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Unité d'Enseignement DC 5.

Épistémologie générale

Livret d'accompagnement du CM

Licence 3

UPJV – Département de psychologie

Philippe SPOLJAR
Courriel : philippe.spoljar@u-picardie.fr
Site : http://philippe.spoljar.free.fr
1. Introduction à l’épistémologie
1.1. Présentation générale
1.1.1 Thèmes de l'épistémologie
Thèmes fondamentaux de l'épistémologie générale :
- Les différents types d'objets de connaissance
- Les principes et formes des théories (modèles, notions, concepts…)
- Les méthodologies correspondantes (quantitative, qualitative…), en fonction de la réalité à
connaître
- Ceux qui la construisent et qui l'utilisent : le "sujet de la connaissance"
Perspectives de la réflexion :
- les objets, théories et méthodes : les représentations, entre réalités et idéologies
- le savoir comme activité en contexte (historique, institutionnel et sociétal)
1.1.2. Plan du cours
Présentation de la structure générale du cours. Etude des thèmes suivants :
1. Thèmes concernant l'ensemble des domaines scientifiques :
- les représentations : formes et supports des connaissances
- la/les "réalité(s)" : ce qui est visé par ces représentations
- la/les "vérité(s)" : le rapport d'adéquation entre représentation et réalité
- la "causalité"
2. Thèmes plus spécifiques aux sciences humaines et sociales :
- le débat épistémologique sur l'unité ou la dualité du monde humain
- l'éventuellement scientificité de la psychologie :
. la psychologie est-elle une science ?
. ou même peut-elle être une science, à quelles conditions ?
. y a-t-il un seul modèle de science ?
. y a-t-il une psychologie, ou plusieurs disciplines qui coexistent ?
. pourquoi cette coexistence (raisons administratives, historiques, politiques, etc.) ?
- une dimension symbolique spécifique aux SHS ?
- l'unicité ou la pluralité des modèles ?
- l'origine du débat, depuis W. Dilthey, entre :
- les démarches "explicatives" : connaissance des "causes" (sciences nomologiques)
- les démarches "compréhensives" : connaissances des "raisons" (sciences
herméneutiques)
1.1.3. Lectures obligatoires
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe [1990], Paris, Seuil, coll. "Points", série "Essais", n° 534, 2005.
Georges Canguilhem, « Qu'est-ce que la psychologie ? », conférence prononcée au Collège philosophique le 18
décembre 1956, publiée dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1958, n° 1. (à télécharger)
1.1.4. Modalités d'examen
QCM avec 10 questions (dont une portant sur les textes indiqués en lecture obligatoire),
comprenant chacune 4 propositions (pouvant être toutes vraies ou toutes fausses).
Notation pour chaque question :
. 4 bonnes réponses : 2 points sur 2
. 1 erreur : 1 point sur 2
. plus d'une erreur : 0 point sur 2

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1.2. Approche notionnelle
Deux niveaux de définition :
- approche large, concernant la nature des connaissances en différents domaines
- approche plus restreinte, concernant spécifiquement les disciplines scientifiques
1.2.1. Perspectives larges de l'épistémologie
L’épistémologie interroge la façon dont les sciences – qu’elles soient « exactes », « naturelles »
ou « humaines » – se développent, en prenant en considération leur environnement humain,
historique et social :
- d'une "étude de la constitution des connaissances valables" (J. Piaget)
- d'une réflexion "sur le statut social et cognitif (ou méthodologique) des connaissances que
l'on tient pour enseignable dans une culture et une période donnée" (J.-L. Le Moigne)
Références à l’histoire et la sociologie des sciences, la psychologie de la connaissance, etc.
Les manières de construire les connaissances, de réfléchir et de penser, de connaître et d’utiliser
les connaissances, constituent en soi un objet de connaissance.
L'épistémologie correspond à la Connaissance de la connaissance (Edgar Morin)
1.2.2. Une philosophie des sciences
En un sens restreint à la philosophie des sciences : « partie de la philosophie qui s'occupe de la
connaissance scientifique » (Robert Nadeau, Vocabulaire technique et analytique de
l'épistémologie, p. XI).
C'est l'analyse d'une science « du point de vue de sa validité en tant que mode de
connaissance » (Id.) en considérant ses fondements, ses critères et ses méthodes.
Une définition plus circonstanciée :
« C’est essentiellement l’étude critique des principes, des hypothèses et des résultats des di-
verses sciences, destinée à déterminer leur origine logique (non psychologique), leur valeur et
leur portée objective » (André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie).
1.2.2.1. La validité et fiabilité des théories
L'épistémologie interroge une science sur :
1 - sa validité
2 - sa fiabilité
3 - sa réfutabilité
4 - sa pertinence
5 - sa capacité à expliciter ses méthodes et procédures
6 - son "niveau" de scientificité
7 - son autonomie, ou son caractère dérivé d'une autre discipline. Par exemple :
- la criminologie :
. une "science du crime", qui se suffit à elle-même ?
. ou un assemblage d'autres disciplines (droit, sociologie, psychologie…) ?
- la psychologie (le débat étant ancien) :
. un domaine d'application des sciences naturelles ? (position dominante en psycho-
physiologie)
. ou un savoir autonome, ayant des objets spécifiques, et des méthodologies
correspondantes également spécifiques ? (position dominante en psychologie clinique)
Ces jugements ne peuvent se fonder dans l'absolu, mais de manière relative, notamment par
rapport à :
- des enjeux institutionnels

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- d'un hypothétique modèle, universellement valide et reconnu, de ce qu'est une connaissance
valable : mais il en existe plusieurs, et : une connaissance valable est-elle nécessairement
"scientifique" ?
1.2.2.2. Les méthodologies
"Méthodologie" = la science de la méthode.
Elle étudie les rapports entre les méthodes utilisées par une discipline scientifique et :
- les objets à connaître
- le cadre théorique
Enjeux et questionnements :
- quelle est la cohérence entre une méthode et son objet supposé ? (Cf. Qu'est-ce que
l'intelligence ? : « C'est ce que mesure mon test » (A. Binet))
- qu'est-ce qui est vraiment établi par les procédures méthodologiques ?
- la cohérence formelle d'une démonstration est-elle suffisante ? Etc.
1.2.3. Epistémologie générale et épistémologie spécifique
Deux périmètres de définition de la réflexion épistémologique :
- "général" : descriptions et conditions valables pour tout domaine relevant d'une
connaissance rationnelle
- "régional" : spécifique à une discipline, ses objets et méthodes particuliers
Par exemple : Jean-Louis Pédinielli, Introduction à la psychologie clinique, Paris,
Nathan/Université, 2009 :
- § 1. "Qu'est-ce que la psychologie clinique ?"
- § 2. "L'objet de la psychologie clinique"
1.2.4. Place de l'épistémologie parmi les autres disciplines
Extension des domaines de l'épistémologie : de la philosophie aux sciences sociales et à la
psychologie
1.2.4.1. Epistémologie et sociologie des connaissances
L'exemple de la médecine préventive
1.2.4.2. Epistémologie et psychologie de la connaissance
Etude psychologique, empirique, de certains problème concernant les fondements des concepts
(temps, espace, nombre…)
1.2.5. Une épistémologie de l'épistémologie ?
Peut-il exister un point de vue "neutre" et "objectif " surplombant les différents modes de
théorisation ?
Les différents paradigmes
Il n'y a pas de méta-épistémologie : tous les paradigmes, comme les théories qu'ils décrivent
et/ou soutiennent, sont situés
La proposition de la démarche constructiviste : les "faits" ne sont pas donnés, ils sont
"construits"
L'épistémologie est-elle une discipline scientifique ?
Paradoxe : une discipline non scientifique est seule apte à juger de la scientificité des théories
Autre paradoxe : la science a scientifiquement démontré sa non-scientificité :
« Le relativisme actuel, qui porte principalement sur la science ou les cultures, prétend s'ap-
puyer non pas sur une réflexion a priori, mais sur des analyses sociologiques, fondées sur des re-
cherches empiriques minutieuses. Paradoxalement, c'est donc sur une démarche scientifique que
se fonde la mise en cause de la croyance dans la valeur universelle et la rationalité de la
science. » (B. Matalon, La construction de la science. De l'épistémologie à la sociologie de la connaissance

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scientifique, p. 126).

1.3. Thématiques traditionnelles de l’épistémologie


« La science, dit-on, est précisément ce qui permet aux humains de se libérer
des préjugés, des désirs, des illusions qui les empêchent de voir "ce qui est".
Elle a pour règle la neutralité et l'objectivité. – Nous le savons tous, le doute
est impossible, et il l'est parce que la science est entrée en scène. Elle a pu
faire régner la concorde parce que la discorde provient des préjugés, des
désirs, des illusions qui opposent les humains et les groupes, qui les empêchent
de "voir" la réalité telle qu'elle est. La science est ce qui peut et doit mettre les
humains d'accord, au-delà de leurs querelles politiques et culturelles, parce
qu'elle donne accès à une réalité qui est indépendante de ces querelles. Et
la preuve qu'elle a effectivement accès à cette réalité est le fait que les
scientifiques sont capables de se mettre d'accord entre eux, de dépasser
leurs divergences, de reconnaître ce que leur impose la réalité qu'ils interro-
gent. Arrêtons-là. Le lecteur aura compris qu'il s'agit d'une caricature, celle
d'une conception des pratiques scientifiques à laquelle il s'agit d'échapper.
[…] Dans notre cas, l'effet caricatural provient moins d'une accentuation ou
d'une déformation que de l'absence de toute précaution oratoire et de l'ou-
verte platitude des idées énoncées. Mais ces idées, en tant que telles, il est
possible de les retrouver dans les dissertations les plus savantes comme aussi
dans le discours des experts, voire encore, plus tristement, dans les exposés
des enseignants » (I. Stengers, Sciences et pouvoirs, La Découverte, 2002, p. 12-13).

