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Brisson Luc. La figure du Kronos orphique chez Proclus.. In: Revue de l'histoire des religions, tome 219, n°4, 2002. L'orphisme
et ses écritures. Nouvelles recherches. pp. 435-458;
doi : https://doi.org/10.3406/rhr.2002.953
https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_2002_num_219_4_953
Abstract
The figure of the Orphic Kronos in Proclus. From Orphism to Neoplatonism, on the origin of human
beings
The figure of the Titan Kronos in Orphism is highly original in comparison with the Hesiodic tradition.
Meticulous study of the texts shows that the fabrication of human beings from the vapors emitted by
the Titans, when they were struck by Zeus lightning for having eaten the flesh of Dionysos,
corresponds, not to the tale told in the "Rhapsodies", but to an interpretation of this story, inspired by
alchemy, which appears only late, in the Neoplatonic school. Other interpretations of the same episode
were also put forward, referring either to the division of the circles of the world soul, or to the movement
of descent and re-ascent of the human soul along the scale of being.
LUC BRISSON
Centre national de la Recherche scientifique, Paris ■;
De
surl'orphisme
l'origine de
au ? l'être
néoplatonisme,
humain
souscrit est adscrit (par exemple ei) ; et lorsqu'il s'agit d'un alpha cet alpha est
long = ai). L'esprit rude est noté h, et l'esprit doux n'est pas noté. Tous les accents
sont notés..
2.. Les deux premières sections de cet article présentent un résumé de ce que
l'on trouve dans le ; recueil de mes articles sur l'Orphisme intitulé : Orphée et ■
l'Orphisme dans l'Antiquité gréco-romaine, Collected Studies Series CS476, Alders-
hot, Variorum, 1995.
LA FIGURE DU KRONOS ORPHIQUE CHEZ PROCLUS 437
■
l'être : l'Un qu'il identifie au Bien: II trouve dans leParménide de
Platon, qui de ce fait supplante le Timée comme dialogue de référence du
Platonisme; non seulement 'la théorie de l'Un; mais celle de l'Intellect
et de l'Âme. Cela le conduira à, s'opposer aux. Gnostiques, en
élaborant . une . architecture du monde intelligible qui * rende compte ,
:
autrement de la présence de l'intelligible dans le monde sensible, ainsi que
du statut et du rôle de la matière considérée dans son rapport au mal.
Plotin interprétait les trois premières «hypothèses du: Parménide en
fonction de ses trois « hypostases ». Porphyre et Amélius appliquèrent:
la même méthode exégétique à l'ensemble des hypothèses; associées à
des classes de dieux: Pour sa part, le « philosophe de Rhodes », peut-
être Théodore d'Asinée, soutint que le propos véritable de la* seconde
partie du Parménide consistait à montrer que l'existence de toute
réalité dépendait de l'existence de l'Un, et que les hypothèses se répartis-
saient en< deux* groupes qui \ se répondaient. Élaborée par Plutarque
d'Athènes- etr systématisée1 par Syrianus,. cette- interprétation: fut
adoptée par Proclus (410/412-485 apr.J.'-C).
Pour Proclus, les cinq premières hypothèses de la seconde partie du
Parménide font dépendre l'existence de toute réalité de celle de l'Un,
alors . que les quatre ' dernières montrent, au terme d'une reductio ad
absurdum, que; si l'Un n'existe pas; plus rien n'existe. Par ailleurs,
chacune des conclusions de ces neuf hypothèses porte sur un ordre de
réalités différent qui correspond à un ordre divin déterminé. Ainsi se voit
réduite à néant l'objection de ceux qui prétendaient qu'on ne trouve!
chez Platon aucun traité de théologie systématique; mais tout au plus
quelques fragments théologiques . éparpillés dans ; ses - écrits. \ Car la>
seconde partie du Parménide contient le système entier de la théologie
platonicienne, et c'est à ce traité formel de théologie que doit se référer
l'interprétation de tout autre dialogue.
Son enseignement sur les dieux, Platon le donne ! en ■ effet de
plusieurs manières : dialectique; comme dans le Parménide et le Sophiste ;
symbolique, comme dans le Protagoras, le Gorgias et le Banquet ; et
d'une manière qui procède à partir d'images; comme dans le Timée et
le Politique. Or ces mêmes distinctions; Proclus les applique . à- ces
« théologiens » que sont Orphée, Pythagore, les , Chaldéens et Platon. .
