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ESCAMPETTE

Marion Guilloux

1.
PERSONNAGES :

Escampette
Maman
Madeline
Amanda
La maîtresse
Muse de rue
Voix-o
Présentatrice
Choeur d’enfants
Un élève

Ce texte a été écrit pour trois comédiennes. Il s’agit d’une commande pour la compagnie
du Peut-Être.

2.
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Escampette (face public)

Ce midi, j’ai quitté l’école avec un secret qui n’arrêtait pas de grossir.
Pas quelque chose de minus qu’on pourrait cacher sous un caillou ou un galet et que si
quelqu’un tombe dessus, c’est pas trop grave, peut-être même que ça pourrait faire un
peu plaisir. Non.
Un vrai-lourd secret, comme si c’était dans mon ventre le caillou et le galet, et même tous
les cailloux et les galets de la plage.
Mon ventre.
Une pierre de silence que j’arrive plus à porter.

J’sais pas trop comment ça a commencé. Ça fait comme un noeud dans ma tête.
J’sais même pas trop bien comment expliquer.
Comme on raconte une pluie de cailloux qui s’amoncelle ?
Ou des grêlons peut-être, qui me tombent dessus.

Je suis passée devant la boulangerie, l’arrêt de bus, j’ai dépassé notre appartement.
J’ai même commencé à courir un peu, pour que personne me rattrape.
J’suis un bonhomme, quand je prends une décision, on peut pas me faire changer d’avis
en claquant des doigts.

Voilà.

Çette histoire, ça commence pas par « Il était une fois ».


Ça commence le jour de la rentrée …

Cour de récré

Cris d’enfants et cavalcade. Escampette est en grande conversation avec sa copine


Madeline.

Escampette
Et puis ensuite, il lui fait une série de coups de poing et à ce moment-là, bim ! Il se prend
un uppercut dans le nez et il tombe comme une grosse crêpe au milieu du ring ! Et là,
tout le monde pense que c’est chu ou foutu ou ce que tu veux, mais à la place il se
relève et il contre-attaque et y a de la sueur qui lui coule …

Madeline
C’est dégueu ton truc.

Escampette
Quoi ?

Madeline
Bah ton truc là
C’est hyper violent
Y a du sang de partout.

3.
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Escampette
C’est pas un truc, c’est de la boxe !

Madeline
Et ta mère, elle te laisse regarder ça ?

Escampette
Bah non
Mais avec son nouveau travail, elle peut pas savoir c’que j’fais
C’est à moi d’me gérer comme une grande, tu vois ?

Madeline
Ah ouais
Tu gères vachement.

Escampette
Ouais.

Madeline
Moi j’aime pas trop faire des secrets à ma mère
De toute façon, quand j’fais des bêtises, elle s’en rend compte direct. Alors bon …

La sonnerie de l’école retentit. A ce moment-là, apparaît Amanda. Petite lle désinvolte et


souriante. Elle a quelque chose de plus adulte que les lles de son âge. Elle rejoint sa
bande de copines et on les entend rire au loin. Escampette et Madeline la regardent
passer.

Madeline
Au collège, elle va tous les faire craquer
Tu crois qu’on sera belle, nous aussi, un jour ?

Escampette ne répond pas.

Madeline
Tu t’en ches toi
Y a que tes trucs de boxe qui comptent.

Escampette
Ouais.

Madeline
Y a des moments t’es un peu bizarre, tu sais ça ?
C’est pas comme ça qu’on va attirer les garçons.

Escampette
Ptêtre que ça m’intéresse pas.

Madeline
Ptêtre.
Bon bah à plus !

4.
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Les deux amies se séparent, au moment de sortir, Madeline se fait violemment bousculer
par Amanda.

Amanda
Eh la bigleuse ! Fais ga e où tu mets les pieds !

Rire de la bande d’Amanda. Madeline s’excuse un peu platement.


Escampette regarde la scène sans intervenir.

Escampette (face public)


La cour de récré, c’est un peu devenu la jungle pour les nuls. Avec plus de couettes, des
pantalons, des jupes, des baskets et tout le tralala qui nous di érencie entre espèces.
L’année prochaine, on rentre en 6ème et c’est comme si nous, les garçons et les lles, on
s’était mis d’accord pour plus trop se parler, ni s’approcher. On devient des troupeaux
di érents. On sait plus trop si on s’aime bien, si on se déteste ou si faut trouver une
nouvelle manière de s’apprivoiser. (Léger silence) Ensuite, y a une autre classi cation.
D’un côté les animaux à grandes canines et de l’autre, le bas de l’échelle alimentaire.
On les reconnaît, parce qu’ils sortent leurs goûters en catimini en jetant des regards
autour, comme si un Tricératops pouvait débouler à tout moment pour leur piquer. (Léger
silence) Dans notre école, y en a, ça existe. J’sais pas si c’est la faute à l’école ou aux
parents des grandes canines ou à autre chose que j’comprends pas bien. J’sais pas trop
qui les met en culture, mais ça grandit. On en parle pas entre nous, comme si, d’en parler,
ça pouvait faire qu’on allait se retrouver sur leurs listes. On fait comme si ça n’existait
pas.

Dans la rue

Rond de lumière au sol. Escampette est de dos. Elle porte un maillot de sport trop grand
pour elle. Elle s’échau e et saute un peu sur place en mettant des coups dans le vide.

Voix-o
Et maintenant, Mesdames et Messieurs, veuillez accueillir avec des hourras avec des
Youhou et des hiphiphip, notre cha-llen-geuse ! L’indépassable, La Number one du
classement, avec plus de 81 combats à son actif et 51 victoires par KO, la grande,
l’inénarrable, la magni que …

Muse de rue
Oh ! Attention petite ! Tu viens d’envoyer valdinguer mon salaire de la journée !

Escampette regarde autour d’elle, hébétée. Elle marche dans la rue en rêvassant et
s’aperçoit qu’une femme est plantée devant elle et la regarde, furieuse.

Escampette
Pardon … J’avais pas vu.

Muse de rue
Ah bah oui ! Ça j’ai sacrément bien vu que t’avais pas vu. Et on fait comment
maintenant ? T’as tout envoyé dans le caniveau !

5.
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Escampette
J’sais pas… Pardon !

Elle s’enfuit en courant.

