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UNITE DE COURS 1
LE BOUDDHA SAKYAMUNI
SOMMAIRE GENERAL
Pré-requis ............................................................................... p. 2
Introduction ........................................................................... p. 5
Module 1 ............................................................................... p. 7
Module 2 ............................................................................. p. 39
Synthèse ................................................................................ p. 70
Bibliographie ........................................................................ p. 73
Nous les connaissons à travers un ensemble de textes qui ont pu échapper à la destruction
lorsque, à partir du Xe siècle, les musulmans ont envahi l’Inde et ont systématiquement rasé
les monastères et les bibliothèques bouddhistes. Ces textes, en effet, avaient déjà en partie été
« exportés » dans d’autres régions d’Asie et conservés, soit dans leur langue originale (en
sanskrit ou en pâli – une langue littéraire dérivée du sanskrit), soit sous forme de traductions
(essentiellement en chinois et en tibétain, parfois aussi dans des langues d’Asie centrale).
Cela dit, ces textes ne représentent qu’une infime partie de la littérature bouddhiste indienne.
On ignore quel était le nombre exact de ces écoles. On estime, après recoupement de divers
témoignages, qu’il devait en exister environ une quinzaine (le chiffre le plus courant est de
18). Elles sont plus ou moins bien connues en fonction du nombre des textes qu’on a pu leur
attribuer. Pour certaines, nous disposons de l’intégralité de leur « canon », pour d’autres,
seuls quelques ensembles de textes (le plus souvent le code de discipline des communautés
monastiques – le « vinaya »). Mais, pour la grande majorité d’entre elles, nous ne disposons
plus que de quelques textes épars, voire de simples extraits, ou même seulement des allusions
qui apparaissent dans les textes des autres écoles…
On peut, à partir de ces éléments, les regrouper très grossièrement en quatre grands
courants.
1) Le mieux connu de tous est celui qui se réfère au canon transmis en pâli et rédigé à Sri-
Lanka (Ceylan) aux alentours de l’ère chrétienne. Ce canon a été en effet conservé dans son
intégralité par l’école singhalaise Theravâda (le mot vadâ peut être traduit par « école de
pensée »), qui existe toujours aujourd’hui.
Nous appellerons ce courant celui du Sthaviravâda (« Ecole des Anciens » – le terme
« thera » est la traduction en pâli du terme sanskrit « sthavira »). Nous conservons aussi le
vinaya d’écoles proches de ce courant : Dharmaguptaka et Mahîçâsaka.
2) Un autre courant bien connu est celui de l’école Sarvastivâda, pour laquelle nous
disposons d’un grand nombre de textes et beaucoup de témoignages, car ses thèses ont été
abondamment discutées par les autres écoles. Il était surtout implanté dans le nord-ouest de
l’Inde, au Cachemire et au Gandhara, une région couvrant à l’époque le nord des états actuels
de l’Afghanistan et du Pakistan.
4) Le dernier courant resta longtemps l’un des plus importants en Inde et comptait, au VIIIe
siècle, presque autant d’adeptes que toutes les écoles du Mahâyâna confondues. Il s’agit du
Pudgalavâda, dont nous ne conservons que trois textes en traduction chinoise ainsi que le
vinaya d’une sous-branche de ce mouvement, le Sammatiya. Ce courant fut très violemment
combattu par l’ensemble des autres écoles, tant « anciennes » que du Mahâyâna, pour des
idées qui semblaient trop proches du brahmanisme. Cette école a elle aussi disparu, sans
doute en se fondant dans l’hindouisme.
Toutes ces écoles semblent avoir eu en commun un grand nombre de textes, notamment ceux
qui regroupent les enseignements du Bouddha sur la Doctrine, recueillis dans les sûtra.
Elles se distinguent en revanche, mais sur quelques détails seulement, dans leur code de
discipline monastique, les vinaya.
Leurs différences les plus marquées portent sur les commentaires et les développements
philosophiques que chacune d’elles développa à partir des sûtra et qui sont présentés dans les
abhidharma.
L’ensemble de ces trois recueils de textes (sûtra, vinaya et abhidharma) forme le « canon »
de chacune de ces écoles, appelé « Trois Corbeilles » (tri-pitaka) parce que les textes étaient
censés avoir été rédigés sur des feuilles de palmes, réunies et conservées dans différents
paniers.
Toutes ces écoles se sont maintenues, en Inde, jusqu’aux environs du Xe siècle ap. J.-C.
Elles ont disparu, petit à petit, sous les coups de l’invasion musulmane et de la réforme du
brahmanisme (qui a donné naissance aux différentes écoles actuelles de l’hindouïsme).
Seule l’école Theravâda, parce qu’elle était implantée à Ceylan (hors d’atteinte des
musulmans et de la réforme brahmanique), s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui et a essaimée
par la suite dans toute l’Asie du Sud-est. Elle ne représente qu’un seul de ces différents
« courants » du bouddhisme ancien : celui du Sthaviravâda-vibbhajyavâda. (voir UC6)
Les écoles tibétaines actuelles suivent la règle monastique (vinaya) du Mûlasarvâstivâda et
les écoles de l’aire chinoise (Chine, Taïwan, Viêt-Nam) celle du Dharmaguptaka.
Communauté originelle
(vers - 400)
vers - 340
Sthaviravâda Mahâsâmghika
« Voie des Anciens » « Grande Assemblée »
vers - 250
Vibbhajyavâda Sarvâstivâda
(distinctionnistes) (pan-réalistes)
à Ceylan en Inde
Theravâda Mahîçâsaka vers - 150 Sautrântika
Dharmaguptaka Mûlasarvâstivâda
Ce problème est en grande partie lié au fait qu’ils présentent le fondateur d’une religion à
vocation universelle : si le personnage en lui-même, en tant que fondateur, est unique et
extra-ordinaire, il se doit aussi, parce que son enseignement se veut universel, d’être
semblable à tous et donc de partager des caractéristiques avec l’humanité la plus commune.
Le terme le plus important, qui permettra de résoudre ces contradictions apparentes, est celui
de buddha.
Dans le premier module, ce cours explique tout d’abord les différents sens du terme buddha,
à propos de qui on peut l’employer et pourquoi Sâkyamuni bénéficie d’une supériorité,
marquée par la majuscule généralement associée à ce nom (le Bouddha).
Le deuxième module s’attache à décrypter l’histoire de la vie du fondateur, entre légende et
réalité, selon les différents récits qui en ont été faits et continuent à l’être.
Module 1
Module 2
SOMMAIRE
1. Le Tathâgata............................................................................... p. 14
« Ecrire la vie de Sâkyamuni est une entreprise désespérée. (…) il a fallu près de dix siècles
aux bouddhistes indiens pour composer la biographie complète de leur Maître et la
représenter au long sur les monuments figurés. La légende ainsi élaborée s’est transplantée
dans tout l’Extrême-Orient où elle a subi d’incessantes retouches pour répondre à l’attente
des nouveaux croyants. (…) Il n’en demeure pas moins que le bouddhisme serait inexplicable
si l’on ne posait pas à sa base une personnalité suffisamment puissante pour lui avoir donné le
branle et l’avoir marqué de ses traits essentiels qui persisteront à travers toute l’histoire. »
[Etienne Lamotte, Histoire du Bouddhisme indien, des origines à l’ère Saka, Louvain-la-
Neuve, 1976, p. 16]
Ce que nous appelons le « bouddhisme » est un mouvement spirituel inscrit dans l’histoire et
ses représentants se réfèrent eux-mêmes à un fondateur, qu’ils nomment Bouddha Gautama
ou Bouddha Sâkyamuni et qu’ils considèrent comme un personnage historique. Ce fait
semble d’autant plus important que la tradition spirituelle qu’il a fondée ne se rattache à
aucune révélation divine et que lui-même ne se présente pas comme un dieu ou un être
inspiré par des dieux. C’est son enseignement, appelé Bouddha-Dharma, que ses disciples
déclarent conserver et transmettre ; un enseignement issu d’une expérience réalisée par un
homme, et donc, de ce fait, reproductible par tout autre homme.
Les monuments
En dehors des bas-reliefs sculptés de nombreux temples ou monastères, qui nous offrent des
récits imagés de la « vie » du Bouddha, les archéologues ont mis à jour et ont étudié d’autres
types de monuments : « stûpa » (sortes de tumulus), stèles ou colonnes commémoratives,
érigés en des lieux où le Bouddha est censé avoir vécu les épisodes les plus importants de sa
vie - sa naissance (le jardin de Lumbini), la ville où il a passé sa jeunesse (Kapilavastu), le
lieu de l’Eveil (Bodh-Gayâ), le jardin où il donna sa première prédication (Sarnath), et celui
de sa mort (Kusinagara)... mais aussi divers autres lieux où il aurait effectué des miracles.
Les inscriptions qui ont été retrouvées sur place attestent d’une tradition ancienne de
pèlerinage en ces endroits [on dénombre huit lieux particulièrement importants – voir carte
« Les villes « saintes » du bouddhisme », page 9], mais elles ne fournissent aucun élément
fiable sur la véracité des événements qu’elles commémorent.
légende de la carte :
Les quatre principaux lieux de pèlerinage sont indiqués en rouge ; ils concernent les faits « historiques » de la
vie du Bouddha : naissance, Eveil, première prédication et mort (« pari-nirvâna »).
Les quatre pèlerinages secondaires rappellent des faits « miraculeux », du nord-ouest au sud-est : Sâmkâsya
(Descente des cieux Tusita), Srâvasti (Grand Prodige magique), Vaisâli (Offrande du singe) et Râjagriha
(subjugation de l’éléphant furieux).
Les recherches qui ont été menées depuis environ un siècle ont soulevé de nombreuses
questions : ces lieux, sacrés pour les bouddhistes, le sont aussi parfois pour les hindous ;
certains récits, notamment pour les miracles, semblent avoir été inspirés par le paysage lui-
même ; dans quelques cas, plusieurs sites archéologiques peuvent correspondre aux
descriptions que nous possédons. Il existe donc de très nombreuses incertitudes...
Notre seule certitude est qu’il existait déjà à date très ancienne une convention entre les
disciples du Bouddha pour établir une « géographie sacrée » et que celle-ci constituait, pour
eux, une preuve irréfutable de la réalité historique du Bouddha. Mais cela peut-il satisfaire
notre « sens historique » ?
Un des chercheurs qui a le plus travaillé sur ce domaine, Alfred Foucher, précise :
« C’est un fait cent fois répété que les Indiens n’ont pas le sens historique : en revanche il
faut reconnaître le goût et le soin particulier qu’ils déploient pour établir et perpétuer ce
qu’on pourrait appeler la topographie de leurs légendes. (…) On peut ériger le fait en loi :
n’ont subsisté dans l'Inde, avant la notation par l’écriture, que les seuls souvenirs rattachés à
un lieu ou à un objet déterminés ; mais en revanche ces souvenirs étaient susceptibles de
durer aussi longtemps que les choses matérielles qui les rappelaient. »
[Alfred Foucher, La Vie du Bouddha d’après les textes et les monuments de l’Inde, J.
Maisonneuve, Paris, 1993]
Les textes
De leur côté, les textes ne font que renforcer nos doutes.
