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RETRAITE AU RYTHME DES

« EXERCICES SPIRITUELS » DE SAINT IGNACE DE LOYOLA

« … en dépit de tous ces dangers inhérents au fait de parler de l’expérience religieuse, il est du devoir
de quiconque a éprouvé une telle expérience, de l’expliquer diligemment à autrui (…) dans l’esprit qui
convient et pour les raisons qui conviennent - l’esprit en repos parfait, et afin que la Vérité soit connue
et glorifiée. »
(Aldous Huxley, « Les mots et la réalité »)

• 1er jour

Prédication du père Laplace

Le but de la retraite : m’assouplir intérieurement pour me disposer à la grâce de l’Esprit Saint.


Liberté. Accepter de me livrer à la grâce de Dieu.
Vivre dans la certitude que Dieu et moi sommes liés.

Pas de comparaison avec les autres. Les voir comme des frères dans le Christ par le baptême.

Purification de la manière de me replier sur moi-même.


Ce qui est le mieux pour moi est ce que Dieu me demande.

La Bible décrit l’itinéraire de libération suivi par Dieu.


Toute expérience spirituelle chrétienne implique le passage par des étapes avec Jésus.
Il s’agit de se laisser prendre en Jésus-Christ en méditant sa Parole1 .
La prière à l’école de la Parole de Dieu. La prière, c’est un dialogue. Il faut écouter la Parole de
Dieu, le Livre de la Parole. Se décentrer de soi-même et s’imprégner de la Parole.
Ça demande du temps. Recevoir un texte, le laisser nous pénétrer, nous enseigner. « Comme
Jésus-Christ est demeuré inconnu parmi les hommes, ainsi sa vérité demeure parmi les opinions
communes, sans différence parmi les opinions communes, sans différence avec l’extérieur. » 2

Le vrai maître est à l’intérieur de mon cœur : l’Esprit Saint.


Le guide (le père Jean Laplace) reste près de moi comme un témoin pour vérifier que je ne suis
pas dans l’illusion. Ruminer auprès de lui. Lui dire chaque jour quelles paroles ont résonné en
moi et comment. L’accompagnateur n’est pas là pour donner des solutions. Il m’aide à
m’ajuster quotidiennement dans la route qui me conduit à Dieu.

Prière pour obtenir la Sagesse (Le Livre de la Sagesse, 9).


Dieu a remis l’univers dans son imperfection à l’homme pour que l’homme travaille cette terre.
Prendre ma place pour devenir le prêtre de la Création. C’est le rien qui se met devant le tout.
Le Temple que l’on a à construire, c’est notre cœur.
Devenir coopérateur de Dieu. Trouver ma vocation personnelle qui m’enracine dans le dessein
de Dieu. Je ne réaliserai pas ma vocation seul.

1 « … c’est cette parole éternelle, c’est le Verbe qui te crie du haut du ciel que tu retournes à lui, et c’est
en lui que tu trouveras un repos inébranlable, parce que c’est en lui seul que l’amour est assuré de
n’être jamais abandonné de l’objet qu’il aime, et s’il ne cesse d’aimer cet objet si divin et si aimable. »
(Saint Augustin, « Les Confessions «, IVè siècle)
2
Blaise Pascal, XVIIè siècle.

1
Nolite timere. L’Esprit devient mon collaborateur. C’est dans l’Esprit Saint que je deviens
l’homme que Dieu veut que je sois. S’ajuster à Dieu, à sa volonté dans la grâce de l’Esprit Saint.

La valeur d’un acte se juge à sa conformité à cette présence divine dans notre cœur.
C’est dans le cœur que se fait la véritable relation avec Dieu.

• 2ème jour

Prédication du père Laplace

Il n’y a qu’un seul Prêtre, c’est Jésus Christ « grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech » 3 . Les
prêtres le sont en sacrement : signes sensibles dont l’unique Prêtre se sert pour accomplir sa
mission. C’est Jésus-Christ qui baptise.
Sortir de l’infantilisme. Passer d’une fidélité à des principes et des règles à une aventure : celle
de la foi.
C’est le tournant. La foi suppose un mouvement.

Dans la prière, distinguer les points de vue intellectuel et cordial.


Comme le dit saint Ignace de Loyola 4 , ce n’est pas l’abondance du savoir qui rassasie l’âme
mais de sentir et de goûter les choses à l’intérieur de notre cœur. Non seulement la
connaissance de la Parole, mais sa saveur, son goût. Faire mienne cette Parole.
Pour passer du sentimentalisme aux profondeurs de l’amour, il faut du temps.
C’est pourquoi, le vrai maître n’est pas celui qui enseigne. Vaines sont mes prédications, si le
maître intérieur ne vous donne pas le sens de ce que vous entendez. Comme le dit saint
Augustin, vous savez combien parmi vous vont sortir d’ici sans avoir rien appris.
Il s’agit de disposer son cœur pour discerner ce qui est de Dieu.
Le discernement n’est pas raisonnement pur, ni inspiration sentimentale.

Passer de la « lectio » à « l ’oratio ».


La lecture elle-même se fait déjà dans le désir.

3
Epître aux Hébreux, 5,10
4
En 1521, à 30 ans, le gentilhomme Inigo de Loyola, blessé pendant une bataille, reste alité et lit
des BD hagiographiques…
Il médite, passant du désir d’héroïsme et de prouesse (« les exploits mondains ») au désir de faire
comme saint Dominique ou Saint François…
« Quand il pensait à ce qui était du monde il s’y complaisait beaucoup, mais quand lassé, il cessait d’y
penser, il se trouvait aride et insatisfait ; en revanche aller à Jérusalem nu-pieds, ne plus manger que des
herbes, se livrer à toutes les austérités auxquelles il voyait que les saints s’était livrés, non seulement il
éprouvait de grands élans intérieurs quand il méditait sur des pensées de ce genre mais même, après les
avoir quittées, il restait satisfait et allègre (…) et peu à peu, il en vint à connaître la diversité des esprits
qui s’agitaient en lui, l’un du démon, l’autre de Dieu. » (Ignace de Loyola, « Autobiographie », ou
« Récit du Pèlerin »)
A 37 ans, Inigo quitte Barcelone pour Paris dans lequel il pénètre par la Porte St Jacques pour
étudier.
Il passe 7 ans au Quartier Latin.
Puis, à 43 ans, il se retire dans les carrières de Montmartre, près de la chapelle Notre-Dame des
Martyrs, où il fonde la Société de Jésus.
« A la mort d’Ignace de Loyola, en 1556, la Compagnie de Jésus comprenait un millier de membres et une
centaine de fondations. Cent ans plus tard, on comptait plus de 15000 jésuites et 550 fondations,
résidences, noviciats, maisons professes, collèges ; et dans ceux-ci quelque 150 000 élèves. »
(Jean Delumeau, « Le Christianisme va-t-il mourir ? », 1978)

2
De même, on n’entre pas comme ça dans la prière…
A Moïse qui veut faire le tour du buisson qui brûle sans se consumer, Dieu dit « Déchausse-toi
! ». Il faut entrer déchaussé dans la prière. Se reposer un peu l’esprit.
Se présenter à Dieu dans le désir pour que ce désir devienne éveil du cœur pour l’action de Sa
grâce. C’est le jeu de la liberté et de la grâce.
Dieu me donne à moi-même, Dieu me réalise.
C’est la révélation du Désir qu’Il me donne.

L’attitude fondamentale est l’acceptation, l’ouverture et le dépassement.

L’acceptation.
Pour recevoir de tout son être, il faut avoir une manière saine de voir les choses : être à l’aise
dans sa peau et avoir du bon sens.
Heureux les pauvres, ceux qui se présentent à Dieu avec leurs infirmités et ont envie d’en rire.
Notre religion est trop triste. « Abraham tomba la face contre terre, et il se mit à rire 5 car il se disait en
lui-même : « Un fils naîtra-t-il à un homme de cent ans, et Sara qui a 90 ans va-t-elle enfanter ? » »6
Se connaître soi-même, sans complexe, sans se comparer avec les autres, c’est difficile.
Il faut prendre une distance vis à vis de celui-là même qui a inspiré le Désir. C’est à cette
condition que se fait le développement spirituel adulte. Il y a une indépendance profonde du
cœur à développer pour s’accepter, accepter ce conditionnement qui fait notre être.
Dieu n’a rien à faire d’un service obligatoire. Il aime mieux risquer le péché, l’erreur, l’histoire
humaine telle qu’elle est. Accepter tranquillement que les choses sont ce qu’elles sont.

Dieu m’aidera à réaliser le Désir devant lequel je suis impuissant.


Je suis libre, mais libre devant la nécessité de l’Amour.
Mon effort consiste à accepter de m’engager sur cette route où Il me conduira.

L’ouverture.
Aller dans le sens de ma nature, de mes désirs en luttant contre la tentation de posséder pour
moi ce que je veux réaliser.
De l’amour fusionnel (je prends) à l’amour oblatif.
M’ouvrir à l’action de Dieu par la disponibilité intérieure. Renoncement.
« Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et
jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas
derrière moi ne peut être mon disciple. »7
Pourquoi Jésus assène-t-il ces paroles aux foules qui le suivent ? Les images qu’il évoque ensuite
nous éclairent : il faut savoir où l’on va. En vrai Maître, Jésus décourage ceux qui s’engagent à
sa suite. Ses objectifs ne sont pas bâtir une tour ou combattre, mais achever la construction et
être victorieux.
Et quelle est la qualité primordiale du guerrier spirituel ? La pauvreté. Renoncer à son ego.
La croix n’est pas un but en soi. C’est une loi de fécondité. D’où la comparaison suivante avec le
sel. Le sel sert à donner du goût. Les disciples de Jésus donnent la sapidité de la vie, la Sagesse.
Pour cela, ils doivent devenir Sagesse, sel de la vie. Donc être prêt à être entièrement Sagesse.
La demi-mesure, l’affadissement n’est pas de mise.

Le dépassement.
J’aspire à Celui qui s’est présenté à moi, je m’ouvre sans cesse à son action.
Pour entrer dans le mystère, pour engager tout mon être au-delà de tout, il faut comprendre
que la finalité de ma destinée n’est pas terrestre. La terre est un lieu de transit.

