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Épistémologie générale
Livret d'accompagnement du CM
Licence 3
Philippe SPOLJAR
Courriel : philippe.spoljar@u-picardie.fr
Site : http://philippe.spoljar.free.fr
1. Introduction à l’épistémologie
1.1. Présentation générale
1.1.1 Thèmes de l'épistémologie
Thèmes fondamentaux de l'épistémologie générale :
- Les différents types d'objets de connaissance
- Les principes et formes des théories (modèles, notions, concepts…)
- Les méthodologies correspondantes (quantitative, qualitative…), en fonction de la réalité à
connaître
- Ceux qui la construisent et qui l'utilisent : le "sujet de la connaissance"
Perspectives de la réflexion :
- les objets, théories et méthodes : les représentations, entre réalités et idéologies
- le savoir comme activité en contexte (historique, institutionnel et sociétal)
1.1.2. Plan du cours
Présentation de la structure générale du cours. Etude des thèmes suivants :
1. Thèmes concernant l'ensemble des domaines scientifiques :
- les représentations : formes et supports des connaissances
- la/les "réalité(s)" : ce qui est visé par ces représentations
- la/les "vérité(s)" : le rapport d'adéquation entre représentation et réalité
- la "causalité"
2. Thèmes plus spécifiques aux sciences humaines et sociales :
- le débat épistémologique sur l'unité ou la dualité du monde humain
- l'éventuellement scientificité de la psychologie :
. la psychologie est-elle une science ?
. ou même peut-elle être une science, à quelles conditions ?
. y a-t-il un seul modèle de science ?
. y a-t-il une psychologie, ou plusieurs disciplines qui coexistent ?
. pourquoi cette coexistence (raisons administratives, historiques, politiques, etc.) ?
- une dimension symbolique spécifique aux SHS ?
- l'unicité ou la pluralité des modèles ?
- l'origine du débat, depuis W. Dilthey, entre :
- les démarches "explicatives" : connaissance des "causes" (sciences nomologiques)
- les démarches "compréhensives" : connaissances des "raisons" (sciences
herméneutiques)
1.1.3. Lectures obligatoires
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe [1990], Paris, Seuil, coll. "Points", série "Essais", n° 534, 2005.
Georges Canguilhem, « Qu'est-ce que la psychologie ? », conférence prononcée au Collège philosophique le 18
décembre 1956, publiée dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1958, n° 1. (à télécharger)
1.1.4. Modalités d'examen
QCM avec 10 questions (dont une portant sur les textes indiqués en lecture obligatoire),
comprenant chacune 4 propositions (pouvant être toutes vraies ou toutes fausses).
Notation pour chaque question :
. 4 bonnes réponses : 2 points sur 2
. 1 erreur : 1 point sur 2
. plus d'une erreur : 0 point sur 2
2
1.2. Approche notionnelle
Deux niveaux de définition :
- approche large, concernant la nature des connaissances en différents domaines
- approche plus restreinte, concernant spécifiquement les disciplines scientifiques
1.2.1. Perspectives larges de l'épistémologie
L’épistémologie interroge la façon dont les sciences – qu’elles soient « exactes », « naturelles »
ou « humaines » – se développent, en prenant en considération leur environnement humain,
historique et social :
- d'une "étude de la constitution des connaissances valables" (J. Piaget)
- d'une réflexion "sur le statut social et cognitif (ou méthodologique) des connaissances que
l'on tient pour enseignable dans une culture et une période donnée" (J.-L. Le Moigne)
Références à l’histoire et la sociologie des sciences, la psychologie de la connaissance, etc.
Les manières de construire les connaissances, de réfléchir et de penser, de connaître et d’utiliser
les connaissances, constituent en soi un objet de connaissance.
L'épistémologie correspond à la Connaissance de la connaissance (Edgar Morin)
1.2.2. Une philosophie des sciences
En un sens restreint à la philosophie des sciences : « partie de la philosophie qui s'occupe de la
connaissance scientifique » (Robert Nadeau, Vocabulaire technique et analytique de
l'épistémologie, p. XI).
C'est l'analyse d'une science « du point de vue de sa validité en tant que mode de
connaissance » (Id.) en considérant ses fondements, ses critères et ses méthodes.
Une définition plus circonstanciée :
« C’est essentiellement l’étude critique des principes, des hypothèses et des résultats des di-
verses sciences, destinée à déterminer leur origine logique (non psychologique), leur valeur et
leur portée objective » (André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie).
1.2.2.1. La validité et fiabilité des théories
L'épistémologie interroge une science sur :
1 - sa validité
2 - sa fiabilité
3 - sa réfutabilité
4 - sa pertinence
5 - sa capacité à expliciter ses méthodes et procédures
6 - son "niveau" de scientificité
7 - son autonomie, ou son caractère dérivé d'une autre discipline. Par exemple :
- la criminologie :
. une "science du crime", qui se suffit à elle-même ?
. ou un assemblage d'autres disciplines (droit, sociologie, psychologie…) ?
- la psychologie (le débat étant ancien) :
. un domaine d'application des sciences naturelles ? (position dominante en psycho-
physiologie)
. ou un savoir autonome, ayant des objets spécifiques, et des méthodologies
correspondantes également spécifiques ? (position dominante en psychologie clinique)
Ces jugements ne peuvent se fonder dans l'absolu, mais de manière relative, notamment par
rapport à :
- des enjeux institutionnels
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- d'un hypothétique modèle, universellement valide et reconnu, de ce qu'est une connaissance
valable : mais il en existe plusieurs, et : une connaissance valable est-elle nécessairement
"scientifique" ?
1.2.2.2. Les méthodologies
"Méthodologie" = la science de la méthode.
Elle étudie les rapports entre les méthodes utilisées par une discipline scientifique et :
- les objets à connaître
- le cadre théorique
Enjeux et questionnements :
- quelle est la cohérence entre une méthode et son objet supposé ? (Cf. Qu'est-ce que
l'intelligence ? : « C'est ce que mesure mon test » (A. Binet))
- qu'est-ce qui est vraiment établi par les procédures méthodologiques ?