Muse de rue
Eh ! Si t’ouvres pas les yeux, les problèmes, quand ils vont t’arriver, t’auras pas eu le
temps de les voir venir ! (Elle éclate de rire)

A la maison

Escampette rentre chez elle, essou ée. Sa mère arrive en pyjama dans la cuisine, pas
bien réveillée.

Maman (en bâillant)


Alors cette première journée ?

Escampette
Très bien.

Maman
Très bien. Sans plus ?

Escampette
Si, si.

Maman
Si, si quoi ?

Escampette
Rien.

Maman
Tu me fais la tête ?

Escampette
Non.

Maman
Non quoi ?

Escampette
Rien.
C’est juste que c’est bizarre.

Maman
Qu’est-ce qui est bizarre à la n !
6.
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Escampette
Que quand je rentre t’es en pyjama.

Maman
Mon bonhomme, on en a déjà parlé
Il n’y en a plus que pour quelques mois
Le temps que je trouve quelque chose de mieux.

Escampette
Oui.

Maman
Allez, raconte-moi un peu.

Escampette part se chercher un goûter et revient.

Escampette : (la bouche pleine de gâteau)


Bah, j’suis pas dans la classe de Madeline. Mais, j’sais pas
Elle devient un peu bête
Elle pense qu’aux garçons. Et la maîtresse, j’sais pas
C’est le premier jour, mais déjà faut qu’elle crie quand elle parle
Et on a pleins de devoirs pour demain. C’est nul …

Maman
Tu mets des miettes partout.

Escampette ne répond pas.

Maman
Mince, j’ai pas vu l’heure passer
Faut que j’y aille.

Escampette
Je sais.

Maman
Je t’ai laissé des pâtes dans le frigo
Tu peux les mettre au micro-onde et il y a le parmesan…

Escampette
Je sais.

Maman
Tu veux pas me faire un sourire au moins ?
Ça me donnera du courage pour aller travailler !

Elle veut prendre Escampette dans ses bras, mais celle-ci se dé le.
Soupir attristé de la mère qui part se préparer en vitesse.

Maman
A demain matin, mon bonhomme
7.
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Si tu as un souci, tu m’appelles d’accord ?

Elle s’en va. Escampette sort de son cartable, trousse et cahier et se met à ses devoirs en
vitesse. Elle lit la consigne à voix haute.

Escampette
Décrivez votre héros ou héroïne dans la vie
En 10 lignes
Expliquez pourquoi il ou elle est important(e) pour vous.

Elle se met au travail, écrit, se déconcentre, commence à rêvasser, sa tête dodeline, elle
s’endort sur la table.

Rêve d’Escampette

On entend la sonnette signi cative de la n d’un match de boxe.

Voix-o
Et c’est encore une victoire écrasante pour notre challengeuse, notre indépassable
championne toute catégorie ! Quelle grâce dans la défense ! Quelle souplesse dans les
gestes ! C’est une danse virtuose ! Elle n’attaque pas, elle virevolte. Ses pieds ne
touchent même plus le sol ! Admirez cette maîtrise parfaite ! Elle ne semble même pas
fatiguée, à peine quelques gouttes de sueur sur le front !

Retour du rond de lumière. Escampette, son maillot de sport trop grand pour elle,
s’avance, victorieuse et souriante. Elle fait des grands signes autour d’elle, pour remercier
la foule d’être aussi chaleureuse.

Escampette
Merci beaucoup !

Voix-o
Alors, alors, parlez-nous de vous
D’où vous vient ce talent jusqu’ici inégalé ?

Escampette
Beaucoup de travail
En même temps, j’ai la meilleure entraîneuse qui soit …

Sa mère entre, souriante et maquillée. Elle porte un bouquet de eurs qu’elle tend à sa
lle.

Maman
Je suis tellement ère de toi
Tu t’es bien défendue, mon bonhomme !

La mère et la lle s’enlacent tandis qu’on entend des applaudissements fuser dans toute
la salle.
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Voix-o
C’est une séquence d’émotion absolument inoubliable ! La mère et la lle réunies ce soir
pour célébrer cette victoire écrasante… Quel spectacle mes amis, le monde de la boxe
n’a qu’à bien se tenir, une nouvelle étoile est née …

Bruit d’un réveil. Escampette regarde autour d’elle, hagarde. Un coup d’oeil à l’heure lui
fait comprendre qu’elle est en retard pour aller en cours. Elle range ses a aires en vitesse,
en le un tee-shirt, se prépare un chocolat, l’avale, en renverse une partie sur son tee-shirt,
hésite un instant à se changer et puis non. Elle attrape un pull qui traîne dans un coin et
sort.

Dans la rue

Amanda s’extraie maladroitement d’une voiture qui pile devant l’arrêt de bus. Elle est
décon te, au bord des larmes.

Voix dans la voiture


Arrête de chouiner là ! T’as quoi ? T’as cinq ans, c’est ça ? J’en peux plus d’voir ta tête
de miséreuse dès le matin.
Va falloir se prendre en main ma petite, parce que c’est pas comme ça qu’on réussit dans
la vie, j’te le dis ! Tu m’réponds pas. Tu m’réponds pas, c’est clair ?
J’veux plus t’entendre. Maintenant tu prendras le bus comme tout le monde, comme ça
j’aurai plus à supporter ta face de pleureuse dès 8h.
Allez, tu sors. Tu sors, j’te dis !

La voiture s’éloigne. Amanda la regarde s’éloigner et va s’asseoir sur le banc lentement


pour attendre le bus en séchant ses larmes. Escampette l’observe à distance. Amanda
s’en aperçoit.

Amanda
Kessta ? Tu veux ma photo ?

Escampette
Non … Mais euh … Ça va ?

Amanda
Mais tu te prends pour qui toi ? J’en pose des questions à ta face de rat ?
T’as cru qu’on se connaissait ou quoi ? Baisse les yeux quand tu m’parles !

Escampette
Désolée.

Elle fait mine de regarder ailleurs. Elle ne s’aperçoit pas qu’Amanda s’est approchée d’elle
et l’attrape par le col.

Amanda
C’que t’as vu, c’est pas tes oignons. Si tu dis un mot …
Ça va vraiment mal se passer pour toi. C’est clair ?

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Le bus arrive. Les deux lles montent dedans.

