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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Akmel Privat AKA

LE DOUTE, UN CHEMIN VERS


LA FOI AUTHENTIQUE

A LA LUMIERE DE JEAN 20 : 24-29

2
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Dédicace
A tous les croyants et incroyants que l’on éloigne du
Christ, le peignant comme un bon gourou faiseur de miracles ;
à tous les hommes et toutes les femmes dont on a emprisonné
les consciences et qui ne peuvent questionner leur foi afin
d’être convertis aux religions de folie ; à toutes celles et tous
ceux qui ont faim et soif de la justice et de la grâce divines,
nous dédions nos réflexions.

Que le doute ne soit pas un obstacle à la croissance de


leur foi, mais contribue à la bonne santé de leur foi pour une
vie chrétienne meilleure.

« Je me suis beaucoup réjoui dans le Seigneur de ce


que
votre intérêt pour moi ait enfin pu refleurir (…)
Je peux tout en celui qui me rend fort »
Philippiens 4 : 13

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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

PREFACE

Etre intellectuel est une chose, mais oser l’affirmer en


toute humilité en est une qualité. A travers les lignes qui suivent,
l’auteur tente d’esquisser une ébauche de réflexion autour de la
problématique doute-foi.

En passant du doute sceptique (skêptomaï) qui ne croît à


priori à rien et veut s’assurer de la véracité de tout, par le doute
méthodique qui dans sa rationalité se débarrasse des préjugés et
faussetés pour n’accepter que ce qui est vrai, pour finir autour du
doute existentiel pour lequel rien n’est acquis, le doute saisit tout
homme et ébranle les fondements même de son existence.

Le doute ne doit pas remettre en cause notre assurance,


voire notre certitude d’être des enfants régénérés par la foi en
Christ. Mais il doit être le moyen par lequel le chrétien accorde du
crédit à sa foi. Ainsi, pour mieux connaître, comprendre et
approfondir sa vie de foi, sa réflexion, le chrétien a besoin du
doute sans toutefois devenir incrédule. Le doute doit être un
moyen de rationalisation de notre foi qui permet de raisonner notre
spiritualité. Il ne doit aucunement constituer un piège contre le
chrétien.

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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

L’auteur atteste et soutient que le doute est un partenaire


nécessaire, à des moments donnés, de la foi, mais ne doit pas être
permanent dans la vie du chrétien, car il préserve du fanatisme et
de la superstition.

Cet ouvrage est d’une qualité scientifique, académique et


didactique appréciable. Il est utile à tous ceux qui cherchent à
mener des réflexions scientifiques et spirituelles autour de la
problématique doute-foi.

Rév. Dr Kponjésu Amos HOUNSA


Université Protestante de l’Afrique de l’Ouest
Professeur de Grec biblique et de Nouveau Testament
Directeur des Services Académiques des Filières de Gestion

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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

INTRODUCTION GENERALE
De manière générale, les chrétiens opposent le doute et la
foi. Les estimant incompatibles et inconciliables, ils pensent ainsi
donc que le doute mine, sape, menace et détruit la foi. Par
conséquent, une foi solide bannit, exclut et supprime tout doute.
Cette manière de voir a parfois influencé plusieurs traducteurs de
la Bible. Par exemple dans Rom. 4 : 20, Paul écrit qu’Abraham ne
répondit pas à la promesse de Dieu par l’incrédulité (le mot grec
est apistia et signifie exactement la non foi), quelques versions
traduisent : « il ne succomba pas au doute »1. Ces différentes
versions assimilent doute et incrédulité, ce qui paraît tout à fait
logique quand on définit la foi, selon André GOUNELLE 2, comme
l'acceptation d'un certain nombre de croyances et de doctrines. La
conséquence d’une telle assertion est que la foi se trouve en
danger, car elle ne peut pas supporter le doute et lui résiste
difficilement. Cependant, GOUNELLE précise qu’« il n’en va pas
du tout de même quand on voit dans la foi une relation vivante, la
présence de Dieu dans la vie du chrétien. »3 Ainsi comprise, la foi
n’exclut pas le doute, mais elle l’inclut. Ce ne sont pas les
incroyants, mais les croyants qui doutent, à l’image de Thomas,
disciple de Jésus, qui a vu sa relation avec son Maître s’effondrer
en quelques heures, sur la croix de Golgotha. Le doute est le signe

1
Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), Edition intégrale, Paris/Villiers-le-Bel,
Cerf/Société Biblique Française, 1988, p. 2709.
2
Théologien français et professeur à la faculté de théologie de Montpellier (France).
3
A. GOUNELLE, Foi et doute, in Théolib, Septembre 2002, p. 1, inédit.
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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

d'une foi vive et fidèle. Dans le Nouveau Testament, seuls les


disciples doutent. Cependant, le fait de douter ne les exclut pas du
cercle des disciples de Jésus. Plus nous avançons dans la vie et
plus il nous semble que l’être humain a besoin de croire, pour
exister, pour avancer, pour créer. En même temps le doute est
nécessaire car il permet de se remettre en question, d’évoluer.
« Le doute, un chemin vers la foi authentique » souligne
l’articulation entre le doute et la foi qui conduirait le croyant à
marcher dans sa vie sur ses deux jambes spirituelles. Les questions
fondamentales qui se posent à tous les hommes sont : Apprend-on
à douter ? Est-ce une nécessité de douter ? Quelle est la place du
doute dans la vie de foi du chrétien ? A travers des approches
exégétique, théologique et herméneutique, nous tenterons de
répondre aux autres questions cruciales telles que la réalité de la
résurrection de Jésus et l’incrimination de Thomas qui se dégagent
également du texte.

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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Chapitre I : Réflexions exégétiques, théologiques et


herméneutiques de Jean 20 : 24-29

I- Approche exégétique
Le récit de Jn. 20 : 24-29 traite du témoignage rendu par
les disciples de Jésus, de sa résurrection d’entre les morts et de la
compréhension qu’ils peuvent avoir de leur foi. L’entretien entre
Jésus et Thomas donne un avant goût de ce qui constituera, plus
tard dans l’Eglise primitive, le grand débat entre la raison humaine
et la foi. Au verset 29, Jésus pose la condition du bonheur éternel
qui consiste à croire sans avoir vu. Cette problématique posée aux
disciples demeure une question cruciale aussi bien pour les
croyants4 que pour le monde.
Mais avant tout propos, nous essayerons de faire une
critique textuelle du verset 27 de Jn. 20 qui pose un véritable
problème d’interprétation et de compréhension aussi bien chez les
chrétiens que chez les pasteurs et exégètes.

I-1- La difficulté dans la compréhension de « l’incrédulité » de


Thomas
Le problème que pose le récit de Jn. 20, verset 27 est le
remplacement du mot ginou (deviens) par isthi (sois). Le codex de
Bèze (D) est le seul témoin à attester cette leçon. Tous les autres
témoins non indiqués soutiennent le texte édité. Le copiste
4
Il s’agit ici des chrétiens.
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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

voudrait qu’on lise isthi (sois) au lieu de ginou (deviens). En


consultant le dictionnaire5, les deux mots ont le même sens et
veulent dire « être, devenir, naître. » Cependant, il existe une
nuance fondamentale que nous pouvons relever. Selon le
Dictionnaire Le Petit Larousse Illustré, le verbe devenir signifie
« passer à un autre état » et le substantif « devenir » détermine un
mouvement progressif par lequel les choses se transforment ; on
parle alors d’ « évolution »6 Quant au verbe être, il signifie
« exister, avoir une réalité. »7
Dans le cas d’espèce, nous pouvons noter que Thomas
n’existait pas en tant qu’incrédule, un infidèle à Jésus. Il faisait
partie intégrante des disciples du Maître. C’est plutôt le fait pour
lui d’avoir remis en cause la réalité de la résurrection qui voudrait
le faire passer de l’état de disciple à l’état d’incrédule. Pour lui, la
connaissance du Ressuscité ne pouvait être appréhendé que par
« le voir et le toucher ». Ce problème est probablement une
interpolation, c’est-à-dire qu’il n’assure pas la cohésion du texte.
Par conséquent, il faut se garder de voir en Thomas un incrédule
né, ce qui paradoxalement ne l’a pas empêché de faire partir du
cercle des disciples et d’en être le plus courageux (Jn. 1 : 16 ; 14 :
5). Nous conservons le texte édité comme proche de l’original.

5
A. BAILLY, Dictionnaire Grec-Français du Nouveau Testament, Paris, Librairie
Hachette, 1950, pp. 403 et 978.
6
DICTIONNAIRE ENCYCLOPEDIQUE, Le Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse,
1996, p. 336.
7
Ibid., p. 412.
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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

I-2- Les Saintes Ecritures nous parlent


Cette étude sera axée autour de deux volets : explication et
récapitulatif. Selon le Professeur M. KOUAM cité par F. AGBI-
AWUME : « Nous voudrons juste dégager ce que dit le texte, pas
ce que le texte nous dit. »8 Il s’agit donc pour nous de questionner
le texte original pour mieux cerner ce qui en découle. Nous nous
appuierons pour ce faire, sur différents travaux de certains auteurs
pour avoir leurs avis sur le texte et donner à la fin les résultats de
nos propres investigations.

Jean 20, verset 24 : « Mais Thomas, l’un des douze dénommé
Didyme, n’était pas avec eux quand Jésus vint. »
Thomas est encore nommé Didyme (Jn. 11 : 16), et l’on a
voulu voir dans ce nom un symbole de son caractère ; il serait celui
qui est partagé en deux, qui ne croit pas facilement. Mais Didumos
ne signifie pas une personne divisée d’avec elle-même ; c’est une
personne qui fait la paire avec une autre, et d’ailleurs on ne voit
pas d’incrédulité dans les autres passages cités. Thomas a paru
jusqu’à présent comme un homme assez entier, jugeant des choses
à sa façon et qui n’entre pas aisément dans la pensée même de son
maître (Jn. 14 : 5), d’ailleurs impressionnable et généreux (Jn. 11 :
16).

8
F. AGBI-AWUME, Cours : Initiation à l’exégèse du Nouveau Testament, UPAO, Porto-
Novo, 2009-2010, p. 9, Inédit.
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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Il était déjà tard, et Thomas rentra chez lui, si même il


n’avait pas refusé de venir. Il serait superflu de chercher pourquoi
Thomas était absent, si toute sa conduite ne paraissait affectée par
son scepticisme. Marie Magdeleine avait prévenu les onze
disciples, directement ou les uns par les autres. C’est probablement
pour cela qu’ils s’étaient rassemblés et conféraient de
l’événement : quelques-uns doutaient, mais restèrent quand même
dans une vague espérance de voir le Seigneur.

Jean 20, verset 25 : « Les autres disciples lui disaient


donc : Nous avons vu le Seigneur.  Mais il leur dit : Si je ne vois
pas dans ses mains la marque des clous, si je ne jette pas mon
doigt dans la marque des clous et si je ne jette pas ma main dans
son côté, je ne croirai pas. »
Un compagnon de Jésus, Thomas, un des onze, ne veut pas
croire à la résurrection du Christ sur la parole des témoins
oculaires. Il répond mot pour mot à leur récit enthousiaste par une
froide dénégation. Il ne s’en rapportera qu’au témoignage de ses
sens. Il veut vérifier par lui-même. Et un fait important est celui
qu’il y ait de la ténacité même dans la forme de son discours et
dans la répétition des mêmes termes. Il symbolise tous les disciples
qui ont hésité avant de croire à la résurrection de Jésus.

Jean 20, verset 26 : « Après huit jours, ses disciples étaient à


nouveau à l’intérieur, Thomas étant avec eux. Jésus vint. Les

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portes ayant été fermées, il se tint au milieu d’eux et leur dit : La


paix soit avec vous. »
Après huit jours : c’est-à-dire d’aujourd’hui en huit pour
désigner le jour octaval, le dimanche qui suit la première
apparition, Jean veut présenter l’institution du dimanche, du
premier jour de la semaine, comme le jour où l’on commémorait la
résurrection du Seigneur (Ac. 20 : 7 ; Ap. 1 : 10). Les disciples
étaient tous réunis, peut-être pour organiser leur caravane de
départ pour la Galilée. Les portes étaient fermées, comme au
verset 19, et sûrement dans le même local. La salutation de Jésus
est la même que lors de la première fois.

Jean 20, verset 27 : « Puis il dit à Thomas : Avance ton doigt ici


et vois mes mains ; avance ta main et jette-la dans mon côté, et
ne deviens pas infidèle mais croyant. »
C’est d’abord à Thomas que Jésus s’adresse. Indiquant
d’une main son autre main percée, il l’invite à y mettre le doigt
(daktulon) ; et comme celui-ci demeure immobile, il ouvre ses
deux mains et lui montre la trace des clous. Il l’invite même à jeter
sa main dans son côté. Ainsi daigne-t-il consentir à l’épreuve du
toucher à laquelle Thomas attachait tant de prix, comme la seule
qui permît de distinguer un fantôme qu’on peut voir, d’un corps
vivant. Le texte ne nous dit pas que Thomas ait touché Jésus.
Cependant à cette condescendance, Jésus joint un avertissement
bien mérité : mê ginou apistos, ce qui signifie « ne deviens pas

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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

infidèle. » Sans doute, Jésus exhortait-il Thomas à rentrer dans le


cercle des fidèles, ce qui pourrait changer son attitude antérieure.

Jean 20, verset 28 : « Thomas répondit et lui dit : Mon Seigneur


et mon Dieu. »
Il n’y a aucun indice que Thomas ait usé de la permission.
C’était plus fort que lui. Son mouvement n’est pas de faire ce
qu’on lui offre, mais de reconnaître la divinité de Jésus, car c’est
bien à lui qu’il parle. Ce qui produit une impression si profonde
sur Thomas, ce n’est pas seulement la réalité de la résurrection,
qu’il touche de ses mains, c’est aussi la toute-science du Seigneur
que celui-ci prouve en lui répétant telles quelles les paroles qu’il
pensait avoir prononcées en son absence. O kurios mou kai ô théos
mou qui signifie « mon Seigneur et mon Dieu » est la confession
de foi de Thomas qui est d’ailleurs la dernière de l’évangile, et qui
constitue l’un des sommets de la christologie johannique. Jésus
avait fait connaître sa nature divine, mais personne encore dans
l’Evangile ne lui avait donné ce titre, qu’il avait revendiqué mais
non sous ce terme exprès. Il jaillit de l’évidence de la résurrection,
et sur les lèvres de Thomas demeuré jusqu’ici hésitant. Sa foi
rencontre la doctrine énoncée dès le commencement de
l’évangile : « Et la Parole était Dieu » (Jn. 1 : 1) ; la fin de
l’Evangile répond ainsi au début.

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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Jean 20, verset 29 : « Jésus lui dit : Parce que tu m’as vu, tu as
cru ; heureux ceux qui n’ayant pas vu, ont cru. »
Jésus accepte l’élan du disciple qui proclamait sa divinité
et lui répond : « Tu as cru. » Thomas devait désormais être en
possession de la foi comme l’exprime bien le parfait pépisteukas
(tu as cru). Ici, l’utilisation du parfait représente l’état présent de
Thomas qui résulte de son action passée et qui a consisté à douter
de la résurrection du Christ : « si je ne vois pas dans ces mains la
marque des clous, si je ne jette pas mon doigt dans la marque des
clous et si je ne jette pas ma main dans son côté, je ne croirai
pas » (Jn. 20 : 25). En fait, les autres disciples aussi avaient cru
après avoir vu, mais ils n’avaient pas refusé, comme Thomas, de
croire au témoignage d’autres Apôtres. La résurrection devait
d’abord être constatée, non par tous, mais par des témoins choisis
(Ac. 2 : 32 ; 10 : 40). Mais après les disciples, d’autres devaient
venir, auxquels il ne serait même pas donné de voir l’humanité
glorieuse du Christ. C’est à eux que Jésus s’adresse d’avance :
heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cependant fait l’acte de
foi. L’aoriste indique cet acte de foi. Les participants empêchent
que cette félicitation soit appliquée aux seuls contemporains, elle
est de tous les temps. Ceux qui viendront après compenseront par
l’ardeur de leur foi ce qui leur manquera de présence sensible.

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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

RECAPITULATIF
Le récit de l’apparition de Jésus à Thomas est conduit de
façon à montrer que « le croire sans le voir », la foi qui n’exige
pas de miracles et de preuves matérielles l’emporte sur celle qui
est commandée par des prodiges extérieurs ou en réclame. La
situation des chrétiens de la fin du premier siècle et de tous les
temps n’est pas inférieure à celle des disciples de Jésus ou de ses
contemporains : c’est dans l’acte de foi que l’on devient
contemporain de Jésus.

