des sens.

Tout d’abord, la vue est mise en valeur.

L’anaphore de «J’ai vu» , le champ lexical du regard ainsi que les déterminants
démonstratifs déictiques («ce cri redoutable», «cette image cruelle») mettent en valeur
la dimension visuelle de la scène : «à nos yeux», «voit», «on dit qu’on a vu même»,
«image», «j’ai vu», «il ouvre un œil», «l’œil même de son père».

De surcroît cette scène visuelle fait appel à l’ouïe par le champ lexical du son :
«silence» (au départ), «effroyable cri», «voix formidable», «gémissant», «ce cri
redoutable», «longs mugissements», «tomber en mugissant», «l’essieu crie», «sa voix
les effraie», «nos cris douloureux», «ce mot» (retour du silence).

En outre, tout est en mouvement comme le montre le champ lexical du mouvement :


«sorti du fond des flots », «hérissé», «S’élève», «se recourbe» «le monstre bondissant»,
«tomber», «se roule», «il tombe».

Ce champ lexical évolue car on passe d’un mouvement vertical ascendant à un


mouvement vertical descendant (le verbe «tombe» est évoqué deux fois) ce qui
accentue le mouvement chaotique du texte.

Mais le baroque se caractérise surtout dans ce récit par de nombreux mouvements


circulaires comme en témoigne le vers «Sa croupe se recourbe en replis tortueux» : le
verbe, le nom et l’adjectif suggèrent tous un mouvement circulaire qui semble ne jamais
s’arrêter.

De même, le chiasme syntaxique «Indomptable (A) taureau (B), dragon(B) impétueux


(A) » concrétise cette circularité qui gagne la syntaxe même du texte.

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Racine convoque les quatre éléments dans ce tourbillon universel – la terre, l’air, l’eau
et le feu :
«La terre s’en émeut, l’air en est infecte ; /
Le flot qui l’emporta recule épouvanté […]
Se roule et leur présente une gueule enflammée /
Qui les couvre de feu, de sang et de fumée ».

De plus, il utilise les topoi (lieux communs) du merveilleux : les métaphores de la mer
– «dos de la plaine liquide», «montagne humide» – montrent que les choses s’animent
dans un monde soumis à des lois surnaturelles.

Le champ lexical de la peur met en évidence ce monde hors norme : «effroyable»,


«formidable», «redoutable», «monstre furieux», «cornes menaçantes», «dragon»,
«trembler», «avec horreur», «épouvanté», «La frayeur les emporte», «désordre affreux».

Le dramaturge nous plonge dans l’univers merveilleux du mythe au sein duquel va


émerger le héros.

B – Un héros épique
Dans cet univers surnaturel et hostile, la grandeur du héros peut s’exprimer.

Hippolyte se caractérise d’abord par une lignée héroïque comme le montre le champ
lexical de la généalogie : «digne fils d’un héros», «l’intrépide Hippolyte», «généreux
sang», «mon sang». Le caractère héroïque est d’abord un héritage.

Par l’épithète homérique «l’intrépide Hippolyte», l’intrépidité et la noblesse sont


viscéralement attachées au personnage d’Hippolyte.

Cette noblesse apparaît à travers l’importance des chevaux dans le texte, symbole du
héros épique : «chevaux» et «coursiers». Le nom même d’Hippolyte contient le sème
cheval (hippos en grec).

Mais Racine met en scène la solitude de ce héros.

L’hyperbole «Tout fuit» oppose le monde extérieur, animé d’un mouvement centrifuge, et
le héros, qui reste seul sur scène :
«Tout fuit; et sans s’armer d’un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul digne fils d’un héros,
Arrête ses coursiers saisit ses javelots».

III – Une scène de tragédie classique

A – Un tableau pathétique

Au mouvement baroque succède un tableau pathétique d’une immobilité mortuaire.

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La couleur initiale de la scène, «jaunissante» se mue en la couleur rouge du «généreux
sang».

Le participe passé « teints » fait songer au peintre qui vient poser des touches de
couleurs sur un tableau :
« De son généreux sang la trace nous conduit.
Les rochers en sont teints; les ronces dégouttantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes. »

Or ce tableau rappelle les tableaux chrétiens de la Descente de croix, sujet courant


dans la peinture du 17ème siècle.

Descente de croix, Rubens (1614-1615)

Plusieurs indices permettent d’établir un parallèle


entre Hippolyte et le Christ :

♦ La couleur rouge dominante et la «plaie» font


songer au sang du christ;
♦ Les ronces assimilées aux cheveux rappellent la
couronne du christ;
♦ « l’œil mourant» et le « corps défiguré »
d’Hippolyte rappellent les descriptions du Christ
descendu de la croix.

A travers ce dénouement, Racine dresse donc un


tableau pathétique qui sert de morale aux
spectateurs du XVIIème siècle.

Car si l’inspiration de Phèdre est païenne (la


mythologie grecque), la pièce a des accents
chrétiens.

Hippolyte symbolise ainsi l’homme à la fois fils de Dieu et pécheur, fier et noble mais
aussi coupable et misérable.

La dimension janséniste de Racine (doctrine chrétienne qui considère que l’homme ne


peut pas être racheté du péché originel) ressort à travers ses personnages et cette
scène.

B – Le poids du destin tragique


Le récit de Théramène narre une épopée inversée : au lieu de mener à la gloire du
héros, le dénouement est marqué par la chute : «tombe», «il tombe embarrassé».

La répétition du verbe «tombe» à la troisième personne du singulier fait écho au nom


«tombe» qui met en valeur la dimension funèbre de cette scène.

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Le destin d’Hippolyte est bien marqué par la fatalité car la mort est inscrite dès le début
de la scène 6 : le héros est habité par une mélancolie profonde («pensif», «triste
pensée») qui le mue en personnage tragique rongé par un mal intérieur.

La fatalité est également inscrite dans le nom du héros : Hippolyte veut dire en grec
« les chevaux déliés, qui courent à bride abattue». Dès sa naissance, le héros était donc
promis une telle mort.

La fatalité transparaît aussi dans le thème de la circularité qui suggère l’absence


d’échappatoire.

La circularité tragique est par exemple exprimée par l’œil d’Hippolyte : «Il ouvre un œil
mourant qu’il referme soudain» ou à travers le rôle des chevaux qu’il a nourris et qui ont
causé sa mort : «Traîné par des chevaux que sa main a nourris».

Néanmoins, la porte du rachat reste entrouverte car Hippolyte émet juste avant sa mort
l’hypothèse d’une rédemption : «si mon père un jour désabusé» (détrompé).

Ces dernières paroles du héros entrent en résonance avec la morale janséniste de


l’époque : l’homme est condamné par Dieu mais une chance infime de rédemption
existe.

Phèdre, acte 5 scène 6, conclusion :


A travers cette scène 6 de l’acte 5 de Phèdre, Racine rappelle la condition de l’homme
dans une perspective janséniste.

L’héroïsme, la grandeur ne sont qu’une illusion et l’homme est soumis à une misère
inéluctable.

Ce récit est paradoxalement plus dramatique et plus tragique qu’une représentation.

Tu étudies Phèdre ? regarde aussi :


♦ Phèdre : résumé
♦ Phèdre, acte 1 scène 3 (analyse)
♦ Phèdre, acte 2 scène 5 (analyse)
♦ Phèdre, acte 5 scène 7 (analyse)
♦ Andromaque, acte 1 scène 4 (analyse)

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