Cour de récré

Sonnerie de la récré. Escampette reste gée sur place, encore un peu sous le choc.
Madeline se rapproche.

Madeline
Ah ! T’es là ! J’ai ré échi à ce que j’t’ai dit hier et j’pense que le truc qui pourra nous
sauver c’est le maquillage. Ma soeur, elle m’a dit que ça ça marche trop bien pour cacher
les boutons et avoir un peu plus beau teint. Parce que faut qu’on se prépare, y a un
moment, on va pt’être ressembler à des pizzas géantes ! Eh ? Tu m’écoutes ?

Escampette
Super.

Madeline
Et sinon ma mère elle est d’accord pour m’acheter un portable à Noël. C’est pas trop
cool ? Tu veux pas en demander un aussi, comme ça on pourra s’appeler ?

Escampette (agacée)
On se voit déjà tous les jours !
On va pas s’appeler en plus.

Madeline observe Escampette.

Madeline
Il se passe un truc ?

Escampette
J’ai mal au ventre
C’est tout.

Madeline
T’es de mauvaise humeur, ouais
Ça se trouve tu vas avoir tes règles !

Escampette
Lâche moi !

Madeline lui jette un regard peiné et sort. Amanda fonce vers Escampette et la pousse.

Amanda
T’as tout cafté à la Bigleuse, c’est ça ?

Escampette
Mais pas du t…

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Amanda
Tant pis pour toi face de rat.

Salle de classe

Escampette est assise à sa table. Elle garde les yeux baissés sur sa table. La Maîtresse
entre.

La maîtresse
Bonjour ! Bon.. Bonjour à tout le monde. Silence ! Toi, va t’asseoir à ta place. Non, c’est
pas ça ta place. Je vous ai attribué des places hier et je sais très bien que tu n’es pas ici.
Si tu as un doute, regarde le plan de la classe. VOILÀ ! Merci ! On se tait. J’AI DIT ON SE
TAIT ! Bon, tout le monde se calme maintenant. On reprend ensemble : Bonjour les
enfants ! (On entend en écho : « Bonjour maîtresse ! » ) Eh bah voilà ! C’est mieux comme
ça. Toi, redis-moi ton prénom.

Elle montre Escampette du doigt.

Escampette : Escampette …

Fou rire et chuchotement à la table d’Amanda.

La maîtresse
Silence !
Bien, dis-nous ce qu’il fallait faire aujourd’hui.

Escampette (Un peu tremblante)


Il fallait parler de son héros dans la vie.

La maîtresse
Héros ou héroïne. Y a pas que les hommes dans la vie.
Ahahha. Ok. On y va. Viens nous lire ce que tu as écrit.

Escampette (livide)
Au tableau ?

La maîtresse
Bah oui, au tableau. Eh dis donc les CM2 B, je vous rappelle que l’année prochaine c’est
le collège. Alors je sais bien que c’est la rentrée, que tout le monde a encore un peu la
tête dans les vacances, mais l’année va passer vite ! Allez, on t’écoute.

Escampette se lève, chancelle un peu, a un coup de chaud, enlève son pull. Elle passe
devant la table d’Amanda qui lui fait un croche-pied. Elle se rattrape in extremis. La
maîtresse est de dos et n’a pas vu la scène.

Escampette (en dépliant sa feuille, toujours tremblante.)


Mon héros dans la vie… Il joue dans un lm. Il fait de la boxe… (on entend des rires ) Au
début, il se bat dans une chambre froide avec des morceaux de viande plus grands que

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lui (on entend des rires) et après il monte sur un ring. Je l’aime parce que même si c’est
di cile au début, il ne laisse jamais tomber… (on entend des rires. Escampette s’arrête
décontenancée et regarde autour d’elle.)

La maîtresse
C’est ni ?

Escampette (reprend sa lecture, avec di culté)


Plus tard, je voudrais être comme lui.

La maîtresse
Bon, c’est un peu court. Mais c’est très bien pour un début !
Allez, qui veut y aller ? Et on arrête de pou er dans le fond, c’est pénible.

Amanda lève la main.

La maîtresse
Toi ?

Amanda
Non, mais j’ai une question
On n’est pas censé venir avec des vêtements propres à l’école ?

Escampette s’aperçoit qu’elle a lu son texte sans son pull.


Elle prend conscience de la tache qu’elle a sur son tee-shirt et devient toute rouge.

La maîtresse
Je te demande pardon ?

Amanda
Non rien. Je veux bien y aller. ( Elle bouscule Escampette en allant au tableau et chuchote)
Va laver tes a aires plutôt que de mettre ton nez dans celle des autres. Espèce de tache.

Escampette
Madame ?

Amanda la xe, l’air féroce.

La maîtresse
Oui ?

Escampette
Je… je peux aller à l’in rmerie ? J’ me sens pas bien.

La maîtresse
Oui, oui vas-y.

Escampette ramasse ses a aires rapidement et sort.

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Dans la rue

Escampette avance très vite, son sac remonté sur le dos en jetant des coups d’oeil
rapides derrière elle.

Muse de rue
Là, tu as vraiment l’air d’avoir des ennuis, petite.

Escampette
Non ça va merci beaucoup bonne journée désolée.

Muse de rue
Viens t’asseoir à côté de moi.

Escampette
Non merci beaucoup ma maman faut que j’y aille.

Muse de rue
Y a personne qui t’attends.

Escampette s’arrête.

Muse de rue
Toujours toute seule. C’est triste. T’as quel âge ?

Escampette
11 ans.

Muse de rue
J’aurai dit plus
Les enfants maintenant, vous faites plus que votre âge.

Escampette se rapproche et s’assied à côté d’elle, mais en gardant ses distances.

Escampette
Vous vivez ici ?

Muse de rue
Ici où ?

Escampette
Dans la rue.

Muse de rue (éclate de rire)


T’as cru que j’avais acheté le trottoir ?
Non, ici, c’est mon terrain d’observation
Je vis avec la rue. On travaille ensemble. C’est pas pareil.

13.
Escampette
C’est votre métier ?

Muse de rue
Ouais, on peut dire ça
T’aime pas observer les gens, toi ?

Escampette
Si. Avant j’aimais bien.

Muse de rue
Avant quoi ?

Escampette (en réprimant un frisson)


J’peux pas en parler.

Muse de rue (changeant de tactique)


T’aimerais faire quoi plus tard ?

