Vous êtes sur la page 1sur 8

FSE 1/7 Jacques Blandenier

Le ministère de Jésus : paraboles et miracles


LES PARABOLES DE JÉSUS
« Les paraboles de Jésus ne sont pas des moyens de démonstration, mais des moyens de révélation. » (A.
Nygren).
Jésus a beaucoup enseigné au moyen de paraboles, et ces histoires toutes simples et prises sur le vif
ont un accent d'authenticité saisissant.
Au travers d'elles, on prend conscience que Jésus était un homme de la campagne, familier des
coutumes du monde rural, attentif aux événements et aux problèmes de ses contemporains, observateur de la
vie de la nature, parfaitement au courant des mœurs réglant les relations dans le monde du commerce et du
travail. Pour connaître ce qu'était la vie quotidienne en Israël au premier siècle, elles sont une mine de
renseignements inépuisable et très sûre.
Mais en un sens, cela fait problème ! En effet, à l’ouïe des paraboles, les contemporains de Jésus le
sentaient très proche d'eux. Or nous, nous en sommes culturellement fort éloignés, vivant deux mille ans plus
tard dans un univers complètement différent, du moins en Occident. Ouvriers agricoles, bergers, pêcheurs,
employés de maison devaient vibrer bien plus que nous en entendant ces récits dont certains détails nous
échappent1. Ainsi par exemple, la parabole du serviteur impitoyable (par commodité, nous gardons les titres
habituels des paraboles bien qu’ils soient souvent mal choisis), en Mt 18.1-35 prend une force particulière
lorsqu’on apprend que les 10 000 talents de la dette dont le premier serviteur se voit soulagé équivalent à 100
millions de deniers, et qu’il refuse ensuite de remettre une dette de 100 deniers ! Caricature qui montre le
scandale de nos refus de pardonner après avoir été graciés par Dieu. Autre exemple. Le semeur de Mt 13.4
nous paraît peut-être maladroit car il gaspille son grain sur le chemin et dans les ronces. Mais on ignore
qu’en Palestine on semait avant les labours, dans des champs que chacun avait la permission de traverser
avant qu’il soit labouré, y traçant des sentiers que la charrue fera disparaître.
On suppose que dans certains cas, Jésus a saisi au vol un événement connu de ses auditeurs. Peut-
être la parabole du bon Samaritain, ou celle de l’intendant malhonnête, s’inspirent-elles de faits divers. Dans
la parabole des mines (Lc 19.12,14,17), on reconnaît des allusions à un événement historique précis survenu
en l'an 4 av. J.-C. : Archélaüs était allé à Rome pour faire valider par l'empereur sa prétention au pouvoir sur
la Judée. Simultanément, une cinquantaine d'opposants firent le même voyage pour contrecarrer ce projet. A
son retour, intronisé, Archélaüs se vengea impitoyablement.
Pourtant, malgré l'éloignement culturel, les paraboles nous parlent directement. Car, au-delà de
l'anecdote, elles expriment une réalité permanente et universelle. Elles sont Parole de Dieu vivante pour
nous.
Une remarque qui ne concerne pas uniquement les paraboles : le langage utilisé par Jésus est souvent
très imagé, et même exagéré ou caricaturé pour créer une réaction, voire un choc chez ses auditeurs : ainsi
une poutre dans un œil, le trou d’une aiguille à travers lequel doit passer un chameau, haïr les siens, se
couper le bras ou s’arracher l’œil, savoir que tous les cheveux de notre tête sont comptés… Se lancer dans de
grandes explications pour justifier le sens littéral de ces exagérations est une démarche vaine et
culturellement inadéquate !

Qu'est-ce au juste qu'une parabole ?


« Dans son état le plus simple, la parabole est une métaphore ou une comparaison tirée de la nature ou de la
vie courante, qui frappe l'auditeur par son caractère vivant ou étrange, et dont l’application exacte sème dans
l’esprit un doute suffisant pour inciter à une pensée personnelle et active2. » Formé par une démarche de
pensée scientifique et évoluant dans un monde façonné par la technique, notre esprit occidental est assez
étranger au langage imagé, une façon de parler typiquement orientale. L'Ancien Testament est riche en
paraboles, chez les prophètes en particulier (la plus célèbre étant 2 S 12, "la brebis du pauvre", adressée par
Nathan à David), mais aussi chez les "sages" du livre des Proverbes. Les rabbis du temps de Jésus avaient
recours à cette forme d'enseignement3, de même que l'apôtre Paul, lui pourtant si "intellectuel" ! (Rm
1
Particulièrement utile pour expliciter ce contexte social des paraboles : J. Jeremias, Les paraboles de Jésus, coll. Livre de
Vie, 85-86, éd. Mappus, Le Puy, 1962.
2
Ch.H. Dodd, Les paraboles du royaume de Dieu – Déjà ou pas encore ? éd. Seuil, Paris, 1977, p.19.
3
Voici l’exemple d’une parabole de Yohanan ben Zakkaï, contemporain des évangélistes (citée par Daniel Marguerat, in Le Dieu des
1
11.17s ; 1 Co 12.12s, etc.).
Si on prend le terme dans son sens le plus extensif, on peut dire que les paraboles de Jésus sont
innombrables. Le terme grec parabolè traduit l’hébreu mashal qui peut signifier : parabole, comparaison,
allégorie, fable, proverbe, exemple-type, et même jeu de mots. Jésus a eu recours à presque toutes ces formes
de langage. Quand il dit « Je suis le chemin », « Je suis le cep et vous les sarments », etc., ce sont des
mashal. De même quand il invite à regarder les lys des champs et les oiseaux du ciel. Méfiez-vous du levain
des pharisiens ; si un aveugle conduit un aveugle, tous deux tombent dans un puits ; les sépulcres blanchis, la
paille et la poutre, c’est avoir recours à un langage parabolique. Dans ce sens, on trouve facilement une
quinzaine de mashal rien que dans le Sermon sur la montagne.
Mais dans un sens plus étroit – qui est celui que nous donnons habituellement au terme parabole – la
parabole est un récit figuré, relatant un événement (il se passe quelque chose), imaginé ou réel. Dans ce sens,
on peut recenser un peu plus de trente paraboles dans les synoptiques. On compte dix paraboles propres à
l’évangile de Matthieu (débutant souvent par : « Le Royaume des cieux est semblable à… »), une à Marc
seul, seize à Luc seul, quatre se trouvent dans deux évangiles et trois dans chacun des trois synoptiques.
Certains de ces récits sont très brefs, des flashes de un ou deux versets (ex. Mt 13.44-46 ; Lc 15.4-9).
D’autres constituent un récit beaucoup plus élaboré avec plusieurs personnages et une action qui se
développe (ex. le fils prodigue, les méchants vignerons). Ces derniers récits pourraient presque s’appeler des
nouvelles ou des contes. Quoique le mot conte soit mal choisi parce qu’il évoque plutôt un univers
fantasmagorique, irréel, où les animaux parlent, ou le prodige est monnaie courante. Rien de tel dans les
paraboles de Jésus. Leur force tient à leur réalisme, proche de la vie quotidienne. Même si, la plupart du
temps, elles présentent un détail insolite, qui est justement le point à partir duquel l’auditeur doit se mettre à
réfléchir.