Ce n’est que dans les tout premiers siècles de l’ère chrétienne qu’ont été écrites des
biographies complètes du Bouddha. Auparavant, seuls existaient de courts récits, éparpillés
en différents endroits de la littérature bouddhique (dans les « sûtra », recueil des sermons du
Bouddha, ou les « vinaya », recueil des règles de discipline pour la communauté des moines).
Il s’agissait d’épisodes succincts, racontés par le Bouddha lui-même, à l’occasion d’un
enseignement ou de l’établissement d’une nouvelle règle de discipline. Au fur et à mesure des
siècles, ces événements épars ont été rassemblés pour former un ensemble cohérent. Ces
récits ont d’abord été transmis par tradition orale, pendant plusieurs siècles, avant d’être mis
par écrit à une époque où existaient déjà plusieurs écoles bouddhistes différentes.
« Cette longue série d'épisodes nous a été transmise par les Vinayapitaka des Theravâdîn, en
pâli, des Mahîçâsaka et des Dharmaguptaka, en traduction chinoise. On la trouve aussi chez
les Mûlasarvâstivâdin, dans les traductions chinoise et tibétaine de leur Code monastique. (...)
Les trois premières versions, qui s’accordent bien entre elles pour ce qui est du choix et de
l’ordre des épisodes, ont pour origine commune une série commençant au lendemain de
l’Eveil et finissant avec le retour à Râjagrha, capitale du puissant royaume des Magadha [près
de laquelle le Bouddha « s’éteindra »]. Les Mahîçâsaka et les Dharmaguptaka y ont ajouté, en
tête, plusieurs épisodes se rapportant à la jeunesse laïque du futur Bouddha ainsi qu’à la
recherche et à l’acquisition de l’Eveil (...). Ces épisodes additionnels ont été choisis
séparément par les Mahîçâsaka et les Dharmaguptaka, de telle sorte que, dans cette première
partie, leurs deux versions sont beaucoup plus complémentaires que parallèles entre elles. »
[André Bareau, extrait de « La jeunesse du Bouddha et les débuts de sa prédication », in En
suivant Bouddha, p.39, éd. Philippe Lebaud, Paris 1985]
La confrontation de ces différents textes montre que chaque école avait « sa » version de la
vie du Bouddha, notamment en ce qui concerne la période de jeunesse. En effet, textes et
monuments ont ceci de commun qu’ils développent et mettent surtout en valeur les
événements qui ont eu lieu avant l’Eveil. De leur côté, les éléments biographiques qui se
rapportent aux années de prédication, après l’Eveil, n’existent jamais en tant que tels, comme
récits historiques, mais toujours en introduction ou en illustration d’un enseignement (soit sur
la doctrine, soit sur la discipline monastique).
Cette différence de traitement est d’autant plus surprenante que les années d’enseignement
sont forcément les mieux connues de ses propres disciples, alors qu’elles constituent sans
conteste la partie la moins développée des biographies. Comme si l’histoire, au sens où nous
l’entendons, n’avait eu d’importance que pour la première partie de la vie du Bouddha, et
qu’elle n’aurait plus eu d’intérêt que de manière anecdotique, pour la deuxième partie, de
l’Eveil jusqu’à sa mort.
x de l’autre une série de titres évoquant plusieurs qualités (Bhagavat, Arhat, Samyaksam-
(Gautama) et le surnom « Sâkyamuni » : le sage (muni) de la tribu des Sâkya ;
Buddha, Tathâgata).
« Quand ils eurent vu le Tathâgata assis, les cinq ascètes l’appelèrent par son nom personnel,
Gautama, mais le Bouddha leur dit : « N’appelez pas le Tathâgata par son nom personnel, car
je suis maintenant Arhat, complètement et parfaitement Eveillé (Samyaksam-Buddha). La
puissance surnaturelle du Tathâgata est immense, il est le Vainqueur (Jina) suprême. Si donc
vous appelez le Tathâgata par son nom personnel, pendant très longtemps vous subirez
d’intenses douleurs ». [extrait du Vinaya des Dharmaguptaka, traduction d’André Bareau in
En suivant Bouddha, éd. Philippe Lebeau, 1985, p. 64-65]
Bien qu’il soit le plus souvent employé comme un nom propre, le terme « buddha », au
départ, est un adjectif qualificatif. Il ne désigne donc pas une personne particulière mais une
qualité propre à un certain type de personnes. Plus précisément, il sanctionne une expérience :
l’Eveil (bodhi).
Selon la tradition, il existe ou peut exister de très nombreux buddha : il y en a eu dans le
passé, il en existe à notre époque, il y en aura d’autres à l’avenir. Le buddha Sâkyamuni n’est
que l’un de ces nombreux buddha, particulièrement remarquable et digne de vénération, mais
qui partage avec tous les autres buddha la même caractéristique : celle d’avoir atteint l’Eveil,
la bodhi.
Le mot « expérience » est ici capital : la bodhi est en effet un événement vécu, et non pas un
savoir acquis. Les textes anciens diront à son propos qu’elle est « au-delà du raisonnement,
accessible aux seuls sages en eux-mêmes », ou encore qu’elle est « réalisée dans l’intériorité,
à part de toute croyance, inclination, connaissance par ouï-dire, opinion ou réflexion ».
La bodhi est donc une expérience qui dépasse toute caractéristique individuelle : tous les
buddha font la même expérience, quelles que soient leur individualité, leurs croyances, leurs
opinions ou réflexions... « De même qu’il n’y a qu’une seule saveur dans l’océan, celle du
sel, il n’y a qu’une seule saveur dans la bodhi, celle de la libération ». [Le contenu de cette
expérience de la bodhi sera étudiée en détail dans l’Unité de Cours 2 : « Les fondements de la
doctrine »].
Sortir de l’illusion et de l’erreur pour parvenir à l’Eveil demande d’abord des efforts, un
certain travail sur soi, une remise en cause par rapport à des habitudes de pensée bien ancrées
dans notre comportement. On fait dire au Bouddha : « Ceux qu’aveuglent attraction et
répulsion ne peuvent comprendre une telle Doctrine qui s’avance à contre-courant [de nos
habitudes de pensée], subtile, profonde, difficile à saisir, délicate ».
Ceux qui y parviennent ont donc du mérite et on les appelle « arhat » (le terme peut être
interprété comme « qui mérite des éloges » ou comme « celui qui a vaincu les ennemis »). De
ce point de vue, tout buddha est un arhat, car il a fourni des efforts pour vaincre les passions
(appelées aussi « souillures ») et parvenir à la bodhi, il est donc digne d’éloge et de
vénération. Un texte célèbre, le Dhammapada, présente ainsi l’arhat : « Il a subjugué ses
sens, comme le cocher les chevaux de son char, il a renoncé à toute arrogance, il n’a plus de
souillures : même les dieux l’envient, lui « qui-est-tel » ! » [Dhammapada, stance 94,
traduction Jean-Pierre Osier, GF Flammarion, Paris, 1997, p. 69].
Parmi tous ceux qui sont devenus buddha, certains ont eu la chance d’être aidés et d’entendre
un enseignement. On les appelle pour cela des « auditeurs » - srâvaka. D’autres ont réussi à
parvenir seuls jusqu’à l’Eveil mais, pour diverses raisons, n’ont pas pu faire profiter les autres
de leur expérience ; ils ont atteint l’Eveil seulement « pour eux-mêmes ». On les nomme
pratyeka, ce qui veut dire « pour soi ». D’autres, enfin, ont réussi à faire l’expérience de
l’Eveil grâce à leurs propres efforts et, en plus, en font bénéficier les autres grâce à leur
enseignement. On dit alors qu’ils sont « parfaitement et complètement » (samyaksam)
éveillés (buddha).
a. les Pratyeka-buddha
Les pratyeka-buddha sont assez rarement évoqués dans la littérature bouddhique ancienne.
Bien que arhat et buddha, parvenus à l’Eveil par leurs propres efforts et sans avoir entendu
d’enseignement, ils ne sont d’aucune « utilité » pour l’humanité parce qu’ils n’enseignent
pas. Cette impossibilité est due autant à leurs capacités insuffisantes qu’aux circonstances : ils
sont devenus buddha à une époque où les êtres sont incapables de recevoir ou de comprendre
leur enseignement.
Cette notion de pratyeka-buddha est intéressante, car les bouddhistes reconnaissent ainsi que
l’éveil est accessible à tous, même en des circonstances où l’enseignement (le « Dharma »)
n’est pas diffusé [Le terme Dharma sera étudié au début de l’Unité de Cours 2 : « Les
fondements de la doctrine »]. Le bouddhisme historique de notre époque (né à partir de
l’enseignement du Bouddha Sâkyamuni) ne s’arroge donc pas l’exclusivité du chemin qui
mène à l’éveil !
b. les Samyaksam-buddha
Les samyaksam-buddha, comme les pratyeka-buddha, sont parvenus à l’éveil par leurs
propres efforts mais, eux, ont la capacité d’enseigner aux autres le chemin qui mène à l’Eveil.
Non seulement les circonstances le leur permettent, mais ils disposent de qualités
exceptionnelles qui en font des buddha « sans supérieur » (anuttara). Le buddha
« historique » Gautama Sâkyamuni, fondateur de ce que nous appelons le bouddhisme, est un
samyaksam-buddha (La suite de ce cours développera les caractéristiques propres à ce type
de buddha).
c. les Srâvaka-buddha
Les srâvaka-buddha ou buddha-auditeurs sont généralement désignés, dans la littérature
ancienne, par le seul terme d’arhat, qui insiste donc plus sur les efforts qu’ils ont accomplis
que sur la réalisation de l’Eveil à laquelle ils sont néanmoins parvenus - le terme de buddha,
employé seul et sans autre précision, est en effet plutôt réservé aux seuls samyaksam-buddha.
Les srâvaka-buddha ne sont pas « sans supérieur », puisqu’ils sont parvenus à l’Eveil grâce à
l’enseignement d’un samyaksam-buddha.
S’ils peuvent enseigner à leur tour, ce ne sera que dans la mesure où ils réutiliseront
l’enseignement qu’ils ont eux-mêmes reçu. Leur expérience est en effet insuffisante pour leur
permettre de diffuser un enseignement personnel valable pour l’ensemble de l’humanité,
contrairement aux samyaksam-buddha qui se distinguent donc avant tout de tout autre
buddha par leur capacité à enseigner le Dharma.
[voir le texte annexe : « Un seul anuttara samyaksam-buddha par kalpa », p. 13]
II.1. Le Tathâgata
Le premier terme par lequel le Bouddha Sâkyamuni se désigne lui-même est celui de
« Tathâgata ». La signification de ce mot, qui prête à de nombreuses interprétations (jusqu’à
huit différentes selon certains auteurs bouddhistes), donne un certain nombre d’indications
sur les caractéristiques d’un Bouddha.