5
Isaac est la forme abrégée de « Yçhq-El »= que Dieu sourie, soit favorable ou a souri.
6
« La Genèse », 17, 17.
7
Evangile selon St Luc, 14, 26-27

3
Aller de commencement en commencement jusqu’à l’éternel recommencement. Cheminer de
sommet en sommet, sans jamais m’arrêter.
Don radical de soi. Transfiguration de la nature humaine par le Christ.

• 3ème jour

Prédication du père Laplace

L’accompagnateur essaie de toujours voir le côté positif, de faire voir à chacun l’être étonnant
qu’il est.
De même, tous mes efforts doivent aller dans un sens positif, être libérateurs. Positiver, c’est se
servir de l’état dans lequel je me trouve pour me mettre davantage dans la foi, la certitude, la
confiance.
Se mettre en retraite, c’est se mettre sous l’action des esprits.
Ça risque donc de faire bouger des choses.
Prendre une distance par rapport à mes mouvements intérieurs : désolation ou enthousiasme.
Dieu n’est ni dans la tristesse (qui ne mène à rien) ni dans l’illusion. Sortir de moi pour
m’assurer que mes mouvements portent la marque de Dieu : la paix et la joie du cœur.

Dans les moments de découragement, face à mon propre péché, pas de dépréciation.
Selon saint Ignace, l’homme n’est pas capable de découvrir le péché par lui-même.
La reconnaissance que je ne suis rien devant Dieu est bonne parce qu’elle se fait devant Dieu.
C’est dans l’amour de Dieu que je connaîtrai le vrai péché (cf l’état post-mortem). C’est dans la
relation vraie que l’on se connaît. En Dieu.
Comme le larron sur la croix. Il a dépassé les bornes de la loi par lesquelles il se juge. L’amour
consiste à reconnaître l’autre, comme la pécheresse qui lave les pieds de Jésus chez Simon,
comme le bon larron.
Dès lors, le vrai péché n’est pas l’infraction à un code mais le péché d’orgueil : le repli sur moi,
l’envahissement par mon ego, et le mensonge (l’illusion) que cela entraîne (je ne reconnais pas
ce que je suis, une créature).
Quant aux remords de ma conscience, leurs teintes morbides, tristes et inquiètes signalent leur
provenance humaine. Car le Seigneur est doux et vivifiant : il ne me fera des reproches qu’avec
suavité.
Ainsi le sacrement de réconciliation est-il une rencontre.
L’important est de me reconnaître dans la paix qui me réconcilie avec Dieu.
Toujours méditer le péché devant Jésus en croix. Comme le bon larron…

Réflexions personnelles

Le Père Laplace m’a déçu lorsqu’il a évoqué ce soir aux retraitants (sans me nommer) ma
réticence concernant les psaumes.
Il dit : paroles de Dieu. D’où ? Ce ne sont que des prières humaines de forme « poétique ».
Il dit : d’apparence simples mais très profondes. Elles ne me touchent que très peu, m’ennuient
souvent, m’agacent parfois…
Il dit : très humaines. Certes, mais ce n’est pas parce qu’elles sont dans la Bible que toute
l’humanité doit s’y retrouver !
Bref, je ne vois pas où est le problème. Probablement que ça a touché les limites de l’ouverture
d’esprit du Père…

Mais à quoi bon ruminer contre lui ? A quoi bon vouloir argumenter, discuter ? Je ne suis pas là
pour ça. C’est moi qui attends quelque chose de lui… Or il m’apprend en l’occurrence à

4
transformer mon état d’insatisfaction orgueilleuse en point de départ pour entrer dans la paix
du cœur…Comment ? Par la lecture8 .
Et au lieu de vouloir mériter, se mettre en disponibilité de recevoir quelque chose.
Lui-même l’a dit, ce qui compte c’est ma relation au Maître intérieur…

• 4ème jour

Prédication du père Laplace

Se mettre en prière, c’est prendre conscience de la présence universelle de Dieu.


Vivre les choses en Lui9 .
Me recevoir de Dieu.

La préparation au sacrement de réconciliation implique cette metanoïa, ce retournement10 . Me


reconnaître sous le regard d’amour de Dieu.
Ne pas voir mes péchés selon ma jugeote personnelle mais comme Dieu les voit : refus d’aimer,
manques de reconnaissance.
Que suis-je pour être juge de moi-même ? J’ai voulu me substituer à Dieu, être mon idole. C’est
ridicule. Sentir cette disproportion entre Lui et moi… Je ne suis rien et cependant j’existe…
Ma connaissance du péché m’ouvre à la miséricorde universelle de Dieu, qui fait lever le pauvre
de la poussière11 .
Et les paroles de contrition au début de la liturgie eucharistique m’ouvrent à la communauté.
Car le péché isole.
La réconciliation amène la paix, la quiétude, le calme.
Remercier le Seigneur…

Répondre à l’appel de Dieu, l’appel universel des baptisés à entrer dans le Règne de Dieu. Nous
avons à découvrir que nous sommes envoyés par le Roi Universel, le Serviteur de tous, l’Epoux
de l’humanité, pour réaliser la Volonté du Père : que tous soient sauvés…
Y répondre à la manière de Jésus : pas de façon raide, écrasante et dure, mais dans la pauvreté,
dans l’idéal des Béatitudes…
La générosité doit rejoindre le mouvement de Jésus qui s’est abaissé.
8 « Pas plus qu’on ne peut remplacer l’Evangile par une parole simplement humaine, si belle fût-elle, pas
plus qu’on ne peut remplacer le pain eucharistique par du pain ordinaire, on ne peut remplacer le
Psaume responsorial par un cantique simplement humain, si merveilleux fût-il (…) Au lieu de
rencontrer dans le psaume de l’Alliance le visage du Christ, la communauté ne rencontrerait qu’un
visage humain. Dans sa dernière apparition à ses apôtres, juste avant son Ascension, Jésus leur parle de
ce qui est écrit de lui dans « la Loi, les Prophètes et les Psaumes » (Luc 24, 44). Il y a donc une
histoire de Jésus dans les psaumes. »
(Lucien Deiss, « La messe », 1989)
9 « Si tu fabriques quelque chose, tu dois penser au créateur de tout ce qui existe ; si tu vois la lumière,

souviens-toi de celui qui te l’a donnée ; si tu considères le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils
contiennent, admire, et glorifie celui qui les a créés ; si tu te couvres d’un vêtement, pense à celui de qui
tu le tiens et remercie-le, lui qui pourvoit à ton existence. Bref, que tout mouvement te soit motif à
célébrer le Seigneur, ainsi tu prieras sans cesse et ton âme sera toujours dans la joie. »
(Pierre Damascène, « Philocalie » XIIè siècle)
10 « On ne mérite pas le pardon de Dieu et même, on ne le demande pas : on s’y ouvre. »

(Louis Evely, « La prière d’un homme moderne » 1969)


11 « Si Dieu vous fait prendre une chute, comme à Saint Paul qu’il jeta en terre, c’est pour vous relever

à sa gloire. »
(Saint François de Sales, XVIè-XVIIè siècle)

5
Ce n’est donc pas une affaire d’œuvre exaltante, mais de personne (je me laisse prendre par
Jésus Christ).
Concernant l’œuvre, c’est celle de Dieu, pas la nôtre12 …

Notes et réflexions personnelles

Dans les « Cahiers de spiritualité ignatienne », un père jésuite hollandais, Peter G. Van Breemen
écrit : « Produire du fruit suppose un esprit de gratuité (…) Non seulement nos capacités et nos
talents, mais aussi toute notre vie, sont un don gratuit de Dieu. Nous n’avons pas à gagner notre
justification par nos succès (…)
La loi fondamentale de toute fécondité est la suivante : le grain doit être mis en terre et doit mourir pour
produire du fruit (…) L’Evangile, lui, enseigne sans retenue que nous devons perdre notre vie pour le
Royaume de Dieu afin de le faire advenir (…)
Le Royaume de Dieu, lui aussi, est entièrement affaire de relations, de relations intimes et durables. La
performance peut servir de substitut quand les vraies relations viennent à manquer. Parce que nous ne
connaissons pas l’humaine satisfaction que seule une relation authentique peut procurer, nous tentons
de la remplacer par des réalisations gigantesques (…) L’une des thèses les plus importantes de Paul est
que notre salut s’accomplit par la foi et non par la loi. Peut-être qu’aujourd’hui, cette antinomie pourrait
se traduire dans les expressions porter du fruit et chercher le succès. La grande tentation de la loi est de
nous amener à penser que nous assurons notre salut par nos propres œuvres (…)
L’essence de l’alliance a toujours consisté en ce que nous devons chercher Dieu de tout notre cœur, de
toute notre âme et de toutes nos forces ; en retour, Dieu s’engage à s’occuper de nous. Il y a là un
changement de visée, une modification des centres de gravité (…) Chacun s’occupe de l’autre, au lieu de
lui-même. »

Conversion, metanoïa, baptême… Je tombe « par hasard » sur le récit de la conversion d’André
Frossard et je suis émerveillé.13
Issu d’une famille athée, c’est un jeune homme de vingt ans, athée d’un « athéisme idiot » (non
théorisé), qui entre dans la chapelle d’un couvent pour y chercher un camarade avec qui il doit
dîner. Il en sort bouleversé.
Qu’a-t-il vu ? «un monde, un autre monde d’un éclat insoutenable, d’une densité folle, et dont la
lumière révélait et masquait en même temps la présence de Dieu (…) en même temps lui arrivait dessus
une onde, une vague déferlante de douceur et joie mêlées, d’une puissance à briser le cœur (…)
déchirante pureté de Dieu qui lui a montré par contraste, ce jour-là, de quelle boue il était fait (…)
Cette lumière a définitivement inversé l’ordre ordinaire des choses. depuis que je l’ai entrevue, je
pourrais presque dire que pour moi Dieu seul existe, et que le reste n’est qu’hypothèse (…)
Ce fut une expérience objective, quasiment de l’ordre de la physique, et je n’ai rien de plus précieux à
vous transmettre que ceci : au-delà, ou plus exactement à travers le monde qui nous environne et nous
intègre, il est une autre réalité, infiniment plus concrète que celle à laquelle nous faisons généralement
crédit».
Je crois en cela.
Lorsque, dans le dernier chapitre de son livre, Frossard aborde la question de la souffrance, il
nous transmet les fruits de son expérience : cette lumière lui a appris que Dieu est charité pure,
douceur miséricordieuse et invincible ; toutes les autres vérités ne sont pour lui que des reflets
de cette vérité-là. Et ça, ça fait du bien.
Les récits d’« expériences de mort approchées » relatent souvent un épisode propédeutique où
le sujet revit le film de sa vie, avec toutes ses conséquences 14 . Des incursions dans le purgatoire

12 « Et ce changement merveilleux que vous fîtes en moi ne consistait en autre chose qu’à faire que je ne
voulusse plus ce que je voulais auparavant, et que je voulusse ce que vous vouliez. »
(Saint Augustin, « Les Confessions «, IVè siècle)
13
« Dieu en questions », 1990.