.
début du IIe siècle de notre ère réside dans le fait que, dans cette:
version, la Nuit est précédée par Chronos (le Temps), qui présente
beaucoup de traits communs avec la divinité léontocéphale * du x Mithria-
;
:
Rhapsodies < d'entités encore antérieures ; au > Temps, et associées i cette
fois à l'Espace ; cette version intéressait ce philosophe qui, à l'instar de
Jamblique, cherchait par tous, les moyens à remonter, au-delà de l'Un
vers ■ un ; principe ineffable. . Cette ; troisième ; version , de la i théogonie
orphique, rapportée d'après Hiéronymos et Hellanikos - « si toutefois
il I ne s'agit pas du même personnage » ajoute prudemment
Damascius -, est aussi évoquée par Athénagore, un Apologiste chrétien de la
fin du deuxième siècle de notre ère, et dans les Homélies et les
Reconnaissances, des romans attribués au pape Clément I, l'un des premiers
successeurs de Pierre sur le trône episcopal de Rome. Ces romans sont
des apocryphes, . dont -> une partie au - moins, celle qui nous intéresse,
reproduit ; un? ouvrage apologétique -juif qui pourrait remonter, au*
milieu du second siècle de, notre ère. La théogonie de Hiéronymos et
d'Hellanikos se . borne , à interpréter la , théogonie des Rhapsodies, de
façon . à . la rendre compatible avec les théogonies ; qu'on . trouve chez
;
Homère et chez Hésiode, et même avec la physique stoïcienne. Si cette
hypothèse est exacte, sa rédaction ne devrait pas être postérieure . de ;
,
CVII
Dans * ce texte le nom > de Kronos > est : expliqué . de trois façons.
[56.25] Selon la première, il est la totalité des biens intellectifs, le
kôros de l'intellect, divin; mais cette explication, qui le fait
ressembler, au kôros et à la repletion (plesmoné), lesquels sont mal
4. Dii est un datif homérique qui devient la forme courante en prose ; Zení est
aussi un datif bien attesté en poésie.
5: D. Robinson, « Kronos, Korónos and Krounôs in Plato's Cratylus », dans
The • passionate intellect. Essays in the transformation of classical tradition (New
Brunschwick/London,- 1995, p. 57-65) propose de lire Koranou en s'appuyant sur
Proclus et Damascius. Sur l'ensemble du passage, voir M. . Dopchie, . « Kóros »
dans Recherches de philologie et de linguistique, Louvain, 1968, p. 125-138.
6. Le terme diànoia permet à Platon de faire un jeu de mot qui associe dia (=
Zeus) à nous (= Kronos). Mais comme la diànoia est associée plutôt à l'âme qu'à
l'intellect, Proclus (In Crat. 56 . 4 sq) se sentira obligée de justifier l'argumentation :
de Socrate qui situe la diànoia au plan de l'intellect en utilisant des arguments
particulièrement contournés. -
7. Cette traduction se fonde sur Platon, Cratyle, présentation et traduction
inédite par Catherine Dalimier, GF 954,* Paris, Flammarion, 1998.
442, LUC BRISSON
intellections :
Vous qui connaissez en l'intelligeant l'abîme paternel hypercosmique
(F 18)
[57 . 251 : leur dit í l'Hymne. Si donc il ' est ; un intellect . par, rapport à
tout le genre intelligible des dieux, il est intelligible par rapport à
tous les dieux intellectifs. C'est donc cette - supériorité indivise et :
imparticipée que la» pureté désigne, car c'est son absence de tout
contact avec la matière, son indivision et son absence de relation
qui sont signifiées [58 . 1[ par sa? pureté. .
:
8.. Les termes akhrántou et ameiliktou renvoient au contexte des Oracles Chai--
daïques. Pour, ameiliktou,- cf.. TheoL. Plat: V, 10,5 p. -35.3-11 = F 35. 1 et1 pour <
akhrántou, voir F 219)2.
