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Cours d'Etienne Kippelen Culture musicale UV 2

Synthèse musique romantique


(1815-1914)

Prémices

• Un courant d'abord germanique issu de l'Europe des grands empires du Traité de Vienne (1815)
• Un clivage de plus en plus net entre formalistes (Hoffmann, Hanslick, Brahms) et
référentialistes (Berlioz, Liszt, Wagner, Schumann) autour de la question de la signification :
musique comme forme sonore ou comme expression de sentiments.
• Développement de la facture instrumentale système Boehm aux bois (dès 1832), pistons et
palettes aux cuivres (dès 1815), perfectionnement du piano (puissance, répétition, ambitus),
invention de nouveaux instruments : ophicléide, sarrusophone, saxophone, octobasse, saxhorn.

La sensibilité romantique

Selon Charles Baudelaire, « Le romantisme n'est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la
vérité exacte mais dans la manière de sentir ». Mélancolie, pessimisme et même folie cohabitent
dans le romantisme tel que l'écrit Schopenhauer : « L'existence humaine toute entière nous dit
assez nettement que la souffrance est la véritable destination de la vie ». En 1824, Schubert
corrobore : « La douleur aiguise l'esprit et rend l'âme plus forte ; la joie, au contraire, ne s'en
préoccupe guère, amollit les sens et rend frivole ».

• Nocturne : œuvre brève pour piano aux origines littéraires : Hymnes à la nuit (1800) de
Novalis, publiés par les frères Schlegel. Pour Novalis, la nuit fait accéder à la connaissance qui se
trouve non dans ce qui est apparent, lumineux, clair, mais dans l'obscurité, le mystique, le
surnaturel. La nuit romantique sera mélancolique (Chopin et Liszt) ou magique et maléfique.
Frédéric Chopin (1810-1849), 21 Nocturnes de forme ABA dont le Nocturne opus 9 n°2 (1832), inspirés
par ceux de l'Irlandais John Field (1782-1837) et surtout ceux de sa compatriote Maria Szymanowska
(1789-1931) : Nocturne en si b majeur.
Gabriel Fauré (1845-1924) poursuit cette esthétique du Nocturne pianistique avec une sensibilité sinon
une emphase toujours lyrique : Nocturne n°6 (1894)

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• Valse : danse non dénuée d'érotisme issue du ländler populaire autrichien qui s'implante
solidement dans les salons viennois à la fin des années 1810 puis dans la musique savante :
Beethoven, Weber et Schubert en écrivent.
Frédéric Chopin (1810-1849), valses souvent mélancoliques, oscillant entre la musique de salon
insouciante et l'expression du mal-être : Valse opus 64 n°2 (1847)

• Lied (pluriel lieder) apparaît dans les pays germaniques au milieu du XVIII e siècle, à mi-chemin
entre l'air et la chanson, généralement accompagné au piano liant musique et poésie raffinée.
Franz Schubert (1797-1828), plus de 660 lieder, parmi lesquels Gretchen am Spinnrade (1814) : début
du lied romantique où la sensibilité tumultueuse du personnage est exhalée par la musique.
Robert Schumann (1810-1856) plusieurs grands cycles de lieder dont Frauenliebe und Leben (1840) :
Er, der Herrlichste von allen, accompagnement caractéristique en accords répétés.
Gustav Mahler (1860-1911) de nombreux lieder pour orchestre, pénétrant même la symphonie : Das
Lied von der Erde (1908), symphonie pour ténor et alto, succession de 6 lieder finement orchestrés
comme le troisième, Von der Jugend au pentatonisme populaire et primesautier.

• Fragment : pièce brève qui, selon Schlegel en 1798, est une forme typique du romantisme,
qui par sa structure inachevée ou modeste ouvre sur une réflexion infinie.
Robert Schumann (1810-1856), compositeur de cycles de pièces brèves, parfois d'aspect fragmenté :
Der Dichter spricht qui clôt les treize Kinderszenen (1838) : dépouillement et mise en valeur du
« poète », figure romantique par excellence.
Frédéric Chopin (1810-1849), adepte de la pièce brève, presque toujours de forme ABA, comme
expression d'un état d'âme, parfois sous couvert d'une danse (Mazurka, Boléro, Barcarolle, Valse) :
Mazurka opus 17 n°4 (1832) qui finit sans s'achever, sans accord de tonique.