6
? Quoi qu’il en soit, les « revenants » semblent unanimes : c’est une épreuve bouleversante… et
rassurante. Car Dieu est Amour…

A force de le savoir on ne le sait plus… Il faut dire que cette phrase n’est faite que de mots
mystérieux… Comme le dit Spinoza, ce qu’un mot gagne en extension, il le perd en
compréhension…

Revenons au témoignage d’André Frossard, il donne une idée de la vérité qui bat sous ces mots
: « L’éblouissante lumière spirituelle qui environne Dieu révèle la présence invisible d’une si grande
innocence que devant elle chacun se juge (…) devant l’indicible pureté de Dieu, nous serons portés à
nous condamner nous-mêmes, honteux, non pas d’avoir offensé une toute-puissance, mais d’avoir blessé
un enfant. Mais nous aurons un avocat, et ce sera Dieu, qui plaidera pour nous, contre nous-même.
Le grand drame de l’espèce humaine est de ne rien comprendre à l’amour, et de lui fixer des limites qui
n’existent que dans notre propre cœur. »

• 5ème jour

Prédication du père Laplace assortie de quelques réflexions personnelles

Le Père parle de la résistance que j’ai ressentie hier (et que j’ai oubliée de lui rapporter) : ce
moment où je me suis dis « non, c’est trop fort »… Je goûtais déjà assez… et je craignais le
bouleversement réel que provoquerait davantage.
Je préfère ne pas sortir de ma coque, de mes propres limites…
Il parle du Purgatoire qui est « ici-bas » (cf mes réflexions d’hier !), de la stupeur de Pierre, de
Marie et des prophètes face au monde qu’ils entrevoient et des méfaits du jansénisme quant à
cette appréhension : ce qui nous dépasse n’est pas terrorisant en soi.

Après être passé de la peur à la paix, écouter son appel.


Quelle est ma capacité à recevoir l’Amour ?
Toujours purifier la manière dont je veux suivre Jésus : me donner (offrande) en me laissant
prendre par Lui. Servir sans rien retenir pour moi, comme Jésus. L’amour se présente les mains
nues… On en revient à la pauvreté.

La contemplation est la reprise de tout mon être pour, devant l’Evangile, développer mes sens
spirituels qui m’accordent à la réalité divine. C’est une connaissance intime.
Sentir l’infinie suavité du St Esprit qui agit en moi, par imprégnation progressive.
Le laisser écrire en moi ma ressemblance avec Jésus-Christ. Le texte est différent selon chacun.
Ne pas oublier que c’est aux humbles, aux marginaux, aux pêcheurs même, que Dieu s’est
d’abord manifesté. J’ai donc de la chance d’être ce que je suis (pêcheur) !…
L’espérance est bien le fruit vertueux de la contemplation…

14 « Au bout de six semaines, le valet de chambre commença à m’apparaître en songe ; chaque nuit, il
venait m’importuner et me faire des reproches en répétant sans cesse : Homme sans conscience, tu m’as
assassiné ! Puis, je le vis aussi pendant que j’étais éveillé. L’apparition devient de plus en plus fréquente
et, à la fin, il était presque tout le temps là. Enfin, en même temps que lui, je me suis à voir d’autres
morts, des hommes que j’avais grossièrement offensés, des femmes que j’avais séduites. Tous
m’adressaient des reproches et ne me laissaient plus de repos, si bien que je ne pouvais plus dormir ni
manger, ni faire quoi que ce soit ; j’étais à bout de forces et la peau me collait aux os (…) mon âme, avant
d’être séparée du corps à connu là pleinement les tortures de l’enfer ; dès lors j’ai cru à l’enfer et j’ai
connu ce qu’il est. »
(« Récits d’un pèlerin russe », 1870)

7
Contempler le mystère de Marie, c’est en Elle que je trouve la qualité de cette offrande.
Commencer par la Trinité et voir les trois qui dialoguent.
Le consentement de Marie a permis d’ouvrir le cercle vie/mort.
L’homme entre dans la parenté divine.
Marie, Reine de Sagesse, se rétracte devant l’annonce de l’Ange après s’être étonnée de ce qu’il
dit d’elle…
Puis, Reine du Discernement, elle s’assure que c’est un Ange de Dieu… Comment aurait-elle un
enfant puisqu’elle ne « connaît » personne ? Cela semble contraire aux lois naturelles, donc
divines… L’ange répond à sa question, avec une logique de l’Amour : regarde ta cousine… Rien
n’est impossible à Dieu.

Réflexions personnelles

Pourquoi garde-t-on l’image de Marie comme vierge ?


Je ne parle pas de frères et sœurs pour Jésus, mais est-il dit quelque part qu’elle n’a, après Jésus,
eu aucun rapport sexuel ?

Pourquoi deux poids deux mesures de la part de l’Ange annonciateur face aux questions de
Marie et Zacharie ? L’ange répond aux deux, mais il rend Zacharie momentanément aveugle…
Leurs questions diffèrent ? Marie demande « comment ? » ; Zacharie « à quoi connaîtrai-je cela
? »… Ce qui ne veut rien dire d’autre que « comment ? ». Surtout lorsqu’on lit la suite : comme
Marie, Zacharie évoque le mur des lois naturelles (vieillesse)…

Pourquoi l’Incarnation ?
Et pourquoi Dieu ne s’est-il pas incarné lui-même ?
Parce que tout le mystère tourne autour de l’Amour, que l’amour est dans la relation, et que
Jésus est venu nous rappeler que c’est une relation à trois.
L’amour ne s’impose pas. Dieu Amour ne peut dire : « me voilà, aimez-moi ».
Le seul moyen de nous rétablir dans la vérité, de nous réveiller, de rediriger notre désir
mimétique est de nous montrer une relation exemplaire. Pour cela, il faut que l’on puisse
s’identifier. Or la relation qui nous lie à notre Créateur est une relation filiale, c’est la Bonne
Nouvelle. Dieu envoie donc son Fils.
Et là, chacun (Jésus et Dieu) dit : « aimez-Le ». « Si je me rends témoignage à moi-même, mon
témoignage n’est pas valable. Un autre témoigne de moi, et je sais qu’il est valable le témoignage qu’il me
rend. » 15 Plus que par la parole, c’est par ses œuvres que le Fils témoigne du Père. Les
prophètes, Jean-Baptiste en tête, annonçaient ce que Jésus est venu répéter et surtout accomplir
: le don de la vie éternelle.
On peut s’interroger sur l’exemplarité d’un Jésus qui n’a pas la même nature que nous. Mais
c’est justement que notre mission n’est pas dans le calque de personne à personne, l’imitation,
mais dans la vie de cette relation à établir avec notre Père.
A rétablir. La nature humaine de Jésus implique qu’il a subi le sommeil, l’oubli et la mort.
L’éveil de sa conscience divine peut donc être exemplaire (quoiqu’il semblerait que l’Esprit Saint
ne l’ait jamais quitté…). Un Dieu omnipotent, omniscient qui se serait incarné n’aurait pas pu
s’oublier lui-même… Cela aurait été autre chose…
Notre travail consiste au rétablissement d’un lien, d’un pont, au rappel de l’Alliance…

Réveillé par une allergie, j’en profite pour passer des ratiocinations (comme dirait le Père
Laplace) à un essai de contemplation du mystère de Marie…
Avec Marie, on est dans le miracle… le miracle de la vie…
C’est bien l ’Impératrice (l’arcane III du tarot), la Magicienne Sacrée.

15
Evangile selon saint Jean, 5, 31-32.

8
Avec elle, on est du côté de la mise en œuvre, de l’action libératrice, de notre mission :
apprendre à nous creuser et à accueillir… l’Amour…

Sur le plan humain, l’ouverture de la relation, sa triangularisation, implique notre


transformation en colonne pour faire passer l’Esprit Saint…
Comme le dit le guide spirituel de la confrérie soufie Alawiya, le Cheikh Khaled Bentounès,
« Dieu ne se vit pas au passé ni au futur, il se vit au présent. Quand on est deux, le troisième est là : il y
a un témoin en permanence ».
Plus l’union est le but recherché dans la relation, plus on entre dans le mystère de l’autre, vers
ce même Autre qui vit aussi mystérieusement en nous…
L’engagement du mariage donne à l’amour humain la direction de l’éternité : on aime l’âme de
l’autre, sous le regard de Dieu… L’homme est une monade qui ne peut s’unir qu’avec une
monade.
Parce que le chiffre de l’amour est le trois et que sa forme est le triangle16 .

Et toutes les réticences que je peux avoir concernant ce mystère de Marie (sa virginité, pourquoi
Dieu n’a-t-il pas fécondé Joseph puisque rien ne lui est impossible etc…) montrent bien que j’ai
un problème avec la réceptivité de l’amour… C’est évident…
Prendre exemple sur Joseph et Marie qui ont dû faire de la place en eux et dans leur couple…

• 6ème jour

Prédication du père Laplace

J’éprouve la gratuité de Ton appel.