Les paraboles, pourquoi, et pour qui ?


Si Jésus emprunte ce mode de langage typiquement oriental, est-ce simplement pour s'adapter aux coutumes
ambiantes ? Tente-t-il d’"accrocher" l’intérêt d’un public distrait, de faciliter la compréhension à des gens
incultes ? Il est incontestable qu'un parler imagé et concret a beaucoup plus de chance de provoquer la
curiosité et l’intérêt d’un auditoire moyen qu'un exposé théorique. Or il est évident que Jésus a su capter
l’attention des gens du peuple. Une remarque s'impose pourtant. Lorsqu'on a recours à une illustration pour
comparer ou expliquer, on énonce la vérité "obscure" que la comparaison va éclairer. La parabole vient alors
en appui, et rend accessible l'affirmation importante. Or dans les évangiles, la réalité que la parabole veut
imager n'est pas explicitée. A nous de la trouver !
Dès lors, il faut faire face à une parole étonnante de Jésus, relatée par les trois évangélistes, bien que
sous des formes un peu différentes : « Ceux qui l'entouraient, avec les Douze, se mirent à l'interroger sur les
paraboles. Il leur disait : A vous, le mystère du règne de Dieu a été donné, mais pour ceux du dehors, tout
arrive en paraboles, de sorte que, tout en regardant bien, ils ne voient rien, et que, tout en entendant bien, ils
ne comprennent rien, de peur qu'ils ne fassent demi-tour et qu'il ne leur soit pardonné. » (Mc 4.10-12 – les
italiques sont une citation d’Es 6.9s – cf. aussi les v. 33-34, ainsi que Lc 8.10 ; Mt 13.10-17).
Problème difficile à résoudre ! « A lire honnêtement les évangiles, on doit reconnaître que Jésus
désirait être compris de tout le monde et donc qu'il n'a pas cherché à voiler son enseignement sous des
formes inintelligibles. » (Dodd). Non, décidément, Jésus ne s'est pas ingénié à user d'un langage codé, à la
manière des apocalypticiens de son temps, pour n'être compris que des "initiés". Beaucoup de paraboles
étaient adressées à la foule, voire directement à ses adversaires, et Jésus leur parle afin – et non de peur –
qu’ils comprennent ! C'est bien ce qui s'est produit, selon Matthieu 21.45 par exemple, où nous lisons :
"Après avoir entendu ses paraboles, les grands prêtres et les pharisiens comprirent que c'était d'eux qu’il
parlait." Les trois paraboles de Luc 15 (brebis, drachme et fils perdus) interpellent volontairement et
explicitement les pharisiens scandalisés de le voir fréquenter des « perdus ». On ne peut donc pas ranger
toutes les paraboles dans la même catégorie mentionnée en Mc 4.10-12 et parallèles que nous venons de
mentionner.
Par contre, les paraboles de Matthieu 13 (entre autres), évoquant le Royaume comme une réalité
cachée mais mystérieusement puissante pour renouveler toutes choses – déjà à l’œuvre même si le monde ne

