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Filière : Etudes françaises

Semestre3/ Session d’Automne


Module : 17
Matière : Analyse du Roman
Année Universitaire : 2020/2021
Professeur : Abderrahim Tourchli

Cours 7

Explication linéaire, Chapitre 6, pp.226-227-228 : «


Quand le printemps fut venu…Lassée, l’esprit et la chair
tranquilles »

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Après des années de détresse et de dur travail, La
blanchisseuse a pu réaliser certains de ces rêves : elle a eu sa
propre boutique et elle est devenue patronne. Ayant senti la
peur du spectre de Lantier, son ancien amant, elle va chercher
asile et protection dans la forge auprès de son ami Goujet.
Le texte à étudier se déroule en quatre mouvements :
1er mouvement : du « début jusqu’à le marteau sonore
mettait en fuite ses mauvais rêves » : Tentative de fuir le
spectre de Lantier.
2ème mouvement : de « Quelle heureuse saison jusqu’à du
chantier de démolitions : Description de l’univers ouvrier à
travers le regard de Gervaise.
3ème mouvement : de « Au fond, la forge luisait jusqu’à
car ils ne les entendaient même plus » : Description de
l’univers gigantesque de la forge.
4ème mouvement : de « Au bout d’un quart d’heure
jusqu’à la fin du texte » : Une scène d’érotisme idéalisé.

Axe de lecture :
Comment se présente une idylle dans une besogne de
géant ?

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1er mouvement : du « début jusqu’à le marteau sonore
mettait en fuite ses mauvais rêves » : Tentative de fuir le
spectre de Lantier.
Le texte s’ouvre sur le mot « printemps », saison de
l’éclosion, de la vie de la faune et de la flore. C’est une
occasion pour trouver refuge et échappatoire auprès de Goujet,
son voisin et son amant silencieux. Gervaise s’apparente donc
à une héroïne tragique qui cherche à fuir un milieu hostile et
angoissant. Elle est assaillie par son passé et l’image de son
ancien amant. En témoignent l’analepse narrative (retour en
arrière) « elle le voyait quitter Adèle.. » et le discours indirect
libre qui dévoile les pensées et les sentiments de l’héroïne:
« Il devait l’espionner, il tomberait sur elle un après-midi.. ».
A mesure donc que le passé de l’héroïne se dévoile, la fatalité
se met en marche comme une machine infernale. Le premier
amour surgit chez Gervaise auquel elle ne peut pas résister
( le premier amour est toujours le dernier) comme le montre
les expressions : « tremblante, sentir ses mains, des sueurs
froides, il l’embrasserait, ce baiser, il la rendait sourde.. » qui
corroborent le tempérament de Gervaise et sa sensualité.
Gervaise a donc peur de son passé, de l’avenir, de son
entourage, d’elle-même, elle a besoin d’un calmant cérébral,
d’où donc sa quête de la protection et du calme auprès de son
voisn la gueule d’or : « elle y redevenait tranquille et
souriante…mettait en fuite ses mauvais rêves ».

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2ème mouvement : de « Quelle heureuse saison jusqu’à du
chantier de démolitions : Description de l’univers ouvrier à
travers le regard de Gervaise.
Le passage à l’acte de Gervaise s’ouvre par un jugement
euphorique « Quelle heureuse saison ! ». Il s’opère via son
passage rue Marcadet. La description est faite via son regard
de par une sorte de travelling tout au long de ses
déambulations auprès des usines, des fabriques et de la
noirceur des cheminées. La focalisation interne est un procédé
qui permet de décrire le milieu à travers le regard de Gervaise,
témoin oculaire. Toute une isotopie de la béatitude corrobore
l’enchantement et la joie de Gervaise : « Heureuse, se sentait
légère, gaie, l’amusait, prenait plaisir… » et informe sur l’une
des caractéristiques de la texture naturaliste à savoir la passion
de la saleté, la beauté de la laideur et la fusion dans l’univers
ouvrier : « elle aimait l’horizon blafard, rayées par les hautes
cheminées des fabriques ».

