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Partie
Fondements épistémologiques
de la recherche
Chapitre 1

Construction de l’objet de la recherche Chapitre 2


Explorer et tester : les deux voies de la recherche Chapitre 3
Quelles approches avec quelles données ? Chapitre 4
Recherches sur le contenu et Chapitre 5
recherches sur le processus
Concevoir

D ans cette première partie, le lecteur est invité à s’interroger sur la nature et la
finalité de la recherche qu’il souhaite entreprendre. Les choix explicites ou
implicites qu’il va faire ne sont pas neutres vis-à-vis du type de recherche ou
de la manière de conduire cette dernière. Une question importante à laquelle il doit
répondre, concerne sa conception de la réalité des phénomènes de management qu’il
souhaite étudier. Est-ce une réalité objective, et auquel cas faut-il développer et
choisir les instruments de mesure adéquats pour l’étudier, ou bien s’agit-il d’une
réalité construite, sans essence en dehors du chercheur, qui s’échappe et se trans-
forme au fur et à mesure que l’on pense s’en approcher ? Une fois ce premier pro-
blème clarifié, le chercheur doit préciser l’objet de recherche, c’est-à-dire ce qu’il
souhaite entreprendre. Là encore, la réponse n’est pas aussi nette qu’on pourrait
idéalement le souhaiter. Nous montrons que l’objet est construit et ne peut être, sauf
de manière artificielle, donné. C’est un objet mouvant, réactif, contingent de la
conception et du déroulement de la recherche. L’objet étant précisé, le chercheur
doit faire un choix quant à la finalité poursuivie. À cette fin, il dispose de deux
grandes orientations. La première consiste à construire un nouveau cadre théorique
à partir, entre autres, de ses observations. La deuxième, est de tester une théorie, à
savoir confronter théorie et observations empiriques. Pour ce faire, il lui faudra déci-
der d’une approche qualitative ou quantitative ou bien encore d’un mélange entre les
deux, et d’un type de données à mobiliser ; décision qui se doit d’être en cohérence
avec la finalité. Enfin, il s’agit d’opter pour une manière d’aborder la question de
recherche : recherche sur un contenu, c’est-à-dire sur un état, ou recherche sur un
processus, c’est-à-dire sur une dynamique. En fonction des réponses aux choix pré-
cédemment proposés, les méthodologies utilisées seront différentes ; d’où l’impor-
tance de réfléchir très en amont quant à la nature, la finalité, le type de recherche et
la source empirique dont le chercheur dispose ou qu’il souhaite utiliser.
Chapitre
Fondements
1 épistémologiques
de la recherche
Florence Allard-Poesi et Véronique Perret

Résumé
 Tout travail de recherche repose sur une certaine vision du monde, utilise une
méthodologie, propose des résultats visant à comprendre, expliquer, prédire ou
transformer. Une explicitation de ces présupposés épistémologiques permet de
contrôler la démarche de recherche, d’accroître la valeur de la connaissance qui
en est issue, mais également de mieux saisir nombre de débats entre courants
théoriques en management.
 L’objet de ce chapitre est d’aider le chercheur à conduire cette réflexion épisté-
mologique en l’invitant à s’interroger sur les quatre dimensions suivantes : Quel
est ce réel que l’on cherche à appréhender ? Quelle est la nature de la connais-
sance produite ? Quels sont la valeur et le statut de cette connaissance ?
Quelles sont ses incidences sur le réel étudié ? Des éléments de réponse sont
proposés en distinguant à grands traits les postures que défendent les différents
paradigmes caractéristiques de notre champ de recherche.

SOMMAIRE
Section 1 L’épistémologie dans la recherche en management
Section 2 Qu’est-ce que la réalité ?
Section 3 Qu’est-ce que la connaissance ?
Section 4 Qu’est-ce qu’une connaissance valable ?
Section 5 La connaissance est-elle sans effet ?
Fondements épistémologiques de la recherche Chapitre 1

L

’épistémologie peut se définir comme la discipline philosophique qui vise à


établir les fondements de la science. En ce sens elle cherche à caractériser la
science afin d’estimer la valeur logique et cognitive des connaissances qu’elle
produit pour décider si elles peuvent prétendre se rapprocher de l’idéal d’une
connaissance certaine et authentiquement justifiée (Soler, 2000). Cette définition
normative tend à s’effacer aujourd’hui au profit d’une conception plus ouverte qui
considère l’épistémologie comme une activité réflexive qui porte sur la manière dont
les connaissances sont produites et justifiées. L’épistémologie se définira alors plutôt
comme « l’étude de la constitution des connaissances valables » (Piaget, 1967 : 6).
Partant de cette définition, on peut convenir que la réflexion épistémologique peut
se déployer sur quatre dimensions :
–– une dimension ontologique, qui questionne la nature de la réalité à connaître ;
–– une dimension épistémique, qui interroge la nature de la connaissance produite ;
–– une dimension méthodologique, qui porte sur la manière dont la connaissance est
produite et justifiée ;
–– une dimension axiologique enfin, qui interroge les valeurs portées par la
connaissance.
Comme nous le verrons, en fonction d’une acception large ou étroite de
l’épistémologie, la place et le rôle accordés à ces quatre dimensions diffèrent quand
il s’agit de définir ce qu’est une « connaissance valable ».
Cependant, quels que soient les contours qu’on lui donne, l’épistémologie est
consubstantielle au travail scientifique (Martinet, 1990). Toute recherche repose sur
une certaine conception de son objet de connaissance ; utilise des méthodes de
nature variée (expérimentale, historique, discursive, statistique…) reposant sur des
critères de validité spécifiques ; avance des résultats visant à expliquer, prédire,
prescrire, comprendre ou encore construire et transformer le monde auquel elle
s’adresse.
La réflexion épistémologique, en ce qu’elle invite à expliciter les présupposés et
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justifier les choix effectués à ces différentes étapes, est en outre un puissant outil
d’innovation pour la recherche en permettant de dépasser la simple recherche de
cohérence entre l’analyse et les objets de cette analyse. Cette posture réflexive offre
au chercheur les outils d’une pratique scientifique consciente d’elle-même et
contrôlée, « pour lutter contre les contraintes de l’espace théorique du moment et
pour dépasser les prétendues incompatibilités, les prétendues oppositions, les
prétendues voies inconciliables » (Bourdieu, 1987).

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Partie 1 ■ Concevoir

Section
1 L ’ÉPISTÉmologie dans la recherche en
management

Appréhender les présupposés et hypothèses implicites et participer aux débats


épistémologiques structurant son champ de recherche ; expliciter sa démarche et
construire son projet scientifique dans un souci de cohérence et de pertinence par la
mise en pratique des outils de la réflexion épistémologique : tels étaient dès 1999,
date de la première édition, les objectifs que se donnait ce premier chapitre de
l’ouvrage Méthodes de recherche en management (Girod-Séville et Perret, 1999). À
cette époque, si quelques ouvrages précurseurs invitaient à l’exploration des grandes
questions épistémologiques dans le champ des sciences de l’organisation (Burrel et
Morgan, 1979 ; Hatch, 1997 ; Martinet, 1990 ; Le Moigne, 1995), peu de travaux en
proposaient un panorama synthétique. Le constat que l’on peut faire aujourd’hui,
quinze ans après, n’est plus le même. L’épistémologie est enseignée dans la plupart
des programmes d’initiation et de formation à la recherche et de nombreux travaux
sont venus compléter les références à disposition du chercheur pour appréhender les
débats épistémologiques propres à notre discipline (McAuley et al., 2007 ; Avenier
et Gavard-Perret, 2012 par exemple).
Avant d’examiner plus précisément ces différents débats dans les sections
suivantes, il est utile de les replacer dans le contexte des trois grands référentiels
dont les sciences de gestion s’inspirent.

1 Le référentiel des sciences de la nature

Les sciences de la nature ont souvent été présentées comme porteuses d’une
conception homogène de LA Science et, à ce titre, susceptible de s’appliquer à
l’ensemble des disciplines scientifiques quel que soit leur objet. Historiquement
portée par le positivisme (Comte, 1844) cette conception de la science a connu de
nombreuses évolutions. Au début du xxe siècle, le Cercle de Vienne souhaite
démarquer la connaissance scientifique d’autres formes de savoirs (de nature
métaphysique ou éthique notamment) par l’établissement de règles de constitution
de ce savoir. Ce modèle, identifié sous le label du positivisme logique, a été enrichi
et amendé par les réflexions réformatrices de Carnap ou plus radicales d’auteurs
comme Popper ou Lakatos. Ce référentiel réformateur, le post-positivisme, se
caractérise par la place prépondérante qu’il accorde à des dispositifs méthodologiques
marqués par la quantification, l’expérimentation et à la validation empirique des
énoncés selon un principe hypothético-déductif ; une visée de découverte de la
vérité et la nature explicative des connaissances scientifiques ; la revendication

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Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

d’une posture de neutralité et d’objectivité du chercheur et de sa démarche. Ce


référentiel reste encore dominant dans la plupart des disciplines, y compris celles
n’ayant pas pour objet le monde naturel.

2 Le référentiel des sciences humaines et sociales

La domination du modèle scientifique hérité des sciences de la nature est dénoncée


par un grand nombre de disciplines appartenant au champ des sciences humaines et
sociales (Steinmetz, 2005). Cette controverse repose sur la revendication d’une prise
en compte des spécificités des objets propres à ces disciplines qui ne peuvent se
concevoir comme des choses1.
Le référentiel des sciences humaines et sociales va se construire autour de
caractéristiques qu’il est fréquent de rassembler sous le label de constructionnisme2
(Hacking, 2001). L’interprétativisme va souligner la nature intentionnelle et finalisée
de l’activité humaine ainsi que le caractère interactionnel, discursif et processuel des
pratiques sociales. Les approches visant la découverte de régularités causales stables
sont écartées au profit d’une posture interprétativiste qui s’appuie sur des
méthodologies compréhensives, mieux à même de saisir la nature construite des
phénomènes sociaux. Ces méthodologies visent en priorité à comprendre le sens
plutôt qu’à expliquer la fréquence et à saisir comment le sens se construit dans et par
les interactions, les pratiques et les discours.
Les travaux qui s’inscrivent dans ce référentiel des sciences sociales conçoivent la
réalité sociale comme dépendante de contextes historiques toujours singuliers
(Passeron, 1991). Le projet de connaissance, dans ce cadre, ne pourra donc que
difficilement se départir des contingences qui façonnent la réalité et qu’elle contribue
en retour à construire. Appliquée aux pratiques scientifiques par les travaux de la
sociologie des sciences (voir par exemple Latour et Woolgar, 1979 ; Callon et
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Latour, 1991), cette conception de la construction sociale de la réalité a contribué à


nourrir une vision relativiste de la connaissance scientifique. Elle conduit également
à remettre en cause la neutralité de la science et l’indépendance de l’activité
scientifique à l’égard de la société (Bonneuil et Joly, 2013). À cet égard, les
conséquences des connaissances produites et les questions éthiques qu’elles
soulèvent deviennent un élément central de la réflexion épistémologique.

1. Cette expression reprend le titre de l’ouvrage de Jules Monnerot de 1946 « Les faits sociaux ne sont pas des
choses », Paris : Gallimard, qui dénonçait la conception déterministe et physicaliste de la sociologie durkhemienne.
2. Le constructionnisme ou constructivisme social (Keucheyan, 2007 ; Berthelot, 2008), s’il peut être considéré
comme un référentiel structurant des sciences sociales, notamment en sociologie, est loin cependant d’être l’unique
paradigme et est l’objet de nombreuses controverses dans cette discipline.