Je suis un être qui n’a pas de nécessité, un serviteur « inutile ».

La prière aussi se reçoit : la parole de Dieu éveille notre attention, nous donne une chiquenaude,
et après, le Saint Esprit agit…
La prière vocale soutient notre attention.
Le chapelet est merveilleux si c’est une prière de cœur et non de règle. S’il y a contrainte, ça ne
vas pas : l’exigence de l’Evangile libère les êtres. Prier, vivre à la manière du Christ, pas à la
stoïque, ou à la manière de celui qui veut réussir.
La liturgie est la meilleure école d’une vie spirituelle.
La prière apostolique -dont le Magnificat est un modèle- nous fait sortir de nous-mêmes et
entrer dans la manière divine de regarder l’humanité. La prière nous permet de rester en paix
en toute circonstance pour pouvoir accueillir l’Autre comme Marie.

Voir à présent la route que Dieu veut nous faire suivre.


La lutte véritable est la lutte du discernement.
Dieu a voulu le risque de la liberté.
L’attirance sexuelle est normale ; c’est en faire un désir de possession qui est adultère.

16 « Mais je voudrais que les hommes considérassent attentivement en eux-mêmes ces trois choses, l’être,
le connaître et le vouloir. Je sais bien qu’elles sont très éloignées et très différentes de la Sainte-Trinité :
mais je les propose seulement afin qu’ils s’exercent à les méditer (…) Car je suis, je connais et je veux. Je
suis ce qui connaît et ce qui veut ; je connais que je suis et que je veux ; et je veux être et connaître.
Je voudrais qu’ils considérassent comment notre âme est inséparable de ces trois choses, et comment elles
ne font toutes trois ensemble qu’une âme, une même vie et une même nature intelligente et raisonnable ;
et cependant il ne laisse pas d’y avoir entre elles de la distinction, quoique cette distinction ne fasse pas
qu’elles puissent jamais être séparées. »
(Saint Augustin, « Les Confessions «, IVè siècle)

9
La vraie chasteté est celle du cœur. Le regard qui sait recevoir, admirer. La Vierge ne s’est pas
jetée avec avidité sur ce que l’ange lui présentait ; elle l’a reçu de Dieu.
Le cœur du discernement se trouve dans les Béatitudes.
Saint Antoine et ses émules n’allaient pas dans le désert pour fuir le méchant monde, mais pour
y affronter Satan les mains nues. Avant ça, ils avaient commencé par une vie cénobitique (avec
les frères).
Et le combat se mène dans le Christ…

Réflexions personnelles

Je médite la tentation au désert de l’Evangile selon St Luc (4, 1-13).


Je suis émerveillé par la densité du texte.
La première chose qui me frappe est d’ordre formel : c’est l’utilisation du futur par Jésus. Et ce,
dès sa première réponse :
« Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme. ».
Le diable, qui apprend vite (mimétisme !), emploie le futur dès la deuxième tentation :
« … elle t’appartiendra tout entière ».
Mais le futur du Christ n’est pas une parole de circonstance, une promesse en l’air : il l’emploie à
chacune de ses réponses, car il marque son inscription dans une tradition.
« Il est écrit : … ».
Jésus cite le futur (« antérieur ») biblique, qui exprime plus un objectif qu’une obligation.
Objectif qu’Il réalise justement, Lui le nouvel Adam qui accomplit l’Ecriture.
Malgré tout, Ses paroles insistent sur la Voie, alors que les promesses de Lucifer la court-
circuitent en faisant miroiter le but. Avec lui, c’est toujours la solution de facilité, la satisfaction
rapide et brutale. La vraie divinisation est un processus qui tient compte du temps où s’inscrit la
vie de chacun et où se tisse l’histoire de l’Humanité.
Mais encore une fois, le Malin apprend vite : à la troisième tentation, il singe le Maître.
« … car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges… ».
Et là, Jésus, qui n’est pas dans la lettre mais dans l’Esprit, répond :
« Il est dit : Tu ne tenteras pas… etc »

Trois tentations.
Chaque tentation pervertit les éléments du triangle du désir.

Où est le mal dans la première suggestion du diable ? Finalement, si Jésus transformait cette
pierre en pain, il ne ferait de mal à personne.
En réalité, le diable essaie de confondre Jésus sur l’Objet de son désir.
Il lui suggère la satisfaction de son besoin (« il eut faim »). Mais Jésus s’est imposé un jeûne de 40
jours, il sait ce qu’il veut : l’Objet de Son Désir est métaphysique.
Le malin se met au diapason et situe la tentation sur le plan métaphysique. Il ne dit pas : « si tu
as faim, transforme cette pierre », mais « Si tu es Fils de Dieu… ».
Et s’il avait dit « puisque tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre… » etc, la finalité aurait été
clairement « manger ». Mais il tente en même temps de brouiller l’enjeu véritable de sa
tentation (la finalité de l’action) en se mettant dans une position de défi métaphysique. Il feint
de mettre à l’épreuve la nature du sujet du désir (être le Fils de Dieu) pour entraîner celui-ci
dans la rivalité mimétique. Jésus ne se laisse pas séduire : il sait que le malin voudrait déplacer
l’objet de Son Désir (du Saint-Esprit au pain) et se substituer du même coup à Son Modèle divin.

Démasqué, le diable attaque alors en frontal le triangle du Désir.


Mais cette fois, il ne joue plus sur la rivalité mais sur l’admiration. Il propose un nouveau
modèle (lui-même) et un autre objet, les chimères métaphysiques humaines : prestige,
pouvoir, gloire etc…
Mais Jésus ne s’en laisse pas compter :

10
« Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu rendra un culte. »

Alors le diable feint de respecter le triangle du Désir christique, mais il tente d’en pervertir la
dynamique, l’esprit même : « Saute dans la mort, tu auras la gloire grâce à ton Père ! ». Cette
troisième tentation est à la fois la plus fondamentale et la plus pernicieuse. Elle se situe un degré
au-dessus des deux autres en proposant le contrôle de l’incontrôlable. Il s’agit ici de mécaniser le
désir pour obtenir un résultat immédiat et contrôlé. Au lieu d’une relation où Jésus laisse faire le
miracle de la Vie, le diable propose une mécanique fonctionnelle où les autres (Dieu, les anges)
sont instrumentalisés. Il suggère à Jésus d’appuyer sur un bouton pour vérifier le bon
fonctionnement de l’amour du Père. Sa logique est une logique de mort, comme l’illustre la fin
tragique des sœurs de Psyché : mûes par l’avidité, le désir mimétique perverti, elles sautent
comme Psyché… mais s’écrasent.
Le Christ, Lui, sait vraiment ce qu’Il veut et avec cohérence : Sa logique est un logique de vie, et
la gloire divine une gloire d’amour oblatif…
Etre orgueilleux dans la pauvreté, c’est être riche de son orgueil.
Jésus demeure dans le véritable amour qui ne se commande pas ni ne manipule… Il sait que le
geste suicidaire proposé par le tentateur le réduirait à un disciple masochiste du Père. Il connaît
le pouvoir passif-agressif du masochiste. Il sait que le cercle mimétique est une tentative
d’enfermement des trois éléments du désir. Il répond avec bon sens, c’est-à-dire avec le
discernement du cœur qui a vu la finalité de la proposition diabolique : tenter Dieu. Tenter, c’est
toujours « essayer juste pour voir », avec le petit frisson de danger qui caractérise la sombre
témérité du désir infantile… et l’on entraîne le modèle dans sa chute…
S’il cédait, le Christ agirait comme le diable, en tentateur. Il résiste ici à la tentation (passive) de
la tentation (active). Au fond, il dit « non » au diable qui sous-entend : « Deviens Moi »,
« Deviens mon double mimétique ».
Après la rivalité qui excite, l’admiration qui trouble, le diable joue sur l’identification qui annihile
l’autre dans l’illusion.

Les quarante jours dans le désert précèdent la vie publique du Christ.

Ce passage répond à l’interrogation : comment mettre en œuvre ma volonté ?

Dans la logique diabolique, la fin (en l’occurrence la faim) justifie toujours les moyens (les
pouvoirs d’action du Christ, magiques).

On assiste à un combat de magiciens. A la magie faustienne, Jésus oppose la Magie Sacrée qui a
pour méthode la pureté de la volonté et non sa force.
Jésus présente ici un modèle de pureté et une voie de purification des cinq courants ténébreux
inhérents à la volonté humaine.
« Ayant ainsi épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment favorable »
C’est-à-dire jusqu’au jour de l’agonie, où Jésus ira jusqu’à se faire clouer17 les sièges de ces cinq
courants.

La première tentation : prendre avec la main droite cette pierre et en garder le bénéfice
personnel avec la main gauche.

La deuxième tentation : le diable emmène Jésus qui marche… mais qui refuse de s’agenouiller
car il sait que cela impliquerait de s’avancer (« pouvoir » de la jambe droite) et de se maintenir
(« gloire » de la jambe gauche) aux dépens d’autrui.

17
« « Si tu es le Fils de Dieu », fais comme si tu n’étais pas un homme, fais comme si les pierres, la
possession, la santé, échappaient aux lois qui régissent ton corps. La porte étroite dont il est question
dans l’Evangile ouvre sur la mort, elle n’en dispense pas. » (Denis Vasse)

11
La troisième tentation : remplacer l’humilité vraie du temple intérieur (le cœur) par la fausse
humilité de celui qui se jette ostensiblement du « pinacle du Temple » de Jérusalem.