Le mot peut se traduire par l’expression « ainsi (tathâ) allé/arrivé (gata) » et peut être
comprise, notamment, des manières suivantes :
x « Allé ainsi (que ses prédécesseurs) », qui insiste sur l’idée que le Bouddha, loin d’être
x « Allé ainsi (qu’il convient) », qui insiste cette fois sur le chemin particulier qui mène
unique, partage avec tous ceux qui parviennent au plein Eveil les mêmes caractéristiques ;
x « Allé (ou « arrivé ») ainsi (à ce qui convient) », qui insiste sur la nature sotériologique de
jusqu’à l’Eveil et les qualités nécessaires à développer pour le parcourir ;
x « Arrivé (à dire) ainsi », enfin, qui insiste sur l’idée que l’enseignement d’un Bouddha (le
d’atteindre pour être sauvé ;
x d’une part à un modèle qui transcende l’individualité de l’homme qui devient Bouddha -
les 2 premières interprétations : tous les Bouddhas vivent un parcours semblable jusqu’à
x d’autre part à une Loi existant indépendamment de ceux qui l’enseignent - les 2 dernières
un Eveil semblable ;
L’existence de Bouddhas antérieurs au Bouddha Sâkyamuni est attesté assez tôt dans la
littérature bouddhique. On en dénombre généralement six : Vipassi, Sikhi, Vessabhu,
Kakusanda, Kônâgamana et Kassapa. De même, la littérature ancienne fera allusion à un futur
samyaksam-buddha, Maitreya (en pâli : Metteya).
Leurs caractéristiques communes, qui présentent toutefois quelques différences de peu
d’importance, concernent uniquement leur « dernière » vie, celle pendant laquelle ils
obtiennent l’Eveil. Le modèle ainsi défini est présenté à partir de l’exemple du premier
d’entre eux : Vipassi [voir le texte commenté, p.26]. Les points mis en valeur peuvent
sembler tout à fait anecdotiques : nom des parents, caste de naissance, durée de la vie… C’est
que leur rôle est de démontrer qu’aucun bouddha n’échappe à la règle ainsi définie, et non pas
d’établir un « état-civil » individualisé.
La seconde moitié des critères, quant à elle, concerne l’activité d’enseignant du Bouddha, de
loin la plus importante ; on précise combien de disciples chaque Bouddha a rassemblé, quels
ont été les deux principaux et celui qui fut son « aide-assistant », autrement dit : quel fut son
rayonnement en tant qu’enseignant du Dharma.
Pour les disciples du Bouddha, ces capacités pédagogiques ne sont pas présentées comme de
simples qualités psychologiques mais bien comme des « pouvoirs » supra-normaux, liés à
l’obtention de l’Eveil. Plusieurs listes en seront établies, variant dans leur nombre et leurs
composants. L’une des principales dénombre dix pouvoirs acquis au moment où se produit
l’Eveil :
Tous les buddha (srâvaka, pratyeka et samyaksam) disposent des trois derniers pouvoirs de
« connaissance parfaite » (pouvoirs 8, 9 et 10), qui caractérisent l’Eveil. En revanche, seuls
les samyaksam-buddha développent totalement les 7 premiers pouvoirs, ceux de la
« connaissance selon la réalité » qui sont l’apanage du seul « plein Eveil ».
Les trois pouvoirs de « connaissance parfaite » (pouvoirs 8, 9 et 10) concernent le « cycle des
renaissances », le samsâra. Après avoir vu ses propres existences antérieures, puis les
existences passées et futures de tous les êtres, le Bouddha « sait » qu’il est délivré du samsâra
et qu’il ne renaîtra plus. Il a alors la certitude d’avoir « vaincu les ennemis » (ou « détruit les
souillures »), ce qui lui donne droit aux titres d’Arhat et de Jina (« Vainqueur).
Mais peut-on, dès lors, le considérer comme un homme ordinaire ?
La question a très vite été discutée par les disciples du Bouddha, qui mettaient en avant les
qualités extraordinaires de leur Maître (la nature d’un Bouddha est « profonde,
incommensurable, insondable comme le grand océan ») alors que, d’un autre côté, la
tradition était sans ambiguïté : le Bouddha Sâkyamuni avait connu la maladie et la vieillesse,
avait déclenché des passions (pour ou contre lui), il avait eu des ennemis, avait subi des
attentats et, finalement, s’était éteint. Pour remédier à ce qui pouvait être considéré comme
une contradiction, on en vint assez rapidement à distinguer trois « corps » du Bouddha :
Ayant transcendé la réalité ordinaire, il est donc aussi doté d’un corps « pur » : « le Tathâgata
naît dans le monde, grandit dans le monde, mais qu’il marche ou se tienne debout, il n’est pas
souillé par le monde ».
Ce troisième « corps », entièrement pur, est directement lié aux « connaissances parfaites »
que le Bouddha a acquises : il n’agit plus comme un homme ordinaire, chacun de ses actes et
de ses paroles est désormais en total accord avec l’enseignement qu’il transmet, dépourvu de
passions et de « souillures ». Exemple vivant du Dharma qu’il enseigne, il est devenu « celui
qui a pour corps le Dharma » et chacune de ses manifestations n’est rien d’autre qu’une
manifestation du Dharma lui-même. Il est lui-même « corps de Dharma » ou Dharma-kâya.
« S’il est vrai que pour bien comprendre les choses il faut les avoir soi-même éprouvées, rien
en ce monde ne pouvait donc être étranger à [la] sympathie [du Bouddha] (…) et ainsi,
remarquons-le en passant, sa sagesse et sa charité passaient pour être faites du trésor vécu de
sa prodigieuse expérience. C’est qu’en effet, à la différence du commun des mortels, il se
souvenait de ses existences passées. Ses souvenirs personnels remontaient, nous dit-on, à 91
kalpa – soit 91 fois 432 millions d’années – en arrière. » [Alfred Foucher in La vie du
Bouddha, J. Maisonneuve, Paris, 1993 p. 27]
Lors de la nuit pendant laquelle il réalise l’Eveil, le Bouddha commence par avoir la
« connaissance parfaite » de ses vies antérieures (c’est le 8e pouvoir de la liste citée ci-
dessus). Comme le remarque Alfred Foucher, ce pouvoir est d’autant plus important qu’il
permet au Bouddha d’enseigner en s’appuyant sur son expérience personnelle. C’est parce
qu’il est « allé ainsi » que ses prédécesseurs, comme il convient, parce qu’il a d’abord été un
bodhisattva - un « être (sattva) d’Eveil (bodhi) » - qu’un Buddha se révèle un enseignant
aussi exceptionnel. Le terme de bodhisattva ne s’emploie d’ailleurs que pour les seuls futurs
samyaksam-buddha et jamais pour les autres futurs buddha.
Intervient ensuite l’événement « mondain » le plus important de cette dernière vie : les
« Quatre rencontres ». Alors que le roi son père tente de l’isoler et lui fait connaître toutes les
joies des « plaisirs sensuels » - pour qu’il s’attache au monde et lui succède un jour sur le
trône - le bodhisattva se retrouve en présence, successivement, d’un vieillard, d’un malade et
d’un mort, puis d’un religieux errant (sramana).
A chacune de ces rencontres (qui ont lieu alors que le jeune prince est mené par son cocher
vers un « jardin de plaisir »), le bodhisattva est ébranlé dans sa joie de vivre et son
insouciance et annule sa promenade, sans plus avoir envie des divertissements qu’il allait
chercher (« Le prince, chagriné et affligé, se lamentait en disant : Honte à ce phénomène
appelé naissance, si se manifestent la vieillesse, les maladies et la mort pour celui qui est
né ! »).
A chaque fois, de son côté, le père espère : « Que le prince Vipassi ne reste pas sans régner !
Que le prince Vipassi ne quitte pas la maison pour mener une vie sans maison [la vie des
religieux errants] ! Que la parole des devins ne se réalise pas ! ». Le jeune homme, pourtant,
finit par quitter « la vie de maison » pour « la vie sans foyer » et s’engage dans une voie de
recherche spirituelle, à l’image du religieux qu’il a rencontré lors de sa quatrième promenade.
Ces « Quatre rencontres » semblent s’effectuer d’elles-mêmes, comme prédéfinies de toute
éternité. Le roi ne peut qu’espérer que le présage ne se réalise pas, malgré ce qu’il entreprend
pour aller à l’encontre des événements : la voie du bodhisattva se doit de passer par ces
étapes, auxquelles il ne peut, lui-même, « échapper ». C’est « ainsi » !
Il en ira de même pour les épisodes suivants de ce cheminement : réalisation de l’Eveil,
hésitation à divulguer l’enseignement puis, après intervention du dieu Brahmâ, acceptation de
prêcher la Doctrine, premier sermon à « deux disciples principaux », conversion de milliers
d’autres disciples et, finalement, envoi de ces disciples en mission à travers le monde.
C’est cette « vie » que nous allons étudier dans le deuxième module de ce cours.
Texte annexe 1
Les dates du Bouddha
L’existence réelle du Bouddha n’est plus remise en cause aujourd’hui par aucun historien des
religions. Mais la fixation des dates de sa vie (naissance, mort et principaux événements)
pose des problèmes apparemment insurmontables…
Il existe en fait deux chronologies en vigueur dans le monde bouddhiste, qu’on peut présenter
comme la tradition du Nord (chronologie courte, se basant sur des textes sanskrits) et la
tradition du Sud (chronologie longue, se basant sur des textes pâlis). Toutes deux prennent
pour point de départ la date de la mort du Bouddha (l’Extinction finale ou pari-nirvâna) et la
déterminent par rapport à la date du sacre du premier grand souverain indien ayant adopté le
bouddhisme comme religion personnelle, le roi Asoka.
Celle-ci peut nous servir de repère car les historiens grecs y font allusion : Alexandre le
Grand est parvenu sur les rives de l’Indus pendant le règne du grand-père d’Asoka et ses
successeurs entretiendront des relations suivies avec les souverains indiens, à partir de cette
époque. Le sacre d’Asoka, si l’on suit les témoins grecs, a eu lieu en 267 ou 268 avant J.-C.
Selon la chronologie courte, la mort du Bouddha aurait eu lieu seulement 100 ans avant le
sacre d’Asoka, soit en 368 av. J.-C. Selon la chronologie longue, elle serait intervenue 218
ans avant le sacre, soit en 485 ou 486 av. J.-C. Pourtant, les dates annoncées sont celles de
544-543 av. J.-C., car les chroniqueurs font une erreur de 60 ans sur la date même du sacre…
Pendant longtemps, les historiens ont plutôt privilégié la chronologie longue « corrigée »,
parvenant à la date approximative de 483 av. J.-C. Toutes les traditions étant unanimes sur le
fait que le Bouddha avait vécu 80 ans, il serait alors né en 563 av. J.-C.
De nombreuses découvertes archéologiques ont remis en cause ces calculs. Deux sites,
notamment, ont ainsi été présentés comme les ruines possibles de la ville natale du Bouddha,
Kapilavastu. Tous deux se situent à la frontière actuelle de l’Inde et du Népal, l’un en
territoire indien, l’autre en territoire népalais. Aucun des deux ne semble pourtant avoir été
habité avant le Ve siècle av. J.-C., ce qui rend impossible la chronologie longue, qui placerait
sa naissance à la moitié du VIe s.
Après de nombreux débats, la communauté scientifique s’est finalement décidée pour fixer la
date du décès du Bouddha aux alentours de 400 av. J.-C. Quant à sa date de naissance, elle
n’est même plus évoquée, le chiffre de 80 ans paraissant trop rond pour être « honnête » ! Il
serait plus vraisemblable d’accorder au Bouddha une espérance de vie d’une soixantaine
d’années au maximum, ce qui placerait sa naissance aux environs de 460 av. J.-C.
