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La fée du Léman

Virginie Népoux

Œuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0

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Heidi

Heidi s’ennuie. Elle lève la main.


« Oui, Heidi ?
- Il est quelle heure ? »
Jeanne, la maîtresse lève les yeux au ciel.
« Heidi, ta camarade est en train de faire un exposé, tu pourrais
écouter au lieu de demander l’heure. »
Heidi soupire. La plante à côté de la pendule l’empêche de voir si
la cloche va bientôt sonner. Salma, au tableau, montre un dessin avec
plusieurs bâtons de couleur. C’est un graphique. Heidi n’a même plus
la force de chercher à comprendre ce que ça veut dire. Elle n’a
qu’une hâte, rentrer à la maison. Aujourd’hui c’est vendredi, pas de
devoirs ! Elle pourra jouer aux jeux vidéo. Heidi a hâte. Elle regarde
son pupitre et sort une feuille de brouillon de sous un livre. Elle a
déjà dessiné une tête de cheval dessus. Son coeur bondit. Elle sourit.
Demain, c’est samedi ! Le jour de l’équitation ! Elle va revoir
Hermès, le beau cheval gris, presque blanc avec qui elle n’a peur de
rien. Même pas d’aller au galop. Son crayon recommence à courir
sur le papier. Et si on lui donnait Flicka ? La ponette pie au caractère
bien trempé lui fait peur. Elle ne veut jamais galoper avec les autres,
il faut insister, et la dernière fois, Heidi était tombée.
« Les enfants ! »
Heidi relève la tête. Salma ne parle plus, elle se tient devant le
tableau, ses longs cheveux noirs, un peu ondulés et pas très bien
coiffés tombant de part et d’autre de son visage dénué de toute
expression. Elle est un peu bizarre Salma. Quand elle parle, on ne
comprend pas bien. Elle prononce chaque mot comme si elle avait

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une boule de pain dans la bouche. Ou de la purée.
« Vous faites trop de bruit, ce n’est pas respectueux pour Salma ! »
dit Jeanne, fermement.
Le silence revient. Heidi se rend compte maintenant que tout le
monde parlait plus ou moins fort, ou faisait des bruits de crayon, de
chaise, tapotait sur sa table…
« Salma a eu la gentillesse de faire un exposé, déjà ce n’est pas
facile et en plus elle vient d’arriver dans la classe. Quand vous ferez
des exposés à votre tour, vous serez contents qu’on vous écoute ! »
Heidi retient un soupir. Ce n’est pas de sa faute si c’est ennuyeux,
ce que montre Salma ! Elle tourne la tête. Tigrane, deux places plus
loin, ne bouge pas, il regarde Salma. Est-ce qu’il trouve ça
intéressant ? Si ça se trouve, il pense complètement à autre chose.
Des fois, on croit qu’il écoute, mais il se raconte des histoires dans sa
tête. La maîtresse continue.
« En plus, c’est très important, ce dont Salma parle. Le
réchauffement climatique va bouleverser beaucoup de choses dans
les années à venir et… »
DING-DING-DING-DING !
« C’est la fin de l’école ! » crie Nolan.
Tout le monde recommence à parler.
Jeanne tape dans ses mains. C’est sa manière de demander le
silence. Elle a les sourcils froncés.
« Encore une minute ! »
Elle attend. Heidi sait que tant qu’il n’y aura pas de silence, ses
camarades et elle ne pourront pas ranger leurs affaires et partir. Elle
essaie quand même de ranger son crayon le plus silencieusement
possible dans sa trousse. Le bruit de la fermeture éclair qui se ferme
résonne dans la classe. La maîtresse la regarde. Heidi renonce.
« Je comprends que c’est un sujet difficile, et que ce n’est pas
forcément le vendredi soir que vous êtes les plus concentrés. Nous
remercions Salma pour ses efforts, et nous reprendrons la semaine
prochaine. Tu es d’accord, Salma ? »
La petite fille au tableau baisse les yeux, puis hoche la tête. Ses
vêtements gris, pas très jolis, accentuent son air un peu triste. Elle
relève les yeux vers la maîtresse. Ils sont très clairs, presque dorés.