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Partie 1 ■ Concevoir

Revendiquer l’appartenance des sciences de gestion aux sciences sociales n’est


donc pas neutre. Cette revendication est en effet porteuse d’une volonté de
démarcation par rapport à une conception et une pratique scientifiques adoptant,
souvent implicitement, les cadres et les présupposés des sciences de la nature. Elle
amène à souligner la nature complexe et contextuelle de nos objets de recherche et
elle n’est pas sans incidence sur les choix méthodologiques, le statut et la valeur des
connaissances produites, nous le verrons.

3 Le référentiel des sciences de l’ingénieur1

Relevant le rôle central des outils, technologies et dispositifs (Berry, 1983 ; Aggeri
et Labatut, 2010) et des activités de conception d’artefacts dans notre discipline,
certains chercheurs ont rapproché les sciences de gestion des sciences de l’ingénieur
(Chanal et al., 1997). La visée de ces recherches n’est plus principalement
d’expliquer la réalité ni de comprendre comment elle se construit, mais plutôt de
concevoir et construire une « réalité ». Empruntant la figure de l’ingénieur, ou celle
de l’architecte, ce référentiel invite à considérer la recherche comme le développement
« de connaissances pertinentes pour la mise en œuvre d’artefacts ayant les propriétés
désirées dans les contextes où ils sont mis en œuvre » (Avenier et Gavard-Perret,
2012 : 21). Si, comme dans le référentiel des sciences sociales, l’intentionnalité et
la finalité de l’action sont centrales, c’est ici celles du chercheur et du projet de
connaissance qui sont au cœur de la réflexion épistémologique. Remettant en
question la séparation entre connaissance et action, le rapport d’interaction entre
sujet et objet (projet) de connaissance sera particulièrement examiné. Sur le plan
méthodologique, même si toutes les démarches de recherche-action ne s’inscrivent
pas dans ce référentiel (Allard-Poesi et Perret, 2004), les designs de recherche-
intervention y occupent une place importante (David, 2000b).
Von Glaserfeld (1988) proposera le label de constructivisme radical pour qualifier
cette conception de l’épistémologie qui peut être synthétisée autour de deux
propositions (Riegler et Quals, 2010) : 1. La connaissance n’est pas reçue
passivement, mais est apprise au travers d’un processus actif de construction du
chercheur. 2. La fonction du processus d’apprentissage est l’adaptation, et sert non
pas la découverte d’une réalité ontologique existant objectivement, mais l’organisation
du monde expérientiel du chercheur. La réflexion centrale que ce référentiel porte
sur l’action et à l’action en situation de gestion (Girin, 1990 ; Journé et Raulet-

1. Il n’y a pas d’appellation stabilisée de ce référentiel. En revendiquant l’héritage de Piaget (1970), de Simon
(1981) et de Le Moigne (1994), certains auteurs parlent de sciences de l’artificiel (Avenier et Gavard-Perret, 2012)
ou encore de sciences de la conception (David et al., 2000). Les disciplines pouvant entrer dans ce référentiel sont
également éclectiques : Les sciences informatiques, les sciences de la communication, les sciences de la décision
(Roy, 2000), l’ergonomie (Rabardel, 2005), les sciences de l’éducation (Barbier, 2007), ou encore les Sciences et
Techniques des Activités Physiques et Sportives (Quidu, 2011).

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Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

Croset, 2008) rejoint les préoccupations de la philosophie pragmatiste, et permet


d’envisager des critères communs d’évaluation des connaissances basés sur la
notion de vérité-adéquation plutôt que de vérité-correspondance (Girod-Séville et
Perret, 2002). Le constructivisme ingénierique1 (Martinet, 1990) s’inscrit dans cette
orientation épistémologique.
Revendiquer l’appartenance des sciences de gestion au référentiel des sciences de
l’ingénieur est une prise de position qui vise à les démarquer du référentiel des
sciences de la nature. La nature complexe des situations de gestion et les dimensions
humaines et sociales qui gouvernent la construction des artefacts gestionnaires,
conduisent par contre le chercheur ingénierique à rejoindre les conceptions héritées
du référentiel des sciences sociales. Il s’en démarque néanmoins par la visée
projective et non seulement interprétative de la connaissance produite. Martinet
présente ainsi les complémentarités et différences de ces référentiels pour les
sciences de gestion : « [elles] sont tout à la fois des sciences de l’homme et de la
société – de par leurs objets – et des sciences de la conception – de par leurs projets
– puisqu’elles ne sont fécondes qu’en faisant mieux advenir ce qui n’existe pas
encore (des artifices). Leurs logiques de recherche sont donc marquées par
l’historicité, les contextes et le temps irréversible lorsqu’elles s’efforcent de
comprendre ce qui se passe (l’actuel), comme par leur visée projective (le virtuel) »
(2007: 41).
Les nombreux débats qui ont alimenté tout au long du xxe siècle la réflexion
épistémologique au sein et entre ces trois référentiels, ont eu un large écho dans la
recherche en management et éclairent le foisonnement des paradigmes
épistémologiques2 dans notre discipline. D’aucuns verront dans ce foisonnement,
suivant ainsi la représentation du développement des sciences autour d’un paradigme
dominant (voir l’analyse historique de Kuhn, 1962), le signe de l’immaturité de
notre champ. Dans cet esprit on peut relever que la généralisation du débat
épistémologique dans notre communauté durant ces quinze dernières années s’est
parfois faite au prix d’applications superficielles et mécaniques conduisant à des
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incohérences et un manque de robustesse des designs de recherche (Charreire Petit


et Huault, 2008). Plus généralement on peut juger que les débats épistémologiques
au sein de notre discipline ont parfois été alimentés par des amalgames et des
raccourcis hâtifs (Kwan et Tsang, 2001 ; Dumez, 2010).
D’autres, cependant, partageant l’idée qu’« il y a des sciences auxquelles il a été
donné de rester éternellement jeunes » (Weber, in Lahire, 1996 : 399), soulignent
l’opportunité que représente la diversité des paradigmes épistémologiques. Celle-ci

1. Le label de constructivisme pragmatique a récemment été proposé par Avenier et Gavard-Perret (2012).
2. La notion de paradigme épistémologique a été popularisée par le sociologue des sciences Thomas Kuhn. Le
paradigme désigne un cadre qui regroupe un ensemble de croyances, valeurs, techniques partagées par une
communauté scientifique à une période donnée. Ce cadre permet de définir les problèmes et les méthodes légitimes
et canalise les investigations. Il fixe un langage commun qui favoriserait la diffusion des travaux et permettrait ainsi
une plus grande efficacité de la recherche.

19
Partie 1 ■ Concevoir

nous permet en effet de concevoir différemment nos objets de recherche et de mieux


se saisir des débats et coupures théoriques et méthodologiques autour de ces objets
pour construire nos projets. La généralisation du travail épistémique conduit ainsi à
un enrichissement conceptuel, théorique et méthodologique de notre champ et
permet d’asseoir la légitimité scientifique d’un plus large éventail d’objets et de
démarches de recherche.
D’autres enfin voient dans l’objet et le projet des sciences de gestion l’opportunité
d’enrichir le débat épistémologique en apportant des réponses spécifiques et
originales (David et al. 2000, 2012 ; Martinet, 1990, 2013b ; Spicer et al. 2009). Il
s’agit là d’une évolution importante pour une discipline souvent qualifiée de
discipline carrefour, essentiellement emprunteuse des modes de légitimation
scientifiques de disciplines plus anciennes et plus reconnues.
Dans la suite de ce chapitre, nous nous attachons à présenter les termes de ces
débats et leurs conséquences sur la pratique scientifique dans notre discipline. Afin
d’exercer sa réflexivité et apporter des réponses informées à ces questions, nous
invitons le chercheur en management à interroger sa démarche de recherche au
travers des quatre questions suivantes :
–– Quelle est la nature du réel que l’on veut connaître ? On s’interroge ici sur la vision
du management et la nature des processus qui participent de son fonctionnement. Le
management a-t-il une essence propre ? Peut-il s’apparenter au monde naturel ?
–– Quelle est la nature de la connaissance produite ? Est-elle objective, reflet d’une
réalité qui existe indépendamment du chercheur ? Une construction qui permet de
tenir la place du réel ? Est-elle relative à l’interprétation du chercheur ? À la finalité
du projet de recherche ?
–– Quels sont les critères de la connaissance valable ? Doit-elle se concevoir en termes
de vérité ? d’utilité ? de justifications ?
–– Quelles sont les incidences de la connaissance produite sur le réel étudié ? La
connaissance en management est-elle sans effet ? Participe-t-elle au contraire à la
construction de la réalité ? Ces questions appellent le chercheur à s’interroger quant
à son rôle dans la société, soulignant par-là les dimensions éthiques et politiques
attachées à l’activité de recherche.
Notre présentation des débats attachés à ces questions procédera selon deux
exigences (voir tableau 1.1).
En premier lieu, il s’agit de saisir les principales lignes de démarcations entre les
différentes positions épistémologiques. Le réalisme et le constructivisme seront
présentés comme les deux grandes orientations qui structurent la nature des
controverses épistémologiques dans le champ du management. Suivant ici la
démarche adoptée par Keucheyan (2007), nous regroupons sous ces deux appellations
quelques-uns des principaux paradigmes selon un rapport d’« air de famille1 ».

1. Au sens donné par Wittgenstein à l’expression « air de famille » c’est-à-dire sur la base d’une série d’affinités
qui justifie qu’une même appellation soit employée pour les qualifier.

20
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

En second lieu, il est important de saisir que ces démarcations se déplacent,


s’aménagent, se recomposent et parfois s’entremêlent au gré des débats
épistémologiques. Ce mouvement est le signe que la réflexion épistémologique, loin
d’être une activité dogmatique et figée, est une pensée vivante et en renouvellement
qui se nourrit des problèmes concrets que soulève la diversité des pratiques
scientifiques contemporaines. Ainsi, en identifiant sur la base d’un continuum les
tensions propres à chacune des quatre questions énoncées plus haut, nous entendons
rendre compte de la singularité des positionnements adoptés par les principaux
paradigmes épistémologiques mobilisés en management.
Tableau 1.1 – Orientations et tensions épistémologiques
Orientations Réalisme Constructivisme
La question ontologique
Essentialisme < --------------- > Non-essentialisme
Qu’est-ce que la réalité ?
La question épistémique
Objectivisme < --------------- > Relativisme
Qu’est-ce que la connaissance ?
La question méthodologique
Quels sont les critères de la Correspondance < --------------- > Adéquation
connaissance valable ?
La question axiologique
Autonomie < --------------- > Performativité
La connaissance est-elle sans effet ?

L’orientation réaliste peut se définir, en première analyse, à partir des caractéristiques


saillantes du modèle porté par les sciences de la nature. Elle défend l’idée que la
science a pour visée d’établir une connaissance valide de la réalité (objet de
connaissance) qui est indépendante et extérieure au chercheur (sujet de connaissance).
Cependant, la succession des labels autour de la matrice du positivisme (empirisme
logique, post-positivisme, néo-positivisme) rend compte des amendements successifs
apportés à cette conception. Plus récemment, le réalisme critique (Bhaskar, 1978,
Archer et al., 1998) formule une proposition épistémologique qui rencontre un écho
important dans le champ des sciences sociales (Steinmetz, 2005) et plus particulièrement
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dans la recherche en management (Reed, 2005).


L’orientation constructiviste est portée par les référentiels des sciences sociales et
des sciences de l’ingénieur, qui remettent en cause le caractère unitaire de la science
et du projet de démarcation entre science et non-science qui le sous-tend. Elle répond
par la négative à la question suivante : peut-on considérer tous les objets de
connaissance scientifiques comme des objets naturels ? L’orientation constructiviste
pose que la réalité et/ou la connaissance de cette réalité est construite. Ce faisant, elle
va questionner les dichotomies précédemment établies par le modèle des sciences de
la nature comme celles entre les faits et les valeurs, entre le sujet et l’objet, ou encore
entre la vérité et la justification. Les paradigmes qui s’inscrivent dans cette orientation
(interprétativisme, postmodernisme et constructivisme ingénierique) ne partagent
cependant pas nécessairement une même conception des ressorts de cette construction
et du statut de la connaissance à laquelle le chercheur peut prétendre.