II- Réflexions théologique et herméneutique


II-1- Esquisse de la théologie johannique
Selon K. A. HOUNSA : « Faire la théologie du Nouveau
Testament, c’est voir comment les premiers chrétiens ont formulé
leur foi en Dieu de Jésus-Christ, et l’ont vécue ».9 Ainsi définie la
théologie, nous déterminerons le contexte de la théologie
johannique, pour ensuite dégager la théologie de notre passage
biblique.

II-1-1- Contexte théologique de Jean


Dans une société où les autorités romaines vouent une
haine viscérale à la communauté juive de son époque, dont il est
membre, sous la domination de Domitien, l’évangéliste Jean prend

9
K. A. HOUNSA, Cours : Initiation à l’exégèse du Nouveau Testament, UPAO, Porto-
Novo, 2012-2013, p. 7, inédit.
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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

son bâton de pèlerin pour monter au créneau. Son intention est très
claire : « Affirmer la filialité divine de Jésus de Nazareth ; la foi
chrétienne a encore une pertinence, envers et contre tout et malgré
les apparences, parce que c’est bien en Jésus que se trouve la
vérité qui rend libre, la vie, le chemin »10
En effet, s’adonner à un tel exercice n’était pas chose
aisée. Car il fallait convaincre son auditoire en démontrant que
Jésus est le Fils du Dieu vivant. C’est pourquoi, nous disons avec
J. ZUMSTEIN que « L’Evangile est comparable à un conteur qui
transforme son lecteur en racontant une histoire »11. Cette
« histoire » racontée par Jean paraît difficile à comprendre, à
première vue, à cause de ses traits stylistiques. Dans ce récit, le
style et la théologie sont étroitement liés. Cependant, il est
intéressant de remarquer qu’il exprime bien son intention, son but
et son contenu, en observant de plus près tout le prologue (Jn. 1 :
1-8) et la conclusion (Jn. 20 : 30-31).
Le prologue explique que « le verbe incarné est en effet
l’expression de la plénitude divine et, de ce fait, porteur de la
lumière, de la Vérité et de la Vie, pour l’ensemble des hommes »12
Telle est l’intention théologique de Jean. Quant au but de
l’évangile, il « consiste à appeler à la foi. »13 Les candidats à la foi
10
F. VOUGA, Le cadre historique et l’intention théologique de Jean, Paris, Beauchesne,
1977, p. 113.
11
J. ZUMSTEIN, L’apprentissage de foi. A la découverte de l’Evangile de Jean et de ses
lecteurs, Aubonne, Moulin SA, 1993, p.58.
12
Ibid., pp.51-52.
13
Ibid., p. 52.
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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

sont deux ordres. On note d’une part les incroyants sans lesquels
l’Evangile serait un discours démagogique, perdant ainsi son
essence missionnaire ; d’autre part, il s’adresse aux croyants,
auquel cas il aurait pour but d’affermir leur foi.
Dans tous les cas, il s’agit de ô euangélion, la Bonne
Nouvelle, que, et croyants et incroyants sont appelés à croire :
Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant, et les croyants ont la vie
en son nom. Le contenu de l’Evangile ainsi dégagé consiste à
reconnaître en Jésus, le Ressuscité, l’incarnation de Dieu, l’envoyé
du Père dont la confession donne accès à la vie éternelle.

II-1-2- Thomas au banc des accusés


Les destinataires de l’Evangile de Jean semblaient être
découragés face aux nombreuses difficultés qui se dressaient
devant eux. Ces difficultés consistaient pour la plupart en
l’hostilité du judaïsme officiel et la haine du monde. Le texte que
nous avons sous les yeux se présente comme la résultante des
difficultés internes de la communauté à laquelle l’auteur s’adresse.
« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne
jette pas mon doigt dans la marque des clous et si je ne mets pas
ma main dans son côté, je ne croirai pas » (Jn. 20 : 25). Jean
aurait-il vraiment conçu le personnage de Thomas de manière à lui
faire exprimer les doutes de la communauté de ses destinataires ?

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LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Thomas pose, en effet, les questions que devaient se poser


les destinataires de l’Evangile selon Jean : peut-on croire sans
voir ? Toutes les évidences sont contre les croyants. Où est le
Seigneur ? Et, s’il est vraiment le Christ, le Fils de Dieu, comment
pourrions-nous encore l’atteindre ? N’avons-nous plus qu’à mourir
avec lui ? Il est juste de faire remarquer tout de suite que Thomas
n’est de loin pas le seul disciple à douter. Pierre et Philippe l’ont
également fait avant lui. Toutefois, lorsque les disciples doutent ou
ne comprennent pas Jésus, c’est toujours au sujet de sa divinité ou
de son retour vers le Père, ce qui revient au même : si Jésus va au
Père, c’est bien parce qu’il en vient et qu’il est le Fils de Dieu. Par
ailleurs, c’est justement cette divinité de Jésus que Jean veut faire
croire et comprendre à ses lecteurs : les signes ont été consignés
dans ce Livre « pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le
Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son
nom » (Jn. 20 : 31). Après avoir entendu ces propos, l’Eglise
pouvait-elle se permettre de douter et de se décourager ? Bien
évidemment, puisque les disciples mêmes ont douté après la
résurrection (Jn. 20 : 24-29). Ainsi, ce doute préfigure de manière
exemplaire le découragement de la communauté Johannique. Peut-
être qu’il faille des signes pour renforcer leur conviction ? Jean
nous montre à travers ce récit que les signes sont un moyen qui
appelle l’homme à s’engager personnellement à suivre Jésus en
toute liberté. Car c’est par une science surhumaine que Jésus a eu
connaissance des doutes de Thomas. Aussi Thomas est-il
18
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

convaincu tout autant par cette apostrophe que par la présence


même de son maître, mort depuis dix jours.

Le défi de la foi est lancé à Thomas qui représente, ici,


tout le peuple juif ou tout au moins tous les chefs juifs hostiles aux
prescriptions de Jésus. Thomas ne pouvait pas adhérer à cette foi,
lui qui a vu son battu de verge et couronné d’épine cruelles,
crucifié à Golgotha. Il part, donc, du « voir au croire  qui est
insuffisant et ne conduit pas à la découverte du Christ mais au non
croire »14. F. VOUGA le fait constater, si bien, quand il affirme
que : « les croyants vont-ils douter et renier leur foi : ils se
priveraient alors de la vie et tomberont alors avec le monde sous
le jugement de la croix (Jn. 16 : 11). Si Jean écrit son évangile,
c’est pour que ses lecteurs persévèrent dans leur foi en Jésus,
qu’ils croient qu’il est le Fils de Dieu, le Christ, et qu’en croyant,
ils aient la vie en son nom (Jn. 20 : 30,31). La condition du
disciple est donc thématisée comme contemporanéité avec la croix,
avec tout ce que cela comporte »15.

Mais, c’est également dans ce paradigme « voir pour


croire » que nait l’une des plus expressives confessions de foi, et
cela de la bouche de Thomas le douteur : « Mon Seigneur et mon
Dieu » (Jn. 20 : 28). Le « voir-croire » est-il un critère
14
Gérardine B. DOSSOU, Exégèse de Jean 4 : 46-54, Mémoire de Maîtrise en Théologie,
Porto-Novo (UPAO), 2008, p. 43, inédit.
15
Op. Cit, p. 114.
19
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

indispensable pour être disciple de Jésus ? La problématisation de


la foi au risque du doute est la question cruciale qui se dégage de
notre séquence textuelle. Les disciples en étaient les premiers
concernés. Avec Thomas, l’on serait tenté de dire que le doute peut
conduire à une foi authentique. En d’autres termes, le « voir-
croire » est aussi un chemin qui peut aboutir au « croire-croire ».
Dans cette dynamique, comment peut-on amener une
personne à croire à un absent ? Comment peut-on entrevoir une
relation avec un Christ dont on a entendu parler, mais qui disparaît
de l’histoire des hommes ? Les croyants parleront nécessairement
de la foi. Cette foi peut-elle suffire pour comprendre ce mystère ?
Il demeure de l’impérieux devoir du croyant de montrer en quoi
cette foi reste pertinente après la montée du Seigneur Jésus, le
Révélateur et dans quelles conditions elle est alors vécue
aujourd’hui.

II-2- Comprendre le message de Jean aujourd’hui


L’herméneutique, selon M. KOUAM consiste «  à
répondre à des questions posées par les chrétiens d’aujourd’hui
sur le lien entre leur foi et celle des premiers chrétiens »16. Pour
mieux cerner ce volet de notre étude, nous situerons, d’abord, le
cadre herméneutique de l’Evangile selon Jean, afin d’asseoir,
ensuite, une interprétation de notre péricope.

16
M. KOUAM, In COLLECTIF, Initiation à l’exégèse biblique : Ancien et Nouveau
Testament, Yaoundé, Clé, 2003, p. 202
20
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

II-2-1- Cadre herméneutique


L’objet de ce chapitre consiste à asseoir les bases d’une
interprétation de notre passage biblique pour aujourd’hui. Nous
nous contenterons de rappeler quelques lignes forces et au besoin
quelques détails susceptibles d’apporter un éclairage sur le texte
que nous étudions. Il s’agit pour nous donc, de relever quelques
faits qui ont marqué la rédaction de l’Evangile.
Les évangiles sont écrits pour éclairer et consolider la foi
des croyants. Dans ce contexte, leur rédaction tient compte des
faits qui ont marqué ou marquent la vie des croyants. En voici
quelques-uns que nous proposons ici.
En ce qui concerne notre texte, Jean écrit son livre vers la
fin du premier siècle. En effet, selon A. KUEN : « des fragments
de papyrus contenant des versets de Jean ont été découverts en
Basse-Egypte. L’un d’eux a été daté des années 125 à 150.
L’Evangile était donc déjà connu et répandu dans ce pays au
début du IIème siècle »17. Cette assertion nous permet d’adhérer à la
thèse selon laquelle l’Evangile aurait été écrit entre 85 et 90, c’est-
à-dire une soixantaine d’années environ après les faits. Un
deuxième événement, non moins important advenu, est la prise de
Jérusalem et surtout, de malheur en malheur, le Temple symbole
de la présence de Dieu parmi son peuple et lieu saint par

17
A. KUEN, Soixante-six en un : Introduction aux livres de la Bible, Saint Légier,
Emmaüs, 1998, p. 178.
21
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

excellence, est détruit en 70. Le Temple est sacré et permet la


sanctification de Jérusalem et des Juifs. Ils montent chaque année à
Jérusalem : le pèlerinage. C’est ainsi que Jean va alors recentrer
encore plus l’histoire du Salut sur la personne de Jésus : « Dieu, en
effet, a tant aimé le monde qu’il donné son Fils, son unique, pour
que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie
éternelle » (Jn. 3 : 16).
Les piliers de la foi s’étant ébranlés, Jésus, Fils préexistant
de Dieu, est la Lumière venue pour éclairer le monde qui est
ténèbres. Il est impératif d’écouter la Parole de Dieu qu’il véhicule
et de croire en Lui dans ce monde où pullulent les vendeurs
d’illusions.
En définitive, Jean place donc la rédaction de son Evangile
dans la suite logique de l’Ancien Testament, en tant que Juif
connaissant bien les opinions et les coutumes juives, dont la vie
religieuse en est profondément enracinée (Jn. 3 : 14 ; 5 : 46). En
tous les cas, Jean écrit, baigné et conditionné par les événements
marquants de son temps, des faits qui font actes.

II-2-2- « L’infidèle » Thomas ou le voir pour croire


Dans l’Evangile selon Luc (Lc. 24 : 36ss), c’est
l’incrédulité générale des disciples qui réclament de Jésus des
signes probants et matériels. Le quatrième Evangile aborde ce
thème mais en concentrant toute l’attention sur Thomas. Absent
lors de l’apparition du Christ une semaine auparavant, il refuse de
22
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

se fier aux allégations des autres disciples. La résurrection est aux


yeux de Thomas une sorte de perpétuation de la vie terrestre. C’est
pourquoi et pour être certain que le Christ est vivant, il lui faut être
assuré de la continuité des réalités tangibles. La réaction de
Thomas peut être comprise dans ce sens qu’au moment de la
première apparition, il n’était pas dans l’équipe d’accueil. A ce
groupe des disciples réunis, le Seigneur Jésus dira « Recevez
l’Esprit Saint » (Jn. 20 : 22). La différence dans la compréhension
de la résurrection du Christ se situerait entre ceux qui ont reçu
l’Esprit et ceux qui ne l’ont pas reçu. Les premiers ont été
illuminés par l’Esprit pour comprendre les mystères de Dieu.
L’absence de Thomas lors de la première apparition de Jésus lui
cause des ennuis, mais, Thomas engage un dialogue d’une portée
insoupçonnable la deuxième fois que Jésus se présente au milieu
de ses apôtres. En apparaissant au milieu du cercle apostolique,
alors que les portes de la pièce sont fermées, Jésus s’adresse
délibérément à Thomas et lui montre les cicatrices de ses
blessures : « Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance
aussi ta main et jette-la dans mon côté ; et ne deviens pas infidèle,
mais croyant ! » (Jn. 20 : 27). Thomas ne réclame pas d’autres
preuves.

La triple répétition de la conjonction « si » donne la


condition de la conviction de la résurrection de Jésus-Christ. Il
s’en suit également la proclamation du groupe de mots « la paix
23
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

soit avec vous » (Jn. 20 : 27) prononcée deux fois en l’absence de
Thomas et pour la troisième fois en sa présence et qui pourrait
confirmer la Trinité, la plénitude et qui mettrait tous les disciples
au même niveau. Thomas a mauvaise presse ! Un surnom lui colle
à la peau : « Thomas le sceptique ! » Ses doutes quant à la
résurrection de Jésus tiennent peut-être davantage au fait qu’il
n’était pas présent lorsque le Seigneur s’était présenté à l’équipe
des apôtres (Jn. 20 : 19-25). N’est-il pas évident que n’importe
lequel des apôtres aurait réagi comme Thomas, s’il avait été absent
ce jour extraordinaire ?

Thomas ne manque certainement pas de courage. Lorsque


Jésus avait envisagé de quitter la Galilée pour se rendre en Judée
afin de ressusciter Lazare, et que les disciples, comprenant la
situation politique ont reconnu combien cette initiative était
dangereuse, c’est Thomas qui calmement encourage ses collègues :
« Allons, nous aussi, afin de mourir avec lui » (Jn. 1 : 16). C’est
parfois lui qui se fait le porte-parole des autres disciples pour poser
à Jésus la question qui leur brûle les lèvres. Ainsi, lorsque Jésus
annonce son départ et ajoute qu’ils connaissent le chemin, Thomas
ne s’exprime pas en son nom personnel lorsqu’il demande
calmement : « Seigneur, nous ne savons où tu vas ; comment en
saurions-nous le chemin ?» (Jn. 14 : 5).

24
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

II-2-3-Thomas ou la révélation de la seigneurie et de la divinité


de Jésus-Christ
La joie des autres disciples a été lue dans la joie de revoir
leur maître. Ce qui n’est pas le cas chez Thomas. Lorsqu’auditeur
invisible qu’il était, le Christ l’interpelle et lui offre les signes
probants recherchés, pour établir, en lui montrant et la blessure au
côté, une identité entre le Christ vivant avec le Jésus crucifié,
Thomas prononce l’une des plus grandes confessions
christologiques du Nouveau Testament : « Mon Seigneur et mon
Dieu !» (Jn. 20 : 28). Voici une profession de foi d’une autre
envergure qui va au-delà de la joie et qui glorifie la plénitude du
Seigneur. Cette profession de foi dénote également un engagement
total du disciple envers son Maître.
Le souci de Thomas de voir avant de croire pourrait fort
bien être celui des chrétiens aujourd’hui qui, à l’écoute de la
prédication de la Bonne Nouvelle, restent sceptiques mais
voudraient tout de même des garanties complémentaires. Nous
pouvons noter à cet effet quatre catégories de disciples :
- Le « croire après avoir vu » : les autres disciples de Jésus
- Le « voir avant de croire » : Thomas
- Le « croire sans voir » : les chrétiens
- Le « voir sans croire » : la cible de la mission
d’évangélisation
Thomas a été absent à cause de nous les chrétiens
d’aujourd’hui. Il a été notre témoin légitime devant le Christ. Il ne
25
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

s’agira plus de croire n’importe comment et en n’importe qui, ou


de croire facilement. Car les prédateurs pullulent partout, prêts à
nous gruger pour enfin disparaître dans la nature. Ce récit nous
offre la possibilité de réfléchir sur la portée d’une information ou
d’une révélation avant de croire.
Jésus fait alors une déclaration qui éclaire la nature du
témoignage chrétien aujourd’hui : « Parce que tu m’as vu, tu as
cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » (Jn. 20 :
29). Jésus projette son ombre sur le cours de l’histoire future, en
pensant aux millions de gens qui croiront en lui sans avoir
contemplé les cicatrices des blessures dans ses mains, ses pieds et
son côté. Leur foi n’est pas moindre. En fait, dans la providence
particulière de Dieu, le récit de l’expérience de Thomas est
justement l’une des choses dont le Saint-Esprit va se servir pour
amener les multitudes à la foi. Dans sa bonté, Jésus a fourni à l’un
la preuve visuelle et tangible pour que le compte-rendu écrit de la
foi et de la confession de Thomas entraînent la conversion de ceux
qui n’auront eu accès qu’au texte. Tout comme Thomas, ses
successeurs croient en Jésus et ont la vie en son nom (Jn. 20 :
30,31).
En définitive, Jean nous décrit le cadre juridique dans
lequel, selon Claude F. MOLLA : « les témoins cités à la barre se
succèdent : la pierre a été enlevée, le tombeau est vide, le Christ
est vivant, Marie-Madeleine l’a vu, la communauté réunie, atteste,

26
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Thomas pourtant sceptique le confirme à son tour »18. Son


témoignage et la déclaration de Jésus qui lui fait suite s’adressent
aux croyants et non croyants, bref à tous les lecteurs de tous les
siècles.

