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Le grand Meaulnes est le seul roman d'Alain Fournier, publié en 1913.

Il s'agit des péripéties


d'Augustin Meaulnes, relatées par François, le narrateur de cette œuvre. Augustin et François sont
tous deux écoliers dans un petit village de Sologne et ont soif d'aventure. Un jour, Augustin
s'échappe, et trouve un domaine dans lequel se tient une fête. De retour chez lui, il sera obsédé par
ce lieu, ainsi que François. Lors d'une excursion qui visait à partir à la recherche d'élèves fugueurs,
il s'éclipse lui aussi. C'est ainsi que s'ouvre notre extrait.
(Lecture)
Nous pouvons ainsi nous demander en quoi cette oscillation entre monde réel et univers rêvé
pourrait être l'esquisse d'une initiation ratée. Nous allons dans un premier temps nous intéresser aux
effets de réels qui se dégagent de cet extrait, puis nous allons nous focaliser sur le merveilleux
latent, enfin nous étudierons la régression du personnage.

Les effets de réel sont multiples : dès le début de l'extrait, François nous plonge dans un univers très
imagé, et nous fournit des informations précises concernant le cadre spacio-temporel. En effet, il
mentionne être passé devant le Glacis, puis devant le moulin, enfin il arrive à la lisière d'une forêt,
qu'il aura le loisir d'explorer toute la matinée. Nous retrouvons cette précision à la fin de l'extrait,
notamment avec la description de la maison du garde chasse Baladier, abondante de détails. Nous
pouvons par exemple citer ceci «Deux paires de bas sèchent sur l'appui de la fenêtre».
Il est ici possible de faire un rapprochement entre ces lieux et la jeunesse d'Alain Fournier, qu'il a
passé dans cette même région. Ce paysage serait donc connu de l'auteur, et existerait bel et bien hors
de l'espace romanesque. Il en dresse un portrait précis, méticuleux. Le lecteur est plongé dans
l'atmosphère de la forêt, ainsi, trois des cinq sens sont sollicités. La vue, avec un tableau riche de
l'environnement qui entoure le narrateur, l’ouïe, avec le chant du rossignol décrit comme une
invitation délicieuse, et enfin le toucher, notamment grâce à son pied qui se posant sur un banc de
sable fin. Ce réalisme est renforcé par les descriptions précises de la nature «et je me suis trouvé
dans cette grande voie d'herbe verte qui coule sous les feuilles, foulant par endroit les orties,
écrasant les hautes valérianes». L'extrait est très imagé, et décrit une atmosphère douce,
campagnarde, verdoyante.

Néanmoins, nous pouvons remarquer un important champs lexical de l'incertain, avec de nombreux
verbes exprimant le doute «je crois bien, mais sans doute je me trompe, j'espère et m'enivre ainsi,
dont je ne sais pas». Nous pouvons également noter la récurrence du verbe imaginer, qui apparaît
pas moins de quatre fois dans notre extrait. Il fait flancher cette impression de réalité.
Ainsi, le cadre bien défini du début de l'extrait s'évapore petit à petit. L'alternance des temps plonge
le lecteur dans une certaine confusion. Cette citation illustre parfaitement ce propos : «Je passe sous
les basses branches dont je ne sais pas le nom mais qui doivent être des aulnes. J'ai sauté tout à
l'heure un échalier au bout de la sente, et je me suis trouvé dans cette grande voie d'herbe verte qui
coule sous les feuilles, foulant par endroit les orties, écrasant les hautes valérianes». Ici se succède
le présent de l'indicatif, puis le présent du subjonctif, suivi du passé composé, ensuite un retour du
présent, enfin un gérondif. Le lecteur est comme désorienté. La temporalité est nébuleuse, l'espace
labyrinthique.
Nous pouvons également douter de l'existence de l'oiseau. Son chant s'oppose au silence pourtant
énoncé, et reste invisible. François lui-même émet une hésitation : il pense avoir affaire à un
rossignol, cependant ils ne chantent que le soir. Sa mélodie s'inscrirait peut-être dans une de ses
rêveries, qui débutera d'ailleurs plus explicitement la phrase d'après.
La puissance qu'exerce ces lieux est frappante : le domaine est appelé bonheur mystérieux, et
semble envoûtant, entouré de féerie. Il est comparé à un passage dont parle les vieux livres, un
passage vers un monde merveilleux. C'est ici que la rêverie prend le dessus sur la réalité. Elle pris la
couleur de contes et légende, notamment avec la mention du prince errant. Ainsi, la réalité
s'estompe, et laisse place à l'onirisme, au magique.
Cette rêverie est une sorte de coupure avec le monde extérieur, mais aussi avec celui des adultes. Il
a quitté le périmètre connu du bourg, et s'est engagé dans une exploration de l'inconnu. Et pourtant,
son aventure, qu'il considère comme la plus importante qu'il ait vécu jusque là, ne semble pas le
faire mûrir, mais plutôt de le faire régresser dans un monde enfantin. Les glissements entre monde
réel et monde imaginaire ne font que souligner sa puérilité. Tout comme Augustin, il préfère la
rêverie à la réalité. Nous pouvons remarquer, par exemple, un champs lexical de la guerre dans les
premières phrases de notre extrait : guerre, vieux pistolet, traître, patrouille, caporal. Ce sont
précisément ces premières phrases qui sont pourtant les plus ancrées dans la réalité, qui ne
s'inscrivent pas dans la rêverie. La vraie vie est associée à quelque chose de désagréable, de violent,
en opposition au doux monde onirique dans lequel il aime s'évader. Elle paraît décevante, comme
l'illustre cette phrase proche de la fin de l'extrait, celle où le narrateur est tiré de son rêve éveillé :
«brusquement je débouche dans une sorte de clairière, qui se trouve être tout simplement un pré».
C'est un retour abrupt à la réalité, lui qui, selon ses dires, s'enivrait dans son monde imaginaire.
Cette attitude le ramène à l'enfance, semble être une régression plutôt qu'une initiation. Le
personnage, plutôt que de mûrir comme tout bon protagoniste de Bildungsroman, trouve refuge et
se complaît dans un monde onirique, enfantin. Le rêve est utilisé comme une fuite pour ces
personnages inadaptés au monde extérieur, qui est perçu comme froid, déplaisant.
L'extrait se clôt sur l'échec de la quête de François «je n'ai rien trouvé», ce qui semble annonciateur
de son échec, ainsi que celui de Meaulnes, à la fin du roman.

Pour conclure, nous pouvons dire que l'onirique et le réel s'entremêlent, traduisant une rêverie
enfantine. Le personnage de François trouve un échappatoire au monde qu'il juge laid dans un
imaginaire merveilleux, ce qui invite à penser qu'il n'est pas un personnage qui tend à devenir un
homme, mais plutôt un adolescent qui refuse de grandir.
Alain Fournier écrira d'ailleurs, dans une lettre à Jacques Rivière, que «son livre futur sera peut-être
un perpétuel va-et-vient insensible du rêve à la réalité».

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