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UBE - COURS EN LIGNE

UNITE DE COURS 1

LE BOUDDHA SAKYAMUNI

SOMMAIRE GENERAL

Pré-requis ............................................................................... p. 2

Introduction ........................................................................... p. 5

Guide de lecture ..................................................................... p. 6

Module 1 ............................................................................... p. 7

Texte de cours .............................................................. p. 8

Textes annexes ............................................................ p. 20

Texte commenté .......................................................... p. 26

Module 2 ............................................................................. p. 39

Texte de cours ............................................................. p. 40

Textes annexes ............................................................ p. 52

Texte commenté .......................................................... p. 59

Synthèse ................................................................................ p. 70

Bibliographie ........................................................................ p. 73

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PRE-REQUIS

Les écoles anciennes

On regroupe sous l’expression « écoles anciennes » plusieurs courants du bouddhisme,


nés en Inde même, au cours des cinq premiers siècles de son existence.
Lorsque le « Grand Véhicule » s’affirme, aux alentours de l’ère chrétienne, ces écoles n’en
continuent pas moins de se maintenir. Pendant les 12 à 15 siècles au cours desquels le
bouddhisme restera encore présent en Inde, ces deux courants existeront côte à côte et
continueront de se développer, s’influençant mutuellement, et se diffuseront conjointement à
travers toute l’Asie. Au VIIIe siècle de notre ère, les pèlerins chinois qui se rendent en Inde
constatent que ces écoles « anciennes » regroupent encore plus de la moitié des bouddhistes
indiens.
Le qualificatif « anciennes » ne concerne donc que leur date d’apparition, mais non pas
leur période d’existence et d’influence !

Nous les connaissons à travers un ensemble de textes qui ont pu échapper à la destruction
lorsque, à partir du Xe siècle, les musulmans ont envahi l’Inde et ont systématiquement rasé
les monastères et les bibliothèques bouddhistes. Ces textes, en effet, avaient déjà en partie été
« exportés » dans d’autres régions d’Asie et conservés, soit dans leur langue originale (en
sanskrit ou en pâli – une langue littéraire dérivée du sanskrit), soit sous forme de traductions
(essentiellement en chinois et en tibétain, parfois aussi dans des langues d’Asie centrale).
Cela dit, ces textes ne représentent qu’une infime partie de la littérature bouddhiste indienne.

On ignore quel était le nombre exact de ces écoles. On estime, après recoupement de divers
témoignages, qu’il devait en exister environ une quinzaine (le chiffre le plus courant est de
18). Elles sont plus ou moins bien connues en fonction du nombre des textes qu’on a pu leur
attribuer. Pour certaines, nous disposons de l’intégralité de leur « canon », pour d’autres,
seuls quelques ensembles de textes (le plus souvent le code de discipline des communautés
monastiques – le « vinaya »). Mais, pour la grande majorité d’entre elles, nous ne disposons
plus que de quelques textes épars, voire de simples extraits, ou même seulement des allusions
qui apparaissent dans les textes des autres écoles…

On peut, à partir de ces éléments, les regrouper très grossièrement en quatre grands
courants.

1) Le mieux connu de tous est celui qui se réfère au canon transmis en pâli et rédigé à Sri-
Lanka (Ceylan) aux alentours de l’ère chrétienne. Ce canon a été en effet conservé dans son
intégralité par l’école singhalaise Theravâda (le mot vadâ peut être traduit par « école de
pensée »), qui existe toujours aujourd’hui.
Nous appellerons ce courant celui du Sthaviravâda (« Ecole des Anciens » – le terme
« thera » est la traduction en pâli du terme sanskrit « sthavira »). Nous conservons aussi le
vinaya d’écoles proches de ce courant : Dharmaguptaka et Mahîçâsaka.

2) Un autre courant bien connu est celui de l’école Sarvastivâda, pour laquelle nous
disposons d’un grand nombre de textes et beaucoup de témoignages, car ses thèses ont été
abondamment discutées par les autres écoles. Il était surtout implanté dans le nord-ouest de
l’Inde, au Cachemire et au Gandhara, une région couvrant à l’époque le nord des états actuels
de l’Afghanistan et du Pakistan.

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Il a disparu sous les coups de l’invasion musulmane, au début du deuxième millénaire de
notre ère, après avoir donné lui-même naissance à plusieurs autres courants, notamment le
Mulasarvastivâda, dont nous conservons le vinaya, et le Sautrantika, qui en est issu mais qui
s’en sépara sur certains points de doctrine.

3) Un autre courant s’appelle le Mahâsamghika (« Grande Communauté »). Nous disposons


sur lui de plus de témoignages que de textes originaux. C’est, de toutes les écoles
« anciennes » celle qui se sentit la plus proche du nouveau mouvement du Mahâyanâ. Elle en
resta cependant distincte pendant de nombreux siècles puis perdit de son importance et
disparut, peut-être tout simplement en se fondant dans les écoles du Mahâyâna.

4) Le dernier courant resta longtemps l’un des plus importants en Inde et comptait, au VIIIe
siècle, presque autant d’adeptes que toutes les écoles du Mahâyâna confondues. Il s’agit du
Pudgalavâda, dont nous ne conservons que trois textes en traduction chinoise ainsi que le
vinaya d’une sous-branche de ce mouvement, le Sammatiya. Ce courant fut très violemment
combattu par l’ensemble des autres écoles, tant « anciennes » que du Mahâyâna, pour des
idées qui semblaient trop proches du brahmanisme. Cette école a elle aussi disparu, sans
doute en se fondant dans l’hindouisme.

Toutes ces écoles semblent avoir eu en commun un grand nombre de textes, notamment ceux
qui regroupent les enseignements du Bouddha sur la Doctrine, recueillis dans les sûtra.
Elles se distinguent en revanche, mais sur quelques détails seulement, dans leur code de
discipline monastique, les vinaya.
Leurs différences les plus marquées portent sur les commentaires et les développements
philosophiques que chacune d’elles développa à partir des sûtra et qui sont présentés dans les
abhidharma.
L’ensemble de ces trois recueils de textes (sûtra, vinaya et abhidharma) forme le « canon »
de chacune de ces écoles, appelé « Trois Corbeilles » (tri-pitaka) parce que les textes étaient
censés avoir été rédigés sur des feuilles de palmes, réunies et conservées dans différents
paniers.

Les deux premières Unités de Cours (« Le Bouddha Sâkyamuni » et « Le fondement de la


Doctrine selon les écoles anciennes ») feront référence à des textes issus de ces différentes
écoles. S’il s’agit avant tout de textes du canon pâli, c’est simplement parce ceux-ci sont les
plus nombreux à avoir été conservés et, lorsqu’il s’agit des sûtra (les enseignements du
Bouddha), parce qu’ils sont très majoritairement communs à l’ensemble de ces écoles.
Sauf exception (rare…) nous n’évoquerons pas les différences qui existaient entre elles, pour
nous centrer, au contraire, sur ce qui leur était commun.
Nous évoquerons à nouveau ces écoles, pour spécifier leurs différences, au début de l’Unité
de Cours 5 (« La diffusion du Bouddhisme de l’Inde à l’Occident »).

Toutes ces écoles se sont maintenues, en Inde, jusqu’aux environs du Xe siècle ap. J.-C.
Elles ont disparu, petit à petit, sous les coups de l’invasion musulmane et de la réforme du
brahmanisme (qui a donné naissance aux différentes écoles actuelles de l’hindouïsme).
Seule l’école Theravâda, parce qu’elle était implantée à Ceylan (hors d’atteinte des
musulmans et de la réforme brahmanique), s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui et a essaimée
par la suite dans toute l’Asie du Sud-est. Elle ne représente qu’un seul de ces différents
« courants » du bouddhisme ancien : celui du Sthaviravâda-vibbhajyavâda. (voir UC6)
Les écoles tibétaines actuelles suivent la règle monastique (vinaya) du Mûlasarvâstivâda et
les écoles de l’aire chinoise (Chine, Taïwan, Viêt-Nam) celle du Dharmaguptaka.

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LES PRINCIPALES ECOLES DU BOUDDHISME ANCIEN

Communauté originelle
(vers - 400)

vers - 340

Sthaviravâda Mahâsâmghika
« Voie des Anciens » « Grande Assemblée »

vers - 280 Pugdalavâda


(personnalistes)

vers - 250

Vibbhajyavâda Sarvâstivâda
(distinctionnistes) (pan-réalistes)

à Ceylan en Inde
Theravâda Mahîçâsaka vers - 150 Sautrântika

Dharmaguptaka Mûlasarvâstivâda

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INTRODUCTION

Le Bouddha parle de lui-même :


« J'ai tout surmonté, je sais tout, je suis immaculé au milieu de toutes les choses, renonçant à
tout, libéré par la destruction de la soif, ayant obtenu par moi-même la Connaissance
surnaturelle, qui désignerais-je comme mon maître ? Pour moi, point de maître. On ne trouve
personne semblable à moi, je suis l'incomparable instructeur, je suis l'arhat en ce monde.
Seul, je suis complètement éveillé. »
(Majjhima Nikaya, I, 167 sqq, extrait de "Le bouddhisme ancien", in Aux sources du
bouddhisme, Fayard, 1997)

Un maître bouddhiste contemporain parle du Bouddha :


« Le Bouddha fut, parmi les fondateurs de religion, [...] le seul instructeur qui ne prétendit pas
être autre chose qu'un être humain pur et simple. D'autres maîtres ont été des incarnations
divines ou se dirent inspirés par Dieu. Le Bouddha fut non seulement un être humain, mais il
ne prétendit pas avoir été inspiré par un dieu ou par une puissance extérieure. Il attribua sa
réalisation, et tout ce qu'il acquit et accomplit, au seul effort et à la seule intelligence
humaine. Un homme, seulement un homme, peut devenir un Bouddha. »
(Walpola Rahula, in L'Enseignement du Bouddha d'après les textes les plus anciens, Le Seuil,
Paris, 1961)

Ces deux textes, évoquant la même personne, apparaissent extrêmement contradictoires : le


premier insiste sur la singularité et le caractère exceptionnel du Bouddha, le deuxième, à
l’opposé, sur sa simple humanité.
Pourquoi de telles différences ? Sont-elles dues à l’époque où ces textes ont été, l’un et
l’autre, rédigés ? Aux publics auxquels ils s’adressent (les moines des premiers siècles avant
notre ère, le public français du vingtième siècle) ? Aux rédacteurs, supposés ou réels, de ces
textes ?...

Ce problème est en grande partie lié au fait qu’ils présentent le fondateur d’une religion à
vocation universelle : si le personnage en lui-même, en tant que fondateur, est unique et
extra-ordinaire, il se doit aussi, parce que son enseignement se veut universel, d’être
semblable à tous et donc de partager des caractéristiques avec l’humanité la plus commune.
Le terme le plus important, qui permettra de résoudre ces contradictions apparentes, est celui
de buddha.

Dans le premier module, ce cours explique tout d’abord les différents sens du terme buddha,
à propos de qui on peut l’employer et pourquoi Sâkyamuni bénéficie d’une supériorité,
marquée par la majuscule généralement associée à ce nom (le Bouddha).
Le deuxième module s’attache à décrypter l’histoire de la vie du fondateur, entre légende et
réalité, selon les différents récits qui en ont été faits et continuent à l’être.

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GUIDE DE LECTURE

Module 1

1. Qui peut-on appeler « bouddha » ?

2. Quelles sont les caractéristiques d’un Bouddha ?

3. Comment devient-on un Bouddha ?

4. Le Bouddha est-il un homme ou un surhomme ?

Module 2

1. Les biographies du Bouddha sont-elles constituées d’événements réels ?

2. Peut-on les considérer comme des récits historiques ?

3. Sur quoi nous fournissent-elles le plus de renseignements ?

4. Les présentations actuelles du Bouddha sont-elles fiables ?

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Module 1

SOMMAIRE

I. Qu’est-ce qu’un Bouddha ?

1. Les témoignages ........................................................................... p. 8

2. Un nom composé : Bouddha Sâkyamuni.................................... p. 11

3. Les différents types de buddha ? ................................................ p. 12

II. Les caractéristiques d’un Bouddha

1. Le Tathâgata............................................................................... p. 14

2. Les « pouvoirs » d’un Bouddha.................................................. p. 15

3. Les « corps » du Bouddha........................................................... p. 16

III. Comment devient-on Bouddha ?

1. Le vœu du futur Bouddha ........................................................... p. 17

2. De la dernière naissance à l’Eveil............................................... p. 18

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I – QU’EST-CE QU’UN BOUDDHA ?

I.1. Les témoignages

« Ecrire la vie de Sâkyamuni est une entreprise désespérée. (…) il a fallu près de dix siècles
aux bouddhistes indiens pour composer la biographie complète de leur Maître et la
représenter au long sur les monuments figurés. La légende ainsi élaborée s’est transplantée
dans tout l’Extrême-Orient où elle a subi d’incessantes retouches pour répondre à l’attente
des nouveaux croyants. (…) Il n’en demeure pas moins que le bouddhisme serait inexplicable
si l’on ne posait pas à sa base une personnalité suffisamment puissante pour lui avoir donné le
branle et l’avoir marqué de ses traits essentiels qui persisteront à travers toute l’histoire. »
[Etienne Lamotte, Histoire du Bouddhisme indien, des origines à l’ère Saka, Louvain-la-
Neuve, 1976, p. 16]

Ce que nous appelons le « bouddhisme » est un mouvement spirituel inscrit dans l’histoire et
ses représentants se réfèrent eux-mêmes à un fondateur, qu’ils nomment Bouddha Gautama
ou Bouddha Sâkyamuni et qu’ils considèrent comme un personnage historique. Ce fait
semble d’autant plus important que la tradition spirituelle qu’il a fondée ne se rattache à
aucune révélation divine et que lui-même ne se présente pas comme un dieu ou un être
inspiré par des dieux. C’est son enseignement, appelé Bouddha-Dharma, que ses disciples
déclarent conserver et transmettre ; un enseignement issu d’une expérience réalisée par un
homme, et donc, de ce fait, reproductible par tout autre homme.

L’intérêt porté à la réalité historique de l’existence du Bouddha Sâkyamuni est manifeste si


l’on considère l’abondance des documents qui témoignent de sa vie. Mais ces documents
posent un certain nombre de problèmes : ils sont d’abord extrêmement tardifs, par rapport aux
dates supposées de la vie du Bouddha, pour être considérés comme fiables d’un point de vue
historique (au sens où nous l’entendons en Occident, au XXe siècle). D’autre part, la légende
se mêle si intimement à l’apparence historique qu’il paraît souvent impossible de les démêler.
Nous disposons aujourd’hui de deux types de sources : des monuments et des textes.
Les monuments sont de loin les plus anciens puisque certains datent du IIIe s. av. J.-C. ; quant
aux textes, leur rédaction n’est attestée qu’à partir du Ie s. av. J.-C. Or, le Bouddha
Sâkyamuni est censé avoir vécu au Ve ou au VIe s. av. J.-C. ; il existe donc une différence de
trois à six siècles entre la réalité historique et les documents qui sont censés l’attester !

Les monuments
En dehors des bas-reliefs sculptés de nombreux temples ou monastères, qui nous offrent des
récits imagés de la « vie » du Bouddha, les archéologues ont mis à jour et ont étudié d’autres
types de monuments : « stûpa » (sortes de tumulus), stèles ou colonnes commémoratives,
érigés en des lieux où le Bouddha est censé avoir vécu les épisodes les plus importants de sa
vie - sa naissance (le jardin de Lumbini), la ville où il a passé sa jeunesse (Kapilavastu), le
lieu de l’Eveil (Bodh-Gayâ), le jardin où il donna sa première prédication (Sarnath), et celui
de sa mort (Kusinagara)... mais aussi divers autres lieux où il aurait effectué des miracles.
Les inscriptions qui ont été retrouvées sur place attestent d’une tradition ancienne de
pèlerinage en ces endroits [on dénombre huit lieux particulièrement importants – voir carte
« Les villes « saintes » du bouddhisme », page 9], mais elles ne fournissent aucun élément
fiable sur la véracité des événements qu’elles commémorent.

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Les « villes saintes » du bouddhisme

légende de la carte :
Les quatre principaux lieux de pèlerinage sont indiqués en rouge ; ils concernent les faits « historiques » de la
vie du Bouddha : naissance, Eveil, première prédication et mort (« pari-nirvâna »).
Les quatre pèlerinages secondaires rappellent des faits « miraculeux », du nord-ouest au sud-est : Sâmkâsya
(Descente des cieux Tusita), Srâvasti (Grand Prodige magique), Vaisâli (Offrande du singe) et Râjagriha
(subjugation de l’éléphant furieux).

Les recherches qui ont été menées depuis environ un siècle ont soulevé de nombreuses
questions : ces lieux, sacrés pour les bouddhistes, le sont aussi parfois pour les hindous ;
certains récits, notamment pour les miracles, semblent avoir été inspirés par le paysage lui-
même ; dans quelques cas, plusieurs sites archéologiques peuvent correspondre aux
descriptions que nous possédons. Il existe donc de très nombreuses incertitudes...
Notre seule certitude est qu’il existait déjà à date très ancienne une convention entre les
disciples du Bouddha pour établir une « géographie sacrée » et que celle-ci constituait, pour
eux, une preuve irréfutable de la réalité historique du Bouddha. Mais cela peut-il satisfaire
notre « sens historique » ?
Un des chercheurs qui a le plus travaillé sur ce domaine, Alfred Foucher, précise :
« C’est un fait cent fois répété que les Indiens n’ont pas le sens historique : en revanche il
faut reconnaître le goût et le soin particulier qu’ils déploient pour établir et perpétuer ce
qu’on pourrait appeler la topographie de leurs légendes. (…) On peut ériger le fait en loi :
n’ont subsisté dans l'Inde, avant la notation par l’écriture, que les seuls souvenirs rattachés à
un lieu ou à un objet déterminés ; mais en revanche ces souvenirs étaient susceptibles de
durer aussi longtemps que les choses matérielles qui les rappelaient. »
[Alfred Foucher, La Vie du Bouddha d’après les textes et les monuments de l’Inde, J.
Maisonneuve, Paris, 1993]

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Que les lieux de pèlerinage soient effectivement des lieux historiques ou qu’ils aient été
« inventés » pour permettre de fixer une histoire, le plus important est de comprendre
pourquoi il a paru nécessaire d’écrire une « vie du Bouddha » alors que les Indiens,
habituellement, n’attachent aucune importance à la vérité historique...

Les textes
De leur côté, les textes ne font que renforcer nos doutes.
Ce n’est que dans les tout premiers siècles de l’ère chrétienne qu’ont été écrites des
biographies complètes du Bouddha. Auparavant, seuls existaient de courts récits, éparpillés
en différents endroits de la littérature bouddhique (dans les « sûtra », recueil des sermons du
Bouddha, ou les « vinaya », recueil des règles de discipline pour la communauté des moines).
Il s’agissait d’épisodes succincts, racontés par le Bouddha lui-même, à l’occasion d’un
enseignement ou de l’établissement d’une nouvelle règle de discipline. Au fur et à mesure des
siècles, ces événements épars ont été rassemblés pour former un ensemble cohérent. Ces
récits ont d’abord été transmis par tradition orale, pendant plusieurs siècles, avant d’être mis
par écrit à une époque où existaient déjà plusieurs écoles bouddhistes différentes.

« Cette longue série d'épisodes nous a été transmise par les Vinayapitaka des Theravâdîn, en
pâli, des Mahîçâsaka et des Dharmaguptaka, en traduction chinoise. On la trouve aussi chez
les Mûlasarvâstivâdin, dans les traductions chinoise et tibétaine de leur Code monastique. (...)
Les trois premières versions, qui s’accordent bien entre elles pour ce qui est du choix et de
l’ordre des épisodes, ont pour origine commune une série commençant au lendemain de
l’Eveil et finissant avec le retour à Râjagrha, capitale du puissant royaume des Magadha [près
de laquelle le Bouddha « s’éteindra »]. Les Mahîçâsaka et les Dharmaguptaka y ont ajouté, en
tête, plusieurs épisodes se rapportant à la jeunesse laïque du futur Bouddha ainsi qu’à la
recherche et à l’acquisition de l’Eveil (...). Ces épisodes additionnels ont été choisis
séparément par les Mahîçâsaka et les Dharmaguptaka, de telle sorte que, dans cette première
partie, leurs deux versions sont beaucoup plus complémentaires que parallèles entre elles. »
[André Bareau, extrait de « La jeunesse du Bouddha et les débuts de sa prédication », in En
suivant Bouddha, p.39, éd. Philippe Lebaud, Paris 1985]

La confrontation de ces différents textes montre que chaque école avait « sa » version de la
vie du Bouddha, notamment en ce qui concerne la période de jeunesse. En effet, textes et
monuments ont ceci de commun qu’ils développent et mettent surtout en valeur les
événements qui ont eu lieu avant l’Eveil. De leur côté, les éléments biographiques qui se
rapportent aux années de prédication, après l’Eveil, n’existent jamais en tant que tels, comme
récits historiques, mais toujours en introduction ou en illustration d’un enseignement (soit sur
la doctrine, soit sur la discipline monastique).
Cette différence de traitement est d’autant plus surprenante que les années d’enseignement
sont forcément les mieux connues de ses propres disciples, alors qu’elles constituent sans
conteste la partie la moins développée des biographies. Comme si l’histoire, au sens où nous
l’entendons, n’avait eu d’importance que pour la première partie de la vie du Bouddha, et
qu’elle n’aurait plus eu d’intérêt que de manière anecdotique, pour la deuxième partie, de
l’Eveil jusqu’à sa mort.

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I.2. Un nom composé : « Bouddha-Sâkyamuni »

Dans la littérature ancienne du bouddhisme, il est extrêmement rare de trouver le terme de


« bouddha » employé seul à propos de Sâkyamuni. Il existe en fait plusieurs formules
stéréotypées, selon que l’on parle de lui ou qu’on s’adresse à lui.
L’expression la plus fréquemment employée, dans un cas comme dans l’autre, est celle de
« Bhagavat » (Bienheureux). Quand plusieurs personnes non-bouddhistes parlent ensemble
du Bouddha, elles évoquent généralement « le religieux (sramana) Gautama, fils des Sakya ».
Mais la formule la plus complète et la plus usitée dans les textes anciens est la suivante : « Il
est le Bienheureux (Bhagavat), le Méritant (Arhat), parfaitement et pleinement éveillé
(Samyaksam Buddha), parfait en sagesse et en conduite, le Bien-allé (Sugata), le Connaisseur
des mondes, le Guide suprême des êtres qui doivent être guidés, l’Instructeur des dieux et des
hommes ». Quant au Bouddha, il emploie pour parler de lui-même le terme de « Tathâgata ».
L’expression de « Bouddha Sâkyamuni », tout comme son « prénom » (Siddhârta), sont
d’emploi relativement récent et on ne les trouve guère dans les textes avant les premiers
siècles de l’ère chrétienne, à l’époque où des biographies complètes ont été rédigées.

x d’un côté un « état-civil » comportant un prénom (Siddhârta), un nom de famille


On se trouve en fait en présence de deux séries de noms :

x de l’autre une série de titres évoquant plusieurs qualités (Bhagavat, Arhat, Samyaksam-
(Gautama) et le surnom « Sâkyamuni » : le sage (muni) de la tribu des Sâkya ;

Buddha, Tathâgata).

Ces deux séries n’ont absolument pas la même valeur.


Les noms de « l’état civil » sont surtout employés dans les textes tardifs (début de l’ère
chrétienne) ou, quand ils apparaissent dans les textes anciens, ils sont utilisés par des
personnes qui ne sont pas (ou pas encore...) ses disciples. Lorsqu’ils parlent de lui ou
s’adressent à lui en employant son nom de famille et son surnom, ces interlocuteurs font du
Bouddha un individu comme les autres, appartenant à une famille et à un clan, occupant une
place précise dans la société indienne de son époque, très hiérarchisée. Ainsi, le nom de
Sakya le rattache-t-il à la caste des guerriers, les Ksatriya, deuxième caste de la société
indienne, (celle des chefs temporels et des rois), placée juste en dessous de la caste des
brahmanes (les chefs spirituels).
En revanche, la série de qualificatifs est systématiquement employée, dès les textes anciens.
Car, pour ses premiers disciples, le Bouddha n’est pas un homme ordinaire. Ce qui leur
importe, ce sont les caractéristiques qui le placent au-dessus du commun, qui font de lui un
homme « extra-ordinaire », presque un « sur-homme ». Lui-même, d’ailleurs, insiste sur les
qualités exceptionnelles qu’il a acquises [cf. le texte présenté dans la page d’introduction, ces
paroles étant censées avoir été prononcées juste après l’Eveil].
Nous en trouvons un exemple remarquable dans le récit de sa rencontre, peu de temps après
l’Eveil, avec les cinq compagnons qui avaient pratiqué l’ascèse avec lui, six années durant,
avant qu’il ne s’isole pour poursuivre seul sa recherche :

« Quand ils eurent vu le Tathâgata assis, les cinq ascètes l’appelèrent par son nom personnel,
Gautama, mais le Bouddha leur dit : « N’appelez pas le Tathâgata par son nom personnel, car
je suis maintenant Arhat, complètement et parfaitement Eveillé (Samyaksam-Buddha). La
puissance surnaturelle du Tathâgata est immense, il est le Vainqueur (Jina) suprême. Si donc
vous appelez le Tathâgata par son nom personnel, pendant très longtemps vous subirez
d’intenses douleurs ». [extrait du Vinaya des Dharmaguptaka, traduction d’André Bareau in
En suivant Bouddha, éd. Philippe Lebeau, 1985, p. 64-65]

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I.3. Les différents types de buddha

Bien qu’il soit le plus souvent employé comme un nom propre, le terme « buddha », au
départ, est un adjectif qualificatif. Il ne désigne donc pas une personne particulière mais une
qualité propre à un certain type de personnes. Plus précisément, il sanctionne une expérience :
l’Eveil (bodhi).
Selon la tradition, il existe ou peut exister de très nombreux buddha : il y en a eu dans le
passé, il en existe à notre époque, il y en aura d’autres à l’avenir. Le buddha Sâkyamuni n’est
que l’un de ces nombreux buddha, particulièrement remarquable et digne de vénération, mais
qui partage avec tous les autres buddha la même caractéristique : celle d’avoir atteint l’Eveil,
la bodhi.

Le mot « expérience » est ici capital : la bodhi est en effet un événement vécu, et non pas un
savoir acquis. Les textes anciens diront à son propos qu’elle est « au-delà du raisonnement,
accessible aux seuls sages en eux-mêmes », ou encore qu’elle est « réalisée dans l’intériorité,
à part de toute croyance, inclination, connaissance par ouï-dire, opinion ou réflexion ».
La bodhi est donc une expérience qui dépasse toute caractéristique individuelle : tous les
buddha font la même expérience, quelles que soient leur individualité, leurs croyances, leurs
opinions ou réflexions... « De même qu’il n’y a qu’une seule saveur dans l’océan, celle du
sel, il n’y a qu’une seule saveur dans la bodhi, celle de la libération ». [Le contenu de cette
expérience de la bodhi sera étudiée en détail dans l’Unité de Cours 2 : « Les fondements de la
doctrine »].

La tradition bouddhiste distinguera cependant trois sortes d’Eveillés (buddha), selon la


manière dont ils sont parvenus à l’Eveil et selon qu’ils seront ou non capables d’enseigner
aux autres à partir de leur propre expérience.

Sortir de l’illusion et de l’erreur pour parvenir à l’Eveil demande d’abord des efforts, un
certain travail sur soi, une remise en cause par rapport à des habitudes de pensée bien ancrées
dans notre comportement. On fait dire au Bouddha : « Ceux qu’aveuglent attraction et
répulsion ne peuvent comprendre une telle Doctrine qui s’avance à contre-courant [de nos
habitudes de pensée], subtile, profonde, difficile à saisir, délicate ».
Ceux qui y parviennent ont donc du mérite et on les appelle « arhat » (le terme peut être
interprété comme « qui mérite des éloges » ou comme « celui qui a vaincu les ennemis »). De
ce point de vue, tout buddha est un arhat, car il a fourni des efforts pour vaincre les passions
(appelées aussi « souillures ») et parvenir à la bodhi, il est donc digne d’éloge et de
vénération. Un texte célèbre, le Dhammapada, présente ainsi l’arhat : « Il a subjugué ses
sens, comme le cocher les chevaux de son char, il a renoncé à toute arrogance, il n’a plus de
souillures : même les dieux l’envient, lui « qui-est-tel » ! » [Dhammapada, stance 94,
traduction Jean-Pierre Osier, GF Flammarion, Paris, 1997, p. 69].

Parmi tous ceux qui sont devenus buddha, certains ont eu la chance d’être aidés et d’entendre
un enseignement. On les appelle pour cela des « auditeurs » - srâvaka. D’autres ont réussi à
parvenir seuls jusqu’à l’Eveil mais, pour diverses raisons, n’ont pas pu faire profiter les autres
de leur expérience ; ils ont atteint l’Eveil seulement « pour eux-mêmes ». On les nomme
pratyeka, ce qui veut dire « pour soi ». D’autres, enfin, ont réussi à faire l’expérience de
l’Eveil grâce à leurs propres efforts et, en plus, en font bénéficier les autres grâce à leur
enseignement. On dit alors qu’ils sont « parfaitement et complètement » (samyaksam)
éveillés (buddha).

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éveil réalisé grâce à capacité à enseigner à
partir de son expérience

pratyeka-buddha ses propres efforts non

samyaksam-buddha ses propres efforts oui

srâvaka-buddha l’enseignement non


d’un samyaksam-buddha

a. les Pratyeka-buddha
Les pratyeka-buddha sont assez rarement évoqués dans la littérature bouddhique ancienne.
Bien que arhat et buddha, parvenus à l’Eveil par leurs propres efforts et sans avoir entendu
d’enseignement, ils ne sont d’aucune « utilité » pour l’humanité parce qu’ils n’enseignent
pas. Cette impossibilité est due autant à leurs capacités insuffisantes qu’aux circonstances : ils
sont devenus buddha à une époque où les êtres sont incapables de recevoir ou de comprendre
leur enseignement.
Cette notion de pratyeka-buddha est intéressante, car les bouddhistes reconnaissent ainsi que
l’éveil est accessible à tous, même en des circonstances où l’enseignement (le « Dharma »)
n’est pas diffusé [Le terme Dharma sera étudié au début de l’Unité de Cours 2 : « Les
fondements de la doctrine »]. Le bouddhisme historique de notre époque (né à partir de
l’enseignement du Bouddha Sâkyamuni) ne s’arroge donc pas l’exclusivité du chemin qui
mène à l’éveil !

b. les Samyaksam-buddha
Les samyaksam-buddha, comme les pratyeka-buddha, sont parvenus à l’éveil par leurs
propres efforts mais, eux, ont la capacité d’enseigner aux autres le chemin qui mène à l’Eveil.
Non seulement les circonstances le leur permettent, mais ils disposent de qualités
exceptionnelles qui en font des buddha « sans supérieur » (anuttara). Le buddha
« historique » Gautama Sâkyamuni, fondateur de ce que nous appelons le bouddhisme, est un
samyaksam-buddha (La suite de ce cours développera les caractéristiques propres à ce type
de buddha).

c. les Srâvaka-buddha
Les srâvaka-buddha ou buddha-auditeurs sont généralement désignés, dans la littérature
ancienne, par le seul terme d’arhat, qui insiste donc plus sur les efforts qu’ils ont accomplis
que sur la réalisation de l’Eveil à laquelle ils sont néanmoins parvenus - le terme de buddha,
employé seul et sans autre précision, est en effet plutôt réservé aux seuls samyaksam-buddha.
Les srâvaka-buddha ne sont pas « sans supérieur », puisqu’ils sont parvenus à l’Eveil grâce à
l’enseignement d’un samyaksam-buddha.
S’ils peuvent enseigner à leur tour, ce ne sera que dans la mesure où ils réutiliseront
l’enseignement qu’ils ont eux-mêmes reçu. Leur expérience est en effet insuffisante pour leur
permettre de diffuser un enseignement personnel valable pour l’ensemble de l’humanité,
contrairement aux samyaksam-buddha qui se distinguent donc avant tout de tout autre
buddha par leur capacité à enseigner le Dharma.
[voir le texte annexe : « Un seul anuttara samyaksam-buddha par kalpa », p. 13]

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II. LES CARACTERISTIQUES D’UN BOUDDHA

II.1. Le Tathâgata

Le premier terme par lequel le Bouddha Sâkyamuni se désigne lui-même est celui de
« Tathâgata ». La signification de ce mot, qui prête à de nombreuses interprétations (jusqu’à
huit différentes selon certains auteurs bouddhistes), donne un certain nombre d’indications
sur les caractéristiques d’un Bouddha.

Le mot peut se traduire par l’expression « ainsi (tathâ) allé/arrivé (gata) » et peut être
comprise, notamment, des manières suivantes :

x « Allé ainsi (que ses prédécesseurs) », qui insiste sur l’idée que le Bouddha, loin d’être

x « Allé ainsi (qu’il convient) », qui insiste cette fois sur le chemin particulier qui mène
unique, partage avec tous ceux qui parviennent au plein Eveil les mêmes caractéristiques ;

x « Allé (ou « arrivé ») ainsi (à ce qui convient) », qui insiste sur la nature sotériologique de
jusqu’à l’Eveil et les qualités nécessaires à développer pour le parcourir ;

l’Eveil, le nirvâna étant considéré comme le « Bien suprême », ce qu’il convient

x « Arrivé (à dire) ainsi », enfin, qui insiste sur l’idée que l’enseignement d’un Bouddha (le
d’atteindre pour être sauvé ;

Dharma) est la proclamation de la Vérité, de ce qui est « ainsi », c’est-à-dire conforme à


la Réalité.

De manière générale, il faut comprendre le terme « ainsi » comme l’expression d’une


conformité :

x d’une part à un modèle qui transcende l’individualité de l’homme qui devient Bouddha -
les 2 premières interprétations : tous les Bouddhas vivent un parcours semblable jusqu’à

x d’autre part à une Loi existant indépendamment de ceux qui l’enseignent - les 2 dernières
un Eveil semblable ;

interprétations : le nirvâna et le Dharma existent, de toute éternité, même si aucun


Bouddha n’enseigne le Dharma ou n’expérimente le nirvâna (« Que les Saints [Arhat]
apparaissent ou non dans le monde, la nature des choses qui appartient aux choses
[dharmânâm dharmatâ] demeure stable »).

L’existence de Bouddhas antérieurs au Bouddha Sâkyamuni est attesté assez tôt dans la
littérature bouddhique. On en dénombre généralement six : Vipassi, Sikhi, Vessabhu,
Kakusanda, Kônâgamana et Kassapa. De même, la littérature ancienne fera allusion à un futur
samyaksam-buddha, Maitreya (en pâli : Metteya).
Leurs caractéristiques communes, qui présentent toutefois quelques différences de peu
d’importance, concernent uniquement leur « dernière » vie, celle pendant laquelle ils
obtiennent l’Eveil. Le modèle ainsi défini est présenté à partir de l’exemple du premier
d’entre eux : Vipassi [voir le texte commenté, p.26]. Les points mis en valeur peuvent
sembler tout à fait anecdotiques : nom des parents, caste de naissance, durée de la vie… C’est
que leur rôle est de démontrer qu’aucun bouddha n’échappe à la règle ainsi définie, et non pas
d’établir un « état-civil » individualisé.
La seconde moitié des critères, quant à elle, concerne l’activité d’enseignant du Bouddha, de
loin la plus importante ; on précise combien de disciples chaque Bouddha a rassemblé, quels
ont été les deux principaux et celui qui fut son « aide-assistant », autrement dit : quel fut son
rayonnement en tant qu’enseignant du Dharma.

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Nombre d’expressions insisteront sur les qualités tout à fait exceptionnelles de ce « Bouddha-
enseignant » : « La parole du Buddha est bonne au commencement, au milieu et à la fin,
parfaite quant au sens et à la lettre, homogène, complète et pure » ; « Depuis la nuit de
l’illumination jusqu'à la nuit du nirvâna, tout ce que le Bouddha a déclaré et enseigné est vrai
et non point faux » ; « Le Bouddha ne garde point jalousement pour lui la vérité qu’il a
découverte. Son enseignement est public et non point secret ». « Il est la meilleure de toutes
les lumières ».

II.2. Les « pouvoirs » d’un Bouddha

Pour les disciples du Bouddha, ces capacités pédagogiques ne sont pas présentées comme de
simples qualités psychologiques mais bien comme des « pouvoirs » supra-normaux, liés à
l’obtention de l’Eveil. Plusieurs listes en seront établies, variant dans leur nombre et leurs
composants. L’une des principales dénombre dix pouvoirs acquis au moment où se produit
l’Eveil :

Un Bouddha connaît, selon la réalité :

1 - ce qui est possible et ce qui ne l’est pas ;


2 - la cause et les conditions ainsi que les conséquences des actes anciens, présents et futurs ;
3 - les conditions d’accès à toutes les formes d’existence ;
4 - l’univers avec ses différents éléments et ses formes matérielles ;
5 - les diverses inclinations et les comportements des êtres vivants ;
6 - ce qui passe dans l’esprit des êtres vivants ;
7 - les souillures mentales, la perfection et les différents états de la libération ;

Un Bouddha a la connaissance parfaite :

8 - de ses propres existences antérieures ;


9 - des existences passées et à venir des autres êtres vivants ;
10 - d’avoir détruit avec certitude toutes ses souillures mentales et de ne plus renaître.

Tous les buddha (srâvaka, pratyeka et samyaksam) disposent des trois derniers pouvoirs de
« connaissance parfaite » (pouvoirs 8, 9 et 10), qui caractérisent l’Eveil. En revanche, seuls
les samyaksam-buddha développent totalement les 7 premiers pouvoirs, ceux de la
« connaissance selon la réalité » qui sont l’apanage du seul « plein Eveil ».

Ces pouvoirs consistent en « connaissance » et non en pouvoirs « salvifiques », qui


permettraient au Bouddha de sauver quiconque de sa propre volonté, par la puissance d’une
grâce surnaturelle. Le Bouddha n’est pas un dieu sauveur, c’est un voyant (on pourrait dire
aussi un « savant »), qui voit et connaît les choses « telles qu’elles sont », en Réalité (tathâta
= ce qui est « ainsi »). « J’appartiens à ces religieux et brahmanes qui ont pleinement
compris, et uniquement par eux-mêmes, des phénomènes encore inconnus et ont atteint ici et
maintenant l’excellence quant à la conduite pure et à la connaissance surnaturelle » [M.N. II,
211, cité in Silburn, Aux sources du bouddhisme, p. 33]
C’est cette connaissance « juste » qui lui permet de trouver les mots « justes », car son
omniscience concerne avant tout les phénomènes du monde et leurs modalités (comment ils
apparaissent et disparaissent, leurs causes et leurs conséquences) et, tout particulièrement, les
phénomènes mentaux (pouvoirs 5, 6 et 7).

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Il bénéficie ainsi d’une connaissance exacte des capacités de son auditoire, il « sait » qui est
capable de l’entendre et comment il sera compris, et adapte son discours en conséquence.
Mais si le Bouddha guide les êtres vers la délivrance par des indications appropriées, il ne
dépend pas de lui que ce disciple potentiel suive ou non ces indications. Son pouvoir de
persuasion ne peut rien si la personne en question n’est pas prête à s’engager sur la Voie de la
Délivrance : il est seulement « Celui qui montre le Chemin ».

« Un jour Sâkyamuni et Ananda rencontrèrent à l’entrée de Sravastî une vieille femme


misérable. Emu de pitié, Ananda proposa au Maître de l’aborder et de la sauver : « Que le
Buddha s’approche d'elle, dit-il ; quand elle verra le Buddha avec ses marques, ses sous-
marques et ses rayons lumineux, elle éprouvera une pensée de joie et sera sauvée ». Le
Buddha répondit : « Cette femme ne remplit pas les conditions requises pour être sauvée ».
Néanmoins, répondant à l’invitation d’Ananda, il tenta de se manifester à elle. Il l’aborda de
face, par derrière et de côté, par le haut et par le bas. Chaque fois la vieille lui tournait le dos,
levait la tête quand elle aurait dû la baisser, baissait la tête quand elle aurait dû la lever, et
finalement couvrit son visage de ses mains. Elle ne s’aperçut même point de la présence du
Buddha. Et le Maître de conclure: « Que puis-je encore faire ! Tout est inutile : il y a de ces
gens qui ne remplissent pas les conditions requises pour être sauvés et qui n'arrivent pas à
voir le Buddha » [Etienne Lamotte, Histoire du Bouddhisme indien, des origines à l’ère Saka,
Louvain-la-Neuve, 1976]

II.3. Les « corps » d’un Bouddha

Les trois pouvoirs de « connaissance parfaite » (pouvoirs 8, 9 et 10) concernent le « cycle des
renaissances », le samsâra. Après avoir vu ses propres existences antérieures, puis les
existences passées et futures de tous les êtres, le Bouddha « sait » qu’il est délivré du samsâra
et qu’il ne renaîtra plus. Il a alors la certitude d’avoir « vaincu les ennemis » (ou « détruit les
souillures »), ce qui lui donne droit aux titres d’Arhat et de Jina (« Vainqueur).
Mais peut-on, dès lors, le considérer comme un homme ordinaire ?
La question a très vite été discutée par les disciples du Bouddha, qui mettaient en avant les
qualités extraordinaires de leur Maître (la nature d’un Bouddha est « profonde,
incommensurable, insondable comme le grand océan ») alors que, d’un autre côté, la
tradition était sans ambiguïté : le Bouddha Sâkyamuni avait connu la maladie et la vieillesse,
avait déclenché des passions (pour ou contre lui), il avait eu des ennemis, avait subi des
attentats et, finalement, s’était éteint. Pour remédier à ce qui pouvait être considéré comme
une contradiction, on en vint assez rapidement à distinguer trois « corps » du Bouddha :

1. D’abord un corps « corruptible », semblable à celui de tout être vivant, né de la matrice


maternelle, soumis à la maladie, à la vieillesse et à la mort. C’est ce corps, fait des quatre
éléments, que tout un chacun pouvait voir et qui suscitait amour et dévotion, mais aussi haine
ou indifférence. Ce corps, périssable, est celui qui disparaît au moment de sa mort ou
« l’extinction finale » (pari-nirvâna).
2. Puis le Bouddha, grâce à sa longue pratique de la méditation, est aussi capable de générer
des corps « illusoires », à l’instar des grands yogis ou des magiciens, tout comme il est
capable d’accomplir des miracles. Cette capacité à se manifester de diverses manières lui
permettra notamment d’enseigner aux dieux des différents mondes, en adoptant leur
« forme ».
3. Mais, enfin, si le Bouddha est né homme et est capable de « naître » dieu, il a surtout
détruit tout ce qui attache les êtres à une forme plutôt qu’à une autre.

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« Un passage des Sutta où l’on demandait au Bouddha s’il était un dieu (deva) ou un homme
reflète cette idée (Anguttara Nikaya II, 37-39). Le Bouddha répondit qu’il avait dépassé les
traits de caractère profondément enracinés dans l’inconscient qui feraient de lui un dieu ou un
homme, et devait donc être considéré comme un Bouddha, un être ayant grandi dans le
monde, mais qui l'avait maintenant transcendé, comme un lotus pousse dans l'eau boueuse
mais fleurit au-dessus sans en être souillé. »
[Peter Harvey, extrait de « Le Bouddha et son contexte indien » in Le Bouddhisme :
Enseignements, histoire, pratiques, éd. du Seuil, Paris, 1993]

Ayant transcendé la réalité ordinaire, il est donc aussi doté d’un corps « pur » : « le Tathâgata
naît dans le monde, grandit dans le monde, mais qu’il marche ou se tienne debout, il n’est pas
souillé par le monde ».
Ce troisième « corps », entièrement pur, est directement lié aux « connaissances parfaites »
que le Bouddha a acquises : il n’agit plus comme un homme ordinaire, chacun de ses actes et
de ses paroles est désormais en total accord avec l’enseignement qu’il transmet, dépourvu de
passions et de « souillures ». Exemple vivant du Dharma qu’il enseigne, il est devenu « celui
qui a pour corps le Dharma » et chacune de ses manifestations n’est rien d’autre qu’une
manifestation du Dharma lui-même. Il est lui-même « corps de Dharma » ou Dharma-kâya.

Une anecdote évoque cette nature particulière du Bouddha :


Vakkali, un moine plein de dévotion envers son maître, ne cesse de le suivre pas à pas tout au
long de la journée ; le Bouddha le rabroue alors en déclarant : « Allons, Vakkali ! Qu'as-tu
donc à rechercher ce vil corps visible ? Vakkali, quiconque voit le Dharma me voit ;
quiconque me voit, voit le Dharma » (Sammyutta Nikaya III, 120).
[voir le texte annexe : Le Buddha n’existe que par « pur conformisme », p. 22]

III – COMMENT DEVIENT-ON BOUDDHA ?

III.1. Le vœu du futur Bouddha

« S’il est vrai que pour bien comprendre les choses il faut les avoir soi-même éprouvées, rien
en ce monde ne pouvait donc être étranger à [la] sympathie [du Bouddha] (…) et ainsi,
remarquons-le en passant, sa sagesse et sa charité passaient pour être faites du trésor vécu de
sa prodigieuse expérience. C’est qu’en effet, à la différence du commun des mortels, il se
souvenait de ses existences passées. Ses souvenirs personnels remontaient, nous dit-on, à 91
kalpa – soit 91 fois 432 millions d’années – en arrière. » [Alfred Foucher in La vie du
Bouddha, J. Maisonneuve, Paris, 1993 p. 27]

Lors de la nuit pendant laquelle il réalise l’Eveil, le Bouddha commence par avoir la
« connaissance parfaite » de ses vies antérieures (c’est le 8e pouvoir de la liste citée ci-
dessus). Comme le remarque Alfred Foucher, ce pouvoir est d’autant plus important qu’il
permet au Bouddha d’enseigner en s’appuyant sur son expérience personnelle. C’est parce
qu’il est « allé ainsi » que ses prédécesseurs, comme il convient, parce qu’il a d’abord été un
bodhisattva - un « être (sattva) d’Eveil (bodhi) » - qu’un Buddha se révèle un enseignant
aussi exceptionnel. Le terme de bodhisattva ne s’emploie d’ailleurs que pour les seuls futurs
samyaksam-buddha et jamais pour les autres futurs buddha.

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Un bodhisattva est en effet bien plus qu’un simple « apprenti-buddha » (ce que tout le monde
peut être). Le terme désigne très précisément un être qui a fait le vœu et a pris l’engagement
de devenir un samyaksam-buddha, dans le but de venir en aide à l’humanité tout entière en
enseignant le Dharma. Il s’agit pour lui de s’engager dans une carrière solitaire afin de
parvenir à l’Eveil par ses propres efforts, sans bénéficier d’aucune aide, et de retrouver par
lui-même la Loi (Dharma) qui régit les phénomènes et dont la connaissance permet de mettre
fin à la souffrance, à partir de sa propre expérience, sans bénéficier d’aucun enseignement.
Cet engagement et ce vœu se manifestent lors de la « pensée d’éveil » (bodhi-citta), qui naît
dans l’esprit du futur Bouddha au moment où, alors qu’il n’est encore qu’un homme
ordinaire, il rencontre un samyaksam-buddha du temps passé. Comprenant l’importance pour
l’humanité de l’existence d’un tel enseignant, le bodhisattva décide de devenir lui-même un
samyaksam-buddha.
Il renonce alors à mettre en pratique l’enseignement de ce Bouddha et, du même coup, à
parvenir à l’Eveil au cours de cette vie, en devenant un srâvaka-buddha. Il s’engage à suivre
la même carrière que son modèle afin de dispenser lui aussi, mais dans une époque plus
lointaine, le même type d’enseignement.
Ce n’est pourtant pas tant la prise de vœu (parvenir à l’Eveil) qui qualifie le mieux le
caractère exceptionnel d’un bodhisattva, que son engagement à vivre autant de vies qu’il sera
nécessaire : en visant le parfait et complet Eveil, le bodhisattva souhaite et est prêt à affronter
toutes les situations qui pourront être utiles à son « auto-formation ».
Sa « carrière de bodhisattva » s’étend donc sur un nombre considérable de vies successives,
regroupées traditionnellement en « trois périodes incalculables » (asmkhyeya kalpa). Au
début de la première, il produit la « pensée d’éveil » mais n’est pas assuré de pouvoir un jour
atteindre le but qu’il s’est fixé. Au début de la deuxième, il rencontre un samyaksam-buddha
qui lui prédit le succès de son entreprise. Au cours de la troisième, il réalise effectivement la
Voie qui le mènera au plein Eveil et, à travers de multiples états d’existence différents
(présentées dans les textes appelés Jataka ou « récits des vies antérieures »), il met en
pratique des qualités qui lui seront indispensables, non seulement pour réaliser l’Eveil, mais
aussi pour pouvoir enseigner.
Ces qualités, ou « perfections », sont appelées pâramitâ (qui mènent – ita – au-delà – param,
c’est-à-dire au-delà des apparences et de la souffrance, jusqu’à l’Eveil). Elles sont, selon les
écoles anciennes, au nombre de dix : le don, la discipline, la renonciation, la sagesse,
l’énergie, la patience, la véracité, la résolution, l’amour bienveillant et l’équanimité.
[voir le texte annexe : les dix pâramitâ, p. 22]

III.2. De la dernière naissance à l’Eveil

Ce cycle incommensurable de vies s’achève par la « dernière vie » du bodhisattva, celle au


cours de laquelle il atteint effectivement l’Eveil et devient enfin un samyaksam-buddha. Dans
le canon pâli, le récit de cette « vie » n’apparaît pas comme celle du Bouddha Sâkyamuni,
mais comme celle d’un précédent Bouddha, Vipassi [voir le texte commenté, p. 26]. Une fois
encore, ce n’est pas l’aspect « historique » qui sera mis en valeur, mais bien le modèle d’un
parcours « parfait », que doivent suivre tous les Bouddhas.
Les circonstances de la « dernière naissance » sont particulièrement mises en valeur et
insistent sur les caractéristiques extraordinaires d’un tel événement : c’est le bodhisattva lui-
même qui décide de naître dans telle famille plutôt qu’une autre (en l’occurrence une famille
royale), sa conception et sa naissance sont entourées de manifestations célestes annonçant le
caractère exceptionnel de l’enfant qui vient au monde, la gestation elle-même n’obéit pas aux
caractéristiques communes et les dieux veillent au bon déroulement de ce parcours
paradigmatique.

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Dès sa naissance, des devins constatent que l’enfant est « marqué » de signes qui manifestent
sa supériorité : trente-deux marques le signalent comme « Grand Homme » (mahâ-purusa).
Selon qu’il s’engagera dans une voie temporelle ou spirituelle, le Grand Homme pourra
devenir soit un « Roi à la Roue » (Çakravartin), souverain « universel » gouvernant en accord
avec la Loi du Monde (le Dharma au sens temporel et mondain), soit un Bouddha qui
« mettra en mouvement la Roue de la Loi » (le Dharma au sens spirituel et supra-mondain).

Intervient ensuite l’événement « mondain » le plus important de cette dernière vie : les
« Quatre rencontres ». Alors que le roi son père tente de l’isoler et lui fait connaître toutes les
joies des « plaisirs sensuels » - pour qu’il s’attache au monde et lui succède un jour sur le
trône - le bodhisattva se retrouve en présence, successivement, d’un vieillard, d’un malade et
d’un mort, puis d’un religieux errant (sramana).
A chacune de ces rencontres (qui ont lieu alors que le jeune prince est mené par son cocher
vers un « jardin de plaisir »), le bodhisattva est ébranlé dans sa joie de vivre et son
insouciance et annule sa promenade, sans plus avoir envie des divertissements qu’il allait
chercher (« Le prince, chagriné et affligé, se lamentait en disant : Honte à ce phénomène
appelé naissance, si se manifestent la vieillesse, les maladies et la mort pour celui qui est
né ! »).
A chaque fois, de son côté, le père espère : « Que le prince Vipassi ne reste pas sans régner !
Que le prince Vipassi ne quitte pas la maison pour mener une vie sans maison [la vie des
religieux errants] ! Que la parole des devins ne se réalise pas ! ». Le jeune homme, pourtant,
finit par quitter « la vie de maison » pour « la vie sans foyer » et s’engage dans une voie de
recherche spirituelle, à l’image du religieux qu’il a rencontré lors de sa quatrième promenade.
Ces « Quatre rencontres » semblent s’effectuer d’elles-mêmes, comme prédéfinies de toute
éternité. Le roi ne peut qu’espérer que le présage ne se réalise pas, malgré ce qu’il entreprend
pour aller à l’encontre des événements : la voie du bodhisattva se doit de passer par ces
étapes, auxquelles il ne peut, lui-même, « échapper ». C’est « ainsi » !
Il en ira de même pour les épisodes suivants de ce cheminement : réalisation de l’Eveil,
hésitation à divulguer l’enseignement puis, après intervention du dieu Brahmâ, acceptation de
prêcher la Doctrine, premier sermon à « deux disciples principaux », conversion de milliers
d’autres disciples et, finalement, envoi de ces disciples en mission à travers le monde.