18
C. F. MOLLA, Le quatrième Evangile, Genève, Labor et Fides, 1977, p. 279.
27
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Que devons-nous retenir ?


L’étude exégétique de Jn. 20 : 24-29 nous a permis de
vérifier les affirmations bibliques qui s’y rapportent. Loin de
maintenir les chrétiens dans cette assertion peu flatteuse qui fait
croire que Thomas n’est pas digne d’un disciple de Jésus, la
méthode exégétique a permis de voir en Thomas, grâce à son
courage du doute, celui qui a amené l’humanité à comprendre la
seigneurie et la divinité du Fils de l’homme : « Mon Seigneur et
Mon Dieu » (Jn. 20 : 28). L’Evangile n’est pas une folie, mais il
est plutôt une sagesse incontestable pour le chrétien. Il en résulte
que le chrétien doit se départir d’une certaine attitude sectaire qui
condamne le monde au lieu de chercher à le comprendre. Le
chrétien doit être doté d’un esprit critique. Car l’ordre des choses
n’est pas absolument linéaire et une fois établi, il est plutôt
dynamique et tient compte des réalités existentielles. Le chrétien
est un être doué de raison. A ce titre, il ne peut pas accepter aussi
facilement une interprétation trop simpliste des Saintes Ecritures.

Or c’est cette façon de tout accepter comme des vérités


absolues qui occulte le débat et crée des dissensions au sein de la
société. F. SCHAEFFER fait, à ce niveau, une sévère mise en
garde, lorsqu’il déclare : « A toute question honnête, donner une
réponse honnête ; la formule contentez-vous de croire n’est pas
biblique. »19 Il ouvre ainsi le champ sur un vieux débat qui a eu
19
F. SCHAEFFER, Dieu illusion ou réalité ?, Aix-en-Provence, Kerygma, 1989, p. 142.
28
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

lieu au cours des premières heures de l’Eglise entre les défenseurs


du doute dans la compréhension de la foi et ceux qui estiment que
le doute est radicalement opposé à la foi. Toutefois, notre analyse
ne consistera pas à soulever ce débat, mais à démontrer que le
doute est un allié sûr de la foi. Le douteur (existentiel) expose à ses
contemporains ce qu’il découvre par le questionnement des
Ecritures afin d’enrichir leur connaissance. Et comme le souligne
SCHAEFFER : « Il peut servir Dieu par son travail
scientifique. » 20

20
Ibid, p. 81.
29
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

CHAPITRE II : GENERALITES SUR LA FOI ET LE


DOUTE
Pour mieux apprécier la question de la foi et du doute,
commençons par les définir afin de découvrir la réalité qui se
dégage de ces deux concepts.

I- Clarification conceptuelle
Nous essayerons de clarifier les trois notions
fondamentales qui composent notre sujet d’étude qui sont la foi, le
doute et le chrétien.

I-1- La notion de foi


Pour la Bible, la foi est la source et le centre de toute la vie
religieuse. Au dessein que Dieu réalise dans le temps, l’homme
doit répondre par la foi. La foi est donc une attitude humaine
complexe et les mots qui s’y rapportent forment un vocabulaire
très varié, surtout dans l’Ancien Testament. Deux racines sont
néanmoins dominantes. D’une part, nous avons un vocable qui est
de l’hébreu bêtah, « indiquant la sécurité et la confiance »21 que
l’on trouve en quelqu’un ou en ses paroles. D’autre part, l’hébreu
qwh (qâvah), au qal, désigne l’attente que les rapports humains
font naître en l’homme, lorsqu’ils engagent l’avenir. Dans la LXX,
les écrivains ne disposant pas de mots appropriés pour rendre

21
N. Ph. SANDER, I. TRENEL, Dictionnaire Hébreu-Français, Genève, Slaktine Reprints,
1987, p. 61.
30
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

l’hébreu ont tâtonné. A la racine batâh correspondent les termes


grecs elpis, elpizo, péitho, pépoitha.

Dans le Nouveau Testament, pistis et pisteuo désignant


respectivement la foi et le croire en, se confier à, sont plus
fréquents. L’étude du vocabulaire révèle que la foi, selon la Bible a
deux pôles : la confiance qui s’adresse à des reproches infidèles et
engage l’homme tout entier ; et d’autre part une démarche de
l’intelligence à qui une parole ou des signes permettent d’accéder à
des réalités qu’on ne voit pas. La foi, comme acte moral de la
conscience et du cœur, a toujours été la marque d’un disciple de
Jésus. B. GILLIERON définit la foi sous trois angles. Dans
l’Evangile selon Luc, « la foi est la relation nouvelle que le
ministère de Jésus a établie entre l’homme et Dieu 22 » (Lc. 17 :
5ss ; 18 : 8). Chez Jean, elle est « plus qu’ailleurs adhésion
personnelle au Christ 23» (Jn. 2 : 11 ; 3 : 16-18). Quant à Paul, il
désigne la foi comme « la condition nouvelle de ceux qu’on
appelle précisément les croyants, c’est-à-dire ceux qui sont
sauvés, justifiés, réconciliés, etc. 24 » (Rom. 1 : 8 ; 12 : 3 ; 14 : 1 ;
1Co. 2 : 5). Croire en Dieu engage donc une confiance du croyant,
qui ne tolère aucune compromission. Et la plus belle définition
scripturaire que nous pouvons avoir de la foi reste celle que nous

22
B. GILLIERON, Dictionnaire biblique, Aubonne, Moulin, 1985, p. 48.
23
Idem.
24
Idem.
31
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

suggère l’épître aux Hébreux : « La foi est une ferme assurance


des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit
pas. C’est par la foi que nous reconnaissons que le monde a été
formé par la parole de Dieu, en sorte que ce qu’on voit n’a pas été
fait de choses visibles. » (Hb. 11 : 1-3). Une telle foi bien comprise
concourt inévitablement au salut du croyant.

I-2- la notion de doute


Le mot « doute » dérive du latin dubitare (douter), qui
semble formé lui-même à partir de la racine « du » de « duo »
(deux). Par son étymologie, le doute indique une dualité dans la
pensée, qui se trouve sollicitée, tiraillée dans deux directions
contraires sans pouvoir se décider pour l’une ou pour l’autre. Celui
qui doute est donc partagé entre les deux membres d’une
alternative. Dans ce sens qui n’a rien de nécessairement religieux
ou moral, il est simplement synonyme d’incertitude, de perplexité,
d’hésitation. Mais dans un autre cas, et le plus souvent dans
l’Ecriture Sainte, le terme a une signification nettement spirituelle.
Il évoque, parfois dans la pensée de l’auteur biblique, l’image
d’une épave ballotée par la houle (Jq. 1 : 6 ; Eph. 4 : 14) ou encore
le va-et-vient d’un éventail (Jq. 1 : 6).

Mais, dans sa conception classique, le doute a une


puissance, car il est inhérent à notre nature humaine. D’abord,
parce que notre raison a souvent du mal à comprendre. Le sens de
32
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

la vie et l’existence de Dieu sont des phénomènes qui ne se


découvrent pas facilement. Et puis, il y a la peur ; c’est l’ennemi
de la confiance. Elle paralyse et empêche l’homme d’avancer.
Enfin, il y a le mal ! Lorsque le malheur vous tombe dessus ou sur
ceux que vous aimez, tout s’écroule. Les meilleurs raisonnements
et les plus grands sentiments ne font plus le poids lorsque l’homme
a très mal. Le doute est donc cette raison qui pousse l’humain à
l’affection et à la prise de conscience. C’est dans cet esprit qu’il
nous faut comprendre cette pensée de J. PUCELLE qui affirme :
« quant au doute, il peut se comprendre comme un dialogue
intériorisé. Questions et réponses s’échangent dans un for
intérieur, le sujet se dédoublant en deux interlocuteurs qui, tour à
tour, demandent et répondent. Expérience qui, sous son apparence
banale, renferme un mystère ; car, enfin, lequel des deux
interlocuteurs est nous-mêmes ? »25 Les hommes sont des êtres de
raison, mais ils sont d’abord des êtres affectifs. Voilà pourquoi
Jésus leur demande, en premier lieu, de s’aimer les uns les autres.
Les humains sommes des êtres fragiles, dotés de sensibilité, ayant
conscience du bien et du mal. Alors ils doutent parce qu’il y a des
choses qu’ils ne comprennent pas et surtout qu’ils n’acceptent pas
comme la révolte, la colère et l’injustice qui sont capables de les
anéantir d’un seul trait.

25
J. PUCELLE, In Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, Presses Universitaires de
France, 1962, p. 176.
33
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

I-3- La notion de chrétien


Le mot « chrétien » désigne le titre porté par tous ceux qui
sont « disciples de Jésus-Christ. »26 Les premiers disciples se
nommaient eux-mêmes les frères, les fidèles, les saints, les élus.
C’est à Antioche qu’ils furent appelés, pour la première fois,
chrétiens. Les païens et les Juifs les appelaient Nazaréens et
Galiléens (Ac. 11 : 26 ; 26 : 28). Sous son extension, le mot
« chrétien » comprend donc tous les hommes qui sont baptisés et
qui croient au Christ. L’écriture primitive dans les manuscrits
grecs était krêstianoï ou kréistianoï qui a donné le mot christianos
signifiant « qui professe la religion du Christ, chrétien »27 ; d’où
les transcriptions latines chrestos et christianus pour désigner celui
« qui appartient à l’une des religions issues de la prédication du
Christ. »28

De nos jours, est appelé chrétien celui qui, ayant cru au


Christ, a reçu le baptême. C’est un homme éclairé par l’action de
la grâce divine, qui est convaincu de la dépravation du cœur
humain, de l’incapacité et de l’insuffisance de ses œuvres pour
obtenir le salut. Il se confie entièrement à Jésus-Christ et se soumet
à l’action du Saint-Esprit pour la régénération de son être. Son
caractère est ainsi transformé pour qu’il glorifie désormais le Dieu

26
F. REISDORF-REECE, Encyclopédie biblique, France, CLC, 2011, p. 101.
27
Op. Cit., p. 2155.
28
Op. Cit., p. 224.
34
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

qui s’est révélé à lui par une conduite digne de son appel. Le
chrétien, par ailleurs, est incorporé à l’Eglise. Il est rendu capable
et engagé au service de Dieu dans une participation vivante à la
liturgie et à l’exercice sacerdotal. Cela nécessite de sa part une foi
inébranlable et sans conteste en Dieu. La foi constitue, ainsi, une
des caractéristiques fondamentales du chrétien. Après avoir défini
les concepts de foi, doute et chrétien, intéressons-nous aux
différentes catégories de foi et de doute qui nous permettrons de
mettre en relief le rapport indéniable qui existe entre eux.

35
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

II- Différents types de foi et diverses formes de doute


De manière générale, nous distinguons trois différentes
conceptions de la foi et également du doute. Mais dans le cas
d’espèce, nous nous appuierons sur l’exposé du Professeur
Frédéric ROGNON qui, à travers le paradigme « La foi au risque
du doute »29 détermine quatre types de foi et quatre formes de
doute.

II-1- Les différents types de foi


La foi peut être répartie en quatre catégories suivant les
différentes conceptions que nous avons d’elle. Il s’agit de la foi
considérée comme un saut dans l’inconnu, la foi comme une
certitude, la foi comme une croyance et la foi comme un chemin.

II-1-1- La foi comme saut dans l’inconnu


Une première conception de la foi consiste à la considérer
comme un saut dans l’inconnu. L’homme se place ici sur un
plongeoir haut de plusieurs centaines de mettre, de sorte qu’il ne
voit rien de ce qu’il y a au-dessous de lui. Dans l’espoir que Dieu
l’attende tout en bas, pour l’accueillir à bras ouvert, il se laisse
tomber les yeux fermés. Le philosophe danois S.
KIERKEGAARD définit cette image comme un plongeon en
Dieu, un saut dans l’absolu, dans l’infini, dans l’incompréhensible,

29
F. ROGNON,  La foi au risque du doute, Séminaire Cevaa, Porto-Novo (U.P.A.O),
Décembre 2012, inédit.
36
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

sans filet, sans sécurité30. KIERKEGAARD propose une seconde


métaphore. Selon lui, avoir la foi, c’est nager en pleine mer, à
soixante dix milles brasses31 au-dessus des abîmes, tandis que les
autres, ceux qui n’ont pas la foi, barbotent auprès du rivage, là où
ils ont mis pied. Pour le philosophe danois, la foi doit tourner le
dos à toutes les sécurités, à commencer par les sécurités
rationnelles : la foi consiste à congédier l’intelligence, à martyriser
la raison et à la crucifier. Cette hostilité de la foi envers la raison
tient à la « différence qualitative infinie » qui sépare les choses
humaines des réalités divines.
La foi du patriarche Abraham, acceptant de sacrifier son
fils Isaac, en est une parfaite illustration (Gn. 22 : 1-19). Dans ce
récit, Dieu fait la promesse d’une descendance innombrable à un
homme centenaire et à une vieille femme stérile. Cette situation
paraît, à première vue, absurde. Mais l’absurde atteint son comble
lorsque Dieu, ayant tenu sa promesse, demande ensuite à Abraham
d’en sacrifier le fruit, son fils unique Isaac. Ainsi, Dieu ne
compromet-il pas lui-même l’espoir d’une descendance qu’il a
promise, et qu’il a commencée à réaliser ? Ne met-il pas en péril
son propre engagement ? Car, au bout du compte, il prend par là
même le risque d’anéantir son œuvre. L’intrigue recèle un
véritable défi à la raison. Mais Abraham  espère contre toute
30
S. KIERKEGAARD (1813-1855), philosophe religieux danois dont les réflexions sur
l’existence et la responsabilité individuelles exercèrent une influence profonde sur la
théologie et la philosophie modernes et en particulier sur l’existentialisme.
31
Nage sur le ventre par mouvements simultanés et symétriques des bras, puis des jambes ;
chacun des espaces parcourus constitue une brasse. Elle équivaut environ 160 centimètres.
37
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

espérance en l’Eternel, c’est-à-dire qu’il croit sans comprendre,


sans calculer, convaincu que rien n’est impossible à Dieu. La Bible
le présente comme le héros de la foi: celui qui croit aveuglément,
sans se poser de questions.

II-1-2- La foi comme certitude


La foi n’est pas nécessairement aveugle. Elle peut aussi
être éclairée, ferme et solide. Nous pouvons admettre que cette
catégorie de foi ne se présente pas comme un saut dans l’inconnu,
mais, plutôt un saut dans la certitude. Pour le philosophe
MALEBRANCHE cité par P. FOULQUIE : « La certitude de la
foi vient de l’autorité d’un Dieu qui parle et qui ne peut jamais se
tromper. »32 L’infaillibilité de Dieu est mise ici en évidence. Elle
rassure l’homme de sa pleine confiance en Dieu. Cette conception
de la foi est également exprimée par l’auteur de l’Epître aux
Hébreux, en prélude au célèbre hymne de la foi qu’est le chapitre
11 : « La foi est une assurance des choses qu’on espère, la
démonstration) de celles qu’on ne voit pas. » (Héb. 11 : 1). Avoir
la foi, dans ce contexte, c’est avoir le désir ardent d’appartenir au
Tout-Puissant, car il assure sécurité et confiance. Une telle foi est
inébranlable et peut contenir les plus aveuglantes oppositions de
l’expérience. La fermeté de cette foi tient à la force du désir de
croire.