1.3.1. Le principe d'universalité des connaissances


Les connaissances sont-elles universellement valables en tout temps et en tout lieu ?
Par exemple, les théories de "l'intelligence", ou du "développement de l'enfant" (en psychologie
du développement, en psychologie clinique, en psychologie cognitive, etc.) sont elles :
- partout valables, dans toutes les sociétés actuellement existantes ?
- pour les enfants de toutes les classes sociales (culture paysanne, culture urbaine…) ?
- et depuis quelle époque ? (Révolution industrielle, Moyen âge, antiquité, préhistoire ?), etc.
L'humain : être historique, qui définit lui-même sa propre nature
Naissance du modèle des sciences de la nature au XVIIe siècle : la physique mathématique est le
modèle princeps de la connaissance rationnelle et universelle.
L'idéalité des modèles classiques de connaissance :
« L'épistémologie vise fondamentalement à caractériser les sciences existantes, en vue de juger
de leur valeur et notamment de décider si elles peuvent prétendre se rapprocher de l'idéal
d'une connaissance certaine et authentiquement justifiée » (Léna Soler, Introduction à l'épistémolo-
gie, Ellipses, 2000, p. 9).

Dans les sciences exactes et naturelles :


« les affirmations scientifiques doivent en principe appuyer leur validité sur des arguments à la
fois empiriques, rationnels , et publics. Evidemment, c'est un idéal » (B. Matalon, op. cit., p. 22)
Limites d'une rationalité supposée "universelle" :
« […] même en mathématiques, pourtant le lieu par excellence du raisonnement rationnel, on
trouve des différences importantes, par exemple, les démonstrations par l'absurde sont accep-
tées par certains comme parfaitement convaincantes, alors que d'autres les rejettent. […] Ne
voir dans la science que l'exercice d'une rationalité abstraite est réducteur. » (Ibid.)
1.3.2. Normes, normalité, normalisation
La norme : donnée statistique ou valeur sociale ?
La psychologie comme instance de normalisation
La fonction sociale du psychologue
Le statut du symptôme
1.3.3. Les niveaux d’organisation de la réalité

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Comment hiérarchiser les objets, et domaines de connaissance ?
Exemple dans les sciences exactes et naturelles :
- comment distinguer physique, chimie et biologie ?
- quelle est la « bonne science » pour étudier ce qui est composé de la même matière ?
Des propriétés différentes selon les niveaux d'organisation
Exemple en sciences sociales. Selon les sociologues, l'unité fondamentale, qui permet d'analyser
les phénomènes sociaux est :
- la société : dans la sociologie classique fondée par E. Durkheim
- l'individu : pour les "sociologies de l'individu"
La naturalisation de l'esprit : le "réductionnisme"
A quel seuil arrêter le réductionnisme en psychologie : l'organe, la molécule, l'atome ?
Exemple : la sociobiologie
La tendance à se considérer "au fondement"
1.3.4. La mise en perspective critique et l'analyse des présupposés
Un travail de distinction, qui consiste à faire voir des différences dans ce qui se présente d’abord
comme amalgamé, obscur et non maîtrisable.
Le repérage et l'analyse des "présupposés" soutenant les différentes positions théoriques :
- ce qui est implicite
- ce qui est exclu
- ce qui "va de soi", etc.
Critique de l'activité des chercheurs :
« La pathologie moderne de l'esprit dans l'hyper-simplification qui rend aveugle à la complexité
du réel. […] La pathologie de la raison est la rationalisation qui enferme le réel //dans une
basse crétinisation, l'Université produit la haute crétinisation. La méthodologie dominante pro-
duit un obscurantisme accru puisqu'il n'y a plus d'association entre les éléments disjoints du sa-
voir, plus de possibilité de les engrammer et de les réfléchir » (E. Morin, Introduction à la pensée
complexe, p. 19).

L'exemple du réductionnisme des approches intégratives


Le « paradigme de la disjonction/réduction/unidimensionnalisation » (E. Morin).
A l'origine de la phénoménologie, une critique de « la réduction positiviste des sciences à une
simple science-des-faits » (Edmond Husserl, La Crise des sciences européennes et la
phénoménologie transcendantale [1935], Paris, Gallimard, 2004).
L'éthique de la connaissance :
« Nous nous approchons d'une mutation inouïe dans la connaissance : celle-ci est de moins en
moins faite pour être réfléchie et discutée par les esprits humains, de plus en plus faite pour
être engrammée dans les mémoires informationnelles et manipulées par des puissances anony-
mes, au premier chef les Etats. Or cette nouvelle, massive et prodigieuse ignorance, est elle-
même ignorée des savants. Ceux-ci, qui ne maîtrisent pas, pratiquement, les conséquences de
leurs découvertes, ne contrôlent même pas le sens et la nature de leur recherche » (E. Morin, In-
troduction à la pensée complexe, p. 20).
« Les problèmes humains sont livrés, non seulement à cet obscurantisme scientifique qui pro-
duit des spécialistes ignares, mais aussi à des doctrines obtuses qui prétendent monopoliser la
scientificité […] comme si la vérité était enfermée dans un coffre-fort dont il suffirait de pos-
séder la clé, et l'essayisme invérifié se partage le terrain avec le scientisme borné. Malheureu-
sement, la vision mutilante et unidimensionnelle, se paie cruellement dans les phénomènes hu-
mains : la mutilation tranche dans les chairs, verse le sang, répand la souffrance. L'incapacité
de concevoir la complexité de la réalité anthropo-sociale, dans sa micro-dimension (l'être indi-
viduel) et dans sa macro-dimension (l'ensemble planétaire de l'humanité), a conduit à d'infinies

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tragédies et nous conduit à la tragédie suprême » (Id.).
Impasses de la "Raison instrumentale" :
Theodor W.Adorno, Max Horkheimer, La Dialectique de la raison. Fragments philosophiques (Dialektik der
Aufklärung, 1947), trad. fr. Paris, Gallimard, 1974 ; rééd. coll. "Tel", n° 277, 1996.

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2. La construction des savoirs
La notion de "représentation" dans le champ de l'épistémologie : théorie, loi, modèle, doctrine,
concept, notion, etc.
L'abstraction et la schématisation (par exemple une entité physiopathologique, ou
psychopathologique)
Le résultat d'une élaboration, d'un consensus et d'une standardisation
2.1. La carte et le territoire
Une exemple simple : construire une représentation d'un territoire
2.1.1. La dialectique entre objet et représentation
Définir un territoire : extension, routes, reliefs, sols, populations, etc.
= obtenir une carte "fidèle" : une représentation adéquate, indépendante de l'observateur
-> problème : comment définir exactement un territoire, d'après quels critères ?
(Cf. en psychologie : quels critères pour définir les concepts fondamentaux tels que le Moi, le
sujet la "vie de l'esprit", la "santé mentale", etc.)
- quelle discipline convoquer ? : géographie (physique, humaine), géologie, démographie,
hydrographie, etc.
> il n'y a pas de territoire qui existe "en soi", indépendamment de celui qui en construit la
représentation (une carte)
> un territoire est susceptible d'être représenté de multiples manières
La carte "construit" le territoire, c'est-à-dire impose ses propres limites, avec une part
d'arbitraire
La forme d'une représentation est également déterminée par l'usage que l'on en fait
Philosophie pragmatique :
- comprendre une proposition, c'est savoir l'utiliser
- les représentations sont ce qui, dans un "discours", peut venir à la place de la réalité
Les critères utilisés pour définir l'objet relèvent déjà d'une interprétation
> la connaissance de l'objet dépend d'une perspective non immanente à l'objet, mais également
du sujet épistémique : l'objet à connaître n'existe pas en soi
Les conditions de possibilité de l'indépendance entre sujet (de la connaissance) et objet (de la
connaissance)
Une pluralité de critères possibles : la forme, la matière, la classe, la genèse, l'usage, etc.
Première notion de représentation : l'organisation structurée d'un ensemble de symboles qui
remplace une infinité d'éléments
La géographie structure le territoire tout autant que le territoire impose sa réalité à la
géographie :
- la cartographie (la représentation constituant un savoir) structure une vision du territoire
- tout comme la psychologie structure une certaine vision de l'humain
Le territoire, qui pourtant se réfère à une réalité essentiellement matérielle, n'existe donc à proprement
parler qu'au travers de la notion de "territoire", qui est une perspective possible sur la réalité.
Aucune observation d'un territoire, aussi longue et détaillée soit-elle ne permet de savoir
comment construire une carte : il s'agit d'inventer une manière de voir et de représenter
2.1.2. Médiateté versus immédiateté du savoir
Deux conceptions différentes du rapport entre savoir et réalité :
1. les connaissances sont le "miroir de la réalité" (position positiviste)

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2. les théories ne correspondent pas à l'image directe de la réalité, mais sont le résultat d'une
interaction entre pensée et réalité (position constructiviste)
La prise en considération, ou non, de l'épaisseur et de l'opacité du langage :
1. Approche positiviste : transitivité et immédiateté : les connaissances émanent directement
de l'objet, éventuellement par l'intermédiaire des instruments d'objectivisation (dont on
suppose pouvoir neutraliser les incidences)
2. Approche constructiviste : les représentations ont un rapport médiat, intransitif, avec la
réalité
> Compréhensions différentes du statut des connaissances :
- comme "double" : le rapport entre objet et représentation est mimétique ; le sujet de la
connaissance est "neutralisé"
- comme "tiers" : le savoir est une construction intermédiaire
La neutralité apparaît illusoire :
2.2. Le positivisme
Les phénomènes s'expliquent à partir de "données" considérées comme objectives
2.2.1. L'axiomatique positiviste
1. L'hypothèse ontologique :
« […] assume "l'existence de son essence", indépendante de l'existence et de l'expérience de l'ob-
servateur-modélisateur » (J.-L. Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, p. 20).
2. L'hypothèse déterministe
« l'hypothèse déterministe postule qu'il existe quelque forme de détermination interne propre à
la réalité connaissable, détermination elle-même susceptible d'être connue » (id.)
2.2.2. La logique explicative
Une explication est un discours qui expose le contexte, les conditions, la nature, les causes et les
conséquences d'un phénomène ainsi que les règles ou lois en rapport avec celui-ci :
« On considérera qu'on a expliqué un événement si on a montré qu'on peut le déduire d'une ou
plusieurs lois générales et des conditions particulières dans lesquelles ces lois ont agi. » (B. Mata-
lon, La construction de la science, p. 58).