1ère tentation 2ème tentation 3ème tentation


objet du désir modèle du désir vécu du désir
les choses les autres la dynamique, l’organisation
l’intérêt propre l’amour-propre (narcissisme) la volonté propre
l’argent le sexe le pouvoir
le voleur le chasseur l’usurpateur
prendre et garder poursuivre, tendre un piège volonté de grandeur
les deux mains cloués les deux pieds cloués la plaie du cœur
pauvreté chasteté obéissance

Le but final étant l’union à Dieu, tout acte de volonté doit être amoureux.
La vie est amour et non connaissance.
Il est bon que Thomas Merton me le rappelle face à ce texte qui condense l’équivalent d’une
année de mes lectures et réflexions en quelques lignes à la fois inépuisables et compréhensibles
par tous.
Suivons le Christ dans son cheminement et écoutons les Béatitudes (lues ce dimanche matin à la
messe !) qui s’adressent justement aux vrais Sages…

• 7ème jour

Prédication du père Laplace

Mathieu présente les Béatitudes comme une ascension, Luc comme une lutte. C’est les deux à la
fois.
Trouver dans les Béatitudes la lumière de la Vie. Prier, demander à être pauvre de cœur pour
recevoir l’Amour…
Lutte entre la lumière et les ténèbres. Satan nous prend dans le meilleur de nous-même pour
tout vicier. Trouver le point exact où il nous attaque. Etre touché à la hanche comme Jacob avec
l’ange…

Le discernement est un flair intérieur, l’exercice d’un sens.


Saint Jean prend l’exemple de l’onction : une pénétration qui me permet de reconnaître
intérieurement quelque chose.
Pour y arriver, pour ne pas me laisser emporter par mon imagination, mes raisonnements ou
mes sentiments, il est nécessaire de purifier l’œil de l’intention.
Comment ?
Par l’examen de conscience.
Ce n’est pas un simple bilan. C’est ce qui permet, dans ma vie quotidienne, le filtrage de mes
pensées dans le souvenir fréquent de Jésus Christ. C’est la reprise de ma vie terrestre dans une
perspective éternelle. Saint Jean nous le rappelle : « Celui qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu,
Dieu demeure en lui et lui en Dieu. Et nous nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous
y avons cru (…) Il n’y a pas de crainte dans l’amour… 18 »

18
Première Epître, 4, 15-16 et 18.

12
Il s’agit en effet de demeurer en paix à l’intérieur de mon effort, d’une paix qui vient de Dieu. Si
mon cœur me condamne, Dieu est plus grand que mon cœur. Remettre mon échec apparent à
Dieu, dans la brisure d’un cœur qui s’ouvre à l’amour19 .
Toujours reconnaître l’action de la grâce dans ma vie : si le « bilan » est bon, ne pas oublier que
c’est l’œuvre de sa grâce 20 .
L’examen de conscience est une occasion de sortir de moi-même, de remonter vers Dieu en une
action de grâce, à partir de ce que j’ai vécu dans la journée.

Ce discernement doit porter sur des points précis, des décisions.


Comment m’assurer que mes décisions sont selon Dieu ?
« Tout mouvement de Dieu n’est pas nécessairement d’une volonté de Dieu », écrit le père Surin21 .
Partir de la tranquillité naturelle de l’être.
Mesurer ma capacité : suis-je apte à réaliser mon désir ?
Reconnaître l’action de Dieu aux effets produits par ce désir dans la durée : est-ce que j’éprouve
bien à chaque fois une dilatation joyeuse du cœur ?
Au moment de prendre ma décision, suis-je dans une liberté profonde et simple ? Est-ce un acte
libre, vraiment personnel ?

Comme Pierre qui a été « éduqué » par Jésus, accepter de Le suivre sur Ses routes en me
laissant éduquer par le mouvement des consolations/désolations 22 …

19 « Quand vous regardez un être humain, vous regardez Dieu (…)


C’est beau, un être humain… Quand il est arrivé à vivre toute une vie avec toutes les misères que vous
connaissez et que nous connaissons… que, tombé à terre, il s’est relevé 500 fois, et qu’il est debout à la
fin (…) Offrez-vous donc vous-mêmes, tels que vous êtes, avec vos déficiences, vos défaillances (…) Le
vrai sacrifice, maintenant, ce sera « vous-mêmes »… Offrez-vous donc, vous, tels que vous êtes (…)
N’offrez pas « quelque chose » (…) Si nous voulons être fidèles au Christ, il nous faudra toujours jouer
cette vérité et cet amour, où que ce soit… être nous-mêmes, véritablement nus dans notre propre vérité.
Pendant la vie c’est bien difficile, mais au moment de la mort, nous serons débarrassés de toute
considération, de toute réputation. Alors nous serons complètement nus.
Vous ne mourrez que dans la nudité de vous-même. Tant que vous mourrez en « solennité », ce n’est
pas la mort. Il faudra recommencer après. »
(Père Monier, « Jésus-Christ tel qu’il est », 1975)
20 « (…) la première chose dont nous devons être bien convaincus est que tout le bien que nous

pouvons faire vient de Dieu et de lui seul. « Hors de Moi vous ne pouvez rien faire » a dit Jésus (Jean
15,5) (…) le problème fondamental de notre vie spirituelle devint celui-ci : comment laisser Jésus agir en
moi ? Comment permettre à la grâce de Dieu d’opérer librement dans ma vie ? (…) Plus notre âme est
paisible, égale, abandonnée, plus ce Bien se communique à nous et aux autres à travers nous. »
(Jacques Philippe, « Recherche la Paix et poursuis-la », 1991)
21
« Dialogues spirituels », XVIIème siècle.
22 « Vos péchés, vos difficultés, vos faiblesses, ce n’est pas cela qui compte. Regardez saint Pierre (…) ce

qui a de l’importance, c’est que Pierre Lui fasse confiance (…)


Jésus disait :
- Quand il y de l’ivraie et du bon grain, n’enlevez pas l’ivraie, vous abîmeriez le bon grain. Mais cultivez
le bon grain et l’ivraie ira au feu d’elle-même (…)
Tes défauts ne m’intéressent pas. Je voudrais connaître ta qualité dominante (…)
Il nous regarde tous et chacun d’entre nous :
- Toi, je ne viens pas te parler de ta misère. Tu la connais, mais Je la connais mieux que toi. Seulement, je
veux te parler des qualités que mon Père a mises en toi. Qu’en as-tu fait ? Tu as du cœur, vas-tu t’en
servir, non pas pour accaparer les autres, mais pour les aimer véritablement, pour leur donner, pour te
donner, pour pardonner quand il faudra ? Voilà la ligne…
Et le reste ?
- Seigneur, que faudra-t-il faire ?
- Ne t’inquiète pas, tu verras bien ce qu’il y a à faire quand cela viendra (…)

13
Pierre l’impulsif vint vers Jésus en marchant sur l’eau, prit peur à cause du vent, coula, appela
Jésus à l’aide et…
« Aussitôt Jésus tendit la main et le saisit, en lui disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté
? »23

Réflexions personnelles

Ce qui m’empêche de trouver la paix : je sais d’ores et déjà que je vais retomber dans certains
péchés… Mais enfin, je T’offre mes petites victoires actuelles…
Le riche notable repart tout triste, « car il était fort riche ». 24
Je suis un chameau, et le chas de l’aiguille m’effraie et me désespère… Heureusement, je ne suis
pas le seul, et « Ceux qui entendaient, dirent : « Et qui peut être sauvé ? » Il dit : « Ce qui est
impossible pour les hommes est possible pour Dieu »…25
Dieu ne considère pas la richesse (dans tous les sens bien entendu) comme une tare rédhibitoire
mais comme une incapacité. Si l’œil de mon intention est trop impur pour voir la face de Dieu, si
je suis trop rempli de moi-même pour recevoir l’Amour, l’Amour m’aidera… il ne se contentera
pas de me juger et de me rejeter…

Prière taillée sur mesure, à partir des points de mon anatomie taraudés par l’accusateur :

SEIGNEUR,
donne-moi d’abord et surtout d’être vraiment humble ;
condition pour être en paix avec la réalité du monde,
et me sentir à ma place parmi les autres 26 .

Enfin et surtout, n’allez pas calculer. Dans le domaine moral, le calcul est effroyablement
dangereux. On ne calcule pas dans l’ordre moral. On se calme, on se pacifie, on regarde, on écoute et on
avance quand le moment est venu (…) Je vous assure que votre vie est menée… alors, ne vous agitez pas
et ne dites jamais « non »
(Père Monier, « Jésus-Christ tel qu’il est », 1975)
23
Evangile selon Saint Matthieu, 14, 31.
24 « De même je ne doutais plus qu’il ne valût mieux me jeter entre les bras de votre amour, que de me

laisser emporter à ma passion déréglée. Mais j’approuvais l’un, et je suivais l’autre ; l’un était victorieux
dans mon esprit, et l’autre tenait encore ma volonté dans ses chaînes (…)
Où es-tu, ma langue, toi qui disais que tu ne voulais pas te décharger du fardeau de la vanité, pour
suivre une vérité qui ne t’était point connue ? Elle t’est connue maintenant, et néanmoins ce fardeau
t’accable encore ; au lieu que d’autres qui ne sont pas tant tourmentés que toi pour chercher la vérité, et
qui n’y ont pas employé l’étude de dix années et davantage, se sont non seulement déchargés de ce
pesant poids, mais ont pris des ailes pour s’envoler vers le ciel. »
(Saint Augustin, « Les Confessions «, IVè siècle)
25
Evangile selon Saint Luc, 18, 26-27
26 « La découverte du processus de la « deuxième naissance » le [Jung] poussa à étendre

considérablement l’échelle de son travail exploratoire, notamment au symbolisme, aux rituels des
mystères et à l’étude comparée des religions, contemporaines et anciennes (…) Jung parvient à la
découverte (…) de quelques dangers ou tentations que comportent la voie de l’initiation et le processus
d’individuation qui y correspond. L’un de ces dangers –qui sont à la fois des épreuves et des tentations-
est celui que Jung appelle « inflation » et qui désigne l’état de conscience du moi gonflé à outrance,
connu en psychiatrie, dans sa manifestation extrême, sous le nom de « mégalomanie » (…)
C’est l’identification de la conscience à un archétype (type « héros ») qui peut engendrer
l’engloutissement de la conscience par cette figure archétypale. »
(Anonyme, « Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot »)

14
Rapproche-moi souvent de Ton point de vue
et de Ton regard sur moi dans mon contexte.
Si je suis dans la comparaison, ramène-moi à Toi.
Tous mes dons, je les tiens de Toi ;
que je les utilise avec Toi, avec cœur.