32
MALEBRANCHE, In Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, Presses
Universitaires de France, 1962, p. 282.
38
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

II-1-3- La foi comme croyance


La foi peut être envisagée non plus comme certitude mais
croyance. Elle est plus présente chez les théologiens catholiques.
Ces derniers définissent la foi comme une croyance, c’est-à-dire
qu’en tant que vertu théologale, la foi est une adhésion à la
doctrine révélée (acte de foi) ou cette doctrine elle-même (les
confesseurs de la foi). Pour ces théologiens, la confiance relève
plutôt de l’espérance que de la foi. C’est donc à juste titre que H.
DELACROIX cité par FOULQUIE affirme que : « La foi ainsi
entendue (celle des catholiques) est donc l’acte de l’intelligence
par lequel le sujet tient pour vrai tout ce que Dieu a révélé, parce
qu’il l’a révélé, et qu’il ne peut ni se tromper ni tromper. L’objet
de la foi, c’est donc ce que Dieu a révélé ; le motif de la foi, c’est
la véracité de Dieu qui révèle. La démonstration du fait de la
révélation n’est pas le motif de la foi ; elle rend simplement
croyables les vérités révélées. »33 Le croyant, dans un tel cas, n’est
pas sûr et certain, mais il a suffisamment de conviction pour
penser que ce qu’il croit, est vrai. Le croyant qui identifie sa foi à
une croyance pourrait rejoindre de fait l’agnostique34.
S’il est un personnage biblique qui a fait l’expérience de la
foi comme croyance, c’est bien Thomas, le disciple de Jésus-
Christ. Avec lui, il ne s’agit plus de la foi comme savoir ni comme

33
H. DELACROIX, In Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, Presses
Universitaires de France, 1962, p. 282.
34
Quelqu’un qui professe que tout ce qui est au-delà du donné expérimental, c’est-à-dire
toute qui est métaphysique, est inconnaissable.
39
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

saut dans l’inconnu, mais bien de la foi comme conviction qui


dépasse l’entendement : une foi qui s’appuie sur l’expérience
sensible pour la transcender, pour aller au-delà. Le personnage,
que met en scène l’Evangile selon Jean, ne voulait croire que ce
qu’il voyait : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des
clous, si je ne jette pas mon doigt dans la marque des clous et si je
ne jette pas ma main dans son côté, je ne croirai pas » (Jn. 20 :
25).

II-1-4- La foi comme chemin ou cheminement


C’est assurément dans une conception de la foi comme
chemin que nous serions le mieux à même d’articuler foi et doute,
dans un rapport dialectique plus fidèle à l’expérience vécue du
croyant. En effet, la foi n’échappe nullement aux mutations des
sociétés humaines. Elle est, également, influencée par les divers
bouleversements des aléas de la temporalité : croissance,
décroissance, succès et épreuves de toutes sortes. L’image du
chemin est à la fois assez vague et suffisamment précise pour
intégrer tous ces paramètres, puisque les chemins peuvent être des
sentiers de montagne, des routes sinueuses, des chemins de
bûcherons qui mènent nulle part ou des routes nationales toutes
droites, ou des autoroutes. En réalité, la foi comme chemin évoque
plutôt un itinéraire qui, selon les différentes phases de la vie,
adopte tantôt telle modalité et tantôt telle autre.

40
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Nous savons qu’aux temps de l’Eglise primitive, les


premiers chrétiens, avant de s’appeler précisément « chrétiens, ont
été appelés puis se sont eux-mêmes appelés « ceux de la voie »,
« ceux du chemin ». Nous pouvons repérer huit occurrences de
cette expression métaphorique dans le livre des Actes des apôtres.
Nous trouvons deux mentions de la « voie de Dieu » dans les
évangiles synoptiques, surtout chez Matthieu (Mt. 22 : 16) et Marc
(Mc. 12 : 14), mais également de nombreux cas de ce motif dès
l’Ancien Testament, aussi bien dans la Torah que chez les
Prophètes.
En résumé, les caractéristiques des différentes « foi » nous
poussent à avoir une présentation de la foi comme un
cheminement, c’est-à-dire un dynamisme.

II-2- Les diverses formes de doute35


Nous distinguerons quatre formes de doute au lieu de trois
d’ordinaire. Il s’agit du doute sceptique, du doute méthodique, du
doute cathartique et du doute existentiel.

II-2-1- Le doute sceptique


Le doute dit sceptique est un doute implacable, intraitable :
rien ne doit lui échapper. Le verbe grec skêptomaï, qui est à
l’origine du déterminant français « sceptique », selon le
Dictionnaire Grec-Français BAILLY signifie : « regarder
35
F. ROGNON, Ibid.
41
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

attentivement, considérer, observer, examiner. »36 Selon la posture


sceptique, la moindre affirmation doit être soumise au doute. C’est
le cas de l’individu qui ne se laisse rien conter ou qui ne fait de
crédit de rien à personne au cours d’un entretien, par exemple. Le
premier douteur sceptique, PYRRHON D’ELEE 37, soutenait que
l’on ne peut connaître aucune vérité. Rien ne peut être affirmé,
disait-il, car tout est une question d’interprétation, de perspective,
de point de vue. Le sceptique s’établit dans son doute comme dans
un état définitif.
De nos jours, le scepticisme tend à se répandre non pas
comme une position réfléchie, mais plutôt sous la forme d'une
attitude pratique. Beaucoup de nos contemporains sont atteints par
cette véritable maladie spirituelle que constitue l'indifférence aux
grands problèmes, le refus de se soucier du sens de la vie et du
monde. Ce scepticisme-là est contre la foi.

II-2-2- Le doute méthodique


Le doute méthodique proposé par R. DESCARTES, est
une démarche rationnelle qui vise à vérifier le bien-fondé de toute
certitude. Ce doute est dit méthodique parce qu'il est un moyen
pour atteindre ou pour approcher la vérité. Selon R. DESCARTES,
ce doute permet de se débarrasser de tous les préjugés et de toutes
36
Op. Cit., p. 1757.
37
Philosophe grec (360-272 av. J-C), fondateur de l’Ecole sceptique vers 322 av. J-C.

42
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

les faussetés pour ne posséder que le vrai. C’est pourquoi, affirme-


t-il que : « Mais, parce qu’alors je désirais vaquer seulement à la
recherche de la vérité, je pensai qu’il fallait que je fisse tout le
contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en
quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne
resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fut
entièrement indubitable. »38
A la différence donc du doute sceptique, qui consiste à
douter pour douter, le doute méthodique, est un doute provisoire,
qui est amené à s’effacer sitôt l’examen achevé. Son objectif est de
dégager une vérité incontestable, une vérité dont nous ne pourrions
douter. Le doute méthodique permet d’éliminer le doute.
DESCARTES commence par se défaire de toutes les opinions
qu’il avait reçues de son éducation, de ses prédécesseurs, de tout
ce qu’il avait avalisé sans vérification. C’est ainsi qu’il tiendra
pour fausses toutes les pensées incertaines ou même simplement
vraisemblables. Il en va ainsi de l’existence de Dieu, argument
d’autorité qu’il avait reçu de la tradition.
Ce doute intellectuel qui examine et critique semble être
nécessaire pour une foi intelligente et réfléchie, qui doit amener le
chrétien à aimer Dieu non seulement de tout son cœur et de toute
son âme, mais aussi de toute sa pensée. Il nous empêche de verser
dans une crédulité aveugle et fanatique. Il se refuse à laisser la

38
R. DESCARTES, Discours de la méthode, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 59.
43
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

moindre place au mystère, à l’irrationnel et à l’incompréhensible,


mais il aide une foi authentique.

II-2-3- Le doute cathartique


Le doute cathartique est un doute de purification, de
discernement parmi les croyances, de ce qui relève véritablement
de la foi. L’intention du doute cathartique ou doute laxatif est
d’emblée polémique envers la croyance. Il intervient pour trier
parmi ce à quoi le croyant accorde du crédit, et dégager la foi de la
croyance : c’est la mise à l’épreuve de tout ce à quoi il croit, afin
de ne conserver que ce qui est le fruit de la révélation divine. La
lecture des ouvrages des philosophes du soupçon, MARX,
NIETZSCHE et FREUD, par exemple, nous permet d’entrer dans
cette démarche de doute cathartique.

II-2-4- Le doute existentiel


Nous empruntons l’expression de « doute existentiel » à A.
GOUNELLE, qui s’appuie lui-même sur l’œuvre du théologien P.
TILLICH. A la différence des trois doutes précédents, le doute
existentiel n’est ni recherché ni provoqué ni cultivé. Il vient, par la
force des choses, par les aléas de la vie, par la confrontation à la
mort, et personne n’y échappe. Nous pouvons, dans certains cas,
concevoir que, s’il s’agit d’un doute qui n’est pas acquis au
forceps, il serait donné à l’homme par grâce, comme un
équipement sérieux pour nourrir sa foi. C’est pourquoi il vaut
44
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

mieux ne pas le nier, non seulement par simple souci de réalisme


et d’honnêteté, mais aussi pour le regarder en face, afin d’en
bénéficier en le surmontant.

Le doute existentiel n’est pas un jeu, ni un art, ni une


simulation, mais il constitue une angoisse réelle qui saisit l’homme
avec force, et qui ébranle les fondements de sa vie de foi, de ses
choix et de ses valeurs. Il surgit lorsque le sol semble se dérober
sous les pieds humains, ou lorsque l’homme perd la trace de ses
sentiers dans la forêt. Cette angoisse existentielle se trouve dans le
Nouveau Testament. Elle saisit les disciples quand la tempête
menace d'engloutir leur barque (Mc. 4 : 35-41). Elle s'empare des
amis de Jésus quand, le vendredi de la passion de leur Maître, leur
cause semble définitivement perdue (Lc. 22). Ainsi, tout ce qui
reste au croyant à faire de mieux est de revenir en arrière, de
reconsidérer ses derniers pas. Le croyant est également conseillé et
amené à se réorienter, et éventuellement à appeler au secours. Sur
le plan existentiel, c’est l’occasion de retourner à une plus grande
fidélité à soi-même, sans pour autant ne compter que sur soi-
même, mais en criant à Dieu qui appelle le croyant et l’aide à
demeurer davantage fidèle à lui-même. Nous retrouvons ici le
philosophe K. JASPERS, pour qui, il n’est de foi que celle qui
affronte l’incertitude.

45
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

En résumé, l’étude sur la foi et le doute permet au chrétien


d’apprécier dans quelle catégorie il peut se trouver. La question
fondamentale demeure la jonction qu’il fait entre ces deux notions
pour s’assurer d’une vie chrétienne sans heurts. En d’autres mots
quelle est la place du doute dans sa vie de foi ?

46
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

CHAPITRE III : REGARDS CROISES DU CHRETIEN SUR


LE RAPPORT ENTRE FOI ET DOUTE
Une des grandes difficultés dans notre marche par la foi
est qu'aujourd'hui, dans le monde chrétien, on parle
essentiellement de la grande foi des grands hommes ou femmes de
Dieu. C’est cette foi que tous veulent imiter, occultant ainsi
certaines réalités d’ordre existentiel ou purement humain. Mais,
ces hommes et femmes à la grande foi ne se sont-ils jamais
débattus avec le doute? Si oui, comment les chrétiens perçoivent-
ils le doute dans leur vie propre et dans leurs différentes
communautés ecclésiales ?

I- Les différentes conceptions du doute chez les


chrétiens aujourd’hui
L’objet de ce chapitre consiste à mettre en relief les
différentes conceptions qu’ont les chrétiens du doute, suivant
qu’ils appartiennent à une confession religieuse ou à une autre.
Nos recherches nous ont plongé dans l’univers ecclésiastique de
trois grandes catégories de communautés que forment les chrétiens
aujourd’hui. Il s’agit des églises institutionnelles, des nouveaux
mouvements religieux (NMR) et des églises de type africain. En
parcourant deux villes côtières (Dabou et Jacqueville) de la Côte
d’Ivoire, dans lesquelles sont concentrées la majorité des
confessions religieuses précitées, nous nous sommes heurté au
refus catégorique de nombreux chrétiens d’aborder la question du
47
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

doute dans leur vie de foi. Malgré les différentes explications


données ça et là, afin de leur faire comprendre le bien fondé de
notre étude, nos attentes sont restées vaines. La plupart des
chrétiens qui se sont prêtés à nos questions, est composée des
prêtres, pasteurs, prédicateurs, apôtres, prophètes, enseignants,
magistrats et quelques fidèles laïcs possédant une certaine maturité
intellectuelle. Nous sommes passé, ainsi, d’une étude quantitative
à une enquête qualitative.
Nous avons travaillé sur un échantillon de cent cinquante
chrétiens, à raison de cinquante personnes par communauté
confessionnelle. Seulement soixante et une personnes ont répondu
aux questions posées, soit un pourcentage de 46%.

Toutefois, il faut préciser que le constat demeure le même


et pour tous les chrétiens rencontrés. Cette situation conduit
inévitablement à diverses interrogations, dont on pourrait relever
quelques unes :
 Pourquoi les chrétiens refusent-ils de parler du doute
dans leur vie de foi ?
 La vie chrétienne est-elle une vie linéaire, sans
trébuchement ni obstacles ?
 Les chrétiens pensaient-ils être jugés par rapport aux
réponses données ?

48
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

 Avons-nous utilisé la bonne procédure d’approche


pour notre étude ?
Ces interrogations trouveront des réponses adéquates dans
le développement qui suivra dans les différentes parties de ce
chapitre.

I-1- Le doute dans les églises institutionnelles


Les églises dites institutionnelles sont les églises
« héritières d’anciennes traditions. »39 Elles sont constituées de
l’Eglise catholique romaine et de l’Eglise protestante issue de la
Réforme du XVIe siècle. Dans ces communautés, le doute est
perçu comme un état que peut rencontrer tout chrétien au cours de
sa vie.
En effet, il n’est pas surprenant d’entendre prononcer par
un chrétien catholique ou protestant cette phrase du Psalmiste (Ps.
22), reprise par le Christ sur la croix de Golgotha : « Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt. 27 : 46). Adhérer
au Christ, se confier entièrement à lui, ne doit pas être pour le
chrétien une manière de rejeter la part importante qu’occupe le
doute dans sa vie de foi. Cela ne signifie également pas que le
chrétien est totalement transformé en un bloc de certitude qui le
fonde à avoir résolu toutes les questions auxquelles il est
confronté. Bien au contraire, il s’engage dans une aventure
amoureuse dont seul Dieu connaît les tenants et les aboutissants.
39
M. S. DOSSOU, La Nouvelle Afrique de Jésus-Christ, Yaoundé, Sherpa, 2002, p. 116.
49
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

La foi chrétienne n’est pas linéaire, ou comme le pensent certains


chrétiens, donnée une foi pour toute. Elle est la résultante d’un
énorme effort de surpassement de soi pour s’assumer afin de
respecter les règles du jeu, dans sa relation avec Dieu. C’est
pourquoi, le chrétien doit compter avec le doute (existentiel) qui
constitue des moments de flottements dans sa marche spirituelle.
Ce doute contribue à se forger une personnalité spirituelle et à
maintenir le croyant dans l’exercice essentiel de
l’approfondissement de sa foi.
Dans cette dynamique, le chrétien qui doute, pour les
églises traditionnelles, n’est pas à confondre ni avec le sceptique
systématique ni avec celui qui a simplement peur de s’engager.
Ainsi, pourrait-on résumer cette conception du doute dans les
églises institutionnelles dans la pensée de ce septuagénaire d’un
village voisin qui, accablé par les réprimandes de ses amis, du fait
de son état de polygame, leur répondra : « Les hommes et les
femmes de foi, Dieu n’en cherchent pas, car il n’en existe aucun
sur cette terre. Mais ce qu’il désire c’est de voir des hommes et
des femmes qui sont prêts à le suivre et à obéir à sa Parole, non de
manière aveugle, seulement qu’ils sachent où ils posent les
pieds. »40
La foi n’est pas l’absence de doute, mais elle caractérise la
présence d’une obéissance à Dieu. L’histoire nous enseigne que

40
Entretien réalisé sous l’arbre à palabre dans le village de Mopoyem (sud côtier de la Côte
d’Ivoire), le 10 août 2013, à 16 heures.
50
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

bien des Saints et des mystiques de l’Eglise des premiers siècles


ont connu l’épreuve de doute. Cependant, ils s’en sont sortis
fortifiés et grandis dans leur amour de Dieu. Le chrétien douteur
ne perd pas sa foi et ne fait pas ainsi prévaloir sa raison, mais il
cherche plutôt, selon H. MARROU « à saisir par la lumière de la
raison ce que tu possèdes déjà fermement par la foi. »41 Comment
un chrétien peut-il croire s’il n’a pas une âme raisonnable ? A cette
question, MALEBRANCHE répondra : « Si donc vous n’êtes pas
convaincus par la raison qu’il y a un Dieu, comment serez-vous
convaincus qu’il a parlé ? »42

Le doute dans les églises institutionnelles : une même


conception, deux approches différentes.

