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Texte 6 : Autoportrait romantique

Quoique parent de personnes très-influentes et prodigues de leur protection pour des


étrangers, je n’avais ni parents ni protecteurs. Sans cesse arrêtée dans ses expansions,
mon âme s’était repliée sur elle-même : plein de franchise et de naturel, je devais
paraître froid, dissimulé ; le despotisme de mon père m’avait ôté toute confiance en
moi ; j’étais timide et gauche, je ne croyais pas que ma voix pût exercer le moindre
empire, je me déplaisais, je me trouvais laid, j’avais honte de mon regard. Malgré la
voix intérieure qui doit soutenir les hommes de talent dans leurs luttes, et qui me criait :
Courage ! marche ! malgré les révélations soudaines de ma puissance dans la solitude,
malgré l’espoir dont j’étais animé en comparant les ouvrages nouveaux admirés du
public à ceux qui voltigeaient dans ma pensée, je doutais de moi comme un enfant.
J’étais la proie d’une excessive ambition, je me croyais destiné à de grandes choses, et
me sentais dans le néant. J’avais besoin des hommes, et je me trouvais sans amis ; je
devais me frayer une route dans le monde, et j’y restais seul, moins craintif que honteux.
Pendant l’année où je fus jeté par mon père dans le tourbillon de la haute société, j’y
vins avec un cœur neuf, avec une âme fraîche. Comme tous les grands enfants, j’aspirai
secrètement à de belles amours. Je rencontrai parmi les jeunes gens de mon âge une
secte de fanfarons qui allaient tête levée, disant des riens, s’asseyant sans trembler près
des femmes qui me semblaient les plus imposantes, débitant des impertinences, mâchant
le bout de leurs cannes, minaudant, se prostituant à eux-mêmes les plus jolies personnes,
mettant ou prétendant avoir mis leurs têtes sur tous les oreillers, ayant l’air d’être au
refus du plaisir, considérant les plus vertueuses, les plus prudes comme de prise facile et
pouvant être conquises à la simple parole, au moindre geste hardi, par le premier regard
insolent ! Je te le déclare, en mon âme et conscience, la conquête du pouvoir ou d’une
grande renommée littéraire me paraissait un triomphe moins difficile à obtenir qu’un
succès auprès d’une femme de haut rang, jeune, spirituelle et gracieuse. Je trouvai donc
les troubles de mon cœur, mes sentiments, mes cultes en désaccord avec les maximes de
la société. J’avais de la hardiesse, mais dans l’âme seulement, et non dans les manières.
J’ai su plus tard que les femmes ne voulaient pas être mendiées. J’en ai beaucoup vu
que j’adorais de loin, auxquelles je livrais un cœur à toute épreuve, une âme à déchirer,
une énergie qui ne s’effrayait ni des sacrifices, ni des tortures ; elles appartenaient à des
sots dont je n’aurais pas voulu pour portiers. Combien de fois, muet, immobile, n’ai-je
pas admiré la femme de mes rêves, surgissant dans un bal ! Dévouant alors en pensée
mon existence à des caresses éternelles, j’imprimais toutes mes espérances en un regard,
et lui offrais dans mon extase un amour de jeune homme qui courait au-devant des
tromperies. En certains moments, j’aurais donné ma vie pour une seule nuit.

Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831.


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Questionnaire

1. Situez l’extrait • a) À quel moment du roman se situe cet extrait ?


b) À qui s’adresse alors Raphaël ?
c) Pourquoi prend-il le temps de revenir ainsi sur sa vie ?