ABBA,
donne-moi la certitude que mon bonheur passe par le rayonnement d’amour
et non par l’excitation dominatrice.
Que les malheurs et les malaises que j’ai déjà causés chez les autres et chez moi
me reviennent à l’esprit et me suffisent !
Fais-moi vivre et apprécier le rayonnement cordial
dans mes relations
appréhendées dans le triangle
dont Tu es le sommet.

ELOHIM,
dilate enfin mon âme mesquine,
malade de larcins, de calculs, d’avarice et de rétention27 !…
Donne-moi la chance de goûter volontairement
la légèreté du dénuement,
la liberté de la confiance en la Vie,
et la joie du don bénéfique.
Fais sonner chaque jour la cloche du silence
afin que je demeure en Ta paix…

MERCI D’AVANCE !

Mais je ne retiendrai pas cette prière28 …


Théophane le Reclus29 m’en rappelle une autre plus simple : la prière du cœur, nécessaire et
suffisante, littéralement respirée par les hésychastes (moines orthodoxes) : « Invoque le Seigneur
avec ardeur : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! ». Fais-le sans cesse : à
l’église, chez toi, en chemin, durant le travail et pendant ton repas, dans ton lit ; en un mot, du moment

« Malgré leurs contrastes, les deux aspects sont identiques : une mégalomanie consciente se compense
par un sentiment d’infériorité inconscient et un sentiment d’infériorité conscient correspond à une
mégalomanie inconsciente (on ne rencontre jamais l’un sans l’autre). »
(Jung, « Introduction à l’essence de la mythologie »)
27
« Ne comprenez-vous pas que tout ce qui pénètre dans la bouche passe dans le ventre, puis s’évacue
aux lieux d’aisance, tandis que ce qui sort de la bouche procède du cœur, et c’est cela qui souille l’homme

(Evangile selon saint Matthieu, 15, 17-18)
28 « Seigneur, exaucez ma prière, afin que je ne succombe point sous les châtiment de votre sévérité

paternelle, et que je ne cesse jamais de vous rendre des actions de grâces pour cette infinie miséricorde
par laquelle vous m’avez tiré de tous mes dérèglements. Faites, s’il vous plaît, que je trouve en vous un
plaisir et une douceur qui passe sans comparaison tous ces faux plaisirs dont j’étais esclave, que je vous
aime d’un amour ferme et inébranlable, et que je me tienne toujours à votre main toute-puissante, m’y
attachant avec toutes les forces de mon cœur et de mon âme, afin que vous me préserviez de toutes sortes
de tentations jusqu’à la fin de ma vie. »
(Saint Augustin, « Les Confessions «, IVè siècle)
29
1815-1894

15
où tu ouvriras les yeux jusqu’à celui où tu les fermeras ; c’est comme si tu exposais quelque chose au
soleil, parce que c’est se tenir devant le visage du Seigneur, qui est le soleil du monde spirituel. » 30
J’ai essayé. En inspirant « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu » et en expirant « aie pitié de moi ».
Quand on est dans le trouble, ça remet les choses en place31 .

• 8ème jour

Prédication du père Laplace et quelques réflexions personnelles

Dédramatiser l’état dans lequel je me trouve ?


Ça tombe bien : une confession mal vécue (pas dans la vérité) me laisse perdu dans mon
enfermement avec un sentiment sourd de culpabilité, de gâchis. Visiblement je ne suis pas le
seul : après la journée de lumière d’hier, dit le père Laplace en parlant au nom de tous, je vois
plus clair, mais je ressens pourtant des doutes ou de la sécheresse… C’est normal : après avoir
traversé la mer Rouge, le peuple hébreux a tourné en rond dans le désert pendant 40 ans ! (Moi
qui pensait être sorti du désert avec Jésus après avoir déjoué le malin !…) Recevoir au jour le
jour… Je suis travaillé, une terre que Dieu pétrit…

La nécessité plus grande d’une prière.


L’effort juste. Dans une perpétuelle purification du cœur qui permet de recevoir la révélation
que Dieu veut réaliser en nous. Juste.

Le problème n’est pas la richesse, mais la propriété.

Mettre son effort à mieux servir Dieu.


Aimer en œuvre et en vérité.

L’élection est un acte, une signature, un engagement. Pas une résolution.


Comment découvrir l’objet sur lequel doit porter notre choix ?
Laplace raconte cette histoire du supérieur jésuite à qui on demande de pourvoir à deux postes :
l’un à Venise, l’autre à Pétaouchnok. Mais il n’a qu’une seule personne à envoyer. Il l’appelle et
lui présente l’alternative avec les avantages et les inconvénients de chaque destination. Puis il lui
demande de prendre le temps de disposer son cœur dans une indifférence totale vis à vis d’un
choix ou de l’autre. Quand le jeune revient, prêt à aller dans la paix aussi bien à Venise qu’à
Pétaouchnok, le supérieur lui demande : « Vers laquelle vous sentez-vous attiré ? »…
C’est ça, l’Obéissance religieuse : avoir le cœur tellement pur qu’il peut se donner tout entier à
l’œuvre de Dieu qui nous aime, et nous aime libres.

Puis faire passer ma découverte dans le mystère de Jésus : être une petite pierre dans l’Eglise.
Jésus n’a pas fini son histoire. Il continue à étendre son Corps à toute l’humanité.
Par le sacrement des sacrements : l’eucharistie.
Un sacrement est une manière de Jésus de se communiquer à ses créatures, un stratagème de
Dieu pour se rendre palpable.

30
« Lettres sur la vie spirituelle »
31L’intellect exige absolument de nous, quand nous fermons toutes ses issues par le souvenir de Dieu,
une œuvre qui satisfasse son besoin d’activité. Il faut lui donner le nom très saint du seigneur Jésus
comme la seule occupation qui réponde entièrement à son but. « Personne en effet ne peut dire : Jésus
est le Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit Saint. »
(Diadoque de Photicé, « Cent chapitres sur la perfection spirituelle »)

16
Devenu l’ami de Dieu, Moïse, sur une montagne, lui demande la grâce de lui faire voir sa gloire.
Dieu répond : « tu ne peux voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre (…) Voici une place près
de moi ; tu te tiendras sur le rocher. Quand passera ma gloire, je te mettrai dans la fente du rocher et je te
couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Puis j’écarterai ma main et tu verras mon dos… » 32
Le sacrement est le passage de Dieu.
Le vrai sacrifice transforme la victime en être de gloire.
Le baptême33 nous donne droit à nous laisser prendre dans le corps du Christ, pour que ce qui
s’est accompli en Lui s’accomplisse aussi en nous, pour que nous soyons aussi transfigurés en
Lui.
L’eucharistie, c’est déjà entrer dans le monde invisible. C’est le signe sensible d’une réalité
unique du Christ s’offrant dans sa chair pour que toute l’humanité soit glorifiée.
« Nous qui sommes nombreux, nous devenons un Corps », écrit Saint Augustin34 .
C’est moi qui suis représenté dans le pain et le vin. Nous tous.
Et ce nous sommes devient le corps du Christ, le sang du Christ.
Le mouvement de la vie du Christ, c’est de nous emmener toujours ailleurs dans le mystère de
l’amour.
L’eucharistie, chez Jean, c’est le lavement des pieds.
Jésus nous reprend dans notre chair afin que par le contact avec sa chair, nous soyons divinisés.
A Pierre qui se rebiffe, Jésus répond : « Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi »35 .
Il n’y a d’immortalité qu’en Jésus Christ, le Verbe fait chair. C’est le but de l’incarnation.
Et personne ne doit être exclus de l’Amour, même celui qui Le rejette : Judas.
Jean est celui que Jésus a fait entrer dans le secret de la trahison, mais surtout dans le mystère
de l’amour : amour gratuit, réponse libre… « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais
tremper. » 36

Réflexions personnelles

Le diable me touche à la tête : il me la gonfle pour me faire oublier le cœur…

Sortir de moi pour demeurer en le Christ, comme celui-ci le conseille à ses disciples après la
première eucharistie.

Mais comment demeurer en Lui ?

« Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour (…) Si quelqu’un m’aime, il
gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure
chez lui»37

32
L’Exode, 33, 20-23
33 « Le baptême n’est pas fait pour nous sauver. Il nous sauve, oui, mais il n’est pas fait pour cela. Il est
fait pour faire des sauveurs (…) c’est un sacrement, c’est-à-dire quelque chose qui opère ce qu’il
explique (…) Le sacrement est donnée, on ne le « fait » pas (…) Vous, de votre côté, donnez votre foi.
Mais les sacrements, c’est Dieu qui vous les donne… Le sacrement est l’activité de Dieu qui n’a besoin
que de votre confiance (…) Tout vous est donné d’en haut, comme la naissance. Voilà la grande réalité
(…) La grâce ne vient pas changer votre nature, elle vient mettre comme un levain pour l’épurer et
l’élever davantage. »
(Père Monier, « Jésus-Christ tel qu’il est », 1975)
34
« La Cité de Dieu ».
35
Evangile selon Saint Jean, 13, 8
36
Evangile selon Saint Jean, 13, 26
37
Evangile selon Saint Jean, 15,10 et 14, 23

17
Aimer l’Amour, n’est-ce pas baigner constamment dans l’Amour ? Le Christ nous permet
d’aimer le Père dans l’Esprit Saint.
Quand l’angoisse et la mauvaise conscience m’assaillent, penser à me mettre dans l’amour.
Faire quelque chose que j’aime faire (avec le cœur) ; penser à ceux que j’aime ; dire une parole
d’amour etc…
« Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres. » 38

Ora et Labora. C’est la prière qui me libère de moi-même.


Ne pas oublier la parole de Dieu, c’est ne pas oublier que Dieu m’aime.

Dieu m’aime.