I-1-1- L’approche catholique


Le milieu intellectuel et le clergé pensent que la vérité
biblique peut être connue à travers une démarche cognitive basée
sur la philosophie. En effet, selon le philosophe chrétien catholique
THOMAS D’AQUIN : « Croire au Christ est souvent en soi une
bonne chose mais c’est une faute morale que de croire au Christ si
la raison estime que cet acte est mauvais ; chacun doit obéir à sa
conscience même erronée. »43 Pour lui, le fait que certains

41
H. MARROU, SAINT AUGUSTIN et l’augustinisme, Paris, Seuil, 1955, p. 145.
42
Idem, p. 282.
43
Saint Th. d’AQUIN, In Collectif, Théo, L’encyclopédie catholique pour tous, Paris,
Droguet-Ardant/Fayard, 1992, p. 609.
51
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

chrétiens restent insensibles, soit partiellement soit totalement, aux


dogmes, provient de ce qu’ils ne peuvent pas, en toute conscience
faire autrement. Le chrétien catholique ne peut donc croire aussi
légèrement tant que la raison ne l’y invite pas. La foi ne saurait
donc aller contre la raison. Si nous estimons qu’un chrétien ne peut
pas éprouver de difficultés parce qu’il est en Christ, il n’en
demeure pas moins, selon NEWMAN, que « dix mille difficultés
ne font pas un doute. »44 A propos, suivons le témoignage de cette
internaute, avec qui nous avons échangé sur la question du doute
chez les chrétiens catholiques, et qui affirme qu’« En fin de
compte, le doute a sauvé ma foi. »45 Elle nous rappelle que la vie
chrétienne est un voyage. Pour ce faire, le chrétien doit apprendre
à vivre dans les questions. Il apprend à attendre de Dieu, non les
réponses promises toutes faites, mais la promesse de se transporter
de ses zones de confort soigneusement balisées vers un endroit
meilleur. Qu’en est-il de l’approche protestante ?

I-1-2- L’approche protestante


Dans les églises protestantes, en Côte d’Ivoire
particulièrement, la majorité des chrétiens, surtout intellectuels,
soutient que l’homme ne peut comprendre la Bible qu’à travers
une démarche scientifique. Cette démarche qui se veut rationnelle

44
NEWMAN, In P. FOULQUIE, Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, Presses
Universitaires de France, 1962, p. 188.
45
Le doute dans la vie des chrétiens, in cvablog.com/creationetevolution, 28/11/2013 à
17h05.
52
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

s’appelle l’herméneutique et signifie : « la science de


l'interprétation. » 46
Les origines de la tradition herméneutique
coïncident avec l'exégèse ou le commentaire des textes bibliques
par les théologiens protestants. Les chrétiens protestants accordent
du crédit au doute (existentiel), dans ce sens qu’il permet de
comprendre la foi. Néanmoins, il ne faut pas comprendre ce doute
dans l’ordre du savoir. Car dans ce domaine, il devient radical
(méthodologique) et la foi n’a aucune place. Il faut plutôt
l’apprécier dans l’ordre du croire, plus subjectif et personnel. C’est
dans cet ordre d’idée qu’il faut comprendre la pensée de T.
GANDONOU qui soutient que : « Le comble de la foi, c’est de
marcher en avant sans rien comprendre. »47 Selon lui, le doute
aide à la réflexion et à la connaissance, et est aussi nécessaire dans
le domaine de la théologie.
Le chrétien doit constamment examiner, mettre en
question les grandes doctrines chrétiennes pour en éprouver la
validité, le bien fondé, pour les modifier ou pour en proposer
d'autres, s'il y a lieu. Vouloir donc soustraire le doute dans la
compréhension de la foi reviendrait à tuer la pensée théologique.
Or, il ne s’agit pas pour le chrétien d’éliminer la réflexion de la foi
sur elle-même. Dans ce cas, il se condamnerait à la superstition. Le
« doute n'a rien de dramatique. Il constitue un outil ou un

46
Dictionnaire Encarta 2009.
47
Professeur d’Hébreu biblique et d’Ancien Testament, Pasteur de l’Eglise Protestante
Méthodiste du Bénin et actuel Directeur des Services Académiques de la filière Théologie
de l’UPAO.
53
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

instrument qu'utilise le raisonnement »48 dira A. GOUNELLE. Le


doute devient cette méthode qui permet au chrétien de posséder
une foi qui réfléchit, qui comprend et qui s’efforce d’aimer Dieu et
son prochain. Ainsi, il rejette toute idée d’aveuglement,
d’obscurantisme et de fanatisme de la foi, met en cause ce que le
chrétien croit et l’aide à parvenir à une intelligibilité et une
consolidation de sa foi.
Malgré tout, il existe encore dans les communautés
catholiques et protestantes, des chrétiens qui croient fermement
aux pouvoirs magiques de certains sacrements et prières, et qui
pensent aussi que la foi est un héritage laissé par leurs aïeux.
Ceux-là ne laissent aucune place au doute dans leur vie de foi.

I-2- Le doute dans les nouveaux mouvements religieux (NMR)


Le juriste italien M. INTROVIGNE, promoteur des NMR,
évitait à ces mouvements religieux naissants le terme secte,
beaucoup plus péjoratif. Apparus au XXe siècle, les NMR se
rencontrent un peu partout dans toutes les religions monothéistes et
touchent tous les secteurs d’activités les plus diverses (économie,
finance, science, etc.)49 Nous pouvons classer dans cette catégorie
le néo-pentecôtisme ou renouveau charismatique, les mouvements
de réveil50 et les églises dites « évangéliques. »51 La particularité de
ces mouvements est la « trop grande connaissance » de la Bible,
48
Op. Cit, p. 2
49
P. T. KPAMEGAN, l’EPMB face à l’avènement des mouvements de réveil, mémoire de
Licence en Théologie, Porto-Novo (UPAO), 2008, p. 10, inédit.
54
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

selon eux, qui se matérialise par un récital interminable de versets


bibliques lors des prédications ou des causeries. A cela, il faut
ajouter une approche littérale des Saintes Ecritures. Le pasteur ou
prédicateur n’a pas besoin d’une formation théologique pour parler
de la part de Dieu. C’est l’onction du Saint-Esprit qui agit en
l’individu et lui révèle tout ce qu’il doit dire. Leur objectif
principal étant de convertir, les NMR semblent beaucoup plus
préoccupés par l'accessibilité de leurs idées auprès d'une large
audience.
Dans cet esprit, ils cherchent donc à s'éloigner d'une
approche académique, d'une certaine difficulté intellectuelle,
portées par la théologie dialectique. En pratique, les ministres de la
Parole simplifient très souvent l'interprétation biblique et les
doctrines complexes afin de convaincre leur public d'accepter la
foi. En procédant ainsi, ils sont souvent accusés d’ignorer
totalement certains aspects de la Bible qui n'ont pas
immédiatement trait à la sotériologie ou à la moralité personnelle,
tels que la dénonciation par les prophètes de la fierté d'Israël, la
fatuité spirituelle, la conception de Paul de Tarse de la situation
délicate des êtres humains, de leur incapacité à être à la hauteur par
rapport aux normes de la droiture et de la justice divines. Dans ces

50
Les églises des « Assemblées de Dieu », « Winners Chapels » et « Foi apostolique », par
exemple, font partie de ce grand ensemble.
51
Le terme « évangélique » (evangelical) a en anglais un sens différent de son équivalent
français ou allemand. Ici, il désigne un courant théologique interdénominationnel qui se
caractérise par son insistance sur l’autorité de la Bible comme Parole inspirée et
l’immédiateté de l’expérience pratique de l’Esprit Saint.
55
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

« églisettes »52 les chrétiens rejettent systématiquement le doute.


Car pour ces derniers, il est impensable pour un chrétien de douter
même si les difficultés inondent sa vie. La foi apparaît ici comme
une assurance tous risques.
Certes, nous avons rencontré des croyants qui se disent très
engagés, très religieux et qui affirment ne jamais connaître de
doute. Mieux même, ces chrétiens intégristes 53 font du doute un
phénomène diabolique. Pour eux, douter, c'est faillir, trahir,
sombrer dans le chaos. Parce qu'ils érigent à tort la foi en certitude,
ils s'interdisent intérieurement et socialement de douter.

I-3- Le doute dans les églises africaines


A l’instar des autres églises protestantes, les églises
africaines nées en Côte d’Ivoire sont issues de la prédication du
prophète W. H. WADE54. La plupart de ces églises fonde leurs
doctrines sur les pouvoirs miraculeux d’un leader, fut-il chrétien
ou non. Les fondateurs des églises estiment que c’est par sa grande
canne, reçue de sa tradition ancestrale, que le prophète H. WADE
a pu christianiser la Côte d’Ivoire. Et pourtant de cette canne, le
prophète lui-même avoue : « Sa grande canne en forme de croix

52
Appellation populaire des NMR par les fidèles des églises institutionnelles ; on les
retrouve le plus souvent aux quatre coins de la rue, occupant des espaces non moins
importants ; c’est leur taille qui les détermine.
53
Nous désignons par ce terme tous les croyants qui admettent seulement une interprétation
littérale de la Bible et la considèrent infaillible.
54
Prédicateur africain (v. 1860-1929), originaire du Libéria, il était élève d’une école de la
Mission méthodiste. Il fut baptisé et a acquis une connaissance biblique qui l’aida à
évangéliser la Côte d’Ivoire vers 1912.
56
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

n’avait aucun pouvoir propre (il la brisait pour prouver qu’elle


n’était pas un fétiche), mais était un symbole du message du salut
en Jésus-Christ. »55
Nous retiendrons deux églises africaines qui ont attiré
notre attention, au cours de nos diverses investigations, dans la
pléiade que compose cette catégorie religieuse. Ce sont : l’Eglise
Papa Nouveau (EPN) et l’Eglise Messianique de Côte d’Ivoire
(EMCI). Elles s’appuient généralement sur l’épître de Jacques :
« Mais qu’il la demande avec foi, sans douter; car celui qui doute
est semblable au flot de la mer, agité par le vent et poussé de côté
et d’autre. » (Jq. 1 : 6). Ici, c'est le doute que Dieu veuille vraiment
accomplir ce qu'on lui demande. Et c'est surtout ce dernier point
qui fait problème pour beaucoup de chrétiens. Ils se refusent à
accepter que Dieu ne puisse répondre, ipso facto, à leurs requêtes.

I-3-1- La perception du doute dans l’Eglise de Papa Nouveau


De sources concordantes et bien introduites, l’EPN est le
fruit de la division qui s’est produite au sein de l’Eglise harriste56
de Toukouzou, village situé à une cinquantaine de kilomètres du
Département de Jaqueville. Selon B. HOLAS, c’est « sous
l’impulsion d’un innovateur qui se fait appeler Nouveau Papa,

55
J. BLANDENIER, Précis d’histoire des missions : du XIXe au XXe siècle, L’essor des
Missions protestantes, Nogent-sur-Marne/Saint-Légier, Institut Biblique de
Nogent/Emmaüs, 2003, p. 357.
56
Eglise issue de la prédication du prophète H. W. WADE en Côte d’Ivoire, vers 1913.
57
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

homme fort doué pour la publicité »57 que nait, en 1937, la


nouvelle formation religieuse dénommée Eglise de Papa Nouveau.
Le désormais prophète, « après avoir rebaptisé le village de
Toukouzou en Hozalem (corruption de Jérusalem), y a construit un
somptueux sanctuaire, et toutes ses activités spirituelles sont
sensiblement teintées de pensées politiques. »58
Certains habitants d’Addah et de Grand Jack (villages
voisins de Toukouzou) racontent que le prophète Papa Nouveau,
de son vrai nom Moussa Diallo, serait un « gbôsro »59. Parti à la
pêche, sa pirogue aurait chaviré et le prophète serait tombé dans
l’Océan Atlantique. Après plusieurs jours passés sous l’eau, le
prophète Papa Nouveau, rempli de pouvoir miraculeux dont il
disait avoir reçu de l’ « esprit », entama sa mission conquérante
pour l’implantation d’une Eglise néo-harriste dans sa région
d’accueil. Jusqu’aujourd’hui, avec le décès du père fondateur, le
nombre d’adeptes va en crescendo.
Les fidèles de l’Eglise Papa Nouveau estiment dans leur
grande majorité que le doute est un péché pour celui qui croit en
Dieu. En effet, cette conception du doute tire sa racine dans la
toute puissance protectrice de « Sa Sainteté »60 le prophète Papa

57
B. HOLAS, Le séparatisme religieux en Afrique Noire : L’exemple de la Côte d’Ivoire,
Paris, Presses Universitaires de France, 1965, p. 241.
58
Idem.
59
Titre donné aux pêcheurs maliens dont la présence sur tout le littoral ivoirien est très
importante.
60
Titre que s’est donné le prophète lors d’un message public adressé à ses adeptes, à
Abidjan le 26 Juillet 1994.
58
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Nouveau, dont les pouvoirs miraculeux maintiennent les adeptes


dans une sorte d’hypnose. La doctrine de l’EPN est l’attachement à
l’efficacité de la prière comme expérience de la puissance de
l’esprit, mais aussi l’omniscience des dons charismatiques de la
prophétie et de la guérison tant spirituelle que physique. Son
ritualisme et sa vie cultuelle intense s’accompagnent de la reprise
des nombreux rites traditionnels africains : rites de protection, de
fécondité des femmes, de sortie d’enfant, consultation divinatoire,
célébration de la lune, pratique de la réclusion des malades, de leur
mise en « sécurité » au couvent pour l’accomplissement de
certains travaux. D’ailleurs, pour ce qui concerne le rite de la
fécondité des femmes, des témoins rencontrés relatent que le
prophète défend aux femmes de manger la noix de coco. En
réalité, c’est une manière pour lui de préserver sa production de ce
produit très prisé dans la région et dont l’exploitation s’élève à des
milliers de tonnes. Le nombre de femmes travaillant dans la
plantation était estimé à plus de mille personnes.
Le prophète était le médiateur entre Dieu et les hommes. A
ce titre, toute parole qui sortait de sa bouche était considérée
comme parole d’Evangile, en témoigne ce court extrait de sa
prédication : « Je suis peiné car je suis là et vous allez vers
d’autres personnes pour chercher la richesse. »61 Tout le monde
croyait en lui, même les chrétiens des églises traditionnelles y
allaient pour trouver une réponse à leur problème. C’est donc cette
61
Messe de 06 heures, Toukouzou le 20 décembre 1992.
59
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

confiance, cette assurance placée en une personne dont les


chrétiens pensent qu’il détient les clés du bonheur éternel (la
richesse et la longévité selon le prophète), qui les amènent à
exclure tout doute de leur vie de foi.

I-3-2- La perception du doute dans l’Eglise Messianique de


Côte d’Ivoire
L’EMCI est un mouvement syncrétiste, néo-harriste, qui a
vu le jour en janvier 1963 grâce à l’œuvre du prophète Josué
EDJROH, conducteur de l’Eglise Protestante Méthodiste
d’Akradjo, dans le Département de Dabou. Josué EDJROH, pour
échapper aux critiques acerbes des chrétiens méthodistes,
répondait à leur préoccupation par l’interrogation-réponse
suivante : Qui connaît ? Dieu seul. Ce fut donc la première
appellation de son mouvement semi-religieux qui sera rebaptisé
plus tard « Eglise Messianique de Côte d’Ivoire » (EMCI).
Selon N. MELEDJE : « EDJROH le fondateur, un
Méthodiste avant cela, avait eu plusieurs songes consécutifs entre
1962 et 1965. Tous ses songes l’invitaient à aller vers ses frères
malades et les guérir par la seule foi en Jésus-Christ. »62 Certains
témoignages des habitants de son village natal racontent qu’il se
faisait aider dans sa tâche par les plus grands sorciers des villages
voisins, chacun ayant un rôle spécifique à jouer. Effectivement, en

62
N. MELEDJE, Un chrétien peut-il quitter son église pour en fonder ou en rallier une
autre ?, Thèse de Baccalauréat en théologie, Porto-Novo (EPEPN), Juin 1970, p. 56.
60
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

l’espace de cinq mois de l’année 1963, le prophète est arrivé à


guérir plus de 796 personnes malades spirituellement ou
physiquement. N. MELEDJE affirme que : « six mille pèlerins lui
ont rendu visite à cette même date. »63
Les fidèles messianiques pensent que le doute est une perte
de foi. Il ronge la foi et conduit inévitablement et progressivement
à la négation des vérités chrétiennes. Le chrétien doit tout faire
pour éviter le doute car il est déstabilisant. Ceci est encore plus
vrai lorsqu’il s’agit de la foi. Le doute et la foi s’excluent
mutuellement. C’est soit l’un, soit l’autre. Le doute est un assaut
contre la foi en ce sens qu’il produit des émotions destructrices
telles que la dépression, la colère, l’irritabilité et le stress.
Partant, les chrétiens messianiques croient fortement aux
pouvoirs miraculeux qui seraient transmis par le Dieu de Jésus-
Christ à leur leader lors de ses différents songes. Ce sont ces
pouvoirs qui les aident à combattre leurs doutes. C’est dans cette
optique que les messianiques ne font pas de la Bible leur livre par
excellence dont la lecture est proscrite par le prophète fondateur.
La Parole a été une fois transmise à J. EDJROH qui incarne
l’Ecriture. D’ailleurs, la formule utilisée après une prière laisse
entrevoir clairement cette idée dans l’EMCI. Elle est ainsi libellée :
« Au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit et de son cousin
Josué. »64 Le prophète venait ainsi de démontrer sa toute-puissance
63
Ibid.
64
Prière prononcée par un prédicateur messianique au cours d’un culte d’inhumation à
Niam-niambo (Dabou), Juillet 2011.
61
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

à travers la place qu’il occupe dans la Trinité. C’est pourquoi, il


affirme lui-même que : « Ceux qui croient en lui, feront plus de
miracles que lui. »65 Voilà qui rassure tous les chrétiens quant à la
messianité de leur leader. Le doute n’a plus donc sa place dans les
cœurs car les problèmes de tout genre étaient résolus, surtout par
l’absorption d’une eau bénie appelée « Siloé »66.