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Une couleur assez fascinante. Elle hoche la tête.
« Bien, fait la maîtresse. N’oubliez pas de faire signer à vos
parents la feuille que je vous ai donnée pour la course d’école. Vous
pouvez ranger vos affaires et lever vos chaises ! Bon week-end à
tous ! »
Heidi se précipite. Elle range vite son dessin dans son cartable,
avec sa trousse, ses cahiers et sa pochette de devoirs. Puis elle monte
sa chaise sur son pupitre et court mettre ses chaussures. Tigrane en
est encore à fermer son sac. Pfff, il va encore sortir le dernier. Tant
pis, Heidi court vers la sortie.

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Amina

Amina n’ose pas sortir son ballon de foot de son sac, et encore
moins aller au terrain. Elle attendra d’abord que tous les enfants
soient partis. Le vendredi soir, au moins, personne ne s’éternise, tout
sera vide d’ici une dizaine de minutes, quand les bus auront fermé
leurs portes et que toutes les voitures des parents qui viennent
chercher leurs enfants seront parties. En attendant, elle pourra
toujours les regarder. Amina a toujours été fascinée par les voitures.
Son rêve ce serait d’en créer. Elle en dessine déjà tous les jours de
nouveaux modèles, des voitures tellement belles, si seulement elles
existaient !
Quelqu’un la bouscule, le sac de son ballon tombe au sol.
« Aïe ! »
Elle se frotte l’épaule.
« Oh pardon, je t’avais pas vue ! »
Urs éclate de rire. Il l’a fait exprès, comme à chaque fois. Amina
sent la colère monter en elle comme un feu. Mais elle ne dit rien, elle
se contente de regarder Urs d’un air méchant. Sa mère lui a toujours
dit qu’il ne fallait pas faire d’histoires. Elle se baisse pour ramasser
son sac, mais Urs, qui rit toujours, la devance soudain. Il lui arrache
presque la lanière des mains et dit, très fort :
« Eh ! C’est quoi ça ? »
Il sort le ballon du sac.
« C’est à toi, ça ? Ou tu l’as piqué à ton frère ?
- Rends-le-moi ! »
Urs lève haut le bras.
« Attends, on va voir s’il est bon ! »

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Il court vers le terrain.
« Rends-le-moi ! » crie Amina en lui courant après.
Mais Urs est déjà arrivé au bord du terrain, et d’un coup, il shoote
de toutes ses forces et envoie le ballon à l’autre bout. Amina est
tellement énervée que ses oreilles la brûlent.
« Pourquoi tu as fait ça ? »
Urs se retourne et lui fait une horrible grimace.
« Il est comme toi ton ballon, il est nul ! »
Le ballon, de l’autre côté du terrain, a disparu. Il a roulé jusqu’aux
les buissons. Amina crie à Urs :
« Va le chercher !
- Tu me prends pour ton chien ? De toute façon, t’en as pas
besoin, tu es nulle ! Le foot c’est pas pour toi ! T’es une fille, t’as pas
remarqué ? »
Il part en courant vers les bus, laissant Amina poursuivre son
ballon toute seule avec sa colère. C’est toujours pareil, quand il
l’embête, elle ne sait pas quoi lui répondre, et les idées viennent
quand il est déjà parti. Mais là, l’urgence, c’est le ballon. Il a déjà
disparu quand elle arrive au bout du terrain. Amina soupire. Il va
falloir descendre dans les ronces ! L’herbe est glissante. Amina
hésite. Soudain, une petite fille passe à côté d’elle.
« Je le vois ! »
Elle pointe le doigt vers un fourré dense. Comment ce ballon a-t-il
réussi à aller se cacher aussi loin ? Amina sent sa lèvre trembler.
« Il est fichu, je ne vais jamais pouvoir le récupérer… »
La petite fille à côté d’elle secoue sa tête rousse.
« Attends… Je crois que si je passe par là… »
Elle se laisse glisser le long de la pente et commence à se faufiler
sous les arbustes.
« Par là… Aïe ! »
Elle s’est accrochée dans une ronce. Amina descend à son tour
pour l’aider. Après tout, elle est la plus grande, et c’est son ballon,
elle ne peut pas laisser cette petite fille tout faire toute seule.
« Tu fais quoi, Heidi ? Je t’ai jamais vu courir aussi vite ! »
Amina tourne la tête. Un petit garçon est là. La fillette lui répond
en haussant les épaules :