9. Zeus est un intellect artisan, fils de cet intellect séparé qu'est Kronos.
LA FIGURE DU KRONOS ORPHIQUE CHEZ PROCLUS 443
Sii grande, em effet : est. lai supériorité de;; ce • dieu-, par, rapport ? à;
toute; coordination* avec les- êtres- inférieurs,. si: grande' son
unification impolluée avec l'intelligible qu'il n'a même pas besoin,
de la garde des Kourètes, à la différence de Rhéa, de Zeus et de
[58 . 5] \ Korè. - En ■. effet, à * cause de ; leurs . processions vers les êtres
inférieurs, . tous : ces dieux; ont eu * besoin de la garde inflexible des
•
Kourètes, tandis que Kronos, installé dans la stabilité en lui-
même et s'étant soustrait lui-même à tous les êtres inférieurs, non;
seulement: est; établi? au-dessus de la garde, exercée, par, less
Kourètes;. mais contient en lui-même sous i un mode ; uniforme la »
cause des Kourètes; [58.10] car c'est cette pureté; et; cette:
impollution qui . donnent à . exister à * toutes les processions des
■
Kourètes:
C'est- pourquoi, dans les ; Oracles, Kronos est; dit embrasser Ла
source toute , première des dieux ; implacables et être installé au-
dessus de tous les autres dieux :
L'intellect du Père, porté sur des guides inébranlables, [58115]?
Qui rayonnent inflexiblement par les sillons du feu implacable. (F 36) >
II est donc un intellect pur, et en tant qu'il fait venir à l'existence la
classe immaculée : eU en tant qu'il commande à tout le ; monde
intellectif :
De lui, en effet, s'élancent les foudres implacables, [58 . 20] ;
Le sein accueillant aux orages ....
D'Hécate issue du Père, la fleur du feu qui forme une ceinture.
Et le souffle puissant au-delà des pôles ignés. (F 35)/
En effet, il enroule toute l'hebdomade des Sources [59.11 et les fait
exister à partir de, son* sommet uniel et intelligible. Car il est,
comme le dit l'Oracle,. « immorcelable » * (F 152),. uniforme,,
indivisible et « mainteneur » (F 207) de . toutes ; les . Sources. Il ) les
convertit toutes » vers lui-même et les unit à lui, tout en demeurant
,
'■
CVIID
Tout
]59.' intellect ou bien i est en repos ■ - et alors, . il ; est intelligible
10] en tant que supérieur au mouvement -, ou bien ib est mû
,
10. Cette traduction suit de près une traduction encore médite réalisée par
Alain Philippe Segonds.
LA FIGURE DU KRONOS ORPHIQUE CHEZ PROCLUS 445
:
Hécate (F 6). Établissant - un . parallèle avec : l'Orphisme, Proclus fait
suivre cette première , triade d'une seconde, celle des ; dieux-chefs i. ou
dieux immaculés, et . d'une monade ■ separative qui » tient \ le septième
rang. Les Rhapsodies orphiques sont rapidement convoquées. Proclus y
situe Kronos à la tête de l'hebdomade des dieux intellectifs qui
comprend en plus des deux triades suivantes : d'une part Kronos, Rhéa et
i
Zeus et d'autre part les trois Kourètes, une monade separative qui
correspond auxdeux castrations, celle d'Ouranos par Kronos et celle de
Kronos par Zeus. C'est par. cette seconde castration que, à ce niveau,
la théogonie des Rhapsodies se dissocie de celle d'Hésiode. Mais cet
écart est' important, car il permet à Proclus -de justifier l'existence
d'une septième divinité, la monade separative associée à la castration
de ; Kronos • pan Zeus, et interprétée comme : séparation radicale - entre
l'Intellect et l'Âme.
LXIII
De fait, . c'est le Kronos » suprême qui; depuis là-haut, donne : au
démiurge et [27.25] chef de la démiurgie tout entière, les principes
de ses intellections. C'est pourquoi Zeus l'appelle aussi «démon»
chez Orphée :
Redresse notre race, ô puissant daimon. (OF 155)
Et, semble-t-il, Kronos détient en lui-même les causes suprêmes des
réunions ( ton sunagogôn) et des divisions .( ton diairéseon) : par le
moyen des découpages célestes (dià ton ■ ouranion s tomôn), il fait :
procéder la totalité intellective en: parties et il devient cause de
processions génératives et de multiplications. En bref, [28.1]; il
prend la tête de la race titanique, d'où résulte la division des étants ;
446 LUC BRISSON*
(he diaíresis. ton ontôn )n. Mais au moyen des « absorptions » (dià
ton » katapósegn) , en retour, il réunit les réalités . qu'il a produites \
(gennémata), il les unifie avec lui et les ramène à sa cause uniforme •
et sans parties12. De fait, Zeus le démiurge reçoit [28.5] directement
de lui la -vérité des étants et intellige à titre premier ce qui est en
lui ; sans doute Nuit prophétise-t-elle pour lui, mais c'est son père
qui lui donne directement toutes les mesures de l'entière démiurgie.