II- Raisons, conséquences et suggestions pour une vie


de foi authentique
II-1- Les raisons du doute pour le chrétien
Il existe de nombreuses raisons essentielles qui doivent
pousser le chrétien à un questionnement de sa foi :
l’anthropomorphisme et les désaccords dans les Saintes Ecritures,
la violence religieuse, bref, et le biblisme qui caractérisent
certaines confessions religieuses.

65
Ibid.
66
Nom donné à une rivière du village d’Aklodj par le prophète EDJROH. C’est dans cette
rivière que s’opèrent les différentes cérémonies rituelles de purification et de guérison.
62
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

II-1-1- L’anthropomorphisme et les désaccords dans les


Saintes Ecritures
L’anthropomorphisme concerne ici la manière d’aborder
ou de parler de Dieu de certains auteurs sacrés. L’exemple le plus
marquant est celui du livre d’Exode dans lequel Dieu invite Moïse
à le voir de dos : « J’écarterai ma main et tu me verras de dos ;
mais ma face, on ne peut la voir » (Ex. 33 : 23). On pourrait
ajouter certains récits dans lesquels, il est mentionné que Dieu se
plaît à la bonne odeur des sacrifices que lui offrent les prêtres. S.
CASTELLION pense que : « Si donc la nature et l’homme
montrent de la sagesse en procédant ainsi, et si c’est en
considérant la fin que nous reconnaissons cette sagesse et la
pouvons prôner, nous devons juger selon le même critère les
œuvres de la doctrine de Dieu et ne pas être choqués s’il s’y trouve
certains détails qui ont l’apparence de l’absurdité ou de la
folie67 ». En d’autres termes, le chrétien possède une sagesse qui
doit l’aider à questionner tout récit biblique afin d’en dégager la
profondeur et être éclairé par les vérités qui s’y trouvent. Attribuer
à Dieu des traits humains, semble une idée judicieuse. Mais,
combien de chrétiens le comprendraient-ils ainsi ? Si cette
remarque peut paraître anodine pour certains croyants, il n’en
demeure pas moins que le statut des Saintes Ecritures et la position
de lecteurs de ces mêmes croyants par rapport à elles sont en jeu.

67
S. CASTELLION, De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, trad. Par C.
BAUDOIN, Genève/Paris, Jeheber, 1953, p. 33.
63
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

L’autre raison de douter est le désaccord des Saintes


Ecritures avec elles-mêmes. Le philosophe CASTELLION allègue
que : « Le plus souvent, le désaccord porte sur un terme ou sur un
autre, sans que le sens soit le moins du monde compromis, ou si
par hasard il l’est, il peut être rétabli par le contexte pour autant
que l’interprétation des auteurs ne doive pas se faire par l’examen
superstitieux de chaque mot, mais le plus souvent d’après le ton
général du discours, ou la confirmation de passages analogues, ou
enfin la réflexion. »68 Les Ecritures Saintes ont été transcrites par la
main des copistes humains. En tant qu’œuvres humaines, elles ne
sont pas exemptes d’erreurs. CASTELLION soutient même que
Dieu n’a promis nulle part ailleurs qu’il veille sur la main des
copistes pour qu’en écrivant les Ecritures Saintes, ils ne se
trompent jamais, et qu’aucun livre saint ne vienne à se perdre. Il
s’agit bien de la doctrine de l’inerrance et de l’inspiration littérale
des Ecritures qui est visée. Le croyant se trouve choqué que l’on
doute un instant d’un seul mot, au risque de remettre en cause
toute l’autorité de la Bible. Il évoque la notion d’Ecritures
inspirées pour s’en défendre. Mais ce manque de courage de la
part du chrétien d’affronter cette réalité l’entraîne dans une forme
d’idolâtrie de la superstition. Les différentes positions des
chrétiens sur cette question est la cause des troubles dans les
églises.
II-1-2- La violence religieuse
68
Ibid., p. 61.
64
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

S’il y a un mobile plus grave du doute, c’est bien


évidemment la violence religieuse. Le zèle superstitieux déployé
par certains docteurs des Saintes Ecritures et d’autres instructeurs
des peuples en donne une belle illustration. Le chrétien assiste,
impuissant, à un spectacle de diversités de sectes et d’opinions
contradictoires. Il arrive parfois à se demander, s’il s’agit de la
Parole de Dieu inscrite dans la Bible ou d’autre chose. Il lui
apparait difficile d’extraire la vérité de toutes ces vagues
d’opinions, pour enfin asseoir sa foi. Les débats télévisés ou
radiodiffusés auxquels les chrétiens assistent, aujourd’hui, doivent
les amener à une introspection personnelle de leur marche
chrétienne.

Les désaccords entre les différents acteurs religieux sont


tellement grands qu’ils conduisent parfois à des offenses
publiques. A la vérité, ce n’est que l’expression d’un courant de
pensée religieuse qui s’apparente au fondamentalisme, si ce n’est
le fondamentalisme lui-même. Il est une forme de violence, ou
mieux, une violence qui précède la lecture du texte biblique et qui
s’empare d’elle69. Souvent, les responsables religieux prétextent
d’un mot pour imposer au croyant le verrouillage de
l’interprétation, c’est-à-dire une forme d’interdit. Le croyant doit

69
« L’erreur de lecture résulte d’une soif de dévastation qui précède » selon A.
GLUCKSMANN, parlant il est vrai de l’islamisme dans son rapport au Coran. Mais, il
n’empêche pas que ce vertige dévastateur est de tous les temps et de toutes les religions, in
Ouest contre Ouest, Paris, Plon, 2003, p. 186.
65
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

rejeter toute autre vision que la sienne et perçoit ainsi la différence


ou la critique comme des menaces. Cet état de choses le contraint à
adopter une position de fanatique.

En effet, le chrétien fanatique se met sous le couvert d’une


certaine idéologie qui suscite en lui une passion démesurée. Cette
passion entraîne l’exercice d’une démonstration basée sur une
croyance et sans tolérance. Or, selon G. LAVAL, l’idéologie
permet à l’individu d’haïr sans culpabilité ressentie : « Elle est
désubjectivante, aliénante car elle met hors jeu la conscience
individuelle. »70 Le fanatisme est fille de la violence religieuse. Il
se manifeste à travers le terrorisme, les chasses aux sorcières, les
guerres de religions et surtout l’intégrisme. Les chrétiens qui se
mobilisent le plus souvent autour d’un idéal, sans toutefois
chercher à comprendre les implications qui en découlent,
deviennent tous des fanatiques. « Aussi longtemps que les hommes
se buteront à la lettre des textes, comme ils l’ont fait jusqu’à
présent, ils n’obtiendront rien de plus qu’ils n’ont jusqu’à ce jour,
et c’est de se déchirer mutuellement au point de s’entre-
détruire. »71 Et CASTELLION propose la destruction de ce
monstre pourvoyeur de guerre par la mise au point d’un art de
douter.

70
G. LAVAL, Malaise dans la pensée. Essais sur la pensée totalitaire, Publisud, 1995, p.
167-168.
71
Op. Cit., p. 85.
66
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

II-1-3- Le biblisme ou le fondamentalisme


De manière générale, le biblisme désigne un attachement
particulier à la Bible, source exclusive d’autorité religieuse et
morale. Il connote un certain type de lecture normative marquée
par l’accent mis sur l’accessibilité directe du texte sacré à l’homme
de la rue. Le biblisme se caractérise par une simplification
exagérée de la Parole de Dieu, allant jusqu’à pervertir la réalité
qu’elle véhicule. Il donne libre cours, parfois et très souvent à une
interprétation maladroite et intentionnelle des saintes Ecritures.
Le biblisme est à la base de la naissance de plusieurs
courants théologiques dont l’un des plus récents et le plus en
vogue est « L’évangile » de la prospérité. Mouvement aux accents
proches du monde évangélique et charismatique, « L’évangile » de
la prospérité efface l’horizon de l’espérance pour affirmer un
« tout, tout-de-suite ». Pour ce courant, les pauvres et les malades
ne paient que le prix de leur incrédulité, parce que la foi est cette
« chose » qui génère des richesses et la guérison. Selon la
théologie de la prospérité, les Ecritures Saintes sont un mécanisme,
un outil que le chrétien se doit d’utiliser pour mettre en
mouvement les lois spirituelles. Par exemple, dans l’exercice du
ministère pastoral, l’accent est mis sur la manière de proclamer la
Parole de Dieu, plutôt que d’être mis sur la prière adressée à Dieu.
Dès l’instant où le chrétien considère que la citation des Ecritures
est un instrument par lequel on pourrait manipuler Dieu, il

67
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

s’engage dans une conception magique de la foi. Or, la magie72


prend des formes diverses et peut viser des fins différentes qui
exercent une influence sur la vie du chrétien.

Beaucoup de chrétiens pensent qu’étant donné qu’ils ont la


foi, tout problème ou toute épreuve qui se présente à eux se
résoudra de façon spontanée, miraculeuse voire magique. On
estime que la réalité matérielle est acquise et garantie par la parole
du croyant. K. COPELAND, une des figures de proue de ce
courant, affirme que : « La confession de votre bouche vous la fera
posséder. »73 Le biblisme donne une bonne raison de douter au
chrétien, car ce qu’il lui offre n’est en réalité qu’un mirage.

II-2- Les conséquences du refus du doute chez les chrétiens

II-2-1- Les obstacles liés au doute


Au nombre des obstacles qui empêchent le chrétien de
douter, nous retiendrons la peur, le sectarisme et le syncrétisme, et
le refoulement.

II-2-1-1- La peur : un obstacle au doute


Parmi les multiples émotions, la peur est celle qui touche
et frappe au quotidien le règne animal, notamment l’humain,
72
Pratique rituelle par laquelle on prétend domestiquer les puissances occultes pour les
mettre à son service et obtenir un pouvoir surnaturel sur le prochain.
73
K. COPELAND, The Laws of Prosperity, Fort Worth, Kenneth Copeland Publications,
1974, p. 20.
68
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

quelles que soient son origine, sa race, sa culture, sa religion, sa


formation, sa richesse, sa pauvreté. Qui donc serait si bien en paix
avec Dieu, avec le prochain et avec lui-même qui ne puisse avoir
peur ? Le chrétien n’est donc pas à l’abri de ce sentiment qui peut
se traduire par la peur de la vie, la peur du monde, la peur de la
mort et qui est en son essence tout cela en même temps. Comment
comprendre alors, que malgré cette assurance : « Ne crains pas,
crois seulement ! » (Mc. 5 : 6), le chrétien n’arrive toujours pas à
croire en l’Amour de Dieu en Christ ?

Dans le N.T., le mot grec phôbos se traduit par peur et


signifie aussi crainte, révérence, respect. Le chrétien a sans cesse
peur car sa vie, ses biens et son environnement sont menacés.
C’est cette peur qui lui interdit de douter. Elle le conduit à
surestimer par exemple les forces du mal, au point de croire en
elles et de finir par s’y exposer. Pour la surmonter, le chrétien doit
chercher à connaître les racines de la peur et cela suppose qu’il
interroge sa foi pour mieux la comprendre. Le doute sert ainsi à
appréhender les dangers réels ou prévisibles d’une situation et à
définir un comportement qui y répond convenablement. Malgré
tout, le chrétien refuse de s’assumer. Il affirme vivre sa foi dans la
certitude et se dit prêt à risquer sa vie plutôt que de la renier. C’est
pourquoi, pour justifier sa peur, pour s’auto-défendre ou se
protéger, il se refugie dans le sectarisme et le syncrétisme.

69
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

II-2-1-2- Le sectarisme et le syncrétisme


L’une des conséquences du refoulement du doute est le
sectarisme. C’est l’esprit de secte, de division qui crée de petits
groupes, de petites églises. Par extension, il suppose le phénomène
de la prolifération des sectes. Quant à la secte, elle est « une libre
association de chrétiens austères et conscients qui, parce que
véritablement régénérés se réunissent ensemble, se séparent du
monde et se restreignent à leurs petits cercles. Plutôt que sur la
grâce, ils mettent l’accent sur la loi et pratiquent, au sein de leur
groupe, et d’une manière radicale, la loi chrétienne de l’amour »74
Elle se caractérise par la manipulation mentale des membres en
leur sein, cautionnée et encouragée par le gourou75. La régression
mentale est favorisée afin de maintenir l’adepte dans un état de
dépendance sans cesse croissant. Ici, les différences individuelles
s’estompent au profit de la collectivité. On agit et on réfléchit
selon la ligne directrice du gourou. Le leader se présente comme le
tout-puissant selon la formule : « je suis bien celui que vous
croyez. »

La secte polarise l’attention du chrétien, qui refuse de


questionner sa foi à la lumière des fléaux (maladie, échec, mort,
chômage, souffrance) qui minent son existence, sur les prières de

74
E. TROELTSCH, In J. VERNETTE, Les sectes, Paris, Presses Universitaires de France,
1990, p. 11.
75
J. BUCHHOLD, P. JONES, Jésus-Christ, le seul bon gourou, Aix-en-Provence,
Kerygma, 1998, p. 7.
70
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

délivrance, les combats contre les mauvais esprits et les


adversaires de toutes sortes. Prétextant de se servir de l’étendard
du Christ, le sectarisme ne réserve aucune place au doute. L’adepte
est soumis à un lavage de cerveau et à la sommation de certitudes
qui hypnotisent et paralysent l’activité de sa pensée. Dans ce cas,
sa raison se trouve emprisonnée et il ne peut qu’obéir aveuglement
aux règles de la secte et aux ordres du gourou.
Par contre, certains chrétiens refusent d’appartenir
uniquement à une secte, ils préfèrent jouer à un double jeu en
conciliant et foi chrétienne et d’autres pratiques contraires à la foi :
c’est le syncrétisme. Au sens philosophico-religieux, le
syncrétisme signifie la fusion de différents cultes ou doctrines
religieuses « organisés pour former un tout cohérent »76 : être
chrétien et rosicrucien, chrétien et adepte de Lêgba77, chrétien et
franc-maçon.
Pour le chrétien syncrétiste, le doute est la locomotive qui
conduit directement à la déchéance morale. Il affaiblit
spirituellement le chrétien et rend beaucoup plus flexible sa foi.
L’on pourrait comprendre cette assertion, dans ce sens que le
chrétien refuse de voir sa réalité dans le miroir de sa vie. En effet,
le rejet du doute génère des mésaventures, des événements
malheureux qui affectent la vie chrétienne et suscitent le
découragement, la démission, la recherche de soi et la recherche
76
Dictionnaire Encarta 2009.
77
Vaudou, divinité, gardien de la maison dans la culture du peuple goun au Bénin, au Togo
et au Ghana.
71
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

d’un asile où la sécurité est assurée. Le syncrétisme semble être


ainsi comme ce canal qui conduit le chrétien vers un soulagement
vif, immédiat, spontané, efficace et dont la nature, la réalité,
l’authenticité s’imposent avec évidence. Que le chrétien soit d’une
secte ou syncrétiste, il s’expose à une paralysie de sa relation avec
Dieu, car sa vie chrétienne se trouve manutentionnée. Dès lors, il
devient objet de toutes sortes de crispations.