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« C’est pas parce que je déteste courir que j’en suis pas
capable… »
Le garçon commence à descendre à son tour, au galop, sans faire
attention aux branches et…
« Aïe aïe ! C’est plein de ronces ! »
Voilà, il a glissé et est tombé de tout son long dans le roncier ! Un
oiseau noir à bec jaune s’enfuit en criant. Amina attrape la main du
petit garçon.
« Viens par là ! »
À chacun de ses mouvements, d’autres branches s’accrochent à
lui. Moitié riant, moitié criant, il tente de se dégager sans succès.
« Calme-toi ! Tu vas te blesser ! Arrête de bouger, je vais te dire
quoi faire. »
Amina guide l’enfant : d’abord le bras droit, puis le gauche,
décrocher l’épine à sa manche, tirer un peu, s’appuyer sur l’arbre
pour se relever… Enfin, le voilà dégagé, mais son T-shirt est troué en
plusieurs endroits ! La petite fille, de son côté, a attrapé le ballon. Les
trois enfants remontent la pente vers le terrain de foot.
« Merci, fait Amina avec un grand sourire quand la fillette aux
boucles rousses lui remet son ballon. Comment t’appelles-tu ?
-Heidi ! Et voilà mon copain Tigrane. »

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Tigrane

La course d’école approche. Le soleil brille. Les enfants jouent


dans la cour de récréation. Heidi, Tigrane et Amina, depuis l’incident
du ballon, sont devenus très amis. Ils mangent ensemble à la cantine
le lundi et le mardi, quand Heidi ne mange pas chez elle. Le
vendredi, c’est Amina qui mange chez elle, car son papa prend sa
journée pour s’occuper de sa petite sœur. Aujourd’hui, c’est lundi et
pourtant, Tigrane hésite à rejoindre tout de suite ses amies. Heidi est
partie sans l’attendre, comme d’habitude. Il croyait être le dernier
dans le vestiaire, à mettre ses chaussures, mais un petit bruit venant
de l’escalier du dessus le détrompe. Salma est là, assise sur la marche
la plus basse. La tête sur les genoux, elle pleure. Tigrane pense savoir
pourquoi.
Aujourd’hui, pendant le cours de sciences, on a parlé du cycle de
l’eau potable. Salma n’arrêtait pas de lever la main. Elle a même
contredit la maîtresse. Jeanne était en train d’expliquer que l’eau des
égouts, celle qui sort de nos toilettes, de nos lavabos, celle que l’on
utilise et salit, doit être nettoyée dans des sortes d’usines que l’on
appelle stations d’épuration. On filtre les grosses saletés, et on laisse
ensuite des microbes nettoyer ce qui reste dans de grands bacs.
Ensuite seulement, on remet l’eau dans les rivières. La maîtresse a dit
que cette eau était propre, et Salma a crié « C’est pas vrai ! Elle est
encore sale ! », sans même lever la main.
La maîtresse était très étonnée, parce que Salma est toujours très
polie, attentive et tout. Elle a dit :
« Qu’est-ce que tu racontes, Salma ? Une fois que l’eau est passée
par la station d’épuration, elle est propre, c’est le but de la station.