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Partie 1 ■ Concevoir

Section
2 Qu’est-ce que la rÉalitÉ ?

Si l’objet de la recherche en management fait régulièrement débat – l’entreprise ?


l’organisation ? l’action organisée ? l’organisant ? (Martinet, 2013a) –, c’est, nous
l’avons vu, parce que cette discipline puise dans différents référentiels scientifiques
qui postulent, souvent implicitement, des réponses différentes à la question : Quelle
est la nature, l’essence du management ? Suivant le référentiel choisi, le management
pourra en effet être conçu comme un ensemble d’outils et de pratiques naturalisées
et objectivables à expliquer (référentiel des sciences de la nature), un processus de
construction humaine et sociale à interpréter (référentiel des sciences sociales) ou
encore un ensemble d’artefacts à concevoir (référentiel des sciences de l’ingénieur).
Cette question de la réalité du management renvoie, dans le vocabulaire philosophique,
à l’ontologie, c’est-à-dire à la réalité des entités théoriques dont parle la science1.
On peut distinguer les différents paradigmes épistémologiques sur un continuum
allant d’une réponse essentialiste à une réponse non essentialiste à cette question
(voir figure 1.1).

Essentialisme Non-essentialisme

Positivisme Réalisme critique Interprétativisme Post-modernisme


Post-positivisme (Constructivisme
ingiénérique)

Figure 1.1 – Conception du réel et paradigmes épistémologiques

Les paradigmes inscrits dans une orientation réaliste (le positivisme logique, le
post-positivisme et le réalisme critique) formulent une réponse de nature essentialiste,
c’est-à-dire qu’ils défendent l’idée que la réalité a une essence propre, qu’elle existe
en dehors des contingences de sa connaissance, qu’elle est indépendante de son
observation et des descriptions humaines que l’on peut en faire. Les différents
paradigmes réalistes mettent ainsi en exergue l’extériorité de l’objet observé et
pourraient partager l’idée que « la réalité, c’est ce qui ne disparaît pas quand on
arrête d’y croire2 ». Cette essence peut être en outre qualifiée de déterministe, en ce
que l’objet de la connaissance est régi par des règles et lois stables et généralisables
qu’il convient d’observer, décrire, expliquer.

1. Selon Paul Ricœur « la question ontologique, pour la science, c’est d’abord la question du référent du discours
scientifique : demander ce qui est, c’est demander ce qui est réel ; et demander ce qui est réel, c’est demander de
quoi on parle dans la science ». Entrée « Ontologie » de l’Encyclopedia Universalis, version numérique, Janvier
2014.
2. Citation de Phil. K. Dick, auteur américain de romans, de nouvelles et d’essais de science-fiction.

22
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

Ainsi pour le positivisme, la réalité est indépendante de l’esprit et des descriptions


qui en sont faites. La science permettrait d’observer « la » réalité : une réalité
indépendante du regard que lui porte l’observateur et réduite aux faits observables
et mesurables. Le programme naturaliste de la sociologie de Durkheim ou la
sociologie fonctionnaliste de Merton sont des exemples d’une position essentialiste
dans le champ des sciences sociales. Elles invitent à considérer les phénomènes
sociaux comme des choses et à poser qu’ils sont gouvernés par des déterminismes
institutionnels qui assurent leur stabilité.
Le positivisme considère en effet que la réalité a ses propres lois, immuables et
quasi invariables : c’est un univers câblé. Il existe dans cette réalité un ordre
universel qui s’impose à tous : « L’ordre individuel est subordonné à l’ordre social,
l’ordre social est lui-même subordonné à l’ordre vital et celui-ci à l’ordre matériel
[…]. L’homme, en tant qu’il est conçu précisément, vit à travers l’ordre social la
pression de tous les autres ordres » (Kremer-Marietti, 1993 : 43). L’homme, soumis
à cet ordre, est le produit d’un environnement qui le conditionne. Il ne peut agir, il
est agi. Pour lui, le monde est fait de nécessités. Il y a alors assujettissement de la
liberté à des lois invariables qui expriment la nature déterministe du monde social.
La notion durkheimienne de contrainte sociale est une bonne illustration du lien
entre le principe de réalité extérieure et celui de déterminisme.

c Focus
La vision durkheimienne de la contrainte sociale
« […] Tout ce qui est réel a une nature en dehors des individus qui, à chaque
définie qui s’impose, avec laquelle il faut moment du temps, s’y conforment. Ce
compter et qui, alors même qu’on parvient sont des choses qui ont leur existence
à la neutraliser, n’est jamais complète- propre. L’individu les trouve toutes
ment vaincue. Et, au fond, c’est là ce qu’il formées et il ne peut pas faire qu’elles ne
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y a de plus essentiel dans la notion de la soient pas ou qu’elles soient autrement


contrainte sociale. Car tout ce qu’elle qu’elles ne sont. »
implique, c’est que les manières collec-
tives d’agir ou de penser ont une réalité Extrait de Durkheim (1894, 1988 : 89)

Cette conception essentialiste oriente le travail du chercheur vers la découverte des


lois universelles qui régissent la réalité. Cette visée implique l’utilisation d’une
méthodologie scientifique permettant de mettre au jour la nature déterministe de ces
lois, et l’adoption d’une posture de neutralité par rapport à son objet garantissant
l’objectivité de ses découvertes, comme nous le verrons dans la section 3.
S’il partage l’idée que la démarche scientifique vise à découvrir les régularités qui
constituent l’essence de la réalité, le réalisme critique (Bhaskar, 1978) s’éloigne

23
Partie 1 ■ Concevoir

cependant du positivisme en considérant que le chercheur n’a pas accès à cette


réalité, ce réel profond. Il peut seulement atteindre un réel actualisé, celui des
événements et des actions au travers desquels le réel profond manifeste à lui ses
règles et sa structure. Il peut, au travers de la mise en évidence de régularités dans
le réel actualisé, mettre à jour des « mécanismes générateurs », autrement dit
proposer des conjectures sur les règles et les structures au travers desquels les
événements et les actions observés surviennent. Le chercheur portera une attention
particulière au contexte de survenance des événements et des actions, étant entendu
que si les règles et structures sont universelles, elles s’actualisent dans des contextes
particuliers selon des principes qui ne renvoient que rarement à des causalités
simples et linéaires.

c Focus
Les trois niveaux de réalité du réalisme critique
La démarche du réalisme critique est elles sont également sujettes à d’autres
avant tout un questionnement sur le plan facteurs comme l’aérodynamique (qui
ontologique. Il propose une conception font planer les feuilles = le réel
de la réalité stratifiée en trois niveaux. actualisé).
• Le réel empirique : C’est le domaine de Ces trois niveaux constituent la réalité.
l’expérience et des impressions. L’objet de la science est de révéler le
• Le réel actualisé : C’est le domaine des « réel » qui n’est pas directement obser-
événements, des états de fait. Le réel vable (les structures sous-jacentes, rela-
actualisé se différencie du réel empi- tions de pouvoir, tendances), mais qui
rique par exemple dans la situation pourtant existe, et qui gouverne les événe-
suivante : des personnes qui regardent ments effectifs (le réel actualisé) et ce que
un match de foot ressentent différem- nous ressentons (le réel empirique). Même
ment (réel empirique) ce même événe- si on ne constate pas toujours leurs effets
ment (réel actualisé). (parce qu’ils ne sont pas actifs ou parce
• Le réel profond : C’est le domaine des qu’ils sont contrecarrés par d’autres
forces, structures et mécanismes. Le forces), et que les causalités simples et
réel profond se distingue du réel actua- linéaires sont rares, la tâche du chercheur
lisé par exemple dans le cas suivant : est de mettre à jour les structures et forces
les feuilles d’automne ne sont pas en animant le réel profond.
phase avec la gravité (réel profond) car Sur la base de Ohana (2011).

Les paradigmes inscrits dans une orientation constructiviste (l’interprétativisme,


le postmodernisme et le constructivisme ingénierique) formulent pour leur part une
réponse de nature non essentialiste à la question ontologique. Cette réponse
s’exprime généralement par l’affirmation que la réalité est construite et non donnée.
Dire d’une réalité qu’elle est construite ne revient pas à affirmer que cette réalité
n’existe pas. Cela signifie que la réalité n’a pas d’essence propre, autrement dit
qu’aucune substance indépendante, nécessaire ne se trouve à son fondement.

24
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

L’ontologie non essentialiste amène à considérer que la réalité est irrémédiablement


dépendante des contingences qui président aux modalités de son existence. Passeron
(1991) souligne ainsi la dimension historiquement construite des phénomènes et des
connaissances en sciences sociales.

c Focus
Particularité des contextes historiques
« Les phénomènes des sciences sociales interdépendances les plus abstraites ne
leur sont toujours donnés dans le déve- sont jamais attestées que dans des situa-
loppement du monde historique qui tions singulières, indécomposables et
n’offre ni répétition spontanée, ni possibi- insubstituables stricto sensu, qui sont
lité d’isoler des variables en laboratoire. autant d’individualités historiques. Les
Même méticuleusement organisées, la constats ont toujours un contexte qui peut
comparaison et l’analyse ne fournissent être désigné et non épuisé par une analyse
qu’un substitut approximatif de la finie des variables qui le constituent et qui
méthode expérimentale puisque leurs permettraient de raisonner toute chose
résultats restent indexés sur une période égale par ailleurs. »
et un lieu. Les interactions ou les Extrait de Passeron (1991: 25).

Les paradigmes inscrits dans l’orientation constructiviste partagent donc la même


méfiance à l’égard de tout ce qui ressemble à une essence de la réalité et mettent en
exergue la spécificité des réalités qui constituent leur objet. Contingentes des
normes, valeurs, conventions et idéologies historiquement et spatialement situées
comme le souligne Passeron, les réalités humaines et sociales sont également
spécifiques, comme le rappelle Lyotard (1995), en ce qu’elles sont animées de
dimensions intentionnelles, signifiantes et symboliques.

c Focus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Quel est le sens des phénomènes humains ?