premiers chrétiens, éd. Labor & Fides, Genève, 1990, p. 17) : « Parabole d’un roi qui invita ses serviteurs à un banquet, mais sans
leur fixer un temps précis. Les sages parmi eux s’habillèrent et s’assirent à l’entrée du palais, disant : manque-t-il quelque chose dans
la maison du roi ? Les insensés parmi eux allèrent à leur travail en disant : Y a-t-il un banquet sans longue préparation ? Soudain, le
roi fit appeler ses serviteurs. Les sages se présentèrent devant lui comme ils étaient, bien habillés, et les insensés comme ils étaient –
sales ! Le roi se réjouit à la vue des sages et s’emporta contre les insensés. Il dit : Ceux qui sont habillés pour le banquet, qu’ils
s’assoient, qu’ils mangent et qu’ils boivent ; mais ceux qui ne se sont pas préparés pour le banquet, qu’ils restent debout et
regardent ! » (Mishna, traité Shabbat, 153a)
2
le perçoit pas – s'adressent aux disciples, et non à la foule indifférente, avide de se trouver un messie à la
mesure de ses aspirations charnelles. Elles parlent d’un Royaume paradoxal, dont la description était peu
propice à attirer les foules. Il y a effectivement un mystère du Royaume (c’est-à-dire qui ne découle pas
d’une observation ou d’une réflexion humaine, mais d’une révélation offerte à la foi).
Faut-il alors partager les paraboles en deux catégories : les paraboles d’"accrochage"et les paraboles
à usage interne qui seules seraient concernées par la troublante parole de Mc 4 ? Ce serait trop simplifier le
problème. Il est préférable de reconnaître que toute parabole est un récit que certains se contenteront
d’écouter comme une petite histoire touchante ou dramatique, sans approfondir ni se sentir interpellé
personnellement. Mais aussi toute parabole est destinée à déclencher une prise de conscience chez ceux qui
le veulent bien, une prise de conscience qui va les mener plus loin. Le profit qu’on tire d’une parabole est
toujours proportionnel au travail de réflexion et de remise en question qu’on est prêt à fournir. Avec la
parabole, plus encore qu’avec n’importe quel autre texte biblique, la superficialité et le refus de se laisser
prendre à partie condamne à repartir les mains vides. On pourrait aujourd’hui faire plus ou moins la même
remarque avec les cantates de Bach, les Gospels ou toute autre musique chrétienne : certains se contentent de
goûter une musique dont la tonalité ou le rythme leur plait, alors que d’autres y découvrent un message qui
les touche au plus profond de leur conscience. La parole de s. Augustin s’applique particulièrement aux
paraboles : « Crois pour comprendre ».
Le pasteur Alphonse Maillot apporte une utile clarification à cette question : « Ecartons le contresens
habituel et si néfaste selon lequel les paraboles sont des messages simplifiés du Christ, des paroles pour (...)
sous-développés spirituels. Marc 4.10 est péremptoire : la parabole est difficile, en tout cas inattendue. Son
vrai sens est réservé, non pas à l'intellectuel, mais au croyant. La parabole dissimule plus qu'elle ne révèle.
Plus exactement, d'abord elle dissimule la Parole de Dieu, pour mieux la révéler ensuite. Certes par elle Jésus
entend nous faire aller plus avant dans le mystère du Royaume de Dieu. Mais ce mystère est justement celui
qui est caché à l'homme naturel, fût-il le plus grand des philosophes et le plus avisé des savants. (...) Lorsque
Jésus a voulu nous faire entrer le plus loin possible dans le mystère de Dieu et le mystère de l'homme, il a
employé la parabole. Dans le fond, il ne connaît guère d'autre genre théologique que celui-ci. Alors que nous,
nous faisons de gros livres, employons des mots compliqués avec des phrases obscures, Jésus, quand il
faisait de la théologie, se contentait de nous raconter une histoire fort banale, mais infiniment plus riche que
nos livres les plus savants et les plus pesants. Si les paraboles sont "difficiles", c'est qu'elles vont séparer, non
pas les doués des imbéciles, mais les croyants des incroyants. Ce ne sont pas les plus malins qui vont
comprendre, mais les plus confiants4. »
Quant à la phrase très dure : « De peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné » elle
reste difficile et ce n’est pas en essayant d’en atténuer le sens en remplaçant "de peur que " par un terme plus
gentil qu’on va résoudre le problème ! Faut-il y voir une allusion au fait qu’Israël devait, selon le plan de
Dieu, rejeter son Messie, et que par conséquent Jésus a fait en sorte qu’ils ne se convertissent pas ? Pour ma
part, j’écarte cette hypothèse, incompatible avec trop de passages des Evangiles (à commencer par les larmes
de Jésus devant Jérusalem endurcie). N’est-ce pas plutôt parce que Jésus ne veut pas de conversion au rabais,
simple adhésion à la prédication éloquente d’un rabbi messianique décrivant le monde merveilleux et
séduisant que serait le Royaume de Dieu (ou les bénédictions et la prospérité terrestre que procurerait
l’Evangile…) – et cela sans un « cœur brisé et contrit » (Ps 51), sans obéissance ni intelligence renouvelée.
Cette parole, en tout cas, nous met en garde contre une forme de publicité démagogique pour la conversion,
motivée par l’attrait de statistiques flatteuses. Ainsi, même si elle reste déroutante, elle nous rend attentifs au
fait que l’homme naturel est retors, et qu’il parvient à s’emparer de la Parole de Dieu pour en faire un moyen
d’échapper à Dieu. Ce fut, dans l’histoire d’Israël, le cas de la loi, des sacrifices, de la royauté.
La parabole parle du Royaume, du Dieu du Royaume, de l’éthique du Royaume. Or le Royaume
n'est pas de ce monde. Ce qui ne veut pas dire qu’il est d'ailleurs, à l’horizon lointain ! Mais qu’il est
nouveau, autre. Paradoxal pour notre monde dénaturé. Ainsi, la parabole doit étonner. Elle n'est pas une
comparaison qui rendrait crédible une vérité invisible en montrant sa ressemblance avec une réalité visible
analogue. Au contraire ! Plutôt que comparaison, elle est métaphore. Elle remplace un élément par un autre
pour créer une dissonance, pour provoquer un choc qui oblige à regarder plus loin. La parabole n'argumente
pas, elle n'est pas démonstration logique. Elle est "image fracturée" qui nous fait regarder le monde
autrement. Ainsi la parabole ne fait pas appel au bon sens, au sens commun ; elle ne nous transporte pas non
plus dans le monde de l'apocalyptique qui dévoile l'au-delà au moyen du langage symbolique. Elle inscrit
dans ce monde le changement que provoque la proximité (cachée) du Royaume. En cela, Jésus est la
parabole par excellence5 !