L'équivalence formelle entre explication et prévision


La modélisation causaliste relève de l'idéal :
« Cette assimilation de l'explication et de la prévision suppose qu'on connaisse complètement le
système qui détermine le phénomène à expliquer. Or, c'est rarement le cas étant donné ce qu'on
sait de l'état du système et des facteurs pertinents, plusieurs évolutions sont souvent possi-
bles » (id., p. 49).
« La connaissance que constitue progressivement la science est la connaissance de la Réalité,
une réalité postulée indépendante des observateurs qui la décrivent : l'Univers, la Nature, la
Vie, tout ce que nous pouvons connaître – ou tenter de connaître – est potentiellement connais-
sable, ou descriptible sous forme de connaissances généralement additives, et ces connaissances
nous disent peu à peu l'essence, la substance et la permanence des choses par-delà la diversité
éventuelle de leurs apparences et de leur comportement » (Id.).
La naissance du positivisme philosophique au XIXème siècle (Auguste Comte) et essor
méthodologique :
Développements doctrinaux au XXème :
- le positivisme logique
- la philosophie analytique
- affinité entre positivisme et méthodologies quantitatives

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2.2.3. La décomposition analytique
Démarche analytique de décomposition en éléments simples = mise en œuvre des principes du
rationalisme
« […] diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait,
et qu'il serait requis pour les mieux résoudre » (Descartes, Second précepte du Discours de la mé-
thode).

Difficulté : il n'existe généralement aucun critère général et a priori pour orienter l'analyse
Présupposé : le tout est égal à la somme des parties
Le risque de morcellement :
« Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous mes sens, j'ef-
facerai même de ma pensée toutes les images des choses corporelles, ou du moins, parce qu'à
peine cela peut-il faire, je les réputerai comme vaines et comme fausses » (René Descartes, Mé-
diations métaphysiques).

L'Analytique (Aristote) et la "modélisation analytique" :


« Le premier principe méthodologique que privilégient systématiquement (au point d'en faire un
impératif) les épistémologies positivistes et réalistes est donc bien celui de la division, ou de la
décomposition selon des catégories préétablies : on l'appelle, depuis Aristote, le principe de
l'Analytique. » (J.-L. Le Moigne, Les Epistémologies constructivistes, p. 25-26).
Le renforcement de l'hypothèse ontologique :
L'esprit analytique part du postulat initial selon lequel les composés sont dus à un agencement d'éléments
simples et ces éléments simples gardent entièrement leurs propriétés essentielles dans le composé
comme à l'état libre. Donc il y aurait une nature humaine réductible à l'addition de ses parties et qui reste
immuable indépendamment du contexte sociologique et historique dans lequel la personne se trouve.
Critiques de l'orientation mainstream en sciences humaines et sociales.
Les nouvelles théorisations les plus importantes du XXème siècle se sont constituées dans la
critique de la supposition scientifique des sciences humaines :
- le structuralisme (F. de Saussure, C. Lévy-Strauss)
- la psychologie de la forme et la Gestalt-theorie (F. Koffka)
- la phénoménologie (E. Husserl)
- l'analyse existentielle (M. Heidegger)
- la systémique (G. Bateson, P. Watzlawick)
- l'auto-organisation (F. Varela)
- la complexité (E. Morin), etc.
Contre-approche 1 : la démarche phénoménologique :
« La phénoménologie se situe également loin de tout "élémentarisme". Ce qui compte pour elle,
ce n'est point ce que, d'une façon plus ou moins artificielle, nous considérons comme "éléments
simples", mais ce qui est fondamental ; et ce fondamental, bien que, partis des prétendus élé-
ments, nous soyons tenté de le considérer comme complexe et dérivé de ces éléments, ne sau-
rait ne pas être simple et élémentaire, à sa façon évidemment. » (E. Minkowski, Traité de psycho-
pathologie, p. 552).

Contre-approche 2 : la démarche systémique :


« Dans Vers une écologie de l'esprit (1972-1980), G. Bateson souligne le rôle des modèles (pat-
tern) dans la formation de la connaissance et l'effet pervers des modèles (tenus pour "scientifi-
ques") développés par l'Energétique dès lors qu'on prétend les appliquer dans les "sciences de
l'organisation et de la communication" : "Non-sens épistémologique et culturel patent", conclut-
il (en l'illustrant d'exemples convaincants) […]. Suffit-il d'utiliser un modèle validé par la physi-
que ou la chimie pour assurer la scientificité d'un énoncé en économie ou en psychologie cogni-

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tive ? » (J.-L. Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, p. 60).

2.3. Le constructivisme
E. Kant : la connaissance repose sur l'activité du sujet connaissant :
« Nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes » (Kant, Seconde
préface de la Critique de la Raison pure)

La distinction du noumène et du phénomène :


« nous connaissons des interactions par des interactions ; non pas des substances ou des formes
en soi, mais des substances qui sont "formes en mouvement" » (Hegel)
2.3.1. Du rationalisme appliqué à l'épistémologie génétique
Une première inspiration phénoménologique :
Bachelard Gaston, Le matérialisme rationnel, Paris, PUF, 1953.
Bachelard Gaston, Le rationalisme appliqué, Paris, PUF, 1963.
« Les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui
donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, tout connaissance
est une réponse à une question… Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit » (G. Ba-
chelard, La Formation de l'esprit scientifique, 1938).

Le point de départ et terme commun des variantes du constructivisme :


« Cette inséparabilité de la connaissance et de la représentation entendues dans leur distingua-
ble activité, l'expérience intentionnelle du sujet connaissant et la construction tâtonnante du
sujet représentant la connaissance, constituent sans doute l'hypothèse fondatrice forte sur la-
quelle se définissent aujourd'hui les connaissances enseignables, scientifiques et communes que
légitiment les épistémologies constructivistes » (J.-L. Le Moigne, Les épistémologies constructivistes,
p. 70).

J. Piaget, Logique et connaissance scientifique, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1967


La connaissance se conçoit comme processus, plus que comme résultat :
« La connaissance ne saurait être conçue comme prédéterminée, ni dans les structures internes
du sujet, puisqu'elles résultent d'une construction effective et continue, ni dans les caractères
préexistants de l'objet, puisqu'ils ne sont connus que grâce à la médiation nécessaire de ces
structures » (J. Piaget, Logique et connaissance scientifique, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la
Pléiade », 1967).

2.3.2. Le caractère opératoire des connaissances


« Le sujet connaissant ne se représente pas des choses, mais des opérations (ou des interactions)
et la connaissance qu'il en construit par des représentations est elle-même opératoire, ou ac-
tive. » (J.-L. Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, p. 69).
« L'intelligence (et donc l'action de connaître) ne débute ainsi ni par la connaissance du moi, ni
par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction ; c'est en s'orientant simul-
tanément vers les deux pôles de cette interaction qu'elle organise le monde en s'organisant elle-
même. » (J. Piaget, La construction du réel chez l'enfant [1937], p. 311).
La connaissance ne correspond pas à un résultat statique, mais tout autant au processus qui la
forme. Elle est opérateur autant qu'opérande.
« Elle exprime l'intelligence de l'expérience du sujet connaissant, et c'est cette interaction du
sujet et de l'objet qu'elle représente. Le sujet ne connaît pas de "choses en soi" (hypothèse onto-
logique) mais il connaît l'acte par lequel il perçoit l'interaction entre les choses. Il ne connaît
pas cet arbre mais l'interaction de cet arbre et de son contexte » (J.-L. Le Moigne, op. cit., p. 71).
Conséquences méthodologiques : les intercessions symboliques
« Cette connaissance valuée de l'expérience du sujet cogitant doit enfin lui être accessible par

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la médiation artificielle de représentations construites par lui à l'aide de système de symboles.
Cette hypothèse fondatrice de toute connaissance n'est peut-être pas propre au seul paradigme
constructiviste. Mais le sera le complément suivant : cette représentation construit la connais-
sance qu'ainsi elle constitue. On ne peut plus dire, dès lors, avec Korzybsky (1931) "La carte (ou
la représentation) n'est pas le territoire (ou un réel connaissable indépendant du sujet", mais "la
carte exprime une connaissance expérimentable du territoire par le sujet, qu'ainsi parfois elle
transforme" ; ou, pour faire bref, "si la carte n'est pas le territoire connaissable, le territoire
connu devient la carte. » (J.-L. Le Moigne, op. cit., p. 69).
Pour un panorama des recherches qualitatives, voir le site de l'Association pour la Recherche
Qualitative : http://www.recherche-qualitative.qc.ca
Polarisation entre :
- positivisme et démarche expérimentale
- constructivisme et démarche expérientielle
2.4. Le schéma de base de la connaissance
« La connaissance est la mise en relation d'un sujet et d'un objet par le truchement d'une struc-
ture opératoire. » (J. Piaget, Logique et connaissance scientifique, Gallimard, « Encyclopédie de la
Pléiade », 1967).