« Si nous cherchons à décrire les procédés l’objet naturel de l’objet culturel (un
des sciences humaines, nous découvrons caillou et un stylo), c’est qu’en celui-ci est
au cœur même de l’interrogation la thèse cristallisée une intention utilitaire, tandis
d’une modalité absolument originale : la que celui-là n’exprime rien. (…) Nous
signification du comportement étudié, n’abordons jamais un phénomène
individuel ou collectif. Cette position du humain, c’est-à-dire un comportement,
sens consiste à admettre immédiatement sans lancer vers lui l’interrogation : que
que ce comportement veut dire quelque signifie-t-il ? »
chose ou encore exprime une intention-
nalité. Ce qui distingue par exemple Extrait de Lyotard (1995 : 74-76)

25
Partie 1 ■ Concevoir

La dimension intentionnelle souligne que l’activité humaine est le fruit de la


conscience, de la réflexivité, des intentions des acteurs, ces êtres humains capables
de se donner des buts et « de concevoir des actions intelligentes pour atteindre leurs
objectifs dans leurs contextes d’actions » (Avenier et Gavard-Perret, 2012 : 20).
Les dimensions signifiantes et symboliques insistent quant à elles sur le rôle des
représentations et du langage dans le processus de construction du sens. Elles
amènent à accorder une place essentielle à la subjectivité des acteurs en se focalisant
sur la signification que les individus attachent aux actions et situations. En ce sens,
la réalité sociale est contingente des représentations que les acteurs s’en font et du
langage par lequel ils expriment et partagent ces représentations.
Ces intentions, significations et symboles s’inscrivent dans des réseaux de
relations et des processus d’interactions. Dès lors, la distinction entre « objets »
naturels et « objets » interactifs prend tout son sens (Nguyên-duy et Luckerhoff,
2007) et met l’accent sur la nature processuelle de la réalité. Dire dans ce cadre que
la réalité est construite revient à substituer le processus à l’essence et soutenir que
la réalité est en mouvement permanent (Tsoukas et Chia, 2002).

c Focus
Genre naturel versus genre interactif
Le genre peut renvoyer à deux accepta- peut évoquer la manière dont la classifi-
tions. Le concept de genres naturels, d’un cation et les individus classifiés peuvent
côté, sert à désigner les classifications interagir, la manière dont les acteurs
indifférentes, c’est-à-dire qui n’ont aucune peuvent prendre conscience d’eux-
influence sur ce qui est classifié. Le mêmes comme faisant partie d’un genre,
concept de genres interactifs, de l’autre, ne serait-ce que parce qu’ils seraient
désigne les classifications qui influent sur traités ou institutionnalisés comme faisant
ce qui est classifié. « Cette expression a le partie de ce genre et ainsi faisant l’expé-
mérite de nous rappeler les acteurs, la rience d’eux-mêmes de cette façon »
capacité d’agir et l’action. Le suffixe inter (Hacking, 2001 :146).

L’interprétativisme concevra, en accord avec ces spécificités, que la réalité sociale


est avant tout construite au travers du jeu des intentions et des interactions des
acteurs qui construisent le sens de cette réalité par la confrontation et le partage de
leurs représentations. Cette réalité se modifie donc à mesure des projets des acteurs
et de leur actualisation dans leurs interactions. Défendre cette conception revient à
considérer que la réalité sociale est subjective et construite par/dans les pratiques
sociales d’actions et d’interprétations. Ces interprétations, qui se construisent grâce
aux interactions entre acteurs, dans des contextes toujours particuliers, peuvent être
l’objet d’un consensus au sein d’un groupe social (intersubjectivité), si bien qu’on

26
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

les considère comme aussi réels que les objets matériels. C’est ce processus que
Berger et Luckman (1966) ont appelé la construction sociale de la réalité.

c Focus
La construction sociale de la réalité
« La société possède une dimension artifi- deviennent des artifices objectifs ?
cielle objective. Et est construite grâce à Comment se fait-il que l’activité humaine
une activité qui exprime un sens subjectif. produise un monde de choses ? En
C’est précisément le caractère dual de la d’autres mots, une compréhension
société en termes d’artificialité objective adéquate de la “réalité sui generis”
et de signification subjective qui déter- implique une recherche de la manière
mine sa “réalité sui generis”. Le problème dont la réalité est construite. »
central de la théorie sociologique peut
être ainsi posé comme suit : Comment se Extraits de Berger et Luckmann (1966,
fait-il que les significations subjectives 1996 : 9-10 ; 29-30)

Bien que partageant une ontologie non essentialiste et revendiquant l’idée que la
réalité sociale est construite et non donnée, en d’autres termes que le monde est fait
de possibilités, les différents paradigmes s’inscrivant dans une orientation
constructiviste se différencient sur : 1) la nature des ressorts qui président à la
construction de cette réalité (contingences historique, culturelle, idéologique,
interactionnelle, symbolique…) ; 2) le niveau d’analyse auquel il faut l’aborder
(celui du discours ; des pratiques quotidiennes ; des situations problématiques ; des
réseaux d’interactions…) ; 3) le caractère plus ou moins temporaire des constructions
qui en résulte.
Ainsi par exemple, pour l’interprétativisme, la réalité sociale est avant tout le fait
des actions, significations, produits symboliques et pratiques sociales qui, dans un
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

contexte spécifique et pour une période donnée, acquièrent une forme de stabilité
intersubjectivement partagée (Geertz, 1973). Pour le postmodernisme, la réalité est
inséparable du langage, langage dont les significations et les effets échappent aux
intentions de celui qui l’utilise. La réalité sociale est donc fondamentalement
précaire, dissonante, polyphonique (Boje, 1995)1.
L’ontologie, en ce qu’elle questionne la nature de la réalité, est irrémédiablement
imbriquée à la question de la nature de la connaissance que l’on peut avoir de cette
réalité. En première analyse, il est assez simple de poser une distinction claire entre

1. Pour aller plus loin dans la distinction entre les paradigmes épistémologiques embrassant une ontologie non-
essentialiste dans le champ de la recherche en management, on peut faire référence ici à la distinction établie par
Hassard et Cox (2013) entre les paradigmes anti-structuraliste (dans lequel s’inscrit l’interprétativisme) et post-
structuraliste (qui intègre le postmodernisme).

27
Partie 1 ■ Concevoir

la réalité, niveau ontologique de l’objet de connaissance et la connaissance de cette


réalité, niveau épistémique du sujet de connaissance.
De nombreuses controverses épistémologiques s’enracinent cependant dans le
traitement différencié apporté à cette distinction1 et à la primauté que les différents
paradigmes épistémologiques accordent à l’un ou l’autre de ces niveaux d’analyse.
Ainsi, nous le verrons, le constructivisme ingénierique, bien que partageant les
conceptions exposées plus haut propres à l’orientation constructiviste (dimensions
intentionnelle, interactionnelle, processuelle, symbolique, subjective de l’activité
humaine et sociale), adopte un point de vue agnostique à l’égard de la question
ontologique (Avenier et Gavard Perret, 2012). Pour ce paradigme la réalité reste
inconnaissable dans son essence puisque l’on n’a pas la possibilité de l’atteindre
directement, sans la médiation de nos sens, de notre expérience, du langage ou
encore de nos intentions. C’est en sens que Glasersfeld (1988) appelle à la méfiance
et préfère parler d’« invention de la réalité ». Pour le constructivisme ingénierique,
la question de la nature de réalité est laissée en suspens, ne rejetant ni n’acceptant
l’hypothèse d’une réalité en soi, et on s’interroge essentiellement sur la nature d’une
« connaissance constructiviste2 ».

Section
3 Qu’est-ce que la connaissance ?

La théorie de la connaissance « ou, comme on l’appelle plus rarement, la


gnoséologie, est (…) une branche de la philosophie qui s’interroge sur la nature, les
moyens et la valeur de la connaissance » (Soler, 2000 : 27). Il s’agit d’examiner des
questions du type : qu’est-ce que connaître ? Quel genre de chose l’homme peut-il
espérer connaître ? Que doit-il rejeter hors du champ du connaissable ? Quels sont
les moyens humains de la connaissance (l’expérience, la raison) ? Comment
s’assurer qu’une authentique connaissance de l’objet a été atteinte ? Quelle valeur
peut-on attribuer à la connaissance produite ?

1. La connaissance doit-elle/peut-elle être conçue en miroir de la conception de la réalité ? Certaines controverses


dénoncent « l’illusion métaphysique » (Kant) ou « la confusion substantialiste entre la grille d’intelligibilité et la
nature du réel » (Wittgenstein, 1958). Par exemple au lieu de dire « j’étudie le réel avec les outils d’analyse du
langage », l’illusion métaphysique conduit à dire « le réel est langage».
2. Il est nécessaire ici de faire brièvement état d’une distinction importante entre une ontologie constructiviste et
une épistémologie constructiviste. Par exemple les travaux en sociologie des sciences, dont l’agenda principal se
situe au niveau ontologique, ont pour objet la connaissance scientifique en tant que pratique sociale. Ces travaux
adoptent un point de vue non-essentialiste et défendent l’idée que la connaissance scientifique est une construction
sociale (Woolgar et al., 2009). Le constructivisme ingéniérique (Von Glaserfeld, 1988 ; Le Moigne, 1995) quant à
lui situe la réflexion au niveau épistémique et propose d’examiner la nature, les méthodes et la valeur d’une
connaissance scientifique constructiviste, c’est-à-dire dans le vocabulaire que nous adoptons, il défend une
conception relativiste de la connaissance scientifique.

28
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

Toute théorie de la connaissance scientifique pose donc au cœur de sa réflexion la


dissociation puis la mise en relation entre objet à connaître et sujet connaissant. Pour
connaître, le sujet doit d’une manière ou d’une autre entrer en relation avec l’objet.
La relation sujet-objet de la théorie de la connaissance, en particulier lorsqu’elle est
appliquée aux sciences humaines et sociales ou aux sciences de l’ingénieur, soulève
de nombreuses questions. Nous retiendrons deux débats qui permettent de dresser
une ligne de démarcation entre l’orientation réaliste et l’orientation constructiviste.
Le premier débat porte sur la nature objective ou relative de la connaissance
produite. Le second, que nous aborderons dans la section 4, s’interroge sur les
critères d’une connaissance valable et dresse un continuum entre vérité-
correspondance et vérité adéquation.
Aucune épistémologie contemporaine, y compris celles s’inscrivant dans les
sciences de la nature comme la physique, ne soutient que la connaissance est de
même nature que la réalité. En ce sens tous les paradigmes adhèrent, à des degrés
divers cependant, à l’idée que la connaissance est une construction (c’est-à-dire une
représentation de la réalité) entérinant ainsi la coupure établie par Kant entre la
connaissance de la réalité « en soi » (noumène) et la connaissance de la réalité
« pour soi » (le phénomène)1. Cependant, si les conceptions contemporaines du
réalisme et du constructivisme partagent l’idée que la connaissance est une
construction de l’esprit2 (un phénomène), elles ne partagent pas nécessairement le
même point de vue sur la nature et le statut de cette connaissance. Dit autrement, et
pour reprendre une expression célèbre qui formule que « la carte n’est pas le
territoire », si la nature différenciée de la carte (connaissance) et du territoire
(réalité) est aujourd’hui acquise, le statut de la carte et de sa relation au territoire
reste l’objet de nombreuses controverses que l’opposition objectivisme/relativisme
permet d’appréhender (figure 1.2).

Objectivisme Relativisme
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Positivisme Post-positivisme Post-modernisme


Interprétativisme
Réalisme critique Constructivisme
ingiénérique

Figure 1.2 – Conception de la connaissance et paradigmes épistémologiques

1. Il est important de souligner que Kant ne nie pas l’essence des choses « en soi », il soutient par contre que
l’esprit n’y a pas accès. Si l’esprit n’a pas accès aux choses « en soi », il est cependant capable d’appréhender les
choses « pour soi ».
2. Keucheyan (2007) propose le nom de « constructivisme représentationnel » pour désigner cette conception de
la connaissance.

29
Partie 1 ■ Concevoir

Les épistémologies réalistes défendent l’idée que la connaissance permet de dire


ce qu’est la réalité et qu’elle doit être envisagée comme une affirmation de vérité
portant sur des entités et des processus réels. Soler (2000) propose une représentation
du schéma dualiste sujet-objet de la théorie de la connaissance conforme à
l’objectivisme.

c Focus
Le schéma dualiste sujet-objet de la théorie de la connaissance
Considérons le cas de la physique où de tout langage (pôle extra-linguistique),
l’objet visé est la nature inanimée. de l’autre des affirmations à propos de
L’homme accède à une connaissance par cette réalité (pôle linguistique). Quand les
l’intermédiaire de ses cinq sens, en parle, énoncés décrivent fidèlement l’objet, on
et élabore des théories à son propos. On dit qu’ils sont vrais. Pour récapituler les
a d’un côté le monde sensible, de l’autre oppositions clés qui constituent tradition-
un ensemble d’énoncés proférés par un nellement la question de la connaissance
sujet à propos du monde sensible. D’un scientifique on peut proposer les
côté une réalité existant indépendamment dualismes suivants :

Faits Théories – Hypothèses – Idées

Donné Construit

Passivité du sujet (qui enregistre Activité du sujet (qui propose des idées, forge des hypothèses,
les faits sans les dénaturer) construit des théories) pour expliquer, interpréter les faits

Certain Conjectural

Définitif Provisoire

D’après Soler (2000 : 29).