Escampette
J’préfère pas dire.

Muse de rue la regarde un peu de haut et puis se radoucit.

Muse de rue
T’as raison, garde tes secrets. Ça fait mieux pousser le jardin.

Escampette
Quel jardin ?

Muse de rue
L’endroit où tu vas quand le monde commence à casser les oreilles. Quand t’as plus
envie de cohabiter avec la bêtise. Tu sais, quand ça commence à faire mal dans le corps
de regarder vivre les gens. Une sorte de bulle. C’est important d’avoir une bulle. Moi, ma
bulle, c’est ici, sur ce bout de trottoir. Personne fait attention à moi.

Escampette
Moi je vous ai vu.

Muse de rue
Toi t’as surtout shooté dans mon salaire de la semaine. T’inquiètes, c’est pas grave.
Je me referai, comme au poker. (Pensive d’un coup). Non, et puis vous les enfants, c’est
pas pareil. Vous voyez des trucs que les adultes, t’as beau leur mettre sous le nez, ils
pigent pas.

Escampette
Mais vous, vous voyez des choses que les autres voient pas.

Muse de rue
Mmh. Alors, c’est quoi c’qui t’arrives ?

14.
Escampette va pour répondre et puis s’arrête, au bord des larmes.

Escampette
J’suis désolée. J’peux pas.
J’vais rentrer maintenant.

Elle se lève et s’apprête à partir.

Muse de rue
Eh ! Petite ! Pense à ta bulle.
Si les gens essaient de l’éclater, tu la serres fort dans ta main
(Elle lui montre). Comme ça.

Escampette s’en va.

A la maison

Escampette toque à la porte, sa mère ouvre en peignoir, pas très réveillée.

Maman (stupéfaite)
Qu’est-ce qu’il se passe mon bonhomme ? Y a eu un problème à l’école ?
C’est l’alerte incendie c’est ça ? Vous étiez en journée banalisée ?
J’ai pas pensé à ouvrir mon téléphone ce matin…

Escampette
J’ai mal au ventre.

Maman
Mais tu n’es pas allée à l’in rmerie ?

Escampette
Elle m’a dit de rentrer chez moi.

Maman
Viens-là. (Elle passe une main sur son front)
Ah oui, dit donc, t’es brûlante.

Escampette (face public)


Moi, à ce moment-là, je savais pas ce que je faisais
C’était comme si tout déraillait dans la tête, dans le corps
Je me suis allée me cacher sous ma couette et j’ai attendu que ça passe
Fallait juste que je disparaisse un peu. Juste quelques minutes…

Maman (au téléphone)


Oui, bonjour, je suis la maman de … Oui, c’est ça. Oui, elle est à la maison, avec moi.
Non, je ne suis pas venue la chercher sans vous prévenir… Oui… Non, je ne sais pas ce
qu’il s’est passé. Elle a de la èvre et elle se plaint d’avoir mal au ventre. Oui… Mais oui,
je suis au courant ! Mais puisque je vous dis que ce n’est pas moi qui lui ai dit de rentrer !

15.
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J’ai bien conscience qu’ils sont sous votre responsabilité ! Bien sûr que je vais lui parler.
Mais non, vous n’avez pas besoin d’appeler la police, je vous dis qu’elle est à la maison.
Ça n’arrivera plus. Bien sûr. Oui, merci. Et désolée encore. Bonne journée.

Rêve d’Escampette

Maman et Escampette sont au milieu du rond de lumière, souriante. La voix-o est


devenue une présentatrice, qui ressemble à Amanda. Elle s’approche d’elles, tout sourire
et fait coucou au public.

Présentatrice
Salut le plateau, bonjour la salle ! Vous êtes toujours aussi nombreuses et nombreux à
suivre notre émission « Un jour, un rêve ». Et aujourd’hui, quelle chance nous avons mes
cocos chéris ! Notre challengeuse nous fait l’immense honneur de venir en compagnie de
sa maman- qui est aussi son entraîneuse- nous parler de son parcours hors-norme de
championne de la boxe. Alors, comment ça se passe le succès ? Pas trop la grosse
tête ? (Rire dans la salle)

Escampette (timidement)
Non, ça va. Je suis très heureuse d’être ici ce soir.

Présentatrice
Et vous maman, ça fait quoi d’avoir une championne à la maison ?

Maman (tout sourire)


Oh vous savez, ça n’a pas toujours été le cas ! Il lui en a fallu du courage à mon
bonhomme pour s’en sortir. C’était pas gagné d’avance, comme on dit. Mais j’ai toujours
été là pour la soutenir, même dans les moments les plus durs.

Présentatrice (dans la connivence)


Ah ! Les moments durs-durs ! Racontez-nous !
Tout le monde aime connaître la faille secrète des célébrités ! (Rires dans la salle)

Maman
Oh eh bien, elle a sucé son pouce jusqu’à très tard et puis elle refusait que j’éteigne la
lumière de sa chambre. On gardait la petite veilleuse allumée à côté de son lit.
Tu t’en souviens mon poussin ? (Rire dans la salle)

Escampette
Maman …

Maman
Et puis ça, bon, je ne devrais pas le dire…
Elle ne peut pas s’empêcher de boire son chocolat le matin sans s’en mettre partout.

Escampette
Mais maman ! Pourquoi tu racontes ça ?

16.
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Maman
Oh ça va ! Rigole mon bonhomme ! On est entre nous !!

Présentatrice
Mais c’est vrai ce que dit ta maman ! Tu es toute tachée de partout !
C’est quoi ce tee-shirt tout crado ? Un vrai petit cochon ! Une tache géante !
Pas du tout une star.

Dans la salle, on entend des « bouuuuuh » et des « beeuuuuurk ».

Escampette se réveille en sursaut et regarde autour d’elle, a olée.


Sa mère est à côté d’elle et la regarde, inquiète.

Maman
Bonhomme ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Escampette
Rien.

Maman
Tu es sûre ?

Escampette : (face public)


Dans ma tête, je me dis que ça va aller. Je pense à l’histoire de la bulle et ça me calme.
Faut pas que j’inquiète maman parce que, elle, elle a des vrais problèmes. Un travail à
garder et pouvoir dormir la journée. Et je suis une petite lle qui devient grande, je suis en
pleine mutation. Maman me fait con ance pour pas que la vie déraille et qu’on avance
ensemble, qu’on s’entraîne l’une et l’autre pour le combat.