C’est ça le plus difficile à concevoir. Dieu est toujours présent, prêt à m’accueillir les bras
ouverts ! Avec Jésus, les anges, et tous les saints ! Moi ! Celui qui est à l’origine de tout ce qu’il y
a sur terre de beau, d’admirable, de toute vie, m’aime !… Il m’aime, celui-là même qui est à
l’origine de la conscience qui noue mon estomac !…
Le Règne de Dieu n'est pas d'abord un objet de connaissance. Il est une vie, une communication
de vie.
Passer de l’intelligence à la vie. Dans connaître, le verbe c’est naître.
Ne pas avoir peur de se laisser prendre par le flux de la nouveauté, le flux du temps. Vivre, c’est
vivre le présent 39 . Et vivre le présent, c’est se mettre en présence de quelqu’un, d’une vie qui
évolue. (Le temps est relatif).
L’intelligence fige pour contrôler. Elle fabrique, en travaillant la matière morte.
Me laisser prendre par le flux intuitif de la foi.

• 9ème jour

Prédication du père Laplace assorties de quelques réflexions personnelles

Ne pas confondre étude et vie spirituelle40 .


Je reçois la parole de Dieu comme un sacrement, dans la docilité au Maître Intérieur qui va me
rendre sensible à un point ou à un autre, qui va m’y faire revenir pour la goûter… L’apprendre
par cœur…

38
Jean, 15,17
39 « La fluidité, c’est le summum de l’intelligence émotionnelle, les émotions mises au service de la
performance ou de l’apprentissage. Celles-ci ne sont pas seulement maîtrisées et canalisées, mais aussi
positives, chargées d’énergie et appropriées à la tâche à accomplir. Quand on est aux prises avec l’ennui
de la dépression ou l’agitation de l’anxiété, la fluidité est hors d’atteinte. pourtant, tout le monde ou
presque connaît de temps à autre l’expérience de la fluidité (…) quand on donne le meilleur de soi ou que
l’on va au-delà de ses limites habituelles (…) c’est un sentiment de joie spontanée, voire de ravissement
(…) Quand l’individu s’absorbe complètement dans ce qu’il fait, y consacre la totalité de son attention, sa
conscience se confond avec ses actions (…) Dans l’état de fluidité, l’individu ne pense plus à lui-même
(…) c’est le pur plaisir de l’acte qui le motive (…) Dans l’état de fluidité l’attention est à la fois détendue
et très focalisée (…) l’enfant doit découvrir l’activité qu’il aime et s’y tenir. »
(Daniel Goleman, « L’intelligence émotionnelle », 1995)
40 « Un frère vint chez abba Théodore et se mit à parler et à s’enquérir de choses qu’il n’avait pas encore

mises en pratique. Et l’ancien lui dit : « Tu n’as pas encore trouvé le navire, ni embarqué ta
cargaison, et avant d’avoir navigué, te voilà déjà arrivé dans cette ville-là. Quand tu auras
d’abord fait l’œuvre, tu en viendras à ce dont tu parles maintenant. » »
(« Abba, dis moi une parole », Paroles des Pères du désert )

18
Déchiffrer Ta parole illumine, et les simples comprennent.

Y trouver la chiquenaude pour faire passer du visible à l’invisible.

Entrer dans l’esprit d’enfance.

Me confier en Dieu comme si le résultat de tout ce que j’entreprends dépendait totalement de


Lui.
Mettre en œuvre comme si tout dépendait de moi.
Que l’œuvre réussisse ou pas, je demeurerai ainsi en paix41 .

Rien n’est méprisable aux yeux de Dieu. M’efforcer de faire les petites choses en Dieu si je veux
me préparer à faire de grandes choses plus tard pour le Règne de Dieu. J’apprendrai mes
faiblesses et j’apprendrai à me laisser prendre par la grâce. Dieu manifestera sa puissance dans
ma faiblesse.
Il s’agit d’oser croire, d’avoir l’audace de l’enfant (le Bateleur ose ; c’est la première carte du
Tarot) ; de passer, mais sans m’attacher à moi-même ; d’avancer en me laissant prendre.

Lorsque les 72 disciples revinrent tout joyeux d’avoir soumis même les démons au nom de
Jésus, celui-ci tressaille de joie sous l’action de l’Esprit Saint et dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du
ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. » 42

Nous sommes comme les disciples d’Emmaüs, en contact avec la nouvelle présence du Christ
ressuscité.
C’est la foi qui nous introduit à cette présence, qui n’est pas une présence locale, mais une
communauté de cœur et d’esprit. Intériorité réciproque.
Dimanche, alerté par Marie de Magdala, Jean arrive au tombeau, et le trouve vide… « Il vit et il
crut ».43 Comme l’écrit Yves-Maries Blanchard, « l’acte de foi du disciple bien-aimé, au matin de
Pâques, s’avère exemplaire d’une vraie démarche d’adhésion croyante, au-delà des seules apparences (…)
A l’inverse des signes, ambigus par nature, du fait de l’importance des signifiants (la guérison d’un
malade, la multiplication des pains, le retour à la vie du mort Lazare etc…), le vide du tombeau autorise
une vision libre de tout signifiant et, de ce fait, parfaitement adéquate au signifié (…) Pour avoir su
dépasser la fixation sur les derniers lambeaux du signifiant (linges et suaire, soigneusement rangés dans
le tombeau), le disciple accède à la foi, au-delà de toute apparence, sans autre support que l’engagement
de son être. Dès lors, le « voir » n’oppose plus la moindre résistance au « croire », le vide du tombeau
ayant en quelque sorte libéré le regard de toute curiosité simplement matérielle. »44
C’est la foi qui transcende la culture du tombeau.

La joie est le signe de la présence du Christ.


Chacun de nous retrouve le Christ dans les autres45 .
C’est déjà la vie éternelle, la Communion des Saints, l’Eglise réalisée.

41 « Un désir qui fait perdre la paix, même si la chose désirée est excellente en soi, n’est pas de Dieu. Il
faut vouloir et désirer, mais de manière libre et détachée, en abandonnant à Dieu la réalisation de ces
désirs comme il le voudra et quand il le voudra (…) notre vouloir doit toujours rester doux, paisible,
patient, détaché, abandonné à Dieu. »
(Jacques Philippe, « Recherche la Paix et poursuis-la », 1991)
42
Evangile selon Saint Luc, 10,21
43
Evangile selon Saint Jean, 20,8
44
In « Christus » (01/99)
45 « Le sourire est la plus belle expression de l’intériorité de quelqu’un. Un être qui peut sourire a la joie

intérieure, la paix, la patience, il a cette humilité qui consiste à accepter le réel, il ne se pose pas trop de
problèmes inutiles. »
(Père Monier, « Jésus-Christ tel qu’il est », 1975)

19
Réflexions personnelles

Un cœur d’enfant comme celui des disciples d’Emmaüs. C’est à eux que le Christ choisit de se
présenter en premier (après Marie de Magdala, grande pécheresse de laquelle avaient été
chassés 7 démons).
Ils ont bon cœur. Ils disent à cet homme, sans l’avoir reconnu : « Reste avec nous, car le soir tombe
et le jour déjà touche à son terme. » 46
Ils ne reconnaissent pas Jésus, car Jésus est neuf, sans âge 47 …
« O cœurs sans intelligence… » 48 Mais c‘est à ces cœurs sans intelligence qu’Il a choisi de se
manifester dans sa gloire.
Et comment se fait-il (re)connaître ? Il commence par leur interpréter les Ecritures (Il fera de
même avec les onze). Le Verbe fonde l’Autorité.
Mais la reconnaissance de cette Autorité se fait via le partage des fruits de la terre : lorsqu’Il rompt
le pain et le donne aux disciples d’Emmaüs, lorsqu’Il mange le poisson avec les apôtres…

Pour le Père Laplace, l’esprit d’enfance est le sommet de la vie spirituelle.

J’étais venu en retraite pour me préparer « par la réflexion » au baptême de ma fille49 .


Je me suis vite rendu compte que le voyage proposé par la retraite exigeait que je renonce à ce
dessein.
Mais à la fin de ma dernière nuit, il semble qu’un signe m’ait été envoyé à ce sujet par une toute
autre voie 50 …
Un rêve m’a replongé dans un univers proche de celui de mon enfance…
A la fin, je vais chercher ma fille qui se réveille, dans une chambre (inconnue) qu’elle partage avec
d’autres enfants (non identifiés)…

Dans ce rêve, le chiffre 27 x 27 s’est mystérieusement imposé à moi.


Et je me suis mis à rêver des calculs avec un effort obsessionnel de déchiffrement : 27, c’est 33 ,
donc 27x27 = 36 …
Le matin au réveil, je fais la multiplication : 27x27 = 729.
Ma fille (dont le nom signifie « l’étoile » en persan) est née le 29/7.
Par ailleurs, la réduction de 729 (7+2+9) donne 18. Or la carte 18 du tarot est celle que j’ai tirée
pour ce mois de février : La Lune . Claude Darche donne une interprétation de cet arcane :
« l’homme doit plonger au sein de sa vie nocturne, de ses rêves, de son inconscient, bref de tout ce qui lui
échappe, pour se connaître. C’est à cette plongée riche et féconde en nous-mêmes que nous invite le dix-
46
Evangile selon Saint Luc, 24, 29
47 « La règle des Apparitions, dans l’Evangile, est très simple : personne ne reconnaît immédiatement le
Christ quand on Le rencontre (…) Il fallait accepter de changer pour Le voir changé. Il fallait se donner
un peu pour commencer à Le recevoir. Il fallait commencer à Lui ressembler pour Le reconnaître. »
(Louis Evely, « La prière d’un homme moderne » 1969)
48
Evangile selon Saint Luc, 24, 25
49 « Nous devons découvrir ce que nous sommes devenus dans le baptême, pour savoir ce que nous

devons faire dans la vie. »


(Raniero Cantalamessa, « La sobre ivresse de l’Esprit », 1994)
50 « … prendre des visions quelconques pour des révélations directes de la grâce, garde-t’en bien, car

cela se produit naturellement selon l’ordre des choses. L’âme humaine (…) peut voir dans l’obscurité, et
les objets lointains aussi bien que les proches. Mais nous n’entretenons pas cette faculté de l’âme (…)
Lorsque nous nous concentrons en nous-mêmes, que nous nous abstrayons de tout ce qui nous entoure
et que nous aiguisons notre esprit, alors, l’âme revient complètement à elle-même, elle agit avec toute sa
puissance, et c’est là une action naturelle. »
(« Récits d’un pèlerin russe », 1870)

20
huitième arcane du Tarot. Ecoutons la voix de Jung nous rappeler l’importance de cet univers qui est
une partie essentielle de nous-mêmes : « Le rêve est une porte étroite, dissimulée dans ce que l’âme a de
plus obscur et de plus intime ; elle ouvre sur cette nuit originelle cosmique qui préformait l’âme bien
avant la conscience de l’existence du moi et qui la perpétuera bien au-delà de ce qu’une conscience
individuelle aura jamais atteint… » »51
« Bien au-delà de ce qu’une conscience individuelle aura jamais atteint… ». Or, dans mon rêve, je
me suis escrimé à faire des calculs oiseux.