2. Saisissez la dynamique du texte • Remettez dans le bon ordre et délimitez ligne par ligne
les trois moments suivants de l’extrait : des rêves d’ambition : un novice en amour, un
regard lucide sur soi

3. Portrait d’un orphelin • a) En quoi le parallélisme de construction permet-il dès la


première phrase d’insister sur la solitude de Raphaël ?
b) Le portrait que Raphaël construit de lui est-il physique, moral ou les deux ? Relevez les
expressions qui vous permettent de le dire et montrez l’ambiguïté possible de certains
mots.

b) Le portrait que Raphaël construit de lui est-il physique, moral ou les deux ? Relevez les
expressions qui vous permettent de le dire et montrez l’ambiguïté possible de certains
mots.
c) Quels sont les qualités et défauts que se donne le jeune homme ?

4. Une place en société • a) Quelles expressions montrent ici que l’ambition de Raphaël le
pousse à agir en même temps qu’elle le fait souffrir ?
b) Croit-il à un destin particulier le concernant ?
c) En quoi son « âme fraîche » détonne-t-elle avec la société qui l’entoure ?

5. Aimer à vingt ans • a) Quelle place prend la passion amoureuse par rapport aux autres
ambitions du jeune homme ?
b) Quel modèle d’attitude les autres jeunes gens lui offrent-ils ? Justifiez votre réponse en
étudiant précisément le vocabulaire et les figures de style employés.
c) En quoi illustrent-ils une société superficielle ?
6. Introduction • a) Rappelez en introduction pourquoi Raphaël peut être considéré
comme un personnage romantique.
b) Expliquez l’importance de la passion chez les romantiques et l’image qu’ils avaient de
la société.
7. Conclusion • a) Montrez que Raphaël se considère finalement ici comme une sorte de
victime et que la tâche qu’il s’est intimement fixée lui semble impossible à réaliser.

b) En guise d’ouverture, reliez ce portrait à la rencontre avec Fœdora et à l’acquisition de


la peau.
8. Expliquez la construction négative dans la phrase suivante : « Je n’avais ni parents ni
protecteurs. »
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Extrait 3 : Autoportrait romantique


1. Situez l’extrait • a) À quel moment du roman se situe cet extrait ?
Cet extrait se situe dans la deuxième partie du roman, intitulée « La femme sans cœur », où, au
cours du banquet chez Taillefer, Raphaël revient, à la première personne, sur son passé. Plus
précisément, il vient d’entreprendre ce récit et d’évoquer les rapports qu’il a entretenus avec son
père jusqu’à sa mort. Orphelin et seul en société, il en vient à se présenter.
b) À qui s’adresse alors Raphaël ?
Raphaël s’adresse à l’un de ses amis, Émile (dont on ignore dans le roman le nom, mais qui
s’apparente à Émile Blondet, qui sera un personnage récurrent de La Comédie humaine). Un
rapide portrait est fait de celui-ci page 77. Même s’il ne l’écoute que d’une oreille, sans le
prendre véritablement au sérieux, il sert ici de confident à Raphaël.
c) Pourquoi prend-il le temps de revenir ainsi sur sa vie ?
La deuxième partie du roman se présente comme une vaste introspection de Raphaël pour se
comprendre et pour expliquer (à son ami, au lecteur, mais aussi en quelque sorte à lui-même)
comment il en est venu à vouloir mettre fin à ses jours. Dans la chronologie du roman, cette
deuxième partie (dont notre passage) se situe majoritairement avant la preuve que la peau a bel
et bien le pouvoir de changer la destinée de Raphaël : cette introspection précède donc
logiquement le bouleversement que celui-ci va connaître. Il doit d’abord revenir sur la vie
difficile qu’il a menée jusque-là pour ensuite justifier son envie de jouir de tous les plaisirs que
la peau va enfin lui accorder.
2. Saisissez la dynamique du texte • Remettez dans le bon ordre et délimitez ligne par ligne
les trois moments suivants de l’extrait : des rêves d’ambition : un novice en amour, un
regard lucide sur soi
Dans le bon ordre :

 un regard lucide sur soi (l. …) ;