Avec pour conditions :


- une mise en présence du monde
- une manifestation de la réalité dans le champ (phénoménal) de la conscience
- d'où émerge une médiation complexe, de nature symbolique, entre sujet et objet

12
3. La réalité et les « faits »
3.1. Les représentations de la réalité
Connaître la "réalité" : l'ensemble des choses qui "sont"
La réalité semble précéder toute pensée que l'on peut avoir sur elle, et la détermine
L'idée de réalité : nécessité logique, hypothèse ontologique, et évidence commune :
Cf. « les notions sont d'elles-mêmes si claires qu'on les obscurcit en les voulant définir » (René
Descartes, Principes de la philosophie, 1644, I, X).
- il s'agirait donc de raisonner juste à partir de données factuelles…
… mais le mot lui-même renvoie à une notion complexe. On l'analyse en considérant ce à quoi
elle s'oppose
3.1.1. Approche sémantique
1. Le néant : ce qui n'est pas
2. Le possible : ce qui pourrait être
3. L'illusoire : ce que l'on croit être
4. L'idéal : ce qui devrait être
3.1.2. Deux paradigmes fondamentaux
« On ne définit pas la mort en disant que c'est un phénomène fort exacte-
ment reproduit par la guillotine » (Claparède).

Rationalisme et empirisme : deux paradigmes mettant en exergue asymétrique le pôle sujet, et


le pôle objet de la connaissance
Un débat initié au XVIIème autour de l'analyse des "facultés de l'âme" (actuelles "fonctions
psychologiques") :
- perspective rationaliste : le point de départ est la pensée
- perspective empiriste : le point de départ est l'expérience (sensorielle et perspective)
Corrélation avec des méthodologies distinctes :
- démarche déductive : enchaînement (rigoureux) de propositions
- démarche inductive : observations ponctuelles répétées suivies d'une généralisation
Pôle considéré comme essentiel dans le schéma de la connaissance :
- pour le Rationalisme : c'est le sujet (rationnel)
- pour l'Empirisme : c'est la réalité visée
3.2. Le Rationalisme et la démarche déductive
3.2.1. Principes du Rationalisme
Le Rationalisme est la doctrine qui considère que toute connaissance repose sur des principes
universels non tirés de l'expérience : la Raison est la seule source possible des connaissances.
La Raison discursive est cette capacité de l'entendement qui nous permet d'effectuer des
déductions, à partir de concepts et de jugements
Les fondateurs dans la modernité : Descartes, Spinoza, Leibniz
Les trois principes de la rationalité (Aristote) :
- Le principe d'identité
- Le principe du tiers exclu
- Le principe de non contradiction
L'esprit recèle les formes et notions primitives sans lesquelles les données de l'expérience
resteraient un flux chaotique :
« Rien n'est dans l'esprit qui ne vienne des sens, si ce n'est l'esprit lui-même » (Gottfried Wilhelm

13
Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain [1704]).

3.2.1. La démarche déductive


La pensée déductive est l'activité par les données (issues des sensations et perceptions) sont
mises en relation par le mouvement organisateur de l'esprit
« La déduction est une relation logique telle que, les prémisses étant vraies, la conséquence ne
saurait être fausse (la logique transmet des valeurs de vérité) » (E. Ortigues, « l'Empirisme », Ency-
clopaedia Universalis).

La Logique d'Aristote et les formes canoniques du raisonnement :


- le syllogisme
- le jugement
3.3. L'Empirisme et la démarche inductive
Les données sensorielles et perceptives sont l'origine unique de toute connaissance.
John Locke, Essai sur l'entendement humain (1690) : l'esprit est comme "frappé" par les objets
extérieurs
3.3.1. L’expérience
Les connaissances s'élaborent dans l'expérience personnelle
Les principes d’ordre : l'habitude et l'imagination (D. Hume)
Pas de rationalité partagée, mais une composition psychologique qui ne reflète en rien la réalité
du monde
Aucune généralisation n'est légitime
Nos théories ne sont qu'une façon possible de parler du monde, mais elles ne décrivent pas la
réalité
Problème posé par cette conception : on ne peut pas dériver empiriquement les concepts de la
logique
3.3.2. La démarche inductive
L'induction généralisante est la méthodologie qui permet de trouver les causes ou antécédents vrais
Méthodologies inductives :
- observation de régularités dans les phénomènes observés
- proposition de lois, par induction
- constitution de théories et formulation de nouvelles hypothèses
- confirmation ou infirmation
- généralisations plus larges
- itération
Exemple : la théorie freudienne du rêve
- examen de centaines de rêves
- formulation d'hypothèses sur les processus sous jacents
- vérification empirique de leur capacité explicative
- hypothèses sur les cas particuliers (cauchemars...)
- confrontation de chaque nouvelle analyse de rêve à la théorie
La psychologie est une discipline empirique (vs philosophie, discipline réflexive)
L'empirisme est prévalent dans les sciences de la nature et sciences humaines
Le rationalise domine dans les sciences exactes (mathématique et physique théorique)
Dans beaucoup de domaines, aucune expérimentation n'est possible, mais simplement des
simulations

14
Dans les sciences empiriques, les deux opérations de l'induction et la déduction sont largement
intriquées
Inférer (raisonner) signifie soit déduire, soit induire (F. Armengaud, « Inférence », Encyclopaedia Univer-
salis, 2018) :
- l'inférence démonstrative ou déduction, comporte l'idée de nécessité. C'est une rationalité logique qui
transmet des valeurs de vérité. Elle est valide ou non valide
- l'inférence non démonstrative, ou induction, comporte l'idée de probabilité d'être vraie ou non. C'est ra-
tionalité du jugement, qui transmet des valeurs de crédibilité (un résultat validé est considéré comme vrai
tant qu'on a pas prouvé qu'il était faux).
La question se pose dans chaque nouveau contexte, s'il faut :
- aller au-devant des faits, grâce au raisonnement
- ou bien s'attacher au verdict de l'expérience pour établir des démonstrations
3.4. La « construction des faits »
Le terme « expérience » a deux sens opposés et méthodologiquement contradictoires :
- l'approche expérientielle
- l'approche expérimentale
Les deux perspectives, positiviste et constructiviste, coexistent dans les sciences empiriques,
notamment la psychologie :
- A partir de la polarité entre Rationalisme et Empirisme :
- il y a, du côté empirique, deux voies se distinguent :
- l'orientation constructiviste (relevant essentiellement du domaine expérientiel)
- l'orientation positiviste (relevant essentiellement du domaine expérimental)
3.4.1. L’observation
Un schéma expérimentaliste, initialement valable en sciences naturelles :
Claude Bernard Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865
Le "discours de la méthode" :
« L'observateur constate purement et simplement le phénomène qu'il a sous les yeux. Il ne doit
avoir d'autre souci que de se prémunir contre les erreurs d'observation qui pourraient lui faire
voir incomplètement ou mal définir un phénomène. A cet effet, il met en usage tous les instru-
ments qui pourront l'aider à rendre une observation complète […]. Il faut observer sans idée
préconçue ; l'esprit de l'observateur […] écoute la nature et écrit sous sa dictée. » (C. Bernard).
Hypothèse de "transparence" :
- du côté du sujet : un observateur (un sujet épistémique) "objectif" (mais aussi sujet
psychologique et social)
- du côté de l'objet : un objet qui présente des formes clairement repérables
Le postulat initial : une situation (théorique) d'un observateur neutre, dégagé de tout intérêt et
sans aucune interaction avec l'objet.
- est-il vraiment transposable aux sciences humaines ?
- ou s'agit-il plutôt d'une :
On ne connaît de situation d'observation "pure", indépendante de tout présupposé théorique et
méthodologique
« […] possibilité d'accord entre les observations, nécessairement subjectives, de différentes per-
sonnes. L'objectivité est donc plutôt une intersubjectivité, mais ces auteurs ne semblent pas se
poser le problème de la manière dont se produit l'accord entre les observateurs, ni des obsta-
cles qui peuvent l'empêcher ou le biaiser. » (B. Matalon, op. cit.)
Il faut saisir la portée de la démarche dans son contexte de validité initiale (le monde naturel)…

15
… et son contexte historique : les préjugés idéologiques du XIXème siècle. Ceci a permis par
exemple la naissance de la micro-biologie
3.4.2. L'interprétation
Quelle est la "bonne représentation" à partir des "données" ?
Quels sont les critères explicites, et implicites ?
Le nécessaire moment de l'interprétation, facteur majeur et définitif (?) d'incertitude (cf.
l'expérience de Milgram)
La question cruciale des critères de choix
Cf. supra : la diversité des perspectives possibles pour définir un "territoire"
Une nécessaire référence à un cadre interprétation, non fondé dans la réalité elle-même (objet
de l'analyse des "présupposés")
Exemple : la "Révolution française", un événement qui semble clairement identifié, mais qui
peut être "compris" de différentes manières :
- perspective "politique"
- perspective "individualiste"
- perspective "économiste"
- perspective "financière"
- perspective "culturelle"
- etc.
Il n'existe aucun "événement", aucun fait, en dehors d'une perspective qui lui donne forme. Ces
critères relèvent d'une "création" théorique, et non des "faits" eux-mêmes :
« […] les transformations de la notion de « fait » admise par une science sont véritablement des
créations, qui produisent les critères à partir desquels les [découvertes] acceptées seront décri-
tes a posteriori comme "évidemment" scientifiques. » (Isabelle Stengers, La Volonté de faire science.
Laboratoires Delagrange / Synthélabo, 1992, p. 13).