Maman
On dirait que la èvre est tombée.
Tu veux que je reste avec toi ce soir ?

Escampette
Ça va.

Maman
Bonhomme ?
Si tu avais des problèmes, tu m’en parlerais ?

Escampette
Oui.

Escampette (face public )


Et c’était un petit mensonge pas méchant.
C’est juste que parfois, nous les enfants, on est persuadé que notre rôle dans la vie c’est
de prendre soin des parents.

Maman
Je te déposerai à l’école demain matin.

17.
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Escampette
Mais …

Maman
Il n’y a pas de mais.
C’est comme ça.

Elle sort en lui souriant. Escampette se cache sous ses draps en attendant que « ça »
passe.

Cour de récré

Cris d’enfants et cavalcade. Madeline semble l’éviter et se tient à distance en lui jetant des
coups d’oeil coupables. Escampette est toute seule au milieu de la cour, désemparée.
Amanda s’approche, l’air triomphant. Son groupe de copines observe la scène en se
chuchotant des choses à l’oreille.

Amanda
Alors, t’es allée pleurer dans les jupes de ta maman.

Escampette
J’étais malade.

Amanda
Vaut mieux pour toi, ouais.

Escampette
J’t’ai rien fait.
Laisse-moi tranquille.

Amanda (en lui tirant les cheveux)


C’est moi qui décide si j’te laisse tranquille ou pas.

Escampette
Pourquoi t’es comme ça ?

Amanda la pousse et s’en va en courant.

Escampette (face public)


J’avais beau essayé de serrer ma bulle de toutes mes forces, ça faisait plus rien.
J’avais beau me répéter que c’était elle qui avait des problèmes et pas moi, c’était pas
assez. Les noeuds dans le ventre, ils sont revenus d’un coup. En même temps me suis
demandée quel tee-shirt j’avais mis ce matin, si ça allait ma coi ure, si je sentais pas
mauvais des pieds ou si j’avais pas une crotte de nez collée.
J’étais pas prête pour le combat.

Madeline a vu la scène. Elle détourne le regard et sort.

18.
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Sonnerie.

En classe
La maîtresse
Mais ça su t le boucan ! Vous pouvez pas essayer de vous discipliner deux secondes ?
C’est pas des élèves que j’ai, c’est une bande de mammouths en liberté ! Allez, tout le
monde s’assied calmement, le temps que je fasse l’appel. (S’apercevant qu’Escampette
est assise à sa place.) Ah ! Escampette ! (Rire dans la classe) ÇA SUFFIT !
Tu es de retour ? Tu sais que tu as inquiété tout le monde hier. Je vous le rappelle, hein !
On ne quitte pas l’école sans une autorisation parentale. Est-ce que c’est clair ?

Escampette est mal à l’aise et baisse les yeux. A ce moment-là, elle reçoit un bout de
papier sur son bureau. « Si tu parles, y aura un avis de recherche à ton nom. Face de rat. »
Elle lève la tête et regarde Amanda qui est assise sagement et lève la main pour répondre
à une question de la maîtresse.

Amanda (mielleuse)
Madame ? Est-ce qu’on pourrait emmener des posters à nous pour décorer un peu la
classe ?

Maîtresse
Ah oui ! C’est une très bonne idée !

Brouhaha enthousiaste dans la classe. On entend même quelqu’un dire : « Amanda,


présidente ! »

Escampette (face public)


Je peux pas bouger. Je peux pas demander à aller à l’in rmerie encore une fois.
J’ai du mal à respirer, comme si y avait plus d’air autour de moi. Les noeuds dans le
ventre, ils sont tellement serrés que c’est comme si j’avais avalé tout le rayon lacet du
supermarché. J’aimerais que la maîtresse ouvre la fenêtre, que je puisse me rappeler le
dehors. Mais à la place, je mets mes mains sur les oreilles, pour plus entendre les autres
élèves, pour plus entendre la maîtresse et Elle surtout. Ne plus l’entendre Elle.
J’voudrais disparaître.

Sonnerie. Escampette range très lentement ses a aires sur la table en jetant des coups
d’oeil autour d’elle. La maîtresse s’approche.

Maîtresse
Escampette ?

Escampette ne répond pas et garde la tête baissée.

Maîtresse
Est-ce que tu peux me donner ton carnet de correspondance pour que je rencontre ta
maman ?J’aimerais discuter un peu avec elle. Rien de grave, hein.

Escampette
Elle travaille beaucoup en ce moment, j’pense pas qu’elle ait le temps de vous parler.
19.
ffi
ff
fi
Maîtresse (avec douceur)
Et moi je suis sûre qu’on va y arriver.

Escampette (face public)


A ce moment-là, j’ai failli craquer. A deux doigts de tout déballer. Je me suis concentrée
sur un sac de boxe pour taper dedans et serrer les dents. Elle a l’air gentille d’un coup et
elle sent bon. Ses mots avec des lettres rondes, c’est joli. Elle écrit avec un stylo à encre
violette. Ça fait comme pleins de petites parenthèses sur la feuille. Des ailes d’oiseaux.
D’un coup, j’sais pas pourquoi, j’ai envie d’être à la mer. J’aurais bien aimé qu’elle
m’emmène à la mer et qu’elle me parle de ses problèmes de maîtresse et que je lui parle
de mes problèmes d’enfants. Proche comme ça, j’ai vu qu’elle aussi elle avait des soucis.
Elle avait des grosses cernes sous les yeux, comme des eurs fanés. D’un coup, j’me
suis dit que tout le monde avait des problèmes et ça m’a un peu consolée.

Maîtresse
Voilà, tu me le ramènes signé demain. D’accord ?

Escampette fait oui de la tête et sort.

Cantine

Choeur d’enfants :
C’est pris
J’attends quelqu’un
On mange pas avec les lles, désolé
Ah non, mais cette place elle est réservée
Tu peux t’asseoir ailleurs, steuplé, on parle de trucs privés

Escampette :
J’suis allée me mettre toute seule dans un coin.
Aujourd’hui c’était saucisse purée, mon plat préféré. Mais j’ai pas faim.
D’un coup, y a plus de place pour moi nulle part.
Madeline fait exprès de pas me regarder, comme si je lui faisais honte.
J’crois qu’on est en froid.