- la cohérence formelle d'une démonstration est-elle suffisante ? Etc.
1.2.3. Epistémologie générale et épistémologie spécifique
Deux périmètres de définition de la réflexion épistémologique :
- "général" : descriptions et conditions valables pour tout domaine relevant d'une
connaissance rationnelle
- "régional" : spécifique à une discipline, ses objets et méthodes particuliers
Par exemple : Jean-Louis Pédinielli, Introduction à la psychologie clinique, Paris,
Nathan/Université, 2009 :
- § 1. "Qu'est-ce que la psychologie clinique ?"
- § 2. "L'objet de la psychologie clinique"
1.2.4. Place de l'épistémologie parmi les autres disciplines
Extension des domaines de l'épistémologie : de la philosophie aux sciences sociales et à la
psychologie
1.2.4.1. Epistémologie et sociologie des connaissances
L'exemple de la médecine préventive
1.2.4.2. Epistémologie et psychologie de la connaissance
Etude psychologique, empirique, de certains problème concernant les fondements des concepts
(temps, espace, nombre…)
1.2.5. Une épistémologie de l'épistémologie ?
Peut-il exister un point de vue "neutre" et "objectif " surplombant les différents modes de
théorisation ?
Les différents paradigmes
Il n'y a pas de méta-épistémologie : tous les paradigmes, comme les théories qu'ils décrivent
et/ou soutiennent, sont situés
La proposition de la démarche constructiviste : les "faits" ne sont pas donnés, ils sont
"construits"
L'épistémologie est-elle une discipline scientifique ?
Paradoxe : une discipline non scientifique est seule apte à juger de la scientificité des théories
Autre paradoxe : la science a scientifiquement démontré sa non-scientificité :
« Le relativisme actuel, qui porte principalement sur la science ou les cultures, prétend s'ap-
puyer non pas sur une réflexion a priori, mais sur des analyses sociologiques, fondées sur des re-
cherches empiriques minutieuses. Paradoxalement, c'est donc sur une démarche scientifique que
se fonde la mise en cause de la croyance dans la valeur universelle et la rationalité de la
science. » (B. Matalon, La construction de la science. De l'épistémologie à la sociologie de la connaissance
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scientifique, p. 126).
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Comment hiérarchiser les objets, et domaines de connaissance ?
Exemple dans les sciences exactes et naturelles :
- comment distinguer physique, chimie et biologie ?
- quelle est la « bonne science » pour étudier ce qui est composé de la même matière ?
Des propriétés différentes selon les niveaux d'organisation
Exemple en sciences sociales. Selon les sociologues, l'unité fondamentale, qui permet d'analyser
les phénomènes sociaux est :
- la société : dans la sociologie classique fondée par E. Durkheim
- l'individu : pour les "sociologies de l'individu"
La naturalisation de l'esprit : le "réductionnisme"
A quel seuil arrêter le réductionnisme en psychologie : l'organe, la molécule, l'atome ?
Exemple : la sociobiologie
La tendance à se considérer "au fondement"
1.3.4. La mise en perspective critique et l'analyse des présupposés
Un travail de distinction, qui consiste à faire voir des différences dans ce qui se présente d’abord
comme amalgamé, obscur et non maîtrisable.
Le repérage et l'analyse des "présupposés" soutenant les différentes positions théoriques :
- ce qui est implicite
- ce qui est exclu
- ce qui "va de soi", etc.
Critique de l'activité des chercheurs :
« La pathologie moderne de l'esprit dans l'hyper-simplification qui rend aveugle à la complexité
du réel. […] La pathologie de la raison est la rationalisation qui enferme le réel //dans une
basse crétinisation, l'Université produit la haute crétinisation. La méthodologie dominante pro-
duit un obscurantisme accru puisqu'il n'y a plus d'association entre les éléments disjoints du sa-
voir, plus de possibilité de les engrammer et de les réfléchir » (E. Morin, Introduction à la pensée
complexe, p. 19).
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tragédies et nous conduit à la tragédie suprême » (Id.).
Impasses de la "Raison instrumentale" :
Theodor W.Adorno, Max Horkheimer, La Dialectique de la raison. Fragments philosophiques (Dialektik der
Aufklärung, 1947), trad. fr. Paris, Gallimard, 1974 ; rééd. coll. "Tel", n° 277, 1996.
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2. La construction des savoirs
La notion de "représentation" dans le champ de l'épistémologie : théorie, loi, modèle, doctrine,
concept, notion, etc.
L'abstraction et la schématisation (par exemple une entité physiopathologique, ou
psychopathologique)
Le résultat d'une élaboration, d'un consensus et d'une standardisation
2.1. La carte et le territoire
Une exemple simple : construire une représentation d'un territoire
2.1.1. La dialectique entre objet et représentation
Définir un territoire : extension, routes, reliefs, sols, populations, etc.
= obtenir une carte "fidèle" : une représentation adéquate, indépendante de l'observateur
-> problème : comment définir exactement un territoire, d'après quels critères ?
(Cf. en psychologie : quels critères pour définir les concepts fondamentaux tels que le Moi, le
sujet la "vie de l'esprit", la "santé mentale", etc.)
- quelle discipline convoquer ? : géographie (physique, humaine), géologie, démographie,
hydrographie, etc.
> il n'y a pas de territoire qui existe "en soi", indépendamment de celui qui en construit la
représentation (une carte)
> un territoire est susceptible d'être représenté de multiples manières
La carte "construit" le territoire, c'est-à-dire impose ses propres limites, avec une part
d'arbitraire
La forme d'une représentation est également déterminée par l'usage que l'on en fait
Philosophie pragmatique :
- comprendre une proposition, c'est savoir l'utiliser
- les représentations sont ce qui, dans un "discours", peut venir à la place de la réalité
Les critères utilisés pour définir l'objet relèvent déjà d'une interprétation
> la connaissance de l'objet dépend d'une perspective non immanente à l'objet, mais également
du sujet épistémique : l'objet à connaître n'existe pas en soi
Les conditions de possibilité de l'indépendance entre sujet (de la connaissance) et objet (de la
connaissance)
Une pluralité de critères possibles : la forme, la matière, la classe, la genèse, l'usage, etc.