Sans compter, que Platon soi-même affirme que ceux qui vivaient
•
dans le * bonheur, à? l'époque de Kronos, . les •■- « nourrissons •. du
dieu »13, s'occupaient de dialectique : [28 . 10] ils conversaient « de
philosophie » entre eux aussi bien qu'avec les; bêtes (car toutes les
réalités, en ce temps-là, étaient dotées ï d'intellect), ils? se
fréquentaient et « interrogeaient toutes les créatures pour voir s'il y
en aurait une qui ■ vînt enrichir le trésor commun < de sapience »14.
Au contraire, ceux qui sont passés dans le cycle de la» vie de Zeus
[28 ; 15] * ont eu besoin de la législation et des - mesures qui •, en
viennent : pour la mise , en ordre des constitutions. C'est pourquoi ■
dans le Tout aussi, il y a une double révolution : l'une est élévatrice
et Kronienne, l'autre est providente et dépend de Zeus. De fait, le
roi- Kronos a pour enfants . tous les rejetons de Zeus selon * sa
supériorité : transcendante - et, par l'intermédiaire de ces rejetons •
comme images, il propose aux âmes particulières [28.20] le voyage:
de remontée. (Proclus, /« Crat. 27.21-28121, Pasquali).
Dans un autre texte, la pensée est beaucoup plus subtile. S'y trouvent
évoqués- non seulement, la ; division»- et. la castration,, mais aussi
l'avalement: Or, tout de même que la castration peut être. considérée
sous. un aspect actif et sous un aspect passif, de même l'avalement est
considéré sous deux points de vue. C'est Kronos qui avale ses enfants, et
qui fournit la nourriture intellectuelle à tous les êtres qui le suivent. Cela
permet à Proclus, comme on l'a vu plus haut, d'en appeler au mythe du
Politique où Platon fait mention d'une tradition qui remonte loin dans;
le passé, et suivant laquelle les êtres humains sous le règne de Kronos
voyaient leur nourriture surgir spontanément ; voilà pourquoi ils étaient
appelés « nourrissons de Kronos».
Seul*
parmi les dieux;, Kronos est dit recevoir et: donner. la dignité
royale sous 1'effeť d'une certaine nécessité et comme. par. violence,
puisqu'il x mutile ; (ektémnon) la < fécondité de son t père et . qu'il est
mutilé: (ektemnómenos) par le grand, Zeus., De fait;, il- borne
(horizei) le royaume . de son père, et : il est : borné : (horizetai) par
celui qui vient après lui ; il est rempli (pleroûtai) par ceux qui lui
sont supérieurs, et il remplit (pleroî) de perfection féconde toute la.
démiurgie. Se séparant? lui-même de son'; père, il transcende ses
propres produits. Étant intellect un et tout parfait, il contient en lui
la multiplicité de tous , les intelligibles et, parce qu'il ! a divinisé le
■
Mais Kronos, qui est l'un des sept Titans, joue aussi et surtout un
rôle considérable dans le domaine de l'anthropogonie. Si l'on en croit
Proclus. en effet,, les Rhapsodies faisaient, mention de trois races ?
d'hommes. Le texte le plus évocatem\sur ce point se trouve dans son
Commentaire sur la République de Platon :
Le Théologien: Orphée ai transmis la doctrine de, trois « races
d'hommes. En tout premier la race d'or, dont il dit que Phanès l'a
fabriquée ; deuxièmement la race d'argent, dont; il dit qu'a, régné
sur elle le très grand Kronos ; troisièmement la race titanique, dont
il i dit que [74 . 30] : Zeus , l'a . constituée .- (sustésasthai) à . partir des
membres déchirés par les Titans.