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- Ce n’est pas vrai ! Elle pue encore, et des fois elle est
dangereuse ! »
Tigrane n’avait jamais vu Salma ainsi. D’habitude, quand on la
contredisait, elle se taisait, et parfois pleurait un peu en silence, mais
là, elle était comme folle de rage qu’on ne la croit pas. La maîtresse a
repris :
« C’est grâce aux stations d’épuration que l’on a pu mettre fin aux
grandes pollutions du Léman. Saviez-vous, les enfants, qu’avant cela,
l’été, l’eau du lac devenait toute verte ? C’était à cause des résidus de
lessive. Quand on faisait la lessive, l’eau du lavage partait ensuite
dans les égouts et directement dans la rivière. Or, pour laver le linge,
la lessive contenait des phosphates, que les algues adorent ! Au
printemps et en été, grâce aux phosphates, les algues poussaient
beaucoup, dans les rivières et dans le lac, où se jettent les rivières.
Quand on se baignait dans le lac, on ne voyait plus ses pieds
tellement l’eau était verte ! Oui, Nolan ?
- Moi, quand je vais me baigner dans le lac, au début je vois mes
pieds, et puis quand j’avance, je ne les vois plus !
- Oui, c’est parce que dans le lac, il y a de la vase, que tu remues
en marchant. Mais là, ce dont je te parle, c’était la couleur verte que
prenait l’eau à cause des algues microscopiques qui se multipliaient
dedans. Et encore pire… À la fin de l’été, les algues mouraient à
cause de la chaleur, et commençaient à se décomposer ! L’eau
devenait marron… »
Là, la maîtresse avait dû s’interrompre, parce que tout le monde
faisait « Beaaarkkk ».
« Et en plus ça sentait terriblement mauvais ! »
La maîtresse s’était bouché le nez comme si elle sentait une odeur
repoussante, et toute la classe avant ri.
« Mais le pire, c’est que ça faisait mourir les poissons, parce que
les microbes qui mangeaient ces algues utilisaient aussi tout
l’oxygène de l’eau. Alors les poissons ne pouvaient plus respirer.
Oui, Heidi ?
« Ils respirent dans l’eau, les poissons ?
- Oui, ils ont des branchies sur les côtés de la tête. Avec, ils
peuvent capter l’oxygène dans l’eau, comme nous le faisons avec nos

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poumons pour l’oxygène dans l’air. Alors pour arrêter cette pollution
qui tuait les poissons, on a pris deux décisions. Avez-vous une idée
desquelles ? »
Tigrane avait levé la main.
« On a fait des stations d’épuration pour nettoyer l’eau avant
qu’elle aille dans les rivières, comme ça, le lac et les rivières ont pu
rester propres.
- Voilà. Et on a interdit d’utiliser les phosphates dans les
lessives. »
Puis la maîtresse avait repris le schéma du cycle de l’eau potable
et Salma avait séché ses yeux et n’avait plus rien dit.

Tigrane s’approche de Salma. Il est embêté pour elle, mais ne sait


pas trop quoi faire. Il regarde vers la porte, puis se dandine d’un pied
sur l’autre, et il dit, finalement :
« Tu sais, pour le Léman… »
Salma relève la tête, ses grands yeux rougis de larmes.
« Euh… Pour le Léman, l’espoir n’est pas perdu, tu sais…
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Puisqu’on a déjà réussi à nettoyer l’eau une fois… »
Salma essuie ses yeux. Tigrane reprend :
« Tu manges à la cantine ?
- Oui…
- Tu peux venir avec Amina, Heidi et moi, si tu veux. »
Salma le regarde sans rien dire. Elle a vraiment l’air perdue. Ses
cheveux sont emmêlés, ses joues rouges… Elle n’a aucun ami dans la
classe. Elle parle lentement et ne s’intéresse pas à ce que les autres
enfants aiment. Elle ne parle que de nature, de rivières, de poissons…
Tigrane sourit :
« Viens manger avec nous. Moi j’adore parler d’animaux. Mes
préférés ce sont les lézards et les serpents. Heidi, aussi, elle aime
parler d’animaux. Mon petit frère, Camille, adore les poissons, je
suis sûr qu’il aimerait beaucoup parler avec toi ! »
Salma sourit à son tour.