Première notion de représentation : l'organisation structurée d'un ensemble de symboles qui
remplace une infinité d'éléments
La géographie structure le territoire tout autant que le territoire impose sa réalité à la
géographie :
- la cartographie (la représentation constituant un savoir) structure une vision du territoire
- tout comme la psychologie structure une certaine vision de l'humain
Le territoire, qui pourtant se réfère à une réalité essentiellement matérielle, n'existe donc à proprement
parler qu'au travers de la notion de "territoire", qui est une perspective possible sur la réalité.
Aucune observation d'un territoire, aussi longue et détaillée soit-elle ne permet de savoir
comment construire une carte : il s'agit d'inventer une manière de voir et de représenter
2.1.2. Médiateté versus immédiateté du savoir
Deux conceptions différentes du rapport entre savoir et réalité :
1. les connaissances sont le "miroir de la réalité" (position positiviste)
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2. les théories ne correspondent pas à l'image directe de la réalité, mais sont le résultat d'une
interaction entre pensée et réalité (position constructiviste)
La prise en considération, ou non, de l'épaisseur et de l'opacité du langage :
1. Approche positiviste : transitivité et immédiateté : les connaissances émanent directement
de l'objet, éventuellement par l'intermédiaire des instruments d'objectivisation (dont on
suppose pouvoir neutraliser les incidences)
2. Approche constructiviste : les représentations ont un rapport médiat, intransitif, avec la
réalité
> Compréhensions différentes du statut des connaissances :
- comme "double" : le rapport entre objet et représentation est mimétique ; le sujet de la
connaissance est "neutralisé"
- comme "tiers" : le savoir est une construction intermédiaire
La neutralité apparaît illusoire :
2.2. Le positivisme
Les phénomènes s'expliquent à partir de "données" considérées comme objectives
2.2.1. L'axiomatique positiviste
1. L'hypothèse ontologique :
« […] assume "l'existence de son essence", indépendante de l'existence et de l'expérience de l'ob-
servateur-modélisateur » (J.-L. Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, p. 20).
2. L'hypothèse déterministe
« l'hypothèse déterministe postule qu'il existe quelque forme de détermination interne propre à
la réalité connaissable, détermination elle-même susceptible d'être connue » (id.)
2.2.2. La logique explicative
Une explication est un discours qui expose le contexte, les conditions, la nature, les causes et les
conséquences d'un phénomène ainsi que les règles ou lois en rapport avec celui-ci :
« On considérera qu'on a expliqué un événement si on a montré qu'on peut le déduire d'une ou
plusieurs lois générales et des conditions particulières dans lesquelles ces lois ont agi. » (B. Mata-
lon, La construction de la science, p. 58).
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2.2.3. La décomposition analytique
Démarche analytique de décomposition en éléments simples = mise en œuvre des principes du
rationalisme
« […] diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait,
et qu'il serait requis pour les mieux résoudre » (Descartes, Second précepte du Discours de la mé-
thode).
Difficulté : il n'existe généralement aucun critère général et a priori pour orienter l'analyse
Présupposé : le tout est égal à la somme des parties
Le risque de morcellement :
« Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous mes sens, j'ef-
facerai même de ma pensée toutes les images des choses corporelles, ou du moins, parce qu'à
peine cela peut-il faire, je les réputerai comme vaines et comme fausses » (René Descartes, Mé-
diations métaphysiques).
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tive ? » (J.-L. Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, p. 60).
2.3. Le constructivisme
E. Kant : la connaissance repose sur l'activité du sujet connaissant :
« Nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes » (Kant, Seconde
préface de la Critique de la Raison pure)
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la médiation artificielle de représentations construites par lui à l'aide de système de symboles.
Cette hypothèse fondatrice de toute connaissance n'est peut-être pas propre au seul paradigme
constructiviste. Mais le sera le complément suivant : cette représentation construit la connais-
sance qu'ainsi elle constitue. On ne peut plus dire, dès lors, avec Korzybsky (1931) "La carte (ou
la représentation) n'est pas le territoire (ou un réel connaissable indépendant du sujet", mais "la
carte exprime une connaissance expérimentable du territoire par le sujet, qu'ainsi parfois elle
transforme" ; ou, pour faire bref, "si la carte n'est pas le territoire connaissable, le territoire
connu devient la carte. » (J.-L. Le Moigne, op. cit., p. 69).
Pour un panorama des recherches qualitatives, voir le site de l'Association pour la Recherche
Qualitative : http://www.recherche-qualitative.qc.ca
Polarisation entre :
- positivisme et démarche expérimentale
- constructivisme et démarche expérientielle
2.4. Le schéma de base de la connaissance
« La connaissance est la mise en relation d'un sujet et d'un objet par le truchement d'une struc-
ture opératoire. » (J. Piaget, Logique et connaissance scientifique, Gallimard, « Encyclopédie de la
Pléiade », 1967).
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3. La réalité et les « faits »
3.1. Les représentations de la réalité
Connaître la "réalité" : l'ensemble des choses qui "sont"
La réalité semble précéder toute pensée que l'on peut avoir sur elle, et la détermine
L'idée de réalité : nécessité logique, hypothèse ontologique, et évidence commune :
Cf. « les notions sont d'elles-mêmes si claires qu'on les obscurcit en les voulant définir » (René
Descartes, Principes de la philosophie, 1644, I, X).