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L'exaltation de la nature

• Symphonie poursuit au courant du XIXe siècle sa croissance : effectif, durée, forme. Elle se
teinte d'un idéal d'absolu et de sublime ; pour Mahler, « la symphonie doit être à l'image du
monde, elle doit tout embrasser ».
Ludwig van Beethoven (1770-1827), après deux symphonies marquées par le style classique, les sept
suivantes ouvrent chacune une porte différente sur le monde romantique. Si la Symphonie n°9 (1824),
associant pour la première fois les voix (solistes et chœur) à l'orchestre, est un modèle d'universalisme
et d'humanisme, la Symphonie n°6 dite « Pastorale » (1808) dépeint une nature champêtre à travers le
prisme du sentiment personnel, au fil d'un paratexte préfigurant l'idée berliozienne du programme.
« Chaque paysage est un état d'âme » selon Beethoven.

• Poème symphonique, œuvre pour orchestre le plus souvent en un seul mouvement


traduisant en musique le sentiment du créateur face à un poème, un texte, une légende, un
tableau, un paysage, etc.
Franz Liszt (1811-1886), 13 poèmes symphoniques au caractère souvent épique : Mazeppa (1851),
d'une singulière richesse d'orchestration avec ses modes de jeu aux cordes divisées, thèmes aux
cuivres désormais chromatiques, effets furtifs aux bois. Il développe aussi la peinture sonore au piano
dans certaines longues pièces comme La Vallée d'Obermann (1855), reconnaissable à son caractère
méditatif, son rubato, ses nombreux points d'orgue et ses contrastes vifs.

• Opéra allemand en plein essor durant le romantisme qui culmine avec l'idéal wagnérien
de l'œuvre d'art totale, cumulant théâtre, drame, musique, mythe et poésie.
Carl Maria von Weber (1786-1826), passage du singspiel post-classique à l'opéra national en allemand
dans le célèbre Der Freischütz (1817), mélangeant encore le parlé et le chanté. Inspiré par un chœur
éponyme de Haydn dans Les Saisons (1801), le « Chœur des chasseurs » est un morceau typique du
Freischütz exaltant l'imaginaire sylvestre et populaire (jodel) de la Mitteleuropa germanique.

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Le culte du génie

• Concerto en expansion vers une virtuosité démonstrative, plus puissante qu'au siècle
classique, portée par l'amélioration de la facture instrumentale et l'accroissement des
orchestres ; le concerto est essentiellement conçu pour le piano, secondairement pour le
violon, les autres instruments étant moins prisés.
Franz Liszt (1811-1886) vainqueur d'un fameux duel de pianistes avec Thalberg en 1837, deux
concertos pour piano redoutables : Concerto pour piano n°1 (1830-1853) expérimente la forme
cyclique avec des mouvements enchaînés et une virtuosité nouvelle : notes et octaves répétées, larges
arpèges et gamme dans l'ensemble de l'ambitus du piano.
Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) Concerto pour piano n°1 (1871), piano à la fois sensible et virtuose
Pablo de Sarasate (1844-1908) Airs bohémiens (1878), virtuosité « exotique » d'après des mélodies
tziganes de Hongrie et Roumanie : glissades, pizzicatos main gauche, doubles cordes, registre sur-aigu.

• Pièce virtuose pour soliste, l'amélioration des transports favorise l'avènement de


virtuoses à la notoriété européenne qui développent une technique alliant puissance et vitesse,
repoussant les limites techniques du siècle précédent.
Franz Liszt (1811-1886) La Campanella (1851), troisième des Six études d'après Paganini, importance
de l'étude comme genre de perfectionnement mais surtout de démonstration de la virtuosité ; ici
paraphrase pianistique et virtuose sur le finale du Concerto pour violon n°2 de Paganini.
Nicolo Paganini (1782-1840), « le violon du diable », capacités exceptionnelles à l'instrument, aussi à
l'aise à l'alto pour avoir créé le concerto de Berlioz Harold en Italie et auteur de nombreuses pièces de
virtuosité pour les cordes. Le Caprice n°24 (1817), souvent donné en bis, accumule l'ensemble des
techniques nouvelles de violon : pizzicatos main gauche, doubles cordes, gammes, harmoniques, etc.,
repris ensuite en variations par Liszt, Brahms, Rachmaninov et Lutoslawski.

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Les séductions de l'irrationnel

George Sand : « Le monde fantastique n'est pas en dehors ; il est au fond de nous, il meut tout, il
est l'âme de toute réalité ». Les nombreux avatars musicaux du Faust de Goethe font de cet
ouvrage le principal mythe romantique.

Dans de nombreuses œuvres, l'irrationnel est exprimé par un renouveau de l'orchestration et des
moyens sonores d'autant plus remarquables qu'ils étaient alors inouïs.