4
Les Paraboles de Jésus aujourd’hui, Labor & Fides, Genève, 1973, p. 10s.
5
Ce paragraphe s’inspire de Marguerat, op. cit., p. 26-30.
3
Interprétation des paraboles
Sans entrer dans les détails, signalons qu’à part quelques cas (comme la parabole des quatre terrains, ou celle
de l’ivraie, interprétées par Jésus lui-même, Mt 13.1-9, 18-23 ; 24-30, 36-43), les paraboles ne sont pas des
allégories, où chaque élément a un sens en lui-même qui doit être décodé, transposé. (pour illustrer ce qu’est
une allégorie, on peut citer Ep 6.13-17, l’armure du chrétien selon l’apôtre Paul, ou les figures de Sara et
d’Agar, d’Isaac et Ismaël, dans Galates 4.21-30).
Interpréter les paraboles selon une méthode allégorique révèle plus l’imagination du prédicateur que
la vérité biblique ! Les Pères de l’Eglise ont souvent adopté cette méthode, soit pour l’Ancien Testament
(typologie parfois forcée) soit pour des paraboles, comme s. Augustin à propos de celle du bon Samaritain :
l’homme qui tombe aux mains des brigands, c’est, pour Augustin, Adam. Jérusalem, la cité céleste qu’il
n’aurait jamais dû quitter, et Jéricho le monde déchu et mortel. Les brigands, ce sont Satan et les démons qui
dépouillent l’homme de sa vie spirituelle et le roulent dans le péché et la mort. Le prêtre qui passe outre,
c’est la loi, le lévite, les prophètes. Le Samaritain, c’est Jésus ; son âne est son corps portant notre misère.
Panser la blessure, c’est dompter le péché, l’huile est l’espérance, le vin la ferveur. L’auberge, c’est l’Eglise,
l’aubergiste l’apôtre Paul, les deux deniers, la promesse de cette vie et de la vie future. La promesse du
retour du Samaritain c’est l’avènement du Christ. Sans doute, ce que dit Augustin concerne des vérités
spirituelles bonnes à entendre, mais cela n’a rien à voir avec la parabole, et passe à côté de l’enseignement
fondamental de l’amour du prochain qu’il s’agit d’entendre ! Cela prouve que l’interprétation allégorique est
une méthode étrangère au "genre littéraire" qu’est la parabole.
La parabole proprement dite est un récit figuratif dont le sens apparaît quand on le considère comme
un tout. Les détails sont au service de l'ensemble du "scénario", et non pour symboliser en eux-mêmes
quelque chose ou quelqu'un. Ces détails campent un décor vivant et vraisemblable, et vont créer une
atmosphère au service du message de la parabole. Ainsi, pour la parabole du bon Samaritain (Lc 10.25-37) :
huile et vin, monture, deniers donnés à l'aubergiste et promesse de revenir payer les frais supplémentaires ne
sont pas des éléments superflus, mais montrent une qualité d'amour qui illustre l'"extraordinaire" démontré
dans l'œuvre de Christ pour nous et l’"extraordinaire" (selon Mt 5.47) auquel sont appelés les fils du
Royaume que nous sommes. La parabole de l’économe infidèle (ou du gérant habile), Luc 16.1-13, serait
plutôt immorale si on s’attachait aux détails pour conclure que l’habileté valait mieux que l’honnêteté ! Le
juge impitoyable que la veuve supplie (« Qui ne craignait pas Dieu et n’avait d’égard pour personne », Luc
18.1-8) ne peut symboliser le Dieu auquel nous adressons nos supplications ! L’idée est donc que si nous
pensons qu’un juge corrompu et cynique finit quand même par accéder à la demande insistante de la veuve,
penser qu’il ne vaut pas la peine de persévérer dans la prière serait avoir de Dieu une image pire que celle de
ce juge !! Dodd conclut. « Il faut juger la situation imaginée et non pas déchiffrer les divers éléments du
récit6. » Il dit aussi (p. 21) : « La parabole (…) présente un seul point de comparaison. Les détails ne sont pas
là pour avoir une signification indépendante. »
Ainsi, il ne s’agit donc pas de déchiffrer chaque élément d'une parabole, mais nous demander où est
sa pointe, son point de contact avec une réalité spirituelle qu'elle éclaire. C’est en appréciant l'ensemble de
la situation décrite par le récit, qu’on peut en tirer un enseignement doctrinal ou éthique. « Une parabole sert
à faire passer essentiellement une vérité unique plutôt qu’un ensemble de vérités.7 » Et la force de la parabole
se cache souvent dans son élément insolite. Il n'est pas étonnant qu'elles nous étonnent, car elles présentent
l'irruption, dans des scènes de la vie quotidienne, d'une autre dimension. Elles sonnent aussi souvent comme
des avertissements sévères.
Mais il ne faut pas appliquer cette règle avec une rigidité excessive. Certains détails peuvent être
significatifs dans la mesure où ils sont mis en rapport avec la leçon globale de la parabole. La parabole des
quatre terrains (Mt 13.3-9), dans l’optique de Matthieu 13 (le mystère du Royaume), véhicule une idée-force
: toutes les graines ont le même potentiel de fertilité extraordinaire (celle qui tombe dans les ronces n’est pas
moins fertile que celle qui tombe dans la bonne terre !). Mais cette puissance de vie mystérieuse est
finalement livrée à l’accueil ou au refus de l’auditeur. L’échec (apparent) de la prédication de Jésus ne met
nullement en cause la puissance de sa Parole, mais la dureté de cœur de ceux qui l’écoutent. L’aspect
allégorique de l’interprétation que Jésus donne (v. 18-23), visant la dureté de cœur, la superficialité, les
soucis de la vie, nous interpellent quant à notre accueil de la Parole de Dieu et à l’impact qu’elle peut avoir
dans la vie de celui qui l’accueille avec un cœur droit et sincère. Mais c’est la semence plutôt que l’auditeur
qui constitue la Bonne Nouvelle au cœur de cette parabole.