- il s'agirait donc de raisonner juste à partir de données factuelles…
… mais le mot lui-même renvoie à une notion complexe. On l'analyse en considérant ce à quoi
elle s'oppose
3.1.1. Approche sémantique
1. Le néant : ce qui n'est pas
2. Le possible : ce qui pourrait être
3. L'illusoire : ce que l'on croit être
4. L'idéal : ce qui devrait être
3.1.2. Deux paradigmes fondamentaux
« On ne définit pas la mort en disant que c'est un phénomène fort exacte-
ment reproduit par la guillotine » (Claparède).
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Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain [1704]).
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Dans les sciences empiriques, les deux opérations de l'induction et la déduction sont largement
intriquées
Inférer (raisonner) signifie soit déduire, soit induire (F. Armengaud, « Inférence », Encyclopaedia Univer-
salis, 2018) :
- l'inférence démonstrative ou déduction, comporte l'idée de nécessité. C'est une rationalité logique qui
transmet des valeurs de vérité. Elle est valide ou non valide
- l'inférence non démonstrative, ou induction, comporte l'idée de probabilité d'être vraie ou non. C'est ra-
tionalité du jugement, qui transmet des valeurs de crédibilité (un résultat validé est considéré comme vrai
tant qu'on a pas prouvé qu'il était faux).
La question se pose dans chaque nouveau contexte, s'il faut :
- aller au-devant des faits, grâce au raisonnement
- ou bien s'attacher au verdict de l'expérience pour établir des démonstrations
3.4. La « construction des faits »
Le terme « expérience » a deux sens opposés et méthodologiquement contradictoires :
- l'approche expérientielle
- l'approche expérimentale
Les deux perspectives, positiviste et constructiviste, coexistent dans les sciences empiriques,
notamment la psychologie :
- A partir de la polarité entre Rationalisme et Empirisme :
- il y a, du côté empirique, deux voies se distinguent :
- l'orientation constructiviste (relevant essentiellement du domaine expérientiel)
- l'orientation positiviste (relevant essentiellement du domaine expérimental)
3.4.1. L’observation
Un schéma expérimentaliste, initialement valable en sciences naturelles :
Claude Bernard Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865
Le "discours de la méthode" :
« L'observateur constate purement et simplement le phénomène qu'il a sous les yeux. Il ne doit
avoir d'autre souci que de se prémunir contre les erreurs d'observation qui pourraient lui faire
voir incomplètement ou mal définir un phénomène. A cet effet, il met en usage tous les instru-
ments qui pourront l'aider à rendre une observation complète […]. Il faut observer sans idée
préconçue ; l'esprit de l'observateur […] écoute la nature et écrit sous sa dictée. » (C. Bernard).
Hypothèse de "transparence" :
- du côté du sujet : un observateur (un sujet épistémique) "objectif" (mais aussi sujet
psychologique et social)
- du côté de l'objet : un objet qui présente des formes clairement repérables
Le postulat initial : une situation (théorique) d'un observateur neutre, dégagé de tout intérêt et
sans aucune interaction avec l'objet.
- est-il vraiment transposable aux sciences humaines ?
- ou s'agit-il plutôt d'une :
On ne connaît de situation d'observation "pure", indépendante de tout présupposé théorique et
méthodologique
« […] possibilité d'accord entre les observations, nécessairement subjectives, de différentes per-
sonnes. L'objectivité est donc plutôt une intersubjectivité, mais ces auteurs ne semblent pas se
poser le problème de la manière dont se produit l'accord entre les observateurs, ni des obsta-
cles qui peuvent l'empêcher ou le biaiser. » (B. Matalon, op. cit.)
Il faut saisir la portée de la démarche dans son contexte de validité initiale (le monde naturel)…
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… et son contexte historique : les préjugés idéologiques du XIXème siècle. Ceci a permis par
exemple la naissance de la micro-biologie
3.4.2. L'interprétation
Quelle est la "bonne représentation" à partir des "données" ?
Quels sont les critères explicites, et implicites ?
Le nécessaire moment de l'interprétation, facteur majeur et définitif (?) d'incertitude (cf.
l'expérience de Milgram)
La question cruciale des critères de choix
Cf. supra : la diversité des perspectives possibles pour définir un "territoire"
Une nécessaire référence à un cadre interprétation, non fondé dans la réalité elle-même (objet
de l'analyse des "présupposés")
Exemple : la "Révolution française", un événement qui semble clairement identifié, mais qui
peut être "compris" de différentes manières :
- perspective "politique"
- perspective "individualiste"
- perspective "économiste"
- perspective "financière"
- perspective "culturelle"
- etc.
Il n'existe aucun "événement", aucun fait, en dehors d'une perspective qui lui donne forme. Ces
critères relèvent d'une "création" théorique, et non des "faits" eux-mêmes :
« […] les transformations de la notion de « fait » admise par une science sont véritablement des
créations, qui produisent les critères à partir desquels les [découvertes] acceptées seront décri-
tes a posteriori comme "évidemment" scientifiques. » (Isabelle Stengers, La Volonté de faire science.
Laboratoires Delagrange / Synthélabo, 1992, p. 13).
3.4.3. La sélection
Ce qui est pris en considération, … et ce qui ne l'est pas
La constitution d'une observation implique la sélection de "données" aussi bien a priori (de
façon généralement implicite) qu'à posteriori.
Les quantités dites "négligeables" : une décision contrôlée de sélection dans le domaine
physique.
> par exemple : les "gaz parfaits", le mouvement sans frottement, etc.
> dans ces cas, les données sont connues et la simplification est faite en toute connaissance
Cf. l'opération (non neutre) de "neutralisation des variables"
Une multiplicité de données, dont rien ne permet de dire a priori si elles font partie du
phénomène
La réduction et sélection des données : moment essentiel de la construction de l'objet
Exemple, dans l'observation ou l'entretien en psychopathologie :
1. Etablir ce qui "fait signe", en différenciant ce qui est pertinent ou non
2. Construire ce signe lui-même pour un faire un symptôme
Un moment essentiel dans la construction de l'objet
Théoriser n'est pas donner une image complète et fidèle d'une réalité, mais une représentation
opératoire :
« Observer c'est abstraire, c'est dégager certaines propriétés et en ignorer d'autres. Lesquelles
retenir ? Il n'est pas de moyen de le savoir a priori. Ce sont celles qui se révèleront utiles à met-
16
tre de l'ordre dans les faits et à les comprendre. » (F. Parot, M. Richelle, Histoire de la psychologie).