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Urs

DING-DING-DING-DING !
Urs soupire de soulagement. Il en avait plus qu’assez de ce cours
de géographie ! À quoi ça sert d’apprendre par cœur les noms des
fleuves de Suisse ? Il attrape sa récré : un sandwich au chocolat
emballé dans du papier d’aluminium et fonce vers la sortie. Au
passage, il bouscule le pupitre d’Amina pour l’embêter, et une pile de
livres tombe au sol. Il dévale l’escalier comme s’il n’avait pas
entendu le cri de protestation de Lucie, la voisine d’Amina. Qu’elles
se débrouillent. Il balance l’emballage de sa récré dans la poubelle, et
arrive enfin au grand air. Là, il se précipite pour être le premier au
terrain de foot. Cette fois, ce sont les 7èmes qui y ont accès, alors il
est temps d’en profiter !
Soudain, son pied accroche quelque chose. En pleine course, il
perd l’équilibre et s’étale de tout son long sur le bitume de la cour !
La douleur est atroce, elle envahit tout le bas de son visage. Les
larmes lui montent aux yeux, mais il ne pleurera pas, ce sont les
fillettes qui pleurent, c’est ce que son papa lui dit toujours !
Scandalisé, le menton en sang, il se retourne pour voir qui lui a joué
ce tour pendable.
Une fillette, c’est justement ce qui lui fait face. Quoi, c’est cette
idiote qui lui a fait un croche-patte ? Elle le regarde fixement avec
des yeux ronds, jaunes, complètement stupide. Il se relève, essuie ses
mains écorchées contre son T-shirt, le maculant de sang, et arrive
enfin à articuler :
« T’es complètement tarée, toi ! Tu vas voir ce qui se passe quand
on me fait un croche-patte ! »

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Il avance vers elle, la main levée, mais quelqu’un s’interpose.
C’est cette bobette d’Amina !
« Dégage, toi ! dit Urs, flamboyant de colère.
Une fillette aux cheveux roux s’esquive.
Amina lève les bras devant elle et dit, à l’intention d’Urs :
« Tu t’es encoublé sur son sac, elle t’a pas fait de croche-pied !
- Elle avait qu’à pas le laisser là ! Merde, t’as vu tout ce sang ?
C’est de sa faute ! »
Urs ne se sent pas très bien. Il sent le sang qui dégouline le long
de son menton. Plusieurs élèves se sont approchés. Tout le monde le
regarde. Un gamin vient prendre la main de l’autre andouille aux
yeux de poisson frit. Un tout petit, à peine un 5ème, et il dit :
« C’est toi qui regardais pas où tu allais ! »
C’est quoi ce morveux qui se permet de lui répondre ?
« Répète, débile ? »
Le gamin ne répond pas. Urs ne supporte pas ces gosses qui se
croient tout permis, qui ne respectent rien. Il faut tout leur apprendre.
Peut-être qu’avec une bonne claque, la leçon rentrerait ? Il lève la
main vers le gamin, qui recule en entraînant la fille avec lui. Amina
retient Urs par le bras.
« Tu vas pas frapper les petits ?
- Lâche-moi, sale peste ! »
Il envoie sa main dans le visage d’Amina, qui se protège de son
bras levé et pousse un cri.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? »
Une maîtresse arrive en courant, c’est la petite rouquine qui l’a
apellée.14
« Amina ? C’est toi qui as fait ça ? demande la maîtresse.
- Non ! Il est tombé ! »
Urs se dégage le bras brutalement.
« C’est eux, là, qui m’ont fait tomber !
- Mais pas du tout ! Il s’est pris les pieds dans le sac de Salma. »
Autour, tout le monde rit. Les joues brûlantes, Urs ramasse son
sandwich au chocolat. Il est plein de graviers maintenant. Urs est
furieux. Il a envie de massacrer les deux gamins qui l’ont fait tomber
et lui ont tenu tête. C’est à cause d’eux que tout le monde se moque