Ce parcours paradigmatique, qui semble ne pas pouvoir démêler prédestination et libre-


arbitre, laisse pourtant dans l’ombre de larges parties de la vie du bodhisattva. Après avoir
considérablement développé les circonstances de la naissance, le texte « saute » aussitôt à
l’épisode du Grand Départ (l’abandon de « la vie de maison » pour « la vie sans foyer »), sans
rien évoquer de la jeunesse du prince, puis passe directement à l’Eveil et à l’intervention du
dieu Brahmâ. La conversion de ses premiers disciples puis de milliers d’autres s’effectue sans
encombres et sans anecdotes, pour se concentrer sur la seule divulgation de la Doctrine.
Ce récit, qui paraît bien « sec », sera bientôt amplifié : les biographies qui seront rédigées aux
alentours de l’ère chrétienne développeront, au contraire, tous les épisodes que ce texte
passait sous silence, au point d’offrir une véritable « vie du bodhisattva ».

C’est cette « vie » que nous allons étudier dans le deuxième module de ce cours.

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TEXTES ANNEXES

Texte annexe 1 : Les dates du Bouddha


Texte annexe 2 : « Un seul anuttara samyaksam-buddha par kalpa »
Texte annexe 3 : Les titres d’un Bouddha
Texte annexe 4 : Le Buddha n’existe que par « pur conformisme »
Texte annexe 5 : Les dix parâmitâ (« perfections »)
Texte annexe 6 : Les principaux épisodes de la vie du bodhisattva

Texte annexe 1
Les dates du Bouddha

L’existence réelle du Bouddha n’est plus remise en cause aujourd’hui par aucun historien des
religions. Mais la fixation des dates de sa vie (naissance, mort et principaux événements)
pose des problèmes apparemment insurmontables…
Il existe en fait deux chronologies en vigueur dans le monde bouddhiste, qu’on peut présenter
comme la tradition du Nord (chronologie courte, se basant sur des textes sanskrits) et la
tradition du Sud (chronologie longue, se basant sur des textes pâlis). Toutes deux prennent
pour point de départ la date de la mort du Bouddha (l’Extinction finale ou pari-nirvâna) et la
déterminent par rapport à la date du sacre du premier grand souverain indien ayant adopté le
bouddhisme comme religion personnelle, le roi Asoka.
Celle-ci peut nous servir de repère car les historiens grecs y font allusion : Alexandre le
Grand est parvenu sur les rives de l’Indus pendant le règne du grand-père d’Asoka et ses
successeurs entretiendront des relations suivies avec les souverains indiens, à partir de cette
époque. Le sacre d’Asoka, si l’on suit les témoins grecs, a eu lieu en 267 ou 268 avant J.-C.
Selon la chronologie courte, la mort du Bouddha aurait eu lieu seulement 100 ans avant le
sacre d’Asoka, soit en 368 av. J.-C. Selon la chronologie longue, elle serait intervenue 218
ans avant le sacre, soit en 485 ou 486 av. J.-C. Pourtant, les dates annoncées sont celles de
544-543 av. J.-C., car les chroniqueurs font une erreur de 60 ans sur la date même du sacre…
Pendant longtemps, les historiens ont plutôt privilégié la chronologie longue « corrigée »,
parvenant à la date approximative de 483 av. J.-C. Toutes les traditions étant unanimes sur le
fait que le Bouddha avait vécu 80 ans, il serait alors né en 563 av. J.-C.
De nombreuses découvertes archéologiques ont remis en cause ces calculs. Deux sites,
notamment, ont ainsi été présentés comme les ruines possibles de la ville natale du Bouddha,
Kapilavastu. Tous deux se situent à la frontière actuelle de l’Inde et du Népal, l’un en
territoire indien, l’autre en territoire népalais. Aucun des deux ne semble pourtant avoir été
habité avant le Ve siècle av. J.-C., ce qui rend impossible la chronologie longue, qui placerait
sa naissance à la moitié du VIe s.
Après de nombreux débats, la communauté scientifique s’est finalement décidée pour fixer la
date du décès du Bouddha aux alentours de 400 av. J.-C. Quant à sa date de naissance, elle
n’est même plus évoquée, le chiffre de 80 ans paraissant trop rond pour être « honnête » ! Il
serait plus vraisemblable d’accorder au Bouddha une espérance de vie d’une soixantaine
d’années au maximum, ce qui placerait sa naissance aux environs de 460 av. J.-C.

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Texte annexe 2
« Un seul anuttara samyaksam-buddha par kalpa »

L’apparition d’un samyaksam-buddha est « aussi rare que la floraison de l’arbre Udumbara,
qui porte des fruits mais n’a point de fleur visible ». Il ne peut en apparaître qu’un seul à la
fois et, au cours des 91 dernières ères cosmiques (kalpa), trois périodes, seulement, ont connu
un samyaksam-buddha.
Le terme de kalpa (qu’on traduit par « ère cosmique » ou « éon ») représente une unité de
temps qui paraît très étrange à un Occidental mais qui est tout à fait typique de l’esprit
indien ! Rien à voir avec nos « siècles » ou nos « millénaires » : la mesure d’un kalpa n’est
pas mathématique mais symbolique et, surtout, totalement superlative…
Les kalpa sont des ères se renouvelant par grands cycles, englobant eux-mêmes des groupes
de cycles plus petits. Le problème, pour nous, est que tous ces cycles et sous-cycles portent le
nom de kalpa…
Le plus grand de tous est la « grande ère » (mahâ-kalpa). « L’immensité de cette période est
suggérée par plusieurs images évocatrices. Par exemple, si, une fois par siècle, un homme
caressait une montagne de granit massif haute d’environ dix mille mètres avec un morceau de
fine étoffe, elle serait usée avant que ne se soit écoulée une grande ère. Et pourtant, les ères
écoulées sont plus nombreuses que tous les grains de sable des rives du Gange ! » (Peter
Harvey, Le Bouddhisme, Seuil, p. 55)
Le mahâ-kalpa se divise lui-même en quatre « périodes incalculables » (asmkhyeya kalpa),
correspondant au cycle d’un monde : son apparition, son maintien, sa dégénérescence, son
absence ; après quoi le cycle reprend, indéfiniment…
Chaque « période incalculable » se divise encore en vingt « périodes d'entre-temps » (antara-
kalpa), comprenant elles-mêmes huit « âges du monde » (yuga). Ces périodes sont dites vides
ou non vides selon qu’elles sont pourvues ou dépourvues de samyaksam-buddha. Les
périodes comme celle qui se déroule actuellement, qui peuvent connaître jusqu’à six
Bouddhas successifs, sont dites « fortunées ».
On le voit, ces définitions n’ont pas pour but de mesurer le temps mais, au contraire, de
donner l’idée la plus gigantesque possible de son déroulement incommensurable…

Texte annexe 3
Les titres d’un Bouddha

La tradition reconnaît neuf « attributs » au Bouddha, qui constituent autant de titres


généralement associés à son nom (ces différents termes seront revus et, pour certains,
analysés plus en détail tout au long de ce cours) :

Arhat : le « Méritant », celui qui a vaincu les ennemis, qui est libéré des « impuretés »
(kilesa)
Samyaksam-buddha : celui qui a atteint le plein et complet Eveil, sans l’aide de quiconque
Vijjâ-carana-sampanno : parfait en sagesse et en conduite ; la traduction stricte est : qui
possède de manière complète (sampanno) les « [pouvoirs nés des] connaissances
surnaturelles » (vijjâ) et les « conduites excellentes » (carana)
Sugato : le « Bien-allé », qu’il faut comprendre avant tout comme « celui qui agit comme il
convient » et, plus précisément, celui qui s’abstient de toute parole fausse, nuisible et
désagréable et choisit le moment propice pour prononcer des paroles vraies, utiles et
agréables.
Lokavidû : le Connaisseur des Mondes « tels qu’ils sont »
Anuttaro purisa damma sâratthi : le guide sans supérieur des êtres qui doivent être guidés
Satthâ devâ manussânam : l’enseignant des dieux et des hommes

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Buddha : l’Eveillé
Bhagavat : le « Bienheureux » (l’origine de ce terme est obscure ; son emploi est
généralement réservé aux personnages de haut rang et pourrait signifier « digne d’être
fréquenté »)

Texte annexe 4
Le Buddha n’existe que par « pur conformisme »

L’idée que le Bouddha se conforme à un modèle, parce qu’il en est « Ainsi » de tous les
Bouddhas, a été poussé jusqu’à ses extrêmes par une école du bouddhisme ancien, celle des
Mahâsâmghika. On ignore si ces idées nouvelles – que les autres courants jugeront excessives
et hétérodoxes – sont anciennes ou si les Mahâsâmghika les adopteront seulement au début de
l’ère chrétienne, sous l’influence du Mahâyâna qui développera des thèses extrêmement
proches.
Selon Etienne Lamotte : « Les Mahâsâmghika montent en épingle un passage du Samyutta
(III, p. 140) où il est dit : « Le Tathâgata naît dans le monde, grandit dans le monde : qu'il
aille ou se tienne debout, il n'est pas souillé par le monde ». Ils en concluent que tout dans le
Buddha, y compris son corps de naissance, est pur : sa naissance est purement
apparitionnelle ; son existence, une simple fiction ; son corps est spirituel et, s'il manifeste
extérieurement des qualités et des gestes humains qui en réalité lui sont étrangers, c'est
uniquement pour se conformer au monde. » (Lamotte, p. 690)
Leur thèse est clairement exprimée dans l’introduction d’un de leurs principaux textes, le
Mahâvastu :
« Chez les Buddha pleinement et parfaitement éveillés, absolument rien de commun avec le
monde ; ainsi donc, chez ces grands sages, tout est supérieur au monde […] Ces hommes
supérieurs adoptent les quatre attitudes [la station debout, la marche, les positions assise et
couchée], mais aucune fatigue ne s'abat sur ces êtres bienfaisants. Ils se lavent les pieds, mais
la poussière n’y adhère pas, et leurs pieds sont pareils à la feuille du lotus : c'est là pur con-
formisme. Les samyaksam-buddha se baignent, mais la souillure n'est point en eux, et leur
image est pareille au disque d'or : c'est là pur conformisme. [...] Ils prennent de la nourriture,
mais la faim ne les tourmente pas. [...] Quoique le corps du Bien-Allé ne soit pas le résultat
d'une union sexuelle, les Buddha font mention de leur mère et de leur père : c'est là pur
conformisme. »
Quelques écoles, peu nombreuses, subiront l’influence des Mahâsâmghika et adopteront, elles
aussi, ces thèses. On en trouve la preuve, notamment, dans un texte polémique rédigé à
Ceylan, sans doute au IVe siècle après J.-C. On y trouve notamment les affirmations
suivantes : « Les Buddha sont partout présents dans toutes les régions de l'univers ; ils
peuvent suspendre toutes les lois naturelles par leur pouvoir miraculeux ; leur comportement
est transcendant et l'odeur même de leurs excréments surpasse tous les parfums ; ils n'ont
jamais résidé dans le monde des hommes. »
Le Bouddha, ici, n’a plus rien d’un homme ordinaire et sa dimension « historique » a
complètement disparu !

Texte annexe 5
Les dix parâmitâ (« perfections »)

Les parâmitâ sont des qualités que le futur Bouddha doit toutes pratiquer, successivement et
en même temps : certaines d’entre elles ne peuvent se développer que si les précédentes ont
déjà été pratiquées, mais les suivantes permettront de nourrir et de développer les premières,

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au fur et à mesure de la progression. Elles seront proposées comme modèle de vie à tous les
disciples du Bouddha, mais lui-même doit les pratiquer de manière extraordinaire et pendant
un nombre incalculable de vies successives. C’est cette « intensité » de la pratique (qui
constitue le cœur de son vœu initial de bodhisattva, son engagement à œuvrer pour le bien de
tous les êtres ) qui lui permettra de devenir un samyaksam-buddha.

Le don (dâna) vient en premier parce qu’il est considéré comme le plus facile à mettre en
œuvre ; il s’agit d’œuvrer au profit des autres, tant du point de vue matériel que moral, par les
actes comme par les paroles. La discipline (sîla) consiste en l’abstention du meurtre, du vol,
du mensonge et de toute conduite « incorrecte »…
Ces deux premières parâmitâ fonctionnent en doublet : le don est l’aspect actif (œuvrer pour
le bien d’autrui), la discipline en est le côté passif (s’abstenir de produire de la souffrance…).
La renonciation (nekkhama) est un exercice de purification de l’esprit, notamment ce qu’on
appelle ordinairement la « méditation », mais surtout le fait de quitter « la vie de maison »
pour s’engager dans « la vie sans foyer ». C’est le détachement.
Ces trois premières parâmitâ, purification active et passive du corps, de la parole et de
l’esprit, constituent le cœur de la voie bouddhique.
La sagesse (prajnâ) vient ensuite parachever cette purification, puisqu’elle ne peut se
manifester qu’une fois l’esprit débarrassé de ses impuretés.

Ces quatre premières parâmitâ sont communes à tous ceux qui cheminent vers l’Eveil,
srâvaka-buddha, pratyeka-buddha ou samyaksam-buddha.
Viennent ensuite des qualités supplémentaires que tous peuvent mettre en œuvre mais qui
seront particulièrement développées par le bodhisattva.

Tout d’abord l’énergie (viriya) et la patience (ksanti) : capacité à supporter les épreuves et,
notamment, le mal que peut vous faire autrui.
La véracité (sacca) consiste à rester fidèle à sa parole, quel que soit le tort qu’on puisse subir.
La résolution (adhisthâna) est mentionnée immédiatement après, car seuls sont réellement
capables de se perfectionner avec détermination ceux qui possèdent la connaissance des
choses telles qu'elles sont et agissent, en conséquence, avec véracité.
Quant à l'amour bienveillant (maitrî), il ne peut se manifester que quand on est établi de façon
imperturbable dans la détermination de travailler pour le bien d'autrui ; cette « amour »,
cependant, doit être purifié par l'équanimité (upeksâ), sans laquelle elle pourrait n’être qu’une
forme subtile d’égoïsme. Dernière étape du cheminement du bodhisattva, maitrî ne doit pas
être confondu avec le sentiment qui engage au don (première parâmitâ) ; le don vise le
bonheur « en ce monde », alors que l’amour vise la Délivrance. C’est maitrî qui pousse le
futur Bouddha à enseigner.

Texte annexe 6
Les principaux épisodes de la vie du bodhisattva

Naissance
Le bodhisattva, siégeant au ciel des Tusita, décide de renaître dans le monde des hommes
pour « accomplir » sa dernière vie. Il choisit pour parents Suddhodana et son épouse Mâyâ,
de la famille des Gautama du clan des Sâkya, qui gouvernent la ville de Kapilavastu (dans le
Téraï, à la frontière actuelle de l’Inde et du Népal).
Lors de la conception, « virginale », le bodhisattva descend dans le sein de sa mère sous la
forme d’un éléphant blanc à six défenses (dans les versions anciennes, il s’agit d’un rêve,
dans les versions plus tardives, d’un fait réel).

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La naissance a lieu dix mois plus tard, dans le jardin de Lumbini, à mi-chemin entre
Kapilavastu et la ville natale de Mâyâ, qui se rendait chez ses parents pour les couches. La
mère accouche debout, tenant une branche d’arbre de sa main droite ; l’enfant sort par le côté
droit.
Il se dresse aussitôt sur ses pieds, fait sept pas dans les quatre directions (des lotus éclosent
sous ses pas) et proclame qu’il est « le Vénéré du Monde ». Les dieux versent deux pluies
d’eau chaude et froide ; l’univers tremble et résonne de coups de tonnerre.
L’enfant est soumis aux sages et devins qui reconnaissent sur lui la présence des Trente-Deux
marques du Grand Homme (Mahâ-purusa) et lui promettent alors l’avenir d’un Roi universel
(Çakravartin) ou d’un Bouddha.
Il reçoit le nom de Siddhârta (« Celui qui a atteint son but »).

Jeunesse
Sept jours après sa naissance, la reine Mâyâ décède et l’enfant est élevé par sa tante
maternelle, seconde épouse de son père, Mahâ-Prajapati. Il suit des études brillantes dans tous
les domaines d’apprentissage réservés à un prince. Il dispose de trois palais, un pour chaque
saison, et son père fait en sorte qu’il bénéficie de tous « les plaisirs des cinq sens » (il redoute
de le voir « quitter le monde » et de se retrouver sans héritier).
Alors qu’il est encore un enfant, Siddhârta expérimente pour la première fois les différents
degrés d’extase de la méditation (les circonstances varient selon les textes).
A l’âge de 15 ans, il est marié à la belle Gopâ-Yasodharâ.

Les Quatre Rencontres et le Grand Départ


Alors qu’il traverse la ville en char pour se rendre dans un jardin, Siddhârta croise un
vieillard, puis une autre fois un malade, puis encore un cortège funèbre, et enfin un ascète
errant (sramana). Chaque rencontre provoque une violente prise de conscience du caractère
éphémère de la vie, soumise à la maladie et à la vieillesse. Il décide de s’engager sur la voie
que lui a montré l’ascète errant.
Agé de 29 ans, alors que son épouse vient d’accoucher d’un fils (Rahula), Siddhârta profite
d’une nuit pour quitter la demeure familiale. Il visite une dernière fois son harem et les
femmes endormies évoquent pour lui la maladie et la mort. Tous les habitants du palais sont
plongés dans un profond sommeil (grâce à l’intervention des dieux) et le prince déjoue tous
les obstacles que son père avait prévu pour empêcher son départ (les dieux même soutiennent
les sabots de son cheval). Il s’enfuie, accompagné de son écuyer qu’il congédie bientôt, coupe
ses cheveux, échange ses vêtements avec un mendiant et part seul.

Les années d’étude et d’ascèse


Siddhârta rejoint d’abord deux brahmanes ascètes (Kâlâma et Râmaputra) qui,
successivement, lui enseignent les plus haut degrés de la méditation. Parvenu en un an à les
égaler, il récuse leur offre de rester avec eux, voire de prendre leur succession. Pour lui, ces
exercices yogiques ne mènent pas à la libération de la souffrance et de la mort.
Il poursuit seul sa quête, néanmoins accompagné de cinq ascètes qui croit en lui. Il se dirige
vers la ville d’Uruvilvâ et rencontre en chemin le jeune roi Bimbisâra, souverain du royaume
du Magadha. Il lui promet de revenir vers lui dès qu’il a trouvé le Chemin qui mène à la
Libération.
Pendant cinq ans, il pratique une ascèse extrême qui le mène au bord de l’inanition. Il se
souvient alors de sa première expérience de méditation et se décide à reprendre de la
nourriture (une jeune femme, Sujata, lui offre alors un plat de riz au lait). Ses compagnons,
choqués, l’abandonnent.
(voir aussi, sur le site de l’UBE, le texte complémentaire : « Mahasaccaka-sutta »)

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L’Eveil à Bodh-Gayâ
Après avoir reçu d’un paysan une poignée d’herbes kusa, il s’en fait un siège et s’installe
sous un arbre pippâl. Il décide de ne pas bouger tant qu’il n’a pas trouvé la solution qui met
fin à la mort et entre en méditation.
Devant sa détermination, Marâ (le dieu du monde du désir et de la mort) prend peur pour sa
souveraineté et l’affronte au cours de trois assauts. Il envoie d’abord une armée de démons
pour l’effrayer mais un seul geste du bodhisattva transforme leurs armes en fleurs. Marâ
réclame ensuite la place qu’il occupe, en vertu de ses hauts mérites, mais le bodhisattva prend
à témoin la terre et celle-ci reconnaît que les mérites de Siddhârta surpassent ceux de Marâ.
Dépité, le Démon envoie alors ses trois filles pour le séduire… en pure perte.
Enfin seul (!), le bodhisattva parcours les divers stades de la méditation et, au cours de la
première veille de la nuit, parvient à se rappeler ses vies antérieures ; au cours de la seconde
veille il comprend le fonctionnement de la « rétribution des actes », à l’origine du cycle des
renaissances ; au cours de la troisième il découvre enfin le mécanisme de la « co-production
conditionnée ». Au moment où l’étoile du matin se lève dans le ciel, il connaît le Plein Eveil
des Bouddhas. Il est âgé de 35 ans.
(voir aussi, sur le site de l’UBE, le texte complémentaire : « Mahasaccaka-sutta »)

Les débuts de la prédication


Le Bouddha demeure sur place en méditation (quelques jours ou quelques semaines selon les
versions). Pendant son séjour, une pluie torrentielle s’abat sur la région et un Roi-Naga,
Mucilinda, lui fait un piédestal de ses anneaux et un parapluie de son capuchon à sept têtes.
Le Bouddha hésite à enseigner la Doctrine et le dieu Brahmâ intervient lui-même pour le
convaincre de le faire. Le Bouddha accepte par compassion : il compare les hommes à des
lotus, plus ou moins plongés dans l’eau comme les hommes sont plus ou moins plongés dans
l’Ignorance.
Deux marchands de passage lui offrent un plat de riz au miel et reçoivent de lui son premier
enseignement ainsi que des reliques.
Le Bouddha se décide à quitter Bodh-Gayâ et se rend près de Bénarès, où il compte retrouver
ses anciens compagnons d’ascèse. Ceux-ci refusent d’abord de lui parler mais, devant son
charisme, se décident finalement à l’écouter. Il leur enseigne alors les « Quatre Nobles
Vérités » dans le Parc aux Gazelles, à Sarnath. C’est la « Mise en mouvement de la Roue de
la Loi ».
Peu de temps après, Yasas, un jeune fils de banquier qui fuit sa famille (comme le Bouddha
l’avait fait lui-même) écoute lui aussi son enseignement et demande à entrer dans la
Communauté de ses disciples. Il est le premier disciple laïc. De nombreux membres de sa
famille et des amis suivent son exemple.
Ainsi commencent 45 années de prédication errante…

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TEXTE COMMENTE

PRESENTATION DU TEXTE

Le Mahâ'padâna-sutta ou "Grand récit légendaire" fait partie du premier recueil du canon


pâli, le Digha Nikaya ou "Recueil des Grands [discours]". Il en ouvre la deuxième section et
porte le numéro 14 sur l'ensemble de l'ouvrage. C'est la première fois, dans le canon pâli, que
sont évoqués les Bouddhas du passé et la carrière du bodhisattva.
Ce "long discours" (une trentaine de pages en tout) suit les règles stylistiques habituelles aux
textes du canon pâli. Les formules stéréotypées y sont très nombreuses et certains
paragraphes sont répétés in extenso, chaque fois qu'un personnage rapporte un événement,
une conversation ou une réflexion qui a déjà eu lieu. Ce procédé, fastidieux pour un lecteur
moderne, est un héritage de l'origine orale de la transmission de tels textes.
Afin de vous en faciliter la lecture, nous avons amplement remanié ce texte et réduit au
minimum ces répétitions (les plus importantes suppressions sont indiquées par le symbole
[...]).
Nous sommes resté malgré tout au plus près du style original afin de vous permettre d'avoir
une idée précise de cette littérature qui, encore aujourd'hui, est apprise intégralement par
coeur par les bhikkhu (moines) et régulièrement récitée sous cette forme.
Nous n'avons cependant conservé de ce texte que les parties qui concernent directement la vie
du bodhisattva jusqu'à l’Eveil, ainsi que la conclusion dans laquelle Sâkyamuni explique
comment les dieux l’ont informé. Nous avons supprimé l’intégralité de la section présentant
les points communs aux sept Tathâgata qui ont précédé Sâkyamuni (elle est résumée au début
de la deuxième section du texte), plusieurs parties de la section consacrée à la naissance du
bodhisattva, l'intégralité de la section consacrée à l'Eveil (qui présente l'exposé de la "co-
production conditionnée", qui sera étudié dans la deuxième Unité de Cours), ainsi que toute la
dernière partie du texte qui raconte la "conversion" de milliers de disciples, leur envoi en
mission puis leur première réunion plénière pour la récitation du "code de discipline".
Nous avons conservé l'orthographe pâli pour les principaux termes, utilisés dans le cours sous
leur forme sanskrite. Lors de leur première apparition, le terme pâli est suivi, entre crochets,
de son orthographe en sanskrit.
Etant donné la longueur de ce texte, nous ne commenterons que les points les plus importants
concernant le style et quelques-uns des principaux épisodes de la vie du Bienheureux.

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TEXTE ORIGINAL

Mahâ’padâna-sutta
Un grand récit légendaire

INTRODUCTION A LA PREMIERE SECTION

Ainsi ai-je entendu :

Une fois le Bienheureux demeurait au parc d’Anâthapindika, situé dans le bois de Jeta, près
de la ville de Sâvatthi. En ce temps-là, un jour, les bhikkhu, après être rentrés de leur tournée
d’aumône, après avoir terminé leur repas, s’étaient réunis assis dans la rotonde appelée
Kareri. Une bonne conversation, concernant les demeures anciennes, s’engagea alors entre
eux : « Ainsi il y avait une demeure du passé et encore ainsi il y avait une demeure du
passé… ».
Le Bienheureux, qui se trouvait dans le domaine mental où il pouvait entendre grâce à
l’oreille surhumaine bien claire qui dépasse la capacité humaine, entendit la conversation de
ces bhikkhu. Alors il se leva de son siège, s’approcha de l’endroit où se trouvait la rotonde
Kareri et s’assit sur le siège préparé à son intention. S’étant assis, il s’adressa aux bhikkhu :
« Quelle est la conversation, ô bhikkhu, qui vous tient maintenant assis dans ce lieu ? A quel
point votre conversation vient-elle de s’interrompre [à cause de mon arrivée] ? »
Etant questionnés ainsi, les bhikkhu répondirent […].
Le Bienheureux demanda : « Voulez-vous, ô bhikkhu, écouter un bon propos concernant les
demeures anciennes ? »
Les bhikkhu répondirent : « C’est le moment, Bienheureux. C’est le moment, Bienvenu. Si le
Bienheureux donne un bon discours sur les demeures anciennes, les bhikkhu, ayant écouté la
parole du Bienheureux, la garderont dans leur mémoire. »
Le Bienheureux dit : « Alors, ô bhikkhu, réfléchissez bien et soyez attentifs. Je vais vous
parler ».
« Très bien. Bienheureux », répondirent les bhikkhu.

PREMIERE SECTION :
« LES SEPT TATHAGATA »

Le Bienheureux dit :
« O bhikkhu, le bienheureux Vipassi, arahant, sammasam-buddha, est né dans le monde il y a
déjà quatre-vingt-onze ères cosmiques. Le bienheureux Sikhi, il y a déjà trente et une ères
cosmiques. Le bienheureux Vessabhu, pendant la même trente et unième ère cosmique, tout
comme le bienheureux Kakusanda, le bienheureux Konagamana et le bienheureux Kassapa.
Et c’est dans cette même heureuse ère cosmique que moi, l’arahant, sammasam-buddha
d’aujourd’hui, je suis né dans le monde.
[…]
Ainsi parla le Bienheureux. Après avoir dit cela, s’étant levé de son siège, le Bienheureux
rentra dans sa demeure.

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Introduction à la deuxième section

Peu après le départ du Bienheureux, parmi les bhikkhu s’engagea la conversation suivante :
O frères, il est merveilleux, ô frères, il est surprenant le pouvoir prodigieux du Tathâgata, la
majesté du Tathâgata, à tel point qu’il se rappelle les Bouddhas du passé qui ont atteint la
cessation complète, qui ont tranché les éléments retardateurs, qui ont détruit les barrières, qui
ont totalement arrêté le cycle [du samsâra], qui sont allés au-delà de toutes les souffrances, et
qu’il se rappelle leur naissance, leurs noms, leur famille, la durée de leur vie, leurs deux
disciples principaux, les assemblées de leurs auditeurs […].
Qu’en pensez-vous, ô frères ? Le Tathâgata a-t-il pénétré lui-même ce domaine de la nature
[…] ou bien les dieux l’ont-ils informé […] ?
Telle était la conversation qui se déroulait parmi les bhikkhu.

A ce moment-là, le Bienheureux, s’étant levé après son repos de 1’après-midi, s’approcha de


la rotonde Kareri. Il s’assit sur le siège préparé à son intention et s’adressa aux bhikkhu : «
Quelle est la conversation qui vous tient maintenant assis en ce lieu ? A quel point votre
conversation vient-elle de s’interrompre ? »
Ils répondirent au Bienheureux. […]
[Le Bienheureux dit : ] « O bhikkhu, le Tathâgata a bien pénétré dans le domaine de la nature
[des choses] et c’est à la suite de cette pénétration dans le domaine de la nature des choses
que le Tathâgata se rappelle les Bouddha du passé […]. Les dieux aussi m’ont informé à leur
propos. […] Voulez-vous, ô bhikkhu, écouter encore un autre bon propos concernant les
demeures anciennes ? »
Les bhikkhu répondirent : « Ceci est le temps, Bienheureux. Ceci est le temps, Bienvenu. »
Le Bienheureux dit : « Alors, ô bhikkhu, réfléchissez bien et soyez bien attentifs. Je vais vous
parler ».
« Très bien, Bienheureux », répondirent les bhikkhu.

DEUXIEME SECTION :
« LA CARRIERE DE BODHISATTVA DU BIENHEUREUX VIPASSI »

La Naissance

Le Bienheureux dit :
« O bhikkhu, le Bienheureux Vipassi, arahant, sammasam-buddha, est né dans le monde il y
a déjà quatre-vingt onze ères cosmiques. Il était par naissance khattiya [ksatriya] puisqu’il
était né dans une maison khattiya. Il appartenait à la famille Kondanna. Sa durée de vie fut de
quatre-vingt mille ans. Il atteignit l’Eveil au pied d’un arbre pâtali. Il avait deux disciples, en
tant que deux heureux disciples principaux, nommés Khanda et Tissa. Il avait trois
assemblées d’auditeurs. Une première assemblée d’auditeurs fut de soixante-huit mille, une
autre de cent mille et une autre encore de quatre-vingt mille ; [et tous ces disciples] étaient de
ceux qui ont éliminé les écoulements mentaux toxiques. Le Bienheureux Vipassi avait un
bhikkhu nommé Asôka comme aide-assistant. Son père était un roi nommé Bandhumâ, et sa
mère était la reine Bandhumatî. Le royaume du roi Badhumâ était connu sous le nom de
Bandhumatî. C’est dans l’ordre des choses.

[« L’ordre des choses » lors de la naissance d’un bodhisatta]


En effet, ô bhikkhu, le bodhisatta Vipassi, en quittant le groupe des dieux Tusita, étant
attentif et conscient, descendit dans l’utérus de sa mère. C’est la nature des choses. C’est dans
l’ordre des choses.

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C’est dans l’ordre des choses, ô bhikkhu, que lorsqu’un bodhisatta entre dans l’utérus de sa
mère, à ce moment-là, dans cet univers parmi les Mâras, les Brâhmas, les religieux et les
brâhmanes, les dieux et les humains, se produise une grande lumière incommensurable qui
dépasse la majesté [lumineuse] des dieux. Même les lieux extrêmement obscurs, comme le
bout de l’univers où des puissants tels que la lune et le soleil ne sont pas capables de faire
pénétrer leur lumière, sont illuminés par cette splendeur majestueuse sans limite qui dépasse
la grande majesté [lumineuse] des dieux. Les êtres vivants qui sont nés dans ces lieux, se
voyant l’un l’autre grâce à cette splendeur, disent : « Vraiment, il en est donc d’autres qui
vivent ici !». Les dix mille systèmes planétaires sont ébranlés et tremblent violemment. Dans
un tel cas, c’est la nature des choses.
Les quatre princes des dieux se présentent alors pour effectuer la protection des quatre
directions en disant : « Qu’aucun être humain ou non humain ne fasse le moindre mal au
bodhisatta ou à sa mère ». Celle-ci est naturellement une personne vertueuse : elle s’abstient
de tuer les êtres vivants, de prendre ce qui ne lui est pas donné, de relations sexuelles illicites,
de proférer des mensonges, de prendre des boissons enivrantes qui causent l’égarement et
l’inattention. Elle n’a aucun désir d’avoir du plaisir sensuel avec un homme et aucun homme
n’est capable de la convaincre d’avoir une relation de type sexuel. Elle reçoit les plaisirs des
cinq sens, elle est comblée, entourée du plaisir des cinq sens. Elle n’est dérangée par aucune
maladie, elle est dans le bonheur et son corps ne ressent aucune fatigue. […]
C’est dans l’ordre des choses, ô bhikkhu, que lorsqu’un bodhisatta est né, sa mère décède au
septième jour et qu’elle renaisse alors dans l’état céleste Tusita. Elle accouche après l’avoir
gardé pendant dix mois complets dans son utérus, tandis que les autres femmes accouchent
après avoir gardé leur enfant pendant neuf ou dix mois. Elle accouche tout en étant en posture
debout, tandis que les autres femmes accouchent en posture assise ou allongée. La mère du
bodhisatta n’accouche pas comme les autres femmes. Lorsque le bodhisatta est né, il est
accueilli d’abord par les dieux et ensuite par les humains. Il n’est pas mis par terre. Il est
accueilli par les quatre princes divins. Ceux-ci présentent l’enfant à sa mère en disant : « O
dame divine, soyez contente. Pour vous un très puissant enfant est né ». Lorsque le bodhisatta
sort de l’utérus de sa mère, il sort sans être souillé ou touché par les éléments liquides, le
mucus, le sang ou un quelconque élément impur, il sort de l’utérus de la mère pur et sans
tache. C’est tout comme, ô bhikkhu, une pierre précieuse placée dans un tissu de Kâsi, qui
n’est pas souillé par ce tissu et que le tissu ne souille pas. Pourquoi ? Parce que ces deux
éléments sont également purs.
C’est dans l’ordre des choses, ô bhikkhu, que lorsque le bodhisatta sort de l’utérus de sa
mère, viennent d’en haut deux sources d’eau, l’une froide et l’autre chaude, lesquelles
subviennent aux besoins en eau du bodhisatta et de sa mère. Dès qu’il est né, le bodhisatta
reste debout sur ses pieds et des dais blancs sont placés au-dessus de lui. Il marche sept pas
vers l’est et regarde dans toutes les directions, puis il dit cette parole sublime : « Dans le
monde, je suis le chef ; pour le monde, je suis l’aîné ; pour le monde, je suis le premier ». A
ce moment-là, dans cet univers […] se produit une grande lumière incommensurable qui
dépasse la majesté [lumineuse] des dieux. […]

[Les marques du Grand Homme]


Lorsque, ô bhikkhu, le prince Vipassi est né, le roi Bandhumâ a été informé par ces paroles : «
Sire, pour vous un fils est né. Que le prince divin voit l’enfant ». Le roi Bandhumâ vit
l’enfant puis s’adressa aux brahmanes devins : « Que les brahmanes devins regardent l’enfant
« Les brahmanes devins ont regardé l’enfant et, l’ayant vu, il dirent au roi Bandhumâ :
« Sire, soyez content, pour vous un fils très puissant est né. Avoir un tel fils dans votre
famille est un gain, un grand gain pour vous. Cet enfant, Sire, est pourvu des trente-deux
marques corporelles d’un Grand Homme. Il a donc deux destinées, et il n’en est pas d’autres :
s’il mène une vie de foyer, il devient un roi universel qui met en marche la roue de la

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droiture, un roi de la droiture, fidèle à la droiture, dominant les quatre bords de la terre, dont
le territoire a été pacifié et qui possède les sept joyaux. Voici les sept joyaux qu’il possède :
la roue, l’éléphant, le cheval, la pierre précieuse, la femme, le maître de maison, le fils aîné. Il
a plus de mille fils braves qui ont des corps de héros, qui sont capables de détruire les armées
ennemies. Il gouverne, l’ayant conquise, cette terre bornée par l’océan, sans le bâton ni
l’arme, par la seule droiture. Mais s’il quitte le foyer, passant de la maison à l’état sans foyer,
il devient un arahant, un sammasam-buddha, qui a écarté le voile [de l’ignorance] de ce
monde.
[Cela étant dit], ô bhikkhu, le roi Bandhumâ offrit aux brahmanes devins de nouveaux
vêtements et il les rassasia avec toutes les choses dont ils avaient besoin.

[Les qualités du prince]


Ensuite, ô bhikkhu, le roi Bandhumâ employa de nombreuses domestiques pour s’occuper du
prince Vipassi. Certaines parmi elles l’allaitaient, d’autres le lavaient, le gardaient ou le
portaient dans leurs bras. Dès sa naissance, un baldaquin blanc fut placé au-dessus du prince
Vipassi, de jour comme de nuit, et l’on souhaitait : « Que le prince ne soit pas gêné par le
froid, la chaleur, les pailles, les poussières ou l’humidité ». Il sembla aimable et plaisant à
beaucoup de monde. Tout comme, ô bhikkhu, un lotus bleu, ou rouge, ou blanc semble
agréable et plaisant à beaucoup de monde […]. Aussi passait-il continuellement des bras des
uns aux bras des autres.
Dès sa naissance, le prince Vipassi eut une voix sublime, agréable, douce et plaisante. Tout
comme, ô bhikkhu, la voix du coucou dans la montagne d’Himalaya.
Dès sa naissance, chez lui se produisit l’œil divin comme résultat de ses actions méritoires
passées. Ainsi il voyait jour et nuit, jusqu’à une distance d’une lieue.
Dès sa naissance, il regardait autour de lui sans clignements, tout comme les dieux de
Tâvatimsa. Alors les gens dirent : « Ce prince regarde sans clignements » et ainsi le prince
était connu [sous le nom de] Vipassi [« Celui qui regarde bien »]. En ce temps-là, ô bhikkhu,
le roi Bandhumâ se tenait dans la salle de jugement ; tout en gardant le prince Vipassi assis
sur ses genoux, il rendait la justice. Le prince Vipassi, sur les genoux de son père, rendait
compte selon la loi des sens de tel et tel jugement. Alors les gens dirent : « Ce prince rend
compte selon la loi des sens de tel et tel jugement » et ainsi le prince était connu sous le nom
de Vipassi.

Alors, ô bhikkhu, le roi Bandhumâ fit construire trois palais à l’intention du prince : un pour
l’automne, un pour l’hiver et l’autre pour l’été. Il organisa pour le prince les objets des cinq
plaisirs sensuels. Pendant la saison des pluies, le prince Vipassi demeurait dans le palais
d’automne où il n’y avait aucun serviteur masculin, entouré uniquement de femmes jouant
des instruments de musique, sans jamais descendre au rez-de-chaussée.

Les Quatre Rencontres et le Grand Départ

O bhikkhu, après de longues années, après des centaines de longues années, après des milliers
de longues années, un jour, le prince Vipassi s’adressa à son cocher : « Cher cocher, apprêtez
des chars bien beaux, bien propres. Allons au jardin pour voir ce terrain plaisant ». « Bien,
Seigneur » dit le cocher. […]
Etant en chemin vers le jardin, le prince Vipassi vit un vieillard courbé comme un pignon (de
toit), qui marchait en tremblant avec l’aide d’un bâton, malade et ayant dépassé le jeune âge.
L’ayant vu, le prince s’adressa au cocher : « Cet homme, ô cher cocher, qu’a-t-il fait ? Ses
cheveux ne sont pas comme ceux des autres. Son corps n’est pas comme celui des autres.
- Il est, Seigneur, « celui qui est arrivé à la vieillesse ».
- O cher cocher, que veut dire « celui qui est arrivé à la vieillesse » ?

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- Seigneur, il a peu de temps à vivre. C’est pourquoi il s’appelle « celui qui est arrivé à la
vieillesse ».
- O cher cocher, suis-je moi aussi assujetti à cette nature de vieillesse ? Suis-je incapable
d’éviter cette vieillesse ?
- Seigneur, nous tous sommes assujettis à cette nature de vieillesse. Nous tous sommes
incapables d’éviter cette vieillesse.
- Alors, ô cher cocher, aujourd’hui le jardin est inutile. D’ici, reconduisez les voitures vers la
cité intérieure.
- Très bien seigneur », répondit le cocher. Puis il le reconduisit vers la cité intérieure.
De retour au palais, ô bhikkhu, le prince [seul], chagriné, affligé, se lamentait en disant : «
Honte à ce phénomène dit naissance, si se manifeste une vieillesse pour celui qui est né ».
O bhikkhu, le roi Bandhumâ s’adressa au cocher : « Cher cocher, est-ce que le prince a aimé
le jardin ? Le prince a-t-il été content du jardin ?
- Non, sire, le prince n’a pas aimé le jardin. Le prince n’a pas été content du jardin.
- Cher cocher, qu’a-t-il vu pendant le trajet vers le jardin ?
- Sire, étant en chemin vers le jardin, le prince a vu un vieillard courbé comme un pignon
[…]. Depuis son retour au palais, le prince chagriné, affligé, se lamente en disant : « Honte à
ce phénomène dit naissance, si se manifeste une vieillesse pour celui qui est né ». »
Alors, ô bhikkhu, le roi Bandhumâ se dit : « Que le prince Vipassi ne reste pas sans régner !
Que le prince Vipassi ne quitte pas la maison pour mener une vie sans maison ! Que la parole
des brahmanes devins ne se réalise pas ! »
Ensuite, ô bhikkhu, le roi Bandhumâ organisa davantage les cinq plaisirs sensuels pour le
prince Vipassi afin qu’il reste pour régner, qu’il ne quitte pas la maison pour mener une vie
sans foyer et que les paroles des brahmanes devins ne se réalisent pas. Dès lors, ô bhikkhu, le
prince Vipassi était entouré et possédé par les cinq plaisirs, au milieu des plaisirs sensuels.

[le même épisode se reproduit avec un malade et un mort qu’on mène au bûcher funéraire,
puis avec un renonçant (sramana) : ]
Le prince Vipassi s’adressa au renonçant et lui demanda : « Ami, qu’avez-vous fait ? Votre
tête n’est pas comme celle des autres ? Vos vêtements ne sont pas comme ceux des autres ?
- Je m’appelle « celui qui a renoncé »
- Pour quelle raison êtes-vous appelé « celui qui a renoncé » ?
- Je suis celui qui a renoncé. J’ai renoncé [à la vie de maison] en me disant : « Il est bon de se
conduire selon la droiture, il est bon de se conduire selon l’équanimité, il est bon de se
conduire pour effectuer des choses efficaces, il est bon de se conduire pour effectuer des
actions méritoires, il est bon de se conduire selon la non-violence, elle est bonne la
compassion à l’égard des êtres vivants ». […]
Ensuite, ô bhikkhu, Le prince Vipassi s’adressa au cocher : « Alors, cher cocher, en prenant
les chars, d’ici, retournez à la cité intérieure. Quant à moi, en me rasant la barbe et les
cheveux, et en revêtant le vêtement kâsâya je quitterai la vie de maison pour entrer dans la
vie sans foyer ».
« Très bien, Seigneur » répondit le cocher. Puis il conduisit les chars vers la cité intérieure.
Quant au prince Vipassi, ayant rasé ses cheveux et sa barbe, ayant revêtu des vêtements
kâsâya et renonçant à la vie de maison, il parvint à l’état sans foyer.

O bhikkhu, le grand peuple du royaume de Bandhumatî – quatre mille personnes - entendit


dire que le prince Vipassi […] était parvenu à l’état sans foyer. L’ayant entendu, ils se dirent :
« Sûrement, si le prince Vipassi […] est parvenu à 1’état sans foyer, selon une doctrine et une
discipline, ce ne doivent pas être une doctrine ordinaire ni une discipline ordinaire, ce ne peut
pas être un renoncement ordinaire. […] Que dire donc de nous ? ». Alors le grand peuple du
royaume de Bandhumatî […] renonçant à la vie de maison gagna l’état sans foyer auprès du

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bodhisatta Vipassi. Le bodhisatta Vipassi, ô bhikkhu, entouré de ce grand groupe, sillonna
alors le royaume en passant par les villages et les bourgades.
[En ce temps-là, un jour] chez le bodhisatta Vipassi qui était dans la solitude se produisit
cette réflexion : « Le fait que je reste entouré de la foule, n’est pas convenable pour moi. Il
faut que je demeure séparé de la foule ». Plus tard, ô bhikkhu, le bodhisatta Vipassi demeura
tout seul. Les renonçants, au nombre de quatre-vingt mille, allèrent dans une direction. Le
bodhisatta Vipassi alla dans une autre direction.

[…]

Conclusion du récit

O bhikkhu, une fois je demeurais au pied d’un grand arbre Sala du bois Subha, auprès
d’Ukkattha. En ce temps-là, un jour, alors que j’étais dans le repos solitaire [de l’après-midi]
me vint cette réflexion : « Pendant ces longues périodes, il n’y a nulle demeure [des Brahmâs]
dans laquelle je ne me suis pas rendu, sauf celle des dieux de Suddhâvâsa. Il serait bon que je
m’y rende. » Alors, tout comme un homme fort étend son bras plié ou plie son bras étendu, je
me suis dispersé du pied de l’arbre Sala, près d’Ukkattha, et me suis présenté au sein de la
troupe des dieux de Suddhâvâsa.
Là-bas, des milliers de divinités appartenant à divers groupes de dieux s’approchèrent de moi,
me rendirent hommage, puis restèrent debout à l’écart sur un côté. Ces divinités me dirent : «
O Seigneur heureux, il y a quatre-vint onze ères cosmiques déjà, le Bienheureux Vipassi,
Arahant, Eveillé parfait, est apparu dans le monde. […] Voici comment le Bienheureux
Vipassi, Arahant, Eveillé parfait, a renoncé à son foyer ; comment il est entré dans la vie sans
maison ; comment il a mené ses efforts énergiques et atteint l’Eveil parfait ; voici comment il
a mis en marche la Roue de la Doctrine. O Seigneur bienheureux, nous-mêmes, nous avons
suivi la conduite sublime sous la direction du Bienheureux Vipassi : nous avons éliminé le
désir pour les plaisirs sensuels et, par conséquent, nous sommes nés ici .
Ensuite, ô bhikkhu, divers milliers de dieux, diverses centaines de milliers de dieux
appartenant à la même catégorie, m’approchèrent. […] Ils me dirent: « O Seigneur
bienheureux, c’est maintenant, dans cette ère cosmique propice, que vous, le Bienheureux,
l’Eveillé parfait, l’Arahant, êtes né. O Seigneur bienheureux, par naissance le Bienheureux
est un khattiya, né dans la caste khattiya.[…] Nous, ô Seigneur bienheureux, en suivant la
Conduite sublime sous votre direction, après avoir éliminé le désir pour les plaisirs sensuels,
nous sommes nés ici.

[Puis le Bouddha Sâkyamuni entend le même récit et reçoit le même hommage de diverses
autres catégories de dieux]

De cette façon, ô bhikkhu, le Tathâgata a compris l’élément de la nature des choses et par
conséquent, le Tathâgata se rappelle tels Eveillés d’autrefois qui ont atteint le parinibbâna,
qui ont éliminé les entraves, qui ont détruit les barrières, qui ont mis fin au cycle des
existences, qui ont échappé à dukkha de diverses manières, et il se rappelle leur naissance,
leurs noms, leurs familles, la durée de leur vie, leurs deux disciples principaux et les
assemblées de leurs disciples, en disant : « Tel ou tel Bienheureux avait tel nom, telle famille,
telle discipline, telle doctrine, telle sagesse, telle demeure habituelle, telle libération ».

Ainsi parla le Bienheureux. Les bhikkhu, heureux, se réjouirent des paroles du Bienheureux.

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COMMENTAIRES

Ainsi ai-je entendu :


Tous les sûtra, censés conserver la parole du Bouddha même, commencent par la formule
consacrée « Ainsi ai-je entendu ». La tradition veut que, quelques semaines après le décès du
Bouddha, un concile ait été réuni dans la ville de Râjagriha. Ananda, son cousin et son
assistant durant toute sa vie de prédication, y aurait été invité à réciter, de mémoire, tous les
enseignements du Maître auxquels il avait assisté.
Mais cette formule apparaît aussi en ouverture de sûtra reproduisant des enseignements
donnés, le plus souvent en présence du Bouddha mais aussi après sa mort, par d’autres
personnes, essentiellement ses principaux disciples comme Ananda lui-même, Maugdalana
ou Sariputra. Ces deux derniers, devenus moines quelques temps seulement après l’Eveil du
Bouddha, étaient considérés comme les deux meilleurs enseignants après le Maître lui-même.
Ils décèderont peu de temps avant le Bouddha et c’est un autre grand disciple, Mahâ-
Kasyapa, qui convoquera le premier concile et assurera la direction de la communauté.
La formule, devenue un stéréotype, doit plutôt être considérée comme une preuve
d’orthodoxie, les compilateurs reconnaissant à travers elle que le discours qui suit est fidèle
aux enseignements du Bouddha.

Une fois le Bienheureux demeurait au parc d’Anâthapindika, situé dans le bois de Jeta,
près de la ville de Sâvatthi.
Autre stéréotype, l’indication du lieu de l’enseignement et, parfois, d’une date approximative
(« pendant la retraite de saison des pluies »). Certains chercheurs ont voulu s’appuyer sur ces
indications temporelles pour tenter de reconstituer une chronologie des déplacements du
Bouddha. Une telle recherche apparaît assez vaine, tant ces indications sont imprécises et
paraissent le plus souvent formelles. En revanche les indications de lieu nous renseignent sur
les principales implantations de la jeune Communauté bouddhiste, le plus souvent des parcs
et des jardins, dont la tradition rapporte qu’ils ont été offerts par de riches donateurs.
Le parc de Jetavana, dont il est ici question, est le plus célèbre d’entre eux et aurait été le lieu
de résidence préféré du Bouddha. Il a été offert par le marchand Anâthapindika, qui l’aurait
lui-même acheté au prince Jeta. Le prince n’y aurait consenti qu’à la condition que le
marchand en recouvre la superficie totale de pièces d’or. Ce qu’il aurait fait !…
Il est bien sûr tout à fait impossible de savoir si ces donations ont été effectuées du temps du
Bouddha lui-même bien que, dans bien des cas, la chose paraisse vraisemblable.
L’exagération qui entoure ces donations et la qualité diverses des donateurs (rois, marchands,
banquiers, courtisanes…) peut être lue aussi comme un outil de « promotion » pour la
communauté : celle-ci rappelant ainsi « innocemment » à ses auditeurs combien les grands de
ce monde avaient été généreux avec le Bouddha et combien il serait bon que leurs
successeurs continuent à faire de même !

En ce temps-là, un jour, les bhikkhu, après être rentrés de leur tournée d’aumône, après
avoir terminé leur repas, s’étaient réunis assis dans la rotonde appelée Kareri.
L’introduction se poursuit (ici avec une indication de temps on ne peut plus approximative)
en précisant les circonstances dans lesquelles l’enseignement a été donné. Le plus
fréquemment, il s’agit d’une courte anecdote présentant un point de discorde ou
d’interrogation au sein de la communauté des moines ou « bhikkhu ». D’autres fois, il s’agit
de laïcs (le plus souvent de hauts personnages) ou de représentants d’autres traditions
spirituelles qui veulent interroger le Bouddha - parfois pour le prendre en faute, parfois au
contraire pour dissiper des doutes nés de leur propre pratique. Ou enfin, mais plus rarement,
c’est le Bouddha lui-même qui décide de développer un point précis de sa Doctrine.

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Une bonne conversation, concernant les demeures anciennes, s’engagea alors entre eux
La « bonne » conversation désigne une discussion sur un point essentiel de la Doctrine,
pouvant servir à l’avancée sur le Chemin qui mène à l’Eveil, par opposition aux
« mauvaises » conversations, favorisant la polémique ou le doute, dues à la jalousie ou la
colère, inutiles, grossières ou frivoles… dont doit s’abstenir tout bon disciple du Bouddha [ce
thème sera développé dans l’unité de cours sur « Les pratiques » - UC4].
Le sujet évoqué ici (les « demeures anciennes ») est celui des vies antérieures. Si le Bouddha,
au moment même de l’Eveil, détient seul le pouvoir de se rappeler l’ensemble de ses vies
antérieures, toute personne pratiquant la méditation peut parvenir à se souvenir d’une partie
d’entre elles ; ses capacités à remonter dans le passé dépendent de la profondeur de sa
pratique et des dispositions qui lui sont propres. La renaissance et les vies antérieures font
ainsi partie des thèmes de l’Enseignement « vérifiables par l’expérience ».