L'observation est en fait déterminée par :
- l'hypothèse (théorique) que l'on pose sur ce qu'il y a à observer
- et sur la manière de procéder (la méthode)
- jamais sur un simple "constat factuel"
Exemple : l'économie et l' « homme rationnel »
Deux étapes de réduction de la réalité. Déterminer :
1. ce qui fait partie du phénomène, ou non
2. ce qui peut vraiment être considéré comme négligeable, ou pas
Un "laboratoire", au sens large : le lieu où l'on procède à une transformation réductrice de la
réalité :
« Un laboratoire, ce n'est pas seulement un endroit où l'on fait des expériences, c'est un endroit
où, pour interpeller "la" nature, on s'arrange pour que la nature réponde à nos questions dans
notre langue, selon les paradigmes de la discipline concernée… » (Gérard Fourez, Larochelle, op.
cit., p. 93).
17
chologie scientifique. Histoire, théorie, pratique, Mardaga, 1988, p. 351-364 ; 2ème éd. E. U., t. 6, 1995, p.
143-146).
18
Encyclopédie Universelle, Organum, vol. XVII, 1968, p. 10).
« Ce qui borne le vrai, ce n'est pas le faux c'est l'insignifiant » (René Thom, Paraboles et Catas-
trophes, Flammarion, 1980, p. 127).
« Ce qui n'est pas entouré d'incertitude ne peut être la vérité » (Richard Feynman [physicien], cité
par J.-C. Ameisen [médecin], « Pour une approche éthique : l'enfant comme sujet », 2007, p. 77).
Rappel : une théorie se caractérise autant par ce qu'elle inclut que par ce qu'elle exclut
Le fond idéologique des pratiques de connaissance
3.5.9. « … Le surgissement du "Nous"…
La "péroraison" :
- une position introspective en contradiction avec le postulat théorique et méthodologique
- une invitation à la participation personnelle, permettant de :
« produire l’impression décisive pour emporter la conviction des auditeurs » (Georges Molinié, Dic-
tionnaire de rhétorique, Paris, 1992).
19
4. Causes, raisons et intentions
Le "déterminisme causal" = la relation de cause à effet
Causalité :
- le rapport entre deux phénomènes, logiquement indépendants, tel que l'apparition (ou la
modification) de l'un provoque l'apparition (ou la modification) de l'autre
- un facteur est la cause d'un phénomène si une variation de ce facteur entraîne son
apparition, sa disparition ou sa modification, toutes les autres variables restant constantes
Réflexion à l'origine de la philosophie de la connaissance : "peut-on connaître et rendre
intelligible l'origine, la constitution et le devenir de ce qui est ?"
« Tout ce qui naît, naît nécessairement par l'action d'une cause, car il est impossible que quoi
que ce soit puisse naître sans cause » (Platon, Timée, 28 a)
Conditions de possibilité d'une connaissance rationnelle :
- la nature est régie par des lois, et non par l'arbitraire d'une instance transcendante
- les phénomènes obéissent à un déterminisme causal
Donner une représentation d'un phénomène : le décrire et rendre compte de sa cause
L'incertitude des déterminismes en psychologie
4.1. La théorie aristotélicienne des quatre causes
Théorie des quatre causes (Aristote, Physique, II, 3) :
- la cause première (ou originelle)
- la cause formelle
- la cause occasionnelle
- la cause finale
> Dispersion de l'étude des types de causalité dans des disciplines différentes
Domaines de réflexion dans l'antiquité (l'ordre du monde naturel et l'action humaine) :
- les mathématiques : étude des formes stables et changeantes
- la mécanique : études des forces qui produisent le mouvement
- les sciences naturelles : étude du substrat matériel (vivant ou non vivant)
- l'action : étude des objectifs et des finalités
= passage de la métaphysique (causalités surnaturelles) à la physique (causalités naturelles) :
conceptualisation des idées de temps, d'espace, de grandeur…
Alternative :
- causes "nécessaires" : physiques, mécaniques, …
- causes "intentionnelles" : démiurgiques…
Domaine de la science : exclusion de l'interrogation sur les "causes premières" et sur les "fins
dernières", aboutissant une représentation plus limitée, mais plus stable du monde, telle
que :
« lorsque les mêmes conditions sont réalisées, à deux instants différents, en deux lieux diffé-
rents de l'espace, les mêmes phénomènes se reproduisent transportés seulement dans l'espace
et le temps » (Paul Painlevé).
La suppression de la "cause finale" = passage de la physique aristotélicienne à la physique
newtonienne :
Les principes ayant promu la connaissance scientifique :
1. le renoncement aux questions métaphysiques et ce que Max Weber a appelé la "neutralité
axiologique" (la suppression de toute référence à l'égard des valeurs)
2. L'explication par des lois générales
20
3. La mathématisation des lois
4. La suppression des causes finales
… ceci dans les domaines des sciences exactes et sciences de la nature : mais quelle
pertinence pour les sciences humaines ?
4.2. Les formes simples de causalité
Causalité simple et causalité complexe. L'exemple de la psychosomatique :
« Il va sans dire que, dans ce domaine, les causalités (plutôt que "la" causalité) ne sont pas li-
néaires, en dépit de ce qu’une certaine approche comportementale tendrait à faire croire avec,
par exemple, la notion de stress dans certaines pathologies comme l’hypertension artérielle ou
autres [… elles sont] non linéaires, cumulatives, chaotiques, rétroactives et complexes (comme
celles retrouvées en météorologie et dans les "sciences de la complexité"). » (G. Pirlot, « Modèles
actuels en psychosomatique », Encyclopédie médico-chirurgicale, Psychiatrie, 37-400-C-10, 2007, p. 2).