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de lui. Il les accuserait bien de l’avoir fait exprès, mais en même
temps il ne veut pas reconnaître devant les autres qu’une enfant si
petite ait pu le faire tomber et lui faire aussi mal. La maîtresse des
petits s’avance vers lui.
« Montre-moi ton visage.
- C’est rien ! fait Urs, boudeur.
- Viens avec moi, on va regarder s’il faut t’emmener aux urgences
faire des points de suture. »
Urs se sent pâlir.
« C’est rien je vous dis ! »
La maîtresse le prend par le bras.
« Viens. On va s’occuper de toi. »
Urs fusille Amina et ses complices du regard. Ils vont lui payer ça.

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La course d’école

Enfin, le jour de la course d’école est arrivé ! Les enfants sont tout
excités. Ce matin, le soleil était au rendez-vous, augurant d’une
journée magnifique au bord du Léman. On va aller voir les oiseaux à
Préverenges, puis on va manger à la plage, et enfin on fera un tour en
bateau avant de rentrer à l’école. La 5A et la 7E partageront cette
journée mirifique. C’est parti !
Pour cette journée hors norme, la maîtresse des 5 A et le maître de
classe des 7 A ont demandé à deux collègue et deux parents de venir
accompagner leur sortie. La maman de Tigrane est de la partie, elle a
amené son petit frère, Camille, et la moitié des élèves s’est
agglutinée autour d’eux, dont Amina et Heidi.
« Il est trop mignon !
- Regardez ses grands yeux !
- Oh, il nous a dit bonjour avec sa petite main !
- Tigrane, il est trop chou ton petit frère ! »
Tigrane hausse les sourcils.
« Ben quoi, il y a rien de spécial, c’est juste un bébé. »

Arrivés au bord du lac, les enfants se précipitent sur la plage.


Celle de Préverenges est très grande et belle. Certains viennent déjà
ici avec leurs parents, de temps en temps. Amina court vers les
vagues, Heidi pose sa serviette à quelques pas des vagues.
« Tu viens ? fait Amina, qui a déjà de l’eau jusqu’à la taille.
- Non, je n’ai pas trop envie… »
Amina hausse les épaules et plonge dans l’eau. Heidi enlève sa
jupe et s’asseoit sur sa serviette. Jeanne avait dit que l’on pouvait se

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mettre en maillot de bain, alors elles l’ont fait, même si elles n’ont
pas la même conception des activités de plage. Tigrane et Salma, par
contre, restent prudemment en retrait, et tout habillés. Tigrane dit :
« Moi je ne sais pas nager et je n’aime pas l’eau, mais toi ? À la
piscine, tu nages comme un poisson,. Pourquoi tu ne vas pas avec
elles ?
- Je n’ai pas envie. Je préfère rester là, répond Salma avec un
frisson. Et je n’aime pas les oiseaux, ils me font peur.
- Ah bon ? Mais pourquoi ? Il n’y a rien de plus joli qu’un oiseau !
Enfin… À part un beau lézard plein de pointes, ou un joli serpent. »
Salma secoue la tête.
« Ils ne sont pas tous dangereux, mais ils me font quand même
peur. Surtout les grands tous noirs qu’on voit là-bas.
- Les grands cormorans ?
- Oui, et les oiseaux de mer, là. Les mouettes, les goélands…
- Moi j’adore les sternes ! Ce sont mes oiseaux préférés. »
Salma jette un drôle de regard à son ami.