Le Bienheureux, qui se trouvait dans le domaine mental où il pouvait entendre grâce à


l’oreille surhumaine bien claire qui dépasse la capacité humaine
L’ouïe « divine » est l’un des huit pouvoirs surnaturels (vijjâ) des samyaksam-buddha, dont
voici la liste, telle qu’elle est donnée dans la tradition pâlie :
- divers pouvoirs psychiques : voler, marcher sur l’eau, se rendre invisible…
- voir et entendre ce qui n’est pas perceptible à des personnes ordinaires
- lire les pensées des autres
- se souvenir de ses vies antérieures
- voir où un être renaît en fonction de ses actes
- la connaissance profonde provenant de la méditation
- le pouvoir de créer un « corps illusoire »
Certains de ces « pouvoirs », notamment les pouvoirs psychiques ou les capacités
extraordinaires (claire-vision, claire-audience, lecture dans la pensée d’autrui) peuvent être
accessibles à tout homme qui pratique certaines formes de méditation et atteint ainsi un
« domaine mental » dans lequel les sens échappent aux contraintes ordinaires. Ces pouvoirs,
proches des pratiques magiques, sont encore aujourd’hui considérés comme accessibles aux
yogis. Mais s’enorgueillir de tels pouvoirs et les utiliser pour impressionner le public,
notamment pour obtenir des faveurs, constitue pour les bhikkhu une faute entraînant
l’exclusion immédiate et définitive de la communauté.
Si le Bouddha les utilisent, c’est uniquement en faveur de l’enseignement de la Doctrine ou
pour permettre à un laïc d’opérer un don qui lui vaudra des « mérites » [cf. le texte commenté
du module 2, p. 59]

Les sept Tathâgata


Cette première section de la récitation présente (sans épargner à l’auditeur/lecteur aucune
répétition !) les points communs aux six samyaksam-buddha qui ont précédé le
« Bienheureux » (baghavat) d’aujourd’hui : Siddhârta Gautama Sâkyamuni.
Elle commence par la période de naissance de chaque Bouddha, calculée en « ères
cosmiques » (kalpa).
Puis sont évoqués successivement :
- leur caste de naissance, ksatriya ou brahmane, selon les cas (c’est-à-dire les deux plus
hautes « castes » de la société brahmanique)
- leur nom de famille
- leur durée de vie, chaque Bouddha voyant cette durée diminuer (de 80.000 ans pour
Vipassi à « très peu de temps, plus ou moins cent ans » pour Sâkyamuni)
- le nom de l’arbre sous lequel chacun d’eux a connu l’Eveil
- le nom de leurs « deux heureux disciples principaux », les plus remarquables et, le plus
souvent, les deux premiers (pour le Bouddha Sâkyamuni, ces deux disciples seront Sâriputra

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et Maugdalana qui, bien qu’ils ne fassent pas partie du premier groupe de moines, seront
parmi les premiers à suivre le Maître)
- le nombre de leurs « assemblées d’auditeur » , comptant de 248.000 disciples pour Vipassi
à 20.000 pour Kassapa (le chiffre n’est pas précisé pour Sâkyamuni…)
- le nom de leur « aide-assistant » (pour Sâkyamuni : son cousin Ananda)
- le nom de leurs père et mère, souverains du royaume où ils sont nés (et, quand il s’agit de
Bouddhas nés dans une famille de brahmanes, le nom du royaume et du souverain).
Le résumé de cette longue énumération sera repris en ouverture de la deuxième section,
uniquement à propos du Bouddha Vipassi, auquel est consacré le reste du texte.

il est surprenant le pouvoir prodigieux du Tathâgata, la majesté du Tathâgata, à tel


point qu’il se rappelle les Bouddhas du passé qui ont atteint la cessation complète...
Ce paragraphe énumère différentes expressions à peu près équivalentes : la « cessation
complète » (pari-nirvâna) équivaut à l’arrêt définitif du cycle perpétuel des naissances et des
morts (samsâra), auquel les Bouddhas parviennent à leur mort physique ; c’est la Délivrance
suprême qui mène « au-delà de toutes les souffrances » caractérisant le samsâra. Les
« barrières » ou « éléments retardateurs » qu’ils ont tranchés correspondent aux passions qui
maintiennent les ignorants prisonniers du samsâra (ces différents points seront développés
dans l’Unité de Cours 2 : « Les fondements de la Doctrine »).

Qu’en pensez-vous, ô frères ?


Se pose ici une question essentielle, celle de la connaissance du Bouddha, « directe », par
« propre expérience ». Quelle que soit leur confiance dans les « pouvoirs » de leur Maître, les
bhikkhu se demandent néanmoins si le Bouddha n’a pas été informé par les dieux (leur
longévité extrême leur permettrait en effet d’avoir eu connaissance de faits aussi éloignés
dans le passé, dont la plupart ont eu lieu au cours de cette ère cosmique, à laquelle ils
appartiennent eux aussi).

Les dieux aussi m’ont informé à leur propos.


Voir la conclusion du texte.

ceux qui ont éliminé les écoulements mentaux toxiques


Cette expression est fréquemment employée pour désigner les srâvaka-buddha, « auditeurs »
étant parvenus à l’état d’arhat.
Les « écoulements mentaux toxiques » (âsavâ - le terme, dans son sens matériel, désigne le
flux d’un fleuve, ce qui entraîne ; il faut le comprendre ici comme « ce qui entraîne dans le
cycle des renaissances », le samsâra), appelés aussi « souillures mentales », sont au nombre
de quatre : le désir des sens, le désir d’existence, les opinions et l’ignorance [ces différents
points seront développés dans l’Unité de Cours 2 : « Les fondements de la Doctrine »].

le bodhisatta Vipassi, en quittant le groupe des dieux Tusita, étant attentif et conscient,
descendit dans l’utérus de sa mère
Lorsqu’il produit la « pensée d’Eveil » (bodhicitta), le bodhisattva est assuré de parvenir à
l’Eveil mais ne maîtrise pas pour autant la « carrière » (gati) qui lui permettra d’y parvenir. Il
ignore notamment combien de vies successives lui seront nécessaires et il ne peut pas influer
sur leur cours : comme n’importe quel être ordinaire, le bodhisattva renaît en fonction de ses
actes, et c’est seulement la qualité de ceux-ci qui lui permettra de bénéficier des
« meilleures » renaissances.
Ce n’est que plus tard au (pendant la deuxième « période incalculable » ou encore après,
selon les écoles) qu’il devient « déterminé » et que le nombre, la durée et la qualité de ses
renaissances sont désormais fixées. Selon certains, il aurait alors la possibilité de se rendre

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dans les enfers (C’est ce qu’affirment les Mahâsâmghika : « Pendant la première période
incalculable, il fait le vœu de naître dans les mauvaises destinées pour le salut des êtres ; mais
ce vœu ne porte pas de fruit : le bodhisattva naît d’après ses actes. Ensuite, il naît comme il
veut. ») ; pour d’autres, il en est incapable, car ses mérites innombrables, accumulés au cours
de ses précédentes vies, ne peuvent le permettre.
Les docteurs des écoles anciennes montrent ici leurs hésitations quant à la « marge de
manœuvre » dont dispose le bodhisattva, les uns insistant sur sa prédestination, les autres au
contraire favorisant son libre-arbitre.
Cela dit, toutes les écoles sont d’accord pour reconnaître au bodhisattva la possibilité de
choisir les parents de sa dernière vie. C’est donc « attentif et conscient », et non en fonction
de ses actes antérieurs, qu’il « descendit dans l’utérus de sa mère ».

une grande lumière incommensurable qui dépasse la majesté [lumineuse] des dieux
L’image de la lumière, associée à l’apparition ou aux diverses manifestations du Bouddha, est
récurrente dans l’ensemble des textes bouddhistes. Il s’agit aussi bien d’une lumière
matérielle que spirituelle.
La lumière matérielle (évoquée ici) est l’une des caractéristiques du samyaksam-buddha,
parfois présentée comme un « éclat d’or émanant de tout son corps » ou comme une « aura »
aux lueurs d’arc-en-ciel. Cette aura, souvent représentée dans la statuaire par une auréole
englobant le corps entier ou le buste (un mandorle), est fréquemment remplacée dans la
statuaire moderne par des néons de couleur ! Ses différentes couleurs sont reprises,
symboliquement, dans les cinq bandes du drapeau bouddhique, adopté à Ceylan à la fin du
XIXe siècle.
La lumière spirituelle est, bien évidemment, celle qui met fin à l’Ignorance. Elle est souvent
évoquée à la fin d’un discours du Bouddha, dans les sûtra, par une formule stéréotypée
(« C’est merveilleux, Bienheureux, c’est merveilleux. Comme si l’on apportait une lampe
dans l’obscurité en pensant : « Que ceux qui ont des yeux voient les formes », de même le
Bienheureux a rendu claire la Doctrine de maintes façons. ») qui rappelle l’expression
employée dans notre texte : « Les êtres vivants qui sont nés dans ces lieux, se voyant l’un
l’autre grâce à cette splendeur, disent : « Vraiment, il en est donc d’autres qui vivent ici !». »

Celle-ci est naturellement une personne vertueuse : elle s’abstient de tuer les êtres
vivants, de prendre ce qui ne lui est pas donné, de relations sexuelles illicites, de
proférer des mensonges, de prendre des boissons enivrantes qui causent l’égarement et
l’inattention.
Ce paragraphe, qui évoque les vertus de la mère du bodhisattva, représente un anachronisme
évident puisque y sont énumérés les « cinq préceptes » qui constitueront la base éthique de
toute pratique bouddhiste, qui sera bien évidemment formalisée beaucoup plus tard.
[Ces préceptes seront étudiés dans l’Unité de Cours 4 : « Les pratiques »]

C’est dans l’ordre des choses, ô bhikkhu, que lorsqu’un bodhisatta est né, sa mère décède
au septième jour et qu’elle renaisse alors dans l’état céleste Tusita. Elle accouche après
l’avoir gardé pendant dix mois complets dans son utérus...
Le décès de la mère du bodhisattva, sept jours après la naissance, fait partie de ces points
doctrinaux dont on peut penser qu’ils ont une origine historique vraisemblable à propos de
Sâkyamuni, et qu’ils auraient ensuite été appliqués systématiquement et rétrospectivement à
ses prédécesseurs.
De fait, l’ensemble des textes anciens évoquent souvent sa « mère nourricière », Mahâ-
Prajapati (qui sera à l’origine de l’ordre des nonnes bouddhistes), mais jamais sa mère
biologique. Un tel événement n’a rien de très surprenant, la mort des mères en couche ou
quelques jours plus tard étant resté courante jusqu’au XXe siècle.

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Cela dit, l’aspect doctrinal de l’événement est accentué par le nom même attribuée à cette
mère : Mâyâ. Ce nom signifie en effet « Illusion », ce qui fait qu’Illusion disparaît quand
paraît le Bouddha... On ne saura sans doute jamais si c’est le nom qui a été choisi
rétrospectivement ou la mort qui a été prescrite a posteriori !
Quant à la période de gestation, certains ont voulu lire ces dix mois comme étant lunaires et
non pas solaires, ce qui rendrait la période tout à fait normale (dix mois lunaires équivalent à
neuf mois solaires). Les autres femmes accoucheraient alors, selon les cas, au terme ou de
façon prématurée, ce qui - là encore - n’a rien de surprenant. L’important est que le
bodhisattva, lui, naisse dans les meilleures conditions possibles, c’est à dire à terme (il faut
noter qu’ici, pour une fois, le texte n’exagère pas ce qui concerne le bodhisattva mais ne
fait que lui appliquer la « meilleure » norme).
Enfin, la pose debout de l’accouchée a laissé perplexes de nombreux commentateurs. Pour
André Bareau, elle évoque celle que les sculpteurs hindous prêtent fréquemment aux dryades,
génies féminins habitant les bosquets ou les rivières, qui pouvaient être invoquées notamment
pour obtenir un enfant ou une naissance heureuse.

En étudiant les différentes versions du récit de la « naissance de Sâkyamuni », André Bareau


a constaté que sa localisation au « jardin de Lumbini » était relativement tardive, les textes les
plus anciens laissant croire qu’elle avait pu avoir lieu, tout simplement, à Kapilavastu. Il
soupçonne un amalgame avec un culte, rendu à une dryade propice à la fécondité, situé dans
le bosquet (et non pas le « jardin ») de Lumbini. Les guides qui faisaient visiter les lieux -
dont on connaît la responsabilité vis-à-vis de nombreux embellissements, voire d’épisodes
entiers de la vie du Bouddha - auraient associé la sculpture de cette nymphe à la
représentation de la mère du bodhisattva, interprétant sa pose comme une caractéristique
propre aux seules « mères de Bouddha ».

Lorsque le bodhisatta sort de l’utérus de sa mère, il sort sans être souillé ou touché par
les éléments liquides, le mucus, le sang ou un quelconque élément impur, il sort de
l’utérus de la mère pur et sans tache.
Voir texte annexe 4 : Le Buddha n’existe que par « pur conformisme » p. 22

Dès qu’il est né, le bodhisatta reste debout sur ses pieds et des dais blancs sont placés au-
dessus de lui. Il marche sept pas vers l’est et regarde dans toutes les directions, puis il
dit cette parole sublime : « Dans le monde, je suis le chef ; pour le monde, je suis l’aîné ;
pour le monde, je suis le premier ».
Cette donnée traditionnelle des biographies du Bouddha est plutôt troublante dans un texte de
tradition pâli. En effet, celle-ci insiste habituellement davantage sur le parcours « humain » et
« prédestiné » du bodhisattva, même si celui-ci manifeste des capacités hors du commun
(comme l’illustre la suite du texte). C’est le seul exemple du Mahâ’padâna-sutta (hormis le
choix de sa famille de naissance… mais qui a lieu alors qu’il se trouve encore au ciel des
Tusita) où le bodhisattva manifeste sa prescience de sa future condition de Bouddha. Une
connaissance qu’il oubliera d’ailleurs aussitôt puisqu’il poursuivra par la suite son
cheminement en commettant toutes les « erreurs » communes aux maîtres de maison.
Cette déclaration solennelle reprend les thèmes habituels de la supériorité « sans supérieur »
du Tathâgata (le chef, l’aîné, le premier).

Il a donc deux destinées, et il n’en est pas d’autres : s’il mène une vie de foyer, il devient
un roi universel qui met en marche la roue de la droiture…
Sur la notion de Çakravartin, voir le module 2, chapitre 2.1 « Le Grand Homme », p. 44

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ainsi le prince était connu [sous le nom de] Vipassi [« Celui qui regarde bien »].
Nous retrouvons ici l’image traditionnelle de la lumière et de la clairvoyance du Bouddha,
exprimée à la fois dans sa dimension physique et psychologique : l’œil divin qui se manifeste
par l’absence physique de clignements des paupières et la capacité de voir au-delà des
distances habituelles ; l’aptitude à rendre un jugement « selon la loi des sens », c’est-à-dire
correct, mais selon la vision ordinaire.
En effet le bodhisattva, n’ayant pas atteint l’Eveil, n’a pas encore accès à la Loi supérieure,
celle du Dharma. L’œil divin, résultat des mérites accumulés au cours des vies antérieures
par la pratique des parâmitâ, ne se manifeste donc pour l’instant que dans le domaine
humain, mondain, et non pas supra-mondain. Il en va de même de sa capacité à juger les
hommes.

O bhikkhu, après de longues années, après des centaines de longues années, après des
milliers de longues années…
Ne pas oublier que le Bienheureux Vipassi a vécu 80.000 années !

Ensuite, ô bhikkhu, le roi Bandhumâ organisa davantage les cinq plaisirs sensuels pour
le prince Vipassi afin qu’il reste pour régner, qu’il ne quitte pas la maison pour mener
une vie sans foyer et que les paroles des brahmanes devins ne se réalisent pas. Dès lors, ô
bhikkhu, le prince Vipassi était entouré et possédé par les cinq plaisirs, au milieu des
plaisirs sensuels.
Exemple type de « prédestination » du bodhisattva. Quoiqu’on fasse, ce ne sont pas les
prédictions, bien sûr, qui doivent se réaliser, mais l’engagement, le vœu du bodhisattva. Ni le
roi ni le prince n’y peuvent rien et, bien que celui-ci soit plongé « jusqu’au cou » dans les
plaisirs sensuels, les quatre rencontres le mèneront malgré tout jusqu’à l’Eveil.

Quant au prince Vipassi, ayant rasé ses cheveux et sa barbe, ayant revêtu des vêtements
kâsâya et renonçant à la vie de maison, il parvint à l’état sans foyer.
Remarquable simplicité, pour cet épisode capital, d’où toute dramatisation a été évacuée !
A comparer avec la narration que le Bouddha fait de son propre départ, tel qu’il est présenté
dans le Mahasaccaka-sutta [voir, sur le site, le « texte complémentaire] :
« Avant mon éveil, quand j’étais encore un bodhisatta, la pensée suivante m’est venue : « La
vie de ménage est serrée, comme une voie poussiéreuse. La vie de moine est libre comme
l’air. Il n’est pas facile, vivant à la maison, de mener la vie totalement parfaite et totalement
pure comme un coquillage poli. Que se passerait-il, si je rasais mes cheveux et ma barbe et
revêtais la robe ocre et que je renonçais à la vie domestique et devenais quelqu’un sans
demeure ? » Ainsi plus tard, quand j’étais encore jeune, les cheveux noirs, doté des
bénédictions de la jeunesse, à la première étape de la vie, ayant rasé mes cheveux et ma barbe
- bien que mes parents le souhaitaient autrement et s’affligeaient avec des larmes sur leur
visage - j’ai pris la robe ocre et j’ai renoncé à la vie domestique pour devenir quelqu’un sans
demeure. »
Dans ces deux versions, sans doute très anciennes, le réalisme prime sur le symbolique.
A noter que le Bouddha évoque « ses parents ». Il s’agit a priori de son père et de sa mère
« nourricière », seconde épouse de son père… ou alors la mort de la reine Mayâ n’est-elle
qu’un rajout symbolique (l’Illusion, « Mayâ », qui disparaît à l’apparition de l’Eveil).
[Cet épisode du « Grand Départ » sera évoqué à nouveau dans le module 2, chapitre I.1 « Un
homme (presque) comme les autres », p. 40].

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Module 2

SOMMAIRE

I. Un modèle pour ses disciples

1. Un homme (presque) comme les autres................... p. 40

2. Le Connaisseur des mondes..................................... p. 41

3. Le Bouddha est un homme mortel ........................... p. 42

II. Un Maître exceptionnel

1. Le Grand Homme .................................................... p. 43

2. L’instructeur des dieux et des hommes ................... p. 44

III. Le Sage de la tribu des Sakya

1. L’ami des marchands et des rois.............................. p. 46

2. Le fondateur de la Communauté (sangha) .............. p. 48

IV. Lectures modernes

1. Les chercheurs occidentaux..................................... p. 49

2. Les biographes modernes en Asie ........................... p. 50

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I. UN MODELE POUR SES DISCIPLES

I.1. Un homme (presque) comme les autres

Telle qu’elle apparaît dans le Mahâ’padâna-sutta, la vie du bodhisattva ne présente qu’assez


peu d’éléments pouvant passer pour historiques. Tout semble fait, au contraire, pour
désincarner et dés-individualiser le personnage. En effet, pour les hagiographes anciens, la
vie du bodhisattva était conçue avant tout comme une explication de ses pouvoirs
particuliers, en accord avec la loi du karma : la supériorité d’un Bouddha enseignant est le
résultat d’actions antérieures forcément remarquables et exceptionnelles, les dix pâramitâ [cf.
UC2, module 2, où la notion de karma sera développée]. Il ne s’agit en aucun cas d’un
modèle à suivre mais, bien au contraire, d’un modèle insurpassable.
Pourtant, au fil des siècles, c’est le processus inverse qui semble se développer et qui
explique en partie l’ampleur que prendront les biographies du Bouddha. Les récits que nous
connaissons aujourd’hui insistent tout particulièrement sur l’enfance et la jeunesse du
« prince » Siddhârta, ainsi que sur les quelques années de recherche spirituelle qui ont
précédé l’Eveil, n’accordant finalement qu’assez peu de place à sa vie d’enseignant. Ces
épisodes de jeunesse, à peine évoqués dans les textes anciens, vont connaître des
développements considérables et, s’ils restent souvent entourés d’une exagération de type
mythologique, ils peuvent aussi être considérés comme une « humanisation » du bodhisattva.
Interprétée comme une série d’étapes obligées pour tout apprenti spirituel, cette vie peut aussi
devenir un modèle pour tout disciple. Il ne s’agit plus tant de mettre en valeur le parcours
paradigmatique d’un futur samyaksam-buddha que de présenter un parcours symbolique et
dramatique : celui que peut vivre tout être qui veut atteindre l’Eveil et devenir arhat. D’autre
part, comme l’a relevé André Bareau, ces récits émanant d’écoles différentes ont tendance à
se compléter plutôt qu’à suivre un schéma narratif commun. Plus exactement, il semble bien
que les épisodes variés de ces « vies » aient été conçus, à des dates différentes et en des lieux
différents, comme autant de variations sur des thèmes obligés.

Ainsi, l’épisode des Quatre Rencontres a-t-il été parfois doublé par un autre, celui de « la
première méditation ».
Alors qu’il était encore enfant, le prince Siddhârta assiste à la cérémonie du « creusement du
premier sillon », cérémonie effectuée par le roi chaque année, au début de la période de
reprise des travaux agricoles. Il constate alors la fatigue des hommes et des bêtes sous le
soleil cuisant, le soc de la charrue qui s’enfonce dans la terre en ouvrant comme une large
blessure, les insectes et les vers sortis de terre que des oiseaux s’empressent de dévorer,
quand ils ne sont pas simplement tués par la charrue. Bouleversé par ce spectacle, Siddhârta
se retire sous un arbre et se plonge dans une méditation qui le mène bientôt à un profond
recueillement.
En confrontant les divers textes, André Bareau a remarqué que ces deux épisodes
n’apparaissaient jamais ensemble. Les compilateurs choisissent l’un ou l’autre, peut-être en
fonction de deux traditions différentes, car il s’agit à chaque fois du même processus en deux
tableaux : d’abord la confrontation avec le caractère douloureux et mortel de toute vie, puis la
découverte du caractère apaisant et serein de la pratique spirituelle.

Il en va de même pour le « Grand Départ », qui suit les « Quatre rencontres ».


Abondamment représenté par la sculpture ou la peinture ultérieures, cet épisode est inexistant
dans le Mahâ’padâna-sutta. Il sera au contraire dramatisé dans les biographies les plus
récentes. C’est après la naissance de son fils Rahula que le bodhisattva, errant une nuit au
milieu de son harem et contemplant ses femmes, endormies dans des poses lascives qui
évoquent la maladie et la mort, se décide finalement à embrasser la « vie sans foyer ».

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Comme il est encore de coutume en Inde aujourd’hui, ce n’est donc qu’après avoir assuré sa
succession, en donnant un héritier mâle à sa famille, que le prince peut se vouer à la vie
spirituelle. Et le dégoût soudain qu’il ressent pour la charge de « maître de maison » se
double de la contemplation de la vanité de la beauté des corps qui rappelle certains exercices
de méditation qui seront proposés aux moines.

De la même manière, la décision de s’engager dans une recherche solitaire, très rapidement
évoquée par le Mahâ’padâna-sutta (« Le fait que je reste entouré de la foule, n'est pas
convenable pour moi. Il faut que je demeure séparé de la foule »), va connaître d’importants
développements. A l’instar des propres disciples du Bouddha, pour la plupart anciens
brahmanes, Siddhârta va d’abord suivre pendant quelques années l’enseignement de deux
sramana, Kâlâma et Râmaputra. Puis, comprenant que ces maîtres n’ont pas trouvé ce qu’il
cherchait lui-même, il les abandonne finalement pour s’engager dans une vie d’ascèse
approfondie. Il sera alors suivi par cinq condisciples (et non plus quatre mille, comme le
bodhisattva Vipassi). Et ce n’est qu’après cinq ans d’un tel exercice, qui le mènera aux portes
de la mort, qu’il décide enfin de s’isoler complètement à la recherche de l’Eveil suprême.
[voir le texte complémentaire]
L’enfant méditant au pied d’un arbre, le jeune père soudain dégoûté de la vie sensuelle,
l’apprenti sramana qui quitte ses maîtres… sont autant d’expériences que peut vivre, dans
l’Inde ancienne, toute personne ressentant le besoin de s’engager sur une voie spirituelle. S’il
reste un être exceptionnel à bien des égards, le Bouddha devient ainsi, de plus en plus, un
homme comme les autres. Et c’est à peu près à la même époque, celle aussi où apparaissent
les premières sculptures le représentant, que les biographes lui attribuent finalement un
prénom, celui de Siddhârta (« Qui a atteint son but »), accordant ainsi à son « état civil » une
importance qu’il n’avait jamais connu auparavant. [voir le texte annexe : La sculpture
anthropomorphe : une « humanisation » du Bouddha ?, p. 52]

I.2. Le connaisseur des mondes

Cette « humanisation » du Bouddha n’est pourtant pas la seule caractéristique des nouvelles
biographies et le développement dramatique des épisodes inventés prendra tout son sens lors
du premier enseignement public du Bouddha, qui débute par la proclamation de la « Juste
Voie du Milieu » : « O moines, celui qui a renoncé à la vie du monde ne doit pas
s’abandonner aux deux extrêmes. Quels sont ces deux extrêmes ? C’est se complaire dans les
objets désirables pour les sens, ce qui est bas, vulgaire, terrestre, vil, indigne et sans profit et
c’est se vouer aux mortifications, ce qui est douloureux, indigne et sans profit. » [extrait du
Dharmaçakrasûtra, traduction de Rewata Dhamma, in Le premier enseignement du Bouddha,
Claire Lumière, Vernègues, 1998, p. 43]
Si le Bouddha prône le renoncement au monde et à ses plaisirs, c’est qu’il les a connus pour
ce qu’ils sont (c’est-à-dire « sans profit ») et, surtout, de sa « propre expérience ».
L’insistance portée sur la vie princière de Siddhârta, qui exagère au-delà du croyable la
situation sociale vraisemblable du clan des Sakya (simples « hobereaux de province »), a
autant pour but de montrer la grandeur du renoncement effectué par le jeune prince - que la
statuaire symbolisera par des lobes d’oreille démesurément allongés par le poids des bijoux
qu’il portait - que d’accorder au futur enseignant une connaissance « universelle » des plaisirs
mondains et de leur vanité.
De même, s’il renonce au monde et invite chacun à faire de même, sa connaissance
universelle s’applique aussi aux austérités dont étaient coutumiers les sramana de son époque
et l’on peut mieux comprendre alors la dramatisation des années de jeûne, rigoureux à
l’excès, auquel est censé s’être adonné le bodhisattva.

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Les excès de l’ascète font pendant aux excès du prince. Et vient ainsi s’ajouter, à la
connaissance surnaturelle du processus des vies antérieures qui caractérisait l’Eveil, la
connaissance empirique de celui qui a vécu : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger »,
pourrait affirmer le Bouddha des hagiographes.

Du même coup, la vie développée du futur Bouddha, qui pouvait apparaître au départ comme
une tentative « réaliste », se présente à nouveau comme un moyen d’exalter toujours plus les
hautes vertus du Maître. A l’instar de ce qu’il exigera de ses disciples, le Bouddha peut parler
« en ayant vu, en ayant connu par lui-même » ; mais lui seul, à nouveau unique, peut
réellement parler de tout, car il a tout vécu, jusque dans ses extrêmes, et parce qu’il se
souvient de tout, jusqu’au plus loin de ses vies antérieures.
Aussi le réalisme semble-t-il alors tout à fait accessoire…
Plus encore que les récits de la dernière vie du bodhisattva, les Jataka (« vies antérieures »)
n’y cèderont qu’à grand peine. Les vies du bodhisattva apparaissent donc toujours plus, non
pas comme un récit historique même embelli par la légende, mais bien comme une
illustration de son enseignement et de ses pouvoirs « sans supérieur ». En fait, la biographie
est, pour le bouddhisme indien, une œuvre pédagogique et doctrinale au même titre que les
discours (sûtra) : les uns s’adressent aux moines, les autres au peuple, mais les thèmes
évoqués sont à peu près les mêmes dans les deux cas, ou peu s’en faut. [voir le texte annexe :
les Jataka, p. 53]

I.3. Le Bouddha est un homme mortel

La vie même du Bouddha devenu enseignant, après l’Eveil, n’échappe pas à la règle. Il s’agit
pourtant, à la différence de l’enfance et de la jeunesse, d’une période de sa vie dont ses
contemporains pouvaient aisément témoigner, celle pour laquelle on pouvait s’attendre à
connaître le plus sûrement une part de vérité historique. Mais, là aussi, enseignement,
mythologie et détails pittoresques se mêlent de façon inextricable. Plus encore, peut-être, que
pour la carrière du bodhisattva, la vie du prédicateur devient un exemple doctrinal :
« Tout ce que le Tathâgata a dit entre la nuit de l’Eveil suprême et la nuit où il mourut, tout
ce qu’il a dit et exposé, c’est « ainsi » (tathâ) et non autrement, et pour cela il est nommé
Tathâgata : ce qu’il dit, il le fait, et ce qu’il fait, il le dit. Et il va selon sa parole, et sa parole
selon le cours de sa marche ; on le nomme donc Tathâgata. » [D.N. III, p. 135, in Silburn,
Aux sources du bouddhisme, p.31-2]

Une fois l’Eveil accompli, le « corps corruptible » de l’homme semble ne faire plus qu’un
avec le « corps de Dharma » du Bouddha. Et lui-même, si l’on en croit les textes, insiste sur
une telle « lecture » de sa vie.
Dans un texte qui constitue l’un des plus anciens récits biographiques composés, le Mahâ-
parinirvâna-sûtra (« grand sûtra de l’Extinction complète », qui raconte les dernières
semaines de vie du Bouddha), le Maître « utilise » sa vieillesse et sa mort prochaine comme
illustration de la Doctrine. Quand il lui annonce qu’il va mourir, « le Vénérable Ananda [son
cousin et plus fidèle disciple] rentra dans le monastère et resta à pleurer, appuyé au
chambranle de la porte », mais il se fait bientôt rabrouer : « Assez de pleurs et de
lamentations, Ananda, n’ai-je pas prêché pour prémunir contre la séparation, la privation,
l’éloignement de tout ce qui nous est cher et qui nous enchante ? Comment serait-il donc
possible que ce qui est né, devenu, composé, qui a pour nature de disparaître, ne se dissolve
pas ? » [cité in Silburn, Aux Sources du bouddhisme, p. 32]

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Cet événement « naturel » de la disparition, auquel même un Bouddha ne peut échapper,
revêt pourtant à nouveau, et pour le seul Bouddha, un caractère unique, quoique commun à
tous les Bouddhas... Alors qu’un laïc, le jour-même de sa mort, lui offre deux robes neuves
tissées d’or et qu’Ananda l’en habille : « Quelle merveille, Seigneur, quel prodige ! Le teint
du Bienheureux est si pur et tellement rayonnant qu’auprès du corps du Bienheureux ces
robes tissées d’or semblent avoir perdu tout éclat. – Il en est ainsi, Ananda. En deux
circonstances le teint du Tathâgata devient pur et excessivement rayonnant : la nuit où le
Tathâgata s’éveille au suprême et parfait Eveil, et la nuit où il s’éteint complètement. » [cité
in Silburn, Aux Sources du bouddhisme, p. 32-33]

Comme n’importe quel autre homme, le Bouddha subit lui aussi la maladie et la souffrance
physique. C’est, très vraisemblablement, une « diarrhée sanguinolente » qui sera cause de sa
mort. Et, comme le note avec humour Alfred Foucher, « le Bienheureux, le Prédestiné, le
Parfait est misérablement mort dans une bourgade obscure d’une crise de dysenterie
consécutive à une indigestion de porc. Quelle dégradation pour l’Etre sublime qu’un siècle ou
deux plus tard ses fidèles auraient volontiers exempté de toutes les nécessités naturelles !
Mais quelle garantie d’authenticité pour un trait que la légende aurait eu tant d’intérêt à taire
ou à déguiser ! » [p. 305]
Il va sans dire que les hagiographes entoureront l’événement des précautions d’usage et le
Bouddha manifestera, là encore, ses dons particuliers : à peine invité à goûter ce plat mortel
pour lui, il demande à son hôte de n’en servir à personne d’autre puis d’en enterrer les restes,
car « seul un Bouddha serait capable de le digérer » (ce qui, en l’occurrence, ne semble pas se
vérifier !) ; puis il prévoit les accusations qui seront portées contre son « meurtrier »
involontaire et fait appel, une fois de plus, aux « règles » valables de toute éternité : « Il y a
deux offrandes de nourriture d’égal mérite, équivalentes en fruit, plus méritoires et
fructueuses qu’aucune autre : ce sont celles qu’après avoir mangée le Tathâgata parvient à la
parfaite Illumination suprême et celle qu’après avoir mangée le Tathâgata parvient à la
suprême extinction définitive ».
Du point de vue doctrinal (qui n’apparaît pas forcément ici à la première lecture), l’important
est que le Bouddha n’échappe pas à cet « ordre des choses » qu’évoquait si régulièrement le
Mahâ’padâna-Sutta. Que le « corps corruptible » d’un Bouddha subisse la Loi universelle de
la maladie, de la vieillesse et de la mort est une preuve qu’il est « en accord avec le
Dharma », tel qu’il l’a enseigné. Comme tout autre, le Bouddha reste soumis au karma, bien
qu’il en soit « délivré » : « Le corps du saint continue à exister bien que soit coupée la soif
qui produit une nouvelle existence. Aussi longtemps que durera son corps [corruptible], aussi
longtemps les dieux et les hommes le verront. Mais quand son corps sera brisé, sa vie partie,
les dieux et les hommes ne le verront plus » [DN, I, p. 46, cité in Lamotte, p. 44]. Calomnié,
il reconnaîtra lui-même avoir calomnié dans une vie antérieure, et le tort qu’il subit n’est
qu’un juste retour des choses, conforme à la Loi.
[la notion de karma sera étudiée en détail dans l’Unité de Cours suivante : « Les fondements
de la doctrine »]

II. UN MAITRE EXCEPTIONNEL

« Corps corruptible » et « corps illusoire » offriront encore d’autres occasions aux biographes
d’exalter la puissance du Maître, « Grand Homme » pourvu des trente-deux Marques
distinctives et « Instructeur des dieux et des hommes », tout en l’intégrant dans la mythologie
indienne préexistante au bouddhisme.

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II. 1. Le Grand Homme

En effet, le Grand Homme (Mahâpurusa) n’est pas propre au bouddhisme puisque les trente-
deux Marques distinctives sont traditionnellement associées au dieu Visnu, tout comme le
symbole de la Roue (çakra), qui représente le Dharma en tant qu’ordre cosmique. C’est selon
cet ordre, « juste », que règne le « Souverain à la Roue » (çakravartin), contrepartie
temporelle et mondaine de cet autre Souverain, spirituel et supramondain celui-là, qu’est le
Bouddha, mettant en mouvement la « Roue de la Loi ». Mais cette contrepartie spirituelle,
elle, est bien une invention des disciples du Bouddha qui montrent là, comme ils le feront en
d’autres domaines, un art consommé de la « ré-interprétation » des grands principes
structurant la société et la religion indiennes brahmaniques.
Il est en effet impensable, pour les brahmanes, qu’un homme puisse être l’égal des dieux, et
encore moins leur supérieur. Le çakravartin n’est, sur terre, que le pendant des dieux dans le
cosmos, et sa justice (ou plutôt sa « justesse ») de gouvernement n’est telle que dans la
mesure où elle reproduit, à l’échelle humaine et sociale, celle que les dieux maintiennent, de
leur côté, pour l’Univers tout entier. De même que le brahmane, à travers les actes rituels
religieux, le çakravartin, à travers les actes du gouvernement, se conforme aux règles qui
régissent aussi les actes divins.
Chacun de ces protagonistes ne joue exactement son rôle que dans la stricte mesure où il
participe à un ordre qui les dépasse tous, hommes comme dieux. Les dieux ne font que
maintenir l’ordre cosmique, et leur « création » se résume à perpétuer le monde – le samsâra
- tel qu’il fonctionne, de toute éternité. Il en va du salut de tous, hommes comme dieux, que
chacun, à sa place, participe à cet effort permanent de « maintien de l’ordre ».
Sans remettre apparemment en cause ce « système », le bouddhisme va le ré-interpréter.
Effectivement, le monde va bien selon un Ordre (Dharma), que suivront avec « justesse » et
le çakravartin et le Bouddha, mais les actes qu’il conviendra de mettre en œuvre… seront
d’un autre ordre ! Il ne s’agira plus de « maintenir » le cycle de la création, le samsâra, tel
qu’il existe de toute éternité, mais, bien au contraire, de participer à un autre ordre de Réalité,
tel qu’il a été découvert par le Bouddha, selon cette « Roue du Dharma » qui fonctionne, à
proprement parler, à « contre-sens » du système brahmanique.
Du même coup, le çakravartin et le Bouddha s’échappent du système brahmanique, tant dans
le domaine social que spirituel. Et le Bouddha se retrouve supérieur aux dieux mêmes,
relégués au rôle subalterne de « gardiens du bon ordre du samsâra », véritables « forçats » de
ce jeu sans fin qu’est le cycle des morts et des renaissances, auquel ils sont eux-mêmes
soumis. Les dieux, donc, ont tout autant d’intérêt que les humains à échapper à ce cercle
vicieux et à profiter de l’enseignement du Bouddha.
[la notion de « Dharma » et la place des Dieux sera étudiée en détail dans l’Unité de Cours
suivante : « Les fondements de la Doctrine »]

II. 2. L’Instructeur des dieux et des hommes

La totalité du panthéon brahmanique peuplera donc les textes bouddhistes, vénérant celui qui
enseigne la « Voie de la Délivrance ». Ce sont eux qui accueillent et protègent le bodhisattva
à sa naissance, eux qui rendent possibles les « Quatre Rencontres » (certaines versions allant
jusqu’à prétendre que c’est le dieu Indra lui-même qui revêt l’apparence d’un vieillard, d’un
malade puis d’un mort pour provoquer la prise de conscience du bodhisattva), de même qu’ils
facilitent le « Grand Départ » (l’iconographie représentera souvent les « Gardiens des Quatre
Points cardinaux » soutenant les sabots de son cheval afin que ce départ soit le plus silencieux
possible, alors même qu’ils ont déjà fait en sorte que tous les habitants du palais dorment
d’un sommeil profond…).

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Au moment de l’Eveil, aussi, les dieux interviendront. Mais pour l’un d’entre eux, ce sera
pour combattre le Bouddha. Il s’agit de Marâ (« Mort »), appelé aussi Kâma (« le Désir ») ou
Pâpîyan (« le Pire », qu’on traduit parfois par « le Malin »), maître du monde des désirs, donc
du samsâra auquel le Bouddha s’apprête à trouver une échappatoire, risquant ainsi de détruire
entièrement son domaine de souveraineté. Le « combat avec Marâ » est une scène
particulièrement illustrée par l’iconographie, dans sa version dramatique (une armée de
démons se jetant sur le Bienheureux en méditation, puis ses trois filles qui tentent de le
pervertir… sans succès) ou dans sa version symbolique, de loin la plus commune : le
bodhisattva prenant la terre à témoin en la touchant du bout des doigts. [voir le texte annexe :
Le combat de Marâ, p. 54]
Comme tous les autres dieux, Marâ est plus à plaindre qu’à blâmer et la littérature bouddhiste
le traitera plutôt avec clémence : il doit sa haute position de dieu aux « bonnes œuvres » qu’il
a effectuées dans une vie antérieure. S’il est maître de ce monde de souffrances, ce n’est donc
pas par sa propre volonté et l’illusion l’aveugle tout autant que la plupart de ses sujets. De
tous, il est peut-être le plus à plaindre puisqu’il est le seul à ne pas comprendre le bénéfice
qu’il peut tirer lui-même de la Doctrine que le Bouddha va enseigner.
Lui seul, jusqu’au moment même de l’Extinction définitive du Bouddha, restera prisonnier de
l’ancien ordre brahmanique et continuera à vouloir que soit maintenu le cycle des naissances
et des morts. C’est sur les instances de Marâ que le Bouddha se décidera à « rejeter son
principe vital » et se préparera à quitter le Monde, alors qu’il avait le pouvoir de vivre au-delà
de quatre-vingts ans (« plus ou moins cent ans », affirmait le Mahâ’padâna-sutta).

A l’opposé de Marâ, mais aussi parce qu’il lui est bien supérieur, Mahâ-Brahmâ interviendra
au contraire, après l’Eveil, pour que le tout nouveau Bouddha enseigne la Doctrine. S’il se
croit le créateur du monde – et est cru tel par les autres dieux comme par les hommes – il est
pourtant conscient de son ignorance et aspire à la Délivrance. A l’instar de Marâ, pourtant,
Mahâ-Brahmâ est lui-même « prisonnier » des actes qu’il a accomplis par le passé et
auxquels il doit sa position actuelle ; comme lui, il est à plaindre, car sa durée de vie est
immense, calculée en milliards d’ères cosmiques, ce qui retarde d’autant sa possibilité
d’accéder à la Délivrance !
Les dieux, néanmoins, peuvent entendre l’enseignement des Bouddhas et en connaissent la
vertu. C’est pour avoir mis en pratique la Doctrine entendue de la bouche des prédécesseurs
de Sâkyamuni que ces êtres ont eu le bénéfice de renaître dans le domaine des dieux. Ils en
gardent le souvenir et confirmeront ainsi au Bienheureux tout ce qu’ont de commun les vies
de chaque Bouddha apparu sur la terre (cf. la conclusion du Mahâ’padâna-sutta).
Le Bouddha lui-même ira enseigner dans le monde des dieux, plus précisément dans le
domaine des Tusita (les « Bienheureux », appelés aussi « les Trente-Trois »), où il a vécu son
avant-dernière existence. Il s’y rendra grâce à un « corps illusoire » pour enseigner plus
particulièrement sa mère, la reine Mâyâ, décédée sept jours après sa naissance (cf. le
Mahâ’padâna-sutta : « C’est dans l’ordre des choses que, lorsqu’un bodhisatta est né, sa
mère décède au septième jour et qu’elle renaisse alors dans l’état céleste Tusita ».). Il en
redescendra près de la ville de Sânkâcya, devenue par la suite l’une des huit « villes saintes »
du bouddhisme. [voir le texte annexe : Le prodige de Sânkâcya, p. 55]

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III. LE SAGE DE LA TRIBU DES SAKYA

III.1. L’ami des marchands et des rois

Instructeur des dieux, Bouddha l’est aussi, bien sûr, des hommes.
La tradition associe habituellement son premier enseignement, la « Mise en mouvement de la
Roue de la Loi », au discours des « Quatre Nobles Vérités » prononcé dans le jardin de
Sarnath, près de Bénarès (d’où son appellation de « Sermon de Bénarès »), devant ses cinq
anciens compagnons ascètes. C’est à l’occasion de cette rencontre, nous l’avons vu, que le
Bouddha leur avait demandé de ne plus l’appeler par son nom personnel, Gautama, mais de
s’adresser à lui en l’appelant Tathâgata. [le texte du discours des « Quatre Nobles Vérités »
sera étudié dans l’Unité de Cours suivante : « Les fondements de la doctrine »]
Les biographies, pourtant, présentent une occasion précédente, qui se situe peu de temps
après l’Eveil. Selon les textes, le Bouddha serait alors demeuré quelques temps seul sur les
lieux même de la bodhi, à demeurer en méditation. Mais, bientôt, la faim se rappelle à lui !
C’est là qu’interviennent deux marchands, Trapusa et Bhallika, justement de passage dans la
région. Avertis par une divinité locale (certains disent par l’esprit habitant l’arbre sous lequel
eut lieu la bodhi), les deux hommes s’empressent de faire don au Bouddha d’un plat de riz au
miel.
En remerciement de l’offrande de nourriture qu’ils viennent de lui faire, le Bouddha enseigne
alors les deux hommes. Conscients à leur tour de l’importance du don qui vient de leur être
fait (le « don du Dharma »), ils demandent au Bouddha comment désormais lui rendre
hommage, alors que leur route les emmènent loin de lui. L’Eveillé leur cède alors quelques
cheveux et rognures d’ongles et les invite à construire un stûpa, monument commémoratif qui
contiendra ses « reliques ». « Inextricable enchevêtrement de données vraies, vraisemblables,
ou évidemment fictives », s’exclame Alfred Foucher.
L’intérêt de l’épisode réside dans le fait qu’il présente un condensé parfait des futures
relations entre les laïcs et les disciples du Bouddha : don de nourriture contre don de
l’enseignement, et vénération des reliques du Bouddha. L’événement permet aussi d’établir
l’origine d’une forme architecturale, celle du stûpa, que le Bouddha aurait lui-même
enseignée. Enfin, tout cela se situe en un lieu précis, dans les environs de la ville d’Uruvilvâ,
désormais connue sous le nom de Bodh-Gayâ. Lieu de pèlerinage, encore aujourd’hui le plus
important de tous, Bodh-Gayâ devient ainsi, à la fois, le lieu de l’Eveil auquel aspire tous les
moines, et celui du premier don, que pratique tous les laïcs.

Un autre laïc d’importance apparaît aussitôt après le premier enseignement du Bouddha :


Yasas, qui réside à Bénarès même. Il est, après les cinq ascètes, le premier laïc à devenir
membre de la nouvelle Communauté des disciples, le « Sangha ». Cela sans doute suffirait à
expliquer l’intérêt de sa conversion à la Bonne Loi mais l’épisode vaut aussi pour l’ensemble
du récit qui mène à cette ordination. Car Yasas, fils d’un riche banquier, a été élevé dans « les
plaisirs sensuels », selon la formule consacrée, et s’il rencontre le Bouddha, c’est qu’il a fui
sa demeure, soudain dégoûté de tous ces plaisirs à la vue de son harem endormi.
Le récit des biographes est en fait alors exactement le même que celui du Grand Départ du
bodhisattva. On en est venu à penser que l’anecdote avait été bien réelle pour le fils de
famille, mais si exemplaire dans son déroulement qu’elle méritait mieux que de rester
l’apanage du seul premier laïc converti. On trouverait là une origine vraisemblable aux
développements des biographies du bodhisattva - ces parents, rappelons-le, devaient disposer
d’un statut social certes plus élevé mais leurs moyens financiers réels ne pouvaient être
qu’inférieurs à ceux d’un banquier. L’hagiographie se serait ainsi nourri d’éléments, non
seulement réalistes mais bien réels, simplement transposés de la biographie de certains des
premiers disciples dont la Communauté avait pieusement conservé le souvenir.

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Ces épisodes introduisent enfin, comme premiers interlocuteurs laïques du nouveau Bouddha,
des représentants de la caste des vaisya qui, avec les rois, constitueront bientôt les plus zélés
disciples et les plus riches donateurs de la Communauté. On ne peut s’empêcher de penser
que de tels épisodes avaient aussi pour but d’équilibrer un jeu de relations sociales auquel
l’Inde de l’époque est particulièrement sensible. La caste des vaisya, à cette époque charnière
de l’Inde ancienne, n’est déjà plus seulement celle des éleveurs et des paysans, mais celle
aussi de ces « nouveaux riches » que sont marchands et banquiers, nouvelle caste montante et
revendicatrice d’une société chaque jour plus citadine, et dont les membres s’opposent tout
autant aux brahmanes, chefs religieux, qu’aux ksatriya, chefs politiques.

Si l’on reprend le cours de nos récits, brahmanes et ksatriya ne tarderont d’ailleurs pas à
apparaître et deux conversions de masse auront lieu, à quelques temps d’intervalle, pour les
rallier successivement à la Communauté du Bouddha. C’est à nouveau à Uruvilvâ que le
Bouddha parviendra à convertir trois frères brahmanes et leur mille disciples. De manière très
étrange, c’est à une série impressionnante de miracles (de 500 à 1 500 selon les versions) que
le Bouddha devra cette conversion, selon un procédé qui sera toujours refusé, par la suite, à
ses disciples (l’utilisation de pouvoirs magiques, que l’Inde ancienne reconnaît accessibles à
tout bon pratiquant du yoga, est en effet l’une des fautes qui entraînent l’exclusion immédiate
et définitive de la Communauté). La nouvelle se répand aussitôt jusqu’à la capitale toute
proche du royaume de Magadha, Râjagriha, et le roi Bimbisâra en personne décide de rendre
visite au Bouddha. Il va sans dire qu’il se convertira, tout comme l’ensemble des habitants de
la ville… [cf. le texte commenté : « Conversion du roi Bimbisâra et des habitants de
Râjagriha », p. 59, et le texte annexe : « Urûvilva et la conversion de Kaçyapa », p. 57]

Les historiens actuels ne mettent en doute ni l’existence réelle de ce roi, ni l’amitié qui le
liera au Bouddha. Il est le premier et le plus illustre de ces souverains indiens de la vallée du
Gange qui soutiendront richement la jeune Communauté, en lui offrant notamment des
jardins (lieux de résidence du Bouddha et de ses disciples, pendant les trois mois de la saison
des moussons, contraints d’abandonner temporairement leur habituelles pérégrinations de
moines itinérants). Cette générosité n’a rien qui doive surprendre : elle est commune dans
l’Inde ancienne, comme encore aujourd’hui, chez un peuple qui tient en haute estime les
ascètes mendiants qui ont su abandonner la « vie de maison » pour la « vie sans foyer ».
Le Bouddha, néanmoins, bénéficie d’un avantage supplémentaire pour ces représentants des
ksatriya : il n’est pas un brahmane mais l’un des leurs ! Fils de roi, nous dit la légende… Fils
des Sakya, nous rapportent les textes les plus anciens, pour une fois plus sobres. Car il semble
bien que la région du Téraï népalais, dans laquelle Gautama vit le jour, n’ait pas encore été à
cette époque sous l’influence des aryens, de la religion brahmanique et de son système social.
Les Sakya ne sont pas membres de la caste des ksatriya mais gouverneurs élus d’une sorte de
« république » aristocratique, sans doute placée sous le protectorat du royaume voisin.
Situation qui manque de noblesse pour le « Vénéré du Monde » ! Mais le statut de gouvernant
suffira à établir une sorte de parenté qui facilitera l’anachronisme et l’extraction modeste sera
vite oubliée au profit d’une origine princière.
Différents souverains ne manqueront pas de revendiquer cette « parenté de fonction » pour
réclamer, à la mort du Bouddha, une part de ses « saintes » reliques. Définitivement « éteint »
près de Kusinagar, petite ville du royaume des Pallas, Bouddha offrait ainsi à ses habitants
une excellente occasion de thésauriser sur ses restes. Aussitôt averti de la nouvelle « le roi du
Maghada, Ajatassatu [fils de Bimbisâra], députa un envoyé auprès des Mallas pour leur dire :
Le Bienheureux était de caste royale, je le suis aussi ; moi aussi je suis digne d’avoir une part
des reliques corporelles du Bienheureux, et moi aussi je leur élèverai un stûpa et j’instituerai
une fête en leur honneur ». L’exemple sera suivi par quatre autres souverains, obligeant les
Pallas à diviser les reliques en plusieurs parts…

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III. 2. Le fondateur de la Communauté (Sangha)

S’étant concilié le soutien des marchands et des rois, le Bienheureux, « Guide suprême des
êtres qui doivent être guidés », voit ainsi assurée la pérennité de sa communauté de mendiants
(selon le sens étymologique du terme bhikkhu, généralement traduit par « moines »). C’est à
eux qu’il réserve ses enseignements fondamentaux, le cœur de la Doctrine qui mène à la
bodhi, alors que les laïcs se voient avant tout proposer l’enseignement « graduel » qui mène,
seulement, à une bonne renaissance dans le domaine des dieux.
Mais, bien que plus appropriée pour cheminer sur la Voie qu’il enseigne, la « vie sans foyer »
n’en reste pas moins pleine de dangers pour l’apprenti arhat, et la « guidance » des bhikkhu
occupe une place importante dans son enseignement. Or, c’est justement dans le recueil du
Vinaya, la discipline monastique, que nous sont révélés bien des épisodes de la vie du Maître.

La figure du fondateur y apparaît d’abord très pragmatique : c’est, le plus souvent, à


l’occasion d’incidents entre la communauté des bhikkhu et les laïcs que le Bouddha édicte
une nouvelle règle, dont une grande majorité relève de la simple bienséance. On y trouvera,
pêle-mêle, qu’il convient de se rincer la bouche et de se laver les mains avant de manger, de
ne prendre qu’un repas par jour et de vivre en itinérant afin de ne pas abuser de la générosité
des donateurs, de se tenir à distance respectueuse des femmes et de ne jamais rester seul en
leur compagnie ou, pour les femmes (bhikkhunî), de garder un vêtement sur elles lorsqu’elles
se lavent dans la rivière, etc.