LA FIGURE DU KRONOS ORPHIQUE CHEZ PROCLUS 449
•
humaine est comprise entre ces trois termes. Car ou ! l'espèce est
intellective et * divine, installée ' au . sommet ' même de l'échelle ; des
i'
êtres ; ou í elle ; s'est > retournée vers elle-même; prend connaissance
d'elle-même et ? se : contente d'un tel ч genre de . vie ; ou ■. elle - [75 . 5]
'
,
regarde,1 vers* les* êtres- inférieurs- et c'est avec eux, qui sont
irrationnels, qu'elle veut vivre.1
Comme donc la - vie humaine ; est de trois sortes, la . race toute
■
■
première est issue de Phanès, qui* lie tout ce- qui pense- aux
Intelligibles, la deuxième est issue de Kronos, le premier rang18 qui,
comme le dit le mythe, a « l'esprit retors »• (agkulométou) et fait,
que. toutes- choses, se retournent [75.10] - vers- elles-mêmes, la.
troisième est issue de Zeus qui enseigne à prendre soin des êtres de
second rang et à organiser l'inférieur: car c'est, làr le propre de
l'activité démiurgique. (Proclus, In.Remp. 11,74.28-75.12, Kroll =
OF 140)19.
Mais c'est la troisième espèce d'êtres humains qui ici présente le:
plus d'intérêt,- la nôtre,1 c'est-à-dire celle de Zeus. . Cette race est-
qualifiée de titanique, Zeus Га fait naître à partir des membres de
Dionysos déchirés par les .Titans. .
Voici comment il est possible de reconstituer le récit des Rhapsodies.
On ne sait ni quand ni dans quelles circonstances, mais Zeus s'unit à sa
fille Koré. Suit , alors un : épisode qui paraît être une adaptation ; de
l'histoire de Sémélé/ Poussée par Héra jalouse, Koré demande à Zeus de
s'unir à lui entouré de foudre/ Elle est foudroyée et Zeus récupère
Dionysos dans sa cuisse. Lorsque Dionysos sort de la cuisse de Zeus, d'où
vient qu' « il fut s appelé > doux rejeton • de Zeus » (OF 199), Hipta
l'accueille, le met dans un van posé ' sur sa tête et autour duquel
s'enroule un serpent. Elle se précipite alors vers le mont Ida en Crète,
où * la* mère : des dieux* (= la . Nuit ?) habite ; dans ■ une caverne. Là, à •
l'instar de Zeus enfant, Dionysos < enfant est : gardé par les Kourètes
(OF 210). Zeus transmet le sceptre à un Dionysos encore jeune.
C'est l'épithète «jeune » (néos) qui permet à Proclus de situer,
Dionysos dans le système de correspondance. S'interrogeant sur le sens de,
l'expression toîs néois theoîs; qui : qualifie les aides du démiurge, en
Timée 42 d 5, Proclus semble privilégier cette hypothèse interprétative,
qui est la cinquième :
Que soient dénommés «jeunes » les dieux encosmiques, „ c'est -
évident: Or il semble que Platon les ait ainsi appelés (...) parce que
leur- Monade est appelée [310.30]' « dieu * jeune ». Car les.
Théologiens ont appelé de ce nom Dionysos, et Dionysos ■ est la
Monade de tous les seconds démiurges. Zeus en effet le constitue
Roi [311 . 1] de ; tous ; les dieux encosmiques et lui • attribue des
honneurs tout premiers.
bien qu'il soit jeune encore un enfant qui \ ne pense qu'aux fêtes <
(OF 207).
C'est pour cette raison donc qu'ils ont coutume d'appeler Hélios
aussi «jeune dieu » - « Hélios chaque jour est jeune », dit Heraclite
(fr. 6), en tant qu'il participe à la puissance dionysiaque20 (Proclus,
In Tim. Ill, 310.9-311.6, Diehl)21.
Et Zeus fait savoir la chose aux autres dieux (OF 208). Jaloux de
Dionysos; les Titans font tomber l'enfant dans un guet-apens en l'attirant avec
plusieurs jouets, dont un miroir fabriqué par Héphaistos (OF 209). Ils
tuent le jeune garçon et ils le découpent en sept morceaux, un pour chacun :
des Titans (OF210 b) : Koios; Krios, Phorkys, Kronos, Okéanos,
Hyperion et Japétos (OF 1 14), mais en laissant le cœur intact : « seul ils
laissèrent le cœur intellectif » (OF 210 a). Informé de ce crime probablement
par Artémis (OF 188), Zeus confie ce qui reste des membres de Dionysos à
Apollon2.2 pour qu'il les rassemble et qu'il réunisse (OF 209, 211). Par ail-
vitale.