L’apparition d’un samyaksam-buddha est « aussi rare que la floraison de l’arbre Udumbara,
qui porte des fruits mais n’a point de fleur visible ». Il ne peut en apparaître qu’un seul à la
fois et, au cours des 91 dernières ères cosmiques (kalpa), trois périodes, seulement, ont connu
un samyaksam-buddha.
Le terme de kalpa (qu’on traduit par « ère cosmique » ou « éon ») représente une unité de
temps qui paraît très étrange à un Occidental mais qui est tout à fait typique de l’esprit
indien ! Rien à voir avec nos « siècles » ou nos « millénaires » : la mesure d’un kalpa n’est
pas mathématique mais symbolique et, surtout, totalement superlative…
Les kalpa sont des ères se renouvelant par grands cycles, englobant eux-mêmes des groupes
de cycles plus petits. Le problème, pour nous, est que tous ces cycles et sous-cycles portent le
nom de kalpa…
Le plus grand de tous est la « grande ère » (mahâ-kalpa). « L’immensité de cette période est
suggérée par plusieurs images évocatrices. Par exemple, si, une fois par siècle, un homme
caressait une montagne de granit massif haute d’environ dix mille mètres avec un morceau de
fine étoffe, elle serait usée avant que ne se soit écoulée une grande ère. Et pourtant, les ères
écoulées sont plus nombreuses que tous les grains de sable des rives du Gange ! » (Peter
Harvey, Le Bouddhisme, Seuil, p. 55)
Le mahâ-kalpa se divise lui-même en quatre « périodes incalculables » (asmkhyeya kalpa),
correspondant au cycle d’un monde : son apparition, son maintien, sa dégénérescence, son
absence ; après quoi le cycle reprend, indéfiniment…
Chaque « période incalculable » se divise encore en vingt « périodes d'entre-temps » (antara-
kalpa), comprenant elles-mêmes huit « âges du monde » (yuga). Ces périodes sont dites vides
ou non vides selon qu’elles sont pourvues ou dépourvues de samyaksam-buddha. Les
périodes comme celle qui se déroule actuellement, qui peuvent connaître jusqu’à six
Bouddhas successifs, sont dites « fortunées ».
On le voit, ces définitions n’ont pas pour but de mesurer le temps mais, au contraire, de
donner l’idée la plus gigantesque possible de son déroulement incommensurable…
Texte annexe 3
Les titres d’un Bouddha
Arhat : le « Méritant », celui qui a vaincu les ennemis, qui est libéré des « impuretés »
(kilesa)
Samyaksam-buddha : celui qui a atteint le plein et complet Eveil, sans l’aide de quiconque
Vijjâ-carana-sampanno : parfait en sagesse et en conduite ; la traduction stricte est : qui
possède de manière complète (sampanno) les « [pouvoirs nés des] connaissances
surnaturelles » (vijjâ) et les « conduites excellentes » (carana)
Sugato : le « Bien-allé », qu’il faut comprendre avant tout comme « celui qui agit comme il
convient » et, plus précisément, celui qui s’abstient de toute parole fausse, nuisible et
désagréable et choisit le moment propice pour prononcer des paroles vraies, utiles et
agréables.
Lokavidû : le Connaisseur des Mondes « tels qu’ils sont »
Anuttaro purisa damma sâratthi : le guide sans supérieur des êtres qui doivent être guidés
Satthâ devâ manussânam : l’enseignant des dieux et des hommes
Texte annexe 4
Le Buddha n’existe que par « pur conformisme »
L’idée que le Bouddha se conforme à un modèle, parce qu’il en est « Ainsi » de tous les
Bouddhas, a été poussé jusqu’à ses extrêmes par une école du bouddhisme ancien, celle des
Mahâsâmghika. On ignore si ces idées nouvelles – que les autres courants jugeront excessives
et hétérodoxes – sont anciennes ou si les Mahâsâmghika les adopteront seulement au début de
l’ère chrétienne, sous l’influence du Mahâyâna qui développera des thèses extrêmement
proches.
Selon Etienne Lamotte : « Les Mahâsâmghika montent en épingle un passage du Samyutta
(III, p. 140) où il est dit : « Le Tathâgata naît dans le monde, grandit dans le monde : qu'il
aille ou se tienne debout, il n'est pas souillé par le monde ». Ils en concluent que tout dans le
Buddha, y compris son corps de naissance, est pur : sa naissance est purement
apparitionnelle ; son existence, une simple fiction ; son corps est spirituel et, s'il manifeste
extérieurement des qualités et des gestes humains qui en réalité lui sont étrangers, c'est
uniquement pour se conformer au monde. » (Lamotte, p. 690)
Leur thèse est clairement exprimée dans l’introduction d’un de leurs principaux textes, le
Mahâvastu :
« Chez les Buddha pleinement et parfaitement éveillés, absolument rien de commun avec le
monde ; ainsi donc, chez ces grands sages, tout est supérieur au monde […] Ces hommes
supérieurs adoptent les quatre attitudes [la station debout, la marche, les positions assise et
couchée], mais aucune fatigue ne s'abat sur ces êtres bienfaisants. Ils se lavent les pieds, mais
la poussière n’y adhère pas, et leurs pieds sont pareils à la feuille du lotus : c'est là pur con-
formisme. Les samyaksam-buddha se baignent, mais la souillure n'est point en eux, et leur
image est pareille au disque d'or : c'est là pur conformisme. [...] Ils prennent de la nourriture,
mais la faim ne les tourmente pas. [...] Quoique le corps du Bien-Allé ne soit pas le résultat
d'une union sexuelle, les Buddha font mention de leur mère et de leur père : c'est là pur
conformisme. »
Quelques écoles, peu nombreuses, subiront l’influence des Mahâsâmghika et adopteront, elles
aussi, ces thèses. On en trouve la preuve, notamment, dans un texte polémique rédigé à
Ceylan, sans doute au IVe siècle après J.-C. On y trouve notamment les affirmations
suivantes : « Les Buddha sont partout présents dans toutes les régions de l'univers ; ils
peuvent suspendre toutes les lois naturelles par leur pouvoir miraculeux ; leur comportement
est transcendant et l'odeur même de leurs excréments surpasse tous les parfums ; ils n'ont
jamais résidé dans le monde des hommes. »
Le Bouddha, ici, n’a plus rien d’un homme ordinaire et sa dimension « historique » a
complètement disparu !
Texte annexe 5
Les dix parâmitâ (« perfections »)
Les parâmitâ sont des qualités que le futur Bouddha doit toutes pratiquer, successivement et
en même temps : certaines d’entre elles ne peuvent se développer que si les précédentes ont
déjà été pratiquées, mais les suivantes permettront de nourrir et de développer les premières,
Le don (dâna) vient en premier parce qu’il est considéré comme le plus facile à mettre en
œuvre ; il s’agit d’œuvrer au profit des autres, tant du point de vue matériel que moral, par les
actes comme par les paroles. La discipline (sîla) consiste en l’abstention du meurtre, du vol,
du mensonge et de toute conduite « incorrecte »…
Ces deux premières parâmitâ fonctionnent en doublet : le don est l’aspect actif (œuvrer pour
le bien d’autrui), la discipline en est le côté passif (s’abstenir de produire de la souffrance…).
La renonciation (nekkhama) est un exercice de purification de l’esprit, notamment ce qu’on
appelle ordinairement la « méditation », mais surtout le fait de quitter « la vie de maison »
pour s’engager dans « la vie sans foyer ». C’est le détachement.
Ces trois premières parâmitâ, purification active et passive du corps, de la parole et de
l’esprit, constituent le cœur de la voie bouddhique.
La sagesse (prajnâ) vient ensuite parachever cette purification, puisqu’elle ne peut se
manifester qu’une fois l’esprit débarrassé de ses impuretés.
Ces quatre premières parâmitâ sont communes à tous ceux qui cheminent vers l’Eveil,
srâvaka-buddha, pratyeka-buddha ou samyaksam-buddha.
Viennent ensuite des qualités supplémentaires que tous peuvent mettre en œuvre mais qui
seront particulièrement développées par le bodhisattva.
Tout d’abord l’énergie (viriya) et la patience (ksanti) : capacité à supporter les épreuves et,
notamment, le mal que peut vous faire autrui.
La véracité (sacca) consiste à rester fidèle à sa parole, quel que soit le tort qu’on puisse subir.
La résolution (adhisthâna) est mentionnée immédiatement après, car seuls sont réellement
capables de se perfectionner avec détermination ceux qui possèdent la connaissance des
choses telles qu'elles sont et agissent, en conséquence, avec véracité.
Quant à l'amour bienveillant (maitrî), il ne peut se manifester que quand on est établi de façon
imperturbable dans la détermination de travailler pour le bien d'autrui ; cette « amour »,
cependant, doit être purifié par l'équanimité (upeksâ), sans laquelle elle pourrait n’être qu’une
forme subtile d’égoïsme. Dernière étape du cheminement du bodhisattva, maitrî ne doit pas
être confondu avec le sentiment qui engage au don (première parâmitâ) ; le don vise le
bonheur « en ce monde », alors que l’amour vise la Délivrance. C’est maitrî qui pousse le
futur Bouddha à enseigner.
Texte annexe 6
Les principaux épisodes de la vie du bodhisattva
Naissance
Le bodhisattva, siégeant au ciel des Tusita, décide de renaître dans le monde des hommes
pour « accomplir » sa dernière vie. Il choisit pour parents Suddhodana et son épouse Mâyâ,
de la famille des Gautama du clan des Sâkya, qui gouvernent la ville de Kapilavastu (dans le
Téraï, à la frontière actuelle de l’Inde et du Népal).
Lors de la conception, « virginale », le bodhisattva descend dans le sein de sa mère sous la
forme d’un éléphant blanc à six défenses (dans les versions anciennes, il s’agit d’un rêve,
dans les versions plus tardives, d’un fait réel).
Jeunesse
Sept jours après sa naissance, la reine Mâyâ décède et l’enfant est élevé par sa tante
maternelle, seconde épouse de son père, Mahâ-Prajapati. Il suit des études brillantes dans tous
les domaines d’apprentissage réservés à un prince. Il dispose de trois palais, un pour chaque
saison, et son père fait en sorte qu’il bénéficie de tous « les plaisirs des cinq sens » (il redoute
de le voir « quitter le monde » et de se retrouver sans héritier).
Alors qu’il est encore un enfant, Siddhârta expérimente pour la première fois les différents
degrés d’extase de la méditation (les circonstances varient selon les textes).
A l’âge de 15 ans, il est marié à la belle Gopâ-Yasodharâ.
PRESENTATION DU TEXTE
Mahâ’padâna-sutta
Un grand récit légendaire
Une fois le Bienheureux demeurait au parc d’Anâthapindika, situé dans le bois de Jeta, près
de la ville de Sâvatthi. En ce temps-là, un jour, les bhikkhu, après être rentrés de leur tournée
d’aumône, après avoir terminé leur repas, s’étaient réunis assis dans la rotonde appelée
Kareri. Une bonne conversation, concernant les demeures anciennes, s’engagea alors entre
eux : « Ainsi il y avait une demeure du passé et encore ainsi il y avait une demeure du
passé… ».
