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L’autorité devient une préférence – Don Luigi Giussani

Avec le temps, l’autorité devient aussi la préférence affective, parce que, qui, plus que
celui-ci, est ton ami ?

Voilà une observation très intéressante. L’autorité doit devenir une préférence.
Avant tout, il faut distinguer l’autorité comme moment, de l’autorité comme type de
présence, capacité de présence qui normalement devient rappel, qui normalement tend à
devenir rappel : quand elle est là – tu le sais désormais – cette personne est pour toi un plus ou
moins grand rappel. Puis, en troisième lieu, il y a l’autorité qui dans l’équipe, dans
l’organisme du corps du Christ, par conséquent dans l’organisme de cette parcelle du corps du
Christ qu’est la compagnie vocationnelle, joue un rôle représentatif de rappel.
Ici seules les réponses à vos questions peuvent apporter un éclairage, autrement on fait un
discours analytique, on essaie de faire un discours analytique. Pourquoi ce troisième cas
laisse-t-il intact le fait que la personne qui joue ce rôle renvoie en tant que telle au Seigneur
ou que le fait de rappeler le Seigneur reste son rôle, l’objectivité de son rôle. Par le fait qu’il y
ait un responsable de la maison, l’idée de responsable de la maison est un rôle qui renvoie à
Dieu : par rôle, par structure, il renvoie à Dieu. Comme personne, elle peut-être celle qui nous
paralyse le plus, au point que pour l’accepter il faut faire un effort ou dépasser beaucoup
d’impressions antérieures qui s’interposent.
De toute façon, voici les trois cas de l’autorité comme miracle.
Premièrement, autorité comme événement isolé, comme moment exceptionnel : par
exemple, une intervention dans une réunion qui nous touche. Comme ce père, dont je vous ai
parlé, qui était dans le téléphérique et qui disait à son enfant : « On ne sort du silence que pour
une chose plus grande » : ceci est un instant d’autorité, c’est un miracle. Ou comme ce fait
que me racontait Lorna : elle avait invité chez elle, une de ses amies d’architecture qui devait
se marier ; tandis qu’elles sortaient de la maison, cette amie lui a dit : « Vois-tu, c’est une
chose impressionnante qu’il y ait à Milan une maison où des gens habitent ensemble parce
qu’ils dédient leur vie au Christ, et cela me met en paix [ce n’est pas quelque chose qu’elle-
même fait, mais cette présence la met en paix, parce qu’elle lui rappelle le Christ : cette
présence est un miracle]. Cela me met en paix non pas seulement face à ce geste que je vais
faire, celui de me marier, mais aussi dans l’acceptation de ma communauté d’architecture, où
les gens ne désirent rien », ce qui est la chose la plus tragique que j’aie entendue en tant
d’années, la définition la plus juste de l’absence de la plupart des présences. « Où les gens ne
désirent rien », cela veut dire que pour elle, cette communauté n’était pas un miracle. Elle
aura fait une rencontre, je ne sais pas comment, elle aura été touchée une fois par une
personne, par des paroles, par une intervention dans un rassemblement, en voyant tant de gens
ensemble (et ceux-ci affirmaient nominalement qu’ils étaient ensemble parce qu’ils étaient
chrétiens) ; cela peut avoir suffi pour « la séduire », pour la faire suivre, après la vie de cette
communauté n’était pas le miracle pour elle. Parce que, si les gens qui l’entouraient ne
désiraient rien, non seulement ils n’étaient pas la Présence du Christ dans la chair, mais ils
étaient l’absence de la chair sous la vibration d’une parole qui commençait à répugner. En
effet, pour combien d’hommes le Christ est-il répugnant à cause de la façon dont vivent les
gens qui parlent de Lui (ou qui se disent chrétiens) ? L’autorité, avant tout, comme un
moment exceptionnel qui est pour nous un rappel.
Deuxièmement, l’autorité comme physionomie de vie qui rend normale sa présence comme
rappel du Seigneur : quand il y a cette présence, il y a un rappel du Seigneur, tôt ou tard,
d’une façon ou d’une autre.
Et puis, troisièmement, il y a l’autorité comme miracle en tant que rôle, parce que le fait
qu’il existe une autorité ultime dans le monde qui dise la vérité, qui juge tous les jugements
des hommes du point de vue de la vérité ultime – je suis en train de parler du Pape –, ceci est
un miracle absolu. Mais que, dans une foule de personnes qui se réunissent parce que le
Seigneur est là, il y en ait un qui guide, en revendiquant les paroles justes, en jugeant
ultimement les comportements, et qui même sans savoir le démontrer a un esprit conforme à
celui du Pape, cela aussi c’est un miracle. Il peut être un voyou et avoir ce rôle. C’est
pourquoi l’autorité comme rôle non seulement n’est pas à négliger mais elle met à nu la
pureté de notre regard. Et il faut la suivre en tant qu’elle exprime le contenu de son rôle, et
non en tant que c’est telle personne.