3.4.3. La sélection
Ce qui est pris en considération, … et ce qui ne l'est pas
La constitution d'une observation implique la sélection de "données" aussi bien a priori (de
façon généralement implicite) qu'à posteriori.
Les quantités dites "négligeables" : une décision contrôlée de sélection dans le domaine
physique.
> par exemple : les "gaz parfaits", le mouvement sans frottement, etc.
> dans ces cas, les données sont connues et la simplification est faite en toute connaissance
Cf. l'opération (non neutre) de "neutralisation des variables"
Une multiplicité de données, dont rien ne permet de dire a priori si elles font partie du
phénomène
La réduction et sélection des données : moment essentiel de la construction de l'objet
Exemple, dans l'observation ou l'entretien en psychopathologie :
1. Etablir ce qui "fait signe", en différenciant ce qui est pertinent ou non
2. Construire ce signe lui-même pour un faire un symptôme
Un moment essentiel dans la construction de l'objet
Théoriser n'est pas donner une image complète et fidèle d'une réalité, mais une représentation
opératoire :
« Observer c'est abstraire, c'est dégager certaines propriétés et en ignorer d'autres. Lesquelles
retenir ? Il n'est pas de moyen de le savoir a priori. Ce sont celles qui se révèleront utiles à met-

16
tre de l'ordre dans les faits et à les comprendre. » (F. Parot, M. Richelle, Histoire de la psychologie).
L'observation est en fait déterminée par :
- l'hypothèse (théorique) que l'on pose sur ce qu'il y a à observer
- et sur la manière de procéder (la méthode)
- jamais sur un simple "constat factuel"
Exemple : l'économie et l' « homme rationnel »
Deux étapes de réduction de la réalité. Déterminer :
1. ce qui fait partie du phénomène, ou non
2. ce qui peut vraiment être considéré comme négligeable, ou pas
Un "laboratoire", au sens large : le lieu où l'on procède à une transformation réductrice de la
réalité :
« Un laboratoire, ce n'est pas seulement un endroit où l'on fait des expériences, c'est un endroit
où, pour interpeller "la" nature, on s'arrange pour que la nature réponde à nos questions dans
notre langue, selon les paradigmes de la discipline concernée… » (Gérard Fourez, Larochelle, op.
cit., p. 93).

En ce sens large, on peut dire que le cabinet du psychanalyste est un "laboratoire"


La position théorique construit son objet :
« C'est la théorie qui décide d'abord de ce qui est observable (A. Einstein, cité par Werner Hei-
senberg, Le Tout et la partie, Munich, Piper, 1969) « ce n'est que dans et par une théorie que
des lacunes ou des anomalies peuvent apparaître » (C. Castoriadis, « Science moderne et interroga-
tion philosophique »).

3.5. La « rhétorique des faits » : une définition de l'émotion (P. Fraisse)


Une critique épistémologique de G. Politzer :
De cette méthode expérimentale, « c’est le physicien qui en a la vision sérieuse ; lui seul ne
joue pas avec elle, c’est entre ses mains uniquement qu’elle reste toujours une technique ra-
tionnelle sans jamais dégénérer en magie. Le physiologiste a déjà une forte tendance à la ma-
gie : chez lui la méthode expérimentale dégénère souvent en pompe expérimentale. Mais que
dire du psychologue ? Chez lui tout n’est que pompe.[…] En dépit de toutes ses protestations
contre la philosophie, il ne voit la science qu’à travers les lieux communs qu’elle lui a appris à
son sujet […] Il patauge alors au milieu des appareils, se jette tantôt dans la physiologie, tantôt
dans la chimie, la biologie ; il amoncelle les moyennes de statistiques, et est convaincu que,
pour acquérir la science, tout comme pour acquérir la foi, il faut s’abêtir. Il faut qu’on com-
prenne : les psychologues sont scientifiques comme les sauvages évangélisés sont chrétiens. »
(Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie).

Analyse des présupposés des premières phrases de l'article de P. Fraisse « Emotion » :


« On peut définir l'émotion comme un trouble de l'adaptation des conduites. En délimitant une
catégorie précise de faits psychologiques, cette définition exclut des acceptions trop vagues du
mot "émotion", comme dans l'expression une "émotion esthétique", et plus généralement l'em-
ploi du mot "émotion" comme synonyme de "sentiment". Les sources de l'ambiguïté du concept
d'émotion apparaîtront nettement par la suite ; mais on peut admettre dès l'abord cette défini-
tion si on veut bien reconnaître que subsumer sous un même mot la colère ou la peur et les sen-
timents de plaisir et de déplaisir, c'est s'enfermer dans de faux problèmes et se condamner à la
confusion intellectuelle.
Expliciter les troubles de la conduite que nous nommons émotion renvoie à une expérience
complexe qu'il est difficile de décrire. L'expérience émotionnelle est conscience de troubles de
la perception et de la représentation, d'intenses sensations musculaires et viscérales, mais aussi
de réactions émotives que nous saisissons dans notre comportement comme celui d'autrui. »
(Paul Fraisse, « Émotion », Encyclopaedia Universalis, t. 6, 2ème éd. 1984, p. 973-976. rééd. Pour la psy-

17
chologie scientifique. Histoire, théorie, pratique, Mardaga, 1988, p. 351-364 ; 2ème éd. E. U., t. 6, 1995, p.
143-146).

3.5.1. "On peut définir l'émotion comme …" :


La position énonciative du "on" ; l'illusion de neutralité
"On peut", mais "doit-on" ?
3.5.2. "…un trouble de l'adaptation des conduites"
L'émotion serait, objectivement, initialement un fait pathologique
Le choix du terme "trouble"
La notion ambiguë d' "adaptation" et ses présupposés
3.5.3. "En délimitant une catégorie précise de faits …" :
Statut de "fait psychologique" accordé à ce qui est désigné
Association directe à des désordres
Réduction à un simple problème de catégorisation
Cf. la question de la "sélection des faits", qui ne se fonde que dans une théorie préalable
Catégorie et catégorisation : opération logique nécessaire, mais qui implique des critères à
justifier
3.5.4. "cette définition exclut des acceptions trop vagues …
Le travail d'élaboration porte sur le "mot", plutôt que sur la "chose"
Démarche tautologique :
Le mot "juste" est celui qui désigne justement la "chose" …
… et la chose désignée ne peut se définir que par rapport au mot qui la désigne
Impossibilité de désigner précisément les contours des phénomènes continus
Le langage s'interpose entre le sujet et l'objet, en apportant ses propres valeurs (linguistique,
sociale, culturelle…)
Une "sélection" est bien effectuée, mais sur des critères implicites, sans justification :
- l'émotion est primitivement un désordre
- ce fait est central
- et il faut exclure l'émotion esthétique
Cf. « le travail psychologique […] n’a jamais été que notionnel, travail d’élaboration,
d’articulation, en un mot, la rationalisation d’un mythe » (G. Politzer, op. cit. p. 13).
3.5.5. "Les sources de l'ambiguïté du concept d'émotion… "
Une hiérarchisation également implicite :
- le "premier temps" réfère au primaire et donc fondamental
- et le "second temps" revoie au secondaire et donc marginal
3.5.6. "mais on peut admettre dès l'abord cette définition…"
Paralogisme : la forme du raisonnement déductif (si… alors), mais seulement la forme
3.5.7. "Expliciter les troubles de la conduite que nous nommons émotion… "
Dans ce premier temps, le terme "expérience" renvoie à l'expérientiel, tout en s'orientant vers
son contraire
3.5.8. "L'expérience émotionnelle est conscience de troubles…"
Une mise en scène discursive qui révèle des choix théoriques et des stratégies rhétoriques
La mise en forme préliminaire de l'objet
Une réduction de l'objet, qui peut aller jusqu'à sa destruction. De l'avis de certains scientifiques :
« Tout ce qui est rigoureux est insignifiant » (René Thom [mathématicien], « La science malgré tout »,

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Encyclopédie Universelle, Organum, vol. XVII, 1968, p. 10).
« Ce qui borne le vrai, ce n'est pas le faux c'est l'insignifiant » (René Thom, Paraboles et Catas-
trophes, Flammarion, 1980, p. 127).
« Ce qui n'est pas entouré d'incertitude ne peut être la vérité » (Richard Feynman [physicien], cité
par J.-C. Ameisen [médecin], « Pour une approche éthique : l'enfant comme sujet », 2007, p. 77).

Rappel : une théorie se caractérise autant par ce qu'elle inclut que par ce qu'elle exclut
Le fond idéologique des pratiques de connaissance
3.5.9. « … Le surgissement du "Nous"…
La "péroraison" :
- une position introspective en contradiction avec le postulat théorique et méthodologique
- une invitation à la participation personnelle, permettant de :
« produire l’impression décisive pour emporter la conviction des auditeurs » (Georges Molinié, Dic-
tionnaire de rhétorique, Paris, 1992).

La contradiction constitutive de la psychologie objectivante :


- éliminer la subjectivité pour s'affirmer objectif
- tout en s'appuyant fondamentalement sur elle (et sans autre possibilité) pour accéder à
l'objet à connaître (l'émotion, la conscience)
Il n'y pas d'accès possible au phénomène de la conscience en dehors d'une conscience
percevante (qui ne peut être que celle d'un sujet) :
L'impensé de l'objectivation :
« Tout l'univers de la science est construit sur le monde vécu et si nous voulons penser la science
elle-même avec rigueur, en apprécier exactement le sens et la portée, il nous faut réveiller
d'abord cette expérience du monde dont elle est l'expression seconde. La science n'a pas et n'au-
ra jamais le même sens d'être que le monde perçu pour la simple raison qu'elle en est une dé-
termination ou une explication. » […] Les vues scientifiques selon lesquelles je suis un moment
du monde sont toujours naïves et hypocrites, parce qu'elles sous-entendent, sans la mentionner,
cette autre vue, celle de la conscience, par laquelle d'abord un monde se dispose autour de moi
et commence à exister pour moi. Revenir aux choses mêmes, c'est revenir à ce monde avant la
connaissance dont la connaissance parle toujours, et à l'égard duquel toute détermination scien-
tifique est abstraite, et dépendante, comme la géographie à l'égard du paysage où nous avons
d'abord appris ce que c'est qu'une forêt, une prairie ou une rivière. […] Descartes et surtout
Kant ont délié le sujet ou la conscience en faisant voir que je ne saurais saisir aucune chose
comme existante si d'abord je ne m’éprouvais existant dans l'acte de la saisir, ils ont fait para-
ître la conscience, l'absolue certitude de moi pour moi, comme la condition sans laquelle il n'y
aurait rien du tout et « l'acte de liaison comme le fondement du lié » (Merleau-Ponty, Phénoméno-
logie de la perception, Gallimard, p. III).