Après la baignade, les enfants sont un peu plus calmes. Au point


qu’ils peinent un peu à se rhabiller et se remettre en route ! Pourtant,
l’île aux Oiseaux n’est pas très loin, à peine à dix minutes de marche.
C’est une réserve naturelle « intégrale », ce qui signifique que
personne n’a le droit d’y aller. Hors de question, donc, de mettre un
pied dedans, c’est le royaume… des oiseaux ! Tigrane est aux anges.
Impossible de le dévisser de la longue-vue que Jeanne a réservée à sa
classe, en face de la grande plateforme sur laquelle les sternes
pierregarrin sont en train de nicher. Soudain des cris retentissent :
« Oh, c’est trop mignon ! Ils portent leurs bébés sur leur dos ! »
Une famille de grèbes huppés passe tout près du bord. Montés sur
l’un de leurs parents comme sur une barque de plumes, les petits
jettent des regards satisfaits autour d’eux. L’autre parent plonge et
leur rapporte de minuscules poissons à manger.
Perchée sur les rochers tout au bord du lac, Heidi les contemple
d’un air songeur. On doit être bien dans cet édredon de plumes ! Pas
besoin de se lever, de courir, on nous apporte à manger…
Tigrane pousse un cri d’agacement.

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« Maiiiis, Camiiiille ! »
Le petit garçon s’est accroché à son grand frère pour regarder à
son tour dans la lunette, empêchant Tigrane de suivre le gracieux
mouvement des sternes au-dessus de la plateforme. Ils luttent un
moment en silence quand leur maman vient demander à Tigrane :
« Peut-être que tu peux lui expliquer comment on regarde ?
- Mais il n’arrête pas de pointer la longue-vue vers le ciel !
- Attends, assiez-le sur tes genoux…
- Ah non, hors de question !
- Tigrane, fait la maîtresse, de toute façon tu regardes depuis
longtemps, il faut aussi laisser un peu la place aux autres, non ? »
À contrecœur, Tigrane quitte son poste d’observation, et Camille,
enchanté, prend sa place, debout sur la chaise, et regarde dans la
longue-vue à l’envers. Tigrane sort ses jumelles et se met à suivre la
danse des sternes pierregarin qui plongent sans relâche pour apporter
du poisson à leurs petits sur la plateforme. Pendant ce temps, la
maîtresse explique pourquoi les grands cormorans étendent leurs
ailes.
« Quand ils plongent, leur plumage s’imprègne d’eau, parce qu’ils
ne l’imperméabilisent pas autant que les autres oiseaux. Donc ils font
sécher leurs ailes comme ça, en les étendant au vent. »
La maîtresse tend la main.
« Regardez ces petits canards noirs, là-bas. Ce sont des fuligules
morillons. Avec la longue-vue vous pourrez les regarder de près. Ils
plongent aussi, mais l’eau ruisselle sur leurs plumes. »
Tigrane sourit. Il est content d’être ici, avec ses amies. Il n’a pas
vu le regard mauvais qu’Urs lui a jeté, ainsi qu’à Heidi, lorsque sa
classe arrive à son tour pour observer la plateforme.

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Balade sur le lac

Après le pique-nique à l’embouchure de la Venoge, il est déjà


temps de revenir au parking pour reprendre le bus. On part à Ouchy,
où le bateau nous attend !
Dans le bus, les enfants chantent à tue-tête sur l’air que leur donne
leur maîtresse. Ce sont des poésies et des chansons apprises en classe
tout au long de l’année, « Feuille rousse, feuille folle » et autres
chansons liées aux saisons.
Quand le bus arrive à Lausanne, tout le monde est surexcité.
« Ça nous change des débuts d’après-midi en classe ! » dit Jeanne.
« Et si on faisait un petit cours d’allemand, maintenant que vous êtes
tous pleins d’énergie ?
- Oh non, grogne un élève, je sens que ma digestion va reprendre
le dessus… »
La plupart des enfants n’est jamais montés sur un bateau. Tigrane
appréhende un peu. Il aime bien patauger dans l’eau, mais comme il
ne sait pas encore tout à fait nager, aller sur le bateau l’inquiète un
peu. Mais ce n’est rien à côté de Salma qui paraît littéralement
blanche de peur.
« Tu n’aimes pas les bateaux ?
- Je n’ai pas envie d’aller sur le lac. Je n’aime pas cette eau, j’ai
peur de me mouiller avec. »
Heidi lui lance un regard dubitatif.
« Tu n’as pas de problèmes avec l’eau en cours de piscine,
pourtant ?
- C’est cette eau-là que je n’aime pas. »
Un rire grince à côté de Salma. C’est Urs, qui a tout entendu.