4.2.4. La rétroaction
Rétroaction : action de l'effet sur la cause qui l'a produite (principe du feed-back en
cybernétique)
> Effacement de la cause première et évolution vers un système dynamique
4.3. La causalité finale et l’intention
La cause finale : l'orientation d'une dynamique par ce qui constitue une finalité
- déterminer la cause répond à la question "pourquoi ?"
- déterminer la finalité répond à la question "pour quoi ?"
Exemple de questionnement en biologie de l'évolution. L'évolution des espèces résulte-t-elle :
- d'une suite longue et complexe de causalités (directes et indirectes, d'interactions et de
rétroactions…), due au hasard ?
- ou d'une dynamique orientée par un "plan d'évolution", relevant d'une "nécessité" ?
Dans les domaines des sciences exactes et naturelles, on exclue généralement les considérations
sur les "finalités" (pour se limiter aux points de vue de la "fonction")
21
4.4. Un exemple : l'agressivité (D. Winnicott)
Une étude de cas portant sur la notion d'agressivité :
« Le bavardage des professeurs parvient à nouveau jusqu'à moi.., savez-vous ce qu'elle a fait le
trimestre dernier ? Elle m'a apporté un bouquet de violettes et je serais tombé dans le piège si
je n'avais pas su qu'elle les avait volées dans le jardin voisin ! […] D'ailleurs, elle vole de l'argent
et donne des bonbons aux autres enfants. » (D. Winnicott, Agressivité, culpabilité et réparation,
Payot, 2004, p. 15).
22
4.5. Le continuum cause-raison
Dans les situations humaines : importance décisive des intentions, des projets, des
agents/acteurs, des motifs, des mobiles, des motivations, des raisons (d'agir), etc. :
« Pour parler avec le vocabulaire de la scolastique : on pourrait dire que les causes finales y ont
plus de poids que les causes efficientes. » (B. Matalon, op. cit.).
Un lien logique est différent d'un lien causal :
- dans un cas : relation entre intention (raison, projet…) et action (conduite,
comportement…)
- dans l'autre cas : relation entre cause et effet
Les motifs d'une action sont nécessairement reliés à l'action (dont ils sont le motif), ce qui n'est
pas le cas dans la causalité simple (il faut au moins considérer des causalités complexes)
Il n'y a pas d'opposition radicale entre la "cause" et la "raison", mais plutôt une polarisation
avec, à ses deux extrêmes :
- d'un côté : une causalité sans intention (monde matériel)
- de l'autre côté : une intention sans causalité (monde symbolique)
Deux démarches distinctes :
- l'explication : qui recherche des lois causales
- l'interprétation : qui vise les logiques du sens
23
5. Problématiques spécifiques des « sciences humaines »
« La science est universelle, comme la langue anglaise ! »
(Gérard Fourez, Marie Larochelle, op. cit., p. 62).
24
- la représentation (sociale/mentale) …
- le comportement, la conduite …
- les fonctions psychologiques …
- les pulsions, les processus mentaux …
- la personne, le Moi, le sujet, l'acteur, l'individu …
- le fonctionnement cérébral …
- le travail, l'activité …
Une tentative de trouver un terme commun : « une théorie générale de la conduite » (D.
Lagache, L'unité de la psychologie, 1949)
Une critique "historique" :
« A bien y regarder pourtant, on se dit que peut-être cette unité ressemble davantage à un
pacte de coexistence pacifique conclu entre professionnels [plutôt] qu'à une essence logique. »
(G. Canguilhem, « Qu'est-ce que la psychologie »)
25
5.3. La dualité chose/signe
Monisme et dualisme en SHS :
- le monisme renvoie à un seul principe explicatif pour l'ensemble des phénomènes
considérés (en particulier : les lois de la matière s'appliquent aux phénomènes humains et
peuvent les expliquer sans reste)
- le dualisme considère qu'il y a deux ordres de phénomènes qui obéissent à des principes
différents
Les phénomènes sociaux sont humains en tant qu'ils ont une "signification" :
« L'homme se sert d'un système de signes organisés collectivement non seulement pour commu-
niquer mais aussi pour traduire sous forme symbolique son expérience du monde. Le monde hu-
main devient par là un monde médiatisé par des signes. […] On peut dire que l'homme est un
animal qui n'a pas de données immédiates » (Jerome Bruner, Ecrits, p. 74).
La reductio ad absurdum du sujet et des valeurs (sociales, culturelles)
La différence entre le faux et l'insignifiant
Les phénomènes matériels n'ont aucune intention signifiante, à l'opposé d'un phénomène
humain :
« un comportement n’est un comportement humain que dans la mesure où le phénomène physi-
que par lequel il se manifeste fonctionne comme le signe d’autre chose » (B. Matalon, op. cit).
Le dualisme en sciences humaines :
- Le monde physique n'a pas de "point de vue", pas d'intention, pas de sens, il "est" = ordre de
la matière et de la force, qui relèvent d'une causalité matérielle
- La conscience est intentionnelle est celle d'un "sujet" = ordre du signe et du sens.
= un double registre de l'énergétique et du symbolique
5.4. La dispersion des paradigmes
Rationalité versus mathématisation
Conséquences épistémologiques, éthiques et méthodologiques d'une réduction toujours
théoriquement possible :
« Dans le cas des sciences humaines, la mise hors-jeu de la subjectivité ne signifie rien de moins
que l'exclusion de ce qui en l'homme constitue son essence propre » (M. Henry, La Barbarie, p. 133).
Une dissolution de l'objet même de la connaissance de l'humain :
« Elles [les "sciences" humaines] s’adressent toujours à ce qui en constitue les limites extérieu-
res » (M. Foucault, Les Mots et les choses, Gallimard, 1966).