LA FIGURE DU KRONOS ORPHIQUE CHEZ PROCLUS 45 V.
.
met ces adjectifs en rapport avec la fabrication de « la sphère armil-
:
laire » à laquelle s'apparente le mécanisme du ciel qu'anime l'Âme du
monde de la manière suivante.
La masse obtenue par le mélange de l'Être, du Même' et de
l'Autre se situant à un niveau intermédiaire entre . l'indivisible , et le
divisible est d'abord laminée par le démiurge qui, par. la suite, divise
la plaque obtenue en * deux bandes : celle du , Même qui . reste une, et
celle du • Même qui est divisée à six reprises pour constituer six
bandes , inégales. La , bande du •, Même, - recourbée en cercle, entraîne les
étoiles fixes, et la bande de l'Autre, elle aussi recourbée en cercle, est;
découpée en sept cercles sur. lesquelles se meuvent les planètes (Timée
36 c-d):
Ceci encore pour [145.5] montrer l'accord de la doctrine plus haut
exposée avec les > Traditions: orphiques: Car Orphée non* plus
n'attribue pas l'indivisible à -toute classe intelligible et intellective,
mais il' y a, selon lui, dess réalités trop hautes pour cette
dénomination aussi, de même qu'il y en a d'autres trop hautes pour
d'autres noms: De fait, « Roi » « et : « Père » ne conviennent' pas à
toutes les classes24. Où [145 . 10] f donc, en revanche, devons-nous
chercher à voir en premier lieu l'Indivisible chez Orphée, pour
comprendre la pensée divinement inspirée de Platon?
.
une- seule intellection : pour celai donc,. Orphée, dit? que seule
l'essence intellective, a , été ■ laissée - saine et sauve ■ par- l'action
d'Athéna :
Seul ils laissèrent le Cœur intellectif (OF 210 a)
chairs .■ par les Titans ; 2 / sa * reconstitution •? par Zeus . qui réunit ses
membres, c'est-à-dire : ses os, et i les anime : grâce à son < cœur, laissé :
intact ; 371a punition des Titans, le troisième de ces éléments
intervenant non pas directement, mais comme la conséquence inéluctable dej
leur crime33.
On . se trouve donc dans un contexte très différent • de celui ; qui *
;
caractérise le témoignage d'Olympiodore (In Phaed. 1, 3 = OF 220)34
quit fait venir l'homme, .un composé de corps et d'âme; des vapeurs
dégagées ; par les Titans frappés ; par la foudre - de : Zeus après > avoir
dévoré Dionysos. Le témoignage d'Olympiodore, qui «a connu une
grande fortune probablement en raison de son interprétation en ' des ;
termes rappelant la doctrine du péché originel35, implique - les quatre
éléments suivants : 1 7 le démembrement de Dionysos et la manduca-
tion de ses chairs par les Titans ; 2 / la punition des Titans ; 3 / la
création de la race humaine à partir des vapeurs qui montent des*Titans
foudroyés après avoir mangé Dionysos; 4 /et l'héritage par les
hommes des traits de Dionysos et des Titans. On remarquera que ce
témoignage intervient dans le cadre d'un argument contre le suicide, et que
c'est le corps qui est « dionysiaque ».
Ces remarques sur Ла race humaine « titanique », qui ne prennent
leur sens que dans le cadre d'un récit faisant intervenir les six règnes
dans les Rhapsodies présente un intérêt déterminant. Elles font
apparaître, me semble-t-il, que * l'anthropogonie qu'évoquent Proclus et
Olympiodore résulte d'une interprétation d'un épisode des Rhapsodies-
relatifs au démembrement de Dionysos par les Titans et donc par
Kronos, et à sa reconstitution par Zeus avec l'aide d'Apollon et ď Athéna.
Par : suite, on ne peut confondre ces interprétations avec . le récit des ;
Rhapsodies . et surtout ; on ne peut utiliser des interprétations de ■ ce
genre pour décider du caractère orphique des feuilles d'or inscrites, qui
leur sont largement antérieures: .