Au moment où j’me lève pour aller déposer mon plateau, j’sens un truc tomber devant
mes yeux. J’frotte. Ça pique. Ça pique horriblement. Ça fait venir des larmes et des
éternuements. Un petit papier tombe à côté de moi sur la table.
Dessus, il y a écrit « Poivre » et autour de moi, des hurlements de rire.
Dans un rideau de larmes, je’vois Madeline en face de moi, avec les autres.
Elle rigole pas, mais elle est avec eux.

Pourquoi personne ne dit rien ?


Pourquoi personne ne prend ma défense ?

C’est pour ça que je suis partie pour de bon


Avec mon secret aussi lourd qu’une plage de galets
Y avait plus que ça à faire
Tant pis pour la maîtresse et son encre violette
20.
fi
fl
Tant pis pour les combats
En fait, j’avais perdu depuis le début.

Madeline la regarde quitter la cantine. Au moment où Escampette sort, elle lui court après.

Madeline
Attends !

Dans la rue

Escampette quitte l’école, elle marche dans la rue, tête baissée.


Elle passe devant la boulangerie, l’arrêt de bus, dépasse son appartement.

Muse de rue
Eh petite ! Où tu t’enfuis comme ça ?

Elle commence à courir et disparaît.

A la maison :

Maman (au téléphone)


Allô ? Allô ? Oui, c’est encore moi. La maman de… Est-ce qu’elle est revenue à l’école ?
Non ! Je vous dis qu’elle n’est pas ici… Mais en n, vous imaginez bien que si elle était là,
je ne vous appellerai pas… En n si, je vous appellerai pour dire qu’elle est rentrée !
Ecoutez, je suis sa mère bien sûre que je m’inquiète ! Ma lle a disparu ! Vous comprenez
ça ? Non, elle n’a jamais fait de fugue… Vous insinuez quoi en fait ? Que c’est arrivé
parce que je suis une mère célibataire ? C’est ça que vous dites ? C’EST ÇA ?! (Elle
raccroche violemment.)

Mon bonhomme, t’es passée où ?


Qu’est-ce que j’ai loupé ?
Pourquoi j’étais pas là ?
Pourquoi tu m’as pas parlé ?
T’es où maintenant ?
T’ES OÙ ???

Elle s’e ondre dans le canapé. Sonnerie de la cour de récré.

Dans la cour de récré

Les enfants discutent entre eux.

Choeur d’enfants
Peut-être qu’elle s’est faite enlever par des extraterrestres ?
Mais n’importe quoi les extraterrestres ça existe pas
21.
ff
fi
fi
fi
Bah si, mon grand-père, il y croit ! Il a même vu une soucoupe volante dans son jardin
Ton grand-père il est fêlé de la tête
Tu crois que
Moi je crois que
Eh bah moi je pense que

Madeline intervient dans le groupe.

Madeline
Y a eu un problème.
C’était ma copine.
Elle voulait plus me parler.

Choeur d’enfants
Mais un problème de quoi ?
On a tous des problèmes, c’est pas pour ça qu’on disparaît.

Madeline
Elle avait tout le temps mal au ventre.

Choeur d’enfants
Nous aussi, on a tout le temps mal au ventre
Et à la tête et au nez
Parfois à la cheville
Parfois au poignet
Tous les matins, on se lève aussi
Et on n’a pas envie d’y aller.

Madeline
Un problème qui fait que t’as envie d’aller te cacher très loin au bout de la terre.

Sonnerie

En classe

La maîtresse
Bon, les enfants. Ce qu’il se passe en ce moment est très préoccupant.
L’une de vos camarades a disparu depuis 24 h maintenant. De toute ma carrière, je n’ai
jamais vu ça. Je dois vous dire que je suis aussi démunie que vous, alors, si quelqu’un
sait quelque chose, il faut qu’il parle. N’ayez pas peur, c’est très important de
communiquer dans ces moments. Tous les détails comptent. La police va lancer des
recherches pour la retrouver… Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Un enfant lève la main et montre le mot de menace qui est tombé sous la table
d’Escampette.

Elève
Y avait ça sous sa table : « Si tu parles, y aura un avis de recherche à ton nom. Face de
rat. »

Sonnerie
22.
Amanda (face public)
Me regardez pas comme ça.
J’ai rien fait. Vous pensez que c’est de ma faute ?
Tout ça, c’est de sa faute ! Juste pour faire son intéressante.
Juste pour qu’on s’inquiète pour elle, alors que quoi ?
Moi, si je disparaissais, mon père et ma mère ils s’en moqueraient.
Ils diraient même « Bien fait pour elle ! On savait plus quoi en faire avec sa tête de
pleurnicheuse, tout le temps. »
Me regardez pas comme ça ! C’est la vérité ce que je dis !
Je la déteste. C’est de sa faute à elle, si on en est arrivé là.

Cantine

Choeurs d’enfants
Moi aussi, ça m’est arrivé qu’on me menace
Je savais pas à qui en parler
Moi on m’a jeté toutes mes a aires dans les toilettes
Moi on a craché sur mon goûter
Moi on m’a mis des chewing-gums dans les cheveux
Ma mère a dû tout couper et je me suis faite disputée
Alors je me suis tu
Bah ouais, mais si t’en parles pas
Personne peut savoir
C’est pour ça qu’elle a disparu ?
Peut-être que dans le fond on le savait

Madeline intervient dans le groupe.

Madeline
Je lui ai écrit une lettre, parce que c’est mon amie. J’espère que, quand elle reviendra,
elle pourra la lire. J’me sens perdue. J’l’ai encore attendu devant la grille ce matin.
J’ai l’impression d’avoir faire quelque chose de mal… J’me sens pas bien.

En classe
La maîtresse
Je repose la question. Qui a écrit ce mot ?

Sonnerie.

Amanda (face public)


Cri et pleurs rouillés dans ma gorge
C’est pas parce que je suis belle à l’extérieur que c’est beau dedans
Je me demande pourquoi maman crie sur papa, pourquoi papa crie sur maman
Et moi au milieu des deux, je fais quoi ?
Cri et pleurs rouillés dans ma gorge
23.
ff
Je ne sais pas ce qu’on veut de moi
Pas savoir c’est le pire et la rage, ça monte
L’envie de détruire quelqu’un
Sec et net comme une vengeance
Très longue
Pas de ma faute
Si personne vient me sauver

J’irai pas me dénoncer.