II-2-1-3- Le refoulement du doute : objet de toutes sortes de


crispations
Le refoulement du doute conduit à toutes sortes de
crispations : intolérance, pointillisme rituel, rigidité doctrinale,
diabolisation des « incroyants » allant parfois jusqu'à la violence
meurtrière. Les intégristes de toutes les religions se ressemblent
parce qu'ils refusent le doute, cette face sombre de la foi, qui en est
pourtant l'indispensable corollaire. Les chrétiens intégristes
n'accueilleront ou n'admettront jamais leurs doutes, parce que leur
foi est fondée sur la peur. A ce stade de leur évolution, force est
de constater certains aspects de leurs comportements religieux
comme l’isolement, la dépression, une certaine forme de
souffrance ou d’insatisfaction qui les poussent à rechercher la
perfection, la disposition de toute frustration, suggérée ou promise
par le pouvoir de séduction d’un guide spirituel.
Mère Teresa a reconnu ses doutes, aussi douloureux
fussent-ils à vivre et à dire, parce que sa foi était animée par
72
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

l'amour. Elle avait douté de l'existence de Dieu. Pendant des


décennies, elle a eu l'impression que le ciel était vide. Cette
révélation a choqué. Le fait paraît stupéfiant compte tenu des
références constantes qu'elle faisait à Dieu. Les doutes qui
ébranlent même les convictions les plus profondes font partie
intégrante de la vie spirituelle normale. En traversant de tels
moments, et non pas en les contournant, le chrétien en ressort
spirituellement plus fort et plus intime à Dieu.
Le théologien mystique du 16ème siècle J. DE LA CROIX
a parlé de la nuit noire de l’âme.78 Cette nuit sombre représente le
sentiment d’aliénation douloureuse et de distance vis à vis de Dieu
qui produit la détresse, l’anxiété et la dépression chez le croyant.
Les chrétiens en font l’expérience à un moment ou à un autre, et
certains voudraient alors tout abandonner. Puisque Dieu semble si
lointain, et puisqu’ils ont perdu leur ancien sens familier
d’appartenance à Dieu, ils en concluent qu’ils n’ont plus la foi. Et
leur désespoir est encore plus grand. Or, c’est dans cette obscurité
du doute que la voix de Dieu les conduit plus loin et plus
clairement. La grande découverte de J. DE LA CROIX est que
cette nuit est un signe particulier de la présence de Dieu, où le faux
sens du confort du chrétien lui est enlevé, où il est laissé nu devant
Dieu et où il lui demande simplement de lui faire confiance. Là, il
commence à comprendre que son sentiment d’aliénation
douloureuse ne correspondait en rien à la réalité. Cette nuit noire
78
Ibid.
73
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

est ce moment où Dieu lui demande d’abandonner la petite version


de sa personne qu’il a transportée avec lui afin de se préparer à
quelque chose de plus profond.

II-2-2- Les avantages du doute dans la vie chrétienne

II-2-2-1- Le doute : un don de Dieu


Le doute est un don de Dieu pour faire passer le chrétien
de la confiance en lui-même à la confiance en Lui. Le doute
l’oblige à réexaminer sa relation avec Dieu et ce qu’il croit à
propos de Lui. Il est évident que cela peut paraître troublant. Ce
que le chrétien pense être sa foi en Dieu, se transforme en foi en
lui-même, c’est-à-dire sa propre capacité à saisir Dieu, à le
posséder à sa façon et à le comprendre pleinement. Toute
prétention mise à part, le doute est la façon dont Dieu met à terre
les propres idées du chrétien à son propos. Les doutes ne signifient
pas que Dieu est en train de mourir pour le chrétien. Ils sont le
signe que le croyant est en train de mourir à lui-même, ce qui
constitue généralement une expérience douloureuse.
De nombreux théologiens chrétiens pensent que le doute
aide à abattre les idoles que le croyant a construites en faisant Dieu
à sa propre image. Ou, pour emprunter un terme de psychologie, le
doute aide l’individu à voir la faillite de son moi, ce moi qu’il a
construit pour faire face à la confusion de la vie, et pour mettre
toutes choses, Dieu y compris, en bon ordre. Le doute pousse le

74
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

chrétien dans un coin et l’oblige à regarder au delà de ses


dysfonctionnements et de ses erreurs, de celles des idoles de son
cœur, pour une plus grande intimité avec Dieu.
La Bible enseigne comment le chrétien ne doit pas résister
au doute mais passer au travers avec patience et honnêteté.
Comment il doit l’accueillir comme un cadeau. Dans les Psaumes
de lamentation, par exemple, le doute constitue une réalité
douloureuse. L’Ecclésiaste peint un tableau où l’univers entier de
signification du Qohelet s’effondre devant lui et s’ébranle jusqu’à
s’interroger sur Dieu lui-même. Le doute apparait également dans
l’histoire de Job où le récit de sa vie personnelle est en train d’être
effacé et réécrit devant ses yeux. Ces trois exemples bibliques ne
sont pas là pour l’avertir mais plutôt pour lui montrer ce à quoi ce
processus de déstabilisation et de désorientation peut ressembler.

II-2-2-2- L’importance spirituelle et pastorale du doute


Le doute n'est pas la négation de Dieu. Il est plutôt une
interrogation. Quant à la foi, elle n'est pas une certitude. Les
chrétiens confondent très souvent certitude et conviction. La
certitude vient d'une évidence sensible indiscutable (ce chat est
noir) ou d'une connaissance rationnelle universelle (lois de la
science). La foi est une conviction individuelle et subjective. Elle
s'apparente chez certains croyants à une opinion molle ou un
héritage non critiqué, chez d'autres à une intime conviction plus ou
moins forte. Mais, dans tous les cas, elle ne peut être une certitude
75
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

sensible ou rationnelle : nul n'aura jamais une preuve certaine de


l'existence de Dieu. Croire n'est pas savoir. Croyants et non-
croyants auront toujours d'excellents arguments pour expliquer que
Dieu existe ou n'existe pas : aucun ne prouvera jamais quoi que ce
soit.
Toutefois, une foi passée par le doute peut fournir un
terrain de rencontre avec les incroyants. Souvent, en effet, un
chrétien qui parle de Dieu et des questions de la foi avec des
incroyants est amené à leur dire : « Moi non plus, je ne crois pas ce
que vous refusez : ce n'est pas vraiment notre foi chrétienne. Le
Dieu que vous niez n'est pas le Dieu de Jésus Christ en qui j'ai mis
ma confiance ». Pour justifier son espérance auprès de ceux qui lui
en demandent raison, avec douceur et respect (1 Pi. 3 : 15), il n'est
peut-être pas mauvais, pour le chrétien de partager leurs questions
et leurs inquiétudes. Des croyants plus humbles ne sont-ils pas
mieux placés pour dialoguer avec des incroyants qui, souvent, sont
devenus aujourd'hui plus modestes, moins péremptoires ?

Pour certains chrétiens, le fait de penser aux questions


autour de l’évolution et du christianisme est un déclencheur de
sentiments de doute. Pour d’autres, les choses sont très différentes.
Mais le point est le même. Quelque chose auquel on ne s’attendait
pas fait irruption dans nos vies, et n’est pas spécialement le
bienvenu. Ils sont tellement assaillis par le doute qu’ils ne savent
pas comment faire un pas de plus. Nous nous sommes posé la
76
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

question de savoir si c’est la fin de la foi. Mais non, car le voyage


peut enfin commencer en toute honnêteté. Etre un chrétien ne
signifie pas être sûr de tout, tout le temps. Le doute est une
composante importante et normale de la vie chrétienne. Lorsque
Dieu paraît le plus absent, et qu’il semble ne plus être dans ce
monde, c’est dès cet instant qu’il parle alors aux hommes de la
façon la plus claire. Les hommes réalisent donc que la foi n’est pas
une forteresse mais un voyage, et que Dieu veut les amener plus
haut et plus loin.
Dans le texte de Jn. 20 : 24-29, Thomas doute. La porte de
son cœur est fermée (Les portes sont encore verrouillées). Mais, il
revient dans le lieu où Jésus est apparu; comme s'il se posait quand
même des questions, comme s'il cherchait. Dieu travaille toujours
le cœur de celui qui doute et qui cherche. Si les chrétiens ne
croient pas, ils doivent toujours se poser la question: « Mais, est-ce
que j'ai vraiment cherché? » Thomas finit par croire. En quoi? En
qui? La profession de Foi de Thomas: « Mon Seigneur et mon
Dieu! » (Jn. 20 : 28) montre très clairement que c’est en Jésus-
Christ, le ressuscité. Thomas croit que Le Crucifié est Ressuscité;
il croit aussi que Le Ressuscité reste présent, qu'il agit dans sa vie
personnelle (double emploi de « mon »). Thomas invite tous les
chrétiens à croire, aujourd'hui encore, en Cette Présence du
Ressuscité dans leurs vies. Comme pour les disciples, la Présence
de Jésus Ressuscité est transformatrice. Elle fera passer les
chrétiens de la peur à la paix, de l'enfermement à l'ouverture vers
77
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

tous les hommes (envoi des disciples), de l'obscurité à la lumière,


de la mort à la vie. A ce niveau, il faut faire deux remarques :

 Plus Thomas avait opposé de résistance à la foi en Jésus


glorifié et ressuscité plus il est pénétré de la lumière
divine.
 Avoir conscience du doute semble d'une grande
importance spirituelle et pastorale. Cela devrait
débarrasser le chrétien d'inquiétudes malsaines concernant
la solidité et l'authenticité de sa foi. Souvent les croyants
portent en eux des questions et des angoisses qui les
culpabilisent, parce qu'ils estiment que la foi devrait les
exclure. Ils ont obscurément le sentiment qu'un vrai
chrétien, qu'un bon disciple du Christ ne se pose pas
certaines questions, qu'il n'éprouve pas certains
sentiments.

II-2-2-3- Le doute : un examen de certification de la foi ou une


forme de « foi »
Vouloir supprimer le doute revient à oublier ou à nier sa
propre finitude, à tomber dans cet orgueil qui fait désirer devenir
comme des dieux et posséder le savoir total. Le refuser, l'éliminer
consiste à absolutiser le fini et tomber dans l'idolâtrie et le
fanatisme. Le doute contribue donc à la bonne santé de la foi. On
78
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

doit même dire qu'il est une forme de foi, car il signifie que la
question de Dieu habite le chrétien et le tourmente de manière
fondamentale.
P. TILLICH79, selon ROGNON, a raconté avoir traversé,
durant ses études à la Faculté, une période d'angoisse très forte,
parce que l'exégèse historico-critique avait détruit en lui sa
confiance dans le Nouveau Testament et l'avait même conduit à se
demander si Jésus avait bien existé. Il en avait parlé à l'un de ses
professeurs qui lui avait signifié que si le problème le tourmentait
tellement, cela voulait dire qu'il avait une importance
fondamentale pour lui et qu’il était dans la foi. Le professeur
aurait ajouté que quand on affirme le salut par la foi, cela signifie
aussi par le doute qui l'accompagne80. La certitude n'est jamais
qu'une œuvre, ce n'est pas elle qui sauve le croyant. Mais plus que
TILLICH, faut-il, peut-être, oser citer comme exemple le doute
(existentiel) de Jésus lui-même, quand il dit à ses disciples : « Mon
âme est triste jusqu'à la mort » (Mt. 26 : 38), et surtout quand il
s'écrie sur la Croix : « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? »
(Mt. 27 : 46). Que dire du précurseur du Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ ? Jean Baptiste eut le privilège d’être utilisé comme
instrument de Dieu pour annoncer la venue du Messie, allant
même jusqu’à baptiser Jésus. Il a vu la colombe se poser sur Jésus
et a entendu la voix du Père affirmant la divinité de Jésus (Mt. 3 :
79
Philosophe et théologien américain d’origine allemande (1886-1965), auteur de l’ouvrage
« Théologie systématique » rédigé en trois volumes.
80
Ibid.
79
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

13-17). Et pourtant, au fond de sa prison, c’est ce même Jean-


Baptiste qui, traversé par le doute, envoya ses disciples demander
à Jésus : « Es-tu celui qui devait venir ou bien devons-nous en
attendre un autre » (Mt. 11 : 2,3). Il n’a pas eu peur d'exprimer ses
doutes, encore moins ses inquiétudes. Aussi n’a-t-il pas eu peur
d'être accusé d’incrédule. Au contraire, Jésus lui même rend ce
témoignage de Jean : « Je vous le dis en vérité, parmi tous ceux qui
sont nés de femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-
Baptiste. » (Mt. 11 : 11).

Le doute intervient donc pour trier parmi ce à quoi le


croyant accorde son crédit, et dégager la foi de la croyance : c’est
la mise à l’épreuve de tout ce à quoi il croit, afin de ne conserver
que ce qui est le fruit de la révélation divine. Pour procéder à des
vérifications, pour tenter de connaître et de comprendre, pour
approfondir sa réflexion, le chrétien a besoin d'user du doute. Dans
aucun domaine, y compris celui de la foi, il n’a pas à accepter sans
examen ce qu’on lui présente. « Examinez toutes choses, et retenez
ce qui est bon », conseillait Paul aux Thessaloniciens (1Thes. 5 :
21), invitant le chrétien ainsi à prendre une attitude critique. Il est
normal et nécessaire qu’il se demande si des doctrines, même
vénérables, correspondent bien au message de l’Évangile et à
l'expérience religieuse. Il est tout aussi naturel qu’il s'interroge sur
les récits bibliques, sur leur nature, leur authenticité et leur sens.
Souvent, des croyants ont refoulé ou étouffé des questions de ce
80
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

genre parce qu'ils les estimaient contraires à la foi. Pourtant, quand


Luc écrit son évangile, il explique, dans sa préface, qu'il a fait une
enquête (Lc. 1 : 1-4). Il a donc vérifié les informations que les
témoins de la vie de Jésus lui racontaient. Le chrétien a bien le
droit d'en faire autant.

II-3- Les suggestions pour une vie de foi authentique du


chrétien

II-3-1- Le doute : un allié de la foi


Il y a des choses pour lesquelles le chrétien doit
impérativement douter. C’est à la fois un devoir intellectuel et une
éthique spirituelle afin d’éviter de tomber dans la facilité. Par
exemple, au Mozambique, dans les années 1990, le gourou d’une
secte avait invité ses adeptes à un suicide collectif. Il prétextait que
leur souffrance terrestre serait couronnée par une place au paradis,
s’ils se débarrassaient de tous leurs biens matériels et acceptaient
l’offre du divin. C’est ainsi que chaque adepte s’est déplacé au
temple, emportant sur lui de l’essence avec lequel il s’est aspergé
le corps. Les radios nationales et internationales ont estimé, à plus
d’une vingtaine, le nombre de personnes mortes calcinées après le
suicide. Aussi flatteuse que fut une telle proposition, elle devrait
amener tout chrétien à s’interroger sur la véracité de cette annonce.
Nous sommes d’accord pour dire, avec CASTELLION, à
ce propos qu’ « il y a un temps de douter et un temps de croire, il y
a un temps d’ignorer et un temps de savoir (…) Tenir l’incertain
81
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

pour certain et ne pas avoir le moindre doute à son égard est


chose téméraire et pleine de péril, personne ne le niera. Or il y a
dans la religion des choses incertaines et obscures, ne pas douter
de ces choses est plein de péril. »81 Ces choses pleines de péril
dont parle le philosophe sont les meurtres, les vols, les viols, les
détournements de deniers publics, les honneurs, l’idolâtrie et
autres. Si le chrétien doutait un seul instant de lui-même, il ne se
livrerait pas à ces actions sordides.
Le doute dont il est question dans ce chapitre ne porte pas
sur l’objet abstrait de l’existence ou la non-existence de Dieu. Il
intéresse le religieux dans sa marche chrétienne de tous les jours,
et insiste surtout sur le lien qu’il entretient avec les autres. Il doit
être capable de douter des images de Dieu que se font les soi-
disant prophètes et faiseurs de miracles et qui s’emparent de son
nom pour exercer la violence sur lui. De là, surgissent de
nombreuses interrogations : le chrétien doit-il croire les yeux
fermés ? Doit-il croire parce que c’est absurde ? Ou doit-il croire
parce que tout simplement il faut croire, en emprisonnant son libre
arbitre ?
La question de la démission de la raison dans la vie de foi
du chrétien ne se pose pas dans ce contexte. Ce sont plutôt les
pasteurs, prédicateurs, prophètes ou apôtres qui prétendent parler
au nom de Dieu, qui soumettent les chrétiens à une telle
conception. Cette façon d’appeler le chrétien à une foi aveugle
81
Op. Cit., p. 76.
82
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

constitue une négation de ce que Dieu a mis en chaque individu, et


qu’on nomme par jugement, esprit critique, raison. Le chapitre 8
du livre des Proverbes fait l’éloge d’un extraordinaire et véritable
hymne à l’esprit humain. Tout le vocabulaire hébreu relatif à la
sagesse, au sens large du terme, s’y trouve concentré en quelques
versets : hokmâh (la sagesse), tevounâh (l’intelligence), armâh (la
sagacité, le discernement), mezimâh (le jugement), dehâ (la
connaissance), etc. L’intimité de cette sagesse (la raison selon les
philosophes) avec Dieu permet de comprendre la vie chrétienne.
La raison éclaire les Saintes Ecritures, car elle corrige les textes
altérés ou obscurs, et les met en questions pour enfin dégager si
nécessaire la vérité contenue ou son incertitude.