A ces détails crédibles viennent s’ajouter pourtant un nombre considérable d’anachronismes,


surtout dans les récits de la vie du bodhisattva et des semaines qui suivent l’Eveil. Certes le
Bouddha est doué d’omniscience, mais il se montre alors déjà très pointilleux sur des points
de discipline extrêmement précis ! Ainsi lors du repas pris après l’Eveil, pour lequel
Sâkyamuni se trouve dépourvu du bol à aumônes adéquat. Ce sont les Gardiens des Quatre
Points cardinaux qui viennent eux-mêmes lui en remettre chacun un, que le Bouddha
s’empresse, magiquement, de fondre en un seul, tant pour ne pas vexer les quatre dieux que
parce qu’un bhikkhu n’a droit qu’à un seul bol !
Nombre de détails, comme aussi des épisodes entiers de sa vie, apparaissent bientôt comme
autant de justifications pour une règle sans doute instituée bien plus tard, peut-être plusieurs
décennies ou plusieurs siècles après la disparition du Maître. De même, si le Sermon de
Bénarès est, par excellence, le récit fondateur de la Communauté, la conversion de Yasas
offre déjà la formulation exacte d’ordination que constitue la « Prise des Trois Refuges » (en
le Bouddha, le Dharma et le Sangha… qui vient tout juste d’être créé !). Ou encore le don
d’un jardin par le roi Bimbisâra [voir le texte commenté, p. 59] offre au Bouddha l’occasion
de « rappeler » quels sont les seuls objets qu’un bhikkhu a le droit de posséder
individuellement, alors que l’événement se situe dans les premières semaines d’existence de
la Communauté...

L’ensemble des sûtra, de son côté, fonctionne comme un véritable catalogue adapté à toutes
les circonstances imaginables de l’enseignement. Il ne s’agit pas, en effet, d’un exposé
systématique (tel qu’il sera développé plus tard dans la troisième « Corbeille » de
l’Abhidharma), mais de textes juxtaposés, se répétant et se développant les uns les autres.
C’est là l’une des explications étymologiques de leur nom, sûtra signifiant exactement
« fil » : l’ensemble de l’enseignement, comme un tissu complet, étant composé de fils qui, à
eux seuls, ne peuvent prétendre ni à l’exhaustivité ni à la perfection. Il convient donc de
connaître, de faire référence et de citer tout un ensemble de textes se répondant mutuellement
pour pouvoir affirmer « le Bouddha a enseigné que… ».

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Chacun de ces textes se présente donc comme un exposé plus ou moins développé d’un point
précis de la doctrine et les strophes d’introduction fonctionnent comme autant de résumés,
facilement mémorisables. Les indications de lieux et de temps – que certains ont cru pouvoir
utiliser pour établir un véritable « agenda » du Bouddha – jouent aussi le rôle de synopsis, un
bhikkhu pouvant ainsi rapidement, par remémoration de ces seules strophes, retrouver le texte
adéquat à tel type d’auditeur : brahmane, roi, simple laïc, partisan d’une école adverse,
bhikkhu soutenant telle « erreur », femme, etc. Les données apparemment réalistes et
historiques peuvent ainsi, à nouveau, être interprétées dans une optique purement doctrinale.

IV. LECTURES MODERNES

IV.1. Les chercheurs occidentaux

Toutes les difficultés que soulèvent ces différentes interprétations ont embarrassé les
chercheurs qui, depuis le début du XIXe siècle, étudient ces textes. Que reste-t-il donc de
crédible, pour un esprit « positif » d’Occidental, dans ces différents récits de la vie du
Bouddha ? A-t-il réellement existé ? Et, si oui, que peut-on savoir de sa vie ?
Plusieurs écoles « scientifiques » se sont opposées depuis un siècle et demi et toutes, à
quelques exceptions près, conservent encore aujourd’hui des partisans. Seules les thèses
soutenues par Emile Senart (1847-1928) semblent avoir été définitivement abandonnées.
Celui-ci, comparant les biographies du Bouddha et du fondateur du Jaïnisme (contemporain
de Sâkyamuni) avec la geste de Visnu, soutenait que le Bouddha n’était qu’une
personnification d’un mythe solaire. A l’opposé, un chercheur allemand comme Oldenberg
soutenait une thèse evhémériste : il suffisait de débarrasser la biographie du Bouddha de tous
ses éléments mythologiques pour retrouver la personnalité réelle de l’homme historique.
Le caractère extrême de ces deux visions vient en grande partie du fait que l’école allemande
d’Oldenberg comme l’école française de Senart privilégiaient chacune des textes d’origine
différente. Oldenberg se référait au seul canon pâli, qu’il considérait comme la tradition
primitive, Senart de son côté aux canons sanskrits, considérés comme plus tardifs et
« mythologisants ». Deux positions aussi critiquables l’une que l’autre :
« Il y a un cercle vicieux dans le raisonnement qui fait considérer la tradition pâli comme
primitive parce qu’elle représente le Buddha comme humain, et la représentation humaine du
Buddha comme primitive parce qu’elle est celle de la tradition pâli. […] La tradition pâli
n’est pas seule à donner au Buddha une vie humaine ; avec elle, concordent les autres
traditions du [bouddhisme ancien]. L’humanisation serait donc fort ancienne, remontant au
fonds commun à ces écoles. […] D’un autre côté, le merveilleux n’est nullement absent des
biographies pâli ou similaires […] Mais, les mêmes sources qui concordent sur les détails
humains ne s’accordant pas moins sur les miracles, l’étude qui importe avant tout est donc de
confronter les sources pour apprécier la valeur de leurs concordances quelles qu’elles
soient. » [Jean Filliozat, Manuel des études indiennes, tome II, EFEO, Pris 1996, pp. 466-67]

On privilégie donc, depuis les années 30, une approche « historico-critique » qui tient compte
de l’ensemble des sources disponibles et les compare systématiquement. Reste que leur
concordance concernant autant des faits « vraisemblables » que des épisodes apparemment
purement mythologiques « le plausible pourrait être aussi faux que l’impossible »… Il a donc
paru plus logique de penser que « la croyance en ce merveilleux remonte aussi haut que les
plus anciens souvenirs, à la représentation que très tôt on s’est faite du maître en sa
communauté » [op. cit. p. 467]. La biographie de Sâkyamuni apparaît donc toujours plus, sur
une base commune de souvenirs vraisemblables et de mythes communs, comme une
« représentation du Bouddha » plutôt qu’une « présentation de Gautama ».

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A la suite d’Oldenberg, mais de façon plus nuancée, le français Alfred Foucher a tenté de
retrouver les éléments crédibles. Il suivit le principe que les faits devaient être d’autant plus
authentiques qu’ils paraissaient en contradiction avec l’idéal des communautés monastiques
ou désavantageux pour leur « publicité ». Ainsi de la naissance du Maître dans une obscure
république aristocratique du piémont himalayen - quand bien même celle-ci serait plus tard
élevée au rang de capitale d’un royaume dirigé par des ksatriya ! Ou encore sa mort peu
glorieuse, due à la dysenterie – comme on peut le déduire des descriptions relativement
précises des symptômes dont il souffrait…
Alfred Foucher a aussi mis en doute des données traditionnellement acceptées par l’ensemble
des écoles comme, par exemple, la durée de vie de 80 ans. Il est aujourd’hui suivi sur ce point
par une majorité de spécialistes qui croient plus vraisemblable, devant ce chiffre trop rond, de
prêter au Bouddha une espérance de vie, plus commune à l’époque, d’une soixantaine
d’années. A sa suite, et plus récemment, André Bareau a consacré plusieurs décennies à
l’étude exhaustive des sources à notre disposition. Ses travaux sont en grande partie
indépassables, au moins tant que l’archéologie ne nous fournira pas d’autres documents
nouveaux. Lui aussi remet en question bon nombre de faits jusqu’ici acquis.
Comme Alfred Foucher, il prête une grande attention à la localisation des événements,
déduisant bien souvent, et de manière convaincante, qu’un récit est intimement lié à un lieu et
l’événement attribué au Bouddha souvent repris d’une tradition antérieure. Et ces remises en
cause concernent des faits aussi importants que la naissance ou l’Eveil [voir textes annexes et
les commentaires du texte commenté du module 1]. Il a surtout mis en évidence l’importance
de l’origine « sectaire » des récits, les récits biographiques devenant de véritables textes de
propagande ou des résumés doctrinaux, clairement associables à telle ou telle école du
bouddhisme ancien.
Du coup, même les récits qui étaient tenus jusque-là comme les plus anciens, et peut-être les
plus fiables, acquièrent une dimension historique et polémique dont on n’avait pas assez tenu
compte auparavant. Le canon pâli lui-même, malgré son ancienneté réelle, ne peut plus être lu
comme le modèle dont se serait inspiré et écarté les autres récits, mais comme l’expression
d’une école particulière, mettant l’accent – en accord avec sa doctrine propre – sur certains
événements plutôt que d’autres, tout comme sur certaines interprétations. La
« prédestination » du bodhisattva y est ainsi beaucoup plus importante que dans les canons
sanskrits qui, en fonction de leurs rapprochements ultérieurs avec la doctrine du Mahâyâna,
insisteront toujours plus sur la « liberté » d’action du futur Bouddha.

IV.2. Les biographes modernes en Asie

Loin d’être réservé aux seules périodes anciennes, ce phénomène de réécriture doctrinale est
sensible à travers les siècles et la géographie, selon les différents pays où le bouddhisme s’est
implanté… et même encore aujourd’hui ! Le maître vietnamien contemporain Thich Nhat
Hanh en donne un exemple remarquable avec la publication de son ouvrage « Sur les traces
de Siddhârta » (Old Path Withe Clouds, Parallax Press, 1991 ; édité en français par Lattès-
Pocket, 1996). Excellent conteur, Thich Nhat Hanh s’inspire de différentes biographies
traditionnelles dont il cite, pour chacun de ses chapitres, les références exactes. Mais sa
présentation du Bouddha, malgré cette fidélité annoncée, ne ressemble plus en rien aux récits
dont il s’inspire.
Voici, à titre d’exemple, un extrait correspondant au texte cité au chapitre I du module 1,
lorsque le Bouddha retrouve ses anciens compagnons d’ascèse et que ceux-ci l’appellent par
son nom de clan, Gautama, avant qu’il ne leur prêche le discours des « Quatre Nobles
Vérités ». Le Bouddha ne s’insurge aucunement de leur familiarité, leur expose son
enseignement, et ce n’est qu’après le Discours que la question de son titre se trouve évoquée :

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« Frères, les enfants du village d’Uruvela m’ont donné le nom de « Bouddha ». Vous pouvez
m’appeler ainsi si vous le désirez.
- « Bouddha » ne veut-il pas dire « celui qui est éveillé » ? demanda Kondanna.
- C'est exact. Et ils ont appelé la voie que j'ai découverte « la Voie de l'Eveil ». Que pensez-
vous de ce nom ?
- « Celui qui est éveillé » ! « La Voie de l'Eveil » ! Merveilleux ! Merveilleux ! Ces noms
simples sont évocateurs. Nous vous nommerons avec joie le Bouddha et le chemin que vous
avez trouvé la Voie de l'Eveil. Vivre chaque jour en Pleine Conscience est la base de la
pratique spirituelle. »
Non seulement le Bouddha ne les menace plus de « subir pendant très longtemps d’intenses
douleurs » s’ils l’appellent Gautama, mais le terme de Tathâgata (sans doute trop abscons) a
été remplacé par celui de Bouddha (plus connu), celui-ci « inventé » par des enfants, et les
ascètes sont invités à donner leur avis… Le choix du titre à attribuer au Bouddha se révèle ici
beaucoup plus « démocratique » – pour ne pas dire « politiquement correct » ! - que le récit
traditionnel. Enfin, la Voie de l’Eveil est clairement associée à l’exercice de « la Pleine
Conscience », expression inconnue de toutes les traditions puisqu’il s’agit du nom que Thich
Nhat Hanh lui-même donne à la pratique qu’il préconise.
Ce faisant, Thich Nhat Hanh ne fait que suivre la tradition multiséculaire des biographes du
Bouddha qui réinterprètent sa vie en fonction de leurs propres choix doctrinaux. Il en va de
même pour la démarche, plus polémique cette fois, du sri-lankais Walpola Rahula, cité dans
l’Introduction de ce cours. Peter Harvey nous donne la clé pour apprécier correctement cette
humanisation « extrême » du Bouddha :
« Les Theravâdin modernes disent parfois que le Bouddha était « un simple être humain » -
remarques qui doivent toujours être comprises dans leur contexte. Leur but est généralement
de montrer une différence entre le Bouddha et Jésus en tant que « Fils de Dieu », ou de
s'opposer à la perspective mahâyâniste qui place la nature du Bouddha à un niveau loin au-
dessus de l'être humain. » [Le Bouddhisme : Enseignements, histoire, pratiques, éd. du Seuil,
Paris, 1993, p. 49]
L’influence de l’Occident sur les élites asiatiques, depuis la fin du XIXe siècle, a en effet
profondément modifié la perception de l’homme Gautama, et nombre d’asiatiques,
vulgarisateurs du bouddhisme en Occident, ont insisté sur cette humanité pour mieux
démarquer le bouddhisme, « philosophie » et « science de l’esprit », de la « religion » du
Christ. Et pourtant, traditionnellement, « alors que les chrétiens voient Jésus comme Dieu-
fait-homme, les bouddhistes voient le Bouddha (et les Arhat) comme homme-devenu-
Dhamma. » (op. cit. p. 50).

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TEXTES ANNEXES

Texte annexe 1 : La sculpture anthropomorphe : une « humanisation » du Bouddha ?


Texte annexe 2 : Les Jataka
Texte annexe 3 : Les Trente-deux Marques du Grand Homme
Texte annexe 4 : Le combat de Marâ
Texte annexe 5 : Le prodige de Sânkâcya
Texte annexe 6 : Uruvilvâ et la conversion de Kâsyapa

Texte annexe 1
La sculpture anthropomorphe : une « humanisation » du Bouddha ?

Les plus anciens vestiges archéologiques de l’Inde nous prouvent que les premiers artistes
bouddhistes ne représentaient jamais le Bouddha sous forme humaine. Il ne semble pas,
pourtant, qu’il ait existé une interdiction quelconque à ce sujet. Il est plus vraisemblable de
penser que les premiers sculpteurs n’imaginaient pas possible qu’une image humaine puisse
rendre compte des qualités « sur-humaines » du Maître.
Aussi préfèrent-ils utiliser des symboles, employés encore aujourd’hui. La « roue du
Dharma » est le plus connu d’entre eux (souvent entourée de deux gazelles, symbolisant alors
le premier sermon, dit à Bénarès, dans le « Parc aux gazelles ») ; on trouve aussi un trône
vide ou un parasol (symboles de « royauté » spirituelle) ou encore l’empreinte d’un pied
(marque « en négatif » de sa présence) portant jusqu’à 108 marques particulières.
Les premières représentations humaines apparaissent, à la même époque, en deux régions
différentes : autour de la ville de Mathura, en Inde, et dans la région du Gandhara (actuel
Afghanistan). Ces deux régions font alors partie, au Ie siècle avant notre ère, du même
empire, dirigé par l’empereur Kanishka. Le bouddhisme connut à son époque, dans cette
région du nord-ouest de l’Inde, un développement considérable. C’est pendant cette période
que se diffusent aussi les premiers textes du Mahâyâna, qui allaient si profondément faire
évoluer le bouddhisme indien [voir UC3].
Aussi bien à Mathura qu’au Gandhara, pourtant, l’anthropomorphisme qu’adopte alors la
statuaire ne peut pas être considéré comme une « humanisation » du Bouddha. La
représentation n’a rien d’un portrait ; elle relève bien plus d’une symbolique. Il semble
d’ailleurs que les plus anciennes représentations « humaines » aient d’abord été réservées au
seul « futur Bouddha », encore bodhisattva, comme si l’on considérait que, une fois parvenu
à l’Eveil, celui-ci échappait toujours à toute représentation possible, comme il échappait à
toute caractéristique humaine.
Bien plus que le Bouddha, en tant que personne humaine, c’est la « boddhéité » - ou l’Eveil –
que les artistes souhaiteront représenter. L’iconographie s’appuie alors, à la fois, sur des
indications fournis par les textes canoniques et sur des critères artistiques d’origine grecque
(la région du Gandhara correspond en effet aux anciens royaumes fondés par Alexandre le
Grand et ses successeurs). On fait notamment référence aux « trente-deux marques » du
Grand Homme dont les plus connues sont la protubérance crânienne, la touffe de poils entre
les sourcils, l’empreinte d’une roue à mille raies dans la paume des mains et sur la plante des
pieds, etc. [voir aussi le texte annexe : « Les Trente-deux Marques du Grand Homme », p. 53]
Ces divers « signes » sont cependant réinterprétés par les artistes, influencés par l’esthétique
grecque. L’adaptation la plus flagrante concerne la protubérance crânienne, toujours traitée
sous la forme d’un chignon, alors que le chignon est la marque des ascètes brahmaniques

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(auxquels le Bouddha s’opposait !) et que la règle monastique bouddhiste impose, au
contraire, qu’on se rase les cheveux… De même, le vêtement, dont la composition est
strictement fixé par les textes, fait place à un drapé visiblement influencé par l’art grec, qui
n’a rien de spécifiquement bouddhiste.
La figure du Bouddha est donc totalement « idéalisée », au sens propre du terme : elle
manifeste une idée, un concept – celui de la « nature » du Bouddha – beaucoup plus qu’elle
ne représente un homme. Si l’on excepte les représentations des épisodes de sa vie qui
précèdent l’Eveil (jeunesse, « grand départ », ascèse… l’un des thèmes les plus fréquemment
reproduit au Gandhara, particulièrement dramatique, représentant le futur Bouddha
pratiquement réduit à l’état de squelette !), le Bouddha est toujours figuré sans âge, même
lors de son parinirvâna, alors que tous les textes s’accordent à lui attribuer à cette époque 80
ans d’âge !

Texte annexe 2
Les Jataka

Les récits des Jataka seront une occasion idéale de parfaire le parcours initiatique du futur
Bouddha puisqu’il y est présenté à travers tous les états d’existence possible (pour un
bodhisattva) : homme, animal ou dieu. Proches des fabliaux du Moyen-âge, des fables
d’Esope et de La Fontaine, les Jataka doivent leur succès autant à leurs croquis hauts en
couleur (surtout quand ils évoquent la vie animale) qu’à leur haute valeur morale. Et s’ils sont
« tolérés » par les moines (au point de les avoir inclus dans la littérature « canonique »), c’est
aussi qu’ils permettent de présenter de manière simple et vivante quelques aspects essentiels
de la Doctrine.
Là aussi, les vertus exceptionnelles du bodhisattva se manifesteront au-delà du bon sens,
même quand il s’agit d’une vertu aussi « basique » que le don, comme en témoignent les deux
Jatakas les plus populaires encore aujourd’hui : celui de la tigresse affamée qui vient de
mettre bas, auquel le bodhisattva offre son corps en pâture, alors qu’elle s’apprêtait à dévorer
ses petits ; celui du prince qui, pour répondre aux exigences d’un cruel ennemi, cède d’abord
ses biens, puis ses enfants et enfin son épouse (qui ne manquent pas, d’ailleurs, de protester !)
avant de s’offrir lui-même.
L’abnégation du bodhisattva est telle que, dans le premier cas, il ira jusqu’à se projeter du
haut d’une falaise pour que son corps, démembré, soit plus commode à déchiqueter par
l’animal… Mais la morale est aussi toujours sauve puisque, dans le deuxième texte, l’ennemi,
vaincu par la force de caractère et le détachement du prince, finira par lui rendre biens,
enfants et épouse.

Texte annexe 3
Les Trente-deux Marques du Grand Homme

Voici comment le Mahâ’padâna-sutta décrit les Trente-deux Marques du Grand Homme :


« Ce prince, Sire, a deux pieds plats. Le fait, Sire, que ce prince ait deux pieds plats est la
marque d’un Grand homme. Ce prince, Sire, a des pieds portant des marques de roues tout à
fait complètes, ayant leur mille rayons et leur moyeu. Il a de longs talons et de longs doigts,
des mains et des pieds tendres, semblables aux filets ; des chevilles hautes comme des
coquillages ; des jambes semblables à celles des antilopes ; il est capable de toucher ses
genoux avec ses mains sans se pencher en avant. Il a les parties cachées [le sexe] dans une
gaine. [Sa peau] est de la couleur de l’or et il a la complexion semblable à un tronc de mêtale
lissé. Il a une peau parfaitement lisse et, à cause de cela, les poussières ne s’attachent point à

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son corps. Il a des poils séparés l’un de l’autre, seulement un dans chaque pore, tournés vers
le haut. Ils sont courts, de couleur bleu-noir et s’enroulent vers la droite. Il a des jambes
sublimement droites. Sur son corps sept endroits sont complets [en muscles]. Ce prince, Sire,
a un buste comme celui d’un lion, des épaules dépourvues de sillage, un corps
proportionnellement équilibré comme un arbre banyan - la longueur du corps est égale au
compas de ses bras, le compas de ses bras est égal à la hauteur de son corps – et son buste est
rond et équilibré. Il a la capacité extrêmement subtile de sentir la saveur par sa langue, sa
mâchoire est comme celle du lion, pourvue de quarante dents, toutes bien égales et sans
espaces, tout à fait blanches. Ce prince, Sire, a une langue très longue, une voix sublime
comme celle du coucou, des yeux intensément bleus, des sourcils [délicats] comme ceux d’un
veau qui vient de naître. Entre les deux sourcils, il a un grain de beauté aux poils blancs
bouclés vers la droite. Ce prince, Sire, a une tête bien haute. Le fait, ô Sire, que ce prince a
une tête bien haute, est la marque d’un Grand homme. »

Devant une telle description, on peut rester songeur ! Ce modèle de l’homme parfait
ressemble plus à E.T. qu’à un être humain : ses bras sont si longs qu’il peut toucher ses
genoux sans se baisser ; ils portent des marques de roues comme des scarifications ; son sexe,
comme celui d’un étalon, est couvert par un « étui » ; il a une langue « très longue »… Il est
clair qu’avec de telles marques sa « supériorité » ne passera pas inaperçue ! Et l’on peut
vérifier par soi-même, aujourd’hui, qu’il n’a existé qu’un seul samkyasam-buddha dans notre
ère cosmique…
Plusieurs de ces signes sont évidemment en rapport avec les critères de beauté indiens, le plus
souvent zoomorphes (la voix du coucou, les sourcils d’un veau qui vient de naître, les jambes
d’antilope, le buste et la mâchoire d’un lion…). On remarquera aussi que ce Grand Homme
n’a pas les traits physiques des Aryens (peuple aux cheveux blonds) puisqu’il est précisé que
ses poils sont de couleur bleu-noir, comme les populations dravidiennes qui peuplaient l’Inde
avant l’arrivée des envahisseurs, bien qu’il ait les yeux bleus... Les éléments aberrants ne
manquent pas comme l’évidente contradiction entre la longueur des bras et le corps
« proportionnellement équilibré » (la description de l’égalité des « compas » rappelle le
célèbre schéma de Léonard de Vinci qui inscrit un homme aux bras ouverts, à la fois, dans un
cercle et un carré – symbole connu d’une agence de recrutement…). On retrouve aussi des
éléments de pureté « sur-naturelle » (corps de couleur d’or sur laquelle la poussière n’adhère
pas).
A noter cependant que la protubérance crânienne, si célèbre, n’apparaît pas ici, à moins qu’il
faille interpréter en ce sens la dernière indication : une « tête bien haute »…

Texte annexe 4
Le combat de Marâ

L’épisode célèbre du « Combat de Marâ » constitue le prélude à l’Eveil et fonctionne comme


un résumé de la carrière du bodhisattva. Il se présente comme un tableau dramatique en trois
actes : l’assaut des armées démoniaques et la tentation des trois filles de Marâ encadrent un
« duel de prééminence » entre Marâ et le bodhisattva.
Conscient que Gautama va atteindre l’Eveil et mettre ainsi fin à son règne sur les êtres
ignorants, Marâ envoie d’abord ses armées redoutables contre le bodhisattva. Mais la
puissance de l’amour et l’imperturbabilité du bodhisattva agissent comme une armure et les
flèches des assaillants se transforment en fleurs.
Puisqu’il n’a pas pu le vaincre par la force, Marâ tente de contourner la puissance du
bodhisattva en envoyant ensuite ses trois filles pour le séduire. Mais celles-ci ont beau
déployer tous leurs charmes féminins, Gautama reste à nouveau imperturbable.

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Ces deux actes présentent de manière assez évidente les victoires remportées par le
bodhisattva sur les passions fondamentales qui entachent tout être ordinaire, deux de ces
« trois poisons » que sont l’attraction, l’aversion et l’ignorance : les armées démoniaques sont
les passions agressives de l’aversion (colère, haine, envie, jalousie…) ; les trois filles sont les
plaisirs sensuels qui excitent l’attraction. Après avoir vaincu attraction et aversion, le
bodhisattva s’apprête à vaincre le dernier « ennemi » : l’ignorance. C’est cette dernière
victoire qui le promeut définitivement au rang des Bouddhas.
L’épisode central du duel de prééminence est vraisemblablement un ajout plus tardif. Moins
dramatique et plus doctrinal, il est sans doute d’origine monastique et non populaire comme
les deux autres. C’est sur la corde sensible de l’orgueil, ultime forme d’attachement à l’idée
du Soi, que Marâ tente cet assaut : il revendique le lopin de terre sur lequel le bodhisattva
s’est assis en méditation, eu égard aux mérites qu’il a accumulés dans une vie antérieure lors
d’un grand sacrifice (mérites qui lui ont valu de renaître comme maître du Samsâra). Mais les
mérites du bodhisattva sont bien évidemment beaucoup plus nombreux, puisqu’ils résultent
de sa pratique des parâmitâ au cours d’un nombre incalculable de vies successives.
Cela dit, le bodhisattva ne revendique pas sa prééminence sur Marâ dans un geste qui pourrait
être une manifestation d’orgueil ; c’est la Terre qui se porte garant en sa faveur, le
bodhisattva se contentant de l’appeler à témoigner, sans bouger de sa place, simplement en la
touchant du bout des doigts. Arrivé au terme de sa carrière, vainqueur de l’attraction et de
l’aversion, n’exprimant plus aucun attachement égoïste même pour sa propre réussite, le
bodhisattva manifeste ainsi clairement sa supériorité « sans supérieur » de futur samyaksam-
buddha.
En quelque sorte, une fois Marâ vaincu, le terrain se trouve libre pour que se produise enfin
l’Eveil : le Samsâra disparaît et laisse place au Nirvâna définitif.

Texte annexe 5
Le prodige de Sânkâcya

L’épisode de l’enseignement du Bouddha à sa mère, dans le ciel des Tusita ou des Dieux
« Trente-Trois », est l’un des événements particulièrement riches et problématiques de sa
biographie « mythique ». Il a été notamment étudié par Alfred Foucher, dans son ouvrage
« La vie du Bouddha d’après les textes et les monuments de l’Inde » (Adrien Maisonneuve,
Paris, 1993). Voici comment il résume le récit traditionnel, tel qu’il était raconté aux pèlerins
se rendant à la ville de Sânkâçya :
« En ce temps-là (c’était, à ce que certains croient savoir, la seizième année de
l’Illumination), le Bouddha résolut de monter au ciel des Trente-Trois dieux où sa mère Mâyâ
était renée afin de lui enseigner la Bonne-Loi. Il disparut donc mystérieusement de la terre et
n’y redescendit que trois mois plus tard, le jour de la pleine lune d’octobre, près de la ville de
Sânkâcya. Mais si son « Ascension » - fait donné comme assez banal et à la portée d’autres
que lui – passa inaperçue, il n’en fut pas de même de sa « Descension ». Celle-ci se fit en
grande pompe, par un triple escalier en matières précieuses créé tout exprès par les dieux,
entre Brahma à sa droite et Indra à sa gauche, sur un fond de ciel tout meublé de divinités
chantant ses louanges et faisant pleuvoir des fleurs. Au bas des degrés l’attendait la foule de
ses fidèles avec ses principaux disciples. De bonne heure le motif se fixa ainsi en une sorte de
triptyque, mais à volets verticalement superposés, représentant en haut la prédication chez les
dieux, au milieu la descente sur la terre, en bas la reprise de l’enseignement et l’espèce
d’examen que le Bouddha fit passer aux membres de la Communauté en leur posant des
questions de plus en plus difficiles ; à l’avant-dernière seul Sâriputra put encore répondre, et
il n’y eut que Sâkyamuni pour donner la solution de la dernière ». (p. 274)

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Alfred Foucher note d’abord que, dans les huit grands pèlerinages qui rythmaient la
« géographie sacrée » du bouddhisme indien, la ville de Sânkâcya est la seule dans laquelle le
Bouddha n’a jamais pu, matériellement, se rendre au cours de sa vie. Elle est en effet située
très à l’ouest de la vallée du Gange dans laquelle celui-ci enseigna et, à l’exception de cet
épisode, n’est jamais citée parmi les villes qu’il visita au cours de sa vie de prédication.
[voir la carte des « villes saintes » p. 9]
Il remarque ensuite que cette région – qui fut toujours un fief du brahmanisme – possède un
paysage tout différent de celui des sept autres villes « saintes » : pas de rizières dans une
campagne où l’eau affleure la terre mais, au contraire, une très riche terre à blé qu’il faut
irriguer en allant chercher l’eau dans des nappes phréatiques situées à très grande profondeur.
Enfin, si l’événement en lui-même n’a rien qui doive vraiment surprendre (le Bouddha, en
tant qu’enseignant, use à maintes reprises de ses pouvoirs pour divulguer la Doctrine à des
personnages et en des lieux très divers), le point central semble se résumer à la forme
architecturale très particulière qui en rend compte. Toutes les représentations
iconographiques accordent une importance considérable à ce triple escalier, que l’empereur
Asoka matérialisera d’ailleurs sur les lieux (des pèlerins chinois, au VIIe et VIIIe siècles après
J.-C. en verront encore les ruines).
Or, en se rendant sur les lieux, Alfred Foucher constate : « Le seul trait un peu saillant du
paysage est le grand nombre de pans inclinés, faits de terre battue, qui d’une part surmontent
les puits et de l’autre s’enfoncent dans le sol alluvial. Le long de ces rampes artificielles
montent ou descendent avec une régularité d’horloges, sous les cris de leurs conducteurs, de
patients attelages de bœufs, occupés presque sans relâche à élever au-dessus de la surface,
dans de grandes outres de cuir, l’eau de la nappe souterraine. […] L’avouerons-nous ? A
force de voir se dresser de tous côtés le profil de ces rampes inclinées à environ 30° au-dessus
de la plaine, on ne peut se défendre de penser qu’elles sont responsables de la localisation en
ces parages de la « Descension de chez les dieux ». Le fait indéniable est qu’elles dessinent
sur le ciel l’élévation du monument commémoratif de ce miracle, tel que les témoins
oculaires sont d’accord pour nous le décrire. » [pp.276-7]

Alfred Foucher insiste ici, non pas tant sur l’aspect merveilleux et incroyable de l’événement
du « miracle », que sur le fait qu’on en a conservé la mémoire et qu’il a été considéré comme
important, parce qu’un lieu, un paysage, un « objet de vénération » tangible pouvaient y être
associés (quand bien même ce lieu se situe en dehors de la région où vécut le Bouddha).
Autant dire qu’il existe peut-être, dans la biographie réelle du Bouddha, nombre
d’événements qui nous paraîtraient, à nous, très importants mais dont la Tradition n’a rien
retenu parce qu’ils ne pouvaient pas être matérialisés ou qu’on avait perdu le souvenir du lieu
où ils s’étaient produits.

D’autres aspects de la légende associée à Sânkâcya viennent confirmer ce point de vue car
l’épisode ne concerne pas que le monde des dieux ; il a eu de l’importance, aussi, pour le
monde des hommes. C’est à l’occasion de cet enseignement que, pour pallier l’absence
inopinée du Bouddha, le roi de la région demanda, dit-on, qu’on fabrique la première statue
du Maître. Un habile artisan eut alors la possibilité de fixer ses traits au plus près de la réalité,
authentifiant ainsi de visu et pour l’éternité les Trente-deux Marques corporelles du Grand
Homme que reproduiront par la suite tous les sculpteurs et les peintres bouddhistes.
Une tradition ultérieure en profitera, d’ailleurs, pour envoyer cet artisan au ciel même des
Tusita, occasion pour lui de portraiturer aussi le futur Bouddha, le bodhisattva Maitreya, qui
assistait à l’enseignement de son prédécesseur et qui séjourne toujours actuellement dans ce
ciel en attendant son heure. Le pèlerin chinois Huan Tsang, au VIIe siècle, verra cette statue
de Maitreya considérée, elle aussi, comme ayant été fabriquée directement « sur le
modèle »....

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De plus, de retour chaque nuit dans le domaine des hommes, le Bouddha est censé avoir
répété son enseignement divin à l’un de ses disciples, le Vénérable Sâriputra, ce qui serait à
l’origine de la troisième « Corbeille » des enseignements : l’Abhidharma ou « enseignement
supérieur ».
On le voit, Sânkâcya méritait de devenir l’un des lieux de pèlerinage les plus importants du
monde bouddhiste ! Ou bien plutôt était-il heureux qu’un lieu particulier puisse correspondre
aussi bien au cadre d’un tel événement, offrant ainsi une « preuve » tangible et incontestable
de la réalité de tous les faits qu’on y rattache…

Texte annexe 7
Uruvilvâ et la conversion de Kâsyapa

Comme la ville de Sânkâcya, le bourg d’Uruvilvâ (situé à 100 km au sud de la ville de Gayâ,
sur les rives de la rivière Nairanjanâ, proche de l’actuelle Bodh-Gayâ) semble un lieu
« choisi » par la tradition beaucoup plus que conservé en mémoire en raison de faits
historiques. André Bareau a étudié avec précision tous les textes qui y font référence et, dans
un article qu’il consacre à ce sujet, a mis en doute la tradition, pourtant unanime, qui situe
l’Eveil du Bouddha près de ce bourg d’Uruvilvâ.
[André Bareau : « Le Buddha et Uruvilvâ », in Indianisme et bouddhisme, Mélanges offerts à
Mgr Lamotte, Publications de l’Institut Orientaliste de Louvain, vol. 23, Louvain-la-Neuve,
1980, p. 1-18]
Il constate en effet que, parmi les récits qui racontent l’Eveil, les versions les plus anciennes
(fin du IVe siècle av. J.-C.) n’évoquent jamais le lieu où il s’est produit. D’autre part, le nom
même d’Uruvilvâ n’est jamais cité, ni dans les sûtra ni dans les vinaya, comme celui d’un
bourg où le Bouddha et ses disciples auraient fait halte ou résidé, alors qu’il se situe dans une
région habituellement fréquentée par la communauté.
D’autre part, il est mentionné à propos de la conversion de l’ascète Kâsyapa et de ses mille
disciples, lors d’un épisode plus que suspect par son côté exclusivement miraculeux
(contrairement à d’autres conversions qui ont pu donner lieu à des miracles, Kâsyapa se
convertit avant d’avoir entendu la doctrine et à cause des miracles, alors que dans les autres
récits les miracles viennent généralement confirmer, après l’enseignement qui convertit, la
supériorité insigne du Bouddha). De plus ce Kâsyapa (qu’il ne faut pas confondre avec un
autre disciple : Mahâ-Kâsyapa) ne sera plus jamais, lui non plus, cité dans les textes alors
qu’il est – soi-disant – l’un des tout premiers convertis…
Comment expliquer, alors que ni le Bouddha ni ses disciples les plus directs ne se sont
vraisemblablement jamais rendus en ce lieu, qu’il deviendra plus tard le plus important
pèlerinage bouddhiste ? Pourquoi ce nom apparaît-il dans les textes, soudain, au milieu du
IVe siècle ? Pourquoi est-il aussi étroitement associé à ce Kâsyapa ?
André Bareau propose quelques hypothèses vraisemblables pour y répondre.
Il semble d’abord que ni le Bouddha ni la première communauté n’ait accordé d’importance
au lieu où s’est produit l’Eveil. Certains textes très anciens laissent même penser que celui-ci
ne s’est pas produit en une nuit, comme la tradition le rapporte, mais résulte d’une longue
réflexion ; le lieu précis où se serait produit la résolution finale n’aurait alors aucun intérêt
particulier… Au IVe siècle av. J.-C. aucun disciple du Bouddha ne pouvait situer le lieu de
l’Eveil.
Kâsyapa, de son côté, pouvait être un ascète connu dans cette région sud du Magadha pour de
nombreux pouvoirs miraculeux, dont la réputation persistante finissait par porter ombrage
aux disciples du Bouddha. A une époque où le bouddhisme connaissait un développement
considérable et que s’instituait les grands pèlerinages, la communauté l’aurait converti a
posteriori pour « récupérer » son prestige… Le procédé, bien que cavalier, est fréquent !

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De plus, contrairement aux légendes proprement bouddhiques, qui connaissent des évolutions
au cours des siècles, celle de Kâsyapa apparaît brusquement et déjà formée, sans connaître
aucun changement. Il pourrait donc tout à fait s’agir d’une légende non-bouddhique,
récupérée telle quelle.
Reste à expliquer l’amalgame qui se serait ensuite produit entre Uruvilvâ, le lieu de résidence
de ce Kâsyapa, et l’Eveil du Bouddha.
André Bareau propose une solution linguistique : dans cette région du Magadha, en effet,
l’adjectif « grand » ou « vieux », qui sert à désigner un objet ou une personne vénérable, se
disait « bodha ». Or, comme le rappelle Alfred Foucher, les Indiens ont pour habitude
d’associer un personnage qu’il vénère à un lieu et, en particulier, à un arbre ou un bosquet (ce
sera d’ailleurs le cas, aussi, pour le Bouddha : bosquet de Lumbini pour la naissance, arbre de
l’Eveil, parc du premier sermon, arbres jumeaux de Râjagriha pour la mort…). On peut alors
penser que les habitants d’Uruvilvâ, comme partout ailleurs en Inde, portait une vénération
certaine à un arbre particulièrement remarquable, qu’il nommait « arbre boddha ». La
confusion phonétique possible entre « arbre boddha » et « arbre du Bouddha » aurait fait le
reste…
André Bareau conclut : « Il semble donc bien que le Bouddha ne soit jamais allé à Uruvilvâ,
ni ses disciples directs non plus, ou, si lui ou eux y sont passés, ils n’y ont accompli aucune
action notable, ce pour quoi la tradition bouddhique a ignoré ce village jusque vers le début
[du IVe siècle av. J.-C.]… A cette époque, Uruvilvâ n’était aucunement associé à la
biographie du Bouddha et n’était connu que pour avoir servi de résidence à un ascète à tresses
célèbre par sa sagesse et ses dons de thaumaturge, à ce Kâsyapa qui passait pour avoir été le
maître d’une nombreuse troupe de disciples. Peu après, un ou plusieurs voyageurs
bouddhistes, en passant par cet endroit, furent amenés à croire que le Bienheureux avait
obtenu l’Eveil alors qu’il méditait à l’ombre d’un arbre remarquable se trouvant sur le
territoire de ce village […]. Quelques décennies plus tard, sans doute agacés par la réputation
persistante de l’ascète Kâsyapa chez les habitants du Magadha, certains bouddhistes
imaginèrent de faire de lui et de ses si nombreux disciples des moines convertis par le
Bienheureux.[…] Ce faisant, les hagiographes bouddhistes ne se préoccupaient nullement de
savoir si l’ascète Kâsyapa appartenait à la légende ou à l’histoire, ni, dans ce dernier cas qui
était quand même le plus probable, si ce personnage célèbre avait été le contemporain du
Bienheureux – ce qui l’est beaucoup moins. Peu leur importait, leur but unique étant
d’étendre la gloire de leur Maître, de sa Doctrine et de sa Communauté aux dépens de la
célébrité des autres ascètes. »

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TEXTE COMMENTE

PRESENTATION DU TEXTE

Ce texte est extrait du Vinaya de l’école des Dharmaguptaka, originellement rédigé en


sanskrit, mais que nous ne connaissons plus désormais que grâce à une traduction chinoise.
Cette traduction française est celle d’André Bareau, publiée dans son ouvrage « En suivant
Bouddha » (éd. Philippe Lebaud, Paris, 1985, réédité en 2001).
La plupart des épisodes qui y sont racontés se retrouvent dans de nombreuses autres
biographies, transmises par d’autres écoles, à quelques détails près…

TEXTE ORIGINAL

La conversion du roi Bimbisâra et des habitants de Râjagrha

Ayant converti mille moines [disciples du brahmane Kâçyapa d’Uruvilvâ et de ses deux
frères], le Bienheureux pensa ceci : « Autrefois, j’ai accepté l’invitation du roi Bimbisâra à
venir d’abord à sa ville de Râjagrha si je devenais un Bouddha et obtenais ainsi
l’omniscience. Je dois donc aller maintenant vers le roi Bimbisâra. » Aussitôt, il arrangea
correctement ses vêtements puis il partit, accompagné des mille moines, tous anciens ascètes
brahmaniques ayant jadis porté leurs cheveux tressés et enroulés en chignon, ayant tous
obtenu la concentration mentale, la maîtrise d’eux-mêmes et la Délivrance définitive. En
voyageant à pied, peu à peu, à travers le pays des Magadha, il arriva dans le bois des Bâtons.
Là, le Bienheureux s’assit au pied d’un roi des arbres, le nyagrodha nommé Bonne
Résidence.

Les mérites du Bouddha et de son enseignement


A ce moment, le roi Bimbisâra entendit dire ceci : « L’ascète Gautama, issu du peuple des
Çakya, ayant quitté la vie de famille et étudié la Voie de la Délivrance, parcourt le pays des
Magadha, accompagné de mille disciples [...reprise du paragraphe précédent]. Cet ascète
Gautama a un grand renom, il n’est personne qui n’en ait entendu parler.
Sa renommée, c’est d’être Tathâgata, Arhant, complètement et parfaitement Éveillé, doué de
science et de bonne conduite, pourvu d’une bonne destinée, connaisseur du monde, cocher
suprême des hommes qui doivent être domptés, maître-enseignant des hommes et des dieux,
Bouddha, Bienheureux.
Dans le ciel et sur la terre, depuis longtemps, parmi les divinités mineures, parmi les troupes
des dieux Mâra et Brahma, parmi les troupes des ascètes et des brahmanes, il a su par lui-
même, tout seul, qu’il avait obtenu la connaissance surnaturelle, il l’a connue et l’a vue de ses
propres yeux, et depuis il en éprouve toujours une joie sereine.
Aux hommes, il prêche la Doctrine entièrement bonne en sa partie supérieure, en sa partie
médiane et en sa partie inférieure, la Doctrine dont le sens est profond et qui se répand
partout. Il cultive la conduite pure, il a obtenu la vision de la Réalité et ainsi il est devenu
Arhant. »

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Déplacement du roi Bimbisâra et des habitants de Râjaghra
Le roi pensa alors : « Il est bon que j’aille dès maintenant voir le grand ascète Gautama. »
Aussitôt, il fit atteler douze mille chars et autres véhicules puis, accompagné de quatre-vingt-
quatre mille hommes qui le précédaient, l’entouraient et le suivaient, montrant une puissance
et une majesté royales, il sortit de la ville de Râjagrha en désirant voir le Bienheureux, se
dirigeant donc vers le bois des Bâtons. Dès que tous les chars eurent atteint cet endroit, le roi
Bimbisâra descendit de son char et, continuant à pied, il entra dans le bois. Dès qu’il vit de
loin le Bienheureux, dont l’aspect était merveilleux, extraordinaire, dont le corps avait la
couleur de l’or rouge, il fut empli de joie. Il s’approcha du Tathâgata, se prosterna à ses pieds
puis il s’assit sur un côté.
Alors, parmi les gens du peuple des Magadha qui l’avaient accompagné, les uns se
prosternèrent aux pieds du Bouddha et s’assirent ; d’autres levèrent leurs mains jointes,
échangèrent avec le Bienheureux des questions de courtoisie et s’assirent ; certains
l’appelèrent par son nom de clan et s’assirent ; d’autres encore, joignant les paumes, se
tournèrent vers le Tathâgata pour le saluer et s’assirent : d’autres enfin demeurèrent
silencieux et s’assirent.

Interrogation sur les rapports entre Gautama et Kâçyapa


Les Magadha eurent alors cette pensée : « Est-ce le grand ascète qui suit Kâçyapa d’Uruvilva
pour s’exercer à la conduite pure ou bien est-ce Kâçyapa d’Uruvilva qui, avec sa troupe de
disciples, suit le grand ascète Gautama en s’exerçant à la conduite pure ? »
A ce moment, le Bienheureux, connaissant ce que les gens du pays pensaient dans leur esprit,
se tourna vers Kâçyapa d’Uruvilva et lui adressa cette stance :
« Quelles transformations magiques as-tu vues qui t’ont fait abandonner le matériel servant
au culte du feu ? Je te le demande maintenant, ô Kâçyapa, pourquoi as-tu abandonné le
matériel servant au culte du feu ? »
Kâçyapa répondit au Bienheureux par cette stance : « Les boissons et les aliments, tous de
saveurs exquises, les femmes désirables et les sacrifices, je les vois maintenant comme autant
de taches. C’est pourquoi j’ai abandonné le matériel servant au culte du feu. »
Le Bienheureux interrogea encore Kâçyapa par cette stance : « Les boissons et les aliments,
tous de saveurs exquises, en eux il n’est pas de bonheur. Dans le ciel et sur la terre, dis
maintenant en quel endroit est le bonheur. »
Kâcyapa répondit à nouveau au Bienheureux par cette stance : « J’ai vu les traces du repos et
de la cessation, là où n’est pas l’obstacle des trois mondes, là où il n’y a plus de différence,
où l’on ne peut plus rien différencier, et c’est pourquoi je ne me complais plus dans le
sacrifice rendu au feu. »

Alors les Magadha eurent cette idée : « Le grand ascète a prononcé deux stances et Kâçyapa
d’Uruvilva a prononcé deux stances. C’est pourquoi nous ne savons pas encore si c’est le
grand ascète qui a reçu l’enseignement de Kâçyapa ou si ce sont Kâçyapa et ses disciples qui
ont reçu l’enseignement du grand ascète. » Aussitôt, ayant connu ce que les Magadha
pensaient dans leur esprit, le Bienheureux dit à Kâçyapa : « Lève-toi et évente-moi le dos. –
Oui « , répondit le disciple. Dès qu’il eut reçu cette instruction du Bouddha, Kâçyapa se leva,
s’éleva dans l’espace, redescendit, se prosterna aux pieds du Bienheureux, toucha et essuya
de ses propres mains les pieds du Tathâgata et l’éventa, puis il prononça de sa propre bouche
ces paroles : « Le Bienheureux est mon maître et je suis son disciple. » Enfin, tenant un
éventail, il se tint debout derrière le Tathâgata et l’éventa. Alors les Magadha se dirent
mutuellement : « Le grand ascète Gautama n’a pas reçu de Kâçyapa l’enseignement de la
conduite pure, ce sont Kâçyapa et ses disciples qui ont reçu du grand ascète Gautama
l’enseignement de la conduite pure. »

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Prédication du Bouddha et conversion des habitants de Râjaghra
Alors, sachant que les Magadha n’avaient plus de doute, le Bienheureux leur prêcha
graduellement la Doctrine et, par ses exhortations, il fit naître en eux des pensées de joie. Ce
qu’on appelle la Doctrine, c’est la doctrine du don, de la moralité et de la renaissance au ciel.
Il blâma l’impureté des plaisirs des sens et loua le bonheur du renoncement. A ce moment,
chez les Magadha, ayant à leur tête le roi Bimbisâra, soit quatre-vingt-quatre mille hommes,
et chez douze millions de dieux qui étaient venus écouter le Bouddha prêcher, les poussières
et les taches qui recouvraient leur esprit disparurent et ils obtinrent l’œil de la Loi
parfaitement pur.
Dès qu’ils eurent vu la Doctrine, obtenu la Doctrine, sachant par eux-mêmes qu’ils avaient
acquis le Fruit de la vie religieuse, ils virent celui-ci de leurs propres yeux et dirent au
Bouddha : « Nous prenons refuge en le Bouddha, en sa Doctrine, en sa Communauté.
Permets-nous de devenir fidèles laïcs. Jusqu’à la fin de notre vie nous ne tuerons plus d’êtres
vivants, nous ne prendrons plus ce qui ne nous a pas été donné, nous ne nous livrerons plus à
des pratiques sexuelles illicites, nous ne mentirons plus, nous ne boirons plus de boissons
enivrantes. »

Conversion et invitation du roi Bimbisâra


Dès qu’il eut vu la Doctrine, obtenu la Doctrine, le roi Bimbisâra dit au Bouddha : « Je me
souviens de ce que, jadis, quand j’étais prince héritier, six souhaits naquirent dans ma
pensée : « Quand mon père aura fini sa vie, puissé-je monter sur le trône ; quand je
gouvernerai le royaume, puisse un Bouddha apparaître dans le monde ; puissé-je en mon
propre corps voir le Bienheureux ; si je vois le Bouddha, puisse-t-il naître en moi des pensées
de joie à l’égard du Tathâgata ; après avoir émis ces pensées de joie, puissé-je entendre
prêcher la Bonne Loi ; après avoir entendu prêcher la Doctrine, puissé-je obtenir soudain la
foi en elle et la comprendre. » Or, maintenant, [ces six souhaits se sont réalisés]. Maintenant,
en ce moment même, je désire seulement que le Bienheureux entre dans la ville de
Râjagrha. » Alors, le Bienheureux accepta l’invitation du roi Bimbisâra en gardant le silence.

Prodige sur la route de Râjagrha


Aussitôt le Bienheureux se leva, revêtit sa toge et, plein d’une majesté naturelle, il se dirigea
vers la ville de Râjaghra. Il était accompagné des mille moines (...) et était escorté par les
douze mille chars et autres véhicules et par les quatre-vingt-quatre mille hommes qui le
précédaient, l’entouraient et le suivaient.
A ce moment, la pluie tomba du ciel sur le Bienheureux et ceux qui l’accompagnaient mais,
aussitôt, il se forma au-dessus d’eux un parapluie de ciel clair et pur entre les nuages. Ayant
montré sa puissance prodigieuse par cette transformation magique, le Bouddha s’approcha de
la ville.

Hommage rendu au Bouddha par le Souverain des Dieux


Alors Sakra, le Souverain des Dieux, créa par magie un certain brahmane qui tenait en ses
mains un bâton d’or, un vase d’or à ablutions et un éventail à manche d’or et qui, marchant
dans l’espace à quatre doigts au-dessus du sol, guidait le Tathâgata en le précédant. De plus,
ce brahmane célébrait le Bouddha, sa Doctrine et sa Communauté de toutes sortes de
manières. Les Magadha alors s’interrogèrent : « Qui donc a créé magiquement, par sa
puissance surnaturelle, cette forme de brahmane qui tient en ses mains un bâton d’or ? » Se
tournant vers Sakra, Souverain des Dieux, les Magadha prononcèrent cette stance : « Qui a
créé magiquement cet ascète brahmanique qui précède maintenant la communauté en exaltant
par des stances les vertus du Bouddha ? Qui est-il, celui que tu sers avec sollicitude ? »

Alors Sakra, le Souverain des Dieux, répondit par ces stances aux Magadha :

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« De celui qui est courageux, libéré de tous les désirs sensuels, des désirs des boissons et des
aliments, qui est doué de pudeur et de respect humain, d’attention et de connaissance, de
celui-là je suis le disciple.
« Dans le monde il n’a pas d’égal, on ne voit personne qui lui ressemble. Du Tathâgata, de
l’Arhant, du Bouddha je suis le serviteur.
« Il a fait cesser en lui le désir et la haine ; l’ignorance, il l’a épuisée définitivement. De celui
dont les impuretés sont épuisées, de l’Arhant je suis le serviteur.
« Comme ce qui sert à sauver un homme qui se noie, Gautama est le bateau de la Doctrine, le
meilleur moyen pour traverser le fleuve des transmigrations et atteindre l’Autre Rive [le
Nirvâna]. De celui-là je suis le serviteur.
« Pour que l’on puisse franchir les quatre courants impurs définitivement, il prêche la
Doctrine de l’Immortalité, la meilleure des Doctrines, celle qui ne connaît pas d’obstacles. De
celui-là je suis le serviteur. »

Offrande au Bouddha, par le roi Bimbisâra, du bois des Bambous


Alors, le roi des Magadha, Bimbisâra, eut encore cette idée : « Si avant d’entrer dans la ville
de Râjagrha avec ses disciples, le Bienheureux arrive d’abord dans un parc de plaisance, je
lui ferai don de ce parc pour qu’il y établisse une résidence ascétique. » (...) Dès que le
Bouddha connut ce que le roi des Magadha pensait dans son esprit, il alla, suivit de la foule,
au bois des Bambous.
Aussitôt, le roi descendit de son éléphant, plia lui-même le tapis qui recouvrait l’animal, en fit
ainsi un siège étendu sur le sol ayant une quadruple épaisseur et il dit au Bouddha : « Je
désire que le Bienheureux s’asseye là-dessus. » Aussitôt le Bienheureux s’assit sur ce siège
improvisé. Alors le roi Bimbisâra, prenant un vase d’or à ablutions, versa de l’eau sur les
mains du Tathâgata et il lui dit : « A présent, parmi tous les parcs de Râjagrha, ce bois de
Bambous est le meilleur. Je le donne maintenant au Tathâgata. Je désire qu’il l’accepte par
bonté. »
Le Bouddha dit au roi : « Ce bois des Bambous que tu possèdes, donne-le maintenant au
Bouddha et à la Communauté des quatre quartiers. Parce que les parcs, matériels de parc,
habitations, mobilier, vêtements, bols à aumônes, sièges, aiguilles, étuis que possède le
Tathâgata sont des stûpa [reliquaires] et que, dans le ciel et sur la terre, ni les hommes ni les
divinités mineures, ni les Mâra ni les dieux, ni les ascètes ni les brahmanes ne peuvent les
utiliser. » Le roi dit alors : « Maintenant, je fais don de ce bois des Bambous au Bouddha et à
la Communauté des quatre quartiers. »
Aussitôt, le Bienheureux accepta ce parc avec une pensée de bonté, puis il prononça ce voeu :
« Que les arbres dont les semences furent plantés dans ce parc forment ensemble un pont.
Que les fruits de ce parc et les bassins pour le bain qui s’y trouvent atteignent la demeure de
son donateur. Que la félicité de tels hommes s’accroisse jour et nuit. Que les hommes qui
observent fidèlement les préceptes de moralité et qui obéissent à la Bonne Loi obtiennent la
renaissance au ciel. »
Alors le roi Bimbisâra, s’étant prosterné aux pieds du Bienheureux, prit un petit banc et
s’assit devant le Tathâgata, désirant entendre prêcher la Doctrine. Aussitôt, le Bienheureux
lui prêcha graduellement la Doctrine et, par ses exhortations, fit naître en lui des pensées de
joie. Tout joyeux, le roi se leva de son siège, salua respectueusement le Bouddha et partit.