Que signifie : « exprime le contenu de son rôle » ?


Quel est le contenu de son rôle ? Te rappeler le Christ. Alors si elle te dit : « A 7 h 30, il y
a les laudes », elle te renvoie au Christ : c’est le contenu de son rôle. Si elle dit : « Maintenant
faisons silence. Il n’y a pas trop de silence dans cette maison », elle te rappelle, elle tient un
de ses rôles, et peut-être qu’elle-même vit mal l’heure de silence. C’est-à-dire, ce n’est pas sa
façon de se comporter qui t’aide, mais c’est son rôle ; c’est cela qui te touche. Elle te dit :
« Non, cela oui, cela non », non comme un avis, c’est le rappel de la règle.
Au contraire, je veux revenir, avant le reste, sur l’intervention précédente qui est précieuse,
parce que là où le rappel du Seigneur est le plus fréquent ou, même, là où il est comme
normal, c’est là que doit tendre – elle y tend même inévitablement – notre préférence. Si nous
voulons le Seigneur, il est impossible de ne pas tendre vers cette personne comme préférence.
En ce sens, il faut avoir envers l’autorité une certaine piété, une piété qui est un aspect de la
préférence.
Mais la préférence – comme parole qui explicite, qui exprime une choix conscient et
cordial – c’est surtout dans le second cas qu’elle s’accomplit : quand une certaine présence
normalement rappelle le Seigneur. Cette préférence met en jeu toute la valeur ultime de
l’affectivité, qui est un jugement, un jugement qui a pour conséquence une adhésion, le fait
d’adhérer, un vouloir, une « décision pour », un « se sentir de », un « se sentir pénétré par ».
En ce sens la préférence ne peut être réduite à un élan sentimental que l’on éprouve pour
une personne plus que pour une autre. C’est aussi une préférence, mais ce n’est pas une
préférence au niveau de ce que nous sommes en train de considérer, c’est-à-dire que ce n’est
pas une préférence digne, correcte : c’est une préférence instinctive, une préférence, comme
dirait saint Cassien, animale – vous vous souvenez ? –. Une préférence animale, pas une
préférence personnelle, c’est-à-dire dictée par le lien avec la conscience que l’on a de son
destin et du destin du monde et par l’affection que l’on porte à ce destin, par l’adhésion qui se
réalise vers ce destin.
J’ai fait la différence entre préférence personnelle (de la personne) et préférence animale,
parce qu si quelqu’un la vit sérieusement, ce que j’ai appelé préférence personnelle, avec le
temps, devient aussi instinctive, devient aussi un sentiment instinctif ; cela devient une
préférence dans le sens entier du terme, là où, alors, l’émotion qu’elle fait naître est
entièrement prise par le jugement sur le destin et par l’adhésion au vrai. Cela veut dire que la
préférence – disons au lieu de personnelle… non, personnelle est vraiment la parole juste ;
j’allais dire spirituelle, mais « spirituelle » est toujours compris de façon erronée – la
préférence personnelle, conçue selon l’origine que nous avons rappelée et décrite tend
toujours à s’accomplir en saisissant aussi l’aspect instinctif et l’aspect émotif, c’est-à-dire que
l’aspect immédiat de notre être dans le temps de Dieu devient affectivité pure (c’est une
application de la grande pensée de Saint Thomas que nous avons souvent rappelée, à savoir
que « le beau est la splendeur de la vérité »).
Ceci est vraiment inévitable pour l’homme : tôt ou tard, si quelqu’un poursuit la justice, il
devient instinctif pour lui d’aimer la justice. C’est pourquoi l’amour gratuit, c’est-à-dire la
reconnaissance idéale – parce que l’amour gratuit est la reconnaissance idéale –, tend à
embrasser et à assimiler, tend à investir jusqu’à la mœlle des os même l’amour émotif ou,
pour utiliser les mots de Saint Cassien, l’amour animal.

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