6
Op. cit., p. 25
7
G.E. Ladd, Théologie du Nouveau Testament, édition révisée, Excelsis, 1999, p. 101.
4
En conclusion
Différentes tentatives ont été faites pour essayer de "classer" les paraboles en différentes catégories, selon le
thème et le but visé. Dans ce cas, il faut être très attentif au contexte rédactionnel immédiat dans lequel elle
s’insère. Cela apparaît clairement dans le cas des trois paraboles de Luc 15. Les v. 1-2 nous alertent sur
l’intention de Jésus et sur les destinataires des trois paraboles – et on remarque que Jésus s’adresse en fait à
des "fils aînés" plutôt qu’à des "prodigues". D’une façon générale, les paraboles de l’évangile de Luc ont un
caractère plutôt personnel et vise le comportement moral des auditeurs. Elles mettent l’accent sur la grâce de
Dieu et sur les fruits qu’elle doit porter dans la vie de chacun. Les paraboles de Matthieu sont plutôt centrées
sur Dieu lui-même, sur son autorité, sur la venue de son règne, donc sur le jugement et la responsabilité qui
échoit aux hommes de se préparer à cette échéance.
On peut suggérer des groupes de paraboles sous les rubriques suivantes :
Paraboles d’invitation
Paraboles révélant le mystère du Royaume de Dieu
Parabole visant un but éthique
Paraboles polémiques
Paraboles de vigilance
Mais dans presque tous les cas, la priorité va à la révélation du caractère et du dessein de Dieu, sa
grâce, son appel sans frontière, son jugement, son droit à nous faire rendre compte de notre vie et de notre
comportement.
Les paraboles présentent souvent une paire de deux personnes dont les attitudes différentes mettent
en relief un enseignement éthique (les deux fils, le prodigue et l’aîné, le pharisien et le péager, le riche et
Lazare). Il arrive aussi que les paraboles se présentent par paires, proches dans leur contenu sans pour autant
faire double emploi : drachme et brebis perdues, grain de sénevé et levain ; trésor et perle ; ivraie et filet de
pêche. Il y a aussi des paraboles qui ont été reprises par Jésus avec des modifications motivées par des
circonstances différentes : le festin et les noces (Lc 14.16ss et Mt 22.1ss), les talents et les mines (Mt 25.14ss
et Lc 19.12ss). La comparaison entre ces paraboles jumelles et la découverte de leurs différences peut être
très fertile.
Les paraboles nous révèlent le cœur de Dieu et le regard de Dieu sur le cœur de l’homme. Il n’est pas
surprenant qu’elles nous surprennent, car elles montrent l’irruption, dans des scènes de la vie de tous les
jours, d’une dimension autre. Il ne faut pas les banaliser, les neutraliser, en en gommant l'insolite. Elles
requièrent notre faculté de nous laisser surprendre. D'ailleurs, il y aura toujours une certaine fluidité
d'interprétation, et des interprétations quelque peu différentes ne s'excluent pas forcément. Notre
compréhension sera sans cesse à reprendre, car une parabole aura toujours quelque chose de nouveau à dire à
celui qui a des oreilles pour entendre.
***

LES MIRACLES DE JÉSUS

Remarque préalable : lorsqu’on parle de miracles d’une façon générale, on doit naviguer entre deux
écueils : d’un côté le rationalisme, qui se méfie de ce qui échappe aux explications scientifiques et exclut
l’intervention directe de Dieu ; d’autre part l’attrait pour le surnaturel et l’esprit magique, qui ignore les
relations de cause à effet, et dérape vers le sensationnalisme ou la superstition. Une étude bibliquement
fondée sur les miracles de Jésus devrait nous permettre d’éviter ces écueils !

Redécouvrir les récits des Évangiles


C’est dans la personne de Jésus-Christ et dans son ministère terrestre compris comme un tout qu’il faut
chercher la clé du sens des miracles, notamment des guérisons. Nous sommes dès lors confrontés à une
démarche à laquelle nous sommes quelque peu étrangers. En effet, notre lecture des évangiles reste trop
souvent au niveau de l’anecdote. Peut-être parce que nous sommes avant tout pauliniens, nous faisons trop
rarement un travail de synthèse entre la personne, les paroles et les actes de Jésus pour élaborer une doctrine
évangélique, et aussi pour mettre les récits des évangiles dans une perspective biblique globale : la
dynamique de l’histoire du salut – création, chute, élection d’Israël, promesse de la délivrance messianique,
incarnation, mort et résurrection de Jésus, espérance de son retour et de la venue du Règne éternel de Dieu.
Il saute aux yeux de tout lecteur des récits de la vie de Jésus que les miracles, plus particulièrement
les guérisons et les exorcismes, y occupent une place importante. On a compté une trentaine de récits de
5
miracles dans les synoptiques et 7 dans Jean. C’est relativement peu cependant, si on se souvient qu’ils
concernent une période de trois ans (un miracle par mois !). Mais il faut aussi prendre en compte les
"sommaires" – ces textes qui nous disent sous une forme ou une autre que Jésus allait de lieu en lieu,
guérissant toute maladie et toute infirmité, et que souvent les foules suivaient Jésus à cause des miracles qu’il
accomplissait.