19
4. Causes, raisons et intentions
Le "déterminisme causal" = la relation de cause à effet
Causalité :
- le rapport entre deux phénomènes, logiquement indépendants, tel que l'apparition (ou la
modification) de l'un provoque l'apparition (ou la modification) de l'autre
- un facteur est la cause d'un phénomène si une variation de ce facteur entraîne son
apparition, sa disparition ou sa modification, toutes les autres variables restant constantes
Réflexion à l'origine de la philosophie de la connaissance : "peut-on connaître et rendre
intelligible l'origine, la constitution et le devenir de ce qui est ?"
« Tout ce qui naît, naît nécessairement par l'action d'une cause, car il est impossible que quoi
que ce soit puisse naître sans cause » (Platon, Timée, 28 a)
Conditions de possibilité d'une connaissance rationnelle :
- la nature est régie par des lois, et non par l'arbitraire d'une instance transcendante
- les phénomènes obéissent à un déterminisme causal
Donner une représentation d'un phénomène : le décrire et rendre compte de sa cause
L'incertitude des déterminismes en psychologie
4.1. La théorie aristotélicienne des quatre causes
Théorie des quatre causes (Aristote, Physique, II, 3) :
- la cause première (ou originelle)
- la cause formelle
- la cause occasionnelle
- la cause finale
> Dispersion de l'étude des types de causalité dans des disciplines différentes
Domaines de réflexion dans l'antiquité (l'ordre du monde naturel et l'action humaine) :
- les mathématiques : étude des formes stables et changeantes
- la mécanique : études des forces qui produisent le mouvement
- les sciences naturelles : étude du substrat matériel (vivant ou non vivant)
- l'action : étude des objectifs et des finalités
= passage de la métaphysique (causalités surnaturelles) à la physique (causalités naturelles) :
conceptualisation des idées de temps, d'espace, de grandeur…
Alternative :
- causes "nécessaires" : physiques, mécaniques, …
- causes "intentionnelles" : démiurgiques…
Domaine de la science : exclusion de l'interrogation sur les "causes premières" et sur les "fins
dernières", aboutissant une représentation plus limitée, mais plus stable du monde, telle
que :
« lorsque les mêmes conditions sont réalisées, à deux instants différents, en deux lieux diffé-
rents de l'espace, les mêmes phénomènes se reproduisent transportés seulement dans l'espace
et le temps » (Paul Painlevé).
La suppression de la "cause finale" = passage de la physique aristotélicienne à la physique
newtonienne :
Les principes ayant promu la connaissance scientifique :
1. le renoncement aux questions métaphysiques et ce que Max Weber a appelé la "neutralité
axiologique" (la suppression de toute référence à l'égard des valeurs)
2. L'explication par des lois générales
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3. La mathématisation des lois
4. La suppression des causes finales
… ceci dans les domaines des sciences exactes et sciences de la nature : mais quelle
pertinence pour les sciences humaines ?
4.2. Les formes simples de causalité
Causalité simple et causalité complexe. L'exemple de la psychosomatique :
« Il va sans dire que, dans ce domaine, les causalités (plutôt que "la" causalité) ne sont pas li-
néaires, en dépit de ce qu’une certaine approche comportementale tendrait à faire croire avec,
par exemple, la notion de stress dans certaines pathologies comme l’hypertension artérielle ou
autres [… elles sont] non linéaires, cumulatives, chaotiques, rétroactives et complexes (comme
celles retrouvées en météorologie et dans les "sciences de la complexité"). » (G. Pirlot, « Modèles
actuels en psychosomatique », Encyclopédie médico-chirurgicale, Psychiatrie, 37-400-C-10, 2007, p. 2).

4.2.1. La causalité multiple


La causalité multifactorielle
Avec simplement deux facteurs :
- chaque facteur peut être suffisant pour produire ou modifier le phénomène
- les deux facteurs se composent
Les degrés de détermination : facteurs "facilitants" ou "inhibiteurs"
4.2.2. La causalité indirecte
Causalité indirecte : un facteur détermine la manifestation d'un premier phénomène (ou
modification d'un système), qui constituera ensuite la cause plus directe du phénomène
considéré
Les incertitudes relevant de cette complexité donnent souvent lieu :
- soit à des énumérations sans fin de "facteurs de risque"
- soit, au contraire, à la suppression des éléments contextuels pour le garder que le début
(supposé) de la chaîne causale, donnant l'image d'une causalité directe
4.2.3. L'interaction
« On dit qu'il y a interaction entre deux variables du point de vue de leur effet sur une troi-
sième si l'effet de l'une dépend de la modalité de l'autre, à laquelle elle est associée. » (B. Mata-
lon, op. cit.).

4.2.4. La rétroaction
Rétroaction : action de l'effet sur la cause qui l'a produite (principe du feed-back en
cybernétique)
> Effacement de la cause première et évolution vers un système dynamique
4.3. La causalité finale et l’intention
La cause finale : l'orientation d'une dynamique par ce qui constitue une finalité
- déterminer la cause répond à la question "pourquoi ?"
- déterminer la finalité répond à la question "pour quoi ?"
Exemple de questionnement en biologie de l'évolution. L'évolution des espèces résulte-t-elle :
- d'une suite longue et complexe de causalités (directes et indirectes, d'interactions et de
rétroactions…), due au hasard ?
- ou d'une dynamique orientée par un "plan d'évolution", relevant d'une "nécessité" ?
Dans les domaines des sciences exactes et naturelles, on exclue généralement les considérations
sur les "finalités" (pour se limiter aux points de vue de la "fonction")

21
4.4. Un exemple : l'agressivité (D. Winnicott)
Une étude de cas portant sur la notion d'agressivité :
« Le bavardage des professeurs parvient à nouveau jusqu'à moi.., savez-vous ce qu'elle a fait le
trimestre dernier ? Elle m'a apporté un bouquet de violettes et je serais tombé dans le piège si
je n'avais pas su qu'elle les avait volées dans le jardin voisin ! […] D'ailleurs, elle vole de l'argent
et donne des bonbons aux autres enfants. » (D. Winnicott, Agressivité, culpabilité et réparation,
Payot, 2004, p. 15).

L'analyse renvoie de facto à une "interprétation" préalable de la (de toute) situation :


- soit en termes de causes : "pourquoi a-t-elle fait ça ?" = quelle est la cause de cette conduite ?
- soit en termes de raisons (ou intentions) : "pour quoi a-t-elle fait ça ?" = quel est le but de cette
conduite ?
1. Une explication causale :
- une objectivation symptomatique
- un déploiement tautologique entre structure et symptôme
= l'acte s'explique par la personnalité … qui se manifeste dans l'acte.
+ recours éventuel à des causalités biologiques ou autre "dysfonctionnement"
Dans une perspective objectivante :
« le recours aux intentions comme facteurs explicatifs ne peut pas se faire de façon satisfai-
sante, il est entaché de mentalisme, et ce type d'explication doit être rejeté comme impossible
à mettre empiriquement à l'épreuve. » (B. Matalon, op. cit., p. 218).
Recours à une loi générale ?
« Il faut donc recourir à un autre type d'explication, associant l'acte à ses conditions, et tenter
de trouver les lois générales qui régissent les relations entre les deux, sans passer par les inten-
tions. » (ibid.)
2. La compréhension des raisons :
- l'interprétation de l'intention sous-jacente :
« Cet exemple d'agressivité est loin d'être simple. Cette enfant aimerait pouvoir ressentir de
l'amour, mais elle n'a aucun espoir d'y parvenir. Elle y arriverait peut-être par moments, en
trompant les professeurs et les autres enfants ; hélas, pour se sentir digne d'amour, elle doit
obtenir quelque chose qui se trouve quelque part à l'extérieur d'elle. » (Winnicott, op. cit.).
- la reconstitution des séquences :
1. la fillette recherche de l'affection auprès des adultes
2. elle leur offre donc quelque chose
3. mais il s'agit de choses volées
4. parce que ces choses ont de la "valeur" (et pas elle), ce qui constitue la raison
> On aboutit à une perspective très différente (et un tout autre diagnostic) :
« Si nous voulons comprendre les difficultés de cette enfant, […] nous devons d'abord compren-
dre ses fantasmes inconscients ; nous y découvrirons certainement l'agressivité qui est à l'origine
de son sentiment de désespoir et donc, indirectement, de son attitude antisociale. » (Winnicott,
op. cit.).

Rejet par Winnicott de toute hypothèse causale qui se réfèrerait à :


« l'émergence de pulsions agressives primaires. Toute théorie de l'agressivité fondée sur cette
hypothèse erronée serait vaine » (Winnicott, op. cit.).

22
4.5. Le continuum cause-raison
Dans les situations humaines : importance décisive des intentions, des projets, des
agents/acteurs, des motifs, des mobiles, des motivations, des raisons (d'agir), etc. :
« Pour parler avec le vocabulaire de la scolastique : on pourrait dire que les causes finales y ont
plus de poids que les causes efficientes. » (B. Matalon, op. cit.).
Un lien logique est différent d'un lien causal :
- dans un cas : relation entre intention (raison, projet…) et action (conduite,
comportement…)
- dans l'autre cas : relation entre cause et effet
Les motifs d'une action sont nécessairement reliés à l'action (dont ils sont le motif), ce qui n'est
pas le cas dans la causalité simple (il faut au moins considérer des causalités complexes)
Il n'y a pas d'opposition radicale entre la "cause" et la "raison", mais plutôt une polarisation
avec, à ses deux extrêmes :
- d'un côté : une causalité sans intention (monde matériel)
- de l'autre côté : une intention sans causalité (monde symbolique)
Deux démarches distinctes :
- l'explication : qui recherche des lois causales
- l'interprétation : qui vise les logiques du sens

23
5. Problématiques spécifiques des « sciences humaines »
« La science est universelle, comme la langue anglaise ! »
(Gérard Fourez, Marie Larochelle, op. cit., p. 62).