Le Bienheureux, qui se trouvait dans le domaine mental où il pouvait entendre grâce à
l’oreille surhumaine bien claire qui dépasse la capacité humaine, entendit la conversation de
ces bhikkhu. Alors il se leva de son siège, s’approcha de l’endroit où se trouvait la rotonde
Kareri et s’assit sur le siège préparé à son intention. S’étant assis, il s’adressa aux bhikkhu :
« Quelle est la conversation, ô bhikkhu, qui vous tient maintenant assis dans ce lieu ? A quel
point votre conversation vient-elle de s’interrompre [à cause de mon arrivée] ? »
Etant questionnés ainsi, les bhikkhu répondirent […].
Le Bienheureux demanda : « Voulez-vous, ô bhikkhu, écouter un bon propos concernant les
demeures anciennes ? »
Les bhikkhu répondirent : « C’est le moment, Bienheureux. C’est le moment, Bienvenu. Si le
Bienheureux donne un bon discours sur les demeures anciennes, les bhikkhu, ayant écouté la
parole du Bienheureux, la garderont dans leur mémoire. »
Le Bienheureux dit : « Alors, ô bhikkhu, réfléchissez bien et soyez attentifs. Je vais vous
parler ».
« Très bien. Bienheureux », répondirent les bhikkhu.
PREMIERE SECTION :
« LES SEPT TATHAGATA »
Le Bienheureux dit :
« O bhikkhu, le bienheureux Vipassi, arahant, sammasam-buddha, est né dans le monde il y a
déjà quatre-vingt-onze ères cosmiques. Le bienheureux Sikhi, il y a déjà trente et une ères
cosmiques. Le bienheureux Vessabhu, pendant la même trente et unième ère cosmique, tout
comme le bienheureux Kakusanda, le bienheureux Konagamana et le bienheureux Kassapa.
Et c’est dans cette même heureuse ère cosmique que moi, l’arahant, sammasam-buddha
d’aujourd’hui, je suis né dans le monde.
[…]
Ainsi parla le Bienheureux. Après avoir dit cela, s’étant levé de son siège, le Bienheureux
rentra dans sa demeure.
Peu après le départ du Bienheureux, parmi les bhikkhu s’engagea la conversation suivante :
O frères, il est merveilleux, ô frères, il est surprenant le pouvoir prodigieux du Tathâgata, la
majesté du Tathâgata, à tel point qu’il se rappelle les Bouddhas du passé qui ont atteint la
cessation complète, qui ont tranché les éléments retardateurs, qui ont détruit les barrières, qui
ont totalement arrêté le cycle [du samsâra], qui sont allés au-delà de toutes les souffrances, et
qu’il se rappelle leur naissance, leurs noms, leur famille, la durée de leur vie, leurs deux
disciples principaux, les assemblées de leurs auditeurs […].
Qu’en pensez-vous, ô frères ? Le Tathâgata a-t-il pénétré lui-même ce domaine de la nature
[…] ou bien les dieux l’ont-ils informé […] ?
Telle était la conversation qui se déroulait parmi les bhikkhu.
DEUXIEME SECTION :
« LA CARRIERE DE BODHISATTVA DU BIENHEUREUX VIPASSI »
La Naissance
Le Bienheureux dit :
« O bhikkhu, le Bienheureux Vipassi, arahant, sammasam-buddha, est né dans le monde il y
a déjà quatre-vingt onze ères cosmiques. Il était par naissance khattiya [ksatriya] puisqu’il
était né dans une maison khattiya. Il appartenait à la famille Kondanna. Sa durée de vie fut de
quatre-vingt mille ans. Il atteignit l’Eveil au pied d’un arbre pâtali. Il avait deux disciples, en
tant que deux heureux disciples principaux, nommés Khanda et Tissa. Il avait trois
assemblées d’auditeurs. Une première assemblée d’auditeurs fut de soixante-huit mille, une
autre de cent mille et une autre encore de quatre-vingt mille ; [et tous ces disciples] étaient de
ceux qui ont éliminé les écoulements mentaux toxiques. Le Bienheureux Vipassi avait un
bhikkhu nommé Asôka comme aide-assistant. Son père était un roi nommé Bandhumâ, et sa
mère était la reine Bandhumatî. Le royaume du roi Badhumâ était connu sous le nom de
Bandhumatî. C’est dans l’ordre des choses.
Alors, ô bhikkhu, le roi Bandhumâ fit construire trois palais à l’intention du prince : un pour
l’automne, un pour l’hiver et l’autre pour l’été. Il organisa pour le prince les objets des cinq
plaisirs sensuels. Pendant la saison des pluies, le prince Vipassi demeurait dans le palais
d’automne où il n’y avait aucun serviteur masculin, entouré uniquement de femmes jouant
des instruments de musique, sans jamais descendre au rez-de-chaussée.
O bhikkhu, après de longues années, après des centaines de longues années, après des milliers
de longues années, un jour, le prince Vipassi s’adressa à son cocher : « Cher cocher, apprêtez
des chars bien beaux, bien propres. Allons au jardin pour voir ce terrain plaisant ». « Bien,
Seigneur » dit le cocher. […]
Etant en chemin vers le jardin, le prince Vipassi vit un vieillard courbé comme un pignon (de
toit), qui marchait en tremblant avec l’aide d’un bâton, malade et ayant dépassé le jeune âge.
L’ayant vu, le prince s’adressa au cocher : « Cet homme, ô cher cocher, qu’a-t-il fait ? Ses
cheveux ne sont pas comme ceux des autres. Son corps n’est pas comme celui des autres.
- Il est, Seigneur, « celui qui est arrivé à la vieillesse ».
- O cher cocher, que veut dire « celui qui est arrivé à la vieillesse » ?
[le même épisode se reproduit avec un malade et un mort qu’on mène au bûcher funéraire,
puis avec un renonçant (sramana) : ]
Le prince Vipassi s’adressa au renonçant et lui demanda : « Ami, qu’avez-vous fait ? Votre
tête n’est pas comme celle des autres ? Vos vêtements ne sont pas comme ceux des autres ?
- Je m’appelle « celui qui a renoncé »
- Pour quelle raison êtes-vous appelé « celui qui a renoncé » ?
- Je suis celui qui a renoncé. J’ai renoncé [à la vie de maison] en me disant : « Il est bon de se
conduire selon la droiture, il est bon de se conduire selon l’équanimité, il est bon de se
conduire pour effectuer des choses efficaces, il est bon de se conduire pour effectuer des
actions méritoires, il est bon de se conduire selon la non-violence, elle est bonne la
compassion à l’égard des êtres vivants ». […]
Ensuite, ô bhikkhu, Le prince Vipassi s’adressa au cocher : « Alors, cher cocher, en prenant
les chars, d’ici, retournez à la cité intérieure. Quant à moi, en me rasant la barbe et les
cheveux, et en revêtant le vêtement kâsâya je quitterai la vie de maison pour entrer dans la
vie sans foyer ».
« Très bien, Seigneur » répondit le cocher. Puis il conduisit les chars vers la cité intérieure.
Quant au prince Vipassi, ayant rasé ses cheveux et sa barbe, ayant revêtu des vêtements
kâsâya et renonçant à la vie de maison, il parvint à l’état sans foyer.
[…]
Conclusion du récit
O bhikkhu, une fois je demeurais au pied d’un grand arbre Sala du bois Subha, auprès
d’Ukkattha. En ce temps-là, un jour, alors que j’étais dans le repos solitaire [de l’après-midi]
me vint cette réflexion : « Pendant ces longues périodes, il n’y a nulle demeure [des Brahmâs]
dans laquelle je ne me suis pas rendu, sauf celle des dieux de Suddhâvâsa. Il serait bon que je
m’y rende. » Alors, tout comme un homme fort étend son bras plié ou plie son bras étendu, je
me suis dispersé du pied de l’arbre Sala, près d’Ukkattha, et me suis présenté au sein de la
troupe des dieux de Suddhâvâsa.
Là-bas, des milliers de divinités appartenant à divers groupes de dieux s’approchèrent de moi,
me rendirent hommage, puis restèrent debout à l’écart sur un côté. Ces divinités me dirent : «
O Seigneur heureux, il y a quatre-vint onze ères cosmiques déjà, le Bienheureux Vipassi,
Arahant, Eveillé parfait, est apparu dans le monde. […] Voici comment le Bienheureux
Vipassi, Arahant, Eveillé parfait, a renoncé à son foyer ; comment il est entré dans la vie sans
maison ; comment il a mené ses efforts énergiques et atteint l’Eveil parfait ; voici comment il
a mis en marche la Roue de la Doctrine. O Seigneur bienheureux, nous-mêmes, nous avons
suivi la conduite sublime sous la direction du Bienheureux Vipassi : nous avons éliminé le
désir pour les plaisirs sensuels et, par conséquent, nous sommes nés ici .
Ensuite, ô bhikkhu, divers milliers de dieux, diverses centaines de milliers de dieux
appartenant à la même catégorie, m’approchèrent. […] Ils me dirent: « O Seigneur
bienheureux, c’est maintenant, dans cette ère cosmique propice, que vous, le Bienheureux,
l’Eveillé parfait, l’Arahant, êtes né. O Seigneur bienheureux, par naissance le Bienheureux
est un khattiya, né dans la caste khattiya.[…] Nous, ô Seigneur bienheureux, en suivant la
Conduite sublime sous votre direction, après avoir éliminé le désir pour les plaisirs sensuels,
nous sommes nés ici.
[Puis le Bouddha Sâkyamuni entend le même récit et reçoit le même hommage de diverses
autres catégories de dieux]
De cette façon, ô bhikkhu, le Tathâgata a compris l’élément de la nature des choses et par
conséquent, le Tathâgata se rappelle tels Eveillés d’autrefois qui ont atteint le parinibbâna,
qui ont éliminé les entraves, qui ont détruit les barrières, qui ont mis fin au cycle des
existences, qui ont échappé à dukkha de diverses manières, et il se rappelle leur naissance,
leurs noms, leurs familles, la durée de leur vie, leurs deux disciples principaux et les
assemblées de leurs disciples, en disant : « Tel ou tel Bienheureux avait tel nom, telle famille,
telle discipline, telle doctrine, telle sagesse, telle demeure habituelle, telle libération ».
Ainsi parla le Bienheureux. Les bhikkhu, heureux, se réjouirent des paroles du Bienheureux.
Une fois le Bienheureux demeurait au parc d’Anâthapindika, situé dans le bois de Jeta,
près de la ville de Sâvatthi.
Autre stéréotype, l’indication du lieu de l’enseignement et, parfois, d’une date approximative
(« pendant la retraite de saison des pluies »). Certains chercheurs ont voulu s’appuyer sur ces
indications temporelles pour tenter de reconstituer une chronologie des déplacements du
Bouddha. Une telle recherche apparaît assez vaine, tant ces indications sont imprécises et
paraissent le plus souvent formelles. En revanche les indications de lieu nous renseignent sur
les principales implantations de la jeune Communauté bouddhiste, le plus souvent des parcs
et des jardins, dont la tradition rapporte qu’ils ont été offerts par de riches donateurs.