Des démarches très différenciées dans les sciences exactes et naturelles
- des objectifs différents
- des méthodes différentes
- des langages différents : langages symboliques spécifiques (par exemple la chimie),
opérateurs logiques, langues naturelles…
« la conviction que les méthodes de la nature peuvent s'appliquer ou non à la psychologie indui-
sent des recherches tout à fait différentes, expérimentales dans un premier cas, cliniques dans
l'autre. La même différence se retrouve en sociologie, où se distinguent, on peut dire s'oppo-
sent, des démarches hétérogènes qui ne peuvent se décrire qu'en partie par les qualifications de
quantitatif et qualitatif. » (B. Malalon, op. cit., p. 18).
Il existe :
- des degrés divers et des styles différents de formation
> et donc une diversité de formes de connaissances scientifiques
26
5.5. L’effet Pygmalion
Une objection à toute scientificité possible des sciences humaines
Dans une perspective positiviste, une condition de scientificité de la connaissance est
l'indépendance du sujet (épistémique) et de l'objet de connaissance
Un impensé : l'implication du psychologue et la supposition de l'absence d'interaction
Répondre aux exigences du dispositif, plutôt qu'à la réalité ?
Les modes d'évitement habituels (moments fantasmatiques au cœur de la science)
- soit en affirmant qu'il s'agit d'une "quantité négligeable"
- soit en affirmant que "le désir de la personne observée est de répondre à la demande de
l'observateur, par exemple par manipulation de la motivation :
« La notion de motivation est utilisée depuis longtemps dans la psychologie la plus béhavioriste.
Il faut remarquer toutefois que, dans une situation expérimentale, la difficulté [de considérer
cette intentionnalité] est contournée en partie par le fait que la motivation, ou l'objectif des
sujets, ne sont pas observés ou inférés, mais sont assignés par la consigne. [Et] On admet que
l'intention du sujet d'une expérience est de faire ce que l'expérimentateur lui demande. » (B.
Matalon, op. cit., p. 217).
Cette 'interaction peut être déniée, mais également "assumée" et utilisée comme instrument de
connaissance dans certaines démarches
Dans les autres disciplines :
. En physique : le dispositif d'"éclairage" modifie l'objet
. En ethnologie : la connaissance participative
. En histoire : l'historien est lui-même un "acteur" de l'histoire ?
Le point de vue de "nulle part"
Que faire de l' "illusion de transparence" ?
L'effet "Pygmalion" correspond à l’induction de la réponse par la question, qui produit une
réponse anticipée. C'est :
« l'effet d'artefact produit par l'attente de l'expérimentateur [qui correspond à ceci] que le su-
jet produit toujours de façon plus ou moins consciente ou inconsciente les faits que l'expérimen-
tateur attend et souhaite qu'il lui montre » (E. Jalley, Critique de la raison en psychologie, p.
45).
Paradoxe des expériences sur les expérimentations montrant l'absence d'objectivité des
situations expérimentales !
"Traiter les faits sociaux comme des choses" (E. Durkheim) ?
Conjecturer une extériorité ou assumer et utiliser la relation à l'autre ?
Comprendre les intentions : la part herméneutique de la connaissance humaine de l'humain
5.6. Science et scientisme
5.6.1. La constitution des idéologies
De la science à l'idéologie :
« L'idéologie est un ensemble de croyances et de valeurs lié à la promotion d'une manière de
voir le monde et à la légitimation de certaines attitudes. » (G. Fourez, op. cit., p. 80).
Les différents niveaux et effets de l'idéologie :
« Parcourus de haut en bas, de la surface à la profondeur, ces effets [de l'idéologie] sont succes-
sivement de distorsion de la réalité, de légitimation du système de pouvoir, et d'intégration du
monde commun par le moyen de systèmes symboliques immanents à l'action. » (P. Ricoeur, L'His-
toire, la mémoire, l'oubli, Seuil, 2003, p. 100).
27
Exemple : les "lois naturelles" du marché en économie ; la "nature humaine" en psychologie
5.6.2. Les « lieux du discours »
Un discours scientifique peut devenir idéologique par la place d'où il est émis
« La force institutionnelle des épistémologies positivistes et réalistes tient probablement plus à
la robustesse de la classification des disciplines scientifiques qu'elles préconisent avec constance
depuis plus d'un siècle qu'à la qualité de l'adhésion des cultures aux hypothèses méthodologiques
sur lesquelles elles se fondent » (J.-L. Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, p. 89).
Tout discours de savoir peut "dire autre chose que ce qu'il dit", selon le lieu de son énonciation
Un savoir scientifique peut fonctionner comme un mythe : constitution d'un imaginaire et
présentation d'un "Miroir" :
« Lorsque le savant entre sur cette scène institutionnelle, il entre dans l'espace du théâtre civi-
lisateur, là où la parole, de par la place où elle s'énonce, prend statut de parole mythologique
et nécessairement induit un effet normatif. Et peut-être pourrait-on dire qu'il y a une impasse
contemporaine de tenir pour acquis que la pensée scientifique puisse se produire sur la scène du
discours social sans en changer la nature. » (P. Legendre, Études sur l'institution des images, p. 13).
Les "images identificatoires" livrées par la psychologie
L'exemple de la "médicalisation de la société" : L'inceste est-il un problème médical ?
La demande sociale de factualités et de certitudes
Les approches gestionnaires des réalités psychiques
Les questions éthiques : manipulation, suggestion…
Les légitimations (pseudo-)scientifiques
5.6.3. Le savoir et le pouvoir (M. Foucault)
Du descriptif au prescriptif : de la normalisation théorique …
« Comment en est-on arrivé à ce que le pathos de la souffrance psychique et de la "connaissance
tragique" qu'il convoque (Nietzsche) soit réduit à un pur et simple "trouble du comporte-
ment" ? » (R. Gori, MJ Del Volgo, op. cit., p. 19).
… au contrôle comportemental :
« Non seulement la psychiatrie et la psychologie des comportements participent à caractériser
les fautes et à établir de quelles déterminations elles relèvent, mais encore elles participent
dans leurs pratiques à l'accomplissement même de la sanction. On punit moins parce qu'on cor-
rige davantage. Ces nouvelles corrections des comportements et des paroles se trouvent légiti-
mées par la "formation scientifique" de leurs acteurs tout en recevant la bénédiction morale
d'une nouvelle religion laïque à laquelle participe la médecine de masse. » (Id.).