Carl Maria von Weber (1798-1826) dans Der Freischütz (1817), opéra d'inspiration faustienne,
l'orchestre et les voix illustrent le caractère fantastique et terrifiant de la scène nocturne de la Gorge
aux loups où sont coulées par la volonté diabolique des balles magiques.
Hector Berlioz (1803-1969) composée lors de l'année romantique 1830, la Symphonie fantastique
combine à elle seule tous les axes du romantisme : sensibilité exacerbée, rapport à la nature, à
l'irrationnel, au fantastique à travers un programme semi-autobiographique : citation du Dies Irae,
avatar tardif d'une mélodie de plain chant dans le cinquième mouvement Songe d'une nuit de sabbat.
Modeste Moussorgski (1839-1881) Une nuit sur le Mont Chauve (1867), sonorités d'orchestres
brillantes, grinçantes ou menaçantes pour dépeindre les personnages maléfiques.
Paul Dukas (1865-1935) L'apprenti sorcier (1897), poème symphonique popularisé par le Fantasia
(1940) de Walt Disney, d'après une ballade de Goethe.

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Le refus des cadres et des normes

Franz Liszt : « « En 1832, en musique comme en littérature, une nouvelle école se formait, et de jeunes
talents se produisaient, qui secouaient avec éclat le joug des anciennes formules. [...] Le romantisme
fut à l'ordre du jour, et on combattait avec acharnement pour ou contre. Il n'y eut aucune trêve entre
ceux qui n'admettaient pas qu'on pût écrire autrement qu'on n'avait écrit jusque-là, et ceux qui
voulaient que l'artiste fût libre de choisir la forme pour l'adapter à son sentiment. »

• Idéalisme et universalisme, la musique est l'art du sublime, du grandiose ; elle est


pour Hegel l'expression directe de l'Idée et les compositeurs bousculent les anciennes formes et
les formations classiques pour accroître le potentiel expressif.
Ludwig van Beethoven (1770-1827) Quatuor n°14 opus 131 (1826), forme radicalement nouvelle en
sept mouvements enchaînés débutant par une fugue austère et douloureuse.
Anton Bruckner (1824-1896) compositeur du gigantisme romantique : Symphonie n°5 (1876) durant
1h30 avec un Finale aux textures très étirées, riche en nombreux développements.
Camille Saint-Saëns (1835-1921) Symphonie n°3 (1886) associe pour la première fois le piano et l'orgue
dans un finale triomphal autour de la citation du Dies Irae.
Gustav Mahler (1860-1911) mêle dans la symphonie le populaire et le savant, le trivial et le sacré,
l'anecdotique et le sublime ; gigantisme extrême dans sa Symphonie n°8 (1908) sur un hymne religieux,
pour grand orchestre avec orgue, 8 solistes vocaux, 2 chœurs mixtes, un chœur d'enfants, réunissant
idéalement près de mille musiciens.

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Le Printemps des peuples

Alfred Einstein : « S'il n'y eut d'abord qu'une musique italienne, allemande et française, laquelle
visant, à l'humanisme et à l'universalité, n'éprouvait pas le besoin d'accentuer ses particularités
nationales, au cours du XIXe siècle, tous les peuples, des plus grandes aux plus petites
communautés nationales, ont successivement eu, en musique, leur mot à dire. »

• Musique à caractère national, qui, sans emprunter explicitement les voies de la


citation ou de la stylisation d'un matériau populaire, vise à exalter le nationalisme
Bedrich Smetana (1822-1884), le plus nationaliste des compositeurs de Bohême, son cycle de 6
poèmes symphonies Ma Patrie (1874-1879) présente autant de visages musicaux de son pays,
notamment celui de la rivière qui le traverse jusqu'à Prague : La Moldau.

• Musique d'inspiration populaire, très répandue durant la seconde moitié du XIX e


siècle, en particulier dans les pays slaves, en France (après 1870) et en Espagne.
Franz Liszt (1811-1886) les 19 Rhapsodies hongroises agencent virtuosement des thèmes tziganes (et
non hongrois) : Rhapsodie hongroise n°2 (1847), huit thèmes différents.
Mili Balakirev (1836-1910) Islamey pour piano (1869) et le poème symphonique Tamara (1876-1882) :
orientalisme russe illustré par le grand solo de hautbois avec seconde augmentée, accompagné au
triangle et tambour. Grande influence sur Rimski-Korsakov à travers Sheherazade (1888), mais aussi sur
Gladzounov dans la Rhapsodie orientale (1889) et jusqu'à L'Oiseau de feu (1909) de Stravinsky,
Antonín Dvořák (1841-1904), Symphonie n°6 « Scherzo » qui stylise avec ses tournures modales et ses
quintes à vide un furiant, danse populaire tchèque alternant 6/8 et 3/4.
Vincent d'Indy (1851-1931) cultive autour de la Schola Cantorum un souffle épique et régionaliste
traduit dans la Symphonie sur un chant montagnard français (1886) pour orchestre avec piano : motif
populaire traité avec toutes les séductions de l'orchestration française fin XIX e siècle.

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