Le parc de Jetavana, dont il est ici question, est le plus célèbre d’entre eux et aurait été le lieu
de résidence préféré du Bouddha. Il a été offert par le marchand Anâthapindika, qui l’aurait
lui-même acheté au prince Jeta. Le prince n’y aurait consenti qu’à la condition que le
marchand en recouvre la superficie totale de pièces d’or. Ce qu’il aurait fait !…
Il est bien sûr tout à fait impossible de savoir si ces donations ont été effectuées du temps du
Bouddha lui-même bien que, dans bien des cas, la chose paraisse vraisemblable.
L’exagération qui entoure ces donations et la qualité diverses des donateurs (rois, marchands,
banquiers, courtisanes…) peut être lue aussi comme un outil de « promotion » pour la
communauté : celle-ci rappelant ainsi « innocemment » à ses auditeurs combien les grands de
ce monde avaient été généreux avec le Bouddha et combien il serait bon que leurs
successeurs continuent à faire de même !
En ce temps-là, un jour, les bhikkhu, après être rentrés de leur tournée d’aumône, après
avoir terminé leur repas, s’étaient réunis assis dans la rotonde appelée Kareri.
L’introduction se poursuit (ici avec une indication de temps on ne peut plus approximative)
en précisant les circonstances dans lesquelles l’enseignement a été donné. Le plus
fréquemment, il s’agit d’une courte anecdote présentant un point de discorde ou
d’interrogation au sein de la communauté des moines ou « bhikkhu ». D’autres fois, il s’agit
de laïcs (le plus souvent de hauts personnages) ou de représentants d’autres traditions
spirituelles qui veulent interroger le Bouddha - parfois pour le prendre en faute, parfois au
contraire pour dissiper des doutes nés de leur propre pratique. Ou enfin, mais plus rarement,
c’est le Bouddha lui-même qui décide de développer un point précis de sa Doctrine.
le bodhisatta Vipassi, en quittant le groupe des dieux Tusita, étant attentif et conscient,
descendit dans l’utérus de sa mère
Lorsqu’il produit la « pensée d’Eveil » (bodhicitta), le bodhisattva est assuré de parvenir à
l’Eveil mais ne maîtrise pas pour autant la « carrière » (gati) qui lui permettra d’y parvenir. Il
ignore notamment combien de vies successives lui seront nécessaires et il ne peut pas influer
sur leur cours : comme n’importe quel être ordinaire, le bodhisattva renaît en fonction de ses
actes, et c’est seulement la qualité de ceux-ci qui lui permettra de bénéficier des
« meilleures » renaissances.
Ce n’est que plus tard au (pendant la deuxième « période incalculable » ou encore après,
selon les écoles) qu’il devient « déterminé » et que le nombre, la durée et la qualité de ses
renaissances sont désormais fixées. Selon certains, il aurait alors la possibilité de se rendre
une grande lumière incommensurable qui dépasse la majesté [lumineuse] des dieux
L’image de la lumière, associée à l’apparition ou aux diverses manifestations du Bouddha, est
récurrente dans l’ensemble des textes bouddhistes. Il s’agit aussi bien d’une lumière
matérielle que spirituelle.
La lumière matérielle (évoquée ici) est l’une des caractéristiques du samyaksam-buddha,
parfois présentée comme un « éclat d’or émanant de tout son corps » ou comme une « aura »
aux lueurs d’arc-en-ciel. Cette aura, souvent représentée dans la statuaire par une auréole
englobant le corps entier ou le buste (un mandorle), est fréquemment remplacée dans la
statuaire moderne par des néons de couleur ! Ses différentes couleurs sont reprises,
symboliquement, dans les cinq bandes du drapeau bouddhique, adopté à Ceylan à la fin du
XIXe siècle.
La lumière spirituelle est, bien évidemment, celle qui met fin à l’Ignorance. Elle est souvent
évoquée à la fin d’un discours du Bouddha, dans les sûtra, par une formule stéréotypée
(« C’est merveilleux, Bienheureux, c’est merveilleux. Comme si l’on apportait une lampe
dans l’obscurité en pensant : « Que ceux qui ont des yeux voient les formes », de même le
Bienheureux a rendu claire la Doctrine de maintes façons. ») qui rappelle l’expression
employée dans notre texte : « Les êtres vivants qui sont nés dans ces lieux, se voyant l’un
l’autre grâce à cette splendeur, disent : « Vraiment, il en est donc d’autres qui vivent ici !». »
Celle-ci est naturellement une personne vertueuse : elle s’abstient de tuer les êtres
vivants, de prendre ce qui ne lui est pas donné, de relations sexuelles illicites, de
proférer des mensonges, de prendre des boissons enivrantes qui causent l’égarement et
l’inattention.
Ce paragraphe, qui évoque les vertus de la mère du bodhisattva, représente un anachronisme
évident puisque y sont énumérés les « cinq préceptes » qui constitueront la base éthique de
toute pratique bouddhiste, qui sera bien évidemment formalisée beaucoup plus tard.
[Ces préceptes seront étudiés dans l’Unité de Cours 4 : « Les pratiques »]
C’est dans l’ordre des choses, ô bhikkhu, que lorsqu’un bodhisatta est né, sa mère décède
au septième jour et qu’elle renaisse alors dans l’état céleste Tusita. Elle accouche après
l’avoir gardé pendant dix mois complets dans son utérus...
Le décès de la mère du bodhisattva, sept jours après la naissance, fait partie de ces points
doctrinaux dont on peut penser qu’ils ont une origine historique vraisemblable à propos de
Sâkyamuni, et qu’ils auraient ensuite été appliqués systématiquement et rétrospectivement à
ses prédécesseurs.
De fait, l’ensemble des textes anciens évoquent souvent sa « mère nourricière », Mahâ-
Prajapati (qui sera à l’origine de l’ordre des nonnes bouddhistes), mais jamais sa mère
biologique. Un tel événement n’a rien de très surprenant, la mort des mères en couche ou
quelques jours plus tard étant resté courante jusqu’au XXe siècle.
Lorsque le bodhisatta sort de l’utérus de sa mère, il sort sans être souillé ou touché par
les éléments liquides, le mucus, le sang ou un quelconque élément impur, il sort de
l’utérus de la mère pur et sans tache.
Voir texte annexe 4 : Le Buddha n’existe que par « pur conformisme » p. 22
Dès qu’il est né, le bodhisatta reste debout sur ses pieds et des dais blancs sont placés au-
dessus de lui. Il marche sept pas vers l’est et regarde dans toutes les directions, puis il
dit cette parole sublime : « Dans le monde, je suis le chef ; pour le monde, je suis l’aîné ;
pour le monde, je suis le premier ».
Cette donnée traditionnelle des biographies du Bouddha est plutôt troublante dans un texte de
tradition pâli. En effet, celle-ci insiste habituellement davantage sur le parcours « humain » et
« prédestiné » du bodhisattva, même si celui-ci manifeste des capacités hors du commun
(comme l’illustre la suite du texte). C’est le seul exemple du Mahâ’padâna-sutta (hormis le
choix de sa famille de naissance… mais qui a lieu alors qu’il se trouve encore au ciel des
Tusita) où le bodhisattva manifeste sa prescience de sa future condition de Bouddha. Une
connaissance qu’il oubliera d’ailleurs aussitôt puisqu’il poursuivra par la suite son
cheminement en commettant toutes les « erreurs » communes aux maîtres de maison.
Cette déclaration solennelle reprend les thèmes habituels de la supériorité « sans supérieur »
du Tathâgata (le chef, l’aîné, le premier).
Il a donc deux destinées, et il n’en est pas d’autres : s’il mène une vie de foyer, il devient
un roi universel qui met en marche la roue de la droiture…
Sur la notion de Çakravartin, voir le module 2, chapitre 2.1 « Le Grand Homme », p. 44
O bhikkhu, après de longues années, après des centaines de longues années, après des
milliers de longues années…
Ne pas oublier que le Bienheureux Vipassi a vécu 80.000 années !
Ensuite, ô bhikkhu, le roi Bandhumâ organisa davantage les cinq plaisirs sensuels pour
le prince Vipassi afin qu’il reste pour régner, qu’il ne quitte pas la maison pour mener
une vie sans foyer et que les paroles des brahmanes devins ne se réalisent pas. Dès lors, ô
bhikkhu, le prince Vipassi était entouré et possédé par les cinq plaisirs, au milieu des
plaisirs sensuels.
Exemple type de « prédestination » du bodhisattva. Quoiqu’on fasse, ce ne sont pas les
prédictions, bien sûr, qui doivent se réaliser, mais l’engagement, le vœu du bodhisattva. Ni le
roi ni le prince n’y peuvent rien et, bien que celui-ci soit plongé « jusqu’au cou » dans les
plaisirs sensuels, les quatre rencontres le mèneront malgré tout jusqu’à l’Eveil.
Quant au prince Vipassi, ayant rasé ses cheveux et sa barbe, ayant revêtu des vêtements
kâsâya et renonçant à la vie de maison, il parvint à l’état sans foyer.
Remarquable simplicité, pour cet épisode capital, d’où toute dramatisation a été évacuée !
A comparer avec la narration que le Bouddha fait de son propre départ, tel qu’il est présenté
dans le Mahasaccaka-sutta [voir, sur le site, le « texte complémentaire] :
« Avant mon éveil, quand j’étais encore un bodhisatta, la pensée suivante m’est venue : « La
vie de ménage est serrée, comme une voie poussiéreuse. La vie de moine est libre comme
l’air. Il n’est pas facile, vivant à la maison, de mener la vie totalement parfaite et totalement
pure comme un coquillage poli. Que se passerait-il, si je rasais mes cheveux et ma barbe et
revêtais la robe ocre et que je renonçais à la vie domestique et devenais quelqu’un sans
demeure ? » Ainsi plus tard, quand j’étais encore jeune, les cheveux noirs, doté des
bénédictions de la jeunesse, à la première étape de la vie, ayant rasé mes cheveux et ma barbe
- bien que mes parents le souhaitaient autrement et s’affligeaient avec des larmes sur leur
visage - j’ai pris la robe ocre et j’ai renoncé à la vie domestique pour devenir quelqu’un sans
demeure. »
Dans ces deux versions, sans doute très anciennes, le réalisme prime sur le symbolique.
A noter que le Bouddha évoque « ses parents ». Il s’agit a priori de son père et de sa mère
« nourricière », seconde épouse de son père… ou alors la mort de la reine Mayâ n’est-elle
qu’un rajout symbolique (l’Illusion, « Mayâ », qui disparaît à l’apparition de l’Eveil).
[Cet épisode du « Grand Départ » sera évoqué à nouveau dans le module 2, chapitre I.1 « Un
homme (presque) comme les autres », p. 40].
SOMMAIRE
Ainsi, l’épisode des Quatre Rencontres a-t-il été parfois doublé par un autre, celui de « la
première méditation ».