/;'
La théogonie et l'anthropogonie orphique :
{OF 147), eťle cache dans la caverne de la Nuit; II y est gardé par les
trois Kourètes {OF 151; voir In Crat: 58.3; 6, 11). La Nuit apprend à-
Zeus qu'il sera le cinquième roi {OF 107, voir In Crat. 58.5), et elle lui"
indique comment • procéder? pour, arriver. Profitant \ de • l'ivresse et du
sommeilde Kronos, Zeus enchaîne puis châtre son père {OF 137, 154);
II s'empare du pouvoir et se réconcilie avec Kronos {OF 155,
invocation en In Crat. 27^24-25). Sur les conseils de la Nuit, Zeus avale
Phanès et; toutes choses ayant été réunifiées en lui; il les régurgite; créant;
ainsi l'univers. Puis Zeus s'unit à sa propre fille Korè, associée à Rhéa;
et donne naissance à Dionysos, le sixième et dernier roi; Les Titans, au
nombre desquels se trouvent Kronos; attirent Dionysos dans un guet-
apens; le tuent, le dépècent en morceaux pour en manger les chairs,
sans cependant déchiqueter le cœur.. Zeus, aidé, par Apollon : qui
reconstitue le corps de Dionysos et par Athéna qui a retrouvé le cœur;
456 LUC BRISSON
2. . Le système philosophique *
36. Plutarque dans le De esu cam. (I, 996 b-c) écrit en effet au sujet de
:
l'agression de Dionysos par les Titans : « Ceci est un . mythe qui évoque par
énigme la réincarnation.»
LA FIGURE DU KRONOS ORPHIQUE CHEZ PROCLUS 457
■
Dionysos doit être interprété en ces termes. L'âme, aussi ! bien -l'Âme
du monde que celle de l'homme, doit être assimilée àr Dionysos, dont
le cœur, correspond aux cercles du Même et dont le corps, divisé en
sept morceaux, correspond aux sept cercles entre lesquels est partagée
la' bande de l'Autre.; Dans cette perspective, Dionysos se trouve du
côté * de l'unification qui correspond à< la remontée i de l'âme : vers
l'intelligible et les Titans, au nombre desquels il faut compter Kronos,
illustrent par leur action violente le mouvement de division qui
correspond à la descente de l'âme vers le sensible. Ce mouvement doit par là
être mis en-rapport avec la castration . d'Ouranos par Kronos, et de
Kronos par Zeus. Violent comme les autres Titans, Kronos est donc le
dieu de la division, de la coupure, de la rupture.
qui avait, pris la suite de la race d'or qui vivait sous Phanès, une race
qui était nourrie directement par Ле dieu. On apprend aussi que sous
Zeus t vit • une troisième . race d'hommes qualifiée de : « titanique » » en «
souvenir de l'agression à laquelle se livrèrent les /Titans, et donc
Kronos, contre Dionysos qu'ils dépecèrent en sept morceaux- et dont? ils
mangèrent les chairs. À partir du cœur que lui avait rapporté Athéna
et des membres qu'avait réunis Apollon, Zeus reconstitua le jeune dieu \
qui devint, le dernier roi de la dynastie:
Cela peut sembler, peu de choses au regard du nombre et de la
longueur des textes cités. Mais on comprend beaucoup mieux à quel point;
la figure de Kronos dans les Rhapsodies est originale par rapport à la •
tradition et; surtout pourquoi il est pratiquement impossible de suivre
le . courant • d'interprétation qui . explique la1 fabrication de l'homme,
,
dans l'Orphisme, à partir des vapeurs émises par les Titans frappés par
la « foudre . de Zeus . après • avoir mangé . les chairs de . Dionysos : cette
façon de voir les choses semble correspondre non pas au récit fait dans
les Rhapsodies, mais- à une interprétation de . ce, récit inspirée de
l'alchimie et proposée dans l'École néoplatonicienne d'Alexandrie.
Les informations sur; l'Orphisme que l'on \ peut « extraire des
commentaires néoplatoniciens -, doivent au • préalable être dégagées de la
gangue dans laquelle elles sont insérées, et qui correspond à un subtil
et ; gigantesque système , métaphysique qu'il convient '. de comprendre
dans tous ses détails. Un travail de ce genre demande de la ténacité, de •
la. patience et beaucoup de lucidité. Mais il s'agit là à mon avis d'un-
travail i indispensable dont dépend ', même l'interprétation ■ des :
documents nouveaux.