Cette conception objectiviste de la connaissance repose sur deux hypothèses : 1)


La préexistence et l’extériorité d’une réalité (objet de connaissance) disposant d’une
essence propre à expliquer (hypothèse ontologique essentialiste) ; 2) La capacité du
sujet connaissant à produire une connaissance sur cet objet extérieurement à lui-
même (hypothèse épistémique d’une indépendance entre sujet et objet).
Dans ce cadre une connaissance objective implique de mettre en place les
procédures méthodologiques permettant au chercheur de connaître cette réalité
extérieure et d’assurer l’indépendance entre l’objet (la réalité) et le sujet qui
l’observe ou l’expérimente. Le positivisme, tel qu’exprimé dans la méthodologie
sociologique proposée par Durkheim, s’inscrit dans cette conception du réalisme.

30
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

c Focus
La méthodologie positiviste appliquée aux faits sociaux.
« La proposition d’après laquelle les faits l’on connaît du dehors à ce que l’on
sociaux doivent être traités comme des connaît du dedans. Est chose tout ce que
choses – proposition qui est à la base l’esprit ne peut arriver à comprendre qu’à
même de notre méthode – est de celles qui condition de sortir de lui-même, par voie
ont provoqué le plus de contradictions. d’observations et d’expéri­mentations ».
(…) Qu’est-ce en effet qu’une chose ? La
chose s’oppose à l’idée comme ce que Extrait de Durkheim, (1894, 1988 : 77)

Cette indépendance du sujet par rapport à l’objet permet de poser le principe


d’objectivité selon lequel l’observation de l’objet extérieur par un sujet ne doit pas
modifier la nature de cet objet. Ce principe d’objectivité est défini par Popper (1972,
1991 : 185) comme suit : « La connaissance en ce sens objectif est totalement
indépendante de la prétention de quiconque à la connaissance ; elle est aussi
indépendante de la croyance ou de la disposition à l’assentiment (ou à l’affirmation,
à l’action) de qui que ce soit. La connaissance au sens objectif est une connaissance
sans connaisseur ; c’est une connaissance sans sujet connaissant ». Dès lors, la
connaissance sera dite objective dans la mesure où elle peut garantir l’indépendance
du sujet à l’égard de l’objet de connaissance, ou du moins limiter les interférences
entre le sujet et l’objet.
Elle suppose, conformément à son hypothèse ontologique essentialiste, de mettre
en place les procédures appropriées afin de découvrir, ou d’approcher au plus près,
les règles et les lois qui régissent la réalité « en soi ». En ce sens, la connaissance
positiviste est aussi dépendante des postulats ontologiques sur la nature de la réalité
« en soi ». Dans l’idéal positiviste la connaissance objective correspond à la mise à
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

jour des lois de la réalité, extérieures à l’individu et indépendantes du contexte


d’interactions des acteurs. L’idéal positif serait d’atteindre la loi universelle
expliquant la réalité, cette loi révélant la vérité objective.
Les épistémologies réalistes contemporaines s’écartent de cette vision idéalisée de
la science et de la vérité. Le réalisme critique reconnaît que les objets que nous
étudions en sciences sociales évoluent dans ou sont constitués par des systèmes
ouverts pouvant difficilement être répliqués en laboratoire1. Les tenants de ce
paradigme suggèrent donc d’amender les ambitions méthodologiques positivistes et
de préférer, à l’expérimentation et aux enquêtes statistiques, des méthodes
qualitatives permettant l’élaboration de conjectures et la mise en évidence des
mécanismes générateurs du réel profond et leurs modes d’activation.

1. Pour une discussion sur le statut de la réplication dans la recherche en management dans une perspective
réaliste critique, on pourra utilement consulter Tsang et Kwan (1999).

31
Partie 1 ■ Concevoir

c Focus
Les schèmes d’intelligibilité naturalistes des sciences sociales
Les approches en sciences sociales qui donc principalement de décomposer le
s’inscrivent dans le « pôle naturaliste » phénomène en variables, d’identifier
considèrent que « les phénomènes des corrélations entre elles afin d’isoler
sociaux sont dans la continuité des les facteurs explicatifs. Pour être identi-
phénomènes naturels et n’ont pas à fié comme une cause, le facteur repéré
relever d’une explication spécifique. Il devra en outre être marqué par une re-
suffit d’analyser, de déterminer les méca- lation d’antériorité logique ou
nismes dont ils dépendent » (Berthelot chronologique.
2001 : 498). Selon cet auteur, un schème ••Le schème fonctionnel considère qu’un
d’intelligibilité (ou schème explicatif) est phénomène émane d’un système et
une matrice d’opérations de connais- cherche à le comprendre en référence
sance ordonnées à un point de vue épis- aux fonctions qu’il satisfait pour sa sur-
témique et ontologique fondamental vie. La théorie fonctionnaliste des sys-
« permettant d’inscrire un ensemble de tèmes sociaux du sociologue Talcott
faits dans un système d’intelligibilité, Parsons relève de ce schème.
c’est-à-dire d’en rendre raison ou d’en ••Le schème dialectique/évolutionniste,
fournir une explication » (1990 : 23). dans lequel s’inscrit la théorie marxiste,
Selon un principe déterministe, trois consiste à analyser un phénomène
schèmes d’intelligibilité des réalités comme le déploiement d’une dyna-
sociales peuvent être mobilisés : mique mue par des forces contradic-
••Le schème causal cherche à expliquer toires (relations d’opposition entre dé-
un phénomène en le mettant en rela- tenteurs du capital et du travail, par
tion avec d’autres facteurs. Il s’agit exemple).

En dépit de ces variations, les différentes épistémologies réalistes se rejoignent


dans une quête d’explication, de réponses à la question « pour quelles causes ? ».
L’explication au sens fort (Soler, 2000) vise à identifier la nature des causes et des
processus causaux, c’est-à-dire à trouver une concomitance constante entre les
phénomènes en reconstituant, par la méthode déductive, la chaîne causes-effets (voir
chapitre 3 du présent ouvrage). Dans le domaine des sciences humaines et sociales,
Berthelot (1990) identifie trois schèmes d’intelligibilité qui s’inscrivent dans une
logique explicative de nature déterministe. Un schème d’intelligibilité peut se
concevoir comme une explication au sens faible c’est-à-dire comme un scénario
tissant des liens entre les faits et leur donnant ainsi un sens, « mais ne dégageant pas
pour autant de lois universelles et ne permettant pas la prédiction au sens plein du
terme » (Soler, 2000 : 61). La recherche d’une connaissance objective est ainsi
possible sans pour autant postuler que toutes les lois qui permettent d’expliquer la
réalité sont des lois de nature causale.

32
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

La connaissance objective peut donc être plus ou moins amendée en fonction de


la conception forte ou faible de l’explication que l’on mobilise pour connaître ; du
caractère plus ou moins universel des connaissances que l’on produit mais
également, nous le verrons dans la section 4, des possibilités d’affirmer que la
connaissance permet de dire ce qu’est la réalité « en soi ». Les positions des
paradigmes positiviste, post-positiviste, réaliste critique sur le continuum des
figures 1.2 et 1.3 rendent compte de ces différences.
La conception de la connaissance des paradigmes qui s’inscrivent dans une
orientation réaliste reste cependant largement guidée par l’idée que « la réalité
connaissable a un sens en elle-même et que ce sens ne dépend pas nécessairement
des préférences personnelles des observateurs qui s’efforcent de l’enregistrer sous
forme de détermination (qu’elles soient lois, principes, causes, conjectures ou
théories) » (Le Moigne, 1995 : 23).
Dans son acception minimale, le relativisme désigne la thèse selon laquelle toute
connaissance est relative. S’opposer au relativisme ainsi défini revient à affirmer
l’existence d’une connaissance absolue, indépendante du sujet qui la possède (Soler,
2000). Dans son acception forte, le relativisme désigne soit l’impossibilité de
prouver qu’une théorie scientifique vaut mieux qu’une autre, soit qu’il est impossible
de justifier la supériorité de la science par rapport à d’autres formes de connaissances
(Soler, 2000 :153). Sur ce continuum, les paradigmes qui s’inscrivent dans une
orientation constructiviste vont adopter une conception plus ou moins relativiste de
la connaissance reposant sur : 1) la nature des objets de connaissance qui ne
permettent pas de concevoir une connaissance « absolue » (hypothèse ontologique
non-essentialiste) ; 2) l’incapacité du sujet connaissant à produire une connaissance
sur cet objet extérieurement à lui-même (hypothèse épistémique d’une
interdépendance entre sujet et objet).
Parce que la réalité humaine et sociale est contingente des contextes dans lesquels
elle se construit (Passeron, 1991), et parce qu’elle est le fruit de nos expériences, de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nos sens et de nos interactions, la connaissance produite sur cette réalité est donc
nécessairement relative à ces contextes, ces intentions, ces processus de construction
de sens. Elle est de ce fait beaucoup plus instable, changeante et diverse que celle
visée par le réalisme (Tsoukas et Chia, 2002). Cette conception ontologique non
essentialiste suppose d’adopter une méthodologie appropriée pour saisir ces
spécificités humaines et sociales.

33
Partie 1 ■ Concevoir

c Focus
Expliquer les faits naturels, comprendre les faits humains
La philosophie des sciences oppose tradi- Pour expliquer l’échec ou la réussite
tionnellement explication et compréhen- scolaire, on peut chercher à établir des
sion comme deux modes d’appréhension différences statistiques entre élèves en
des phénomènes, respectivement valables fonction de leur origine sociale que l’on
dans le domaine des sciences de la nature mesurera via la catégorie socioprofession-
et des sciences humaines. La distinction nelle du chef de famille par exemple. Le
entre choses naturelles inertes et compor- contexte de socialisation est alors compris
tements humains signifiants a d’abord été comme une structure socioculturelle,
introduite par le philosophe allemand structure qui détermine la réussite ou
Dilthey qui pose que les faits naturels l’échec de l’élève.
doivent être expliqués (erklären), c’est-à-
dire rapportés à des causes (renvoyant à la Pour comprendre ce phénomène, on peut
question comment ?) tandis que les faits aussi passer du temps dans une salle de
humains et sociaux doivent être compris classe ou dans les familles et chercher à
(verstehen), c’est-à-dire rapportés à des analyser finement les interactions, les
facteurs signifiants tels que les intentions, échanges verbaux et non verbaux entre
les désirs, les raisons… (renvoyant à la les élèves et leur professeur, les élèves et
question pourquoi ?). Comprendre leurs parents. Le contexte est alors
présuppose une impression de familiarité entendu comme un lieu et un temps
avec la chose comprise, un sentiment d’interactions particulier ; l’échec et la
d’évidence et de proximité, une saisie réussite sont compris comme façonnés
intuitive (Soler, 2000 : 62-63). La compré- par un ensemble de pratiques et relations
hension est donc souvent associée à la sociales concrètes.
capacité d’empathie, c’est-à-dire la Y a-t-il une approche supérieure à l’autre ?
faculté de se mettre à la place d’autrui, de
À cette question, on peut répondre qu’il
percevoir ce qu’il ressent. L’opposition
existe « un contexte unique jugé détermi-
expliquer/comprendre fonde la distinc-
nant » (Lahire, 1996 : 393), et ce, quel
tion entre sciences explicatives, qui
que soit l’objet étudié. On s’inscrira alors
procèdent à partir d’explications déduc-
dans une orientation réaliste.
tives par les causes, et les sciences inter-
prétatives qui consistent à proposer un On peut également reconnaître la grande
scénario interprétatif basé sur l’identifica- variété des définitions de ce que la
tion au semblable et invoquant des inten- recherche elle-même considère comme
tions, des raisons (Soler, 2000 : 64). contexte en sciences sociales et y voire
On peut illustrer cette opposition, par la des effets du découpage que le chercheur
réflexion de Lahire (1996) sur la notion de opère. Le contexte est ici envisagé comme
contexte. Cet auteur constate la très construit par des choix, choix en termes
grande variété de méthodes, d’échelles d’échelles d’observation, de courants
d’observations et de regards théoriques théoriques, de projets de connaissances.
pour appréhender cette notion en sciences On défendra alors une conception
sociales. constructiviste.

