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Le héros de La Peau de chagrin, une

victime ?

Introduction

[Accroche] Le diable est traditionnellement une figure de tentateur, auquel seuls peuvent résister
les saints et les âmes fortes. Dans La Peau de chagrin, Raphaël cède à la proposition,
véritablement diabolique, de l’antiquaire : accepter une peau de chagrin capable de réaliser tous
ses vœux mais réduisant sa vie à chaque souhait. Comme le suggère André Pieyre de
Mandiargues, « par l’effet du pacte ténébreux Raphaël est déchu au rôle de victime ». [Sujet
posé] La citation laisse entendre que le personnage de Balzac est la victime innocente, naïve
peut-être, d’un piège infernal tendu par l’antiquaire. Mais la personnalité du jeune homme n’est-
elle pas plus ambiguë que cela ? [Problématique] Quelle est la part de responsabilité de Raphaël
dans le malheur qui le frappe ? [Annonce du plan] Après avoir montré que l’antiquaire, figure
diabolique, a tout mis en œuvre pour piéger Raphaël, nous verrons que le jeune homme a eu tort
de ne pas écouter certains avertissements ; enfin, nous mettrons en évidence la dimension
autodestructrice du personnage, expliquant pour une bonne part sa déchéance.

I. Raphaël, victime d’un piège fatal

1. Un pacte avec le diable

Au moment où Raphaël entre dans le magasin de curiosités, il est désespéré, prêt au suicide :
totalement ruiné (il vient de dépenser ses dernières pièces dans une maison de jeu), il n’a pas
réussi à séduire Fœdora, dont il est tombé éperdument amoureux.

Dès lors, Raphaël apparaît fragilisé et influençable. Encombré d’objets associés au pouvoir, aux
plaisirs des temps passés, à la vie éternelle, le magasin d’antiquités suscite en lui une énergie
nouvelle et dangereuse, « une fièvre due peut-être à la faim qui rugissait dans ses entrailles ».

Tout est donc prêt pour l’entrée en scène de l’antiquaire, dont la description rappelle les figures
dominatrices du vampire et du diable (comme celui qui scelle un pacte avec Faust, dans la pièce
éponyme écrite par Goethe), deux figures du mal qui profitent de la vulnérabilité des êtres
humains pour s’approprier leur âme ou leur énergie vitale.

à noter
N’hésitez pas à faire des comparaisons pour enrichir votre propos. Ici, la situation de Raphaël
rappelle celle de Faust dans la pièce de Goethe. Faust est un jeune homme ambitieux, mais
désabusé et mélancolique, qui souffre de sa misère et songe au suicide ; c’est alors que le diable
lui apparaît.
2. Un engrenage inéluctable

Une fois que Raphaël a accepté le talisman, il est pris dans une spirale inéluctable où il dilapide,
sans s’en rendre compte, une réserve limitée d’énergie : à mesure que la peau de chagrin rétrécit,
il est précipité vers un dénouement fatal, contre lequel ni sa volonté ni la science ne peuvent rien.

à noter
Est inéluctable ce à quoi on ne parvient pas à échapper malgré ses efforts.

Synonymes : fatal, inexorable, implacable. Vous pouvez employer ces mots tout au long de la
première partie, pour insister sur l’impuissance de Raphaël.

C’est ce qu’illustre l’incompétence des experts consultés par Raphaël dans la troisième partie du
roman. Quel que soit leur domaine (zoologie, mécanique, chimie, médecine), aucun scientifique
ne parvient à enrayer le fatal rétrécissement de la peau de chagrin.

Même Pauline, seul personnage véritablement bienveillant du roman, échoue à aider l’homme
qu’elle aime. Elle participe même malgré elle à sa mort : en lui rendant visite, elle éveille en lui
un dernier désir qui provoque sa perte.

[Transition] Pour autant, Raphaël est-il une victime totalement naïve ? Ne convient-il pas de
nuancer le point de vue de Pieyre de Mandiargues ?

II. Un jeune homme aveugle et sourd aux avertissements

1. Les avertissements de l’antiquaire

De nombreux signaux d’alerte ont été donnés à Raphaël avant de prendre la peau de chagrin,
mais il a eu tort de ne pas y prêter attention.