II-3-2- Le courage du doute


Dire comme les philosophes rationalistes que le nœud de
la difficulté n’est pas de savoir si l’on existe, mais ce que l’on est,
c’est affirmer combien il est difficile pour le chrétien
d’appréhender sa foi à la lumière d’une vision éthique de la
religion. En effet, le chrétien doit s’abonner à la recherche d’une
éthique chrétienne, dont la finalité est l’amélioration de son être
entier. La foi sans éthique n’est pas la foi. La sincérité de la
marche chrétienne reflète la qualité des convictions et l’Eglise
véritable se reconnaît à la charité qui découle des convictions. La
meilleure façon de prêcher la Parole de Dieu serait donc la
cohérence personnelle entre les mots et les actes. A cela, on

83
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

pourrait ajouter certains préceptes de la piété tels que : aimer Dieu,


aimer son prochain, aimer ses ennemis, être patient et autres
devoirs de cette nature. Cependant, comme le soutient
CASTELLION, le chrétien néglige ces devoirs-là et se mêle du
travail de Dieu comme s’il est son conseiller. Les conséquences de
telles actions sont incalculables et se résument en la naissance de
disputes interminables qui finissent dans la propagation du sang
des faibles et des malheureux qui ne partagent pas l’opinion de
l’autre.
A l’instar de toutes les religions du monde, le
christianisme « porte en lui le germe de sa  propre folie »82
L’histoire du christianisme est émaillée d’événements les plus
horribles au cours de tant de siècles. Certains penseurs, comme
CASTELLION, parlent de « ténèbres épaisses » faites de cécité,
d’obscurantisme, de crainte, de violence et de persécutions. En
d’autres termes, ces ténèbres sont aussi caractérisées par la lâcheté
des guides spirituels aveugles, les oracles totalitaires et les princes
déments. En définitive, ce qui a manqué et qui manque toujours au
christianisme en général, et au chrétien en particulier, c’est l’art du
doute, ou mieux : le courage du doute. La libération du chrétien
passe nécessairement par ce courage de s’affranchir de la
fascination des slogans et discours prometteurs, et de douter des

82
Nous empruntons ce terme à V. SCHMID dans le Bulletin du Centre Protestant d’Etudes
(CPE), 55ème année, N° 7, 2003, p. 22.
84
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

illuminés, des gourous manipulateurs et des fanatiques qui le


maintiennent captif.

II-3-3- La formation théologique : une nécessité à la


compréhension de la foi
  Il y a pourtant une grande différence entre avoir des doutes
et ne pas croire. Le doute peut être un chemin vers la foi et non son
contraire. Pourquoi ne pas recevoir ces questions qui travaillent le
cœur du croyant comme des invitations à passer d'une foi non
réfléchie à une foi intelligente ? Beaucoup reprochent aux croyants
une démission de l'intelligence et de la réflexion, une soumission
passive aux enseignements du magistère et aux formules du
catéchisme. Douter est, au moins pour ceux qui seraient tentés par
la foi du charbonnier, une bonne manière de progresser dans
l'intelligence de la foi. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre
cette assertion de F. SCHAEFFER : « La rationalité n’est donc
pas tout, mais c’est elle qui donne sens et forme. Un bon exemple
se trouve dans l’Ecriture lorsque pour reconnaître les esprits et les
prophètes, Jean propose un test unique et suffisant dans une
proposition au contenu précis et au fondement rationnel : Mes
bien-aimés, n’ajoutez pas foi à tout esprit, mais éprouvez les
esprits, pour voir s’ils sont de Dieu ; car beaucoup de prophètes
de mensonge se sont répandus dans le monde. A ceci vous
reconnaissez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-
Christ venu dans la chair est de Dieu, et tout esprit qui divise
85
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Jésus n’est pas de Dieu ; car c’est l’esprit de l’antichrist (1Jn. 4 :
1-3). »83 A travers cette pensée, l’on serait tenté de dire que le
philosophe fait l’éloge de la formation théologique comme base de
toute connaissance de la Parole de Dieu.
En effet, beaucoup de théologiens religieux ont estimé
qu’une exégèse sérieuse pouvait aider à la compréhension du
message de Dieu. De quoi doit partir le pasteur qui annonce
l’Evangile ? Devant cette question, la théologie néo-protestante ou
libérale répond qu’il faut partir de l’homme, des questions qu’il se
pose face à sa propre existence, à sa destinée et à sa mort.
L’homme est une réalité certaine alors que Dieu ne l’est pas. Ses
réponses et son existence sont incertaines. Il faut donc le
convoquer à la barre pour lui poser les éléments du dialogue afin
qu’il en réponde. K. BARTH souligne que « la théologie est et
n’est qu’intelligence, interne, de la foi. »84 L’herméneutique
biblique est ce moyen par excellence du doute qui permet de
certifier la foi chrétienne. HOKHMA la définit comme « l’étude
des principes théologiques impliqués dans cette mise en lumière de
la pertinence de la Bible et de son langage à notre époque (comme
cela a été nécessaire à toute époque) »85 L’herméneutique est donc
un processus d’interprétation comprenant trois étapes : l’exégèse,
la synthèse et l’application.

83
Op. Cit., p. 99.
84
K. BARTH, In COLLECTIF, Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Cerf/Labor
et Fides, 1995, p. 98.
85
HOKHMA, Revue de réflexion théologique, N° 100, Saint-Légier sur Vevey, 2011, p. 23.
86
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

Par l’exégèse, le chrétien fait ressortir dans le texte tout ce


qu’il contient comme les pensées, les attitudes, les présupposés et
tout ce qui a été exprimé par le rédacteur humain. C’est le sens
littéral ou naturel transmis par l’auteur. L’exégète cherche ensuite
à travers la méthode grammatico-historique à se mettre dans le
contexte linguistique, culturel, historique et religieux de l’auteur
biblique. Ce processus reconnaît la pleine humanité des écrits
bibliques inspirés. La synthèse rassemble et structure les résultats
de l’exégèse. L’application, pour terminer, cherche à répondre à la
préoccupation suivante : « Si Dieu a dit et fait ce que le texte nous
dit qu’il fit dans les circonstances mentionnées, que dirait-il ou
que ferait-il pour nous dans les circonstances actuelles ? »86 Ce
procédé montre la permanence de Dieu d’âge en âge et le fait que
« Jésus-Christ est le même, hier, aujourd’hui et éternellement »
(Héb. 13 : 8). Possédant ce principe d’harmonie, le chrétien peut
avoir les regards fixés dans la bonne direction et se poser des
questions appropriées pour comprendre ce que disent les écrits
bibliques de la part de Dieu. Une telle approche ne peut que le
servir dans sa marche quotidienne et l’amène à ne plus douter,
auquel cas sa foi ne sera que partielle et flexible. En définitive, le
doute conclut ALAIN : « est le sel de l’esprit…Tout progrès est
fils du doute (…) l’esprit qui ne sait plus douter descend au-
dessous de l’esprit. »87
86
Idem.
87
ALAIN, In P. FOULQUIE, Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, Presses
Universitaires de France, 1962, p. 188.
87
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

CONCLUSION GENERALE
Les travaux ont montré que les chrétiens considèrent le
doute comme étant la négation de la foi. Cette propension à rejeter
le doute dans la vie chrétienne proviendrait beaucoup plus d’une
mauvaise connaissance de l’exégèse biblique. A ce propos, les
chrétiens, dans leurs diverses composantes confessionnelles, ont
des raisons variant de l’anthropomorphisme, des désaccords dans
les Saints Ecrits, de la violence religieuse au biblisme. Un tel
constat vient corroborer l’hypothèse selon laquelle la
méconnaissance des règles élémentaires de l’interprétation conduit
le chrétien à refouler le doute dans sa vie de foi.
En effet, la foi ne repose ni sur une évidence sensible
(Dieu est invisible) ni sur une connaissance objective, elle
implique nécessairement le doute. Et ce qui apparaît comme
paradoxal, mais qui est tout à fait logique, c'est que ce doute est
proportionné à l'intensité de la foi elle-même. Un croyant qui
adhère faiblement à l'existence de Dieu sera plus rarement traversé
de doutes ; ni sa foi, ni ses doutes ne bouleverseront sa vie. A
l'inverse, un croyant qui a vécu des moments de foi intenses,
lumineux, finira par ressentir l'absence de Dieu comme
terriblement douloureuse. Le doute deviendra une épreuve
existentielle. Evidemment, Dieu, en donnant l'impression de se
retirer, laisse le croyant dans la foi la plus nue, parce qu’elle n’a
plus rien sur quoi s’appuyer. Il éprouve le cœur du fidèle pour le
conduire plus loin sur le chemin de la perfection de l'amour. Du
88
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

point de vue rationnel extérieur à la foi, on peut très bien expliquer


cette crise par le simple fait que le croyant ne peut jamais avoir de
certitudes, de connaissance objective, sur ce qui fonde l'objet de sa
foi, et il en vient nécessairement à s'interroger. L'intensité de son
doute sera à la mesure de l'importance existentielle de sa foi.

Loin de menacer la foi, le doute en est son grand allié, bien


que parfois incommode. Il la préserve du fanatisme et de la
superstition. Il la détourne de cette idolâtrie qui confond Dieu avec
ce qu’il exprime. De plus, il lui permet d’être authentiquement
humaine, non pas acceptée ou subie par soumission (volontaire ou
obligée) à une autorité absolue, mais comprise, réfléchie et
évaluée. Les partisans d’une foi absurde ou improbable veulent
rompre avec l’intelligence et la sagesse. Ainsi, ils proclament
l’indignité humaine. Au contraire, le douteur est beaucoup plus
préoccupé par la dignité humaine. Il prône une justice sociale pour
une société plus équitable. Le doute est une voie d’accès à « une
foi humaniste, ou, si l’on préfère, un humanisme croyant. »88

Le monde aujourd’hui est confronté à des dérives


religieuses paranoïaques et redoutablement obscurantistes, qui
étouffent la conscience de millions de chrétiens et menacent celle
de millions d’autres. S’il est vrai que toute religion porte en elle les

88
Cette expression est utilisée par A. GOUNELLE dans son Avant-propos à l’article de V.
SCHMID, Op. Cit., p. 2.
89
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

germes de sa propre folie, il est tout aussi vrai qu’elle porte en elle
sa propre lumière. Le doute est donc cet alicament, cet antidote
aux vacillements du chrétien, capable de faire revenir le calme
dans sa vie de foi. Le calme est désirable, nécessaire et aussi
valable pour aujourd’hui et également pour les siècles à venir.
Mais, il ne pourra naître que d’un courageux et patient travail de
doute mené de l’intérieur. Aujourd’hui, il est plus qu’urgent pour
les chrétiens et pour l’humanité toute entière de porter une
attention particulière (nouvelle) au doute, au moment où se
développe un cycle infernal de terrorisme et de répression. Le
doute s’impose comme un moyen de vivre pacifiquement la
pluralité et à s’accepter les uns et les autres. Ainsi, pourrait-on
mieux comprendre « Le doute comme un chemin vers la foi
authentique. » 

90
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
Ouvrages spécifiques
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Mémoires et thèses
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maîtrise en Théologie, Porto-Novo (UPAO), 2008.
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en Théologie, Porto-Novo (UPAO), 2O13.
3- MELEDJE N., Un chrétien peut-il quitter son église pour
en fonder ou en rallier une autre ?, Thèse de Baccalauréat
en théologie, Porto-Novo (EPEPN), 1970.
4- PEKEMSI E., La gnose, la foi chrétienne et les
mouvements pentecôtistes dans l’Eglise contemporaine :
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Porto-Novo (UPAO), 2009.
5- KPAMEGAN P. T., L’EPMB face à l’avènement des
Mouvements de réveil, Mémoire de Licence en théologie,
Porto-Novo (UPAO), 2008.

Revues et articles
1- 44ème Journée œcuménique, Libérer le chrétien de la peur :
défi pour une évangélisation en profondeur, Ouidah, Mai
2012.
95
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

2- 45ème Journée œcuménique, L’être chrétien et la question


du salut : l’urgence d’un retour aux origines de la foi,
Porto-Novo (UPAO), Mai 2013.
3- COLLECTIF, Le doute et la foi, in Recherches et débats
du centre catholique des Intellectuels français, N° 61,
Paris, Desclée de Brouwer, 1967.
4- GAGNEBIN L., « Un éloge du doute », In Théolib, année
V, N°19, 3ème trimestre, 2002.
5- GOUNELLE A., « Foi et doute », In théolib, Septembre
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6- HOKHMA, Revue de réflexion théologique, N° 100 et
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7- Recueil du Catéchisme de l’Eglise Catholique, N° 150.
8- ROGNON F., « La foi au risque du doute », Séminaire
CEVAA, Porto-Novo (UPAO), Décembre 2012.
9- SCHMID V., Eloge du doute chez Sébastien
CASTELLION, Genève, Centre Protestant d’Etudes, 55 ème
année/N° 7, Octobre 2003.

96
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

TABLES DES MATIERES


PREFACE 4
INTRODUCTION GENERALE 5
Chapitre I : Réflexions exégétique, théologique et
7
herméneutique de Jn. 20 : 24-29
I- Approche exégétique 9
I-1- Difficulté dans la compréhension de « l’incrédulité » de
9
Thomas
I-2- Les Saintes Ecritures nous parlent 11
Récapitulatif 16
II- Réflexions théologique et herméneutique 16
II-1- Esquisse de la théologie johannique 16
II-1-1- Contexte théologique de Jean 16
II-1-2- Thomas au banc des accusés 18
II-2- Comprendre le message de Jean aujourd’hui 21
II-2-1- Cadre herméneutique 22
II-2-2- « L’infidèle » Thomas ou le voir pour croire 23
II-2-3- Thomas : La révélation de la seigneurie et la divinité de
26
J.-C au monde
Que devenons-nous retenir ? 29
Chapitre II : Généralités sur la foi et le doute 31
I- Clarification conceptuelle 31
I-1- La notion de foi 31

97
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

I-2- La notion de doute 33


I-3- La notion de chrétien 35
II- Différents types de foi et diverses formes de doute 37
II-1- Différents types de foi 37
II-1-1- La foi comme saut dans l’inconnu 37
II-1-2- La foi comme certitude 39
II-1-3- La foi comme croyance 40
II-1-4- La foi comme chemin 41
II-2- Diverses formes de doute 42
II-2-1- Le doute sceptique 42
II-2-2- Le doute méthodique 43
II-2-3- Le doute cathartique 45
II-2-4- Le doute existentiel 45
Chapitre III : Regards croisés du chrétien sur le rapport entre
48
foi et doute
I- Les différentes conceptions du doute chez les chrétiens 48
I-1- Le doute dans les églises traditionnelles 50
I-1-1- L’approche catholique 52
I-1-2- L’approche protestante 53
I-2- Le doute dans les nouveaux mouvements religieux (NMR) 55
I-3- Le doute dans les églises africaines 57

98
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

I-3-1- La perception du doute dans l’EPN 58


I-3-2- La perception du doute dans l’EMCI 61
II- Raisons, conséquences et suggestions pour une vie de foi
63
authentique
II-1- Les raisons du doute pour le chrétien 63
II-1-1- L’anthropomorphisme et les désaccords dans les
64
Saintes Ecritures
II-1-2- La violence religieuse 66
II-1-3- Le biblisme ou le fondamentalisme 68
II-2- Les conséquences 69
II-2-1- Les obstacles liés au doute 69
II-2-1-1- La peur 70
II-2-1-2- Le sectarisme et le syncrétisme 71
II-2-1-3- Le refoulement du doute : objet de toutes sortes de
73
crispations
II-2-2- Les avantages du doute dans la vie chrétienne 75
II-2-2-1- Le doute : un don de Dieu 75
II-2-2-2- L’importance spirituelle et pastorale du doute 76
II-2-2-3- Le doute : un examen de certification de la foi ou une
80
forme de « foi »
II-3- Les suggestions pour une vie de foi authentique 82
II-3-1- Le doute : un allié de la foi 82
II-3-2- Le courage du doute 84

99
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

II-3-3- La formation théologique : une nécessité pour la


croissance spirituelle du chrétien 86
Conclusion générale 90
Bibliographie sélective 93
Table des matières 99

100
LE DOUTE, UN CHEMIN VERS LA FOI AUTHENTIQUE

isque du doute (existentiel) » que le chrétien peut envisager une vraie collaboration. Le doute existentiel doit donc êtr
ment traduire ce message pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui pour les amener à consolider leur foi ?

Akmel Privat AKA, originaire de Grand Bouboury (Dab

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