5.1. Questionnements en SHS


Questions plus spécifiques qui se posent aux « sciences humaines » :
. ces connaissances doivent-elles être constituées comme dans les sciences exactes ?
. peuvent-elles l'être ?
- L'expression même de "sciences humaines" a-t-elle un sens, ou plusieurs, ou aucun ?
- Toute connaissance valable suit-elle le modèle de "la" Science ?
. une science peut-elle être le modèle de toute science ?
. Cf les sciences de l'observation, du projet, du calcul théorique, de l'expérimentation, de la
classification, de la prévision, etc.
- Un sujet peut-il être vraiment assimilable à un objet ?
- Le sujet observé peut-il être vraiment indépendant du sujet observant (affirmation fausse dans
les sciences exactes) ?
- Le "vrai", en tant que produit d'un travail d'objectivation (objectif, quantifiable) est-il :
signifiant, pertinent, nécessaire, essentiel, suffisant, etc.
- La "pensée" et le "sens" sont-ils :
. réductibles à des "propriétés émergentes" de l'organisation de la matière vivante ?
. simplement équivalents à la "structure", à la "force"… ?
. assimilable à du calcul (éventuellement symbolique) ?
. ou bien s'agit-il d'autre chose…
- Dans quelle mesure le "vécu subjectif" est objectivable, ou négligeable ?
- la psychologie peut-être "scientifique" : à quelles conditions, à quel "prix" ?
- "La" psychologie existe-t-elle ? ...
Un retard historique des sciences humaines, dans les registres théoriques et méthodologiques ? :
« Les sciences humaines sont le plus souvent un mélange de pur discours idéologique non ques-
tionné, de recherches empiriques dont les manques graves ou les limitations sont masquées par
un discours méthodologique aussi pompeux que vide ; de reprises, sous une forme nouvelle, de
questionnements philosophiques fort anciens où les sciences humaines, le plus souvent sans le
savoir, retombent dans des apories connues de tout étudiant en philosophie. » (G. Fourez, op.
cit.).

Dans le domaine de la pratique, également :


« De bien des travaux de psychologie, on retire l'impression qu'ils mélangent à une philosophie
sans rigueur, une éthique sans exigence et une médecine sans contrôle. » (G. Canguilhem, « Qu'est-
ce que la psychologie ? »)

Une ontologie spécifique ? :


- un être vivant, pensant et parlant
- un être historique, qui intervient sur sa propre définition
- dans un monde tout à la fois matériel et symbolique …
5.2. L’hétérogénéité des objets et domaines
Les limites de la "décomposition analytique" :
- à quel niveau doit-on arrêter la décomposition en constituants élémentaires ?
- quel serait l'élément simple résultant de cette analyse ?
Quelle unité de base serait visée par la psychologie ?

24
- la représentation (sociale/mentale) …
- le comportement, la conduite …
- les fonctions psychologiques …
- les pulsions, les processus mentaux …
- la personne, le Moi, le sujet, l'acteur, l'individu …
- le fonctionnement cérébral …
- le travail, l'activité …
Une tentative de trouver un terme commun : « une théorie générale de la conduite » (D.
Lagache, L'unité de la psychologie, 1949)
Une critique "historique" :
« A bien y regarder pourtant, on se dit que peut-être cette unité ressemble davantage à un
pacte de coexistence pacifique conclu entre professionnels [plutôt] qu'à une essence logique. »
(G. Canguilhem, « Qu'est-ce que la psychologie »)

Des critères différents pour définir les sous-disciplines :


« une psychologie ne peut être dite expérimentale qu'en raison de sa méthode et non en raison
de son objet. Tandis que, en dépit des apparences, c'est par l'objet plus que par la méthode
qu'une psychologie est dite clinique, psychanalytique, sociale, ethnologique. » (Id.)
Une "totalisation" est–elle envisageable en suivant un principe "intégratif" ?
Positions critiques :
- le « géométral » :
« Un événement n'a de sens que dans une série, le nombre de séries est indéfini, elles ne se
commandent pas hiérarchiquement, et elles ne convergent pas non plus vers un géométral de
toutes les perspectives. » (P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, 1996, p. 41).
- les modes d'être :
Les faits, les vérités, la réalité et même la connaissance ne sont pas des objets dans le monde,
comme des périodes temporelles, des petits enfants, un comportement agité ou une tendresse
amoureuse. […] Même si nous sommes d'accord avec Wittgenstein pour dire que le monde est
fait de faits, et non de choses, les faits n'en sont pas pour autant dans le monde de la même
manière que l'avarice et les huissiers. » (I. Hacking, Entre science et réalité, p. 41).
- l'idéologie :
« la connaissance ne se saisit du réel qu'au travers d'un angle de vue spécifique et ne fabrique
que des objets construits, impossibles à homogénéiser et à totaliser dans un savoir absolu. » (R.
Gori, MJ Del Volgo, La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l'existence, p. 33).

Il semble qu'on ne trouve :


- ni méthodologie commune
- ni paradigme commun, au sens de vision de l'humain et de la société
- ni domaine d'exercice commun
- ni objectif commun (par exemple dans le champ de la psychothérapie)
L'identité des mots versus l'identité des concepts. Exemples :
- la notion de stade de développement
- la notion de "Moi"

25
5.3. La dualité chose/signe
Monisme et dualisme en SHS :
- le monisme renvoie à un seul principe explicatif pour l'ensemble des phénomènes
considérés (en particulier : les lois de la matière s'appliquent aux phénomènes humains et
peuvent les expliquer sans reste)
- le dualisme considère qu'il y a deux ordres de phénomènes qui obéissent à des principes
différents
Les phénomènes sociaux sont humains en tant qu'ils ont une "signification" :
« L'homme se sert d'un système de signes organisés collectivement non seulement pour commu-
niquer mais aussi pour traduire sous forme symbolique son expérience du monde. Le monde hu-
main devient par là un monde médiatisé par des signes. […] On peut dire que l'homme est un
animal qui n'a pas de données immédiates » (Jerome Bruner, Ecrits, p. 74).
La reductio ad absurdum du sujet et des valeurs (sociales, culturelles)
La différence entre le faux et l'insignifiant
Les phénomènes matériels n'ont aucune intention signifiante, à l'opposé d'un phénomène
humain :
« un comportement n’est un comportement humain que dans la mesure où le phénomène physi-
que par lequel il se manifeste fonctionne comme le signe d’autre chose » (B. Matalon, op. cit).
Le dualisme en sciences humaines :
- Le monde physique n'a pas de "point de vue", pas d'intention, pas de sens, il "est" = ordre de
la matière et de la force, qui relèvent d'une causalité matérielle
- La conscience est intentionnelle est celle d'un "sujet" = ordre du signe et du sens.
= un double registre de l'énergétique et du symbolique
5.4. La dispersion des paradigmes
Rationalité versus mathématisation
Conséquences épistémologiques, éthiques et méthodologiques d'une réduction toujours
théoriquement possible :
« Dans le cas des sciences humaines, la mise hors-jeu de la subjectivité ne signifie rien de moins
que l'exclusion de ce qui en l'homme constitue son essence propre » (M. Henry, La Barbarie, p. 133).
Une dissolution de l'objet même de la connaissance de l'humain :
« Elles [les "sciences" humaines] s’adressent toujours à ce qui en constitue les limites extérieu-
res » (M. Foucault, Les Mots et les choses, Gallimard, 1966).
Des démarches très différenciées dans les sciences exactes et naturelles
- des objectifs différents
- des méthodes différentes
- des langages différents : langages symboliques spécifiques (par exemple la chimie),
opérateurs logiques, langues naturelles…
« la conviction que les méthodes de la nature peuvent s'appliquer ou non à la psychologie indui-
sent des recherches tout à fait différentes, expérimentales dans un premier cas, cliniques dans
l'autre. La même différence se retrouve en sociologie, où se distinguent, on peut dire s'oppo-
sent, des démarches hétérogènes qui ne peuvent se décrire qu'en partie par les qualifications de
quantitatif et qualitatif. » (B. Malalon, op. cit., p. 18).
Il existe :
- des degrés divers et des styles différents de formation
> et donc une diversité de formes de connaissances scientifiques

26
5.5. L’effet Pygmalion
Une objection à toute scientificité possible des sciences humaines
Dans une perspective positiviste, une condition de scientificité de la connaissance est
l'indépendance du sujet (épistémique) et de l'objet de connaissance
Un impensé : l'implication du psychologue et la supposition de l'absence d'interaction
Répondre aux exigences du dispositif, plutôt qu'à la réalité ?
Les modes d'évitement habituels (moments fantasmatiques au cœur de la science)
- soit en affirmant qu'il s'agit d'une "quantité négligeable"
- soit en affirmant que "le désir de la personne observée est de répondre à la demande de
l'observateur, par exemple par manipulation de la motivation :
« La notion de motivation est utilisée depuis longtemps dans la psychologie la plus béhavioriste.
Il faut remarquer toutefois que, dans une situation expérimentale, la difficulté [de considérer
cette intentionnalité] est contournée en partie par le fait que la motivation, ou l'objectif des
sujets, ne sont pas observés ou inférés, mais sont assignés par la consigne. [Et] On admet que
l'intention du sujet d'une expérience est de faire ce que l'expérimentateur lui demande. » (B.
Matalon, op. cit., p. 217).