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COMMENTAIRES

Autrefois, j’ai accepté l’invitation du roi Bimbisâra

Plusieurs biographies font état d’une première rencontre entre le bodhisattva et le roi du
Magadha, Bimbisâra. Celle-ci aurait eu lieu alors que Sâkyamuni avait quitté son premier
maître brahmane et avant qu’il ne rencontre le deuxième, donc plusieurs années avant
l’obtention de l’Eveil.
Alors que le jeune renonçant quête sa nourriture dans les rues de la ville, le roi l’aperçoit et
est frappé par son allure. Il fait prendre des renseignements sur lui et finit par lui rendre
visite. Après des éloges convenus, il lui propose d’abandonner sa quête pour diriger avec lui
le royaume du Magadha, ce que refuse bien sûr le bodhisattva ! Mais Sâkyamuni lui promet
néanmoins de venir lui enseigner la Voie de la Délivrance dès qu’il l’aura découverte…
L’épisode, tardif semble-t-il, paraît avoir été ajouté après coup pour annoncer la future amitié
des deux hommes (la tradition veut qu’ils aient exactement le même âge). Elle a été
développée, aussi, pour manifester la grandeur du détachement du futur Bouddha et sa
compassion.
Dans une version qui nous est conservée en chinois (issue du Vinaya de l’école Mahîçâsaka)
l’entretien entre les deux hommes porte strictement sur le choix que le Grand Homme peut
faire entre la carrière du Roi Universel (çakravartin) et celle d’un Bouddha :
« O ascète mendiant, ton clan est illustre, tu es le prince héritier d’un roi. Avec sagesse et
vertu, tu dois gouverner toi-même les quatre continents, de telle sorte que leurs habitants te
regardent sans cesse avec confiance, car, si tu es capable de vaincre tes passions, ils te
loueront, ils prospèreront et, leur visage tourné vers toi, ils s’entraideront. » Le Bodhisattva
dit : « Je ne veux pas m’asseoir sur le trône d’un roi çakravartin chargé d’honneurs, à plus
forte raison renoncé-je à gouverner les quatre continents. J’ai quitté la vie laïque et ma
famille pour rechercher la Voie de la Délivrance, car je désire franchir cet océan de
souffrances intenses que sont les naissances et les morts. Pourquoi donc m’invites-tu, non pas
à donner l’exemple du Salut en trouvant la Voie qui y mène, mais au contraire à garder celui-
ci caché et inefficace ? » [traduction André Bareau, in En suivant Bouddha, p. 47-48]
Pour Alfred Foucher : « Le roi tente l’ascète, par ses offres alléchantes, il essaie de le
détourner de la Voie de l’Illumination, et, par conséquent, s’il n’est pas à proprement parler
un suppôt de Mâra, le Malin, du moins il en assume le rôle. » Selon certaines traditions, en
effet, Mâra viendra tenter lui-même le Bouddha, juste après l’Eveil, en lui proposant de
gagner aussitôt le Nirvâna, sans enseigner. Mais on sait que l’intervention du dieu Brahma
activera la compassion universelle du Bouddha...

Je dois donc aller maintenant vers le roi Bimbisâra

Ce respect de la parole donnée n’est pas seulement l’expression de la courtoisie naturelle


d’un ksatriya, elle est aussi un exemple de la « véracité » du Tathâgata, « qui dit comme il
agit et agit comme il dit ».

il arrangea correctement ses vêtements

Ce détail est un premier exemple d’anachronisme, typique d’un récit tiré d’un Vinaya. Le
code de discipline explique en effet de manière très précise comment un moine doit arranger
son vêtement, selon qu’il se trouve dans un monastère (épaule droite découverte) ou en
dehors (les deux épaules couvertes).

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ayant jadis porté leurs cheveux tressés et enroulés en chignon

Les cheveux longs tressés et enroulés en chignon sont la marque distinctive, encore
aujourd’hui, des ascètes brahmaniques, par opposition au crâne rasé des bhikkhu. Lorsque le
Bouddha réussit à convertir Kâçyapa, lui et tous ses disciples se raseront la tête et jetteront
leurs cheveux et leur matériel rituel dans la rivière. Lorsque les deux frères de Kâçyapa, qui
résident avec leurs propres disciples un peu plus loin en aval, les verront flotter au fil de l’eau
ils s’inquièteront pour lui et se rendront à Uruvilvâ… où le Bouddha les convertira à leur
tour !

ayant tous obtenu la concentration mentale, la maîtrise d’eux-mêmes et la Délivrance


définitive

Cette formule est équivalente au titre d’arhat.

Cet ascète Gautama a un grand renom, il n’est personne qui n’en ait entendu parler.

Autre exemple d’anachronisme, que la suite du texte viendra d’ailleurs contredire. Le jeune
Bouddha, au tout début de sa carrière, ne peut en effet pas encore bénéficier d’une grande
renommée…

Sa renommée, c’est d’être Tathâgata, Arhant, complètement et parfaitement Éveillé,


doué de science et de bonne conduite, pourvu d’une bonne destinée, connaisseur du
monde, cocher suprême des hommes qui doivent être domptés, maître-enseignant des
hommes et des dieux, Bouddha, Bienheureux.

Voir texte annexe du module 1 : Les titres du Bouddha, p. 21

Dans le ciel et sur la terre, depuis longtemps, parmi les divinités mineures, parmi les
troupes des dieux Mâra et Brahma, parmi les troupes des ascètes et des brahmanes…

Cette formule stéréotypée énumère sous une forme résumée les principaux êtres habitant les
« mondes supérieurs » du samsâra (terre et ciels inférieurs) : hommes et diverses classes de
dieux. Elle marque la supériorité « sans supérieur » du Bouddha qui « a su par lui-même, tout
seul, qu’il avait obtenu la connaissance surnaturelle ».

il prêche la Doctrine entièrement bonne en sa partie supérieure, en sa partie médiane et


en sa partie inférieure, la Doctrine dont le sens est profond et qui se répand partout.

Autre formule stéréotypée qui présentent les qualités intrinsèques du Dharma. Une autre
formulation évoque la Doctrine « bonne en son début, en son milieu et en sa fin », insistant
sur l’idée que l’enseignement du Bouddha est complet et que « rien n’a été caché dans le
poing fermé du Maître ». Le « sens profond » est celui qui est « accessible aux seuls sages en
eux-mêmes », c’est-à-dire au-delà de la connaissance intellectuelle, par expérience directe.

quatre-vingt-quatre mille

Ce chiffre symbolique équivaut à « beaucoup ». Il revient fréquemment dans les textes et n’a
aucune valeur numéraire. Rappelons que le Bienheureux Vipassi avait quitté le palais
paternel accompagné de 84.000 disciples ; on évoque aussi les 84.000 enseignements du

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Bouddha ou l’enseignement « aux 84.000 portes », expressions qui insistent sur le caractère
complet de la Doctrine et sur sa capacité à répondre aux attentes de chaque être en particulier,
quelle que soit sa disposition psychologique.

le roi Bimbisâra descendit de son char et, continuant à pied, il entra dans le bois (…) il
s’assit sur un côté

Ces détails ne sont que l’expression des marques habituelles du respect que même un roi doit
manifester devant un renonçant. On les retrouve lors de chaque enseignement du Bouddha,
autant de la part des laïcs que des bhikkhu.

dont le corps avait la couleur de l’or rouge

L’une des Trente-deux Marques du Grand Homme.

…d’autres enfin demeurèrent silencieux et s’assirent.

Ce paragraphe déclinent les différentes marques de politesse, depuis la vénération la plus


profonde (prosternation) jusqu’à l’indifférence la plus complète (ils gardèrent le silence et
s’assirent). Il est intéressant de noter que l’on retrouve, à mi-chemin entre ses deux extrêmes,
le fait d’appeler le Bouddha par son nom de clan, Gautama. On se souviendra que le Bouddha
avait reproché aux ascètes de le nommer de cette manière, annonçant qu’il était désormais le
Tathâgata.

Est-ce le grand ascète qui… ?

Cette interrogation est en complète contradiction avec la notation précédente : « Cet ascète
Gautama a un grand renom, il n’est personne qui n’en ait entendu parler. » Mais elle est
nécessaire pour introduire l’épisode suivant, au cours duquel le brahmane Kâçyapa
manifestera son allégeance au Bouddha. On voit bien ici comment les auteurs de ces
biographies, résultats de compilations, n’arrivent pas - ou ne cherchent pas… - à rendre
cohérents leurs récits.

le Bienheureux, connaissant ce que les gens du pays pensaient dans leur esprit,

Premier exemple, dans cet extrait de texte, de la « claire-audience » du Bouddha, l’un des
pouvoirs de « connaissance parfaite » qu’il a acquis au moment de l’Eveil.

J’ai vu les traces du repos et de la cessation, là où n’est pas l’obstacle des trois mondes,
là où il n’y a plus de différences…

Les « traces » sont les marques que laisse derrière lui le disciple d’un Bouddha qui chemine
sur la « Voie » de l’Eveil ; ce cheminement mène au « repos » (par opposition à la souffrance
du samsâra) et à la « cessation » (traduction stricte du terme nirvâna). Kâçyapa, en se
retournant, peut voir « le chemin parcouru » et les traces qu’il a laissées ; c’est donc qu’il a
parcouru la totalité de la Voie, qu’il a atteint la bodhi, l’état d’arhat.
Les « trois mondes » sont les trois « domaines » supérieurs du samsâra (qui en compte cinq) :
celui du désir (dans lequel vivent les hommes, les animaux et les dieux inférieurs), celui des
formes (monde de matière subtile où demeurent les dieux de type Brahma) et enfin celui du
sans-forme (qui correspond à des états non-matériels extrêmement subtils). Etant parvenu à

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l’Eveil, Kâçyapa n’est plus prisonnier du samsâra, ces trois mondes ne font plus obstacle
pour lui, il peut accéder directement au nirvâna.
« Là où il n’y a plus de différences » est une expression équivalente au terme nirvâna, dont la
principale caractéristique est d’être « sans caractéristique », ce qui empêche toute
différenciation.
Ces définitions et caractéristiques du samsâra et du nirvâna seront revues et développées
dans l’Unité de Cours suivante : « Les fondements de la Doctrine ».

Kâçyapa se leva, s’éleva dans l’espace, redescendit,

Cette manifestation des grands pouvoirs du yogi permet à Kâçyapa de prouver qu’il reste
libre vis-à-vis du Bouddha et qu’il n’agit pas en étant « sous son pouvoir ». Il le reconnaît
comme Maître de son plein gré et sans rien perdre de ses capacités. L’épisode est important
car il s’apprête à accomplir une tâche des plus subalterne, a priori indigne de sa condition de
brahmane (Sâkyamuni n’est « que » un ksatriya !) et en contradiction avec sa renommée : il
se prosterne, lave les pieds du Bouddha, puis l’évente en restant derrière lui, comme un
esclave.

le Bienheureux leur prêcha graduellement la Doctrine et, par ses exhortations, il fit
naître en eux des pensées de joie

L’enseignement graduel est celui « réservé » aux laïcs, enseignement préparatoire qui doit
mener l’auditeur à vouloir embrasser la voie des renonçants. Il est décrit dans la phrase
suivante : « Ce qu’on appelle la Doctrine, c’est la doctrine du don, de la moralité et de la
renaissance au ciel. Il blâma l’impureté des plaisirs des sens [la vie de maison] et loua le
bonheur du renoncement [la vie sans foyer]. »
La « pensée de joie » (prasâda) est un sentiment complexe, mêlant joie, confiance et sérénité.
Il s’agit de la disposition d’esprit qui naît à l’audition de l’enseignement du Bouddha et qui,
en même temps, prépare à le comprendre et à le pratiquer. Elle est souvent associée à ce
qu’on appelle « l’entrée dans le courant » (ce qu’exprime l’expression de la phrase suivante :
« sachant par eux-mêmes qu’ils avaient acquis le Fruit de la vie religieuse ») : le moment où
l’auditeur du Bouddha n’a plus aucun doute quant à l’efficacité de l’enseignement. Il en
éprouve alors de la joie, parce qu’il sait qu’il y a une Délivrance possible et qu’il peut
l’atteindre, mais aussi de la confiance et de la sérénité, parce qu’il vient lui-même
d’expérimenter le pouvoir apaisant de l’enseignement du Bouddha et ne doute plus qu’il
mène bien à la Délivrance.

douze millions de dieux qui étaient venus écouter le Bouddha prêcher

Les dieux « montrent l’exemple » aux hommes en venant, eux aussi, écouter le Bouddha.

Nous prenons refuge…

Autre exemple d’anachronisme, ce paragraphe présente la cérémonie formelle de « prise des


Trois refuges » et l’énoncé des Cinq Préceptes qui constituent la base de la pratique laïque.
[ces thèmes seront développés dans l’Unité de Cours 4 : « Les pratiques »]

ces six souhaits se sont réalisés

Ces six souhaits (que Bimbisâra avait déjà évoqués lors de leur première rencontre) résonnent
de manière très étrange : comment un homme peut-il désirer explicitement un Bouddha (et

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non seulement d’être délivré de la souffrance) et connaître parfaitement les étapes formelles
de la conversion, alors qu’il vit à une époque où aucun Bouddha n’enseigne encore et que le
Dharma a disparu de toutes les mémoires depuis longtemps (conditions nécessaires pour
qu’apparaisse un nouveau samyaksam-buddha) ?…

en gardant le silence

Le silence est en effet la manière habituelle, pour un religieux, de signifier son acceptation
lors d’une invitation.

Ayant montré sa puissance prodigieuse par cette transformation magique

Exemple, récurrent dans les textes, du Bouddha qui manifeste sa puissance, après avoir
converti de nouveaux disciples. Un autre exemple célèbre est celui du « Grand Prodige » de
Srâvastî : invité à une joute oratoire par plusieurs maîtres opposés à ses idées, le Bouddha
parvient à démontrer sa supériorité par la seule parole. Telle est du moins la plus ancienne
version de l’épisode. Après quoi les traditions l’amplifieront en y ajoutant plusieurs
manifestations miraculeuses. La tradition pâli n’évoque d’abord qu’un seul miracle : à partir
d’un noyau de mangue, le Bouddha parvient à faire se dresser devant son auditoire un arbre
dont les branches atteignent jusqu’aux demeures des dieux… C’est « le Prodige sous le
manguier », abondamment figuré dans les pays du Sud-est asiatique. La tradition sanskrite du
nord-ouest de l’Inde, de son côté, préfère faire jaillir du sol un lotus à mille pétales large
comme une roue de char… C’est là l’origine du trône en forme de lotus que l’iconographie
reproduira sans cesse par la suite.
Mais le Grand Prodige, qui finira par être commun à toutes les traditions, consiste en une
lévitation au cours de laquelle le Bouddha fera jaillir des langues de feu de la partie
supérieure de son corps et des cataractes d’eau de la partie inférieure. Le souvenir de cet
exploit permettra à la communauté de Srâvastî, devenue très rapidement l’une des plus
importantes de toute la région, de bénéficier de nombreux dons de la part des pèlerins…

Çakra, le Souverain des Dieux, créa par magie un certain brahmane

Çakra (en pâli : Sakka), le Souverain des Dieux, est le nom donné par les bouddhistes au
dieu brahmanique Indra. Ce personnage est l’un des plus intéressants pour voir comment
les bouddhistes ont « récupéré » et réinterprété la mythologie brahmanique à leur profit.
Pour les brahmanes, Indra est le chef des dieux et c’est le plus « humain » d’entre eux. Il
est le seul dont on raconte la naissance, car il est aussi le seul à être né d’une femme, qui
accouchera de lui par le flanc droit. Jeune et beau, batailleur et vigoureux, il est le
« patron » des ksatriya (chefs de guerre et politiques). Il est connu pour ses dons de
magiciens et son rôle principal est celui de « Gardien du Dharma », c’est-à-dire de
protecteur de l’ordre cosmique. Sorte de justicier, son acte le plus célèbre est, au début du
monde, d’avoir « crevé » le démon qui retenait prisonnières les eaux nourricières. L’un de
ses symboles est le foudre (vajra), qui marque sa puissance, d’où il tire son surnom de
vajrapani (« porteur de foudre »). Il a pour animal fétiche un éléphant blanc à trois têtes,
souvent représenté par un éléphant blanc à six défenses.
Pour les bouddhistes, Çakra restera chef des dieux et gardien du Dharma, mais il s’agira
bien sûr, alors, du Dharma bouddhique… Il apparaît fréquemment, comme dans notre
texte, pour manifester sa vénération envers le Bouddha et inciter les auditeurs à suivre son
enseignement (afin de vivre en accord avec le Dharma). Ses dons de magicien se
manifestent clairement ici puisqu’il « crée par magie un certain brahmane », afin de rendre

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hommage au Bouddha… deuxième manifestation de la supériorité du Bouddha reconnue
par un représentant de la caste des brahmanes.
Les traits de sa légende propre seront transposés au profit du Bouddha lui-même : comme
lui, le Bouddha naît d’une femme par le flanc droit, et cette naissance est annoncée par un
rêve au cours duquel la future mère voit un éléphant blanc à six défenses lui pénétrer le
flanc droit.

Le rôle de provocateur d’un déluge primordial qui rend la terre féconde n’est pas sans
rappeler non plus certains traits associés à la naissance du Bouddha. Celle-ci est
traditionnellement fixée à la pleine lune du mois de Vesak (fin mai). A cette époque de
l’année, la chaleur est intense et toute la nature est desséchée. Au plus fort de la canicule,
les arbres qui semblent morts se couvrent soudain de fleurs, juste avant le début des
moussons (lorsque le Bouddha naît, une pluie de fleurs tombe du ciel). Le ciel déverse
alors des trombes d’eau, véritable déluge de pluies « libératrices » - comme le sera
l’Enseignement du Dharma – qu’on pourrait aussi associer aux deux pluies (l’une chaude,
l’autre froide) qui arrosent le Bouddha nouveau-né.
On ne peut s’empêcher de rapprocher ces caractéristiques « saisonnières » de la
symbolique de la naissance du Christ, fixée au solstice d’hiver, la nuit la plus courte de
l’année, qui annonce la lumière qui va renaître comme le Christ est la future « Lumière du
monde »… Les Indiens ont simplement choisi le phénomène météorologique saisonnier le
plus important, le plus vital pour eux : l’arrivée des moussons !

Gautama est le bateau de la Doctrine, le meilleur moyen pour traverser le fleuve des
transmigrations et atteindre l’Autre Rive

Comparaison très fréquente du « radeau » qui permet d’atteindre le nirvâna, l’autre rive du
samsâra (comme les parâmitâ sont « ce qui mène au-delà ») De manière générale, les
religieux sont appelés, en milieu brahmanique, les « passeurs de gué ». Mais il plutôt rare,
comme ici, que cette comparaison s’applique au Bouddha lui-même ; elle est généralement
réservée à la seule Doctrine (le Bouddha étant alors le passeur). Peut-être faut-il y voir une
illustration de l’idée que « qui voit le Bouddha voit le Dharma, qui voit le Dharma voit le
Bouddha ».
L’idée de la Doctrine comme « moyen de passage » sera amplement développée par la suite
avec l’idée de « Véhicule » (yâna).

Dès que le Bouddha connut ce que le roi des Magadha pensait dans son esprit, il alla,
suivit de la foule, au bois des Bambous.

Ce nouvel exemple de claire-audience favorise cette fois la pratique du don, alors que la
précédente se mettait au service de l’enseignement de la Doctrine. Ce sont là les deux
circonstances dans lesquelles le Bouddha peut utiliser ses pouvoirs, car il n’agit pas alors
sous le coup de l’orgueil ou d’une simple manifestation égotique. Au contraire, il s’agit de
favoriser la Délivrance des êtres et c’est sa compassion, seule, qui s’exprime ici (comme le
manifestera, un peu plus loin dans le texte, le fait que « le Bienheureux accepta ce parc avec
une pensée de bonté »).

prenant un vase d’or à ablutions, versa de l’eau sur les mains du Tathâgata

Ce geste de verser de l’eau sur les mains du bénéficiaire du don est une coutume
brahmanique. La biographie du Bouddha en donne un autre exemple célèbre, lors du combat
avec Mâra : appelée à témoigner en faveur du futur Bouddha, la déesse Terre prouvera la

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supériorité des actions méritoires de Sâkyamuni en tordant sa chevelure. Toute l’eau reçue
par la Terre, à chaque fois que le bodhisattva effectuait un don, se déverse alors en un déluge
qui met en déroute les armées de Mâra. L’épisode est souvent représenté au Cambodge.

la Communauté des quatre quartiers

L’expression désigne l’ensemble des disciples du Bouddha, présents et futurs, qui peuvent
venir des quatre points cardinaux, c’est-à-dire de la terre entière.

Parce que les parcs, matériels de parc, habitations, mobilier, vêtements, bols à aumônes,
sièges, aiguilles, étuis que possède le Tathâgata sont des stûpa

Superbe anachronisme que celui qui présente en partie la liste des seuls objets qu’un bhikkhu
peut posséder personnellement : vêtements, bol à aumône, aiguilles et leur étui (auxquels
s’ajouteront par la suite des sandales, une moustiquaire et quelques autres objets courants) !
En revanche, les propriétés mobilières et immobilières (parcs, matériels de parc, habitations,
sièges) sont la propriété exclusive de la communauté, dans son ensemble.
La référence à ces divers objets comme stûpa (reliquaires) est une particularité de l’école
Dharmaguptaka (ce texte est issu de leur Vinaya) que nous ne pouvons détailler ici.

il prononça ce vœu…

Ce vœu expose la « rétribution » méritoire de l’acte qui vient d’être accompli par le roi et
dont il bénéficiera dans une vie ultérieure [le système de rétribution des actes sera étudié dans
la prochaine Unité de Cours : « Les fondements de la doctrine »].
Métaphoriquement, le bois des arbres pourra servir à construire un pont permettant, comme le
radeau évoqué plus haut, d’accéder à « l’autre rive ». Et, de même que les bhikkhu pourront
bénéficier des fruits (au sens matériel) de ces arbres, ainsi que de la fraîcheur de l’eau des
bassins, ce don permettra à Bimbisâra de profiter du « fruit / résultat » de ces actes méritoires
qui « rafraîchiront sa demeure », c’est-à-dire qui rendront son « domaine d’existence » (sa
prochaine vie) plus agréable à vivre.

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SYNTHESE

1) Résumé du cours
2) Synthèse

1) Résumé du cours

Module 1 : le Bouddha

I. 1. Les textes et les monuments évoquant la biographie du Bouddha ne peuvent pas être
considérés comme des preuves historiques car ils datent de trois à six siècles après les dates
supposées de sa vie. Les événements de sa jeunesse (a priori les moins connus) y sont
particulièrement développés alors que ceux de sa vie de prédication sont quasiment passés
sous silence.
I. 2. Deux séries de noms sont utilisées à propos du Bouddha. La première (un état civil
comportant prénom, nom et surnom) est sans doute tardive et n’est quasiment pas employée
par ses disciples ; la deuxième (une série de noms évoquant sa supériorité) est indiquée, par le
Bouddha lui-même, comme celle qu’il convient d’utiliser à son égard.
I. 3. Parmi ces noms, le terme « buddha » est un titre qui n’est pas employé seulement pour le
« Bouddha historique ». Est buddha toute personne qui atteint l’Eveil (bodhi). La tradition
distingue trois sortes de buddha. Les plus élevés de cette hiérarchie sont les samyaksam-
buddha, qui parviennent à l’Eveil par leurs propres efforts et qui enseignent, comme c’est le
cas pour le Bouddha Sâkyamuni. Ils sont particulièrement rares.

II. 1. Le terme employé par le Bouddha pour parler de lui-même est celui de Tathâgata
(« Ainsi-allé »). Ce terme insiste sur des caractéristiques communes à tous les buddha,
établissant un modèle insurpassable et inaccessible à des personnes ordinaires.
II. 2. L’Eveil octroie en effet au Bouddha des « pouvoirs » de connaissance extraordinaires,
qui lui permettent d’enseigner à partir de sa propre expérience, mais il ne dispose d’aucun
pouvoir salvifique. Il est « Celui qui montre le chemin ».
II. 3. Pour concilier ces pouvoirs exceptionnels avec les caractéristiques humaines ordinaires
du Bouddha, on dit qu’il possède plusieurs « corps » : un corps « corruptible », comme tout
homme, la possibilité de créer des corps « illusoires », comme tous les grands yogis, et un
corps pur « de Dharma », propre aux seuls Bouddhas, dont il bénéficie depuis l’obtention de
l’Eveil et qui se manifeste par son accord avec l’Enseignement qu’il délivre.

III. 1. Ne peut devenir un Bouddha pleinement éveillé (samyaksam-buddha) que celui qui fait
le vœu d’atteindre l’Eveil, seul et sans aucune aide. Un tel être exceptionnel s’engage dans la
« carrière du bodhisattva », afin de mettre en pratique des qualités particulières (les
pâramitâ), au cours d’un nombre incalculable de vies successives (racontées dans des récits
appelés Jataka).
III. 2. La dernière vie du bodhisattva, au cours de laquelle il obtient l’Eveil, est caractérisée
par des événements que vivent tous les Bouddhas. Ceux-ci se déroulent selon un modèle qui
semble ne laisser aucune liberté au futur Bouddha.

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Module 2 : Sâkyamuni

I. 1. Dans les biographies tardives, pourtant, le Bouddha semble devenir plus humain. A
partir de schémas qui leur semble communs, les différentes écoles bouddhistes vont
développer des récits plus réalistes et les événements de sa jeunesse et des années qui
précèdent l’Eveil se présentent alors comme le modèle de la carrière spirituelle que peut vivre
chaque homme.
I. 2. L’exagération reste pourtant présente et le réalisme n’est qu’apparent. Les événements
racontés sont en fait surtout des illustrations de différents points de la Doctrine. La biographie
du bodhisattva (vies antérieures et dernière vie) apparaît plus comme une œuvre pédagogique
que comme un récit historique.
I. 3. La vie du Bouddha, à partir de l’Eveil, obéit elle aussi à ce principe : même ses traits les
plus « humains » (comme la maladie ou la mort) sont interprétés ou utilisés pour mettre en
valeur ses qualités exceptionnelles et démontrer la véracité de son Enseignement.

II. 1. Les biographes ont aussi pris soin d’intégrer la vie et la personnalité du Bouddha dans
les schémas de la mythologie indienne de l’époque, mais en la réinterprétant à leur avantage,
selon les normes de leur « nouvelle religion ». C’est le cas, notamment, pour le personnage
du « Grand Homme », dont la vocation n’est plus seulement de devenir un « Roi souverain »
(Çakravartin), mais qui peut aussi devenir un Bouddha.
II. 2. L’Ordre cosmique de la religion brahmanique est, lui aussi, réinterprété. Les dieux,
relativisés et dévalorisés, perdent leur pouvoir face au Bouddha, considéré comme bien
supérieur à eux. A l’instar des hommes, ils ont tout intérêt à devenir ses disciples.

III.1. Les récits évoquant les événements dans les jours qui suivent l’Eveil mettent en scène
plusieurs personnages typiques : laïcs marchands ou banquiers, brahmanes et rois. Ces
épisodes permettent d’expliquer et de préciser quelles doivent être les relations entre ces
divers groupes sociaux et la communauté des disciples du Bouddha. Certains faits concernant
des laïcs, sans doute réels, ont été réutilisés pour alimenter la biographie du Bouddha lui-
même.
III. 2. Présentée surtout dans le recueil de la discipline monastiques (Vinaya), la biographie
du Bouddha permet souvent, a posteriori, de justifier l’institution de règles beaucoup plus
tardives. Les indications qui apparaissent en introduction des sûtra (sur les circonstances dans
lesquelles les enseignements ont été donnés) servent aussi d’aide-mémoire aux bhikkhu pour
retrouver plus facilement un discours, notamment selon le personnage auquel il s’adresse.

IV. 1. Face à ces multiples interprétations possibles, les chercheurs occidentaux ont hésité
longtemps : le Bouddha n’était-il qu’une invention mythique ? Pouvait-on, en supprimant les
exagérations légendaires, retrouver l’homme réel ? On considère plutôt aujourd’hui que ces
textes nous renseignent sur la représentation que les différentes écoles du bouddhisme ancien
se faisait du Bouddha, en fonction de leurs propres choix doctrinaux.
IV. 2. Les biographes asiatiques modernes, eux-mêmes, continuent d’interpréter la vie du
Bouddha en fonction du public auquel ils s’adressent et de la présentation qu’ils souhaitent
donner de la doctrine.

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2) Synthèse

Module 1
Pour les écoles du bouddhisme ancien, le terme de bodhi (Eveil) est un mot courant qui
désigne l’expérience que chaque homme peut faire s’il suit la voie appropriée. Toute
personne ayant atteint l’Eveil a droit au titre de buddha. Il en existe un grand nombre,
aujourd’hui comme par le passé, comme il en existera aussi encore dans l’avenir. Cependant,
le titre de « Bouddha » est généralement réservé à un être exceptionnel (il n’en apparaît qu’un
seul à la fois par ère cosmique), dont le nom technique est samyaksam-buddha (complètement
et pleinement éveillé) Les autres types de buddha sont plus souvent appelés arhat.
Le Bouddha (samyaksam-buddha) se distingue de tous les autres parce qu’il est le seul à
pouvoir enseigner la voie qui mène à la bodhi. Il a en effet accédé à des connaissances
« supérieures » et bénéficie de « pouvoirs » particuliers qui en font un enseignant hors-pair,
mais il n’a pas la capacité de sauver quelqu’un par la grâce.
Il doit cette supériorité au vœu qu’il a prononcé (atteindre l’Eveil sans l’aide de quiconque)
qui l’engage dans la « carrière de bodhisattva ». Au cours d’un nombre de vies incalculables,
il met en pratique des qualités appelées parâmitâ, selon un schéma qui est le même pour tous
les Bouddhas, ce que manifeste le titre qu’il se donne à lui-même : Tathâgata (« allé ainsi »).
Bien qu’il reste soumis à la maladie, à la vieillesse et à la mort, le Bouddha est considéré
comme un être « sans supérieur » : non pas tant à cause de ses capacités à dominer l’esprit et
la matière (ce qui est le cas de tous les grands yogis), mais en raison de l’accord total qui
existe entre sa vie et son enseignement (le Dharma). On dit qu’il est pourvu d’un corps
entièrement pur, appelé « corps de Dharma ». Il ne correspond plus à la définition ordinaire
de ce qu’on appelle un « homme ».

Module 2
Les biographies de Sâkyamuni sont des créations tardives, fabriquées à partir d’éléments
épars dans des textes variés, dans lesquels la légende occupe une place importante. Ces
sources datent de plusieurs siècles après la vie supposée du Bouddha. S’ils comportent des
événements vraisemblables, il semble que certains d’entre eux n’aient pas concerné le
Bouddha lui-même, mais qu’ils lui ait été imputés après coup. On peut supposer que certains
éléments sont réels, surtout lorsqu’ils ne sont pas à l’avantage de ceux qui les ont transmis.
Les biographies se présentent surtout comme des œuvres pédagogiques qui permettent
d’illustrer, à travers la vie de Sâkyamuni, les points les plus importants de sa Doctrine. Toute
la période qui concerne sa naissance et sa jeunesse peut être lue comme un parcours
symbolique : celui d’un « apprenti bouddha ». De nombreux épisodes ont dû être inventés
après coup, dans un but pédagogique. Quant à sa vie de prédication, jusqu’à sa disparition,
elle insiste surtout sur les qualités qui font de lui un être supérieur. Les biographes n’ont pas
souhaité transmettre un récit historique mais plutôt un récit exemplaire de la pratique
bouddhiste et de ses avantages et une hagiographie du fondateur.
Ces récits nous donnent de nombreux renseignements sur la vie de la Communauté et sur ses
relations avec la société indienne de l’époque. Ils montrent notamment comment les
bouddhistes se sont réappropriés à leur avantage les mythes et des « lieux saints »
brahmaniques. Ils exposent des règles de conduites, valables pour les moines et les laïcs, et
expliquent de nombreuses coutumes en les justifiant a posteriori, comme s’ils avaient eu lieu
à l’époque du Bouddha lui-même.
Aujourd’hui encore, les bouddhistes continuent de présenter la vie du Bouddha en fonction de
l’enseignement qu’ils souhaitent mettre en valeur. Les chercheurs occidentaux, de leur côté,
souhaitent mettre à jour des données historiques fiables, mais les études qui sont menées
n’aboutissent qu’à des probabilités, souvent fragiles et encore controversées.

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BIBLIOGRAPHIE

x Ouvrages généraux

Le Bouddha, Véronique Crombé, éd. Desclée de Brouwer, Paris, 2000


Présentation nuancée, faisant la part de la légende et des vraisemblances historiques, dans la
droite ligne des travaux d’André Bareau. Niveau : accessible

Le Bouddha historique, H. W. Schumann, éd. Sully, Vannes 1999


Plutôt dans la lignée de l’école allemande initiée par Oldenberg, à la recherche de la vérité
historique par le dépouillement systématique de la légende. Certaines conclusions sont
contestables mais beaucoup d’informations sur l’Inde du Ve siècle av. J.-C. Niveau :
accessible

La sagesse du Bouddha, Jean Boisselier, éd. Gallimard, coll. Découvertes, Paris, 1993
Dans une collection connue pour sa richesse d’illustration, l’exposé traditionnel de la vie du
Bouddha accompagné de notices et de documents complémentaires. Niveau : facile

x Ouvrages plus approfondis

La vie du Bouddha, Alfred Foucher, éd. J. Maisonneuve, Paris, 1993


Très érudit mais agréable à lire ; le style est souvent ironique et daté, ce qui ne retire rien à la
valeur des recherches effectuées à partir de la confrontation des textes et des monuments. Un
classique. Niveau : difficile

Recherches sur la biographie du Buddha, André Bareau, éd. EFEO, Paris, 1995
Le « must »… mais seul le troisième volume est disponible, recueil d’articles complétant les
travaux systématiques que présentaient les deux premiers volumes. Niveau : universitaire

x Traductions de textes

En suivant le Bouddha, André Bareau, éd. Philippe Lebaud, Paris, 2001


Essentiellement des traductions de textes issus des Vinaya de plusieurs écoles du bouddhisme
ancien, accompagné d’une longue introduction et de notes éclairantes. Niveau : accessible

La voix du Bouddha, André Bareau, éd. Philippe Lebeau, Paris, 2001


Une version raccourcie du précédent. Niveau : accessible

Le dernier voyage du Bouddha, Môhan Wijayaratna, éd. Lis, Paris, 1998


La traduction intégrale du seul sûtra biographique du canon pâli (le Mahâ-parinibbâna-
sutta), suivie d’une très intéressante étude sur les circonstances et les « mobiles » de sa
rédaction. Niveau : difficile

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INTRODUCTION AU BOUDDHISME

Unité de cours 1

Questions-réponses des précédentes sessions

question 1 : Pourquoi le bodhisattva renonce-t-il à recevoir un enseignement ? ................................ p. 03


question 2 : Les trois corps du Bouddha ............................................................................................. p. 03
question 3 : Textes biographiques....................................................................................................... p. 04
question 4 : Liberté ou prédestination du bodhisattva......................................................................... p. 04
question 5 : Mâra ................................................................................................................................ p. 05
question 6 : Les dieux « Trente-trois »................................................................................................ p. 05
question 7 : Les trois types de buddha ................................................................................................ p. 05
question 8 : Symbolique de l'éléphant blanc ....................................................................................... p. 06
question 9 : Le pratyeka-buddha......................................................................................................... p. 06
question 10 : Connaissances "selon la réalité" ou "parfaites" ............................................................. p. 06
question 11 : Le Bouddha "surhomme" parce que "découvreur" ? ..................................................... p. 07
question 12 : Le çakravartin ............................................................................................................... p. 08
question 13 : Pourquoi subira-t-on d'intenses douleurs si l'on appelle le Tathâgata par son nom ? ... p. 08
question 14 : Connaît-on le nom de pratyeka-buddha et de srâvaka-buddha antérieurs ? ................. p. 09
question 15 : Chaque Bouddha fonde-t-il "son" bouddhisme ?........................................................... p. 09
question 16 : Ne peut-on devenir un bodhisattva qu'en dehors d'une période
où existe l'enseignement d'un Bouddha ? ...................................................................... p. 10
question 17 : Un bodhisattva se retire-t-il du monde ? ....................................................................... p. 10
question 18 : Les dieux Tusita ........................................................................................................... p. 11
question 19 : A propos de la "non-permanence" du Dharma ............................................................. p. 11
question 20 : Futurs sravaka-buddha et bodhisattva .......................................................................... p. 12
question 21 : Quelles relations entre le Bouddha et les dieux ? ......................................................... p. 13
question 22 : Comment prononcer le sanskrit et le pâli ? ................................................................... p. 13
question 23 : Qu'en est-il du « libre-arbitre » d'un Bouddha ? ........................................................... p. 14
question 24 : A propos de la littérature des écoles anciennes ............................................................ p. 15
question 25 : Le Bouddha : guide ou « sauveur » ? ........................................................................... p. 17
question 26 : Le « corps pur » du Bouddha......................................................................................... p. 18
question 27 : Question multiple sur « l'accès à la Délivrance » ......................................................... p. 20
question 28 : Pourquoi des srâvakabuddha continuent-ils de suivre le Bouddha ? ........................... p. 21
question 29 : Les miracles du Bouddha ............................................................................................. p. 22
question 30 : Tous les boudhas ne sont-ils pas un peu des srâvaka-buddha ? ................................... p. 23
question 31 : Le bodhisattva est-il un "élu" ? ..................................................................................... p. 24
question 32 : Pourquoi distinguer plusieurs types de buddha ? .......................................................... p. 24
question 33 : Le rôle du Çakravartin ................................................................................................. p. 25
question 34 : Combien de samyaksam-buddha un bodhisattva rencontre-t-il ? ................................. p. 26
question 35 : Beauté des corps et méditation des moines .................................................................. p. 27
question 36 : Amour bienveillant et Compassion .............................................................................. p. 27
question 37 : Bouddhisme et végétarisme .......................................................................................... p. 27
question 38 : Pouvoirs et magie... ...................................................................................................... p. 28
question 39 : A propos de Thich Nhat Hanh ...................................................................................... p. 29

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question 40 : Bouddhisme et nourriture (suite...) ................................................................................ p. 30
question 41 : Le Grand Homme peut-il choisir de devenir Bouddha ou "Roi à la roue" ? ................. p. 30
question 42 : A propos de la prédestination ....................................................................................... p. 31
question 43 : Sur les circonstances qui rendent incapables les pratyeka-buddha d'enseigner ............ p. 31
question 44 : Une conduite « incorrecte »........................................................................................... p. 32
question 45 : faut-il être moine pour sortir du samsâra ? .................................................................... p. 33
question 46 : Un futur samyaksam-buddha est-il « ambitieux » ? ..................................................... p. 33
question 47 : Existe-t-il actuellement des buddha ? ........................................................................... p. 34
question 48 : Un dieu (deva) peut-il devenir buddha ? ...................................................................... p. 35
question 49 : Le "Maître" dans les pays du Theravâda ...................................................................... p. 36
question 50 : L'extinction de l'arhat ................................................................................................... p. 36
question 51 : Les "corps illusoires" d'un buddha ............................................................................... p. 37
question 52 : Question « multiple » sur le bodhisattva, tel que le conçoivent les écoles anciennes ... p. 37
question 53 : Pourquoi Brahma doit-il inciter le Bouddha à enseigner ? ............................................ p. 40
question 54 : Quels sont les mérites de l'Arhat ou « Méritant » ? ....................................................... p. 40
question 55 : L'existence du Bouddha est-elle confirmée par une étude critique des textes ? ............ p. 41
question 56 : A propos des parâmitâ ................................................................................................... p. 42

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question 1 : Pourquoi le bodhisattva renonce-t-il à recevoir un enseignement ?
Je ne saisis pas très bien les raisons qui poussent le bodhisattva à renoncer à toute aide de la part des
autres buddha parfaits ? Il semble quand même que la rencontre avec un buddha parfait lui soit
toujours nécessaire, alors pourquoi dans ces conditions refuser le bénéfice de son enseignement ? Est-
ce pour nous rappeler que l'enseignement doit être redécouvert par chacun d'entre nous et qu'il ne peut
être accepté qu'après des investigations personnelles ? En quoi un éveil atteint sous l'effet d'un
enseignement reçu serait-il inférieur à un éveil atteint par soi-même exclusivement ? J'ai un peu de
mal à comprendre cette attitude, l'enseignement apporte-t-il des précisions sur ce point ?

réponse :
Effectivement, l'Eveil obtenu par un srâvaka-buddha (ou arhat) est considéré comme inférieur au
"plein et complet éveil" : pas du point de vue de la Délivrance, mais du point de vue des qualités
d'enseignant de ce buddha ! Un srâvaka-buddha n'a pas acquis assez d'expérience personnelle pour
pouvoir enseigner de manière efficace pour tous... il ne pourra que répéter l'enseignement qu'il a reçu,
à la lumière de l'expérience acquise surtout au cours de sa dernière vie. Alors qu'un bodhisattva
bénéficiera de l'expérience de toutes ses vies vouées à la pratique des pâramitâ. Comme on dit : "c'est
en forgeant qu'on devient forgeron" et le bodhisattva, par son cheminement solitaire, s'appuiera sur
l'immensité de son expérience personnelle de tous les états d'existence possible. Dans les écoles
anciennes, le bodhisattva profite de ses rencontres avec un samyaksam-buddha uniquement pour voir
confirmer son futur éveil et vérifier qu'il est bien sur la bonne voie. Mais il ne reçoit jamais
d'enseignement à proprement parler. S'il bénéficiait d'un enseignement, il deviendrait alors un
srâvaka-buddha !

question 2 : Les trois corps du Bouddha


Il est toujours un peu difficile de faire abstraction des enseignements que l'on a pu entendre
auparavant, surtout quand on ne les a pas vraiment compris ! J'ai souvent entendu parler d'une théorie
des trois corps du buddha, vous parlez également des corps du buddha, y-a-t-il un lien entre ces deux
approches ?
Plus précisément que deviennent les corps corruptibles, illusoires et le corps pur après le parinirvâna ?
Le corps pur subsiste-t-il ? L'hypothèse du corps pur est-elle la justification doctrinale du culte des
reliques ? Si le corps pur "subsiste" ou se situe hors du temps, que signifie alors le parinirvâna ?
Quelle relation pouvons-nous entretenir avec le Bouddha de notre ère ?

réponse :
La théorie des "trois corps" de Bouddha sera surtout formalisée par les écoles du Mahâyâna et donc
étudiée dans l'Unité de Cours 3. Les écoles anciennes n'en proposent qu'une "ébauche", pourrait-on
dire... assez différente en effet.
Le corps "corruptible" (il n'y en a qu'un !) est celui dont le Bouddha est doté au moment de sa
"naissance" physique et qui disparaîtra au moment de sa "mort" biologique : il est constitué de
matière et il n'en reste que quelques reliques, auxquelles sont associés parfois certains "pouvoirs"
(d'où la vénération qui les entoure ; notamment la célèbre "dent" qui est conservée à Ceylan, dans la
ville de Kandy). Mais ce sujet reste controversé...
Les corps "illusoires" ne demeurent pas puisqu'ils ne sont que les manifestations psychiques du
Bouddha, pendant sa vie, lorsqu'il veut se rendre visible à des êtres vivant dans d'autres domaines
d'existence (les dieux, uniquement).
Quant au corps de Dharma, pour les écoles anciennes, il est essentiellement symbolique et correspond
à l'enseignement délivré par le Bouddha ou, pendant sa vie "biologique", à ce que son corps
"corruptible" manifeste de cet enseignement, à travers les gestes et la parole. Le corps de Dharma n'a
donc aucune existence matérielle et ne peut subsister, ni dans le temps ni hors du temps... sauf si l'on
considère qu'il s'agit de la Doctrine (textes et paroles conservés par les disciples du Bouddha) ; dans ce
cas, ce "corps de Doctrine" durera autant de temps qu'il y aura de disciples pour le conserver et le
transmettre.

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En tout état de cause, on ne peut plus avoir aucune relation avec le Bouddha historique qui a
totalement "disparu" au moment du parinirvâna...
Nous reverrons cela à la fin de l'Unité de Cours 2.

question 3 : Textes biographiques


Pourriez-vous donner quelques précisions sur les biographies du Bouddha ? Je ne connaissais
l'existence que du « Lalitavistara », et je souhaiterais avoir quelques notions sur les autres biographies
que vous visez dans le cours.

réponse :
Le « Lalitavistara » est sans doute la plus "récente" des biographies du Bouddha... au point qu'on l'a
considérée parfois comme un texte relevant du Mahâyâna, datant du début de l'ère chrétienne. Oeuvre
écrite en sanskrit, présentant un récit complet et suivi, on en connaît plusieurs traductions en chinois et
en tibétain, preuve de sa popularité !
Parmi les sources "anciennes", la biographie la plus complète est celle qu'offre l'école Mahâsamghika
dans le texte intitulé « Mahâvastu » (le "Grand sujet"...) qui raconte les existences antérieures du
Bouddha (comme les récits des Jataka, du canon pâli) et la dernière vie, jusqu'à la conversion des
premiers disciples. Le vinaya des Dharmaguptaka offre aussi de nombreux récits complets (voir le
texte commenté du module 2 : "conversion du roi Bimbisara", qui est tiré de ce vinaya, et l'ouvrage
d'André Bareau signalé dans la bibliographie, d'où est issue la traduction que nous vous proposons).
La littérature pâli offre aussi plusieurs récits assez développés, notamment des vies antérieures du
boddhisattva, mais elles ont été rédigées, pour la plupart d'entre elles, du XIIe au XVIe siècles !!
En ce qui concerne les autres sources les plus anciennes (avant l'ère chrétienne), on en est réduit à
l'éparpillement de détails contradictoires les uns avec les autres, dans les sûtra et les vinaya (ce sont
ces documents qu'André Bareau étudie en détail dans ses trois ouvrages consacrés à "la Biographie du
Bouddha", cités dans la bibliographie).

question 4 : Liberté ou prédestination du bodhisattva


En réponse à la question sur la liberté et la prédestination du bodhisattva, peut-on dire qu'il est libre au
moins jusqu'à son voeu, jusqu'à son constat et sa résolution, et que par la suite plus il se rapproche de
la phase finale de l'Eveil il doit suivre avec de plus en plus de rigueur l'itinéraire unique ? Qu'en
prenant le voeu il renonce à "sa" liberté et doit pour cela développer énergie et patience ?

réponse :
Comme il était évoqué dans la "proposition de réponse", il est tout à fait difficile de répondre
strictement à cette question ! Certaines écoles évoquent en effet un moment où la carrière devient
"déterminée", supprimant ainsi toute liberté de choix au bodhisattva. Il est évident, d'autre part, qu'un
aspirant à l'Eveil (nous verrons mieux pourquoi dans la suite du cours) cherche à détruire toute
manifestation de "son" ego et que, s'il voulait conserver "sa" liberté, il s'agirait là bien sûr d'une
manifestation de cet ego... Effectivement, en s'engageant sur la voie des pâramitâ, le bodhisattva
renonce à "sa" liberté !
Quant aux pâramitâ que vous évoquez : la patience est surtout cultivée pour ne pas réagir
négativement aux actions négatives d'autrui, tandis que l'énergie concerne effectivement l'engagement
du bodhisattva vis-à-vis de lui-même et de la "mission" à laquelle il se voue.