34
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

L’interprétativisme va adopter une approche compréhensive plutôt qu’explicative,


visant une connaissance idiographique (Lincoln et Guba, 1985) plutôt que
nomothétique1.
L’approche idiographique privilégie l’étude descriptive de cas singuliers renseignés
de manière dense (« thick description », Geertz, 1973), afin de « donner à voir », par
la compréhension, la réalité des acteurs étudiés. Cette démarche implique
nécessairement de retrouver les significations locales que les acteurs en donnent. La
connaissance est ainsi relative car les significations développées par les individus ou
les groupes sociaux sont toujours singulières. Cependant, pour certains
interprétativistes, si le caractère idiographique des recherches limite la généralisation,
elle ne l’empêche pas et celle-ci reste un des objectifs de la connaissance (Geertz,
1973). Cette généralisation devra se soumettre cependant à l’examen attentif de
parenté des contextes (Passeron, 1991). En outre, le chercheur interprétatif peut
chercher à rendre compte de manière objective de ces processus subjectifs de
construction de sens en tentant de s’abstraire de ses propres représentations et
préconceptions. Quoi qu’adoptant une conception anti-essentialiste des faits
sociaux, l’interprétativisme n’abandonne donc pas nécessairement l’idée d’atteindre
une certaine objectivité de la connaissance (Allard-Poesi, 2005).
Le postmodernisme se distingue nettement des interprétativistes sur ce point en
mettant au cœur de son approche herméneutique2, la déconstruction du langage et le
dévoilement du caractère irrémédiablement instable et mouvant de la réalité. Ce
paradigme adopte une conception relativiste de la connaissance au sens fort tel que
nous l’avons défini plus haut et est au centre de nombreuses polémiques quant au
caractère nihiliste du projet scientifique dont il est porteur (Allard-Poesi et Perret,
2002).
Le constructivisme ingénierique insiste quant à lui sur la question épistémique de
l’impossible indépendance du sujet et de l’objet de connaissance. Jamais indépendante
de l’esprit, de la conscience, la réalité est ce qui est construit au travers de l’action
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de celui qui l’expérimente. Ainsi « le réel est construit par l’acte de connaître plutôt
que donné par la perception objective du monde » (Le Moigne, 1995 : 71-72). Sous
cette hypothèse le chemin de la connaissance n’existe pas a priori, il se construit en
marchant, et est susceptible d’emprunter des méthodologies variées. Cette conception
de la construction de la connaissance est fortement inspirée des travaux de Piaget
(1970) pour lequel la connaissance est autant un processus qu’un résultat. Pour le
constructivisme ingénierique, la démarche de compréhension est liée à la finalité du
projet de connaissance que le chercheur s’est donné. Il y a là une hypothèse
téléologique forte, mettant en avant les notions de projet, de but et de finalité de
toute activité humaine. Il s’agit d’« interpréter un comportement en le rapportant à
ses finalités, autrement dit connaître en termes de fins plausibles devient le projet de

1. L’objet et la méthode des approches nomothétiques est de permettre d’établir des lois générales ou universelles,
représentées par des relations constantes entre les phénomènes observés.
2. L’herméneutique contemporaine traite de la méthodologie de l’interprétation et de la compréhension des textes.

35
Partie 1 ■ Concevoir

la recherche scientifique » (Le Moigne 1994 : 104). À ce titre, le processus de


constitution de la connaissance est nécessairement concerné par l’intentionnalité ou
la finalité du sujet connaissant. Le Moigne souligne ainsi que l’épistémologie
constructiviste permet surtout de reconnaître un projet de connaissance et non plus
un objet à connaître séparé de son expérimentateur.

Section
4 Qu’est-ce qu’une connaissance Valable ?

Interroger la nature d’une connaissance valable intègre un double questionnement


sur la valeur (norme de jugement) et la validité (procédures permettant de garantir
la valeur) de la connaissance produite.
La vérité est la norme de valeur traditionnellement attribuée à la connaissance
scientifique. La vérité est un énoncé qui viserait à départager les connaissances
scientifiques d’autres énoncés comme des croyances ou des opinions qui ne reposent
pas sur les mêmes normes de jugement et/ou ne mobilisent pas les mêmes critères
de vérification. Dans cette perspective, une connaissance valable sur le plan
scientifique sera une connaissance dont on peut garantir, ou établir, les conditions
dans lesquelles il peut être dit qu’elle est vraie. Toute théorie de la connaissance
scientifique suppose donc de répondre aux questions suivantes : Comment définir la
vérité ? Quelles garanties peut-on apporter pour valider un énoncé ? Les
épistémologies contemporaines, compte tenu de leurs hypothèses ontologiques et/ou
épistémiques, ne défendent pas la même conception de la vérité.
Les normes de justifications et les critères de validité qui permettent d’établir
qu’une connaissance est valable dépendent du cadre épistémologique adopté par le
chercheur. Ceci ne veut pas dire nécessairement que toute connaissance se vaut (on
pourra la juger fausse ou inadéquate suivant le point de vue adopté), ni même qu’il
n’est pas possible d’établir, sous certaines conditions, qu’une connaissance est
meilleure qu’une autre entre points de vue différents (Berthelot, 2008). Pour poser
les termes du débat de la valeur de la connaissance nous proposons un continuum
entre vérité-correspondance et vérité-adéquation permettant de rendre compte des
réponses différenciées entre orientations réaliste et constructiviste (figure 1.3).
Correspondance Adéquation

Vérifiabilité Confirmabilité Réfutabilité Crédibilité Actionnabilité

Figure 1.3 – Conception de la vérité et critères de validité

Pour aborder les enjeux attachés à chacun de ces positionnements, nous mobilisons
l’image selon laquelle « une carte n’est pas le territoire » et en analysons les
conséquences sur la connaissance en termes de valeur et de validité.

36
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

c Focus
Une carte n’est pas le territoire
Proposée pour la première fois en 1933 carte : on se demandera en particulier si
par Alfred Korzybski (1998), cette formule les éléments figurants sur la carte repré-
permet d’interroger la nature de la sentent correctement le territoire. Adopte-
connaissance dans le cadre d’une science t-elle les standards et les codes générale-
empirique et d’examiner les diverses ment admis et/ou compréhensibles par
modalités de validité de cette connais- l’utilisateur de la carte ? Propose-t-elle
sance. On peut en effet définir une carte une représentation meilleure que d’autres
comme une connaissance (représenta- cartes adoptant le même point de vue :
tion) du territoire (la réalité). Suivant cette est-elle plus précise ? plus synthétique ?
idée, une carte n’imite pas le réel, elle est plus complète ? plus lisible… ? On pourra
un tiers objet. Il s’agit d’un artefact (objet également apprécier si la carte apporte un
technique), un modèle interprétatif et nouveau regard sur le territoire, permet
simplificateur qui vise, dans un débat, à de prendre en compte des dimensions
tenir la place du réel complexe. La carte jusque-là ignorées.
est une réponse possible à la question « le Par contre il sera difficile d’établir dans
territoire, de quoi s’agit-il ? ». l’absolu que la carte routière est meilleure
Aucune carte cependant ne prétend dire que la carte géologique pour répondre à
de quoi il s’agit de façon pleine et absolue. la question : « le territoire, de quoi s’agit-
Elle procède toujours par sélection d’élé- il ? ». On voit que, pour répondre à cette
ments, jugés significatifs. Elle est toujours question, on ne peut séparer la carte du
réductrice, elle doit délibérément aban- projet de connaissance qu’elle porte et de
donner certaines dimensions : en structu- la communauté à laquelle elle s’adresse.
rant une vision du territoire une carte Ainsi les critères de jugement d’une
valorise un point de vue. Pour un même bonne carte, d’une meilleure carte doivent
territoire les cartes sont multiples. Il y a s’apprécier à l’égard de son adéquation à
une infinité de cartes possibles. La VRAIE un projet de connaissance (établir une
carte existe-t-elle ? Quand peut-on dire représentation du réseau routier ? établir
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’une carte est meilleure qu’une autre ? la nature des sous-sols ?) ; et/ou à un
Plusieurs critères peuvent être convoqués projet d’action (se déplacer en voiture,
pour répondre à ces questions. On peut faire des forages ?) ; et/ou de la commu-
établir, au regard du point de vue adopté nauté à laquelle elle s’adresse (guide
(carte routière, géologique, démogra- touristique, compagnie pétrolière… ?).
phique…) que la carte est vraie ou est On s’interrogera donc pour savoir si la
fausse par sa capacité à refléter le terri- carte est adéquate à la situation ? Permet-
toire. On sera ici dans un critère de vérité- elle de résoudre un problème ? Il est
correspondance. Les éléments présents nécessaire d’évaluer et de comparer une
sur la carte figurent-ils factuellement sur carte relativement à son projet de connais-
le territoire ? La carte correspond-elle au sance et à sa capacité à servir adéquate-
territoire ? Cette notion de vérité-corres- ment ce projet. On est ici dans un critère
pondance est souvent assortie d’autres de vérité-adéquation.
critères pour juger de la qualité de la (Adapté de Fourez, 2009.)

37
Partie 1 ■ Concevoir

Dans l’orientation réaliste, la vérité est traditionnellement définie en termes de


vérité-correspondance. Une connaissance sera dite vraie si elle correspond à (décrit
fidèlement) ce qui est : si les entités, relations et processus mentionnés existent
vraiment en réalité (Soler, 2000).
Pour le positivisme, la connaissance scientifique vise à énoncer LA vérité et le
critère de vérifiabilité permet de garantir cet énoncé. Selon ce principe, « une
proposition est soit analytique, soit synthétique, soit vraie en vertu de la définition
de ses propres termes, soit vraie, si c’est bien le cas, en vertu d’une expérience
pratique ; ce principe conclut alors qu’une proposition synthétique n’a de sens que
si et seulement si elle est susceptible d’être vérifiée empiriquement » (Blaug, 1982 :
11). Dans ce cadre, il est nécessaire pour un chercheur de s’assurer de la vérité de
ses énoncés au travers d’une vérification empirique. Le critère de confirmabilité,
proposé par Carnap (1962), va remettre en cause le caractère certain de la vérité. Il
repose sur l’idée que l’on ne peut pas dire qu’une proposition est vraie universellement
mais seulement qu’elle est probable. On ne peut jamais s’assurer cas par cas que,
dans toutes les circonstances où elle s’applique, elle est vraie. Dès lors on ne pourra
que la confirmer par des expériences ou en invoquant les résultats d’autres théories
mais on n’établira pas sa vérité certaine (Hempel, 1972). Ce mouvement qui conduit
à remplacer la logique de la preuve par une logique probabiliste apporte une
première inflexion à la conception de la vérité-correspondance puisqu’il conduit à
une incertitude sur la capacité de la connaissance à énoncer de manière absolue LA
vérité.
Une véritable rupture avec le projet positiviste initial va finalement être effectuée
avec la proposition de Popper de substituer la logique de la réfutation à la logique
de la preuve. Le critère de réfutabilité pose que l’on ne peut jamais affirmer qu’une
théorie est vraie, on peut en revanche affirmer qu’une théorie est fausse, c’est-à-dire
qu’elle est réfutée. L’exemple célèbre portant sur la couleur des cygnes illustre bien
ce raisonnement.
Avec la logique de réfutation, Popper énonce un critère de démarcation de la
connaissance scientifique particulièrement incisif. Une connaissance est scientifique
si elle est réfutable, c’est-à-dire si elle admet que certains résultats peuvent venir
l’infirmer. En revanche, toutes les théories qui ne peuvent pas être réfutées parce
qu’aucune observation ne peut venir les contredire, ne sont pas scientifiques : la
psychanalyse (par exemple, l’hypothèse freudienne de l’inconscient) ou encore le
marxisme. Popper voyait en effet dans le caractère réfutable d’une hypothèse, une
marque de sa scientificité. En outre, selon lui, plus une hypothèse est « risquée »,
plus elle est scientifiquement intéressante, car non triviale. En insistant sur
l’asymétrie entre la vérification et l’infirmation, Popper place la conception de la
vérité-correspondance face à un étrange paradoxe : la théorie serait à la fois la forme
la plus aboutie et systématique de la connaissance scientifique, et ce qui, par
essence, peut toujours être remis en question (Vorms, 2011).