Alors qu’il était encore enfant, le prince Siddhârta assiste à la cérémonie du « creusement du
premier sillon », cérémonie effectuée par le roi chaque année, au début de la période de
reprise des travaux agricoles. Il constate alors la fatigue des hommes et des bêtes sous le
soleil cuisant, le soc de la charrue qui s’enfonce dans la terre en ouvrant comme une large
blessure, les insectes et les vers sortis de terre que des oiseaux s’empressent de dévorer,
quand ils ne sont pas simplement tués par la charrue. Bouleversé par ce spectacle, Siddhârta
se retire sous un arbre et se plonge dans une méditation qui le mène bientôt à un profond
recueillement.
En confrontant les divers textes, André Bareau a remarqué que ces deux épisodes
n’apparaissaient jamais ensemble. Les compilateurs choisissent l’un ou l’autre, peut-être en
fonction de deux traditions différentes, car il s’agit à chaque fois du même processus en deux
tableaux : d’abord la confrontation avec le caractère douloureux et mortel de toute vie, puis la
découverte du caractère apaisant et serein de la pratique spirituelle.
De la même manière, la décision de s’engager dans une recherche solitaire, très rapidement
évoquée par le Mahâ’padâna-sutta (« Le fait que je reste entouré de la foule, n'est pas
convenable pour moi. Il faut que je demeure séparé de la foule »), va connaître d’importants
développements. A l’instar des propres disciples du Bouddha, pour la plupart anciens
brahmanes, Siddhârta va d’abord suivre pendant quelques années l’enseignement de deux
sramana, Kâlâma et Râmaputra. Puis, comprenant que ces maîtres n’ont pas trouvé ce qu’il
cherchait lui-même, il les abandonne finalement pour s’engager dans une vie d’ascèse
approfondie. Il sera alors suivi par cinq condisciples (et non plus quatre mille, comme le
bodhisattva Vipassi). Et ce n’est qu’après cinq ans d’un tel exercice, qui le mènera aux portes
de la mort, qu’il décide enfin de s’isoler complètement à la recherche de l’Eveil suprême.
[voir le texte complémentaire]
L’enfant méditant au pied d’un arbre, le jeune père soudain dégoûté de la vie sensuelle,
l’apprenti sramana qui quitte ses maîtres… sont autant d’expériences que peut vivre, dans
l’Inde ancienne, toute personne ressentant le besoin de s’engager sur une voie spirituelle. S’il
reste un être exceptionnel à bien des égards, le Bouddha devient ainsi, de plus en plus, un
homme comme les autres. Et c’est à peu près à la même époque, celle aussi où apparaissent
les premières sculptures le représentant, que les biographes lui attribuent finalement un
prénom, celui de Siddhârta (« Qui a atteint son but »), accordant ainsi à son « état civil » une
importance qu’il n’avait jamais connu auparavant. [voir le texte annexe : La sculpture
anthropomorphe : une « humanisation » du Bouddha ?, p. 52]
Cette « humanisation » du Bouddha n’est pourtant pas la seule caractéristique des nouvelles
biographies et le développement dramatique des épisodes inventés prendra tout son sens lors
du premier enseignement public du Bouddha, qui débute par la proclamation de la « Juste
Voie du Milieu » : « O moines, celui qui a renoncé à la vie du monde ne doit pas
s’abandonner aux deux extrêmes. Quels sont ces deux extrêmes ? C’est se complaire dans les
objets désirables pour les sens, ce qui est bas, vulgaire, terrestre, vil, indigne et sans profit et
c’est se vouer aux mortifications, ce qui est douloureux, indigne et sans profit. » [extrait du
Dharmaçakrasûtra, traduction de Rewata Dhamma, in Le premier enseignement du Bouddha,
Claire Lumière, Vernègues, 1998, p. 43]
Si le Bouddha prône le renoncement au monde et à ses plaisirs, c’est qu’il les a connus pour
ce qu’ils sont (c’est-à-dire « sans profit ») et, surtout, de sa « propre expérience ».
L’insistance portée sur la vie princière de Siddhârta, qui exagère au-delà du croyable la
situation sociale vraisemblable du clan des Sakya (simples « hobereaux de province »), a
autant pour but de montrer la grandeur du renoncement effectué par le jeune prince - que la
statuaire symbolisera par des lobes d’oreille démesurément allongés par le poids des bijoux
qu’il portait - que d’accorder au futur enseignant une connaissance « universelle » des plaisirs
mondains et de leur vanité.
De même, s’il renonce au monde et invite chacun à faire de même, sa connaissance
universelle s’applique aussi aux austérités dont étaient coutumiers les sramana de son époque
et l’on peut mieux comprendre alors la dramatisation des années de jeûne, rigoureux à
l’excès, auquel est censé s’être adonné le bodhisattva.
Du même coup, la vie développée du futur Bouddha, qui pouvait apparaître au départ comme
une tentative « réaliste », se présente à nouveau comme un moyen d’exalter toujours plus les
hautes vertus du Maître. A l’instar de ce qu’il exigera de ses disciples, le Bouddha peut parler
« en ayant vu, en ayant connu par lui-même » ; mais lui seul, à nouveau unique, peut
réellement parler de tout, car il a tout vécu, jusque dans ses extrêmes, et parce qu’il se
souvient de tout, jusqu’au plus loin de ses vies antérieures.
Aussi le réalisme semble-t-il alors tout à fait accessoire…
Plus encore que les récits de la dernière vie du bodhisattva, les Jataka (« vies antérieures »)
n’y cèderont qu’à grand peine. Les vies du bodhisattva apparaissent donc toujours plus, non
pas comme un récit historique même embelli par la légende, mais bien comme une
illustration de son enseignement et de ses pouvoirs « sans supérieur ». En fait, la biographie
est, pour le bouddhisme indien, une œuvre pédagogique et doctrinale au même titre que les
discours (sûtra) : les uns s’adressent aux moines, les autres au peuple, mais les thèmes
évoqués sont à peu près les mêmes dans les deux cas, ou peu s’en faut. [voir le texte annexe :
les Jataka, p. 53]
La vie même du Bouddha devenu enseignant, après l’Eveil, n’échappe pas à la règle. Il s’agit
pourtant, à la différence de l’enfance et de la jeunesse, d’une période de sa vie dont ses
contemporains pouvaient aisément témoigner, celle pour laquelle on pouvait s’attendre à
connaître le plus sûrement une part de vérité historique. Mais, là aussi, enseignement,
mythologie et détails pittoresques se mêlent de façon inextricable. Plus encore, peut-être, que
pour la carrière du bodhisattva, la vie du prédicateur devient un exemple doctrinal :
« Tout ce que le Tathâgata a dit entre la nuit de l’Eveil suprême et la nuit où il mourut, tout
ce qu’il a dit et exposé, c’est « ainsi » (tathâ) et non autrement, et pour cela il est nommé
Tathâgata : ce qu’il dit, il le fait, et ce qu’il fait, il le dit. Et il va selon sa parole, et sa parole
selon le cours de sa marche ; on le nomme donc Tathâgata. » [D.N. III, p. 135, in Silburn,
Aux sources du bouddhisme, p.31-2]
Une fois l’Eveil accompli, le « corps corruptible » de l’homme semble ne faire plus qu’un
avec le « corps de Dharma » du Bouddha. Et lui-même, si l’on en croit les textes, insiste sur
une telle « lecture » de sa vie.
Dans un texte qui constitue l’un des plus anciens récits biographiques composés, le Mahâ-
parinirvâna-sûtra (« grand sûtra de l’Extinction complète », qui raconte les dernières
semaines de vie du Bouddha), le Maître « utilise » sa vieillesse et sa mort prochaine comme
illustration de la Doctrine. Quand il lui annonce qu’il va mourir, « le Vénérable Ananda [son
cousin et plus fidèle disciple] rentra dans le monastère et resta à pleurer, appuyé au
chambranle de la porte », mais il se fait bientôt rabrouer : « Assez de pleurs et de
lamentations, Ananda, n’ai-je pas prêché pour prémunir contre la séparation, la privation,
l’éloignement de tout ce qui nous est cher et qui nous enchante ? Comment serait-il donc
possible que ce qui est né, devenu, composé, qui a pour nature de disparaître, ne se dissolve
pas ? » [cité in Silburn, Aux Sources du bouddhisme, p. 32]
Comme n’importe quel autre homme, le Bouddha subit lui aussi la maladie et la souffrance
physique. C’est, très vraisemblablement, une « diarrhée sanguinolente » qui sera cause de sa
mort. Et, comme le note avec humour Alfred Foucher, « le Bienheureux, le Prédestiné, le
Parfait est misérablement mort dans une bourgade obscure d’une crise de dysenterie
consécutive à une indigestion de porc. Quelle dégradation pour l’Etre sublime qu’un siècle ou
deux plus tard ses fidèles auraient volontiers exempté de toutes les nécessités naturelles !
Mais quelle garantie d’authenticité pour un trait que la légende aurait eu tant d’intérêt à taire
ou à déguiser ! » [p. 305]
Il va sans dire que les hagiographes entoureront l’événement des précautions d’usage et le
Bouddha manifestera, là encore, ses dons particuliers : à peine invité à goûter ce plat mortel
pour lui, il demande à son hôte de n’en servir à personne d’autre puis d’en enterrer les restes,
car « seul un Bouddha serait capable de le digérer » (ce qui, en l’occurrence, ne semble pas se
vérifier !) ; puis il prévoit les accusations qui seront portées contre son « meurtrier »
involontaire et fait appel, une fois de plus, aux « règles » valables de toute éternité : « Il y a
deux offrandes de nourriture d’égal mérite, équivalentes en fruit, plus méritoires et
fructueuses qu’aucune autre : ce sont celles qu’après avoir mangée le Tathâgata parvient à la
parfaite Illumination suprême et celle qu’après avoir mangée le Tathâgata parvient à la
suprême extinction définitive ».
Du point de vue doctrinal (qui n’apparaît pas forcément ici à la première lecture), l’important
est que le Bouddha n’échappe pas à cet « ordre des choses » qu’évoquait si régulièrement le
Mahâ’padâna-Sutta. Que le « corps corruptible » d’un Bouddha subisse la Loi universelle de
la maladie, de la vieillesse et de la mort est une preuve qu’il est « en accord avec le
Dharma », tel qu’il l’a enseigné. Comme tout autre, le Bouddha reste soumis au karma, bien
qu’il en soit « délivré » : « Le corps du saint continue à exister bien que soit coupée la soif
qui produit une nouvelle existence. Aussi longtemps que durera son corps [corruptible], aussi
longtemps les dieux et les hommes le verront. Mais quand son corps sera brisé, sa vie partie,
les dieux et les hommes ne le verront plus » [DN, I, p. 46, cité in Lamotte, p. 44]. Calomnié,
il reconnaîtra lui-même avoir calomnié dans une vie antérieure, et le tort qu’il subit n’est
qu’un juste retour des choses, conforme à la Loi.
[la notion de karma sera étudiée en détail dans l’Unité de Cours suivante : « Les fondements
de la doctrine »]
« Corps corruptible » et « corps illusoire » offriront encore d’autres occasions aux biographes
d’exalter la puissance du Maître, « Grand Homme » pourvu des trente-deux Marques
distinctives et « Instructeur des dieux et des hommes », tout en l’intégrant dans la mythologie
indienne préexistante au bouddhisme.