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question 5 : Mâra
Quel rôle Mâra aurait-il joué lors de la mort du Bouddha ? Je pensais que son intervention se limitait à
l'affrontement sous l'arbre de l'éveil ! Quelle est l'évolution de Mâra ? Reste-t-il maître du samsâra ou
bien atteint-il également l'éveil ?

réponse :
Mâra intervient quelques semaines avant la mort du Bouddha pour lui rappeler qu'il doit mourir ! Lors
de l'Eveil, Mâra a tenté le Bouddha en lui proposant de gagner immédiatement le parinirvâna - ce qui
aurait fait de lui un pratyeka-buddha, non-enseignant... Le Bouddha refuse par compassion pour
l'humanité, sur intervention de Brahma, mais promet à Mâra qu'une fois le Dharma bien implanté dans
l'humanité, lorsque des disciples suffisamment bien instruits pourront le transmettre correctement, il
accèdera à la demande de Mâra et se retirera du monde. Cette ultime intervention de Mâra est racontée
dans le « Parinirvânasûtra ».
Mâra doit sa position de "régent du samsâra" à ses bonnes actions antérieures, notamment un grand
sacrifice qu'il a accompli dans une vie antérieure (c'est au nom de ce sacrifice qu'il dispute sa place au
Bouddha sous l'arbre de l'Eveil et qu'intervient alors la Terre pour témoigner en faveur du Bouddha). Il
occupera cette place tant que ses "mérites" ne seront pas épuisés... mais il lui faudra ensuite renaître
dans un autre état d'existence ! Quant à son avenir, certains textes évoquent en effet un temps où, rené
en tant qu'homme, Mâra pourra à son tour écouter et suivre l'enseignement d'un samyaksam-buddha et
parvenir ainsi à l'Eveil...

question 6 : Les dieux « Trente-trois »


Une question irrépressible : Pourquoi les dieux Tusita sont-ils surnommés "les Trente-trois" ?

réponse :
La réponse est simple : parce qu'ils sont trente-trois !! Ces dieux correspondent en fait au panthéon
brahmanique, tel qu'il était à peu près fixé, à partir des Veda, à l'époque où le canon bouddhique
ancien s'est lui-même fixé. Ce chiffre est symbolique et commun à d'autres civilisations indo-
européennes (le même chiffre 33 apparaît dans la religion iranienne). Il évoluera d'ailleurs par la suite,
d'abord arrondi à 30 (les "trois fois dix"), il passera ensuite à 3.303, puis à 33.333, puis encore à 33
millions, pour terminer par 330 millions !! La permanence du 3 doit être rapproché de la tri-partition
des sociétés indo-européennes : prêtres, guerriers et producteurs, les dieux étant eux-mêmes répartis
selon le même schéma : dieux souverains, dieux guerriers, dieux subalternes... Ces dieux Trente-Trois
(auxquels il faut ajouter Brahma, qui leur est supérieur) sont directement "récupérés" du brahmanisme.
Nous reviendrons sur les dieux dans l'Unité de Cours suivante...

question 7 : Les trois types de buddha


A propos de l'exposition synthétique des différences entre les trois catégories de buddha (parfait, pour
soi et auditeur), je souhaiterais connaître où se trouve dans les pitaka cet exposé aussi clair. Pouvez-
vous compléter le cours en apportant quelques références ?

réponse :
Les sûtra anciens ne présentent pas cette distinction. On ne peut que la déduire de la présentation qui
est faite des samyaksam-buddha et des arhat (considérés comme srâvaka-buddha) et de quelques
allusions au pratyeka-buddha... Ce n'est qu'après l'apparition du Mahâyâna, qui privilégiera les
samyaksam-buddha au détriment des deux autres types, que les écoles anciennes se mettront à débattre
du sujet et à prendre position, en réaction au Mahâyâna. Les références "formelles" ne pourraient donc

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être trouvées que dans les commentaires non-canoniques, postérieurs à l'ère chrétienne (les trois types
de buddha ne sont pas davantage évoqués dans l'abhidharma).
Encore une fois : employer l'expression d'écoles "anciennes" ne veut pas dire qu'on ne considère que
les textes d'avant l'ère chrétienne...

question 8 : Symbolique de l'éléphant blanc


Dans les "songes de Maya", le futur bouddha est un éléphant blanc pour devenir un être humain après
sa naissance. Quel en est la symbolique et existe-t-il un lien avec Ganesh ?

réponse :
L'éléphant, en Inde, est associé à la puissance et à la sagesse ; il symbolise le pouvoir qui règne par la
tempérance et la justice, son calme et sa placidité l'opposant ainsi à d'autres grands animaux sauvages,
comme les fauves (lion ou tigre), qui représentent davantage la force, plutôt violente et impulsive, des
chefs de guerre. Il est l'un des sept joyaux que possède le Roi universel (çakravartin) et donc
naturellement associé à l'idée de royauté. Comme nous le précisons dans le commentaire du texte du
module 2, il est associé, dans le brahmanisme, au dieu Indra, le "souverain des dieux". L'éléphant
associé au Boudha représente donc sa "royauté" spirituelle ("Je suis l'unique en ce monde", déclare le
Bouddha...), comme il représente la royauté "temporelle" du çakravartin ; la couleur blanche est, bien
entendu, celle de la pureté.
Cette association est bien antérieure à l'apparition du dieu Ganesh, qui ne s'impose réellement qu'à
partir du Ve s. après J.-C. Son culte, surtout présent dans l'Inde du Sud, semble avoir une origine très
régionale et avant tout totémique. Bien que doté d'une tête d'éléphant, Ganesh n'a rien d'un roi qui
règne par la justice : il est celui qui crée des obstacles ou permet de les éviter... Il doit sa popularité au
fait qu'on lui attribue, du même coup, le pouvoir d'accorder le succès. On l'invoque ainsi au début
d'une entreprise, en vue de s'attirer sa protection contre les obstacles qu'il faudra surmonter.

question 9 : Le pratyeka-buddha
Le pratyeka-buddha atteint l'éveil par ses propres efforts, mais est-ce délibéré (comme dans le cas du
parfait buddha) ou bien est-ce contingent ? Et quelle serait, selon vous, l'utilité de cette triple
distinction parmi les buddha ?

réponse :
Avant toute chose il faut se souvenir que la "formalisation" des trois types de buddha est relativement
tardive et ne s'est fixée réellement qu'en réaction aux enseignements des écoles mahâyâniques (début
de l'ère chrétienne).
Le cheminement solitaire du pratyeka-buddha est dû au fait qu'il vit à une époque où l'enseignement
d'aucun samyaksam-buddha n'est accessible ni diffusé. On peut alors dire, pour reprendre vos
expressions, que cette solitude est "contingente", car due aux seules circonstances. Le pratyeka-
buddha ne "désire" pas, en effet, cheminer seul pour pratiquer les pâramitâ, mais il chemine en
solitaire parce qu'il ne peut pas faire autrement...
L'intérêt d'un tel "concept" est double :
- d'abord parce qu'on affirme ainsi que le nirvâna et le Dharma (en tant que Loi universelle) sont
toujours accessibles et "existent" donc indépendamment de l'expérience qui peut en être faite : il ne
s'agit pas d'un "projet divin", appelant une participation humaine pour "être" réellement ;
- ensuite que Dharma et nirvâna sont accessibles, par expérience directe, à quiconque fait ce qu'il faut
pour cela, même en l'absence d'un samyaksam-buddha et de son enseignement. Cet accès ne dépend
donc ni d'une révélation (comme c'est le cas dans la plupart des religions) ni d'un enseignement
(Dharma en tant que Doctrine) ou d'un enseignant particulier, qui serait le seul vecteur possible de

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cette expérience (cf. le Christ déclarant : "Je suis la Voie. Qui veut aller au Père doit passer par moi"
ou les brahmanes, seuls détenteurs des rituels).
Nous reverrons ces aspects, de manière plus développée, dans le premier module du cours suivant...

question 10 : Connaissances "selon la réalité" ou "parfaites"


Je ne perçois pas très bien la différence entre la connaissance "selon la réalité" et la "connaissance
parfaite" introduite dans la classification des pouvoirs acquis au moment de l'éveil, pouvez-vous
apporter quelques précisions ?

réponse :
Les connaissances "selon la réalité" sont accessibles à tous, bouddhistes ou non bouddhistes, selon des
degrés divers... Ainsi connaître "les diverses inclinations et les comportements des êtres vivants"
relève-t-il de la simple psychologie ! De même la connaissance du karma ("les causes et les conditions
et les conséquences des actes") est-elle accessible à tous et tout "apprenti-bouddha" (vous et moi...) est
censé pouvoir en faire l'expérience directe. C'est l'amplitude de cette connaissance (ou "omniscience")
qui caractérise le samyaksam-buddha : lui seul, en raison de son parcours de bodhisattva, a acquis un
degré de connaissance "sans supérieur" (anuttara) dans de tels domaines.
En revanche, les connaissances "parfaites" relèvent du seul parcours "bouddhiste" puisqu'elles ne sont
acquises qu'avec l'extinction de l'Ignorance. Nous reviendrons plus longuement sur ce sujet en toute
fin du cours suivant (4e module), qui traitera précisément de l'expérience de l'Eveil (bodhi)
proprement dit.

question 11 : Le Bouddha "surhomme" parce que "découvreur" ?


Peut-on considérer le Bouddhisme comme une réelle découverte, et dans ce cas Sâkyamuni pourrait en
effet être considéré comme un "surhomme", ou n'est-ce en réalité qu'une évolution plus ou moins
logique de l'Hindouisme ?

réponse :
Au risque de vous décevoir (temporairement, je l'espère...) je ne vais pas répondre directement à votre
question ; "l'originalité" du bouddhisme, par rapport aux religions indiennes, sera en effet traitée dans
le premier module de l'Unité de Cours suivante...
En revanche, je souhaite préciser deux points que soulève votre question.
1) un point de vocabulaire : la religion indienne, contemporaine du bouddhisme ancien, n'est pas
l'hindouisme mais le brahmanisme. L'hindouisme est un ensemble de courants, complexe, qui s'est
développé en Inde surtout à partir de l'ère chrétienne et, en grande partie, parallèlement et, tout à la
fois, en réaction au bouddhisme. Ainsi, par exemple, il existe un tantrisme hindou comme il existe un
tantrisme bouddhiste, et l'hindouisme a aussi "intégré" des données propres au bouddhisme : Bouddha
est ainsi parfois considéré comme un "avatar" du dieu hindou Vishnou...
L'hindouisme est donc une évolution du brahmanisme ancien, contemporaine de l'apparition des
écoles du Mahâyâna qui constituent elles-mêmes une évolution du bouddhisme ancien.
2) votre question suppose d'autre part que la qualité de "surhomme" du Bouddha serait liée à
l'originalité de la pensée bouddhiste, considérée comme une "découverte" inouïe jusque-là. Je ne pense
pas qu'il y ait obligatoirement une corrélation entre ces deux points... En tout cas, pour les bouddhistes
eux-mêmes, la qualité "surhumaine" du Bouddha ne dépend pas d'une telle "découverte" (originalité
par rapport au contexte religieux de son époque) puisqu'il est affirmé que le Dharma a déjà été
enseigné autrefois, par d'autres samyaksam-buddha, et qu'il pourra l'être à nouveau, dans le futur.
Si le Bouddha peut être considéré comme "surhumain", c'est donc en raison d'autres critères, internes
au bouddhisme lui-même. Lesquels ?... Vous devriez normalement trouver vous-même la réponse dans
le cours, car elle y est exposée !

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Ce point est important pour l'évolution ultérieure du bouddhisme et j'invite chacun à vérifier par soi-
même qu'il a bien été assimilé ! Ce thème peut aussi faire, tout naturellement, l'objet de discussion sur
le Forum...

question 12 : Le çakravartin
A propos du "çakravartin", le "Monarque à la roue" : s'agit-il d'une notion préexistante au bouddhisme
et déjà utilisée par la société brahmanique ou bien s'agit-il d'un concept développé dans le cadre du
bouddhisme à partir de l'épisode de la prédiction des devins ?

réponse :
La notion de çakravartin existait déjà avant l'apparition du bouddhisme mais cet idéal était alors
présenté conformément à l'idéologie brahmanique : ce "prototype" du souverain était un ksatriya élevé
au rang de modèle, en accord avec la tripartition de la société indo-européenne et donc, avant tout, un
guerrier. Conformément à son "rôle" (cf. le cours – UC1, module 2), il devait agir à l'instar des "dieux-
guerriers", c'est-à-dire avec violence, voire brutalité...
Il est dans "l'Ordre dharmique" brahmanique qu'un guerrier agisse avec force et puissance !
C'est le bouddhisme qui, en réinterprétant son rôle à la lumière du Dharma bouddhique, fera du
çakravartin un roi de Justice, un souverain "spiritualisé", et non plus un roi-guerrier, comme le marque
bien le "choix" proposé au Grand Homme : soit devenir un Bouddha, soit devenir un çakravartin. Dans
les deux cas, il s'agit alors de respecter le Dharma bouddhique, c'est-à-dire user de la vision juste dans
le but de faire disparaître la souffrance.
Le meilleur exemple de la distinction qu'on peut faire entre ces deux versions (brahmanique et
bouddhique) est encore le roi Asoka lui-même : d'abord farouche conquérant par les armes, n'hésitant
pas à tuer plusieurs milliers de personnes pour agrandir son empire (exemple type du ksatriya
brahmanique) puis, une fois converti au bouddhisme, régnant par la paix, construisant des hôpitaux,
aménageant des auberges équipées d'abreuvoirs le long des grandes routes de commerce...
Il s'agit là, encore une fois, d'un bon exemple de "réinterprétation" bouddhiste d'un concept déjà
présent dans le brahmanisme.

question 13 : Pourquoi subira-t-on d'intenses douleurs si l'on appelle le Tathâgata par son nom ?
Pouvez-vous faire un commentaire, donner une interprétation, de la dernière phrase du texte, extrait du
vinaya des Dharmaguptaka, cité page 11 : « ...Si donc vous appelez le Tathâgata par son nom
personnel, pendant très longtemps vous subirez d'intenses douleurs. » ?

réponse :
Effectivement, cette phrase a de quoi surprendre ! Il est d'ailleurs difficile de l'expliquer alors que nous
n'avons pas encore étudié en détail les fondements de la doctrine.
Disons simplement pour l'instant que, pour le bouddhisme, l'idée qu'une personne puisse exister « en
soi » constitue une « opinion erronée » et qu'une telle opinion est justement ce qui provoque douleurs
et souffrances. Or, attribuer un « nom personnel » à un individu est une manière de le singulariser, de
le distinguer, de le présenter comme « existant en soi ».
En contre-exemple, on pourrait citer le moine Nagasena (protagoniste d'un texte célèbre, que nous
aurons l'occasion d'évoquer dans la suite de ce cours : « Les Questions de Milinda ») qui, lorsqu'on lui
demande son nom, répond : « On me nomme Nagasena » et non pas « Je me nomme Nagasena ». Il
veut ainsi montrer que le nom qui lui est donné n'est qu'une sorte d'étiquette qui lui est appliquée, mais
qu'elle ne correspond à rien de vrai en Réalité. Lui-même déclare dans la suite du texte : « Bien que les
parents choisissent pour leur enfant un nom tel que Nagasena, Suranesa, Viranesa ou Sihanesa, ce n'est
là qu'une dénomination, une désignation, une appelation, un usage commun : aucune personne ne se

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trouve [derrière ce nom] ». Et cette réplique servira à introduire une très célèbre comparaison entre le
« Soi » et un char. que nous étudierons dans l'Unité de Cours 2 !
La phrase que vous citez est très vraisemblablement un ajout assez tardif à cet épisode célèbre du
premier enseignement du Bouddha. Le Bouddha n'ayant pas encore enseigné aux cinq ascètes, il est
normal que ceux-ci s'adressent à lui en utilisant son nom. En revanche, il serait absurde qu'ils
continuent de l'utiliser après avoir entendu son enseignement, et s'ils l'ont bien compris. Il faut donc la
comprendre comme un avertissement : « Si vous continuez d'appeler le Bouddha par son nom
personnel, c'est que vous croyez encore qu'il existe une personne derrière un nom, que vous n'avez pas
compris mon enseignement et vous vous exposez ainsi à souffrir en raison de cette opinion erronée ».
Cette phrase est donc aussi un bon exemple de « l'habillage » qu'a subi la biographie du Bouddha :
nombre de formules, comme celle-là, ayant été ajoutées a posteriori, beaucoup plus à destination des
auditeurs des siècles suivants (qui, eux, connaissent déjà la Doctrine !) qu'aux cinq ascètes auxquels le
Bouddha est censé s'adresser à ce moment-là.

question 14 : Connaît-on le nom de pratyeka-buddha et de srâvaka-buddha antérieurs ?


Dans le « Mahâ'padanâ-sutta » le Buddha Sâkyamuni énumère les six Samyaksam-buddha qui l'ont
précédé (Vipassi, Sikhi, Vessabhu, Kakusanda, Konagamana, Kassapa) mais connaît-on le nom et la
vie des pratyeka-buddha et des srâvaka-buddha ?

réponse :
Votre question est tout à fait intéressante.
Quelques textes, en effet, donneront les noms de pratyeka-buddha et de srâvaka-buddha antérieurs (ce
qui est d'ailleurs le cas dans notre texte, quand on précise que Vipassi avait « deux heureux disciples
principaux, nommés Khanda et Tissa », que l'on doit donc considérer comme deux srâvaka-buddha :
ils sont « heureux » car ils ont atteint l'Eveil - et sont donc « buddha » - en étant « auditeurs » de
Vipassi - donc « srâvaka » ). Mais, à dire vrai, on ne s'intéressera guère à eux !
Ce qui importe avant tout, c'est qu'il y ait dans le monde des samyaksam-buddha, capables d'enseigner
la Doctrine pour le bien de toute l'humanité... Les pratyeka-buddha, eux, n'enseignent pas ! Et les
srâvaka-buddha ne font que transmettre l'enseignement qu'ils ont reçu d'un samyaksam-buddha. Seuls
ces derniers importent donc réellement...
On en citera pourtant quelques-uns, ne serait-ce que pour montrer que l'enseignement d'un
samyaksam-buddha mène bien effectivement ses auditeurs jusqu'à l'Eveil, et ces srâvaka-buddha
antérieurs apporteront ainsi la preuve de l'efficacité de l'enseignement donné par un samyaksam-
buddha. Quant aux pratyeka-buddha, leur existence veut démontrer que l'Eveil est accessible à tous,
indépendamment du fait qu'il y ait ou non un samyaksam-buddha.
Ce qui importe avant tout aux premiers bouddhistes, c'est que l'enseignement délivré par Sâkyamuni
évite aux hommes qui souhaitent la Libération d'avoir à parcourir eux-mêmes, seuls, ce long
cheminement que le bodhisattva a lui-même parcouru. Un seul samyaksam-buddha par ère cosmique
« suffit » pour assurer la Libération de milliers de personnes, sur des dizaines de générations... à
condition, cependant, que cet enseignement soit pieusement conservé tel qu'il a été énoncé, sans
déformation ni mauvaise interprétation !! Or, si l'enseignement des Bouddha antérieurs s'est perdu,
c'est que ses disciples (ou les disciples lointains de ses premiers disciples...) n'ont pas su conserver
correctement cet enseignement...

question 15 : Chaque Bouddha fonde-t-il "son" bouddhisme ?


Si durant le temps (ères cosmiques) entre chaque apparition d'un Tathâgata le « Bouddhisme »
« n'existe » pas, peut-on dire que chacun des Samyaksam-buddha a été à chaque fois le fondateur du
bouddhisme, et qu'il en sera ainsi dans le futur ?

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réponse :
On peut le dire, en effet... Nous verrons, dans la deuxième Unité de Cours, que l'enseignement d'un
Bouddha, le « Dharma », est considéré comme un phénomène comme les autres, soumis à la non-
permanence : « tout ce qui est soumis à la naissance est soumis à la disparition » et l'enseignement du
Bouddha, parce qu'il apparaît un jour, doit forcément, lui aussi, disparaître ! Aussi chaque samyaksam-
buddha « recrée-t-il » un nouveau Dharma, un nouvel enseignement, compatible avec la situation de
l'humanité au moment où il apparaît dans le monde.
On peut donc considérer qu'à chaque apparition d'un nouveau samyaksam-buddha, un « nouveau
bouddhisme » apparaît lui aussi.

question 16 : Ne peut-on devenir un bodhisattva qu'en dehors d'une période où existe


l'enseignement d'un Bouddha ?
« Ne peut devenir un Bouddha pleinement éveillé que celui qui fait le voeu d'atteindre l'Éveil, seul et
sans aucune aide. » Est-ce que cela induit que seul les êtres qui prennent le voeu d'atteindre l'éveil
pour le bien des êtres, en dehors d'une période où la doctrine d'un Bouddha est répandue, peut
atteindre l'état de samyaksam-buddha ? (les pratiquants bouddhistes qui prennent les voeux de
bodhisattva ne sont pas seuls et sont aidés - par leur maître, l'enseignement du bouddha, la
communauté des pratiquants - n'est-il pas ?)

réponse :
Vous faites allusion, dans la parenthèse qui clôt votre question, à un point de doctrine qui n'existe pas
dans le bouddhisme ancien, mais qui n'apparaîtra que bien plus tard, aux environs de l'ère chrétienne,
avec le Mahâyâna... que nous n'étudierons que dans l'Unité de Cours 3 !!
Comme quoi il est bien nécessaire « d'oublier » ce que vous savez déjà, si vous voulez réellement
appréhender correctement cette doctrine « ancienne » !!
Selon cette dernière, le point capital - ce qui fait l'originalité d'un bodhisattva - c'est justement de
renoncer à recevoir tout enseignement et de redécouvrir par lui-même, sans aide, l'accès à l'Eveil. Cela
dit, c'est en rencontrant - dans un passé très lointain - un précédent samyaksam-buddha, que cet
homme décide de s'engager dans la voie du bodhisattva. Il prend donc son voeu dans une période où
existe un samyaksam-buddha et où la doctrine qu'il enseigne est répandue et accessible : lui seul
renonce à écouter cet enseignement, lui seul renonce à se libérer tout de suite - comme il en aurait la
possibilité en écoutant, en devenant un srâvaka-buddha - afin de pouvoir lui-même, bien plus tard, être
secourable aux hommes des générations à venir.
Il ne renonce donc pas à l'Eveil, mais seulement à parvenir à cet Eveil en étant un simple "auditeur".

question 17 : Un bodhisattva se retire-t-il du monde ?


J'avais cru comprendre qu'un bodhisattva faisait le voeu de ne pas se « retirer » du monde tant que tous
les êtres n'auraient pas atteint l'éveil. L'interprétation est-elle différente suivant les écoles ?

réponse :
Il s'agit, là encore, d'un point qui sera développé ultérieurement, par le Mahâyâna... Et encore cette
idée est-elle en partie fausse ! Tous les bodhisattva ne font pas ce voeu. Mais nous reverrons cela en
son temps !!!
De toute façon, un bodhisattva ne se « retire » pas du monde, puisqu'il y chemine tout au long de sa
carrière... et qu'il n'a pas la possibilité de « ne pas renaître », puisque cette possibilité n'apparaît
qu'avec l'obtention de l'Eveil : il ne peut donc se « retirer » du monde qu'une fois devenu Bouddha, pas
avant ! Tant qu'il n'a pas obtenu l'Eveil, il renaît en fonction de ses actions (comme nous le reverrons
plus loin), comme n'importe quel autre être vivant. et, donc, il « reste » dans ce monde !

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question 18 : Les dieux Tusita
A différentes reprises, il est fait mention des dieux Tusita ou « Bienheureux » (p. 45) ou de l'état
céleste Tusita (bas de la p. 36). De quoi s'agit-il exactement ?

réponse :
Nous reparlerons plus en détail des « dieux » (deva) dans l'Unité de Cours suivante.
Ces dieux Tusita correspondent en fait au panthéon brahmanique, tel qu'il était présenté à l'époque du
Bouddha. Ils regroupent 33 divinités (d'où aussi le nom de « dieux Trente-Trois ») que le bouddhisme
a, en quelque sorte, « récupérés » du brahmanisme pour en faire des dévôts et des protecteurs du
Bouddha ! Une manière « habile », pour les premiers bouddhistes, de placer leur Maître au-dessus des
dieux... Leur caractéristique principale est d'être des « Bienheureux » (signification du terme Tusita),
c'est-à-dire de ne pas connaître la souffrance que connaissent les hommes. Mais cela, pour les
bouddhistes, n'a rien d'un avantage, bien au contraire !!
Traditionnellement, les bramanistes plaçaient à la tête de ces dieux le dieu Indra, que les bouddhistes
appellent Sakka (il apparaît dans le texte commenté du deuxième module), comme une sorte de « roi
des dieux ». Au-dessus de ces « Trente-Trois » on trouvait enfin le dieu Brahma, considéré comme le
créateur de l'univers.
Nous reverrons tout cela dans l'Unité de Cours 2...

question 19 : A propos de la "non-permanence" du Dharma


A propos de la réponse à la question n° 15 sur « l'enseignement d'un Bouddha considéré comme un
phénomène comme les autres, soumis à la non-permanence ».
Cette loi de la non-permanence n'est-elle pas paradoxalement immuable, et l'enseignement de chaque
samyaksam-buddha n'est il pas basé sur cette constatation ? Ce qui fait que l'enseignement est une Loi
Eternelle (esa dhammo sanantano : « c'est une Loi Eternelle ».)
[Cf. Dhammapada, Versés Conjugués n° 5 : « Jamais la haine n'éteint les haines en ce monde. Par
l'amour seul les haines sont éteintes. C'est une Loi Eternelle. » A moins que cette « loi ancienne »
(autre traduction) désigne les lois védiques dans le cas particulier de ce verset.]
De même la loi de « co-production conditionnée » s'applique, qu'il y ait un Bouddha ou pas.
Cf. Samyutta Nikaya XII.20 : « Now what is dependent co-arising ? From birth as a requisite
condition comes aging & death. Whether or not there is the arising of Tathagatas, this property
stands -- this regularity of the Dhamma, this orderliness of the Dhamma, this this/that conditionality.
The Tathagata directly awakens to that, breaks through to that. Directly awakening & breaking
through to that, he declares it, teaches it, describes it, sets it forth. He reveals it, explains it, makes it
plain, & says, 'Look.' From birth as a requisite condition comes aging & death.(...) »
[Translated from the Pali by Thanissaro Bhikkhu ; texte disponible sur le site Access to insight : ]
Qu'un Tathagata apparaisse ou pas, cette propriété (la « co-production conditionnée ») s'applique.
Ce qui fait de chaque samyaksam-buddha un « re-découvreur » de cette loi et que s'il re-crée un
« nouveau bouddhisme », les bases de celui-ci sont néanmoins communes à toutes les ères cosmiques.
Qu'en penses tu ?

réponse :
Question savante... à laquelle il va me falloir répondre sans oublier les "débutants" !
Comme je l'ai déjà dit en réponse à la question n° 3, nous aborderons les différents sens du mot
Dharma au début de l'Unité de Cours suivante... Disons simplement, pour l'instant, que j'évoquais
dans ma réponse le Dharma en tant que Doctrine, ou "enseignement du Bouddha", et non pas le
Dharma en tant que "Loi universelle", telle que le terme est employé dans le verset du Dhammapada
[il ne désigne pas, ici, le Dharma védique, mais bien le Dharma tel que l'envisagent les bouddhistes].
Si le "Dharma-Doctrine" est bien soumis à la non-permanence, le "Dharma-Loi", lui, est éternel.

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La confusion possible vient, bien évidemment, de ce que le bouddhisme emploie le même terme pour
désigner deux réalités d'ordre différent... ce que nous verrons plus précisément dans l'UC2 [en ce qui
concerne la "co-production conditionnée", nous ne l'aborderons que dans le module 3 de l'UC2, c'est-
à-dire à partir du 13 janvier seulement...].
Je ne peux pas en dire plus pour le moment... sinon que les remarques et les citations sont tout à fait
appropriées, mais seulement en ce qui concerne le "Dharma-Loi" !

question 20 : Futurs sravaka-buddha et bodhisattva


Les disciples du Bouddha ont-ils atteint l'Eveil ? Si oui, ils sont donc devenus « çrâvaka-buddha ».
Quelle place l'hagiographie leur fait-elle ? Sinon, s'ils n'ont pas atteint l'Eveil, en dépit de leur chance
d'être auditeurs du Bouddha lui-même, comment un mortel d'aujourd'hui (si éloigné de ce temps-là et
vu l'extrême rareté des êtres devenus buddha - sans parler du samyaksam-buddha) peut-il prononcer
des voeux de bodhisattva pour une réalisation aussi aléatoire ? On est loin du pari de Pascal où l'on a
une chance sur deux de gagner !
Alors quelle valeur accorder à tous ces voeux de bodhisattva, que l'on prononce ou incite à prononcer
aujourd'hui, dans notre beau pays de France ? Est-ce différent en Asie, dans les contrées où le
bouddhisme est resté vivant ?
Ou bien la définition de bodhisattva a-t-elle tellement évolué dans le temps qu'elle est devenue
synonyme « d'apprenti buddha » accessible à tous ?

réponse :
Votre interrogation comporte deux questions...
1) Les disciples du Bouddha devenus srâvaka-buddha - ou plutôt arhat, puisque c'est le terme
consacré... - sont, bien entendu, abondamment cités dans les textes bouddhiques.
Il s'agit, pour ne citer que les plus importants, de Sâriputra et Maudgalyâyana, Ananda et
Mahâkasyapa... On les présente comme de grands accomplis (arhat) mais aussi comme de grands
enseignants : c'est-à-dire comme des disciples capables d'expliquer correctement l'enseignement du
Bouddha, puisqu'aucun d'eux n'enseigne autre chose que "l'enseignement spécifique aux Bouddhas" [il
ne faut jamais oublier cette absence totale de caractère "personnel" de l'enseignement bouddhique...],
souvent salués par le Bouddha lui-même, auquel on rapporte leurs paroles et qui déclare : "C'est parfait
! Je n'aurais pas dit mieux" (ou quelque chose d'approchant...)
En dehors de ces "grands" disciples, on trouve mention de nombreux autres "éveillés", surtout chez les
bhikkhu (hommes et femmes) mais aussi chez les laics ! Ils se comptent par centaines... Tous ont
atteint la même Libération que le Bouddha lui-même ("il n'y a qu'une seule saveur à la Libération"),
même s'ils ne sont pas parvenus à cette Libération par leurs seuls efforts individuels mais avec l'aide
de l'enseignement d'un samyaksam-buddha.
Pour devenir un arhat, il n'est pas nécessaire d'entendre le Bouddha lui-même, mais seulement
"l'enseignement spécifique aux Bouddhas"... Aussi, si celui-ci est bien transmis, la possibilité
d'atteindre l'Eveil reste-t-elle possible durant de nombreux siècles ou millénaires ! La question s'est
posée, en effet, au fil du temps, de savoir si la transmission n'avait pas été fautive [c'est une question
qui occupera beaucoup, notamment, les bouddhistes d'Extrême-Orient...] et s'il était encore possible
d'atteindre l'état d'arhat. On considéra, à Ceylan, aux environs du XIVe siècle, qu'il n'était plus
possible de devenir arhat... mais certains maîtres contemporains, au XXe siècle, sont pourtant
considérés comme des arhat !
Comme la tradition veut que seul un buddha soit capable de reconnaître un autre buddha, ce n'est pas
moi qui trancherais la question !! Disons simplement que les avis divergent...
2) Les voeux de bodhisattva auxquels vous faites allusion ne concerne pas le bouddhisme ancien, ni
non plus l'école Theravâda qui s'en réclame aujourd'hui ; ils sont typiques des écoles du Mahâyâna !
En quelque sorte, vous apportez vous-même la réponse à votre question lorsque vous dites : « La
définition de bodhisattva a-t-elle tellement évolué dans le temps qu'elle est devenue synonyme
"d'apprenti buddha" accessible à tous ? »

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En effet, il s'agit d'une évolution, apparue aux alentours de l'ère chrétienne, qui va profondément
bouleverser l'enseignement bouddhique et sera l'occasion de nombreuses controverses entre les écoles
dites du "bouddhisme ancien" et celles du "Grand Véhicule". C'est même à cause de cette évolution
que les mahayanistes affubleront leurs détracteurs du qualificatif méprisant de "tenants du Petit
Véhicule" !!
Nous reverrons tout cela lorsque nous aborderons le Mahâyâna...

question 21 : Quelles relations entre le Bouddha et les dieux ?


Il est expliqué dans le cours que le samyaksam-buddha est au dessus des dieux. Parle-t-on des dieux
du panthéon hindouiste ? Et s'il est au-dessus des dieux, est-il un dieu lui-même ? Ou bien sert-il les
autres dieux ?

réponse :
La question des dieux sera traitée plus précisément dans l'Unité de Cours suivante (UC2 - module 2).
Un peu de patience...
Disons pour l'instant que, bien évidemment, il est fait référence ici aux dieux du panthéon
brahmanique (l'hindouisme est une forme plus tardive de la religion indienne, qui n'apparaîtra qu'aux
débuts de l'ère chrétienne, alors que nous nous situons, pour l'instant, au Ve siècle avant Jésus-
Christ...). Le samyaksam-buddha n'est pas un dieu et, s'il leur est supérieur, on ne peut donc pas dire
qu'il les "sert" !
Nous verrons que, pour le bouddhisme, les dieux sont des êtres sensibles, certes "supérieurs" aux êtres
humains (et plus encore animaux et infernaux...), mais qui se touvent, tout comme eux, enfermés dans
le "cercle vicieux" du samsâra, le "cycle des renaissances". Or le Bouddha, lui, est définitivement
"sorti" du samsâra.
Si les dieux ont quelques "pouvoirs" à l'intérieur de ce samsâra (pour accorder de la pluie, des
enfants ou la fortune...), en revanche ils ne peuvent aider en rien les autres êtres à en sortir...
puisqu'ils y sont eux-mêmes "coincés".
Seul un Bouddha, parce qu'il est "sorti" du samsâra, peut offrir aux autres, grâce à son enseignement,
l'accès à cette Voie de sortie ! C'est en ce sens qu'il faut comprendre qu'il est "supérieur" aux dieux.

question 22 : Comment prononcer le sanskrit et le pâli ?


Je me pose une question à la lecture (passionnante et parfois déroutante : mais, cela, je le réserve pour
le Forum) du cours que j'ai reçu : comment prononcer, ne serait-ce que mentalement, les mots
sanskrits et pâlis dont le texte est naturellement truffé ? Pour les mémoriser au mieux, j'ai un peu
besoin de leur musique. Mais toutes les lettres se prononcent-elles ? Comment les nombreux « a »
sont-ils vocalisés (y a-t-il un son « a » et un son « â » ou plusieurs autres) ? Comme il s'agit, au moins
pour le pâli, d'une langue liturgique, je suppose qu'elle est encore prononcée, ne serait-ce que comme
du latin d'église.

réponse :
Voici quelques indications pour faciliter votre apprentissage et votre mémorisation…
Compte tenu des difficultés à transcrire les signes diacritiques du pâli et du sanskrit dans une police de
caractère qui soit lisible sur tout type d'ordinateur, nous avons simplifié l'orthographe pour ne garder
que les indications essentielles : celles qui ont une influence sensible sur la prononciation… dans la
mesure où elles sont prononçables et audibles pour des Européens !
Ne sont donc notées que les voyelles longues, marquées par un accent circonflexe (â, î, û) et
prononcées « â » et « î », comme en français, et « ou » long pour le « û » [la prononciation doit
effectivement être longue, équivalente à deux voyelles ordinaires]

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En revanche, nous n’avons pas noté le « s » surmonté d’un accent aigu, qu’on trouve parfois
représenté en transcription française par « sh » ou « ç », (comme dans Shâkyamuni, ou Çâkyamuni),
dont la pronociation est intermédiaire entre le « s » et le « ch », assez difficile à prononcer pour un
Français !! Nous avons résolu de laisser alors un simple « s ». A l’usage, cependant, cela se révèle un
mauvais choix : nous aurions dû adopter la graphie « sh », car le son est plus chuitant que sifflant…
« Errare humanum est » !
Nous n’avons pas non plus noté les consonnes nasalisées (n, m, traditionellement marquées alors par
un point placé au-dessus ou en-dessous), qui ne suivent que la voyelle « a ». Quand elles apparaissent
dans un terme il convient cependant de prononcer le son « an » ou « am » comme dans le mot
« langue », suivie d’une résonnance légère de la consonne en question (« n » ou « m »). Toutes les
lettres se prononcent et les consonnes doubles se prononcent comme deux sons séparés

Pour les voyelles :


« a » en fin de mot, est proche d'un « e muet » ou comme dans « °uf »
« e » est toujours prononcé « é »
« o » est toujours long comme dans « rôle »
« u » est toujours prononcé « ou »
la diphtongue « ai » se prononce plus ou moins comme « è-i »
Pour les consonnes :
« c » se prononce « tch », comme dans « tchèque »
« j » se prononce « dj », comme dans « Abidjan »
« ñ » se prononce « gn », comme dans « mignon »
« v » est proche du son « wou », comme dans « watt »
« r » est généralement plutôt « roulé » (comme dans l’accent bourguignon !)
La plupart des consonnes suivies de « h » notent un son aspiré, aérien, distinct du son plus dur de la
consonne seule.
Le « s » et le « g » sont toujours « durs » comme dans « sur » et « garde » [jamais comme dans
« visage »]

Quelques exemples…

Siddhârta Gautama Sâkyamuni = Sid-d’ha-arta Ga-outama [S/ch]a-akyamouni


Tathâgata buddha = tat’ha-agata boud-d’ha
Bodhisattva Maitreya = bod’hisat-twa Mè-itré-ya
Prajñâ-parâmitâ = pradj-gna-a para-amita-a
Samsara / nirvâna = san[-m]sara / nirwa-ana
Vijjâ-carana-sampanno = vidj-dja-a - tcharana - san[-m]pan[-n]-no

question 23 : Qu’en est-il du « libre-arbitre » d’un Bouddha ?


Après une première lecture de l'UC1, on me poserait une quelconque question sur le libre arbitre de
Bouddha... que je ne saurais pas y répondre.
1 - s'il est anuttara : ne devrait-il pas agir qu'en libre-arbitre ?
2 - par contre, les devins voient une prédestination (qui, entre autres épisodes, prendra forme au cours
des Quatre Rencontres ?)
3 - est-ce que le libre-arbitre donc, ne réside que :
a) dans le choix des parents de la dernière vie ?
b) dans le choix de la vie « sans foyer », pour devenir Bouddha plutôt que Roi Universel ? et, en
conséquence, celui du V°u qui déterminera sa conduite et ses actes...
C'est très confus dans ma tête.... merci de m'éclairer.

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réponse :
Il est vrai que la notion de « libre-arbitre » ne cadre qu’assez mal avec la doctrine bouddhique !
Employons plutôt, si vous le voulez bien, l’expression de « libre-choix », moins connotée…
Cela dit, il m’est très difficile de vous répondre pour l’instant, car nous n’avons pas encore vu en détail
les notions, centrales dans le bouddhisme, de « loi du karma » et de « co-production conditionnée »,
qui éclaireraient votre question (nous ne les verrons qu’avec l’UC2… en décembre et janvier
prochains !).
Disons pour l’instant que, pour le bouddhisme ancien, la carrière d’un bodhisattva est muée par
« l’Ordre des Choses » beaucoup plus que par la volonté personnelle du futur Bouddha. Il se conforme
aussi à un « modèle », ce que rendra le terme de Tathâgata, « celui qui est allé ainsi… ».
On ne peut donc parler réellement de « libre-choix » : les circonstances, dues notamment aux actions
antérieures du futur Bouddha, font que l’occasion se présente à lui de faire tel choix plutôt que tel
autre. Cela semble relever de la décision personnelle, mais il n’en est rien… En revanche, cela
ressemble fort à une sorte de « déterminisme », celui du karma… que nous étudierons plus tard !
On pourrait dire que la qualité première du futur Bouddha est, justement, de ne pas s’opposer à cet
« Ordre des Choses » et de ne pas exercer un (très relatif …) « libre-choix » que manifesterait son ego
mais, bien au contraire, de se « laisser porter » par les événements (ce que manifestent bien les
tentatives de son père, toujours déçues, de le maintenir écarté de « sa » voie…).
Mais il est vrai que les écoles anciennes ont beaucoup débattu de la question et ne sont pas toujours
très claires sur ce sujet !! L’épisode du « choix » des parents pour la dernière naissance en est un bon
exemple, d’ailleurs. On peut alors « botter en touche » en précisant qu’il n’est pas alors un simple
homme, puisqu’il réside chez les « Dieux bienheureux »… ce qui lui accorderait une certaine
« liberté » de décision.
On distinguerait alors précisément trois « existences » différentes : celle du bodhisattva, quand il est
dieu puis quand il est homme, puis – très différente – celle du Bouddha pleinement réalisé, « sans
supérieur » (anuttara). Dans ce dernier cas – et seulement dans ce dernier cas – le Bouddha n’a plus
aucune « volonté propre », « égotique » : il ne fait plus que vivre « selon l’Ordre des Choses »,
agissant « comme il convient », en fonction des circonstances. Ce n’est que nous autres, « pauvres
êtres égarés dans le samsara », qui aurions l’impression qu’il agit à sa guise ! Mais c’est par
méconnaissance, justement, de « l’Ordre des Choses »…

En résumé : tant qu’il n’a pas atteint l’Eveil, le futur Bouddha semble (et peut-être croit lui-même…)
qu’il agit selon sa volonté propre, alors que ce sont les événements, passés et présents, qui « font » les
circonstances. Une fois l’Eveil atteint, il nous semble « libre » alors qu’en fait il ne fait que se
conformer strictement à « l’Ordre des Choses » ; c’est nous, une fois encore, qui interprétons cela
comme une manifestation de liberté !
Nous aimerions tellement croire qu’il existe une Liberté !!… Mais est-ce cela que le bouddhisme
enseigne ?…

question 24 : A propos de la littérature des écoles anciennes


Il est dit, dans le chapitre « pré-requis » de l’UC1, que les écoles anciennes sont connues à partir de
textes ayant échappé, grâce à des « exportations » antérieures, aux destructions systématiques
perpétrées lors des invasions musulmanes du Xe siècle, mais qui ne représentent en réalité qu’une
infime partie de la littérature bouddhiste indienne. Ma question, en fait, est double :
Est-ce que cette littérature bouddhiste indienne dont on parle est antérieure à ces invasions
musulmanes (et dans ce cas là comment a-t-elle pu échapper aux destructions systématiques), ou bien
est elle postérieure au Xe siècle et s’est-elle constituée finalement sur une période relativement brève,
peu de temps avant le déclin du bouddhisme en Inde ?
Pouvez-vous nous donner quelques points de répère sur la composition et l’histoire de cette
littérature bouddhiste indienne ?

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réponse :
Effectivement, cette littérature est antérieure aux invasions musulmanes. Elle a été diffusée par les
« missionnaires » bouddhistes, tout d’abord le long des Routes de la Soie (en Asie centrale, puis en
Chine), ensuite au Tibet, où elles ont fait l’objet de traductions systématiques (nous reverrons cela en
début de deuxième année…). Après les invasions musulmanes, qui détruiront petit à petit tous les
grands monastères et les universités bouddhiques en Inde, il n’y aura plus aucun bouddhiste dans ce
pays, et donc… plus d’auteurs !

Sur l’histoire de cette littérature, il est très difficile de répondre !!


Comme pour la biographie du Bouddha historique, on s’affronte ici au « manque de sens historique »
des Indiens, à l’absence d’Annales ou d’indications de datations… La seule chose que nous pouvons
déduire du peu d’indices que nous ayons, c’est que cette littérature a été mise par écrit aux environs de
l’ère chrétienne. Nous avons, à ce sujet, quelques certitudes ! Traditionnellement, on dit que le canon
pâli a été le premier à être ainsi rédigé, à Ceylan (Sri-Lanka), à la demande d’un souverain qui règna à
partir de 20 avant Jésus-Christ. La rédaction complète de ce canon a sans doute pris plusieurs
décennies, voire plusieurs siècles !
D’autre part, les Chinois (qui, eux, datent précisément tout ce qu’ils font…) ont traduit les premiers
textes bouddhiques dès le premier siècle de notre ère. Cela veut donc dire que ces textes avaient déjà
été rédigés en Inde, au moins une cinquantaine d’années avant (compte tenu du temps qu’il leur fallait
pour arriver jusqu’en Chine…) car on sait qu’il s’agit de « livres » traduits et non pas d’enseignements
oraux mis par écrit...
Le canon pâli relève du bouddhisme « ancien », alors que les premiers textes traduits en chinois, eux,
relèvent surtout du « Mahâyâna ». Cela voudrait donc dire que tous ces textes ont été rédigés à peu
près à la même époque, aux environs de l’ère chrétienne !!
Mais… on sait que les premiers (du bouddhisme ancien) se présentent comme la transcription écrite
d’une tradition orale, communautaire et anonyme (le style en d’ailleurs très répétitif, pour en faciliter
la mémorisation), alors que les textes du Mahâyâna se présentent souvent très différemment,
notamment sous une forme qui paraît avoir été directement littéraire, « écrite », et ne comportent pas
ces « subterfuges mnémotechniques » si courants dans la littérature ancienne.
On en déduit donc généralement que :
=> La littérature du bouddhisme ancien a d’abord été transmise oralement, pendant cinq siècles, puis
mise par écrit aux environs de l’ère chrétienne.
=> La littérature du Mahâyâna, elle, a été écrite directement aux environs de l’ère chrétienne.
Mais… il est très vraisemblable que les idées contenues dans cette littérature du Mahâyâna soient
malgré tout plus anciennes que la rédaction des textes qui les présentent, car cette rédaction montre
des raisonnements et des arguments déjà bien développés !
Ce qui voudrait dire que :
Les enseignements du bouddhisme ancien se sont « formalisés » petit à petit au cours des premiers
siècles de l’histoire du bouddhisme. Cette formalisation a entraîné des débats entre les écoles, chacune
développant certaines notions plus que d’autres ou de manière différente. Quand, aux environs de l’ère
chrétienne, on ressentit le besoin d’écrire ces enseignements, certaines écoles optèrent pour les
versions orales « traditionnelles anciennes » (d’où leur nom d’écoles « anciennes »), en tenant compte
cependant de quelques différences qui les spécifiaient (essentiellement dans ce qu’on appelle les
« abhidharma ») ; d’autres rédigèrent directement des textes « non traditionnels », issus des réflexions
qui s’étaient développées au cours des siècles précédents, donnant ainsi naissance aux « nouveaux
enseignements » du Mahâyâna.
Il y aurait donc bien antériorité des enseignements du « bouddhisme ancien »… mais cette antériorité
serait beaucoup moindre que ce qu’on en dit généralement : deux siècles plutôt que cinq !

Mais il y a encore d’autres problèmes…


C’est grâce aux pèlerins chinois, surtout, que nous connaissons l’histoire du bouddhisme en Inde. Or
ceux-ci nous apprennent que, entre le Ve siècle et le VIIe siècle de notre ère, époque durant laquelle ils
furent le plus nombreux à venir en Inde et à rédiger leurs « Mémoires », certaines écoles « anciennes »
n’avaient toujours pas mis par écrit leurs enseignements !! Quand leurs monastères furent détruits, lors
des invasion musulmanes, leur tradition fut perdue à tout jamais, faute de moines capables de les

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réciter encore… De ces enseignements-là, nous ne saurons jamais rien que quelques détails, repris ou
discutés dans d’autres textes…

Les textes du bouddhisme strictement indien dont nous disposons aujourd’hui nous viennent donc de
trois sources (seulement…) :
=> Quelques manuscrits effectivement rédigés en Inde, ayant échappé aux destructions, pour la plupart
conservés au Népal (pays épargné par les invasions musulmanes, mais qui ne comptait pas de
« grands » monastères ou universités, donc pas de bibliothèque, mais seulement quelques textes
épars…).
=> Les textes qu’avaient pu se procurer les Chinois, soit directement en Inde (grâce aux pèlerins), soit
dans des traductions déjà effectuées en Asie centrale (par où « transitaient » les missionnaires
bouddhistes et où avaient été fondés de très nombreux monastères), textes que nous possédons
aujourd'hui dans leurs traductions en Chinois. Mais les Chinois ont fait des choix… et n’ont traduit
que les textes qui les intéressaient. Or, ils se sont tout de suite beaucoup intéressé au Mahâyâna et
assez peu aux écoles anciennes. Il y a donc peu de traductions chinoises des textes du bouddhisme
ancien !
=> Les traductions effectuées systématiquement au Tibet, à partir du VIIe siècle. Mais, là aussi, ces
traductions reflètent un « intérêt » particulier pour certaines écoles, essentiellement des textes du
Mahâyâna et, surtout, une école particulière du bouddhisme ancien, celle du Sarvastivâda (dont les
textes, surtout les traités, diffèrent parfois considérablement de ceux conservés dans le canon pâli…).
Il faut enfin ajouter le canon complet rédigé au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, en pâli,
à Ceylan (qui n’est donc pas « indien », au sens strict…), qui a pu être conservé jusqu’à aujourd’hui
car Ceylan est une île et qu’elle a ainsi échappé aux invasions musulmanes !…

Il faut donc bien distinguer les enseignements et les textes.


Les textes les plus anciens datent des environs de l’ère chrétienne ; les enseignements qu’ils
transmettent, quel(le) que soit l’école ou le courant, sont forcément (beaucoup) plus anciens, car ils ont
d’abord été transmis oralement.
On ne peut donc pas s’appuyer sur la date d’un texte pour décider que l’enseignement qu’il transmet
est plus ou moins ancien… Seule une analyse comparée des développements et des controverses qui
ont eu lieu entre écoles permet de se faire une idée de ce qui a été le plus ancien ou le plus récent…
Gros travail, qui n’a pas encore été achevé et est loin de l’être !!
Mais, pour diverses raisons sur lesquelles nous avons quelques certitudes… ce qu’on appelle
« bouddhisme ancien » paraît bien réellement et sans conteste plus ancien que le Mahâyâna ! De
combien de siècles ?? Ça, c’est une autre histoire…

question 25 : Le Bouddha : guide ou « sauveur » ?


Il est dit, dans le paragraphe « Les pouvoirs d’un Bouddha », que le Bouddha n’est pas un dieu
« sauveur » mais un voyant et un guide (Celui qui montre le chemin). Je vois une certaine
contradiction avec l’extrait du livre d’Etienne Lamotte – « Histoire du bouddhisme indien, des
origines à l’ère Saka »(cité juste après) - où l’auteur rapporte une anecdote mettant en scène le
Bouddha, Ananda et une vieille femme : Le Bouddha dit : « Cette femme ne remplit pas les conditions
pour être sauvée »... ce qui voudrait dire implicitement que d’autres peuvent les remplir ! L’attitude
d’Ananda dans le texte laisse également à penser que peut-être son « maître » a déjà « sauvé » d’autres
personnes ? Est-ce une mauvaise interprétation de ma part ? Qu’en est-il réellement de cette notion de
« sauver/sauvé » dans ce texte (en particulier son lien avec la bodhi ?) Est-ce simplement un point de
vocabulaire ou de formulation ?
Autre question annexe (mais peut-être étudiée plus tard !...) : Quelles sont les conditions requises dont
on parle, nécessaires pour être « sauvé » ?

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réponse :
Dans l’anecdote rapportée par Etienne Lamotte, il faudrait d’abord se rapporter au texte original pour
savoir quel terme il traduit par « sauver ». Malheureusement, je n’en connais pas les références et ne
peux procéder à cette vérification… Or Etienne Lamotte, plus précisément « Monseigneur » Lamotte,
était un prélat chrétien et employait, comme la plupart des savants travaillant à cette date sur le
bouddhisme (fin XIXe, début XXe), le vocabulaire courant à l’époque en matière religieuse : celui du
christianisme !! Il est vraisemblable qu’un traducteur du début du XXIe siècle n’emploierait pas (plus)
cette expression…
Cela dit, on peut traduire l’idée présentée par Ananda de la manière suivante : « elle sera sauvée » =
« elle pourra s’engager dans la voie qui mène à l’Eveilet à la Libération », ce que rend en partie
l’expression : « elle éprouvera une pensée de joie », traditionnellement associée à la première
manifestation de « foi » envers le Bouddha, qui débute normalement tout parcours sur la voie
bouddhique.
« Voir le Bouddha » - c’est-à-dire le reconnaître comme tel – c’est « voir le Dharma », c’est-à-dire
aussi se reconnaître soi-même comme un être soumis à la souffrance et plongé dans l’ignorance,
prendre conscience que la Voie bouddhique peut libérer de cette souffrance, aspirer à cette Libération
et s’engager sur cette Voie qu’enseigne cet homme qu’on considère comme un Bouddha.
Ceux « qui ne remplissent pas les conditions requises pour être sauvés et qui n'arrivent pas à voir le
Buddha » sont ceux qui, profondément plongés dans la souffrance physique ou mentale, ne disposent
même pas de la possibilité de prendre conscience de leur « misère » existentielle, car ils subissent trop
leur misère psychologique ou matérielle. On trouve quelques textes dans lesquels le Bouddha insiste
sur la nécessité d’aider, d’abord matériellement, ceux qui souffrent, par exemple, de la faim… avant
de leur exposer son enseignement ! Il faut d’abord ne plus avoir faim ou froid, ne plus lutter pour sa
simple survie, pour avoir l’esprit assez libre pour pouvoir penser à son « salut » spirituel !! Cette
« vieille femme misérable » fait partie de ces personnes. Dans l’immédiat, son urgence n’est pas
d’ordre spirituel, elle a d’autres priorités ! Elle n’est d’ailleurs pas même capable de « voir » le
Bouddha au sens strict (sans doute parce qu’elle est « aveuglée » par sa souffrance), encore moins
comme « Celui qui montre le chemin de la Libération ».
D’autres personnes, non « sauvables », sont celles qui sont trop emplies de colère, de jalousie,
d’orgueil… toutes sortes de passion qui les « emportent » littéralement, les « aveuglent » trop
considérablement [le terme important, ici, est le « trop »…] pour qu’ils parviennent à cette prise de
conscience (« l’ouverture de l’oeil de la Loi », disent les textes) qui provoque leur « conversion » au
bouddhisme.
Or, sans cette prise de conscience individuelle de sa propre « misère existentielle » [ce qui, dans la
biographie du Bouddha, est symbolisé par l’épisode des « Quatre rencontres »…], personne ne peut
s’engager sur la voie bouddhique, personne ne peut même « entendre » la pertinence de
l’enseignement du Bouddha.
Nous aurons l’occasion de revoir cela dans les Unités de Cours suivantes, surtout celle consacrée aux
« pratiques » (UC4), en mai prochain…

question 26 : Le « corps pur » du Bouddha


Voici quelques questions que je voudrais vous poser :
1. Dans quelles circonstances le corps pur du Bouddha est-il évoqué ? En d'autres termes, se
manifeste-t-il d'une façon ou d'une autre (comme le terme « corps » peut le suggérer, peut-être à tort).
2. Y a-t-il une relation avec le corps corruptible ? A-t-il une existence avant le moment historique de
l'Eveil ? Est-il attaché à un Bouddha particulier ou tous les Bouddhas se « fondent-ils » dans le même
? (ces questions sont peut-être d'une grande naïveté...)
3. Y a-t-il quelque chose de similaire au « Corps du Christ », quelque chose de l'ordre de la
sublimation ?

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réponse :
La question du « corps pur » d’un Bouddha devrait nous permettre de comprendre deux choses
extrêmement importantes :
=> la différence, essentielle, qui existe entre le bouddhisme et le brahmanisme (puis l’hindouisme) au
sujet de la notion de « pureté »
=> l’importance donnée par le bouddhisme à l’idée que corps et esprit sont indissociables

En effet, il ne s’agit pas du tout ici, pour un bouddhiste, de pureté « rituelle », ni « physique », ni
d’une pureté « divine » dont serait doté un Bouddha, contrairement aux autres hommes, seulement
humains et, donc, « impurs ».
La pureté évoquée ici est celle du mental, débarrassé des trois « souillures » (appelées ailleurs les
« trois Poisons ») que sont : l’avidité, la répulsion et l’ignorance (nous reverrons plus précisément ces
« souillures » dans l’Unité de Cours suivante).