 des rêves d’ambition (l. …..) ;
 un novice en amour (l. …….).
3. Portrait d’un orphelin • a) En quoi le parallélisme de construction permet-il dès la
première phrase d’insister sur la solitude de Raphaël ?
Le parallélisme de construction (« parent de personnes très influentes et prodigues de leur
protection » / « ni parents ni protecteurs », l……) est une figure d’insistance qui permet
d’insister de façon évidente sur le dénuement social de Raphaël : après la mort de son père,
celui-ci se retrouve bel et bien seul en société.
b) Le portrait que Raphaël construit de lui est-il physique, moral ou les deux ? Relevez les
expressions qui vous permettent de le dire et montrez l’ambiguïté possible de certains
mots.
Le portrait brossé par Raphaël est à la fois physique et moral, puisque c’est tout son être qu’il
dévoile à son ami. Ainsi, si des termes renvoient sans aucun doute à la psychologie du
personnage (« âme », « franchise », « froid », « dissimulé », « confiance », « timide »), on en
trouve d’autres pouvant avoir un sens aussi bien concret que métaphorique (« gauche », « laid »,
« regard », « voix »). Assurément, l’un s’accorde avec l’autre : si Raphaël doute de ses vertus
vis-à-vis de la société, il doute aussi de son allure en public.
c) Quels sont les qualités et défauts que se donne le jeune homme ?
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Les qualités : franchise et naturel, espoir.