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« T’es vraiment la reine des trouillardes. »

Le bateau est grand, et très beau. Les deux classes peuvent monter
dedans, et les élèves peuvent tous s’asseoir à l’intérieur. Les
enseignants avaient pensé que s’il pleuvait, il faudrait abriter les
enfants ! Mais aujourd’hui tout est clair. Les enfants montent à bord,
et après l’exposé des consignes de sécurité, beaucoup choisissent de
rester sur le pont pour profiter de la vue. Quand le bateau démarre,
des cris de joie retentissent. Les vagues portent le navire, les Alpes,
sur la rive d’en face, se découpent sur le ciel bleu. On est partis.

Pendant la première demi-heure, la plupart des élèves reste en


plein air, mais rapidement le confort des sièges abrités du vent fort
qui leur fouette le visage les attire. On sort des jeux du sac, des en-
cas, et on va en profiter à l’abri.
Heidi et Amina restent seules à l’arrière du navire. Elles sont
hypnotisées par les remous de l’eau soulevée par leur passage. Les
vagues écument avec force et l’infini des bleus qui se déclinent dans
les bouillonnements ravit leurs yeux. Soudain, Amina n’en croit pas
ses yeux.
« Tu as vu ça ? »
Heidi ouvre la bouche de surprise.
« C’était quoi ?
- On aurait dit un énorme poisson !
- Regarde, on le voit encore !
- Je vais chercher les autres, fait Amina. Il faut qu’ils voient ça ! »
Tigrane et Salma sont déjà dehors. À l’intérieur, Salma a vomi son
pique-nique et son visage est encore plus pâle que tout à l’heure.
Jeanne l’a envoyée prendre l’air et Tigrane, qui rêvassait en
imaginant des histoires de dragons dans les montagnes, s’est porté
volontaire pour l’accompagner. Accroché à sa jambe, il traîne le petit
Camille qui ne veut pas quitter son grand frère.
« Venez voir ! » crie Heidi.
Tigrane s’approche du bastingage mais Salma reste prudemment
près de la porte.
« Regardez, il y a un… »

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Un cri retentit. Heidi, Tigrane et Amina se retournent juste à temps
pour voir Urs, hilare, un seau vide à la main, faire face à une Salma
dégoulinante d’eau. Urs les regarde, goguenard :
« Ben quoi, elle s’était salie, je l’aide à se laver ! » dit-il.
Les grands yeux de Salma se remplissent de larmes. Elle s’écroule
sur le pont. Sous le regard médusé de ses camarades, ses jambes se
transforment en queue de poisson argentée à points noirs et rouges.
« Salma ! » crie Heidi
Salma porte les mains à sa gorge, comme si elle pouvait plus
respirer. Elle agrippe le bastingage et d’un violent battement de sa
queue de poisson, se hisse et bascule de l’autre côté. Elle tombe dans
le lac.
Les quatre enfants se regardent, médusés. Une rafale de vent
balaye le pont. Le soleil a disparu. Le ciel est maintenant voilé de
nuages sombres, presque violets. Les eaux vertes du lac, frangées de
blanc, font tanguer le navire. Un coup de tonnerre retentit. Camille se
met à pleurer. Une pluie diluvienne se met à tomber. Les cris des
enfants, à l’intérieur du bateau, retentissent comme l’embarcation
tangue de plus en plus fort. Tigrane heurte le bastingage, rattrapé de
justesse par Amina. Une gigantesque vague s’abat sur eux. Urs hurle.
Les enfants sont précipités dans les vagues.

20
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