Deux cas de figure :
- une science légitime dans son domaine vient s'exercer dans un autre domaine
- un savoir incertain s'affirme comme scientifique :
- en se fondant sur le formalisme des sciences de la nature
- et en s'imposant dans un rapport de force institutionnel par cette "légitimation"
> d'où la fonction de la "rhétorique" scientiste, permettant de dissimuler/naturaliser ces
processus :
« "Il est prouvé que…", "du point de vue scientifique…", "objectivement…", "les faits montrent
que…", "en réalité…" Que de fois de telles expressions ne scandent-elles pas le discours de ceux
qui, à quelque niveau que ce soit, nous gouvernent ? (pas forcément au sommet de l'état, mais
dans les institutions, par exemple hospitalières ou universitaire) Et chaque fois, il s'agit d'appe-
ler ceux à qui l'on s'adresse, à se soumettre » (I. Stengers, Sciences et pouvoirs. La démocratie face à
la technoscience, 2002, p. 7).
28
L'enjeu ultime : "définir la réalité" :
« Dans tout système juridique, comme dans tout système culturel, celui qui détient le pouvoir
de définir la réalité détient celui de contrôler les conduites qui en découlent. » (Jerome Bruner,
Meyerson aujourd'hui : quelques réflexions sur la psychologie culturelle, 1998, p. 205).
L'imposition d'une normativité peut alors s'étayer sur cette "définition de la réalité" :
« Toute pensée organisée rationnellement de manière sociale dominante peut devenir une idéo-
logie monstrueuse. » (A. Dorna, « Les SHS au cœur des nouvelles pratiques scientistes », Cahiers de psy-
chologie politique, n° 20, 2012).
29
Bibliographie
Lecture obligatoire
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bre 1956, publiée dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1958, n° 1.
Ouvrages recommandés
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Bachelard Gaston, La Formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance (1938),
Paris, Vrin, 2004.
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31
Table des matières
1. INTRODUCTION A L’EPISTEMOLOGIE 3.3. L'Empirisme et la démarche inductive
3.3.1. L’expérience
1.1. Présentation générale
3.3.2. La démarche inductive
1.1.1 Thèmes de l'épistémologie
3.4. La « construction des faits »
1.1.2. Plan du cours
3.4.1. L’observation
1.1.3. Lectures obligatoires
3.4.2. L'interprétation
1.1.4. Modalités d'examen
3.4.3. La sélection
1.2. Approche notionnelle
3.5. La « rhétorique des faits » : une définition de
1.2.1. Perspectives larges de l'épistémologie
l'émotion (P. Fraisse)
1.2.2. Une philosophie des sciences
3.5.1. "On peut définir l'émotion comme …" :
1.2.2.1. La validité et fiabilité des théories
3.5.2. "…un trouble de l'adaptation des
1.2.2.2. Les méthodologies
conduites"
1.2.3. Epistémologie générale et épistémologie
3.5.3. "En délimitant une catégorie précise de
spécifique
faits …" :
1.2.4. Place de l'épistémologie parmi les autres
3.5.4. "cette définition exclut des acceptions
disciplines
trop vagues …
1.2.4.1. Epistémologie et sociologie des
3.5.5. "Les sources de l'ambiguïté du concept
connaissances d'émotion… "
1.2.4.2. Epistémologie et psychologie de la 3.5.6. "mais on peut admettre dès l'abord cette
connaissance définition…"
1.2.5. Une épistémologie de l'épistémologie ? 3.5.7. "Expliciter les troubles de la conduite que
1.3. Thématiques traditionnelles de l’épistémologie nous nommons émotion… "
1.3.1. Le principe d'universalité des 3.5.8. "L'expérience émotionnelle est conscience
connaissances de troubles…"
1.3.2. Normes, normalité, normalisation 3.5.9. « … Le surgissement du "Nous"…
1.3.3. Les niveaux d’organisation de la réalité
4. CAUSES, RAISONS ET INTENTIONS
1.3.4. La mise en perspective critique et
l'analyse des présupposés 4.1. La théorie aristotélicienne des quatre causes
4.2. Les formes simples de causalité
2. LA CONSTRUCTION DES SAVOIRS
4.2.1. La causalité multiple
2.1. La carte et le territoire 4.2.2. La causalité indirecte
2.1.1. La dialectique entre objet et 4.2.3. L'interaction
représentation 4.2.4. La rétroaction
2.1.2. Médiateté versus immédiateté du savoir 4.3. La causalité finale et l’intention
2.2. Le positivisme 4.4. Un exemple : l'agressivité (D. Winnicott)
2.2.1. L'axiomatique positiviste 4.5. Le continuum cause-raison
2.2.2. La logique explicative
5. PROBLEMATIQUES SPECIFIQUES DES
2.2.3. La décomposition analytique « SCIENCES HUMAINES »
2.3. Le constructivisme
5.1. Questionnements en SHS
2.3.1. Du rationalisme appliqué à l'épistémologie
5.2. L’hétérogénéité des objets et domaines
génétique
5.3. La dualité chose/signe
2.3.2. Le caractère opératoire des connaissances
5.4. La dispersion des paradigmes
2.4. Le schéma de base de la connaissance
5.5. L’effet Pygmalion
3. LA REALITE ET LES « FAITS »
5.6. Science et scientisme
3.1. Les représentations de la réalité 5.6.1. La constitution des idéologies
3.1.1. Approche sémantique 5.6.2. Les « lieux du discours »
3.1.2. Deux paradigmes fondamentaux 5.6.3. Le savoir et le pouvoir (M. Foucault)
3.2. Le Rationalisme et la démarche déductive BIBLIOGRAPHIE
3.2.1. Principes du Rationalisme
3.2.1. La démarche déductive
32