Les défauts : apparence de froideur et de dissimulation, manque de confiance, laideur, honte.
De façon subjective, les défauts semblent l’emporter dans le regard que Raphaël porte sur lui-
même.
On relèvera néanmoins l’ambiguïté entre ces défauts et ces qualités, dès à présent et plus encore
dans la suite du roman (qui relate en fait des événements dont Raphaël a déjà connaissance au
moment où il parle à Émile) : la franchise peut par exemple lui être préjudiciable dans la société
du paraître telle que la dépeint Balzac ; la froideur et la dissimulation ne sont à l’inverse
qu’apparence (« je devais paraître »).
4. Une place en société • a) Quelles expressions montrent ici que l’ambition de Raphaël le
pousse à agir en même temps qu’elle le fait souffrir ?
La suite du passage développe une série d’antithèses qui montrent le tiraillement de Raphaël. La
répétition de la préposition « malgré » permet de confronter ses rêves d’ambition à la réalité de
sa situation sociale. Le rythme ternaire (l. ) permet aussi de terminer la phrase sur une chute et
d’opposer les rêves de Raphaël à la situation où il se trouve. Dans les trois phrases aux lignes
…., la conjonction de coordination « et » prend ainsi une valeur d’opposition pour mettre en
valeur les contrastes entre ce qu’il veut réaliser et ce qu’il parvient à faire en réalité. Ses rêves le
font souffrir dans la mesure où il n’en est pas tout à fait le maître mais apparaît plutôt passif face
à leur réalisation (« une voix [...] me criait », « j’étais la proie d’une excessive ambition »,
« j’étais animé », « j’avais besoin »).
b) Croit-il à un destin particulier le concernant ?
Comme nombre de personnages romantiques, Raphaël se pense appelé à un destin particulier
(« je me croyais destiné à de grandes choses », l. ….). Ainsi s’interprètent aussi la passivité –
déjà relevée – dont il fait preuve face aux événements (il se pense l’objet d’un destin qui le
dépasse) et l’emploi du verbe « devoir » (l. … et ….).
c) En quoi son « âme fraîche » détonne-t-elle avec la société qui l’entoure ?
L’« âme fraîche », le cœur innocent de Raphaël (l. ….) détonnent avec la société hypocrite dans
laquelle il entend se faire une place. C’est la faiblesse des personnages romantiques qui ont
abordé avec une forme de naïveté une société cynique dans laquelle ils ont souvent connu des
désillusions. Ils ne peuvent que s’apparenter à des proies ou à des enfants (l. … et …). Raphaël,
à ce titre, n’y échappera pas, comme le montrera sa passion ultérieure pour Fœdora.
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5. Aimer à vingt ans • a) Quelle place prend la passion amoureuse par rapport aux autres
ambitions du jeune homme ?
La passion amoureuse est tout aussi importante, sinon plus, aux yeux de Raphaël : c’est
d’ailleurs elle plus que ses autres ambitions qui le poussera à tenter de mettre fin à ses jours. Les
aspirations du jeune homme sont, à ce sujet, particulièrement développées à la fin de l’extrait.
b) Quel modèle d’attitude les autres jeunes gens lui offrent-ils ? Justifiez votre réponse en
étudiant précisément le vocabulaire et les figures de style employés.
Raphaël observe les autres jeunes gens autour de lui et énumère leurs attitudes faites de
crânerie, de badinage et de superficialité (l. ….-….). Le champ lexical de la prétention est
particulièrement présent : « fanfarons », « sans trembler », « impertinence », « prétendant »,
« hardi », « insolent ». Cette attitude, également marquée par l’hyperbole, renvoie à des jeux de
galanterie savamment travaillés envers la gent féminine. C’est fort de cet exemple que Raphaël
va se lancer dans le monde, mais il trouvera plus fort que lui et que tous les jeunes gens qui lui
servent de modèle : Fœdora.
c) En quoi illustrent-ils une société superficielle ?
L’attitude de ces jeunes gens apparaît superficielle et fausse : elle désigne des paroles
(« prétendre ») ou des apparences (« minauder », « avoir l’air », « gestes », « regard »). Les
jeunes gens ne sont que des « fanfarons » (l. …), des insolents (l. ….) : la réalité de leurs
amours est sans doute différente.
6. Introduction • a) Rappelez en introduction pourquoi Raphaël peut être considéré
comme un personnage romantique.
Raphaël apparaît comme un personnage romantique archétypal dans la mesure où il est seul aux
prises avec la société et où il est, face à elle, un être de passion, dévoré d’ambitions sociales ou
amoureuses. Ses rêves s’accompagnent d’une idéalisation naïve.
b) Expliquez l’importance de la passion chez les romantiques et l’image qu’ils avaient de
la société.
Les romantiques se considéraient en opposition avec la société. Habités de rêves et de passions
idéalistes, ils ne se reconnaissaient que difficilement dans le réalisme et le cynisme qui les
entouraient et se percevaient comme des êtres isolés, incompris, voire martyrs.
7. Conclusion • a) Montrez que Raphaël se considère finalement ici comme une sorte de
victime et que la tâche qu’il s’est intimement fixée lui semble impossible à réaliser.
Dans le portrait qu’il dresse de lui-même, Raphaël est donc à la fois positif et négatif. Il se sent
appelé à de grandes et belles réalisations, mais sait que les obstacles seront nombreux sur sa
route. Tout en ayant un regard lucide sur ses travers et ses faiblesses, il préfère se présenter plus
encore comme victime des autres pour expliquer ses échecs à venir.
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b) En guise d’ouverture, reliez ce portrait à la rencontre avec Fœdora et à l’acquisition de


la peau.
Raphaël, auprès de Fœdora, sera partagé entre le modèle superficiel des jeunes gens qu’il voit
autour de lui et l’aspiration à une passion plus sincère et réelle : la façon dont il préfère d’abord
Fœdora à Pauline (dont il soupçonne pourtant les sentiments) le prouve. Après l’acquisition de
la peau, il hésitera d’ailleurs entre une vie faite de plaisirs légers et la passion véritable.
8. Expliquez la construction négative dans la phrase suivante : « Je n’avais ni parents ni
protecteurs. »
Il s’agit d’une négation syntaxique, donc d’une forme de phrase. Elle est exprimée par
l’adverbe de négation « ne », qui précède le verbe conjugué, et la conjonction de
coordination « ni », qui précède les éléments niés. C’est une négation totale, qui porte sur
l’ensemble de l’énoncé.

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