38
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

c Focus
La science ne peut pas dire le vrai
Si la question posée est de savoir si tous important pour Popper qui le distingue
les cygnes sont blancs, il n’y a qu’une clairement du terme de confirmation :
réponse négative qui puisse scientifique- « Carnap a traduit mon expression degré
ment être admise. En effet, quel que soit de corroboration par degré de confirma-
le nombre de cygnes blancs observés, on tion. Je n’aimais pas cette expression à
n’a pas le droit d’en inférer que tous les cause de certaines associations qu’elle
cygnes sont blancs. C’est ce que l’on
provoque. Les associations que suscite le
désigne habituellement comme le
mot confirmation ont de l’importance car
problème de l’induction1. L’observation
d’un seul cygne noir est par contre suffi- degré de confirmation fut bientôt utilisé
sante pour réfuter la conclusion « tous les par Carnap lui-même comme un syno-
cygnes sont blancs ». Dès lors, pour nyme de probabilité. J’ai donc abandonné
Popper, une théorie qui n’est pas réfutée ce terme (confirmation) en faveur de
est une théorie provisoirement corro- degré de corroboration » Popper (1973 :
borée. Le terme de corroboration est 256).
1. Une inférence inductive consiste à conclure que ce qui est vrai dans un nombre fini de cas restera vrai dans
tous les cas sans exception (Soler, 2000 : 89). Voir chapitre 3 du présent ouvrage pour plus de détails.

C’est sur un autre terrain et avec des arguments différents que les paradigmes
inscrits dans une orientation constructiviste vont interroger la valeur et la validité
des connaissances scientifiques et vont amener à contester l’idée de vérité-
correspondance et à lui substituer l’idée de vérité-adéquation. De manière générale,
une connaissance adéquate peut se définir comme une connaissance qui convient,
soulignant ici le caractère relatif attaché à la conception de la vérité. Cette
« convenance » peut revêtir des significations très différentes selon les paradigmes
épistémologiques. Le caractère relatif de la vérité peut en effet être plus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

particulièrement induit par le réel construit contextuel, instable, mouvant (dans la


visée interprétative des sciences sociales) ou par le projet de construction (dans la
visée projective des sciences de l’ingénieur).
Ainsi pour l’interprétativisme, l’adéquation pourra se comprendre comme la
capacité de la connaissance à garantir la crédibilité de l’interprétation proposée. Il
conviendra de s’assurer que la connaissance est le résultat d’un processus de
compréhension inter-subjectivement partagée par les acteurs concernés (Sandberg,
2005) et de rendre compte de manière rigoureuse de l’administration de la preuve
qui permet de construire l’interprétation (Lincoln et Guba, 1985). Pour certains, la
mobilisation judicieuse des « ficelles du métier » permettra en outre de concilier
l’étude approfondie de cas particuliers et la généralisation de la connaissance qui en
est issue (Becker, 2002). Pour d’autres (Lincoln et Guba, 1985 ; Geerzt, 1973) il

39
Partie 1 ■ Concevoir

s’agit avant tout de produire une description suffisamment dense du phénomène


étudié (thick description) pour permettre au lecteur d’envisager dans quelle mesure
les résultats obtenus sont ou non transférables à d’autres contextes.
Pour le constructivisme ingénierique, l’adéquation s’évaluera plutôt au travers du
critère d’actionnabilité de la connaissance produite. Si l’on ne peut donner aucune
définition ontologique de la connaissance actionnable (Martinet, 2007), elle peut
être appréhendée au travers du principe d’adaptation fonctionnelle proposée par
Von Glaserfeld qui pose qu’une connaissance est valide dès lors qu’elle convient à
une situation donnée.

c Focus
La vérité, c’est apporter une solution
à une situation problématique
Ernst von Glaserfeld développe une possible d’un problème issu d’une situa-
approche qu’il dénomme « constructi- tion douteuse (Dewey, 1967). Cette
visme radical ». Il propose de concevoir démarche est, selon cet auteur, l’étape
la vérité au travers d’un critère de conve- fondamentale de l’établissement de la
nance qu’il illustre par l’histoire suivante : justification. C’est en effet dans la manière
« Par exemple, une clé convient si elle dont on élabore le problème et dont on
ouvre la serrure qu’elle est supposée détermine la solution d’une situation
ouvrir. La convenance décrit dans ce cas indéterminée que réside la vérité. « Les
une capacité : celle de la clé, et non pas opérations de l’enquête garantissent ou
celle de la serrure. Grâce aux cambrio- justifient la vérité de son assertion, voilà
leurs professionnels, on ne sait que trop le critère de la vérité, il y a satisfaction
bien qu’il existe beaucoup de clés décou- “objective” d’une situation indéterminée
pées tout à fait différemment des nôtres, qui maintenant est déterminée ; il y a
mais qui n’en ouvrent pas moins nos succès des opérations parce qu’elles sont
portes » (Glasersfeld, 1988 : 23). les opérations qui correspondaient au
Cette conception peut être rapprochée du problème, lui-même correspondant à la
principe de l’enquête proposée par le situation indéterminée » (Dewey, 1967 :
philosophe pragmatiste américain Dewey 38).
qui définit la vérité comme la détermina- Sur la base de Girod-Séville
tion de la solution qui est une solution et Perret (2002).

Selon Le Moigne, les caractéristiques de la connaissance actionnable s’énoncent


dans les termes de l’enseignabilité : « le modélisateur ne pourra plus assurer que les
connaissances sont démontrées. Il devra montrer qu’elles sont argumentées et donc
à la fois constructibles et reproductibles, de façon à permettre leur intelligibilité pour
son interlocuteur » (Le Moigne, 1995 : 85). L’important est que le modélisateur
veille scrupuleusement à expliciter les finalités auxquelles il prétend se référer
lorsqu’il construit les connaissances enseignables. Martinet (2007) évoque en ce
sens la nécessité d’une « épistémologie de la réception ».

40
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

Compte tenu des conceptions différentes de la valeur et de la validité des


connaissances, le caractère plus ou moins généralisable et plus ou moins
commensurable des connaissances produites fait l’objet de nombreux débats au sein
de la communauté de recherche en management. Ces questions nécessitent a
minima, pour être tranchées, l’explicitation du « point de vue de connaissance » que
porte le chercheur. Cet exercice réflexif est le meilleur garant contre le réductionnisme
qui conduit, comme le souligne Berthelot (1990), à proclamer le caractère supérieur
d’un point de vue de connaissance par la réification de son propre point de vue et la
neutralisation, selon des arguments d’autorité, des points de vue concurrents.
En proposant un critère de vérité-adéquation plutôt que de vérité-correspondance,
les épistémologies constructivistes invitent à souligner que les activités scientifiques
et les connaissances élaborées ne sont pas découplées de l’environnement social
dans lesquelles elles s’inscrivent. Leur validité dépend, on l’a vu, des projets de
certains acteurs et de la capacité à les réaliser pour les chercheurs ingénieriques, de
la manière dont la recherche sera perçue tant par la communauté scientifique que par
celle dans laquelle la recherche a été menée pour les interprétativistes. Parallèlement,
en reconnaissant que la recherche sera « reçue » par ces différents acteurs, les
épistémologies constructivistes invitent à questionner les effets de cette connaissance.

Section
5 La connaissance est-elle sans effet ?

Les débats épistémologiques ayant animé la recherche en management ces vingt


dernières années ont considérablement enrichi et aiguisé la réflexion sur les
méthodes et les critères d’appréciation des recherches. Ces débats ont également
permis de reconcevoir certains objets classiques en management (le leadership,
Fairhurst, 2009 ; le changement, Perret, 2009), voire en introduire de nouveau (le
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

discours par exemple). Pour certains chercheurs cependant, si ces réflexions ont
contribué à faire une place aux conceptions relativistes de la connaissance, elles ont
également détourné le chercheur des dimensions politiques et éthiques de son
activité (Parker, 2000). Dit autrement, la question de la valeur de la connaissance
masquerait celle, non moins importante, des valeurs que le chercheur promeut au
travers de son activité de recherche. Ce débat rejoint celui mené au sein du champ
de la sociologie des sciences qui oppose les tenants d’une conception autonome de
la science à l’égard de la société et ceux qui vont défendre le point de vue d’une
science en société (Bonneuil et Joly, 2013). Pour rendre compte de ce débat il est
possible d’identifier un continuum qui rend compte de l’opposition entre l’autonomie
de la connaissance scientifique portée par certaines conceptions réalistes et la
performativité de la connaissance mis à jour par certains travaux s’inscrivant dans
une orientation constructiviste.

41
Partie 1 ■ Concevoir

Autonomie Performativité

Réalisme Constructivisme

Figure 1.4 – La relation science et société

Nous ne souhaitons pas faire un repérage plus précis des positionnements de


chacun des paradigmes épistémologiques le long de ce continuum, ceux-ci ne
s’étant pas nécessairement prononcés explicitement sur ces dimensions. Cependant
on peut identifier une ligne de démarcation entre :
− d’une part l’orientation réaliste qui s’est attachée dans ses hypothèses ontologique et
épistémique à découpler la question des faits de celles des valeurs et à défendre par
sa posture objectiviste le point de vue d’une autonomie de la pratique scientifique et,
− d’autre part l’orientation constructiviste qui, en insistant sur l’imbrication des faits
et des valeurs, des sujets et des objets dans la construction des phénomènes humains
et sociaux, sous-tend la dimension performative de la connaissance produite.

c Focus
Les normes de la science selon Merton
« Dans un article devenu un classique de permettent de résister aux influences des
la sociologie des sciences, Robert Merton acteurs politiques et économiques.
(1942) identifie un ensemble de normes, Écrit face à la science nazie et stalinienne,
qui forment ce qu’il appelle l’ethos de la cet article réalise une double opération :
science, encadrant les conduites de ces il arrime une certaine idée de la science à
praticiens : communalisme, universa- la démocratie occidentale, seule propice
lisme, désintéressement, scepticisme à son épanouissement ; il formalise des
organisé. Selon Merton ces normes, inté- normes du fonctionnement de la commu-
riorisées par les scientifiques pendant leur nauté scientifique qui se distinguent de
apprentissage et entretenues par leur celles des autres champs sociaux et
insertion institutionnelle, font de la assurent à la science son autonomie ».
science un système social distinct et rela-
Extrait de Bonneuil et Joly (2013 : 5).
tivement autonome. Elles protègent
d’abus internes aussi bien qu’elles

La prétention à l’autonomie de la science doit s’entendre comme la revendication


d’une indépendance de l’activité scientifique à l’égard de la société. Comme le
rappellent Bonneuil et Joly (2013) certains philosophes comme Bachelard et Popper
ont contribué à légitimer l’idée d’une nécessaire démarcation entre science et
technologie, entre science et application, entre science et politique. La science doit
être conçue comme une activité à part et ne pouvant s’épanouir que dans l’autonomie.