En effet, tous les individus croisés dans le magasin auraient dû éveiller sa méfiance : un jeune
assistant aux cheveux roux (au Moyen Âge, la rousseur était associée au diable), une paysanne
comparée à une « espèce de Caliban femelle », et l’antiquaire lui-même, qui semble surgir de
l’obscurité comme le prince des ténèbres !

info
Personnage de La Tempête, de William Shakespeare, Caliban est une sorte de créature
monstrueuse au service du mage Prospero. Le terme « femelle » ajouté par Balzac la réduit à une
animalité inquiétante.

L’antiquaire a pourtant donné un avertissement explicite à Raphaël, en lui enseignant cette leçon
philosophique : pour vivre longtemps, il faut brider sa volonté et développer son savoir. Raphaël
restera sourd à ces conseils.
2. Un autre avertissement lors de la fête de Taillefer

La fête donnée par Taillefer (une autre figure diabolique) est une dépense effrénée d’énergie
durant laquelle les invités ne songent qu’à manger, boire et se séduire. Or, le lendemain matin, le
résultat de cette nuit de débauche est sinistrement explicite : les invités ressemblent à des
cadavres vivants.

Le message est clair : la dépense immodérée de l’énergie mène inexorablement à l’épuisement et


à une mort rapide. Raphaël n’en comprend pas l’avertissement, trop heureux de pouvoir réaliser
tous ses vœux.

Le piège à éviter
Ne racontez pas la fête en détail. De manière générale, veillez à ne jamais faire de résumé ;
conservez seulement les éléments de l’épisode qui servent à votre démonstration (ici, le
comportement des invités pendant la fête et le spectacle qu’ils offrent le lendemain).

Le destin de Raphaël rappelle celui de Dorian Gray du roman d’Oscar Wilde, Le Portrait de
Dorian Gray (1890) : persuadé qu’il peut impunément céder à tous les vices, Gray ne se rend pas
compte que l’enlaidissement de son portrait est un avertissement moral.

[Transition] Ainsi, au lieu de privilégier la prudence et la mesure, Raphaël a préféré s’aveugler :


on peut ainsi se demander si ce n’est pas son caractère même qui l’a mené à sa perte.

III. Une volonté autodestructrice

Le secret de fabrication
La troisième partie peut être un prolongement de la deuxième. Ici, la réflexion s’élargit : après
avoir montré les erreurs de Raphaël, on s’intéresse plus amplement à sa personnalité.

1. Une âme avide et frustrée

Balzac consacre de nombreuses pages à l’enfance de Raphaël, voulant ainsi donner au lecteur
des clefs précieuses pour mieux comprendre son caractère ardent, avide de réussite sociale et
amoureuse.

Il a vécu, en effet, une enfance corsetée par la pauvreté (son père noble a été ruiné par la
Révolution) et par le manque d’amour et de générosité, qui nourrit en lui une soif de conquête et
de reconnaissance.

à noter
L’image du corset (pièce de vêtement qui serre la taille) suggère à quel point Raphaël a été
étouffé par l’éducation austère et rigide de son père.
Raphaël rappelle ici Julien Sorel, héros du roman de Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830), jeune
homme rêveur maltraité par un père dont la brutalité fera naître, chez lui, une ambition
démesurée.

2. Une incapacité à maîtriser sa réserve d’énergie

Après une enfance aussi douloureuse, Raphaël veut jouir librement de l’existence et, à cette fin,
il renonce aux leçons de son père ou au modèle de sobriété que lui offre Pauline.

À cet égard, la rencontre avec Rastignac est très significative. Le jeune dandy devient un modèle
pour Raphaël, qui adopte son « Système dissipationnel ». Rastignac apparaît ainsi comme une
figure originelle de tentateur dont l’antiquaire sera le continuateur : rusé et manipulateur, il
développe facilement chez Raphaël le goût des dépenses immodérées.

L’incapacité à maîtriser son énergie se retrouve dans le geste final de Raphaël, dernière pulsion
de vie, cette morsure qu’il inflige à la poitrine de Pauline. Autodestructeur, Raphaël répand aussi
la destruction autour de lui.

Conclusion

[Synthèse] Loin d’être une victime passive et innocente, Raphaël joue donc un rôle essentiel
dans sa déchéance et ses malheurs. [Ouverture] Le roman fantastique de Balzac apparaît aussi
comme un conte philosophique qui nous interroge sur la question essentielle et complexe de la
responsabilité.

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