Dans l’immédiat, je voudrais insister sur deux citations du cours :


=> « Le Bouddha répondit qu'il avait dépassé les traits de caractère profondément enracinés dans
l'inconscient qui feraient de lui un dieu ou un homme, et devait donc être considéré comme un
Bouddha, un être ayant grandi dans le monde, mais qui l'avait maintenant transcendé, comme un lotus
pousse dans l'eau boueuse mais fleurit au-dessus sans en être souillé. » (Peter Harvey, in « Le
Bouddhisme : Enseignements, histoire, pratiques », éd. du Seuil, Paris, 1993)

=> Le Bouddha n'agit plus comme un homme ordinaire, chacun de ses actes et de ses paroles est
désormais en total accord avec l'enseignement qu'il transmet, dépourvu de passions et de
« souillures ». Exemple vivant du Dharma qu'il enseigne, il est devenu « celui qui a pour corps le
Dharma ».

Le « corps » d’un Bouddha est « pur » car le Bouddha lui-même ne considère plus les éléments de
« son corps » comme « ceci est moi, ceci est mien » (selon l’expression consacrée…), il ne s’y attache
plus, il ne « se » considère plus comme « étant » ce corps. C’est la « vue juste » qu’il a de lui-même et
des choses qui fait qu’il est doté d’un « corps pur ». C’est la relation entre le mental et le matériel, le
physique et le psychique, qui fait ici la « pureté ». Il existe une vision « souillée » - notre vision
« ordinaire » - et une vision « pure » - la vision d’un Eveillé. En eux-mêmes, les éléments qui
composent le corps (le nôtre comme celui d’un Bouddha) ne sont ni purs ni impurs…

Certains textes évoqueront ainsi :


=> le corps « impur » (= le corps « corruptible »), formé des cinq éléments que chaque être associe à
son « Moi » et dont il dit « ceci est moi, ceci est mien ». Il s’agit alors de ce que chacun de nous
considère comme son « individualité » : le corps physique, bien sûr, mais aussi les sensations, les idées
et concepts, les sentiments et les états de conscience – ce qu’on nomme, en termes techniques, les
« cinq agrégats d’attachement » (nous reverrons ces notions dans l’Unité de Cours suivante).
=> le corps « pur » (= le corps de Dharma), lui, est constitué des cinq qualités spirituelles d’un Eveillé
(samyaksam-buddha ou arhat) : l’éthique ou discipline, le recueillement de l’esprit ou concentration, la
sagesse transcendante ou vue supramondaine, la délivrance ou libération, et la connaissance que la
libération a été atteinte (la dernière des connaissances qui s’élèvent au moment de l’Eveil proprement
dit).
Il ne s’agit donc pas ici d’un « corps » au seul sens « matériel » ou « physique » du terme ! En fait, le
terme « kâya », qu’on traduit par « corps », veut strictement dire « ensemble », « collection », ce qui
« forme » ou « manifeste » quelque chose, lui « donne corps », comme on dit d’une °uvre d’art
qu’elle « donne corps » à l’idée de l’artiste.
Ainsi, les cinq qualités spirituelles d’un Eveillé « donnent corps » au fait qu’il s’agit bien d’un Eveillé
et non plus d’un individu ordinaire (ni homme, ni dieu).
Un homme ordinaire « se révèle », « se manifeste », « se présente », « se matérialise » à travers les
cinq « agrégats » (le « corps corruptible ») auxquels il s’identifie (« ceci est moi, ceci est mien ») ; un
Eveillé, à travers les cinq qualités spirituelles (le « corps de Dharma ») qui « font » les Bouddha, qui
les « caractérisent ».

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Si nous comprenons bien ce point de vue, qui est celui de la majorité des écoles anciennes, votre
deuxième question ne se pose plus vraiment… (« Le corps pur a-t-il une existence avant le moment
historique de l'Eveil ? Est-il attaché à un Bouddha particulier ou tous les Bouddhas se « fondent-ils »
dans le même ? »).
Cela dit, certaines écoles anciennes, dont l’école Mahâsamghîka (voir module 1 texte annexe 4), puis
les écoles du Mahâyâna développeront cette notion et la formaliseront différemment, avec une théorie
des « trois corps » (trikâya) très originale… qui sera étudiée en son temps, dans l’Unité de Cours 3
(que vous recevrez en janvier prochain !!). Votre question, en fait, concerne davantage le Mahâyâna
que les écoles que nous étudions pour l’instant…

Quant à l’expression « Corps du Christ », on peut difficilement la rapprocher des « corps » du


Bouddha. Les chrétiens emploient cette expression pour mettre en valeur l’incarnation du divin -
principe spirituel - et sa présence dans le Monde créé, la matière : soit dans le pain partagé lors de la
communion, dans le cadre de l’eucharistie, soit en chaque individu, quand le « corps du Christ »
désigne l’ensemble des chrétiens formant l’Eglise universelle. On est donc très loin de l’idée d’un
« ensemble de composants, physiques et mentaux, manifestant un état d’esprit », comme c’est le cas
en bouddhisme !

question 27 : question multiple sur « l’accès à la Délivrance »


Certaines anecdotes me font me poser des questions sur « l'accès à la Délivrance » :
Par exemple, pourquoi, « sur les instances de Mara », Bouddha se décide-t-il à rejeter son « principe
vital » et se prépare-t-il à quitter ce monde alors qu'il avait le pouvoir de vivre au-delà de 80 ans ? En
répondant à son désir, Bouddha ne retarde-t-il pas l'accès à la délivrance de Mara ?
- Idem à propos du jataka de la tigresse : Qu'en est-il du samsâra pour la tigresse qui a dévoré un
bodhisattva ? Comment cela lui sera-t-il compté dans ses vies futures ? Est-ce plus grave de dévorer
ses enfants ? (Ne sommes-nous pas confrontés dans cette vie, sous d'autres formes, à de semblables
dilemmes ?)
- Et toujours pour cet animal qui se repaît du bodhisattva démembré : cette ingestion est-elle
purificatrice ? (Cela me fait penser par association - et sans doute à tort - à l'hostie catholique)
- Une autre question : « Il prêche la doctrine de l'Immortalité » : Je suppose que « l'Immortalité » a un
sens différent de celui qu’on pourrait entendre en Occident !?

réponse :
Questions intéressantes !! Mais je crains de ne pas pouvoir répondre aux deux premières - tout au plus
faire quelques commentaires.
Nous verrons dans l’Unité de Cours suivante (textes commentés du module 2) que nul autre qu’un
Bouddha « pleinement et complètement éveillé » (et, donc, omniscient…) ne saurait connaître
pleinement les conséquences des actes d’autrui. N’étant pas moi-même parvenu à cet Eveil, je ne puis
rien dire des « chances » - plus ou moins grandes - dont disposent Mara et la tigresse !
Cela dit… deux choses :
1) à propos de Mara : peut-on dire (vous écrivez : « En répondant à son désir… ») que le Bouddha
« cède » au désir de « Mort » - stricte traduction du nom « Mara » -, lui qui a mis fin à tout « désir
d’existence et de non-existence » (selon l’expression consacrée) ?? En ne faisant rien pour « sur-
vivre », le Bouddha ne fait que suivre, une fois de plus, « l’Ordre des Choses »… Et puis, que le
Bouddha demeure plus ou moins longtemps ne changera sans doute pas grand-chose pour Mara –
hélas pour lui ! – car il ne fait pas partie de ses disciples – au moins dans cette vie-là - bien au
contraire… Il fait partie de ces personnes qui « ne remplissent pas les conditions pour être sauvées » –
au moins dans cette vie-là -, déjà évoquées dans la question 4 !!
2) à propos de la tigresse : on évoque traditionnellement cinq actes qui conduisent son auteur
directement et immédiatement au plus profond des pires Enfers : tuer son père ou sa mère, blesser un
Bouddha, tuer un Arhat, créer un schisme au sein de la Communauté (sangha). Cette liste canonique,

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très souvent évoquée, ne mentionne pas – vous l’aurez remarqué vous-mêmes - ni l’infanticide ni le
meurtre (ou la « consommation…) d’un bodhisattva, qui s’appliqueraient ici ! Pas plus d’ailleurs
qu’elle n’envisage même la possibilité qu’on puisse vouloir tuer un Bouddha (au pire le blesser,
seulement…).
J’ai bien conscience, en répondant ainsi, de vous laisser sur votre faim (si j’ose dire…), mais je ne puis
que témoigner de ce que disent les textes - et de ce qu’ils ne disent pas ! Mais je n’irais pas jusqu’à
inventer des réponses à leur place…
Cela dit, il est assez clair, dans l’esprit des auteurs du Jataka de la tigresse, qu’on ne peut pas
demander à un animal – certes considéré comme un « être sensible », au même titre que les humains,
les dieux, les fantômes ou les êtres résidant aux enfers - de « raisonner » comme un homme et d’avoir
une conscience assez développée pour pouvoir contrecarrer ses instincts. Les bouddhistes n’ont jamais
attendu des tigres qu’ils se comportent autrement que comme des tigres – et n’ont pas cherché à les
« convertir » à la non-violence ! Enfin, ce Jataka est là pour montrer la grandeur des vertus du
bodhisattva, et la tigresse n’a qu’un rôle de faire-valoir.
Il va de soi – et vous en avez conscience ! – que « l’ingestion d’un bodhisattva » n’a ni pouvoir
« accélérateur » vers la Délivrance, ni « purificateur » !! Délivrance et purification des « souillures »
ne peuvent venir que d’un « renversement » de l’esprit, dont nous étudierons plus précisément les
modalités dans les Unités de Cours suivantes. Vous verrez bien alors que cela n’a pas grand rapport
avec le récit du jataka…
Quant au terme d’Immortalité, il traduit très exactement l’expression « non-mortel », à comprendre
comme « non soumis à la mort », car « non soumis à la naissance ». C’est une métaphore pour mettre
en évidence le caractère absolu du nirvâna, qui échappe à toute contingence : il est « ce qui ni ne naît
ni ne meurt », mais non pas une « vie éternelle » !
Nous reverrons cela dans le module 4 de l’Unité de Cours suivante.

question 28 : pourquoi des srâvakabuddha continuent-ils de suivre le Bouddha ?


Dans le texte « La conversion du roi Bimbisâra... » (p.(59), il est écrit : « Bouddha partit accompagné
de mille moines... ayant tous obtenu la concentration mentale, la maîtrise d'eux-mêmes et la
Délivrance définitive ».
Cette « Délivrance définitive » correspond-elle à l'Eveil et à la cessation du samsâra ?
Si oui, quel besoin ont encore ces moines de recevoir l'enseignement ? N'ont-ils pas atteint leur
objectif ? Ils pourraient désirer obtenir les sept premiers pouvoirs et, ainsi, de srâvakabuddha espérer
devenir samyaksambuddha. Mais cela est impossible puisque n'est samyaksambuddha que celui qui a
la capacité d'enseigner à partir de sa propre expérience. Ce qui est pour eux désormais exclus.
Alors, je m'embrouille. Pouvez-vous m'éclairer ?!

réponse :
Vous abordez là une question qu’il serait bon de poser à nouveau dans quelques mois, quand nous en
aurons vu davantage !
Effectivement ces moines sont devenus des arhat ou srâvakabuddha. Ils ont obtenu la Délivrance
définitive du samsâra et possèdent, à leur mesure, les sept « pouvoirs » que, seul, un
samyaksambuddha possède en totalité.
Puisqu’il sont parvenus à cet Eveil en écoutant un samyaksambuddha, il serait absurde d’imaginer
qu’ils pourraient poursuivre leur cheminement, en « oubliant » ce qu’ils ont entendu (condition, dans
le bouddhisme ancien, pour devenir un samyaksambuddha : cheminer seul, sans recevoir
d’enseignements). Ils ne pourront donc jamais devenir eux-mêmes samyaksambuddha.
Mais : quel intérêt y aurait-il pour eux – et pour l’humanité - à ce qu’ils le deviennent à leur tour ? Il y
a déjà un samyaksambuddha – qui diffuse un enseignement efficace, puisque ces moines sont bien
parvenus à l’Eveil - et il ne peut y en avoir, de toute façon, qu’un seul par ère cosmique !!

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Le problème que vous soulevez, en fait, c’est celui de continuer à suivre le Bouddha, à l’écouter
encore, à vivre encore comme un simple moine… alors qu’on est déjà parvenu à l’Eveil ! C’est un
point qu’il faudra revoir après l’Unité de cours 4 sur « Les pratiques ».
Si un arhat peut enseigner à partir de sa propre expérience – tel qu’il a compris et vécu l’enseignement
d’un samyaksambuddha – il peut toujours en apprendre plus de celui qui est « l’instructeur des dieux
et des hommes » et augmenter ainsi ses dispositions à enseigner pour le bien de tous les êtres… même
s’il s’agit alors simplement de « répéter » ce qu’un samyaksambuddha a dit.
Mais il y a plus… Dans de nombreux textes canoniques, le Bouddha rappelle à tous ses disciples -
arhat y compris ! - qu’il faut « voir un danger dans le moindre manquement à la discipline ».
L’obtention de l’Eveil n’autorise pas à faire n’importe quoi, ni à vivre n’importe comment. Chaque
acte d’un Eveillé doit « montrer » le Dharma (c’est son « corps de Dharma »), être exemplaire.
Poursuivre la vie d’un « simple auditeur » (srâvaka) constitue, peut-on dire, le « corps de Dharma »
d’un srâvakabuddha.

question 29 : Les miracles du Bouddha


Dans le texte annexe 7 du module 2 (« Uruvilva et la conversion de Kâsyapa ») il est fait allusion à
l’épisode de la conversion de l’ascète brahmane Kâsyapa et de ses disciples. Lors de cette conversion,
il est dit que le Bouddha utilise pour ce faire un nombre important, voire ‘industriel’, de miracles. Par
la suite, vous décrivez également d’autres miracles, notamment lors de la conversion du roi Bimbisâra
(cf. le texte commenté issu du vinaya des Dharmaguptaka et, dans les commentaires, vous faites
allusion à d’autres grands prodiges -Srâvastî, Le Manguier).
Dans la première partie (« L’ami des marchands et des rois ») du chapitre « Le sage de la tribu des
Sâkya » (Module 2), vous évoquez l’aspect effectivement étrange de cet emploi fréquent de la magie
pour la conversion, au regard du point de discipline du Sangha qui considère l’emploi de la magie
comme une faute si lourde qu’elle est punie de l’exclusion définitive de la communauté !
Est-ce un moyen doctrinal de marquer la supériorité absolue (en tous cas supra-humaine) du
Bouddha et de définir des ‘Tabous’ ?
Est-ce un point de discipline de la Communauté qui permettrait d’éviter aux disciples de tomber dans
un des pièges de ‘l’orgueil et de l’égotisme’, selon les termes que vous employez dans le commentaire
de la page 68 (« Dès que le Bouddha connut ce que le roi du Magadha... ») ?
Comment peut-on interpréter cette contradiction (apparente ?) ?

réponse :
Vous répondez vous-même en grande partie à la question…
Ajoutons cependant que la capacité d’opérer des miracles n’a rien d’exceptionnel dans l’esprit des
Indiens ! La claire-voyance ou la claire-audience, évoquées ici, sont des « pouvoirs » accessibles à tout
bon pratiquant de certaines formes d’exercices psychophysiques, développés notamment par les yogis,
qui n’ont donc rien de spécifiques au bouddhisme ni au Bouddha et ne sont en rien liés à l’Eveil
proprement dit.
L’aspect bouddhique de la question porte, en effet, sur l’utilisation de tels pouvoirs : elle n’est admise
que si elle permet d’amener plus aisément ou plus efficacement l’auditeur au Dharma et ne doit surtout
pas exprimer « orgueil et égotisme » (ou encore moins de permettre aux bhikkhu d’obtenir des
« faveurs » de la part des laïques – ce point étant particulièrement visé par le Vinaya).
Quant à la multiplication de ces miracles pour la conversion de Kâsyapa-le-brahmane, il est évident
qu’elle joue un rôle hagiographique – plutôt maladroit, d’ailleurs – et signale par la même occasion,
d’un point de vue historico-critique, que ce texte est vraisemblablement tardif ! Les textes les plus
anciens sont beaucoup plus sobres en la matière.

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question 30 : Tous les boudhas ne sont-ils pas un peu des srâvaka-buddha ?
Tous les boudhas ne sont-ils pas un peu des srâvaka-buddha, puisqu'ils ont bien reçus des instructions
d'un buddha, à un moment donné ou un autre, lors d'une vie antérieure, voire lors d'une ère cosmique
antérieure ?

réponse :
Voilà un point capital sur lequel je pensais que le cours était assez clair…
Eh bien non, non, trois fois non ! Tous les boudhas ne sont pas des srâvaka-buddha !!
C’est un des points de distinction très importants entre le bouddhisme ancien et le « Grand Véhicule »
qu’il faut absolument avoir toujours en mémoire.

x Module 1, chap. I-3 (« Les différents types de buddha »), page 12 :


« Parmi tous ceux qui sont devenus buddha, certains ont eu la chance d’être aidés et d’entendre un
enseignement. On les appelle pour cela des « auditeurs » - srâvaka. (…) D’autres, enfin, ont réussi à
faire l’expérience de l’Eveil grâce à leurs propres efforts et, en plus, en font bénéficier les autres
grâce à leur enseignement. On dit alors qu’ils sont « parfaitement et complètement » (samyaksam)
éveillés (buddha). »

x ou encore, Module 1, chap. II-2 (« Les « pouvoirs » d’un Bouddha »), page 15 :
« J’appartiens à ces religieux et brahmanes qui ont pleinement compris, et uniquement par eux-
mêmes, des phénomènes encore inconnus et ont atteint ici et maintenant l’excellence quant à la
conduite pure et à la connaissance surnaturelle » [M.N. II, 211, cité in Silburn, Aux sources du
bouddhisme, p. 33]

x et encore, Module 1, chap. III-1 (« Le v°u du futur Bouddha »), page 18 :


« Il s’agit pour lui de s’engager dans une carrière solitaire afin de parvenir à l’Eveil par ses propres
efforts, sans bénéficier d’aucune aide, et de retrouver par lui-même la Loi (Dharma) qui régit les
phénomènes et dont la connaissance permet de mettre fin à la souffrance, à partir de sa propre
expérience, sans bénéficier d’aucun enseignement.
Cet engagement et ce v°u se manifestent lors de la « pensée d’éveil » (bodhi-citta), qui naît dans
l’esprit du futur Bouddha au moment où, alors qu’il n’est encore qu’un homme ordinaire, il rencontre
un samyaksam-buddha du temps passé. Comprenant l’importance pour l’humanité de l’existence d’un
tel enseignant, le bodhisattva décide de devenir lui-même un samyaksam-buddha.
Il renonce alors à mettre en pratique l’enseignement de ce Bouddha et, du même coup, à parvenir
à l’Eveil au cours de cette vie, en devenant un srâvaka-buddha. Il s’engage à suivre la même carrière
que son modèle afin de dispenser lui aussi, mais dans une époque plus lointaine, le même type
d’enseignement.
Ce n’est pourtant pas tant la prise de v°u (parvenir à l’Eveil) qui qualifie le mieux le caractère
exceptionnel d’un bodhisattva, que son engagement à vivre autant de vies qu’il sera nécessaire : en
visant le parfait et complet Eveil, le bodhisattva souhaite et est prêt à affronter toutes les situations qui
pourront être utiles à son « auto-formation ». »

x et enfin… c’est aussi ce qu’illustre le « Dîpankara-buddha-vamsa » (« Chronique du Buddha


Dîpankara ») qui vous est proposé dans les « Textes complémentaires »
http://www.bouddhisme-universite.org/04/CEL/accueil/textes/texte2.htm#texte2
« L'épisode est important, car c'est au cours de cette rencontre que le bodhisattva se voit confirmer sa
future qualité de samyaksam-buddha, par Dîpankara lui-même ainsi que par les dieux, juste après qu'il
a renoncé à devenir lui-même un sravaka-buddha, renforçant ainsi sa décision de s'engager sur la voie
du bodhisattva. »
Dans la suite de ce texte (un extrait que nous ne vous avons pas reproduit), le futur Bouddha
Sâkyamuni – qui s’appelle alors l’ascète Sumedha - s’entretient avec son prédécesseur Dîpankara. On
pourrait croire qu’il s’agit alors d’un enseignement de l’aîné au cadet, mais il n’en est rien… Le futur
Bouddha ne fait qu’exposer ce qu’il a découvert par lui-même et Dîpankara ne fait que le confirmer
dans sa voie, en lui disant « C’est bien, poursuis ainsi… Tous les Bouddhas ont fait ainsi ! », mais sans

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rien ajouter qui puisse constituer un « enseignement ». Et l’ascète Sumedha part alors, seul, dans la
forêt, pour poursuivre sa quête solitaire… pour « aller ainsi » (tathâgata) que ses prédécesseurs.

Dans l’esprit des premiers disciples du Bouddha, si celui-ci avait reçu un enseignement, il ne serait pas
alors « sans supérieur » (anuttara), il n’enseignerait pas à partir de sa propre expérience personnelle
(puisque ce serait à partir de l’enseignement d’un autre), il ne serait pas un qui « met en mouvement la
Roue de la Loi » (puisqu’il ne ferait que transmettre un enseignement reçu), etc.
Autrement dit : il n’aurait aucune des qualités-caractéristiques qui font de lui un « Eveillé parfait et
complet, sans supérieur » (anuttara samyaksam-buddha). Il ne serait qu’un simple srâvaka-buddha !

question 31 : Le bodhisattva est-il un « élu » ?


Si je comprends bien votre réponse à la question 9, le destin de bodhisattva est le résultat d'une
« élection ». Mais alors qui élit ? Qu'est-ce qui distingue cet élu d'un prophète ?

réponse :
J’avoue ne pas très bien comprendre comment ma réponse à la question précédente vous amène à une
telle supposition ! Je crois n’avoir, nulle part, donné de quoi imaginer que la carrière d’un bodhisattva
est celle d’un « élu »… encore moins celle d’un prophète !!
Il s’agit au contraire d’une décision éminement personnelle, qui n’a rien d’une élection. Il ne s’agit
que d’un homme ordinaire qui, frappé par la valeur d’un Bouddha, décide de devenir lui-même un
Bouddha (bodhicitta) et qui, après avoir cheminé sur cette voie, se voit confirmer dans sa direction par
un de ceux qui y sont eux-mêmes déjà passé.
Le Bouddha antérieur « n’élit » pas son futur « confrère », il reconnaît seulement qu’il est sur la bonne
voie et annonce sa réussite… Un peu à la manière d’un jeune homme qui rencontrerait un maître-
artisan et déciderait de devenir lui-même maître-artisan ; après quelques années d’apprentissage
solitaire, un autre maître-artisan lui dirait : « C’est bien, continue ainsi, c’est bien comme cela que tu y
parviendras parce que tous les maîtres-artisans ont agi de cette manière ».
Où voyez-vous là-dedans une idée d’élection ??!!

question 32 : Pourquoi distinguer plusieurs types de buddha ?


Les Bouddha ont l'omniscience (science de toute chose ; omniscient : qui sait tout - Petit Robert), donc
la connaissance universelle et, entre autres, celle des expériences des autres Bouddhas. Ils ont vécu un
nombre très important de vies, pour l'un d'eux plus de 80 000 ans. Avec un tel vécu et l'omniscience,
doué de supers pouvoirs et de toutes les qualités, est-il important pour un Bouddha, une fois l'Eveil
atteint, d'avoir reçu ou pas des enseignements ?
Peut-on imaginer des Bouddhas de 1ère catégorie (ceux qui ont expérimenté seuls et aptes à enseigner)
et 2e catégorie (ceux que l'on a guidés sur le chemin et incompétents à l'enseignement) ? Ne serait-ce
pas plutôt une invention des êtres ordinaires pour inciter à expérimenter, comme l'a enseigné le
Bouddha, plutôt qu'attendre des recettes ?
Un seul samyaksam-buddha par ère cosmique ! Devons-nous prendre cela au pied de la lettre ? Ne
serait-ce pas une façon d'exprimer la difficulté à atteindre l'Eveil ? (pour rire : qui tiendrait les
comptes ?)

réponse :
Que la distinction entre ces différents types de Bouddha vous paraissent arbitraire ou artificielle ne
m’étonne pas…
Encore une fois, il s’agit de mettre en exergue les capacités insignes d’enseignant du Bouddha
historique, « le seul de cette ère cosmique » à pouvoir délivrer un enseignement aussi efficace… et

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c’est donc une manière d’affirmer qu’il est parfaitement inutile de chercher (ou d’inventer) d’autres
enseignements, d’autres « recettes » - comme vous dites !
Effectivement, cela incite les êtres ordinaires que nous sommes à expérimenter cet enseignement, dès
maintenant, plutôt qu’à tenter de rechercher par nous-mêmes quelque chose d’équivalent à ce que le
Bouddha historique a lui-même vécu.
C’est d’ailleurs en partie ce que le Mahâyâna reprochera aux écoles anciennes : se contenter d’un
enseignement qui mène à l’Eveil des arhat, un Eveil « facile »… plutôt que rechercher l’Eveil
« suprême » des samyaksam-buddha, beaucoup plus difficile.
Et c’est vrai : atteindre l’Eveil des arhat ne semble pas si « difficile » que ça : les textes abondent
d’exemple de moines et de laïques qui y parviennent « relativement » facilement - mais à partir du
moment où ils suivent correctement la Voie enseignée par le Bouddha et s’y donnent pleinement !

Un petit détail supplémentaire. Vous dites : « Les Bouddha ont l'omniscience, donc la connaissance
universelle et, entre autres, celle des expériences des autres Bouddhas ».
Cette dernière affirmation n’est pas juste !
Chaque Bouddha n’a que son expérience individuelle. Vous semblez ainsi attribuer au bouddhisme
une idée qui relève plutôt de l’hindouisme : la possibilité d’accéder au « Grand Tout », à l’Universel
(le Brahman), ce qui permettrait de tout connaître des phénomènes, des personnes et des faits dans les
trois temps (passé, présent, avenir). Mais le bouddhisme, généralement, évoquera une omniscience qui
porte essentiellement sur des processus, une Loi, non pas sur des faits en eux-mêmes. La différence est
importante…
Nous verrons dans l’Unité de Cours suivante (textes commentés du module 2 , concernant la notion de
karma) que le Bouddha, s’il évoque l’avenir, le fait bien davantage en présentant des principes que des
événements : il révèle une Loi mais n’est pas médium ! Il est d’ailleurs précisé que, lors de l’Eveil, s’il
a la connaissance parfaite de ses propres vies antérieures, la deuxième connaissance parfaite consiste
en la « connaissance de la Loi qui régit les existences » des autres êtres [il est vrai que la formule
employée dans le cours n’est pas assez précise…]. Cela ne veut donc pas dire qu’il connaît
parfaitement tous les épisodes, passés et à venir, de la vie de chaque être, mais seulement les principes
qui régissent le processus de leur renaissance. D’ailleurs, la plupart du temps, lorsque les sûtra
évoquent des annonces faites par le Bouddha, sur les vies futures de telle ou telle personne, on est
surpris de leur peu de précision !!

question 33 : Le rôle du Çakravartin


Les commentaires (p.44) sur le rôle du Çakravartin me posent quelques difficultés.
Que recouvre, pour un souverain temporel, la tâche de gouverner non en "maintenant le cycle de la
création, le samsâra, mais en participant à un autre ordre de Réalité" ? Ce projet n'est-il pas tout
simplement incompatible avec la fonction de souverain temporel et mondain ? Faut-il y entrevoir un
projet, historiquement bien localisé, remettant en question le système des castes (le "bon ordre" du
système brahmanique), ou le bouddhisme véhicule-t-il en soi un idéal d'ordre politique? Cet aspect est-
il explicité dans les textes ?

réponse :
Question d’importance !!
Nous aurons l’occasion de l’évoquer… l’année prochaine, quand nous aborderons notamment l’école
Theravâda, qui, sur ce sujet, a imaginé une solution « originale », quoique assez peu « orthodoxe » !
Effectivement, régner selon l’Ordre bouddhique impliquerait notamment un non-usage de la force, par
exemple pour rendre la justice… ce qui semble plutôt incompatible avec l’exercice du pouvoir, en tout
cas comme on l’envisageait dans la société brahmanique ordinaire. Il est vrai, aussi, que le
bouddhisme a toujours critiqué le système brahmanique des castes… mais simplement en n’en tenant
aucun compte au sein de sa propre communauté, le sangha, ou en utilisant des termes comme celui de
« brahmane » en lui appliquant un sens proprement bouddhique (on n’est pas brahmane par la
naissance, mais par son action « juste »). Mais il n’a pas, pour autant, incité à des réformes sociales,

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engageant même ses disciples à respecter les lois et coutumes des différents pays où le bouddhisme
s’implantait ! La question, en fait, ne s’est réellement posée que pour les souverains se déclarant
publiquement bouddhistes, ce qui n’était pas le cas de nombreux souverains indiens.
L’enseignement fournit bien un « idéal d’ordre politique », symbolisé notamment par le « mythe » du
roi indien Asoka (qui n’a que peu de rapport, en fait, avec le règne réel de ce roi…). Certains textes
canoniques incitent les souverains à ne pas user de la force et définissent, par exemple, dix « vertus
royales » ; mais il s’agit d’un « voeu pieux », avouons-le ! En gros, il s’agissait de prôner les vertus de
renoncement personnel, du non-usage abusif du pouvoir, de privilégier le peuple par rapport au
souverain lui-même, d’octroyer au peuple les moyens économiques d’assurer sa subsistance (par
exemple en fournissant à tous les semences nécessaires… nous sommes, à l’époque, dans une société
essentiellement rurale !), etc.
Enfin, précisons que, généralement, le bouddhisme demande à ses disciples de ne pas fréquenter les
Grands et les cercles de pouvoir, qu’ils jugent incompatibles avec la pratique réel de l’enseignement…
Une sorte de « restons cachés », comme disait le philosophe grec Epicure !
Sur le sujet d’une justice « bouddhique », je vous incite à lire un texte de David Loy, que vous
trouverez sur le site « Un zen occidental », d’Eric Rommeluère, à l’adresse suivante :
http://www.zen-occidental.net/articles1/loy3.html

question 34 : Combien de samyaksam-buddha un bodhisattva rencontre-t-il ?


Dans la partie du cours module 1, chap. III-1, intitulée « Comment devient-on un Bouddha ? - Le voeu
du futur Bouddha » (page 18), vous dites que le bodhisattva prend l'engagement de devenir un
samyaksam-buddha, au moment où nait la pensée d'éveil, en rencontrant précisément un buddha
parfaitement et pleinement éveillé. Plus loin dans le texte, vous écrivez que sa carrière s'étend sur trois
périodes incalculables : au début de la première il produit la pensée d'éveil et, là, vous précisez qu'il ne
rencontre un samyaksam-buddha qu'au début de la seconde. Comment faut-il le comprendre ?

réponse :
Le texte du cours dit très précisément :
« Cet engagement et ce voeu [de s'engager dans la carrière du bodhisattva] se manifestent lors de la
"pensée d'éveil" (bodhi-citta), qui naît dans l'esprit du futur Bouddha au moment où, alors qu'il n'est
encore qu'un homme ordinaire, il rencontre un samyaksam-buddha du temps passé. » (...)
« Sa "carrière de bodhisattva" s'étend donc sur un nombre considérable de vies successives,
regroupées traditionnellement en trois "périodes incalculables" (asmkhyeya kalpa). Au début de la
première, il produit la "pensée d'éveil" mais n'est pas assuré de pouvoir un jour atteindre le but qu'il
s'est fixé. Au début de la deuxième, il rencontre un samyaksam-buddha qui lui prédit le succès de son
entreprise. »
Cela veut donc dire qu'il rencontre plusieurs samyaksam-buddha au cours de ces trois « périodes
incalculables »...
Lors de la première rencontre - quand il produit la « pensée d'éveil » - le premier samyaksam-buddha
ne dit rien quant au succès futur de son entreprise, qui ne fait alors que débuter ! En revanche, le
samyaksam-buddha rencontré au début de la deuxième « période incalculable », étant donné que cette
entreprise du bodhisattva est déjà bien « entamée » (déjà une « période incalculable » !!), peut
confirmer qu'il parviendra bien au but...

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question 35 : Beauté des corps et méditation des moines
Dans le module 2, on trouve la phrase suivante, concernant le « Grand Départ » :
« Et le dégoût soudain qu'il ressent pour la charge de « maître de Maison » se double de la
contemplation de la vanité de la beauté des corps qui rappelle certains exercices de méditation qui
seront proposés aux moines. » Pouvez-vous nous éclairer sur le lien entre la beauté des corps et la
méditation des moines ?

réponse :
Attention ! Comme pour la première question : le texte cité ne dit pas tout à fait ce que vous semblez
vouloir lui faire dire. Il est question de « la vanité de la beauté des corps », ce qui est un détail
important !
En l'occurence, nous évoquerons plus précisément ce type de méditation dans l'Unité de Cours... 6, en
début de seconde année !!
Disons pour l'instant, sans entrer dans les détails, qu'il s'agit d'une forme de méditation appelée
« contemplation des horribles ». Certains moines - cet exercice, particulièrement délicat, est soumis à
de nombreuses conditions... - seront alors invités à contempler un cadavre en décomposition... pour
apprécier à sa « juste valeur » la beauté des corps !! C'est-à-dire pour prendre conscience - assez
radicalement, ici, il faut le reconnaître ! - que la beauté est éphémère et dépend de certaines
conditions... et que, quand les conditions ne sont plus réunies, une telle « beauté » apparaît comme très
« relative », c'est le moins qu'on puisse dire...

question 36 : Amour bienveillant et Compassion


On évoque, dans les dix pâramitâ, l'« amour bienveillant » (maîtri). Est-ce que cet Amour-là peut être
considéré comme synonyme de Compassion ?

réponse :
Nous évoquerons, dans une Unité de Cours ultérieure, ce qu'on appelle les « Quatre Demeures
divines », dans le bouddhisme ancien, les « Quatre Incommensurables » ou « Quatre Illimités » dans le
bouddhisme Mahâyâna et les écoles qui s'y réfèrent... Il s'agit de l'Amour bienveillant, de la
Compassion, de la Joie sympathique (ou participative) et de l'Equanimité.
L'Amour bienveillant y est dissocié de la Compassion, bien qu'il en soit fort proche. En effet, l'Amour
bienveillant consiste à souhaiter que tous les êtres soient heureux, alors que la Compassion consiste à
souhaiter que tous les êtres échappent à la souffrance : autrement dit « bonheur » et « absence de
malheur », ce qui se complète... mais n'est pas tout à fait équivalent !

question 37 : bouddhisme et végétarisme


Le Bouddha Sâkyamuni est décédé suite à une crise de dysenterie consécutive à un repas à base de
porc. L'ingestion de viande est-elle compatible avec une pratique du bouddhisme ? Cela me semble
contraire aux parâmitâ (l'amour bienveillant et l'équanimité).

réponse :
Vous évoquez une question qui a été longuement débattue au sein de la communauté bouddhique et
qui agite encore aujourd'hui jusqu'aux milieux scientifiques !! Le « délice de porc » qu'un laïc offrit au
Bouddha quelques jours avant sa « disparition » - et qui provoqua effectivement, selon la tradition, une
dysenterie... - était-il un plat de viande de porc ou de champignons (dont un porc fait son délice) : telle
est la question... jamais résolue !
Quoi qu'il en soit - et pour répondre plus largement - la question du végétarisme dans le bouddhisme
doit être abordée sans oublier nos propres a priori. Je veux dire que cette idée que tout bouddhiste est

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forcément végétarien... est une idée occidentale, largement contredite par la réalité, notamment dans le
monde indo-tibétain.
En fait, elle est due en grande partie au fait que notre connaissance du bouddhisme pratiqué (et non
plus seulement théorique) a débuté essentiellement avec la connaissance du Zen, tel qu'il fut transmis
des Etats-Unis, après-guerre, notamment par l'intermédiaire des arts martiaux. Or, il se trouve que les
bouddhistes chinois sont, assez majoritairement, végétariens. Mais ce végétarisme n'a rien de vraiment
spécifiquement bouddhiste, puisqu'il leur fut imposé, aux environs du VIIe siècle, par ordre de
l'Empereur, sous l'influence des taoïstes (végétariens stricts, eux) et pour des raisons autant
économiques que politiques ! Je ne rentre pas dans les détails...

Dans le bouddhisme ancien, le Bouddha interdit aux moines de léser tout être vivant, donc de tuer...
mais il n'interdit nullement de manger de la viande, hormis cinq viandes jugées impropres à la
consommation... par les brahmanes !
Il s'agissait en fait de ne pas choquer le milieu social dans lequel évoluaient les moines bouddhistes.
Ces cinq viandes « interdites » étaient celles du lion, de l'éléphant et de la vache, considérés comme «
sacrés », et celles du chien et du serpent, jugés « impurs » (on pourrait imaginer, aujourd'hui, que des
moines bouddhistes en Grande-Bretagne refuseraient de manger du lapin - considéré comme un
animal de compagnie - ou des escargots et des grenouilles - jugés répugnants...).
Dans la pratique, les moines ont obligation de se nourrir des offrandes que leur font les laïcs et de ne
rien demander ni refuser : si, lors d'une quête, on leur offre un peu d'un plat de viande préparé pour la
famille du laïc, les moines ont alors obligation de le manger... quoi que ce soit, et sans rien dire ni
penser, juste « prendre ce qui a été donné », comme le stipule leur règle. On part du principe que les
laïques ne savaient pas forcément que des moines allaient passer devant chez eux pour quêter et que,
donc, ce plat ne leur était pas spécifiquement destiné.
En revanche, si des laïques invitent des moines chez eux ou se rendent au monastère pour y cuisiner, il
va de soi - normalement - qu'ils ne devraient pas préparer de viande, car alors ils tueraient pour des
moines ! Mais, dans les faits, aussi bien en Inde ancienne, qu'en Asie du sud-est ou au Tibet
aujourd'hui, il est très fréquent que les moines se fassent servir de la viande. Pour le Tibet, d'ailleurs,
cela ne doit rien avoir de choquant : les conditions climatiques du pays ne permettent pas de se
contenter des seuls végétaux, qu'il est difficile de cultiver à cette altitude et qui ne suffiraient pas à
garder le corps en bonne santé pour la grande majorité ! D'ailleurs, la règle monastique appliquée dans
ce pays ne respecte pas non plus le voeu, préconisé à l'origine, de ne rien manger après le passage du
soleil au zénith...

Cette question de la nourriture est en fait beaucoup plus complexe et nuancée que ce que nous
croyons, car il faut tenir compte, à la fois, du souhait de ne tuer aucun être vivant, mais aussi de la
nécessité de se maintenir en bonne santé (la règle monastique prévoit d'ailleurs de très nombreuses
exceptions aux règles pour les moines malades... jusqu'à autoriser la consommation d'alcool), et du fait
que le don permet aux laïques de se procurer des « mérites ». Dans ce dernier cas, refuser un plat offert
serait empêcher un laïc de gagner un mérite... ce qui est inconcevable si l'on entend pratiquer
réellement la compassion !!
Il faut donc, ici, rechercher toujours la Juste Voie du Milieu et se garder de tout « légalisme » par trop
intransigeant... C'est d'ailleurs de cette manière qu'on cultive le mieux l'Attention vigilante et le
Discernement !

question 38 : Pouvoirs et magie...


Décrivant les « pouvoirs » du Bouddha, vous évoquez des pratiques magiques utilisées encore
aujourd'hui par les Yogis. Peut-on considérer que la magie et ses prétendus effets soient quelque chose
de réel à notre époque.

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réponse :
J'employais le terme de « magie » pour désigner des phénomènes non expliqués scientifiquement... Il
en est de nombreux !
En l'occurrence, ceux visés ici ne sont pas forcément des phénomènes dus à des « pouvoirs occultes »
au sens traditionnel du terme (magie « noire »), bien que « occulte » ne veuille rien dire d'autre que
« cachés » et donc « non accessibles au commun ».
Il s'agit des « pouvoirs » comme ceux de se déplacer de manière inhabituelle, de lire dans la pensée
d'autrui, etc. tous pouvoirs que les bouddhistes, comme tous les Indiens (et bien d'autres...), ont
toujours reconnu comme « extra-ordinaires », mais néanmoins accessibles à qui pratique certains
exercices psycho-physiques.
C'est aussi, par exemple, le résultat de certaines techniques de méditation, employées notamment pas
des moines bouddhistes tibétains, connues sous le nom de « tumo », qui permettent de produire une
intense chaleur capable de sécher les vêtements mouillés que porte le moine. Alexandra David Neel en
a parlé dans ses livres et ces phénomènes ont fait l'objet d'études « scientifiques » (notamment en
France), sans qu'on parvienne à les expliquer réellement...
Sans être un adepte de la « magie », je reconnais volontiers qu'il y a des phénomènes inexpliqués par
la science... et je ne pense pas, à vrai dire, que la science puisse (et moins encore : doive) tout
expliquer !! Mais c'est un point de vue personnel...
Cela, bien sûr, peut « choquer » notre état d'esprit d'Européens du XXIe siècle, mais le bouddhisme
s'est toujours présenté comme « une doctrine à contre-courant ». De telles affirmations relèvent de ce
« contre-courant » !
Il s'agit ici de sortir de nos habitudes de pensée, d'élargir notre point de vue... Mais il est aussi
demandé (nous le verrons plus tard dans le cours) de « vérifier par l'expérience » et de « ne rien croire
sur parole ».
Et encore : de ne pas rejeter a priori une idée qui nous choque dans nos habitudes, car ces habitudes
sont justement ce qui nous maintient dans le samsâra et la souffrance !!...

question 39 : A propos de Thich Nhat Hanh


Dans le module 2 chapitre IV (Les biographes modernes en Asie), vous citez le maître vietnamien
Thich Nhat Hanh qui réinterprète lui aussi les textes anciens, ou du moins qui en fait une réécriture. Je
pense que cela lui permet d'être mieux compris des auditeurs occidentaux. Toutefois (me faisant
l'avocat du diable) vous indiquez que pour lui, la voie de l'éveil est clairement associée à l'exercice de
la « Pleine Conscience », expression inconnue de toutes les traditions. Pourtant sa pratique me semble
totalement inspirée (empruntée) du Mahâ-Satipatthâna-Sutta. Je vous l'accorde ce texte ancien me
paraît correspondre parfaitement à l'esprit zen.

réponse :
Vous prenez de l'avance par rapport à notre programme ! Car nous évoquerons à nouveau les courants
« modernes » (et donc Thich Nhat Hanh) et le texte du Mahâ-Satipatthâna-Sutta, mais... en début de
deuxième année (Unités de Cours 5 et 6) !!
Nombre des particularités de l'enseignement de Thich Nhat Hanh s'expliquent du fait qu'il est né et a
été formé dans le Sud-Viêtnam. Cette région est au confluent des influences du bouddhisme chinois
(surtout Zen) et indochinois (Theravâda). Or, le Mahâ-Satipatthâna-Sutta est un des textes de base de
la pratique du Theravâda.
Cela dit, c'est l'expression elle-même de « pleine conscience » dont je disais qu'elle n'apparaissait dans
aucune tradition ; mais en ce qui concerne le contenu de la pratique ainsi appelée, elle trouve
effectivement ses fondements dans le Mahâ-Satipatthâna-Sutta... qui diffère très nettement de ce
qu'enseigne le zen (que vous verrez dans l'Unité de Cours 9 !).

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question 40 : bouddhisme et nourriture (suite...)
Dans votre réponse à la Question 37, vous développez le point particulier de la nourriture et plus
précisément le fait de consommer de la viande.
Effectivement je suis de ceux qui ont été surpris de rencontrer des Bouddhistes consommateurs de
viande car je pensais que le précepte "Ne pas tuer" aurait rendu les Bouddhistes végétariens. Or il n'en
est rien et vous l'expliquez sous un jour nouveau pour moi. Je comprends mieux ainsi que l'on puisse
considérer le Bouddhisme comme une tradition de tolérance.
Par contre je n'ai aucune information sur la règle qui préconise de ne rien manger après le passage du
soleil au zénith. Les moines ne prennent donc qu'un repas par jour ? Quelles en sont les raisons ?

réponse :
Effectivement, les moines (bhikkhu) s'engagent à ne prendre aucune nourriture solide après le passage
du soleil au zénith. Mais une telle pratique ne leur est pas réservée... Elle est aussi suivie par de
nombreux laïques, généralement lors des retraites de méditation ou lors des "jours de fête", comme les
jours de pleine et de nouvelle lune, généralement dédiés - comme les dimanches chrétiens - à une
visite à la pagode, aux dons aux moines, à l'écoute des enseignemets, et - pour certains - à la pratique
de la méditation.
Une telle pratique a plusieurs explications. D'abord un moine - ou un méditant - n'exerce aucune
activité physique importante qui nécessiterait une nourriture plus abondante : un petit déjeuner et un
déjeuner copieux suffisent pour maintenir le corps en santé, ce qui est le but des repas, normalement...
Voici, à titre d'exemple, ce que les moines et les retraitants du Theravâda ont l'habitude de réciter,
chaque jour, avant le repas de midi :
"Nous utilisons la nourriture en la considérant de façon correcte, non pas pour s'amuser, ni pour se
gaver, ni pour s'engraisser ou pour la beauté du corps ; mais seulement pour entretenir le corps et lui
conserver la bonne santé nécessaire à la vie pure, en pensant : nous allons ainsi détruire la sensation
précédente de faim, sans produire une nouvelle sensation due à trop de nourriture. Nous serons ainsi
libres de toute maladie du corps et vivrons sans inconfort."
Ensuite, les moines dépendant exclusivement des dons de nourriture que leur octroient les laïques (ils
n'ont le droit, ni de cultiver ni de cuisiner...), il ne faudrait pas que leur appétit vienne à devenir une
charge trop importante pour les donateurs... D'ailleurs, lorsqu'une communauté monastique ne pouvait
plus être nourrie correctement par les laïques - lors d'une famine, par exemple - les moines en vinrent
parfois à renoncer à leur voeux et à retourner à la vie laïque... Ce fut le cas plusieurs fois dans l'histoire
de Ceylan.
Enfin, pour les laïques, lors des jours de fête, c'est une occasion d'offrir ce repas auquel ils renoncent à
des personnes nécessiteuses...
Précisons enfin que cette règle peut ne pas être suivie lorsqu'un moine est malade et que sa santé
nécessite de prendre davantage de nourriture.

question 41 : Le Grand Homme peut-il choisir de devenir Bouddha ou "Roi à la roue" ?


Dans le paragraphe consacré à la naissance du futur Bouddha, les devins constatent que l'enfant est
"marqué" des signes de sa supériorité : 32 marques le signalent comme "Grand Homme" (mahâ-
purusa). Puis il est dit : "Selon qu'il s'engagera dans une voie temporelle ou spirituelle, le Grand
Homme pourra devenir soit un "Roi à la Roue" (çakravartin) [...] soit un Bouddha...
Ce paragraphe me laisse perplexe, car il me semble que, décrit ainsi, le Grand Homme aura le choix
entre deux voies. Or, dans vos commentaires, vous avancez l'idée du manque de liberté du
Boddhisattva en corrélation avec son voeu initial. Pensez-vous que ce "choix" aurait
pu éventuellement s'effectuer, auquel cas il n'y aurait pas eu de Bouddha mais un Roi. Mais il ne s'agit
peut-être là que d'un moyen habile pour intégrer la tradition Brahmanique de l'époque ?

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réponse :
Effectivement, les paroles mêmes du devin laisseraient entendre que l'enfant aurait le choix. Mais, en
fait, il n'en est rien !
Malgré tous ses efforts pour retenir le prince dans son palais et l'éloigner des misères du monde, le roi
ne peut empêcher son fils d'effectuer les "Quatre rencontres" décisives et de s'engager sur la voie du
Bouddha. Cette vie a été "déterminée" par les actes antérieurs du boddhisattva - dont il a perdu
conscience en naissant comme homme, mais qu'il retrouvera lors de l'Eveil, en acquérant l'"oeil divin"
qui lui permettra de se rappeler ses vies antérieures.
Le choix que vous évoquez est seulement celui de l'interprétation du devin : lui ne dispose pas des
éléments qui lui permettrait de savoir s'il l'enfant sera Roi ou Bouddha. Mais, selon la légende, un
vieillard qui se rend près des époux royaux et découvre l'enfant, lui, sait que cet enfant deviendra un
Bouddha et il pleure, car il est trop vieux pour pouvoir bénéficier du futur enseignement qui le
délivrerait dès cette vie...
Quant à cette vision du "Roi à la Roue", qui règne selon le Dharma bouddhique (justice et non-
violence), c'est une réinterprétation du mythe brahmanique, à la "sauce" bouddhiste... Car le "Roi à la
Roue" brahmanique, selon le Dharma dévique, est un roi qui exerce la violence, selon l'Ordre des
choses propre aux Ksatriya, les chefs guerriers.
En fait, cette vision des choses sera surtout théorisée après le règne du roi Asoka (vers - 250), qui
débutera son règne comme Roi brahmanique, violent, mais, après sa conversion, se présentera comme
Roi bouddhique, exerçant son pouvoir pour faire régner la paix et la concorde...

question 42 : A propos de la prédestination


Dans les textes anciens le Bouddha semble prédestiné à parcourir un certain chemin (c'est l'« Ainsi-
Allé »). Il suit le même chemin que tous les Bouddhas précédents. Ma question est : pour un être
« ordinaire », est-on conditionné par notre karma à commettre des actions positives et/ou négatives ou
y a-t-il libre arbitre dans une certaine mesure, ce qui permet d'influer sur les prochaines renaissances ?

réponse :
Nous aurons l'occasion de voir (dans l'Unité de Cours suivante) que le karma ne doit pas être
considéré comme une « prédestination » ou un « déterminisme », bien que j'employais moi-même
cette expression de « prédestination » (avec des guillemets de précaution.) à propos de la carrière du
bodhisattva... Répondons donc pour l'instant aussi simplement que possible, en attendant de voir plus
en détails : si le karma nous prédestinait à toujours reproduire le même type d'action,
« mécaniquement », il n'y aurait pas de fin à cette reproduction ! Or, c'est bien le contraire qu'enseigne
le bouddhisme en nous proposant une « sortie » du samsâra... En fait, on a toujours la possibilité de
reproduire ou non de tels actes, mais l'aveuglement (ou l'Ignorance) nous en empêche le plus souvent.
Cela dit, on n'emploiera pas l'expression de « libre-arbitre » car elle suppose qu'il existe réellement un
« agent » ou un « sujet » qui agit ou non, ce qu'on appelle dans le monde indien un âtman... que le
bouddhisme nie ! On parlera plutôt d'actes « karmiques » ou d'actes « dharmiques » - notions que nous
étudierons dans le cours suivant.
Encore un peu de patience...

question 43 : Sur les circonstances qui rendent incapables les pratyeka-buddha d'enseigner
Je m'interroge sur les explications données sur l'incapacité des pratyeka-buddha à enseigner. Autant je
comprends que leur cheminement vers la bodhi ne leur permet pas d'avoir les capacités
exceptionnelles des samyaksam buddha autant je ne m'explique pas bien votre phrase : "Cette
impossibilité est due autant à leurs capacités insuffisantes qu'aux circonstances : ils sont devenus
buddha à une époque où les êtres sont incapables de recevoir ou de comprendre leur enseignement ".
J'ai du mal à cerner cette notion de circonstances.