42
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

Ce point de vue est devenu, durant la période de la guerre froide, le postulat majeur
de la sociologie des sciences (Merton, 1942).
Cette conception défend l’idée que la science est une activité en dehors du social
et qu’elle est régie par ses propres normes et ses propres lois de développement.
L’environnement « externe » peut éventuellement influencer les rythmes et les
thèmes de recherche mais pas le contenu des découvertes ni les méthodes et normes
de la preuve. Dans ce cadre, la question des rapports entre science et société se
résume « à la définition des bons et des mauvais usages d’une science dont le noyau
serait neutre » (Bonneuil et Joly, 2013 : 7).
Cependant, à partir des années 1960 et 1970 certains travaux vont remettre en
cause cette conception de la science et défendre l’idée que les choix scientifiques et
les systèmes techniques sont des structures politiques en ce sens qu’ils ouvrent et
contraignent les choix qu’une société peut se donner. Ces travaux vont conduire à
adresser de nouvelles questions à la pratique scientifique : comment penser la
performativité des sciences et des techniques ? Comment les réinscrire dans une
perspective d’émancipation et dans le fonctionnement démocratique ? (Bonneuil et
Joly, 2013 : 7).
La notion de performativité renvoie à deux définitions qu’il convient de distinguer.
Définie par Lyotard (1978 : 74-75), la performativité renvoie « au meilleur rapport
input/output ». Dans son Rapport sur le savoir, il considère que l’invasion des
techniques (en particulier d’information), « prothèses d’organes ou de systèmes
physiologiques humains ayant pour fonction de recevoir des données ou d’agir sur
le contexte » ( : 73), permet certes d’améliorer l’administration de la preuve ; mais
que ces techniques ont également tendance à détourner la recherche scientifique vers
leurs propres fins : « l’optimisation des performances : augmentation de l’output
(information ou modifications obtenues), diminution de l’input (énergie dépensée)
pour les obtenir » (: 73). En effet, un savoir a d’autant plus de chances d’être
considéré comme valide s’il dispose de preuves conséquentes, preuves qui seront
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

apportées par des techniques qui, pour être financées, auront préalablement montré
leur efficience et leur capacité à générer du profit. Ainsi « la performativité, en
augmentant la capacité d’administrer la preuve, augmente celle d’avoir raison : le
critère technique introduit massivement dans le savoir scientifique ne reste jamais
sans influence sur le critère de vérité » (: 76).
S’appuyant sur cette analyse critique du savoir, Fournier et Grey (2000) considèrent
que la recherche en management et les connaissances produites servent le plus
souvent les intérêts d’une élite managériale, au détriment de ceux d’autres parties
prenantes directes et indirectes. Cette critique fait écho à celle, plus ancienne,
formulée à l’encontre des positivistes par les tenants de l’École de Francfort (voir
Adler et al. 2008), et, à leur suite, Habermas. Pour ces derniers en effet, les
positivistes, en prétendant dire le vrai du fonctionnement du monde social, légitiment
l’ordre établi et neutralisent toute prétention à le changer.

43
Partie 1 ■ Concevoir

Afin de contrebalancer les excès de la rationalité techniciste à l’œuvre dans la


recherche contemporaine, Habermas suggère d’exercer des formes alternatives de
rationalité (rationalité pratique, d’émancipation). Ceci suppose de sortir la recherche
du milieu académique, de permettre son questionnement par des parties prenantes
dépassant les seuls managers et dirigeants (voir Huault et Perret, 2009), au travers
de la création d’espaces de dialogues ouverts (Johnson et Duberley, 2003).
La critique de la performativité des connaissances telle que formulée par Lyotard
(1978), en soulignant leur assujettissement à des finalités instrumentales, met à jour
les effets de ces connaissances sur le monde social ; une dimension de la recherche
tout particulièrement travaillée par Alvesson et ses collègues, qui reprennent alors la
notion de performativité telle que définie par Austin (1963) et Butler (1996).
Dans cette seconde acception, la performativité d’un énoncé désigne l’ensemble
des effets produits directement du fait de l’énonciation (on parle alors d’acte
illocutoire, i.e. « la séance est ouverte ») ou indirectement à sa suite (on parle alors
d’acte perlocutoire, i.e. la joie ou la crainte que peut provoquer l’annonce de ce
changement immédiat chez l’auditoire) (Krieg-Planque, 2013).
Ces différents effets du discours ne peuvent cependant se produire que si un
certain nombre de conditions sont réunies, parmi lesquelles la reconnaissance par
l’auditoire d’une convention aux termes de laquelle un certain effet est produit
lorsque l’énoncé est le fait de certaines personnes en certaines situations. L’énoncé
« le changement c’est maintenant » aura plus de chances de produire l’effet attendu
s’il est prononcé par une personne en position d’autorité, face à un auditoire familier
du discours politiques. Pour Butler (1990 ; 1996), ceci suppose que, pour faire
advenir ce qu’il dit, le discours s’inscrive dans une durée, dans une chaîne de
répétitions.
Dans cette perspective, les recherches en management, en tant que discours
performatifs, sont susceptibles de contribuer au maintien des institutions et des
rapports de force inégalitaires les caractérisant, et ce, dès lors qu’elles re-citent,
répètent sans les subvertir les discours et recherches antérieures orientés sur
l’efficience et les intérêts d’une seule catégorie d’acteurs (Spicer et al., 2009).
Que l’on retienne l’une ou l’autre des définitions de la performativité, cette
question n’est pas sans effet sur la réflexion épistémologique. Elle invite en effet le
chercheur à réfléchir non seulement aux dimensions de son projet de recherche (son
objet, les méthodes appropriées, la nature de la connaissance visée), mais également
d’interroger les valeurs et finalités de sa recherche, ses conséquences concrètes pour
le ou les groupes étudiés, les intérêts qu’elle sert, sa faisabilité dans le contexte
institutionnel en place (Johnson et Duberley, 2003 ; Spicer et al., 2009). Le
chercheur est ainsi appelé à exercer une réflexivité « radicale » (Woolgar, 1988 ;
Adler et al., 2008), une réflexivité qui dépasse les seules dimensions constitutives du
projet de recherche. Alvesson et Sandberg (2011) soulignent que ce travail
épistémique de « problématisation », visant à identifier et remettre en question les

44
Fondements épistémologiques de la recherche ■ Chapitre 1

hypothèses sous-jacentes sur la nature des objets de connaissance, permet de


dépasser les impasses et les scléroses d’une démarche dominante de « gap spotting »
dans le processus de production des connaissances. Les conséquences du « tournant
linguistique » analysées par Alvesson et Kärreman (2000), les promesses du
« tournant réaliste » portées par Reed (2005) ou encore les effets du « tournant
pragmatiste » sur la conception des objets de recherche en management (Labatut et
al., 2012) confirment que le questionnement épistémologique est un vecteur
essentiel du développement contemporain de notre champ de la recherche.

c Focus
De la performativité de la recherche sur le leadership
Comment conduire un groupe, une orga- contingentes du leadership), d’autres
nisation ? À cette question, la recherche remarquent que ces recherches parti-
en management a longtemps répondu cipent de la reproduction des structures
qu’un bon leader était essentiel ; et de de pouvoir en place dans les organisa-
rechercher les traits de personnalité, les tions : des structures inégalitaires, souvent
comportements ou styles de leadership, dirigées par des hommes plutôt que par
les circonstances dans lesquelles les des femmes, dans lesquelles l’autorité et
exercer et les valeurs dont cette figure le pouvoir de décision sont concentrés
devait disposer. Au travers de leur diffu- dans les mains de quelques-uns, et ce,
sion dans les institutions d’enseignement, alors que la complexité des problèmes et
les médias, les cabinets de conseil, ces des organisations appellent des expertises
travaux de recherche ont contribué à des variées et des modalités en conséquence
pratiques de sélection, de promotion, partagées ou distribuées de leadership
d’organisation et d’animation d’équipes (Pearce et Conger, 2003 ; Crevani, Lind-
centrées sur un individu s’apparentant à gren et Packendorff, 2007 ; Fletcher,
un héros (voir Fairhurst, 2009 : 1616- 2004). La promotion et l’adoption d’un
1623). Le « leader » est en effet censé modèle distribué de leadership, dans
disposer de qualités devant permettre lequel la décision est le fait des personnes
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’améliorer tout à la fois l’efficience, disposant des compétences et des


l’innovation, la créativité, l’harmonie et le connaissances utiles pour faire face à la
bien-être de son équipe et de ses situation, est susceptible de transformer
membres ; un « héros » (Fletcher, 2004) radicalement les organisations (Fletcher,
donc, qui, dès lors qu’il n’atteint pas les 2004). Parallèlement, l’adoption d’une
objectifs fixés, sera bien sûr rapidement approche distribuée du leadership
remplacé. suppose de renoncer à une conception
Si nombre de chercheurs ayant travaillé essentialiste du leadership qui suppose
au sein de cette tradition en reconnaissent qu’il existe des personnes qui, parce que
aujourd’hui les limites (voir Yukl, 2011, à dotées de traits spécifiques, sont par
propos des limites des approches essence mieux à même de conduire un
groupe ou une organisation.

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Partie 1 ■ Concevoir

CONCLUSION

Ce chapitre doit permettre au chercheur de répondre aux questions épistémologiques


que soulève sa recherche. Il devrait convaincre le chercheur de s’interroger sur la
nature de la réalité qu’il pense appréhender, sur le lien qu’il entretient avec son objet
de recherche, sur la démarche de production de connaissance qu’il souhaite et qu’il
peut emprunter et sur les critères qui lui permettront d’évaluer la connaissance qu’il
produit. La réflexion épistémologique doit permettre au chercheur de :
− comprendre les présupposés sur lesquels sa recherche s’appuie ;
− expliciter les implications que ses choix entraînent afin de parvenir à une plus grande
maîtrise de sa recherche.
Une telle réflexion épistémologique est nécessaire car c’est elle qui va permettre
la justification des connaissances produites et offrir la possibilité de la critique entre
chercheurs. Ces éléments constituent les bases indispensables à la production d’une
connaissance valable.
Les questions traitées dans ce chapitre suscitent bien sûr des interrogations au
niveau méthodologique. Ce sera l’objet d’un certain nombre d’autres chapitres de
cet ouvrage, les chapitre 2 et 3 notamment, que de développer les conséquences
méthodologiques des différentes options épistémologiques identifiées dans ce
chapitre. En particulier le chapitre 2 montre en quoi la construction de l’objet de
recherche dépend des présupposés épistémologiques sous-tendant la recherche.

Pour aller plus loin


David, A., Hatchuel, A., R. Laufer (eds), Les nouvelles fondations des sciences
de gestion, 1re édition, coll. « Fnege », Vuibert, 2000. 3e édition, coll. « Économie et
gestion », Presses des Mines, 2012.
Lepeltier, T. (coord.), Histoire et philosophie des sciences, Éditions Sciences
Humaines, 2013.
Martinet, A-C. (coord.), Épistémologies et Sciences de Gestion, Economica, 1990.
Soler, L., Introduction à l’épistémologie, coll. « Philo », Ellipses, 2000.

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