La diversité des miracles


Cette diversité se rencontre en premier lieu lorsqu’on étudie les termes grecs utilisés par les écrivains
bibliques. Trois termes expriment des idées différentes que nos traductions ne rendent pas toujours.
a) tèrata : terme (toujours au pluriel) peu utilisé dans les évangiles, qui signifie « les prodiges ». Ils
désignent des actes extraordinaires qui frappent l’esprit et manifestent la présence d’une force supra-
humaine, l’intervention du Dieu tout-puissant (ou dans la littérature en général, de puissances divines ou
démoniques souvent redoutables).
b) Dunamis : c’est le terme le plus fréquent dans les évangiles synoptiques. Il signifie littéralement
« puissance » et doit souvent être traduit ainsi (cf. Ac 1.8 « Vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit
survenant sur vous », ou 2 Co 12.9 : « Je me glorifie de ma faiblesse afin que la puissance de Christ
repose sur moi »). Que Christ accomplisse des dunameïs démontre qu’il lui a été donné toute autorité,
l’autorité de celui qui est venu d’En-Haut, oint et envoyé par le Père tout-puissant, qu’il est la Parole de
Dieu par qui tout a été créé dans le ciel et sur la terre (Jn 1.1ss ; Col 1.15s). Ses dunameïs le révèlent
comme celui contre qui le diable et ses démons sont impuissants. Dans un débat à la suite d’un miracle
(un démon muet chassé), Jésus déclare : « Tant qu’un homme fort et bien armé garde sa maison, ses
biens sont un sécurité. Mais si un autre, plus fort que lui, l’attaque et parvient à le maîtriser, il lui enlève
toutes les armes sur lequel le premier comptait, lui prend tous ses biens et les distribue. » (Lc 11.21-22)
Les duvameïs identifient Jésus comme « l’homme plus fort » de cette parabole, qui libère les gens
enfermés dans la maison de Satan, « l’homme fort ».
c) Semeïon : le terme signifie signe. On le trouve surtout dans l’évangile de Jean où les miracles,
relativement peu nombreux, sont en général accompagnés d’un enseignement, ou plus exactement
illustrent et authentifient cet enseignement. Semeïon exprime une notion très importante, puisque ce
terme nous avertit qu’un miracle est l’annonce d’une réalité plus grande que lui. C’est le but final d’un
miracle qui est signalé : l’événement en cours dépasse son effet immédiat ; il est prometteur d’un
renouvellement total. Dans ce cas, il nous faut voir plus loin que le miracle lui-même et discerner ce
qu’il nous apprend sur le Fils de Dieu et son œuvre durant son incarnation. En tant que signe, le miracle
est l’irruption ponctuelle de l’éternité dans le temps, il nous annonce qu’en Jésus-Christ, le Royaume de
Dieu s’est approché (proverbe chinois du doigt qui montre la lune !)

Ce n’est seulement la terminologie concernant les miracles qui présente une diversité. Ces œuvres de
Jésus offrent une grande diversité, qu’on a tenté de classer en catégories. Il y a les miracles qui touchent les
éléments naturels (tempête apaisée), les lois naturelles (Jésus marche sur les eaux)8, les choses matérielles
(l’eau changée en vain, les multiplications des pains). Ces actes montrent la souveraineté du Fils de Dieu sur
la création elle-même.
Il faudrait qualifier de miracles des vies transformées, comme celle de Zachée, de Lévi le péager
(Matthieu), de la prostituée qui répand du parfum sur les pieds de Jésus, ou de la femme au puits de Sychar
en Samarie, du brigand crucifié repenti, et de tant d’autres.
Mais les miracles auxquels on pense plus particulièrement ici sont les exorcismes et les guérisons.
Tous nous montrent que l’impact de l’œuvre du Christ touche la personne dans son entier, son corps et son
âme. La liste serait longue des maux dont la puissance et l’amour de Jésus ont eu raison : maladies de toutes
sortes, infirmités, maladies qu’on appellerait aujourd’hui « psychosomatiques », possessions démoniaques, et
même décès. Dans un monde où la médecine était fort primitive, où les lépreux et les handicapés étaient des
exclus, ou toute maladie psychique était considérée comme démoniaque, les actes de Jésus étaient vraiment
une proclamation de la Bonne Nouvelle et la promesse d’un monde restauré, purifié. En cela, quel que soit le
terme utilisé, guérisons et exorcismes sont des signes de la proximité du Royaume de Dieu. Des guérisseurs,
il y en avait bien d’autres dans la Palestine du premier siècle. Mais Jésus n’est pas un guérisseur (un
thaumaturge – un faiseur de miracles). Ses miracles authentifient sa parole, la parole de l’espérance du
Royaume de Dieu dont il nous ouvre la porte. Car, quelle que soit la discrétion avec laquelle Jésus guérit, ses

8
Alphonse Maillot relève que ces miracles sur la mer rappellent l’Ancienne Alliance. La traversée de la mer Rouge, la
tempête de Jonas, ou Ps 107.29-31, Ps 29.3… (A. Maillot, Ces miracles qui nous dérangent, Aubonne, éd. du Moulin
1986, p.29.
6
miracles ne sont pas clandestins ! Mt 9.8 et 31 ; 15.31 ; Lc 7.17 ; 9.43, etc.) Jésus fustige aussi les villes de
Chorazim, Bethsaïda Capernaüm parce que ses miracles accomplis chez elles ne les ont pas amenées à la
repentance (Mt 11.20-24). Les miracles ont certes attiré la foule, mais aussi excité l’animosité des chefs
religieux (cf. la résurrection de Lazare, Jn 11.45-48). On constate aussi que durant la semaine de la Passion, à
Jérusalem, il n’est mentionné aucun miracle que Jésus aurait accompli.