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Il est précisé plus loin dans les questions-réponses des sessions précédentes, question n° 9, que l'intérêt
du concept (existence des pratyeka buddha et donc de la possibilité d'atteindre l'éveil durant une
époque sans samyaksam buddha ou son enseignement ) est d'affirmer ainsi que le nirvâna et le dharma
sont toujours accessibles par expérience directe à quiconque fait ce qu'il faut pour cela....
Comment peut-il exister une époque durant laquelle l'ensemble des êtres seraient incapables de
recevoir ou de comprendre l'enseignement ? Quelles en sont les caractéristiques ?

réponse :
Votre question en contient plusieurs...
Peut-être (sans doute) ne l'auriez-vous pas posée si vous aviez déjà pris connaissance du module 3 de
l'Unité de Cours 2... mais vous ne découvrirez celui-ci que dans quelques semaines ! En effet, nous y
verrons cette idée de "circonstances" - notion centrale de la Doctrine bouddhique - sur laquelle,
finalement, porte votre question.
D'abord, contrairement à ce que vous dites, ce n'est pas le cheminement des pratyeka-buddha qui les
empêche d'enseigner, car, de ce point de vue, il n'y a guère de différences entre eux et les samyaksam-
buddha : les uns et les autres cheminent seuls et redécouvrent tout par eux-mêmes, sans recevoir
d'enseignement...! Ce sont bien les "circonstances" qui ne leur permettent pas d'enseigner.
Rappelez-vous cet épisode très important de la biographie du Bouddha, au cours duquel celui-ci - juste
après avoir connu l'Eveil - hésite à enseigner, car il pense que les êtres ordinaires seront incapables de
comprendre sa découverte. Il faudra l'intervention du dieu Brahma pour le convaincre... et encore -
célèbre parabole des lotus - le Bouddha déclarera-t-il que tous les êtres ne seront pas capables de
l'entendre !...
Selon le bouddhisme - nous le verrons... - tous les phénomènes se produisent en fonction de
circonstances particulières (c'est ce qui permettra d'affirmer qu'aucun phénomène n'existe "en soi").
L'accès à l'Eveil ou à l'enseignement d'un Bouddha, la possibilité même d'enseigner dépendent donc,
eux aussi, de circonstances qui peuvent être, ou non, favorables ! Cela n'a rien de choquant pour un
bouddhiste... Et cela explique aussi que l'on dise de ceux qui ont cette possibilité qu'ils disposent de "la
très précieuse existence humaine" - raison qui doit les pousser, urgemment, à s'engager sur la voie
bouddhique !!
Dans les récits "cosmologiques" - nous les évoquerons aussi plus tard - il est souvent fait allusion à ces
périodes "bénies" au cours desquelles l'humanité a la grande chance de pouvoir accéder à
l'enseignement d'un Bouddha vivant, ou à la transmission de cet enseignement par des disciples
accomplis... période qui ne dure pas longtemps, et dont il faut profiter sans tarder ! Car cet
enseignement, apparu à un certain moment, disparaîtra (après avoir été contrefait...). Nous reverrons
cela au début de l'Unité de Cours 2, quand nous étudierons plus précisément ce qu'est le Dharma -
l'enseignement du Bouddha...

question 44 : Une conduite « incorrecte »


Qu'appelle-t-on dans le bouddhisme une conduite incorrecte ? Renonciation de la vie à la maison pour
une vie sans foyer, cependant le monastère me semble remplacer cette maison, non ?

réponse :
La conduite « incorrecte » est, très généralement, celle qui reste soumise aux « trois Poisons » :
avidité, aversion et égarement mental. La conduite « correcte » est celle qui en est exempte... Plus
précisément, on évoque surtout la conduite « noble », qui est celle des disciples du Bouddha suivant
les Préceptes et les pratiques évoquées dans l'Octuple Noble Sentier et, notamment, qui s'abstiennent
de toute vie sexuelle - comme le font les « moines » - mais cela peut se faire sans être « moine » pour
autant ; pour des laïques, on appelle ça « vivre en frère et soeur »...! Nous étudierons ces notions et
évoquerons ces pratiques dans les UC suivantes...
Quant au monastère : au départ, il s'agit d'un simple lieu de résidence pour les « renonçants », pendant
la seule saison des pluies, alors qu'ils ne peuvent plus pratiquer la vie itinérante (à cause du climat !).
Puis les monastères sont devenus des lieux de résidence permanente, mais tous les moines peuvent

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reprendre la vie itinérante quand ils le veulent (les moines bouddhistes ne sont pas tenus à un « voeu
d'obéissance », comme les moines chrétiens, qui les obligerait à résider où leur supérieur leur dit de
résider : ils sont libres d'aller et venir à leur gré !). On ne peut donc pas considérer le monastère
bouddhiste comme un « refuge » ou, encore moins, un « foyer » ; il s'agit juste d'un abri contre les
intempéries... et cela est rappelé dans la règle monastique que l'ensemble des moines doit réciter
chaque quinzaine lunaire !

question 45 : faut-il être moine pour sortir du samsâra ?


Il me semble que pour finir le cycle de vie et mort, l'individu doit passer par la vie de moine, ai-je bien
compris ?

réponse :
Etre moine n'a rien d' « obligatoire »... C'est l'état d'esprit qui importe et les textes anciens évoquent
des laïcs qui sont devenus « arhat » sans cesser d'être des « maîtres de maison ». Mais leur mode de
vie, il est vrai, ressemblait beaucoup à celui de « moines ». Je ne souhaite pas développer encore, ici,
ces notions qui seront plus précisément étudiées dans l'Unité de Cours 4, consacrée aux « pratiques ».
Mais vous pouvez consulter les archives du « Micro-Hebdo » n° 69 :
http://www.bouddhisme-universite.net/micro-hebdo/micro-hebdo69.htm#upasaka
et compléter avec l'article publié dans la « Lettre de l'UBE » n° 20 que vous pouvez télécharger à la
page suivante :
http://www.bouddhisme-universite.net/DOC/let/Lettre-UBE.htm.
Concernant les modes de vie du « maître de maison » et du « renonçant », il faut être attentif, car les
textes anciens, même s'ils privilégient le mode de vie du « renonçant » (qui est comme « la vie en
plein air » et « parfaite comme une conque ». selon les expressions traditionnelles), ne sont pas aussi
« radicaux » que le seront les « églises » bouddhistes au cours des siècles suivants... En un sens, on
peut dire que les textes sont plus « souples » que les « écoles » qui s'en inspirent et qui les transmettent
- c'est la même chose qui s'est produite avec les Evangiles et l'Eglise catholique... De ce point de vue,
les bouddhistes ont commis les mêmes erreurs de « radicalisation » que les chrétiens !!

question 46 : Un futur samyaksam-buddha est-il « ambitieux » ?


Dans l'unité de cours 1, en particulier dans le dernier texte commenté, on a vu que le Bouddha jouit de
la « supériorité sans supérieur ». Il est supérieur aux plus hauts personnages temporels (certains rois
l'admettent même). Il est supérieur à tous les hommes ordinaires bien sûr, mais également à ses
« concurrents » humains, les grands ascètes, brahmanes (certains l'admettant et se convertissant). Il est
supérieur aux dieux brahmaniques, incluant le plus puissant, qui ont avantage à devenir ses disciples.
On a vu que ce mouvement de singularisation est en même temps accompagné d'un mouvement
opposé qui fait du Bouddha malgré tout un homme, voire un homme « ordinaire » (du moins devait-il
l'être dans ses premières incarnations). J'ai deux questions...
Sâkyamuni est-il supérieur aux autres bouddhas de son type (les samyaksam-buddha), ou ces
bouddhas sont-ils égaux ? C'est une chose d'être supérieur et que les disciples l'affirment (à des fins de
persuasion : donner et maintenir la foi), c'en est une autre que le Bouddha lui-même le dise et insiste
sur la chose (du moins dans les propos qu'on lui prête). Pourtant, l'une des qualités que l'on accorde à
la plupart des éveillés, du moins dans ce que j'ai lu, c'est l'humilité. Par exemple, le Dalaï lama actuel
répète-t-il, sans vraiment nous convaincre, qu'il n'est qu'un simple moine. Quelle est la place de
l'humilité, en particulier celle de l'être éveillé, dans le bouddhisme originel ?
Le bodhisattva est-il un « ambitieux spirituel » (il désire un éveil supérieur) ou un altruiste
pragmatique (il désire aider plus de personnes et mieux en devenant un samyaksam-buddha, doté du
pouvoir de l'enseignement) ?

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réponse :
Deux ou trois questions, donc...

1) La « supériorité » du samyaksam-buddha ne tient pas tant à l'Eveil (selon le bouddhisme ancien,


l'Eveil est le même pour tous : buddha, arhat et « buddha-pour-soi »...) qu'aux qualités qu'il a
développées pendant sa carrière de bodhisattva (grâce aux pâramitâ) qui lui permettront d'être un
enseignant « sans supérieur ». On n'évoque pas non plus de différences entre les samyaksam-buddha
qui se sont succédé...
2) Il va de soi qu'on ne peut pas considérer les « sûtra » comme le témoignage véridique des paroles
du Bouddha historique lui-même... il s'agit de la compilation d'enseignements transmis par ses
disciples : l'exagération évidente des qualités du « maître » ne permet pas d'induire les qualités
psychologiques du personnage réel !! C'est vrai qu'aujourd'hui on insistera volontiers sur la
« modestie » des Eveillés... mais, dans le contexte de l'époque, il semble bien que l'énonciation de la
supériorité se présentait comme un gage de véracité - question de culture, sans doute.
3) Que le Dalaï-lama insiste avec humilité sur sa qualité de « moine » ne permet pas de dire qu'il est
un Bouddha !! Et seul un Bouddha pouvant reconnaître un autre Bouddha - et comme je sais ne pas en
être un... - je m'abstiendrais de porter un tel jugement et vous conseillerais de faire de même !!!
4) Certes, on peut parler d' « ambition ». mais dans un but altruiste, c'est évident ! Si ça n'est déjà fait,
je vous conseille de lire - à ce sujet - le « texte complémentaire n° 2 » :
http://www.bouddhisme-universite.net/CEL/textes/texte2.htm#texte2,
dans lequel le futur « Bouddha historique » - alors qu'il n'est que l'ascète Sumedha - déclare :

« Je souhaite brûler mes souillures maintenant. Pourquoi moi, qui ai l'aspect d'un inconnu,
verrais-je ici la Doctrine avec évidence pour moi [seul] ? Ayant atteint l'Omniscience, je
deviendrai un Buddha dans le monde des hommes et des dieux. Pourquoi serais-je le seul
homme à "traverser", ayant vu sa fermeté ? Ayant atteint l'Omniscience, je ferai traverser [les
êtres], dans le monde des hommes et des dieux. Par ce service méritoire rendu par moi au plus
élevé des hommes, ayant atteint l'Omniscience, je [veux] faire traverser de nombreuses
personnes. Ayant coupé le courant de la transmigration, ayant détruit les trois [formes]
d'existence, étant monté sur le bateau de la Doctrine (Dhamma), je ferai traverser [les êtres],
dans le monde des hommes et des dieux. »

question 47 : Existe-t-il actuellement des buddha ?


Si seul un Bouddha peut reconnaître un autre Bouddha, existe-t-il actuellement des Bouddhas
reconnus par d'autres Bouddhas vivants? Ce mode de reconnaissance n'a-t-il pas entraîné des dérives
sectaires au cours des siècles ?
De plus,iIl est écrit page 12 du module 1 : "Selon la tradition, il existe de très nombreux buddha, il y
en a eu dans le passé, il en existe à notre époque, il y en aura d'autres à venir. Le buddha Sâkyamuni
n'est que l'un de ces nombreux buddha...". Propos que vous reprenez dans votre synthèse, ce qui
explique ma précédente question. N' y a-t-il pas une confusion entre "buddha" et "arhat" ?

réponse :
Lorsqu'on évoque les « buddha », il s'agit toujours d'un anuttara samyaksam buddha, « pleinement et
complètement éveillé, sans supérieur », jamais d'un arhat. Et, n'étant pas buddha moi-même, il m'est
tout à fait impossible de répondre à votre question...
D'autre part, si l'on suit les éléments traditionnels, un buddha devrait porter les 32 marques distinctives
du "Grand homme" :
http://www.bouddhisme-universite.net/CEL/UC1/module2/uc1-module2-annexes.htm#3
Je ne sache pas qu'on ait signalé récemment l'existence d'un homme qui se présenterait ainsi et -
comme le dit un de mes collègues - "Si on en rencontrait un de ce genre, on le prendrait sans doute
pour ET...!!"

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Trêve de plaisanterie...
Aucune école, actuellement, ne reconnaît l'existence d'un buddha "pleinement et complètement
éveillé".
Il est d'ailleurs précisé qu'il n'apparaît un tel buddha qu'une fois par ère cosmique et, actuellement,
nous vivons dans l'ère cosmique du buddha Gautama Sâkyamuni... Il faudra donc attendre plusieurs
siècles (voire millénaires, selon les écoles) avant que n'apparaisse à nouveau un tel buddha - on
connaît néanmoins déjà son nom : il s'agit de Maitreya !!
C'est un moyen comme un autre pour éviter, justement, les dérives sectaires que vous craignez (sans
doute à juste titre !).
En revanche, on reconnaît l'existence de quelques arhat au XXe siècle, dans les pays d'Asie du sud-est
(quoique, pour la majorité, même l'état d'arhat n'est plus atteignable aujourd'hui...), et d'un certain
nombre "d'entrés dans le courant" - premier stade de réalisation spirituelle important (nous verrons
cela dans l'UC4).
Dans les traditions zen et tibétaines, on n'évoque pas non plus d'existence actuelle de buddha tel que le
Bouddha historique ; tout au plus évoquera-t-on quelques grands "maîtres réalisés"... mais dont il
faudrait préciser la nature exacte (cela dépendra de chaque école !) ou de "manifestations" (ce qu'on
appelle les "maîtres réincarnés" en Occident : tülkou, en tibétain) de bodhisattva (comme le Dalaï-
lama, par exemple).
Il y a bien eu quelques "illuminés" - au sens trivial du terme... - dans les siècles passés, mais, en
général, on ne peut pas dire qu'il y ait eu ne serait-ce qu'une personne qui ait affirmé être ou qui ait été
prise pour un "samyaksam buddha" depuis la disparition du buddha Gautama...

question 48 : Un dieu (deva) peut-il devenir buddha ?


Il est écrit dans le texte du cours page 5 : « Un homme, seul un homme, peut devenir Bouddha ». Ceci
implique-t-il qu'un dieu, pourtant « supérieur » à l'homme dans la cosmologie Bouddhique, ne peut pas
devenir un Bouddha ? Le cas échéant, serait-ce parce qu'il ne peut pas pratiquer la Voie ? Ou alors, un
dieu peut-il seulement devenir un « simple bouddha » (pratyeka-buddha ou sravaka-buddha) ? Sinon,
pourquoi ?

réponse :
On dit, traditionnellement, dans le bouddhisme ancien, que les destinées autres qu'humaines sont des
états d'existence « rétributifs », c'est-à-dire qu'ils sont le fruit des actes commis dans les vies
antérieures mais qu'on ne peut, dans ce type d'existence, commettre de nouveaux karma - on ne peut
que subir, mais pas « agir » (au sens karmique...). Les dieux sont donc « incapables » de commettre
de bons karma ni même de pratiquer la Voie. Voilà aussi pourquoi les animaux comme les prédateurs
ne commettent pas de « mauvais karma » s'ils tuent d'autres animaux ou des humains. En fait, le
karma ne concerne réellement que les humains !
Dans ces destinées, l'être re-né est contraint d'attendre, en quelque sorte, que l'effet de ces actes
antérieurs s'achève ou soit contrarié par l'effet d'un autre karma, sans pouvoir rien faire lui-même.
Dans le cas des êtres divins (deva) et des fantômes affamés (preta), cependant, il est possible
d'intervenir sur leur durée d'existence en ces mondes en leur « transmettant des mérites ». Il faut, pour
que cette « transmission des mérites » fonctionne, que la personne concernée (celle au nom de qui un
humain agit et au profit de qui il « transmet des mérites ») se réjouisse de l'acte qui a été commis en
son nom (c'est une condition indispensable !). Or, seuls les deva et les preta peuvent entrer en
communication avec les êtres humains et, donc, apprendre ce qu'on a fait pour eux ! Eux seuls, alors,
peuvent se réjouir d'un don fait en leur nom et le bénéfice de ce don peut infléchir le cours de la
rétribution karmique en leur faveur - notamment en leur permettant une renaissance plus rapide dans le
monde des humains.

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question 49 : Le « maître » dans les pays du Theravâda
Il est écrit dans le texte du cours page 13 : « Les Sravaka-Buddha ne peuvent enseigner à leur tour que
dans la mesure où ils réutilisent l'enseignement qu'ils ont eux-mêmes reçus. ». Ceci expliquerait-
il deux caractéristiques que j'ai remarquées dans les Sangha Theravâda que je connais (Laotien et
Thailandais) ? Lorsqu'ils enseignent, les maîtres évoquent essentiellement les paroles du Bouddha et se
réfèrent rarement à celles de leurs prédécesseurs. Il me semble qu'il n'y a pas de « lignée ». Tout au
plus a-t-on retenu les noms de quelques maîtres du passé... généralement pour des raisons historiques
(accomplissements temporels tels que construction de temple, par exemple) mais jamais (à mon
humble connaissance) pour leur propre enseignement (hormis leur "transmission" des paroles du
Bouddha, bien sûr).
NB : ce constat m'intrigue depuis longtemps car la situation me semble différente dans le Mahâyâna
(lignées zen, Tibétaines, etc.)

réponse :
Vous avez tout à fait raison ! Et c'est un point que nous pourrons développer lors de votre étude de
l'Unité de Cours 6, consacrée plus particulièrement à l'école Theravâda (l'année prochaine...).
En effet, pour le Theravâda il n'existe qu'un seul « maître » : le Bouddha ! L'enseignant n'est que le
transmetteur de l'enseignement du Bouddha - c'est aussi pourquoi, souvent, lors d'une cérémonie
publique, le moine qui prêche ou récite certains textes de bénédiction, le fait-il avec un grand éventail
devant le visage, afin que l'auditoire n'associe pas ce qu'il entend à une personne en particulier, mais
que ce qu'il dit soit entendu comme si c'était le Bouddha lui-même qui parlait.
La situation est en effet différente dans le Mahâyâna, quoique, normalement, chaque « maître » doit
être considéré comme la « manifestation » de sa « Nature de Bouddha », ce qui est sensé réduire la
personnalisation ! Mais dans les faits - et surtout en Occident...

question 50 : L'extinction de l'arhat


Si je comprends bien le cours, selon la tradition, un disciple peut devenir Arhat (sravaka-buddha). A
sa mort, il s'ensuivra son extinction et sa sortie définitive du samsâra. A priori j'en tirerais les
conclusions/questions suivantes :
- La tradition nous parlant aussi d'un "lieu de destination" des arhat après leur extinction, il ne faudrait
donc pas confondre extinction et disparition totale. Serait-ce alors seulement l'extinction du karma et
"quelque chose" (de non karmique) subsisterait, se retrouverait "quelque part" en dehors du samsâra ?
- Ce "quelque chose" et ce "quelque part" seraient-ils alors permanents ? Et faudrait-il donc en
conclure que l'impermanence ne s'applique qu'au samsâra ?
- Enfin, faudrait-il aussi en conclure à une coupure nette entre samsâra et "monde des buddha s'étant
éteints" ? Le cas échéant, cette coupure serait-elle hermétique, empêchant par exemple les arhat de
renaître dans le samsâra ?
J'avoue être franchement embrouillé dans ces questions et je ne distingue pas clairement la position
des Ecoles Anciennes sur ces points. Merci de m'éclairer.

réponse :
Vous abordez là des questions et sujets que nous étudierons plus amplement à la fin de l'Unité de
Cours 2.
Sans vouloir aller plus vite que la musique, comme on dit... cette question n'a rien de simple et a
d'ailleurs donné lieu à d'âpres discussions des bouddhistes entre eux et avec les représentants d'autres
spiritualités, en Inde et ailleurs !
Ce qui est sûr - et je m'en tiendrai là pour aujourd'hui (nous en reparlerons lorsque vous aurez pris
connaissance du dernier module de l'UC2, si vous le voulez bien...) - c'est que le Mahâyâna
n'envisagera pas de coupure ferme entre samsâra et nirvâna alors que les écoles anciennes et le
Theravâda ultérieur, eux, s'en tiendront à une stricte opposition entre samsâra et nirvâna : on peut être
dans l'un ou dans l'autre, mais pas dans l'un et l'autre à la fois.

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Je vous renvoie à un texte que j'ai traduit de l'anglais et qui figure sur le site général de l'UBE, dans la
rubrique « Université » => « Publications » => « Articles en ligne » : il s'agit du texte de Bhikkhu
Bodhi intitulé « Dhamma et non-dualité » :
(http://www.bouddhisme-universite.org/universite/publications/articles/dhamma-nondualite.html).
Vous y trouverez quelques précisions sur ce sujet - mais sachez que nous reverrons cela plus tard !!

question 51 : Les « corps illusoires » d'un buddha


Je pense avoir saisi le concept des trois corps d'un buddha mais si les concepts de corps corruptible et
de Dharma-Kâya me semblent clairs, je n'ai pas bien compris celui de « corps illusoires » en dehors du
fait que cela lui permet d'enseigner aux dieux en adoptant leurs formes. Quel est l'enseignement que
cette notion de « corps illusoires » implique ?

réponse :
A vrai dire, il ne faut pas aller chercher plus loin que vous ne le faites vous-même : ces « corps
illusoires » ne proposent pas d'enseignement particulier du point de vue bouddhiste, pour la Libération
du samsâra. Au contraire, pourrait-on dire...
Ces « pouvoirs » ont été acquis par le Bouddha, comme ils peuvent l'être par bien d'autres personnes,
par la pratique de certaines formes de méditation qu'on appelle « dhyâna » ou « absorptions ». Cette
forme de méditation n'a rien de spécifiquement bouddhiste et relève du yoga traditionnel indien (nous
reverrons cela dans l'Unité de Cours 4, consacrée aux pratiques). De tels pouvoirs sont donc
accessibles à toute personne capable de pratiquer avec suffisamment de constance ces types
d'exercices psycho-physiques qui permettent de développer des capacités « naturelles » de l'esprit et
du corps, mais que le commun ne développe pas.
Le bouddhisme admet ainsi très naturellement les « pouvoirs psychiques » comme la lecture dans les
pensées, la capacité de traverser les murs ou de se déplacer dans les airs, la possibilité d'adopter des
formes multiples, de se rendre invisible, de voir des fantômes et de communiquer avec eux, ou de voir
et d'entendre ce qui se passe dans les paradis ou les enfers, etc.
En revanche, parce que ces pouvoirs ne mènent absolument pas à la Libération du samsâra et qu'on
peut s'y attacher, le Bouddha a toujours mis en garde ses disciples face à leur « dangerosité » ! Dans la
règle monastique, d'ailleurs, un moine qui se targuerait de posséder de tels pouvoirs (notamment s'il
voulait ainsi obtenir certains « cadeaux » de la part de laïcs...) serait immédiatement exclu de la
communauté ! C'est dire qu'il ne s'agit pas là de capacités que le bouddhisme invite à développer ! On
les considère plutôt comme des « accidents de parcours » - des « effets secondaires » de certains types
de méditation - dont il faut se méfier...

question 52 : Question « multiple » sur le Bodhisattva, tel que le conçoivent les écoles anciennes.

question :
Tel que je le comprends, le bodhisattva renonce à appliquer l'enseignement disponible, chemine seul,
redécouvrant la Voie et « la Loi qui régit les phénomènes ». Cette « carrière » consistant à développer
les pâramitâ tout au long de multiples (!) existences.
Cela veut-il dire qu'il découvre tout seul que ce sont ces vertus qui le font progresser, ou admet-on au
moins qu'il apprenne la « liste » de quelqu'un - ce qui, bien-sûr, n'est rien face au travail consistant à
les mener à la perfection. Auquel cas il aurait été enseigné...

réponse :
Le texte du "Dipankara-buddha-vamsa", qui vous est proposé en "texte complémentaire", ne se résume
pas au seul passage qui vous est proposé...

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Il se poursuit, notamment, par un dialogue entre Sumedha et le Buddha Dipankara dans lequel
Sumedha explique au Buddha qu'il a décidé de "chercher les qualités faisant un Eveillé" et comment,
"ayant cherché, [il vit] alors la première, la Perfection du Don (dâna-pârami), le Grand Chemin suivi
par les Buddha du passé" (et ainsi, successivement, des 10 pâramitâ reconnues par le canon pâli).
Alors, Dipankara le conforte à chaque fois dans ses recherches en déclarant : "Toi, ayant affermi ainsi
cette Perfection, va, pratique-la assidûment si tu désires atteindre l'Eveil : en les menant à leur
perfection, tu atteindras le plein Eveil [...] Seules, dans ce monde, ces qualités conduisent à l'Eveil ; il
n'y a rien d'autre ailleurs ni au-dessus de celles-ci ; alors, établis-toi fermement en elles. Celui à qui j'ai
prédit aujourd'hui "Tu seras un Buddha dans le monde" réfléchit correctement à la Voie suivie par les
Victorieux du passé. Comme tous les Eveillés parfaitement accomplis pratiquèrent les dix Perfections,
toi aussi, Grand Héros, pratique-les !"
"Alors - poursuit Gautama qui raconte cette histoire... - ayant entrepris de suivre ces qualités spéciales
des Buddha, ferme en esprit, je rendis hommage au Buddha Dipankara et me levai de mon siège pour
pénétrer dans la forêt"... [version simplifiée...]
On constate donc que, dans ce récit, le Buddha Dipankara ne fait que confirmer Sumedha dans les
découvertes qu'il a faites, seul, sans recevoir aucune indication particulière de qui que ce soit... Il n'a
donc pas été enseigné. Et, en quittant Dipankara pour aller pratiquer dans la forêt, il renonce à suivre
l'enseignement de ce Buddha pour pouvoir poursuivre son chemin solitaire.

question :
Parmi les paramitas on trouve le renoncement et vous dites dans le cours que cela inclut, entre autres,
« ce que l'on nomme « la méditation » ». Il apprend donc à méditer tout seul ?!

réponse :
Effectivement, c'est seul qu'il "retrouve" la pratique de la méditation ; ce qu'il explique dans le
paragraphe intitulé "L'ascète Sumedha" :
" Ayant ainsi réfléchi, ayant donné aux riches et aux pauvres une richesse de plusieurs centaines de
millions, je parvins à l'Himalaya. [...] Là je fis des efforts en étant assis, en étant debout, en marchant.
En une semaine j'obtins le pouvoir de la Connaissance surnaturelle. De cette manière, j'ai obtenu les
accomplissements (siddhi) et je suis devenu un maître dans l'enseignement."

question :
Gautama est censé avoir bénéficié de l'enseignement de deux maîtres, avant ses années d'ascèse, qui
lui ont appris les jhâna / dhyâna. En lisant le texte complémentaire 2, le passage décrivant la pratique
méditative, lors de « la nuit » de l'Eveil, elle comprend bien, mais pas exclusivement, les jhana. Ne
peut-on pas alors considérer qu'il a bien reçu un enseignement, ce qui contredirait le principe du
« cheminer seul » ?!
Ou alors ce que l'on entend par « sans recevoir d'enseignement » ne recouvre que la partie « spécifique
au bouddhisme », notamment la Coproduction Conditionnée et les Quatre Nobles Vérités ?

réponse :
Effectivement... c'est "l'enseignement spécifique aux Buddhas" que le bodhisattva doit retrouver par
lui-même. La pratique des jhâna / dhyâna, que lui enseignent les deux maîtres brahmaniques, n'est pas
concernée par cette "obligation" - puisque ces pratiques, bien qu'elles puissent être "utiles" et
intéressantes, ne mènent pourtant pas à l'Eveil et à la Libération !
Au sens strict, "l'enseignement spécifique aux Buddhas" se résume aux Quatre Nobles Vérités : "Ceci
est souffrance, son origine, sa cessation et le chemin qui mène à sa cessation". La "co-production
conditionnée" n'est considérée, au départ, que comme un simple développement de la 2e Noble Vérité
- ce qu'elle est effectivement !

question :
J'ai hâte de voir comment le Mahâyâna avance doctrinalement une définition du Bodhisattva si
différente, étant celui qui fait le vou de Bodhi-citta en suivant l'enseignement disponible. Pourquoi n'a-
ton pas utilisé un autre terme ? J'imagine qu'on verra ça plus tard...

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réponse :
Désolé, je vais vous décevoir !!...
Le Mahâyâna n'avancera aucune justification doctrinale de sa vision différente du bodhisattva... car le
débat s'était engagé bien avant que le Mahâyâna n'apparaisse, entre les différentes écoles du
bouddhisme ancien ! Et cela, sans doute, à peine un siècle après la disparition du Bouddha...
Quand le Mahâyâna apparaît et se développe, la question est déjà "tranchée", en quelque sorte : la
moitié des écoles anciennes s'en tient à la définition du "cheminement solitaire, sans aide ni
enseignant", l'autre moitié admet que le bodhisattva reçoit des enseignements. Le Mahâyâna se
développe dans le contexte de ces écoles-là et n'éprouve donc pas le besoin de justifier ce que ses
prédécesseurs ont déjà fait !
Mais, quand je dis que la question est "tranchée", je dois nuancer... Car, en fait, la question reste "en
suspens", sans qu'on puisse dire que les uns ont tort et les autres ont raison !
Le canon commun aux écoles anciennes ne contient que très peu d'enseignements dans lesquels le
Bouddha Gautama évoque ses vies antérieures et, donc, ce que nous appelons sa « carrière de
bodhisattva ». Le « Dipankara-buddha-vamsa » en est un... Il y en a quelques autres qui confirment
cette « version » du « cheminement solitaire ».

Mais... il y en a un autre - un seul, à vrai dire ! - qui vient les contredire !!


Il s'agit du Ghatikara-sutta (Majjhima-Nikâya II, 4-1). Dans ce récit, Gautama raconte à son fidèle
compagnon et cousin Ananda la vie d'un potier nommé Ghatikara et sa très grande dévotion envers un
Buddha antérieur nommé Kassapa (en sanskrit : Kasyapa). Ce potier avait pour apprenti un jeune
brahmane du nom de Jotipala... Ghatikara a reconnu la valeur du Buddha Kassapa et de son
enseignement et presse son apprenti d'aller l'écouter, un jour que Kassapa réside dans un monastère
tout proche. Jotipala se fait prier, car il n'en a aucune envie ! Il finit par céder devant l'insistance du
potier et, une fois qu'il a entendu l'enseignement de Kassapa, transformé, il décide de devenir moine
(bhikkhu) et de pratiquer sous sa direction. Le récit continue ensuite sans plus se préoccuper de
Jotipala, car le potier va servir d'exemple à Kassapa pour faire la morale à un roi... On ne l'évoque à
nouveau, finalement, qu'à la toute fin du sutta, en conclusion. Gautama déclare alors à Ananda : « Tu
pourrais te demander, Ananda, si le jeune homme Jotipala a finalement atteint la perfection (l'Eveil) à
ce moment-là ? Mais il ne faut pas penser ainsi, car c'est moi qui étais ce Jotipala, alors... »
Voilà donc un texte dans lequel Gautama déclare avoir été bhikkhu sous la direction d'un Buddha
antérieur et, donc, qu'il a mis en pratique les enseignements d'un Buddha...
Cela suffira à certaines écoles anciennes pour déclarer qu'un bodhisattva peut donc recevoir des
enseignements...
Qui a raison ? Autant les uns que les autres puisque les textes, différents, existent et qu'ils ont été
transmis dans le canon commun... Nul ne peut trancher !

question :
Je vais au bout de ma logique, peut-être erronée : dans la perspective des écoles anciennes, en
admettant qu'un de nos contemporains ait formulé, il y a un temps lointain, le voeu de Bodhi-citta en
rencontrant un Bouddha... S'il était un pratiquant de nos jours, il ne serait alors plus « qualifié » pour
devenir Samyaksam Bouddha, puisqu'il aurait reçu un enseignement ! Peut-on en déduire qu'aucun
d'entre-nous ne « sera » un Samyaksam Bouddha ?

réponse :
Du point de vue des écoles anciennes, en effet... un tel « disciple » sortirait de fait de la voie du
bodhisattva solitaire. pour devenir un srâvaka, un « auditeur » ! Et, en allant au bout de votre logique -
qui n'est pas erronée... - aucun de ceux qui, aujourd'hui, « pratiquent » selon l'enseignement de
Gautama ne peut prétendre à l'Eveil parfait et complet d'un samyaksam-buddha !!

question :
Vous dites par ailleurs, à propos du Samyaksam Bouddha, « il ne s'agit en aucun cas d'un modèle à
suivre mais, bien au contraire, d'un modèle insurpassable » (p. 40). Pouvez-vous développer ?

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réponse :
Que dire de plus ?... Les réponses aux questions précédentes valent déjà pour celle-ci : un seul
samyaksam-buddha « suffit » par ère cosmique pour permettre à des milliers d'auditeurs de parvenir à
la Libération... Il n'est pas « nécessaire » - ni même « utile » - que tous s'engagent dans un tel chemin !
Allons plus loin : dans la perspective des écoles anciennes du « cheminement solitaire », ce serait
même absurde ! Imaginons... Tout le monde s'engage dans la voie du bodhisattva, donc du
« cheminement solitaire », et parvient à l'Eveil complet. La première caractéristique et l'intérêt de cet
Eveil est de permettre au samyaksam-buddha d'être un enseignant hors-pair... mais pour qui, dans ce
cas ? Si tout le monde s'engage dans le cheminement solitaire, plus personne n'a besoin d'être
enseigné !! Il n'y a donc aucun intérêt à disposer de samyaksam-buddha en grand nombre !...
D'ailleurs, ne serait-ce pas, alors, des « buddha solitaires » ? Car ils seraient, étant donné les
circonstances, dans l'incapacité d'enseigner... En fait, il n'y aurait plus que de futurs pratyeka-
buddha... !!

question 53 : Pourquoi Brahma doit-il inciter le Bouddha à enseigner ?


Il est dit que, après son Eveil, le Bouddha hésita à enseigner et que Brahma l'y incita en lui rappelant
les capacités diverses des êtres et que certains seraient capables d'entendre son enseignement, d'autres
non.
N'est-ce pas contradictoire avec la notion que le Bouddha « connaît la capacité des êtres » et « sait ce
qui possible et ce qui ne l'est pas » (p. 15) ? Il devrait ainsi « savoir » que cet enseignement profiterait,
malgré tout, à beaucoup ?
Ou, comme vous le signalez dans les questions-réponses précédentes, ces capacités ne doivent pas être
entendues comme telles, mais comme une intelligence des processus, « au sens général ».

réponse :
Votre question, en fait, porte bien plus sur le rôle des dieux - ici, Brahma - que sur les capacités du
Buddha lui-même.
Je m'explique : faut-il ici considérer Brahma comme un dieu réel qui intervient pour « faire
remontrance » au Buddha ou, plutôt, comme le symbole de la pensée du Buddha lui-même, à l'instar
du rôle que Mâra joue, au moment de l'Eveil, pour symboliser les « combats intérieurs » du futur
Buddha contre les passions ?...
Un autre épisode important de la biographie du Buddha, les « Quatre rencontres », est souvent appelé
les « Quatre messagers divins », car, selon une version, c'est le roi des dieux, Indra-Sakka, qui « prend
la forme » d'un malade, d'un vieillard, d'un mort et d'un ascète, pour « rappeler » au Buddha sa
vocation.
Du coup, l'intervention de Brahma ne serait plus une « remontrance » mais une « manifestation » que
le Buddha, juste après l'Eveil, prend conscience de ses propres capacités.
Un peu plus tard, il en va de même lorsque le Buddha décide d'enseigner ses deux maîtres
brahmaniques et qu'il « apprend » leur décès : certaines versions diront qu'il le voit grâce à son « oeil
divin » (capacité de voir ce que le commun ne peut pas voir), d'autres versions diront que « des
dieux » l'en avertissent - on voit bien là la confusion entre « l'oeil divin (du Buddha) » et « l'oeil des
dieux » !

question 54 : Quels sont les mérites de l'Arhat ou « Méritant » ?


Dans la tradition, l'Arhat est qualifié de « Méritant ». Comment donc concevoir correctement la notion
de mérite dans le Bouddhisme ?
Certains Maîtres Zen disent : « Pas de mérite (mushotoku) ! » comme dans le dialogue célèbre de
Bodhidharma et de l'Empereur Wu Ti... D'autres Maîtres Zen disent - par contre - que les pratiquants

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et les bodhisattva accumulent en effet des mérites, mais que ces mérites sont immédiatement offerts
par eux et redistribués à tous les êtres sensibles.
Que faut-il en penser ?
Ou bien vaut-il mieux laisser tomber immédiatement la question de savoir s'il y a mérite ou pas et la
considérer comme un vieil attachement à notre culture judéo-chrétienne ?

réponse :
Commencez par « laisser tomber » non seulement votre attachement à la culture judéo-chrétienne,
mais aussi les références au Zen : nous étudions, pour l'instant, le bouddhisme ancien !!!
Le Zen - qui relève du Mahâyâna - n'apparaît qu'au VIe siècle de notre ère, en Chine (sous le nom de
« Chan »), et pas avant le XIIIe siècle au Japon... C'est dire que les citations que vous faites sont, au
pire, « hors sujet » et, au mieux, tout à fait anachroniques (un millénaire, au moins...) !
D'autre part : méfiez-vous ce que l'on peut déduire des traductions en français car les termes sanskrits
ont une signification que la traduction ne rend qu'imparfaitement... En l'occurrence, « arhat » n'a rien à
voir avec les « mérites », tels qu'on les évoque traditionnellement (qui se disent : punya / puñña) ;
l'expression « Méritant » - pour « traduire » Arhat - est un « pis-aller ». La véritale traduction du terme
est « digne d' (éloges) », qu'on peut donc développer en « qui mérite (des éloges) », d'où l'emploi final
de « méritant »... mais il s'agit d'un choix linguistique des traducteurs occidentaux du XIXe siècle -
sans doute influencés par la « culture du mérite » qui caractérisait la IIIe République, laïque et
républicaine !!
La question des mérites (punya) ne concerne pas l'arhat, car un « mérite » - ou « bon karma » - est une
forme de karma auquel l'arhat a renoncé... sinon, il ne serait pas parvenu à l'Eveil.
Cette question complexe du karma sera évoquée dans l'Unité de Cours 2, que vous étudierez bientôt...
Reposez-moi votre question dans le contexte de cette Unité de Cours-là - après l'avoir étudiée !! Je
pense, alors, que vous ne la poserez pas tout à fait de la même manière...

question 55 : L'existence du Bouddha est-elle confirmée par une étude critique des textes ?
Vous écrivez dans le cours : "L'existence du Bouddha n'est plus remise en cause aujourd'hui par aucun
historien des religions" (p. 20) et "Les textes et les monuments évoquant la biographie du Bouddha ne
peuvent pas être considérés comme des preuves historiques." (p. 70)
Sur quoi les historiens des religions se fondent-ils pour affirmer l'existence du Bouddha ?
Les textes du Canon Pali (au moins les sutta les plus importants) ont-ils été soumis à la critique
textuelle comme le sont la Bible ou les Évangiles ?
Les différentes traductions du Canon Pali (chinoise, tibétaine, thaï, les 81000 tablettes de bois du
Tripitaka Coréen, etc.) ont-elles été scientifiquement comparées, au moins quelques-unes ?

réponse :
La littérature bouddhique a effectivement « subie » une critique textuelle, à l'instar des textes
bibliques. Ce fut l'ouvre, notamment, du français André Bareau (en ce qui concerne la biographie du
Bouddha, surtout), d'origine protestante. Mais on dispose aussi du témoignage d'autres traditions
spirituelles, comme celle des Jaïna, fondée par Mahavira, contemporain du Buddha - sans parler des
brahmanes, avec lesquels le Bouddha a beaucoup « controversé » ! Ce « faisceau » de témoignages
permet de considérer que cette existence historique ne peut plus être remise en cause. mais cela
n'empêche pas qu'on manque de « preuves », au sens strict des historiens occidentaux !
Quant aux traductions que vous évoquez, elles ne concernent pas le canon pâli au sens strict. Ni les
Chinois, ni les Tibétains ni les Coréens n'ont jamais eu connaissance du canon pâli. Leurs traductions -
voire leurs « adaptations » - ont été faites à partir de textes rédigés en sanskrit et émanant d'autres
écoles que celles qui se réclament du canon pâli (Theravâda et écoles « sours »). La confrontation de
ces différentes versions a d'ailleurs permis de mettre au jour des différences entre les canons des
diverses écoles. et des points communs - les plus nombreux ! Ce qui permet d'affirmer que, en gros, le
canon pâli est « représentatif » du fonds commun aux écoles anciennes. mais qu'il n'est pas pour autant

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le seul et unique témoignage de cet ensemble commun - et encore moins « le » véritable enseignement
du Bouddha historique !
Quant aux Thaïs, il ne s'agit pas d'une traduction, mais d'une transcription en caractères thaï - le pâli
n'ayant pas d'alphabet unique de transcription, même à époque ancienne.

question 56 : A propos des "parâmitâ"


Pourquoi le texte annexe n° 5 (p. 22) énumère-t-il 10 "parâmitâ" alors que, traditionnellement, on en
recense 6 ? ("Bodhicaryavatara" de Shantideva)."

réponse :
Car nous évoquons ici les "parâmitâ" selon les écoles "anciennes" - qui en recensent dix - alors que ce
sont les écoles du Mahâyâna qui, elles, en évoquent six - mais parfois dix aussi...!
Je vous rappelle en effet que Shantideva est un auteur qui vécut aux VIIe-VIIIe siècle après J.-C. ...
alors que nous étudions pour l'instant les thèses qui se sont développées avant l'ère chrétienne !

Voici les deux listes... (soulignées : celles qui sont propres à chaque liste ; en couleur : celles qui se
correspondent)

Ecoles anciennes et Theravâda Ecoles du Mahâyâna


1) dâna : don 1) dâna : don
2) sîla : discipline ou éthique 2) sîla : discipline ou éthique
3) nekkhama : renoncement ou abnégation 3) ksânti : patience ou endurance
4) paññâ (skt. prajñâ) : sagesse pénétrante 4) vîrya : courage ou énergie
5) viriya (skt. : vîrya) : courage ou énergie 5) dhyâna : concentration (méditation)
6) khanti (skt : ksânti) : patience ou endurance 6) prajñâ : sagesse pénétrante
7) sacca (skt. : satya) : véracité 7) upâya-kausala : habileté dans les moyens
8) adhitthâna (skt. : adhisthâna) : détermination 8) pranidhâna : voeu transcendant
9) metta (skt. maitrî) : amour bien-veillant 9) bâla : force ou puissance d'action
10) upekkha (skt. upeksa) : équanimité 10) jñâna : sagesse

Vous constaterez que :


pour les six premières "parâmitâ", la liste entre les deux courants est quasi similaire... seul l'ordre
est légèrement différent et le renoncement (nekkhama) des écoles anciennes est remplacé par la
concentration (dhyâna) pour les écoles du Mahâyâna. On peut y voir un premier effet du changement
d'orientation entre les deux courants : les écoles anciennes mettent davantage en avant le
"renoncement" - auquel se voue par excellence le "moine" (bhikkhu) ; alors que le Mahâyâna insiste
sur la pratique de la méditation - plus précisément d'une certaine forme de méditation (dhyâna =
concentration), bien que le terme sera finalement employé de manière générique pour désigner toute
forme de méditation bouddhique.
[à signaler que c'est ce terme "dhyâna", au sens large de "méditation", qui deviendra en Chine
"Chan'na", bientôt abrégé en "chan", qui évoluera lui-même ultérieurement en japonais ("zen"), coréen
("son") et vietnamien ("thiên").]
Le changement dans l'ordre de ces "parâmitâ" est lui aussi instructif... mais nous obligerait à rentrer
dans des subtilités trop grandes - que je ne préfère pas aborder pour l'instant !

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les quatre dernières "parâmitâ", en revanche, sont totalement différentes !
Pour les écoles du Mahâyâna, ces quatre parâmitâ ultimes n'apparaissent pas toujours et sont, en fait,
une invention tardive ; elles sont liées à la présentation du cheminement du bodhisattva selon dix
étapes ou "stades" - appelées aussi "terres" (bhûmi") - et l'on ressentira le besoin d'associer une
parâmitâ à chacune de ces dix étapes... d'où la nécessité de devoir en ajouter quatre ! Et, de fait, ces
quatre "parâmitâ" ultimes du Mahâyâna sont tout à fait spécifiques à ce courant - ce que vous
comprendrez mieux après l'étude du Mahâyâna... dans quelques mois !!

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GUIDE DE REVISION

1) Questions de définition
2) Questions de compréhension
3) Questions pour le Forum

1) Questions de définition

Redonner aux différents termes leur définition

1. Noms de textes

a Sûtra 1 recueil des enseignements


b Vinaya 2 récit des vies antérieures
c Jataka 3 recueil des règles monastiques

2. Catégories de buddhas

a samyaksam-buddha 1 buddha pour soi


b pratyeka-buddha 2 buddha auditeur
c srâvaka-buddha 3 buddha pleinement éveillé

3. Noms de personnes

a sramana 1 roi universel


b çakravartin 2 méritant
c arhat 3 ascète

4. Le point commun aux pratyeka- et samyaksam-buddha est :

a. ils enseignent le chemin qui mène à l’éveil


b. ils découvrent par eux-mêmes le chemin qui mène à l’éveil
c. on leur enseigne le chemin qui mène à l’éveil
d. ils n’enseignent pas leur propre expérience

5. Le point commun aux Pratyeka- et Sravaka-Bouddhas est :

a. ils enseignent le chemin qui mène à l’éveil


b. ils découvrent par eux-mêmes le chemin qui mène à l’éveil
c. on leur enseigne le chemin qui mène à l’éveil
d. ils n’enseignent pas leur propre expérience

2) Questions de compréhension

6. Le terme « buddha » est :

a. un nom propre
b. un titre
c. un surnom

75
7. L’éveil est une expérience :

a. accessible à tous
b. réservée à des êtres exceptionnels
c. réservée à un seul être

8. Un futur Bouddha mérite le titre de Bodhisattva :

a. sur l’ensemble de ses vies jusqu’à l’éveil


b. uniquement pendant sa dernière vie
c. depuis le moment où il décide d’atteindre l’éveil jusqu’à celui-ci

9. Ce qui définit strictement le Bodhisattva :

a. être promis à l’éveil


b. vouloir atteindre l’éveil
c. vouloir atteindre l’éveil par ses propres efforts

10. La biographie du Bouddha est :

a. commune à toutes les écoles bouddhistes


b. en partie commune à toutes les écoles bouddhistes
c. complètement différente selon les écoles bouddhistes

11. La biographie du Bouddha est :

a. un ensemble cohérent dès l’origine


b. une création complète et tardive
c. une composition à partir d’épisodes épars

12. Recomposer les phrases justes :

a Gautama est 1. un surnom x. historiquement probable


b. Sâkyamuni est 2. un prénom y. totalement inventé
c. Siddhârta est 3. un nom de famille z. composé tardivement

13. L’épisode des quatre rencontres est :

a. historiquement probable
b. un embellissement mythologique
c. une illustration doctrinale

14. L’épisode des années d’étude et d’ascèse est :

a. historiquement probable
b. un embellissement mythologique
c. une illustration doctrinale

76
15. Le bodhisattva vous semble-t-il :

a. libre de ses décisions


b. prédestiné par son vœu

16. Les biographies du Bouddha varient selon les écoles :

a. c’est faux
b. c’est normal
c. c’est un problème

3) Question à destination du Forum :

Dans quelle mesure l’existence historique et réelle du Bouddha vous importe-t-elle ? Vous
semble-t-il, de ce point de vue, « subir » une quelconque influence de notre civilisation
moderne occidentale ?
(merci de répondre à cette question directement et uniquement sur le Forum)

77
GUIDE DE REVISION

Propositions de réponses

1) Questions de définition

Redonner aux différents termes leur définition

1. Noms de textes

Sûtra : recueil des enseignements


Vinaya : recueil des règles monastiques
Jataka : récit des vies antérieures

2. Catégories de buddhas

samyaksam-buddha : buddha pleinement éveillé


pratyeka-buddha : buddha pour soi
srâvaka-buddha : buddha auditeur

3. Noms de personnes

sramana : ascète
çakravartin : roi universel
arhat : méritant

Commentaire : Le terme arhat (méritant) est le plus souvent employé comme synonyme de
srâvaka-buddha.

4. Le point commun aux pratyeka- et samyaksam-buddha est :

réponse « b » : ils découvrent par eux-mêmes le chemin qui mène à l’éveil

Commentaire : « a » (ils enseignent le chemin qui mène à l’éveil ) ne concerne que le


samyaksam-buddha, « c » (on leur enseigne le chemin qui mène à l’éveil) ne concerne ni l'un
ni l'autre et « d » (ils n’enseignent pas leur propre expérience) ne concerne que le pratyeka-
buddha.

5. Le point commun aux Pratyeka- et Sravaka-Bouddhas est :

réponse « d » : ils n’enseignent pas leur propre expérience

Commentaire : « a » (ils enseignent le chemin qui mène à l’éveil) ne les concerne ni l'un ni
l'autre, « b » (ils découvrent par eux-mêmes le chemin qui mène à l’éveil) ne concerne que le
pratyeka et « c » ne concerne que le srâvaka (on leur enseigne le chemin qui mène à l’éveil).

78
2) Questions de compréhension

6. Le terme « buddha » est :

réponse « b » : un titre

Commentaire : Avec une minuscule, comme un nom commun, il s’agit d’un titre applicable à
tout être ayant connu l’Eveil (bodhi). Avec une majuscule, il est employé pour désigner le
seul « Bouddha historique » de notre ère : le samyaksam-buddha Sâkyamuni. Le nom propre
du Bouddha était Gautama, son surnom Sâkyamuni (« le sage des Sakya »)

7. L’éveil est une expérience :

réponse « a » : accessible à tous

Commentaire : Tout le monde a la capacité et la possibilité d'atteindre l'Eveil. En revanche,


du point de vue des écoles anciennes, le plein et complet Eveil (samyaksam-bodhi) est
« réservé » à quelques êtres exceptionnels, qui s’engagent dans la voie du bodhisattva. Il ne
peut alors en exister qu’un seul par ère cosmique (kalpa).

8. Un futur Bouddha mérite le titre de Bodhisattva :

réponse « c » : depuis le moment où il décide d’atteindre l’éveil jusqu’à celui-ci

Commentaire : C'est la naissance de la « pensée d'éveil » (bodhicitta) qui fait d'un homme un
bodhisattva.

9. Ce qui définit strictement le Bodhisattva :

réponse « c » : vouloir atteindre l’éveil par ses propres efforts

Commentaire : Tous les êtres sont « promis » à l'Eveil et peuvent vouloir l'atteindre, seul le
bodhisattva souhaite y parvenir sans l'aide de l'enseignement d’un autre buddha, mais par ses
propres efforts.

10. La biographie du Bouddha est :

réponse « b » : en partie commune à toutes les écoles bouddhistes

Commentaire : Sur une base commune chaque école a développé des épisodes imaginaires
pour mettre en valeur certains aspects de sa propre doctrine.

11. La biographie du Bouddha est :

réponse « c » : une composition à partir d’épisodes épars

Commentaire : C'est au fur et à mesure des siècles qu'on a ressenti le besoin de rassembler en
un tout cohérent des anecdotes qui n'avaient pas, au départ, une valeur historique.

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12. Recomposer les phrases justes :

Gautama est un nom de famille historiquement probable ; Sâkyamuni est un surnom composé
tardivement ; Siddhârta est un prénom totalement inventé

Commentaire : Le surnom Sâkyamuni (« le sage des Sâkya ») a été composé une fois le
bouddhisme bien implanté (dans les textes les plus anciens, n’apparaît que l’expression « le
fils des Sâkya ») ; le prénom Siddhârta a été inventé en même temps que les biographies
complètes du Bouddha, vraisemblablement au début de l’ère chrétienne. Seul le nom de
famille (ou de clan) Gautama est attesté dès les textes les plus anciens et est donc
historiquement probable.

13. L’épisode des quatre rencontres est :

réponse « c » : une illustration doctrinale

Commentaire : Cet épisode ne présente aucun trait issu de la mythologie indienne et est trop
« construit » pour être historiquement probable. Il est une pure illustration de la Doctrine.

14. L’épisode des années d’étude et d’ascèse est :

réponse : « c » (+ « a » acceptable…)

Commentaire : Cet épisode ne présente aucun trait issu de la mythologie indienne. Mais les
maîtres, dont le futur Bouddha aurait suivi l’enseignement, ne sont pas connus en dehors des
textes bouddhistes et rien ne permet d’affirmer qu’ils aient existé et que le Bouddha ait été
leur élève. Il est d’autre part important, d’un point de vue doctrinal, que le Bouddha ne trouve
pas la solution dans l’enseignement d’autrui mais dans sa propre expérience.
Quant à l’ascèse, il était fréquent chez les yogis indiens de cette époque (et encore parfois
aujourd’hui) de s’engager dans une voie de macération. Mais l’ascèse du Bouddha est
exagérée, d’un point de vue doctrinal, pour faire pendant à sa vie de plaisir, lorsqu’il était
prince. La connaissance de ces deux extrêmes (plaisir et ascèse) lui permettra de prôner la
« juste voie du milieu ».

15. Le bodhisattva vous semble-t-il :

Commentaire : Si l’on suit strictement les textes, la prédestination domine dans le


bouddhisme ancien, mais certains épisodes (le choix de la famille lors de la dernière
naissance, par exemple) infléchisse légèrement cette prédestination. Cela dit certaines écoles
pensent, au contraire, que cette « docilité » face aux événements n’est que « pur
conformisme ». Il est donc impossible de répondre strictement à cette question…

16. Les biographies du Bouddha varient selon les écoles :

réponse « b » : c’est normal

Commentaire : Il est normal que les biographies varient selon les écoles si elles ne sont pas
tant des témoignages historiques que des outils pédagogiques…
Comme le prouve l’exemple récent du vietnamien Thich Nhat Hanh, cela ne pose vraiement
de problèmes qu’aux Occidentaux, car ceux-ci semblent attacher plus d’importance à l’aspect
historique de cette vie, qu’à sa valeur exemplaire et illustrative de la Doctrine.

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