Par ailleurs, je dois avouer qu’aussitôt réveillé, ma soif d’interprétation a commencé par me
faire faire une erreur de calcul. J’étais arrivé à 629 !
Là-dessus, j’ai de plus mal lu les chiffres romains sur la carte du Tarot : j’ai lu 17 au lieu de 18 !
Jamais deux sans trois : je ne sais pourquoi ni comment, mais j’ai ensuite cru pendant un
moment que la carte 17 était « Le Soleil ». Je me suis même réjoui de retrouver dans les deux
jumeaux de la carte un rappel de l’esprit d’enfance !…
J’ai toutefois rapidement rectifié cette erreur et je me suis rendu compte que la lame 17 est
l’Etoile. J’y ai vu immédiatement un signe réconfortant sur mon chemin vers « Les 7 Cigales »
(le scénario sur lequel je travaille) ! L’Etoile rappelle leur emblème, le pentagramme ! J’ai même
essayé même de retrouver dans les deux triangles imbriqués du pentagramme une
représentation du chiffre sous sa forme exponentielle : 36 .
Quoi qu’il en ait été, ce qui est riche d’enseignement, c’est que mon manque de discernement
s’est exercé sur les trois luminaires, les signes que Dieu a créé le quatrième jour de « La
Genèse » : « Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit ;
qu’ils servent de signes (…) » Dieu fit les deux luminaires majeurs : le grand luminaire comme
puissance du jour et le petit luminaire comme puissance de la nuit, et les étoiles (…) Il y eut un soir et il
y eut un matin : quatrième jour. »52
Mon rêve m’a donc renvoyé à La Lune, puissance de la nuit…
C’est mon psychiatre qui, plus tard, m’a fait remarquer mon erreur de calcul !
Il y a vu très justement ma propension à chercher le résultat53 .
En vérité, mon rêve me renvoie à quelqu’un d’autre (création « divine »), et à ma carte du mois
qui est une invitation à quitter mon mode de fonctionnement « intelligent ». Comme l’écrit
l’auteur anonyme, « L ’intelligence ne se concentre que sur les moissons, c’est à dire sur le produit et
non pas sur la production qui n’est, pour elle, que le moyen et la série des étapes qui lui permettent
d’arriver au produit. Ce qu’elle vise, c’est toujours le résultat. C’est toujours l’automne des choses et des
évènements qu’elle a en vue (…) Le principe de l’automne s’oppose au principe du printemps ; le
principe sous-jacent à l’intelligence s’oppose à celui qui est sous-jacent à l’intuition de la foi (…) Or
l’Evangile selon Saint Jean invite l’âme humaine à transposer son intelligence de l’automne en plein
printemps, il propose de la rajeunir en le plaçant dans le domaine de la créativité au lieu de celui du
créé… »
Au commencement était le Verbe.
La parole de Dieu est au commencement du chemin de la rencontre divine, elle est la voie de la
reconnaissance de Jésus en l’autre (cf Emmaüs).

Par ailleurs, je n’avais jamais eu autant de mal à tirer une carte que cette « Lune », ce mois, à
Manrèse (lieu de ma retraite). J’ai essayé à plusieurs reprise le 31 janvier autour de minuit, alors
que la pleine lune brillait au-dessus de Paris ! Ce soir-là, m’était gentiment apparu une sorte de

51
« Pratique du Tarot de Marseille » (1994).
52
1, 14, 16 et 19
53 « Le matérialisme qui nie la liberté de l’homme rejoint étrangement le providentialisme qui voit la

« main de Dieu » partout. »


(Louis Evely, « La prière d’un homme moderne », 1969)

21
petit papillon de nuit. Je l’ai fait sortir de ma chambre en allumant la lumière dans le couloir. Je
ne voulais ni le tuer ni dormir avec lui !!54
Le lendemain, incapable de me résoudre à vivre en-dehors de mes repères habituels, je me suis
acharné sur les cartes… pour finalement réussir… C’était comme si l’inspiration divine - tout en
me faisant grâce de ne pas me retirer cette balise mensuelle- voulait me donner une leçon au
cours du tirage même.
« Notre intelligence (…) isole donc instinctivement, dans une situation, ce qui ressemble au déjà connu ;
elle cherche le même, afin de pouvoir appliquer son principe que «le même produit le même ». En cela
consiste la prévision de l’avenir par le sens commun.55
En réalité, le contact avec « L’Inspiration » n’est pas une science. En divination (comme en toute
vie en divinisation) il n’y a pas de répétition, mais un flux de moments originaux56 .
La vie spirituelle est une rencontre de Jésus ressuscité, vivant parmi nous.
Pour qu’une rencontre dans l’amour puisse advenir entre deux être vivants et libres, ceux-ci
doivent être purifiés des deux tendances mortifères : le désir de contrôler l’autre et de la peur
d’en être affecté57 .

Mon très perspicace psychiatre m’a dit aussi : « 729, c’est aussi 9 x 9 x 9 ». Il n’a rien ajouté et sur
le moment je n’ai rien déduit.
De retour chez moi, j’ai loué la conjonction de l’esprit psychanalytique (qui joue sur les mots) et
de l’Esprit Saint : 9 x 9 x 9, l’esprit vraiment neuf, trois fois neuf !!
Or le baptême fait entrer dans la famille trinitaire58 .
De l’apparition de Jésus ressuscité aux onze disciples, saint Mathieu ne retient que la mission
apostolique : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du
Fils et du Saint Esprit… »59

Le père Laplace suggérait de partir avec un apophtegme. Le mien sera :

54 « Les anciens disaient : Alors même qu’un ange t’apparaîtrait, ne l’accueille pas facilement ; humilie-
toi plutôt en disant : « Je ne suis pas digne de voir un ange, moi qui vis dans le péché ». »
(« Abba, dis moi une parole », Paroles des Pères du désert)
55
Henri Bergson, « L’évolution créatrice », 1907
56 « Jusques à quand, jusques à quand remettrai-je toujours au lendemain ? Pourquoi ne sera-ce pas

tout à cette heure ? Pourquoi mes ordures et mes saletés ne finiront-elles pas dès ce moment ? »
Comme je parlais de la sorte, et pleurais très amèrement dans une profonde affliction de mon cœur,
j’entendis sortir de la maison la plus proche une voix comme d’un jeune garçon ou d’une fille qui disait et
répétait souvent en chantant : « Prenez et lisez, prenez et lisez » (…) j’arrêtai le cours de mes larmes, et
me levai sans pouvoir penser autre chose, sinon que Dieu me commandait d’ouvrir le livre des épîtres de
saint Paul, et de lire le premier endroit que je trouverais (…) Je n’en voulus pas lire davantage, et aussi
n’en était-il pas besoin, puisque je n’eus pas plus tôt achevé de lire ce peu de lignes, qu’il se répandit
dans mon cœur comme une lumière qui le mit dans un plein repos, et dissipa les ténèbres de mes doutes.
(Saint Augustin, « Les Confessions «, IVè siècle)
57
Selon Antonio Spadaro « « les « Exercices » seraient une manière d’orienter le processus de
transformation psychique, une manière de canaliser la libido tout au long d’un parcours méditatif
préétabli. (…) au XVIè siècle (…) alors que le point de départ était une image donnée, offerte, proposée
par l’Eglise, Ignace prévoit que l’image sera imaginée par le fidèle (…)
La caresse consiste à solliciter ce qui se dérobe : elle cherche mais ne prend pas possession. C’est un
chemin dans l’invisible, mené par une intentionnalité non de dévoilement mais de recherche (…) Aussi
ne cherche-t-elle pas à dominer une liberté hostile, mais à arracher un consentement (…) Le sens de
l’image ignatienne est du même type (…) C’est un chemin de l’invisible, parce qu’elle ne tend pas au
dévoilement mais à la recherche »(in « Christus », 01/99)
58
A l’origine il se faisait par triple immersion. C’est encore le cas chez les orthodoxes.
59
28, 19.

22
DANS CON-NAÎTRE, LE VERBE C’EST NAÎTRE

Car l’on SAIT véritablement


lorsqu’on COMPREND ce que l’on sait,
lorsqu’on SENT ce que l’on a compris,
et lorsqu’on MET EN PRATIQUE ce que l’on a compris et senti60 .

« Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité
n’est pas en lui. » 61

Je terminerai en citant René Girard dont la pensée a inspiré toutes ces « Notes et réflexions » :
« Aucun processus purement “intellectuel” ne peut mener à la connaissance vraie puisque le
détachement de celui qui contemple les frères ennemis du haut de sa sagesse est en fin de compte
illusoire. Toute sagesse humaine est illusoire dans la mesure où elle n'a pas affronté l'épreuve décisive
qui est celle des frères ennemis, et peut être ne l'affrontera-t-elle jamais, peut-être demeurera-t-elle
intacte dans sa superbe vanité, mais elle n'en sera que plus stérile. Seul l'amour est vraiment
révélateur ».

« Je suis la porte.

Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ;

il entrera et il sortira,

et trouvera un pâturage. »

(Evangile selon St Jean, X, 9)

60 « Abba Jacques a dit : Il n’y pas besoin de paroles seules. Il y a en effet beaucoup de paroles chez les
hommes à notre époque. Mais on a besoin de pratique, car c’est là ce qui est recherché, et non le paroles
qui ne produisent pas de fruit. »
(« Abba, dis moi une parole », Paroles des Pères du désert)
61
Première lettre de saint Jean , 2, 4

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