Les miracles à l’opposé du sensationnalisme


De plus, comment ne pas être frappé par la sobriété avec laquelle Jésus opère. Il fuit le spectaculaire, ses
miracles sont tout sauf une forme de publicité pour attirer les gens. Une parole très brève, quelquefois un
bref geste pour toucher le malade, mais aucune manipulation psychologique, aucune pression pour persuader
le malade d’avoir une foi inébranlable dans sa guérison. Pas d’incantation ni de gestuelle magique, pas
d’effervescence pour conditionner le public.
Il est frappant de lire les récits de guérisons pratiquées dans l’Eglise du deuxième siècle, qui a
conservé cette sobriété. En voici deux exemples : "Il y a dans tout le monde et dans votre ville de nombreux
démoniaques que ni adjurations, ni filtres ni magie n'ont pu guérir. Nos chrétiens, les adjurant au nom de
Jésus-Christ crucifié sous Ponce-Pilate, en ont guéris et en guérissent encore aujourd'hui beaucoup, en
maîtrisant et en chassant loin des hommes les démons qui les possèdent." (Justin Martyr, Rome vers 150).
"Les véritables disciples de Christ ont reçu une grâce, ils font des miracles en son nom. Quelques
uns chassent réellement des démons et fréquemment ceux qu'ils ont ainsi libérés croient en Christ et se
joignent à l'Église. D'autres imposent les mains aux malades et ils recouvrent la santé. L'Église ne fait rien
par invocation des anges ou par incantation ou tout autre moyen bizarre. C'est en priant le Seigneur, auteur
de toutes choses, dans un esprit pur, sincère et droit, et en invoquant le nom de Jésus-Christ crucifié sous
Ponce-Pilate qu'elle fait tout ces miracles pour le bien de l'humanité." (Irénée, Lyon, vers 180) On remarque
dans les deux cas l’absence d’incantation, de procédé magique, invocation des anges (plus tard, ce seront les
saints…). Mais une prière à Dieu adressée au nom de Jésus-Christ « crucifié sous Ponce-Pilate ». Cette
allusion répétée à Ponce-Pilate n’est pas un hasard : c’est bien par la Croix, historiquement datée et non pas
mythique, que la victoire est obtenue sur les puissances démoniques et sur la maladie.
La liberté avec laquelle Jésus opère est aussi saisissante. Pas de méthode passe-partout, pas de
technique, mais une souplesse d’adaptation à chaque situation humaine particulière. Jésus répond à la foi
d’une personne (Mc 10.52), ou de ses proches (Lc 5.17-25 ; 7.1ss), ou bien il prend l’initiative sans qu’une
démarche de la part du malade soit mentionnée ; il guérit tout un groupe (les 10 lépreux), ou un seul parmi de
nombreux souffrants (au bassin de Bethesda). Souvent Jésus interdit au miraculé d’en parler, une fois au
moins (mais c’est sur territoire païen, il lui demande d’en témoigner, Mc 5.19). Il guérit à distance (Mt 8.13)
ou il touche le malade (Mt 8.3) ou même l’organe atteint (Mc 7.32-33) ; dans un autre cas, c’est une malade
qui prend l’initiative de le toucher (Mc 5.25). Guérison instantanée ou par étapes (Mc 8.22-26). Il lui est
même arrivé de faire de la boue avec sa salive pour l’appliquer sur les yeux d’un aveugle, alors qu’avec
d’autres, il n’a pas eu recours à un tel médicament (Mc 8.23 et 10.49-53). Il loue la reconnaissance du
samaritain lépreux, mais ne retire pas leur guérison aux neuf autres ingrats (Lc 17.12ss)
Cette variété ne pas dire : peu importe les détails, on peut procéder un peu n’importe comment.
Chaque détail a au contraire son importance, en fonction du contexte et de la personne guérie. Cela démontre
que Jésus n’a jamais « fonctionné » de façon routinière, avec des "patients" anonymes et interchangeables.
Dès lors, vouloir généraliser tel aspect particulier d’un récit de guérison est une erreur. Nous avons toujours
tendance à absolutiser notre vécu pour l’imposer à d’autres. (les bouistes et les anti-bouistes !)
Relevons enfin que les motifs et la portée des guérisons peuvent être différents9.
Il y a la réaction de l’amour et de la sensibilité du Seigneur face à la souffrance et au désarroi :
« Jésus vit une grande foule et fut ému de compassion pour elle. Il guérit les malades. » (Mt 14.14)
Il y a la guérison-démonstration du pouvoir de Jésus de pardonner les péchés, ce qui l’identifie à
Dieu lui-même (Lc 5.24).
Il y a la guérison-prédication : En agissant, Jésus illustre un aspect de son ministère : c’est souvent
l’approche de l’évangile de Jean : multiplication des pains – Jésus, pain vivant venu du ciel (Jn 6.1-15 puis
22ss) ; guérison de l’aveugle-né – Jésus, lumière du monde (Jn 9.1-5).
Il y a la guérison polémique : Jésus opère volontairement un jour de sabbat pour redonner au sabbat
son sens véritable face au formalisme religieux (Lc 6.6-11).
Il y a la guérison-affrontement avec la puissance démoniaque. L’enfant épileptique (Mc 9.14-29 ; Lc
4.34-37).
Il y a les guérisons qui démontrent que Jésus est le Messie dont parlent les prophètes (Lc 7.18-23).