3ème mouvement : de « Au fond, la forge luisait jusqu’à


car ils ne les entendaient même plus » : Description de
l’univers gigantesque de la forge.
L’arrivée à la forge est beaucoup plus marquée par un jeu
subtil sur le chromatique avec des couleurs lumineuses qui
miment la joie et l’allégresse vécues par les deux amants : «
luisait, jaune, blonds, toute rouge.. ». S’ajoute aussi la
présentation de Goujet qui incarne l’image de l’ouvrier
tranquille, exemplaire sobre et vaillant (Citons ici le mythe

4
d’Héphaïstos, dieu du feu et de la forge). Goujet mène sa vie
entre la forge et le logis. Il est l’amoureux silencieux de
Gervaise, un coin naturel et honnête dans sa vie : « Il y’avait
entre eux quelques chose de très doux qu’ils ne disaient pas ».
Leur amour est pur et spirituel et inavoué : « l’accueillait d’un
bon rire silencieux », « Ils n’échangeaient pas dix paroles ».
Il est nommé la gueule d’or, vu la couleur jaune de sa barbe. Il
incarne le portrait typique de l’ouvrier modèle. L’insistance
du narrateur sur la nudité n’est pas gratuite dans le texte, c’est
l’une des caractéristiques de l’écriture naturaliste : « les bras
nus, la poitrine nue ». Cela dit, Il n’en demeure pas moins de
mentionner le caractère instinctif et naturel d’un amour
authentique et intact liant les deux amants. La sonorité des
tapages de l’enclume, le regard et le gigantisme de la scène
suffisent pour générer l’apothéose des deux amants sans égard
aux « ricanements de Bec-Salé, dit bois – sans – soif ne les
gênaient guère, ils ne les entendaient même plus ». Loin d’un
entourage hostile et à l’intérieur de la forge, un amour courtois
unit Gervaise et Goujet dans un tableau des plus radieux.

4ème mouvement : de « Au bout d’un quart d’heure


jusqu’à la fin du texte » : Une scène d’érotisme idéalisé.

Une idylle platonique se noue entre les deux amants dans


la forge où Etienne (futur héros de Germinal) sert de Grouillot.
L’indice temporel « Au bout d’un quart d’heure » marque le
passage à l’état d’orgasme dans une scène d’érotisme idéalisé

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et de sexualité désincarnée. En témoignent les caractérisants
choisis dans la description de l’état de la blanchisseuse :
« étouffait un peu, l’étourdissaient.. », « les coups sourds »
qui miment en quelque sorte l’acte sexuel « la secouaient du
talent à la gorge ». Le plaisir atteint son paroxysme et le désir
est rassasié : « elle ne désirait plus rien alors, c’était son
plaisir ».
Il y a tout un passage du visuel à l’olfactif, du feu à la
pluie : « elle se rapprochait de lui pour sentir le vent de son
marteau sur sa joue », « elle jouissait au contraire de cette
pluie de feu ». Ainsi, le feu et l’eau font partie des quatre
éléments selon la théorie de Gaston Bachelard, ils revêtent la
même ambiguïté : « l’eau, comme le feu, purifie et
pourrit», nous dit-il. L’hyperbole « pluie de feu » ainsi que la
métaphore filée de la jouissance « bonheur, goûtait, la joie,
leurs amours, contentée, lassée, l’esprit et la chair
tranquilles.. » sont autant d’indices sollicités par le romancier
pour dépeindre un amour pur et courtois qui s’étend sur un
milieu ouvrier orageux, un amour qui remplit un espace
géant, ordurier et sale : « caresse noire de suie, écrasé, fer
écrasé pétrie »
L’espace est donc un témoin d’un amour idyllique, d’une
communion entre deux êtres qui s’aiment violemment un peu
à l’instar des deux amoureux du poète le lac de Lamartine :
« Que tout ce que l’on entend, l’on voit,l’on voit et l’on
respire
Tout dise : ils ont aimé ».

6
Ce texte, situé presque au milieu du roman, retrace l’un
des moments heureux dans la vie de Gervaise. D’ailleurs, il est
marqué par la présence d’une triade : virtualité (doutes et
manque de confiance en – soi de l’héroïne), passage à l’acte
(rendre visite à la forge), achèvement (désir rassasié à satiété)
« quitter la gueule- d’ores, contentée, lassée, l’esprit et la
chair tranquilles ». Le mandat narratif est assuré par un
narrateur démiurge qui se veut maître de son art et diseur des
choses très cachées. Derrière l’assouvissement du désir bafoué
de l’héroïne qui passe de la peur à la confiance, du malheur
au bonheur, de l’ordre au désordre, il y a tout un
assouvissement du désir narratif du lecteur et un plaisir du
texte.

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