Sonnerie signi cative du ring de boxe. Le rond de lumière central est vide. La voix-o
annonce sur un ton excessivement lugubre.

Voix-o
C’est un bien triste jour pour le monde de la boxe. Notre challengeuse a annoncé hier
qu’elle souhaitait se retirer de la compétition pour une durée indéterminée. Nous avons
tenté de joindre sa mère pour avoir plus de détails, mais elle refuse de nous répondre.
Aussi, nous lui lançons un appel, qui nous l’espérons, sera entendu : Reviens ! La partie
n’est pas perdue ! Il faut remonter sur le ring et se battre !

Dans la rue

La mère court, complètement échevelée et hagarde. Elle tient une photo d’Escampette et
la montre à tous les gens qu’elle croise.

Maman
Vous n’auriez pas vu ma lle ?
Excusez-moi, je cherche ma lle, vous ne l’auriez pas vu ?
Elle a disparu depuis lundi. On est mercredi
Oui, c’est terrible
Merci quand même
Mon corps va lâcher si
Personne ne m’aide
Je peux plus aller travailler
Je peux plus rien faire
C’est de ma faute
Bien sûr que tout est de ma faute
Plus de temps pour elle
Plus rien
Juste une machine bonne à se lever
A se coucher
Travailler en somnambule
Récupérer un salaire de misère
Tout juste de quoi faire cuire des pâtes
Pas faire bouillir la casserole
Tous les plats au micro-onde, ça va plus vite
Je sais plus ce que je raconte
Excusez-moi…
24.
ff
fi
fi
fi
ff
Pardon…
La police a lancé un avis de recherche
Mais je suis sa maman, c’est à moi de la retrouver
Mon bonhomme
Vous ne l’avez pas vue
S’il vous plaît
Aidez-moi !

Elle sort en courant, complètement a olée. Muse de rue est dans un coin, elle observe.
Elle s’étire, comme un chat, se lève nonchalamment et disparaît.

Plus loin que d’habitude. Là où personne n’a pensé à chercher

Escampette marche en laissant son cartable traîner sur le sol. Elle semble épuisée.

Escampette
J’avance.
J’tiens ma bulle dans la main
Tout ça c’est une histoire de courage
Mais j’ai l’impression qu’elle rapetisse
Comme elle j’suis petite
Trop petite
C’est surtout le soir que ça fait peur
D’être seule
Pas savoir où aller
Mais j’avance
C’est comme un combat de boxe entre moi et moi
L’Ennemie, j’lui parle dans ma tête
Et j’lui répète : « Tu m’fais pas peur, tu m’fais pas peur, tu m’fais pas peur. »
J’répète trois fois et puis j’recommence
C’est un entraînement
Tant que je suis pas prête, j’peux pas rentrer
C’est comme mon boxeur. Il remonte pas sur le ring s’il a pas assez travaillé

Muse de rue l’observe à distance, sans s’approcher. Escampette se lève et repart.

En classe

La maîtresse est face à Amanda. Elles sont seules dans la classe. Elle la regarde
froidement et semble attendre une réponse. Amanda garde la tête baissée.

Maîtresse
Amanda, explique-moi
Pourquoi

Amanda garde la tête baissée.

25.
ff
Maîtresse
Quand je te parle
La moindre des choses c’est de me regarder

Amanda garde la tête baissée.


La maîtresse soupire.

Maîtresse
Tant pis pour toi
La directrice ne va pas tarder et on va appeler tes parents

Amanda
Non !
Maîtresse
Fallait y ré échir avant

Amanda (s’e ondrant en larmes)


Moi aussi j’veux disparaître !
J’veux disparaître !

Un peu plus loin que d’habitude. Là où personne n’a pensé à


chercher
Escampette est assise sur un banc, les yeux dans le vide.

Muse de rue (face public)

La petite, elle a commencé à s’arrêter sur des bancs


C’est à partir de là que j’ai pu l’observer
Elle devient de plus en plus transparente, avec ses yeux décidés qui xent le vide
Comme si le combat qu’elle avait engagé ne la laissait jamais en paix.

Elle est comme traversée


Par l’indi érence cosmique de tous les humains qui la croise
Normalement, une enfant seule, ça inquiète, ça attire l’oeil
Mais elle a réussi à se soustraire au regard des autres.

Dans la rue, on connaît ça


L’invisibilité permanente.

Au milieu de la transparence de la petite


Je vois
A eurer les problèmes
Quand son regard commence à devenir mouillé
Humidité du chagrin qui monte
Elle me fait penser à moi petite
Cette petite

Je la vois avec ses mots coincés dans la gorge


26.
ffl
ff
fl
ff
fi
Et la tête qui part dans tous les sens
L’injustice qui tire dans le corps
Et en face
Le mur qui empêche de scruter l’horizon

Un jour on pense qu’on tombe


Le lendemain on sait qu’on s’en sortira
L’enfance en montagne russe
Je connais tout ça

Mais moi, gardienne de la rue


J’ai fait une promesse
Je ne la laisserai pas tomber.

Escampette se lève d’un bond.

Escampette
La mer
C’est là que je dois aller.

Sonnerie d’un téléphone.

A la maison
Maman ( Elle se réveille en sursaut )
Allô ma chérie c’est toi je m’étais endormie mais je suis là dis-moi où tu es quand quoi
comment tout j’écoute parle-moi j’arrive tout de suite !

Allô ? Allô ?

Oui.. c’est moi. Je suis sa mère, oui.


Non, je n’ai toujours pas de nouvelles.
Comment ça ?
Quoi ? Je … Oui, j’arrive tout de suite.

Elle raccroche lentement, met lentement son manteau, prend son sac, lentement et sort.

Au bout du chemin

Escampette est face à la mer. Elle jette autant de galets dans l’eau qu’elle a de chagrin.