9
Une remarque en passant, pas dénuée d’importance : le verbe "sauver" qu’on rencontre dans divers récits de guérison, signifie en
général "sauver de la perdition", mais peut aussi vouloir dire "guérir", et il n’est pas toujours aisé de choisir entre ces deux sens.
7
Les "non-miracles" de Jésus
Il faut aussi noter qu’il est arrivé que Jésus ne puisse accomplir aucun miracle (ou presque), comme à
Nazareth, à cause de l’incrédulité de ses concitoyens (Mc 6.5). En Mt 12.39ss et 16.1-4, on voit des leaders
religieux demander à Jésus d’accomplir un miracle, et il refuse. Dans les deux cas, apparaît la référence au
miracle de Jonas, qui a conduit les Ninivites à la repentance. Sans aucun doute, les miracles authentifient sa
messianité aux yeux de la foi, mais ne la prouvent pas face au défi de l’incrédulité et au refus de la
repentance. C’est dans la même optique qu’il faut interpréter le triple refus d’accomplir un miracle lors de la
tentation au désert. Satan cherche à le faire entrer dans le rôle d’un messie sans la croix, c’est-à-dire
triomphant, mais dans la désobéissance à la mission que son Père lui a confiée (Mt 4.1-11). A Golgotha,
lorsque les gens le défient d’accomplir l’ultime miracle (« Descends de la croix ! ») en lui rappelant tous
ceux qu’il a accomplis, il ne répond pas (Mt.27-40). Paul écrira : « Les Juifs réclament des miracles (sèmeiä,
signes), les Grecs recherchent la sagesse. Nous, nous proclamons Christ crucifié. » (1 Co 1.22-23) Les
miracles étant étroitement liés au sacrifice de la Croix, c’est pourquoi il est hors de question que les
ministères de guérison passés ou actuels soient interprétés dans un sens triomphaliste.

Les miracles, accomplissement des prophéties et annonce du Royaume eschatologique


Dans sa brève prédication inaugurale, à la synagogue de Nazareth, Jésus cite Esaïe 61 qui annonce le
Messie : « Le Seigneur m’a oint pour… proclamer aux aveugles le recouvrement de la vue et apporter la
délivrance aux opprimés. » En guérissant le paralytique pour attester le pardon de ses péchés, Jésus affirme :
« Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme [ce titre est plus ou moins équivalent à celui de Messie]a le
pouvoir de pardonner les péchés, lève-toi… » (Lc 5.24) : guérison messianique, telle que l’annonçaient les
prophètes. De même dans le texte mentionné plus haut du dialogue à distance entre Jean-Baptiste
emprisonné et Jésus : Les miracles qu’il accomplit sous les yeux des envoyés de Jean veulent bien dire : je
suis celui qui doit venir (Lc 7.18-23).
Lorsqu’il rapporte le premier miracle de Jésus dont il a connaissance, Matthieu le rattache à l’Ancien
Testament. Non pas toutefois à une prophétie messianique, mais au cantique de la souffrance du Serviteur de
l’Eternel : « Il guérit tous les malades. Ainsi se réalisait cette parole du prophète Esaïe : Il s’est lui-même
chargé de nos infirmités, il a porté nos maladies. » (Es 53.4 cité par Mt 8.16-17)
Si, comme nous l’avons noté, Jésus interdit souvent aux miraculés de proclamer leur guérison, c’est
parce qu’il savait que la foule y verrait le signe qu’il est le Messie, mais cela aurait été au prix d’un grave
malentendu, vu l’idée qu’on se faisait du rôle du Messie (voir plus loin).
Les miracles de Jésus ont une référence dans le passé : ils affirment que les prophéties messianiques
trouvent en Christ leur accomplissement. Mais aussi ils proclament la réalité de ce qui est attendu, le
Royaume de Dieu eschatologique – nous avons déjà mentionné ce que signifient les miracles en tant que
signes avant-coureurs du Royaume et de la victoire sur Satan. En réalité, il est impossible de séparer ces
deux aspects, passé et futur, car ils appartiennent à cette dimension du « déjà et pas encore » dont nous
avons parlé. Les miraculés n’ont sans doute pas échappé à des maladies ultérieures, et finalement, ils sont
tous morts, y compris Lazare ! Les guérisons et exorcismes n’en sont pas moins des sèmeïa. car ils
annoncent la défaite finale du diable et de ses armées, et la mort de la mort. « Je voyais Satan tomber du ciel
comme un éclair » dit Jésus en Luc 10.18, à l’ouïe du bulletin de victoire des 70 disciples rentrant d’une
mission que Jésus leur avait décrite ainsi : « Guérissez les malades et dites aux gens : le Royaume de Dieu
est proche de vous. » (v.9). De même Lc 11.20 déjà cité : « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les
démons, le Royaume de Dieu est donc venu vers vous. »
Oui, exorcismes et miracles annoncent ce monde nouveau où Satan aura été totalement dépouillé de
tout pouvoir, et où il n’y aura plus ni maladie, ni infirmités, ni cris, ni deuils et où la mort ne sera plus (cf. Ap
21.4, proche d’Es 25.8).

***
Aperçu bibliographique
DODD C.-H., Les paraboles du Royaume de Dieu, déjà là ou pas encore ? Paris, Seuil, 1977
DJABALLAH A., Les paraboles aujourd’hui, coll. Sentier, Québec, éd. La Clairière, 1994
JEREMIAS J., Les paraboles de Jésus, Livre de vie, Le Puy, éd. Xavier Mappus, 1962
MAILLOT A., Les miracles de Jésus, Tournon, éd. Réveil, 1977
MAILLOT A., Ces miracles qui nous dérangent, Aubonne, éd. du Moulin, 1986
MAILLOT A., Les parabole de Jésus aujourd’hui, Genève, Labor & Fides, 1983
8

Vous aimerez peut-être aussi