Cette 'interaction peut être déniée, mais également "assumée" et utilisée comme instrument de
connaissance dans certaines démarches
Dans les autres disciplines :
. En physique : le dispositif d'"éclairage" modifie l'objet
. En ethnologie : la connaissance participative
. En histoire : l'historien est lui-même un "acteur" de l'histoire ?
Le point de vue de "nulle part"
Que faire de l' "illusion de transparence" ?
L'effet "Pygmalion" correspond à l’induction de la réponse par la question, qui produit une
réponse anticipée. C'est :
« l'effet d'artefact produit par l'attente de l'expérimentateur [qui correspond à ceci] que le su-
jet produit toujours de façon plus ou moins consciente ou inconsciente les faits que l'expérimen-
tateur attend et souhaite qu'il lui montre » (E. Jalley, Critique de la raison en psychologie, p.
45).
Paradoxe des expériences sur les expérimentations montrant l'absence d'objectivité des
situations expérimentales !
"Traiter les faits sociaux comme des choses" (E. Durkheim) ?
Conjecturer une extériorité ou assumer et utiliser la relation à l'autre ?
Comprendre les intentions : la part herméneutique de la connaissance humaine de l'humain
5.6. Science et scientisme
5.6.1. La constitution des idéologies
De la science à l'idéologie :
« L'idéologie est un ensemble de croyances et de valeurs lié à la promotion d'une manière de
voir le monde et à la légitimation de certaines attitudes. » (G. Fourez, op. cit., p. 80).
Les différents niveaux et effets de l'idéologie :
« Parcourus de haut en bas, de la surface à la profondeur, ces effets [de l'idéologie] sont succes-
sivement de distorsion de la réalité, de légitimation du système de pouvoir, et d'intégration du
monde commun par le moyen de systèmes symboliques immanents à l'action. » (P. Ricoeur, L'His-
toire, la mémoire, l'oubli, Seuil, 2003, p. 100).

La « naturalisation » des faits sociaux comme procédé idéologique

27
Exemple : les "lois naturelles" du marché en économie ; la "nature humaine" en psychologie
5.6.2. Les « lieux du discours »
Un discours scientifique peut devenir idéologique par la place d'où il est émis
« La force institutionnelle des épistémologies positivistes et réalistes tient probablement plus à
la robustesse de la classification des disciplines scientifiques qu'elles préconisent avec constance
depuis plus d'un siècle qu'à la qualité de l'adhésion des cultures aux hypothèses méthodologiques
sur lesquelles elles se fondent » (J.-L. Le Moigne, Les épistémologies constructivistes, p. 89).
Tout discours de savoir peut "dire autre chose que ce qu'il dit", selon le lieu de son énonciation
Un savoir scientifique peut fonctionner comme un mythe : constitution d'un imaginaire et
présentation d'un "Miroir" :
« Lorsque le savant entre sur cette scène institutionnelle, il entre dans l'espace du théâtre civi-
lisateur, là où la parole, de par la place où elle s'énonce, prend statut de parole mythologique
et nécessairement induit un effet normatif. Et peut-être pourrait-on dire qu'il y a une impasse
contemporaine de tenir pour acquis que la pensée scientifique puisse se produire sur la scène du
discours social sans en changer la nature. » (P. Legendre, Études sur l'institution des images, p. 13).
Les "images identificatoires" livrées par la psychologie
L'exemple de la "médicalisation de la société" : L'inceste est-il un problème médical ?
La demande sociale de factualités et de certitudes
Les approches gestionnaires des réalités psychiques
Les questions éthiques : manipulation, suggestion…
Les légitimations (pseudo-)scientifiques
5.6.3. Le savoir et le pouvoir (M. Foucault)
Du descriptif au prescriptif : de la normalisation théorique …
« Comment en est-on arrivé à ce que le pathos de la souffrance psychique et de la "connaissance
tragique" qu'il convoque (Nietzsche) soit réduit à un pur et simple "trouble du comporte-
ment" ? » (R. Gori, MJ Del Volgo, op. cit., p. 19).
… au contrôle comportemental :
« Non seulement la psychiatrie et la psychologie des comportements participent à caractériser
les fautes et à établir de quelles déterminations elles relèvent, mais encore elles participent
dans leurs pratiques à l'accomplissement même de la sanction. On punit moins parce qu'on cor-
rige davantage. Ces nouvelles corrections des comportements et des paroles se trouvent légiti-
mées par la "formation scientifique" de leurs acteurs tout en recevant la bénédiction morale
d'une nouvelle religion laïque à laquelle participe la médecine de masse. » (Id.).
Deux cas de figure :
- une science légitime dans son domaine vient s'exercer dans un autre domaine
- un savoir incertain s'affirme comme scientifique :
- en se fondant sur le formalisme des sciences de la nature
- et en s'imposant dans un rapport de force institutionnel par cette "légitimation"
> d'où la fonction de la "rhétorique" scientiste, permettant de dissimuler/naturaliser ces
processus :
« "Il est prouvé que…", "du point de vue scientifique…", "objectivement…", "les faits montrent
que…", "en réalité…" Que de fois de telles expressions ne scandent-elles pas le discours de ceux
qui, à quelque niveau que ce soit, nous gouvernent ? (pas forcément au sommet de l'état, mais
dans les institutions, par exemple hospitalières ou universitaire) Et chaque fois, il s'agit d'appe-
ler ceux à qui l'on s'adresse, à se soumettre » (I. Stengers, Sciences et pouvoirs. La démocratie face à
la technoscience, 2002, p. 7).

28
L'enjeu ultime : "définir la réalité" :
« Dans tout système juridique, comme dans tout système culturel, celui qui détient le pouvoir
de définir la réalité détient celui de contrôler les conduites qui en découlent. » (Jerome Bruner,
Meyerson aujourd'hui : quelques réflexions sur la psychologie culturelle, 1998, p. 205).

et la constitution de « dispositifs » (G. Agamben) :


Dispositif : « tout ce qui a d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de
déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les
opinions et les discours des êtres » (F. Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Payot & Rivages, 2007, p.
13).

L'imposition d'une normativité peut alors s'étayer sur cette "définition de la réalité" :
« Toute pensée organisée rationnellement de manière sociale dominante peut devenir une idéo-
logie monstrueuse. » (A. Dorna, « Les SHS au cœur des nouvelles pratiques scientistes », Cahiers de psy-
chologie politique, n° 20, 2012).

29
Bibliographie
Lecture obligatoire
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe [1990], Paris, Seuil, coll. "Points", série "Essais", n° 534, 2005.
Georges Canguilhem, « Qu'est-ce que la psychologie ? », conférence prononcée au Collège philosophique le 18 décem-
bre 1956, publiée dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1958, n° 1.

Ouvrages recommandés
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Bachelard Gaston, La Formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance (1938),
Paris, Vrin, 2004.
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30
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31
Table des matières
1. INTRODUCTION A L’EPISTEMOLOGIE 3.3. L'Empirisme et la démarche inductive
3.3.1. L’expérience
1.1. Présentation générale
3.3.2. La démarche inductive
1.1.1 Thèmes de l'épistémologie
3.4. La « construction des faits »
1.1.2. Plan du cours
3.4.1. L’observation
1.1.3. Lectures obligatoires
3.4.2. L'interprétation
1.1.4. Modalités d'examen
3.4.3. La sélection
1.2. Approche notionnelle
3.5. La « rhétorique des faits » : une définition de
1.2.1. Perspectives larges de l'épistémologie
l'émotion (P. Fraisse)
1.2.2. Une philosophie des sciences
3.5.1. "On peut définir l'émotion comme …" :
1.2.2.1. La validité et fiabilité des théories
3.5.2. "…un trouble de l'adaptation des
1.2.2.2. Les méthodologies
conduites"
1.2.3. Epistémologie générale et épistémologie
3.5.3. "En délimitant une catégorie précise de
spécifique
faits …" :
1.2.4. Place de l'épistémologie parmi les autres
3.5.4. "cette définition exclut des acceptions
disciplines
trop vagues …
1.2.4.1. Epistémologie et sociologie des
3.5.5. "Les sources de l'ambiguïté du concept
connaissances d'émotion… "
1.2.4.2. Epistémologie et psychologie de la 3.5.6. "mais on peut admettre dès l'abord cette
connaissance définition…"
1.2.5. Une épistémologie de l'épistémologie ? 3.5.7. "Expliciter les troubles de la conduite que
1.3. Thématiques traditionnelles de l’épistémologie nous nommons émotion… "
1.3.1. Le principe d'universalité des 3.5.8. "L'expérience émotionnelle est conscience
connaissances de troubles…"
1.3.2. Normes, normalité, normalisation 3.5.9. « … Le surgissement du "Nous"…
1.3.3. Les niveaux d’organisation de la réalité
4. CAUSES, RAISONS ET INTENTIONS
1.3.4. La mise en perspective critique et
l'analyse des présupposés 4.1. La théorie aristotélicienne des quatre causes
4.2. Les formes simples de causalité
2. LA CONSTRUCTION DES SAVOIRS
4.2.1. La causalité multiple
2.1. La carte et le territoire 4.2.2. La causalité indirecte
2.1.1. La dialectique entre objet et 4.2.3. L'interaction
représentation 4.2.4. La rétroaction
2.1.2. Médiateté versus immédiateté du savoir 4.3. La causalité finale et l’intention
2.2. Le positivisme 4.4. Un exemple : l'agressivité (D. Winnicott)
2.2.1. L'axiomatique positiviste 4.5. Le continuum cause-raison
2.2.2. La logique explicative
5. PROBLEMATIQUES SPECIFIQUES DES
2.2.3. La décomposition analytique « SCIENCES HUMAINES »
2.3. Le constructivisme
5.1. Questionnements en SHS
2.3.1. Du rationalisme appliqué à l'épistémologie
5.2. L’hétérogénéité des objets et domaines
génétique
5.3. La dualité chose/signe
2.3.2. Le caractère opératoire des connaissances
5.4. La dispersion des paradigmes
2.4. Le schéma de base de la connaissance
5.5. L’effet Pygmalion
3. LA REALITE ET LES « FAITS »
5.6. Science et scientisme
3.1. Les représentations de la réalité 5.6.1. La constitution des idéologies
3.1.1. Approche sémantique 5.6.2. Les « lieux du discours »
3.1.2. Deux paradigmes fondamentaux 5.6.3. Le savoir et le pouvoir (M. Foucault)
3.2. Le Rationalisme et la démarche déductive BIBLIOGRAPHIE
3.2.1. Principes du Rationalisme
3.2.1. La démarche déductive

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