Escampette
Ça, c’est parce que maman n’a plus le temps de s’occuper de moi
Elle lance un galet
Ça, c’est parce qu’avec Madeline, on se comprend plus
Elle lance un galet
Ça, c’est parce que j’veux pas rentrer au collège

27.
Elle lance un galet
Ça, c’est parce que
Parce que
Elle lance le galet, sans réussir à dire.
C’est parce que
Je comprends pas ce que je lui ai fais
A cette lle-là
Hier, je la connaissais pas
Et maintenant, elle prend toute la place
Dans ma tête
Dans ma vie
Comme une alarme qui sonne en permanence
Elle lance un galet
Parce que j’ai peur
Parce que je suis en colère
Je me sens nulle
Pas bien dans mes baskets
Tout le monde m’en veut
Je sais pas pourquoi
J’suis bizarre
Avant j’étais pas bizarre
Et maintenant j’le suis
C’est les autres qui ont décidé que je l’étais
Madeline aussi
Que je suis une tache
Une grosse tache de chocolat sur un tee-shirt pas lavé
J’sais pas à qui j’peux en parler
Comme si maintenant
Elle jette un galet, rageusement.
La seule chose que j’pouvais faire
C’est raser les murs
Et demander pardon d’exister
J’suis devenue ma propre ennemie
Et j’veux pas ça !

Elle jette le dernier galet, d’un geste résolu.

Muse de rue entre. Escampette la voit et reste un instant, interdite.


Elle hésite entre fuir à nouveau ou se jeter dans ses bras.
On entend les vagues continuer à monter et à descendre sur la plage.

Muse de rue
T’en vas pas, s’il te plaît
Personne sait que t’es là
J’ai pas cafté
Viens t’asseoir à côté de moi.

Escampette se rapproche, mé ante.

Muse de rue
T’en as fait du chemin

28.
fi
fi
T’es sacrément courageuse
A ton âge, j’aurais pas osé

Escampette
C’est ma bulle
Elle m’a protégée.
(Elle ouvre la main pour la lui montrer.)

Muse de rue
Mais ce qui est plus courageux encore
C’est de savoir revenir
Montrer au monde qui on est
Comment tu t’appelles petite ?

Escampette
Escampette.

Muse de rue
Classe !

Escampette
Elle m’a appelée comme ça parce que je suis née le jour où mon père il est parti.

Elles restent silencieuses un moment.

Escampette
Et toi ? C’est comment que tu t’appelles ?

Muse de rue
Muse.

Escampette
C’est un prénom ça ?

Muse de rue
Pas pire que le tien.

Elles rigolent.
On entend les vagues continuer à monter et à descendre sur la plage.

Muse de rue
Si tu pouvais changer, tu t’appellerais comment ?

Escampette
J’sais pas
P’têtre Fanny
J’aime bien, ça me fait penser au soleil.

Muse de rue
Epiphanie.

29.
Escampette
J’connais pas.

Muse de rue
C’est le moment où les choses qui sont cachées se révèlent
Pas mal non ?

Un temps. Escampette continue à lancer des galets sans rien dire. Muse fredonne un air
très vieux, qui pourrait remonter à la Grèce Antique. Un air pour donner du courage.

Escampette
D’accord
J’suis prête.

Muse de rue
Je te raccompagne, Fanny.

Le dernier combat

Le rond de lumière se rallume. Fanny est face à Amanda. Elles ont des gants de boxe
toutes les deux et se jaugent l’une et l’autre.

Voix-o
C’est un combat absolument incroyable- que dis-je, homérique- qui va se dérouler sous
nos yeux ! Après s’être volatilisée de la compétition, notre challengeuse revient, plus
décidée que jamais, prête à se confronter à sa pire ennemie. Les paris sont lancés !
Mesdames et messieurs, accrochez-vous à vos fauteuils, la tension est au maximum pour
nos deux compétitrices et elles semblent aussi résolues l’une que l’autre à en découdre !

Sonnette signi cative du début d’un match. Les deux lles se tournent autour. Ni l’une ni
l’autre ne se décide à donner le premier coup.

Amanda
Eh bah vas-y ! Qu’est-ce que t’attend ?
T’as la trouille, c’est ça ?
Tu veux retourner pleurer dans les jupes de ta maman ?
J’te signale qu’à cause de toi, j’ai eu beaucoup de problèmes
Beaucoup plus que toi
Y a tout le monde qui m’est tombée dessus
A l’école, à la maison
Partout
A cause de toi, même mes parents

Fanny
J’suis désolée.

30.
ff
fi
fi
Amanda
T’as dit quoi ?

Fanny
J’veux pas me battre contre toi.

Elle retire ses gants et les dépose à ses pieds. Elle la regarde et lui sourit. Amanda jette
des coups d’oeil autour d’elle, perdue. Personne ne les encourage dans la salle. Tout le
monde attend la suite.

Amanda
Pourquoi on est là alors ?
Triche pas avec moi.
Dis-leur que t’abandonnes et que c’est moi qui ai gagné.

Fanny
Si tu veux
J’pense pas que ça te rendras plus heureuse
J’dis pas qu’on est forcée de devenir les meilleures amies du monde
En fait, j’en ai pas envie
Mais y a un truc

Elle lui tend la main.

On fait la paix ?

Amanda la regarde avec un air narquois, prête à l’humilier encore une fois. Elle cherche du
courage dans la salle, mais personne ne dit rien. Tout le monde attend. Fanny garde sa
main tendue vers elle. Alors lentement, très lentement, comme un long chemin à refaire
pour réparer, Amanda se rapproche et lui serre la main à son tour.
Dans le rond de lumière, sur le ring, la hache de guerre est enterrée.

Noir.

Cour de récré
Sonnerie signi cative de la cour de récré. Fanny arrive devant la grille.
Elle porte un beau maillot de sport à sa taille et sourit.

Fanny (face public)


Voilà, comment ça s’est passé
Avec maman au début, ça n’a pas été simple
On a beaucoup pleuré
A l’école pareil
Il a fallut tout expliquer
La maîtresse a voulu m’aider à trouver les mots
Mais, en fait je m’en suis sortie toute seule

Parfois j’ai encore mal au ventre


Alors j’imagine que je jette des galets dans la mer
Et le chagrin, il tombe à pic au fond de l’eau
31.
fi
Muse a disparu
Elle doit faire de l’observation sur un autre bout de trottoir
Que le mien

J’veux dire, la vie elle a pas fondamentalement changé


Mais un bout de moi, si
Un bout aussi petit que ma bulle
Ça me su t
A me rappeler que j’suis comme tout le monde :

J’ai le droit d’exister.

32.
ffi

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