En effet, le Grand Homme (Mahâpurusa) n’est pas propre au bouddhisme puisque les trente-
deux Marques distinctives sont traditionnellement associées au dieu Visnu, tout comme le
symbole de la Roue (çakra), qui représente le Dharma en tant qu’ordre cosmique. C’est selon
cet ordre, « juste », que règne le « Souverain à la Roue » (çakravartin), contrepartie
temporelle et mondaine de cet autre Souverain, spirituel et supramondain celui-là, qu’est le
Bouddha, mettant en mouvement la « Roue de la Loi ». Mais cette contrepartie spirituelle,
elle, est bien une invention des disciples du Bouddha qui montrent là, comme ils le feront en
d’autres domaines, un art consommé de la « ré-interprétation » des grands principes
structurant la société et la religion indiennes brahmaniques.
Il est en effet impensable, pour les brahmanes, qu’un homme puisse être l’égal des dieux, et
encore moins leur supérieur. Le çakravartin n’est, sur terre, que le pendant des dieux dans le
cosmos, et sa justice (ou plutôt sa « justesse ») de gouvernement n’est telle que dans la
mesure où elle reproduit, à l’échelle humaine et sociale, celle que les dieux maintiennent, de
leur côté, pour l’Univers tout entier. De même que le brahmane, à travers les actes rituels
religieux, le çakravartin, à travers les actes du gouvernement, se conforme aux règles qui
régissent aussi les actes divins.
Chacun de ces protagonistes ne joue exactement son rôle que dans la stricte mesure où il
participe à un ordre qui les dépasse tous, hommes comme dieux. Les dieux ne font que
maintenir l’ordre cosmique, et leur « création » se résume à perpétuer le monde – le samsâra
- tel qu’il fonctionne, de toute éternité. Il en va du salut de tous, hommes comme dieux, que
chacun, à sa place, participe à cet effort permanent de « maintien de l’ordre ».
Sans remettre apparemment en cause ce « système », le bouddhisme va le ré-interpréter.
Effectivement, le monde va bien selon un Ordre (Dharma), que suivront avec « justesse » et
le çakravartin et le Bouddha, mais les actes qu’il conviendra de mettre en œuvre… seront
d’un autre ordre ! Il ne s’agira plus de « maintenir » le cycle de la création, le samsâra, tel
qu’il existe de toute éternité, mais, bien au contraire, de participer à un autre ordre de Réalité,
tel qu’il a été découvert par le Bouddha, selon cette « Roue du Dharma » qui fonctionne, à
proprement parler, à « contre-sens » du système brahmanique.
Du même coup, le çakravartin et le Bouddha s’échappent du système brahmanique, tant dans
le domaine social que spirituel. Et le Bouddha se retrouve supérieur aux dieux mêmes,
relégués au rôle subalterne de « gardiens du bon ordre du samsâra », véritables « forçats » de
ce jeu sans fin qu’est le cycle des morts et des renaissances, auquel ils sont eux-mêmes
soumis. Les dieux, donc, ont tout autant d’intérêt que les humains à échapper à ce cercle
vicieux et à profiter de l’enseignement du Bouddha.
[la notion de « Dharma » et la place des Dieux sera étudiée en détail dans l’Unité de Cours
suivante : « Les fondements de la Doctrine »]
La totalité du panthéon brahmanique peuplera donc les textes bouddhistes, vénérant celui qui
enseigne la « Voie de la Délivrance ». Ce sont eux qui accueillent et protègent le bodhisattva
à sa naissance, eux qui rendent possibles les « Quatre Rencontres » (certaines versions allant
jusqu’à prétendre que c’est le dieu Indra lui-même qui revêt l’apparence d’un vieillard, d’un
malade puis d’un mort pour provoquer la prise de conscience du bodhisattva), de même qu’ils
facilitent le « Grand Départ » (l’iconographie représentera souvent les « Gardiens des Quatre
Points cardinaux » soutenant les sabots de son cheval afin que ce départ soit le plus silencieux
possible, alors même qu’ils ont déjà fait en sorte que tous les habitants du palais dorment
d’un sommeil profond…).
A l’opposé de Marâ, mais aussi parce qu’il lui est bien supérieur, Mahâ-Brahmâ interviendra
au contraire, après l’Eveil, pour que le tout nouveau Bouddha enseigne la Doctrine. S’il se
croit le créateur du monde – et est cru tel par les autres dieux comme par les hommes – il est
pourtant conscient de son ignorance et aspire à la Délivrance. A l’instar de Marâ, pourtant,
Mahâ-Brahmâ est lui-même « prisonnier » des actes qu’il a accomplis par le passé et
auxquels il doit sa position actuelle ; comme lui, il est à plaindre, car sa durée de vie est
immense, calculée en milliards d’ères cosmiques, ce qui retarde d’autant sa possibilité
d’accéder à la Délivrance !
Les dieux, néanmoins, peuvent entendre l’enseignement des Bouddhas et en connaissent la
vertu. C’est pour avoir mis en pratique la Doctrine entendue de la bouche des prédécesseurs
de Sâkyamuni que ces êtres ont eu le bénéfice de renaître dans le domaine des dieux. Ils en
gardent le souvenir et confirmeront ainsi au Bienheureux tout ce qu’ont de commun les vies
de chaque Bouddha apparu sur la terre (cf. la conclusion du Mahâ’padâna-sutta).
Le Bouddha lui-même ira enseigner dans le monde des dieux, plus précisément dans le
domaine des Tusita (les « Bienheureux », appelés aussi « les Trente-Trois »), où il a vécu son
avant-dernière existence. Il s’y rendra grâce à un « corps illusoire » pour enseigner plus
particulièrement sa mère, la reine Mâyâ, décédée sept jours après sa naissance (cf. le
Mahâ’padâna-sutta : « C’est dans l’ordre des choses que, lorsqu’un bodhisatta est né, sa
mère décède au septième jour et qu’elle renaisse alors dans l’état céleste Tusita ».). Il en
redescendra près de la ville de Sânkâcya, devenue par la suite l’une des huit « villes saintes »
du bouddhisme. [voir le texte annexe : Le prodige de Sânkâcya, p. 55]
Instructeur des dieux, Bouddha l’est aussi, bien sûr, des hommes.
La tradition associe habituellement son premier enseignement, la « Mise en mouvement de la
Roue de la Loi », au discours des « Quatre Nobles Vérités » prononcé dans le jardin de
Sarnath, près de Bénarès (d’où son appellation de « Sermon de Bénarès »), devant ses cinq
anciens compagnons ascètes. C’est à l’occasion de cette rencontre, nous l’avons vu, que le
Bouddha leur avait demandé de ne plus l’appeler par son nom personnel, Gautama, mais de
s’adresser à lui en l’appelant Tathâgata. [le texte du discours des « Quatre Nobles Vérités »
sera étudié dans l’Unité de Cours suivante : « Les fondements de la doctrine »]
Les biographies, pourtant, présentent une occasion précédente, qui se situe peu de temps
après l’Eveil. Selon les textes, le Bouddha serait alors demeuré quelques temps seul sur les
lieux même de la bodhi, à demeurer en méditation. Mais, bientôt, la faim se rappelle à lui !
C’est là qu’interviennent deux marchands, Trapusa et Bhallika, justement de passage dans la
région. Avertis par une divinité locale (certains disent par l’esprit habitant l’arbre sous lequel
eut lieu la bodhi), les deux hommes s’empressent de faire don au Bouddha d’un plat de riz au
miel.
En remerciement de l’offrande de nourriture qu’ils viennent de lui faire, le Bouddha enseigne
alors les deux hommes. Conscients à leur tour de l’importance du don qui vient de leur être
fait (le « don du Dharma »), ils demandent au Bouddha comment désormais lui rendre
hommage, alors que leur route les emmènent loin de lui. L’Eveillé leur cède alors quelques
cheveux et rognures d’ongles et les invite à construire un stûpa, monument commémoratif qui
contiendra ses « reliques ». « Inextricable enchevêtrement de données vraies, vraisemblables,
ou évidemment fictives », s’exclame Alfred Foucher.
L’intérêt de l’épisode réside dans le fait qu’il présente un condensé parfait des futures
relations entre les laïcs et les disciples du Bouddha : don de nourriture contre don de
l’enseignement, et vénération des reliques du Bouddha. L’événement permet aussi d’établir
l’origine d’une forme architecturale, celle du stûpa, que le Bouddha aurait lui-même
enseignée. Enfin, tout cela se situe en un lieu précis, dans les environs de la ville d’Uruvilvâ,
désormais connue sous le nom de Bodh-Gayâ. Lieu de pèlerinage, encore aujourd’hui le plus
important de tous, Bodh-Gayâ devient ainsi, à la fois, le lieu de l’Eveil auquel aspire tous les
moines, et celui du premier don, que pratique tous les laïcs.
Si l’on reprend le cours de nos récits, brahmanes et ksatriya ne tarderont d’ailleurs pas à
apparaître et deux conversions de masse auront lieu, à quelques temps d’intervalle, pour les
rallier successivement à la Communauté du Bouddha. C’est à nouveau à Uruvilvâ que le
Bouddha parviendra à convertir trois frères brahmanes et leur mille disciples. De manière très
étrange, c’est à une série impressionnante de miracles (de 500 à 1 500 selon les versions) que
le Bouddha devra cette conversion, selon un procédé qui sera toujours refusé, par la suite, à
ses disciples (l’utilisation de pouvoirs magiques, que l’Inde ancienne reconnaît accessibles à
tout bon pratiquant du yoga, est en effet l’une des fautes qui entraînent l’exclusion immédiate
et définitive de la Communauté). La nouvelle se répand aussitôt jusqu’à la capitale toute
proche du royaume de Magadha, Râjagriha, et le roi Bimbisâra en personne décide de rendre
visite au Bouddha. Il va sans dire qu’il se convertira, tout comme l’ensemble des habitants de
la ville… [cf. le texte commenté : « Conversion du roi Bimbisâra et des habitants de
Râjagriha », p. 59, et le texte annexe : « Urûvilva et la conversion de Kaçyapa », p. 57]
Les historiens actuels ne mettent en doute ni l’existence réelle de ce roi, ni l’amitié qui le
liera au Bouddha. Il est le premier et le plus illustre de ces souverains indiens de la vallée du
Gange qui soutiendront richement la jeune Communauté, en lui offrant notamment des
jardins (lieux de résidence du Bouddha et de ses disciples, pendant les trois mois de la saison
des moussons, contraints d’abandonner temporairement leur habituelles pérégrinations de
moines itinérants). Cette générosité n’a rien qui doive surprendre : elle est commune dans
l’Inde ancienne, comme encore aujourd’hui, chez un peuple qui tient en haute estime les
ascètes mendiants qui ont su abandonner la « vie de maison » pour la « vie sans foyer ».
Le Bouddha, néanmoins, bénéficie d’un avantage supplémentaire pour ces représentants des
ksatriya : il n’est pas un brahmane mais l’un des leurs ! Fils de roi, nous dit la légende… Fils
des Sakya, nous rapportent les textes les plus anciens, pour une fois plus sobres. Car il semble
bien que la région du Téraï népalais, dans laquelle Gautama vit le jour, n’ait pas encore été à
cette époque sous l’influence des aryens, de la religion brahmanique et de son système social.
Les Sakya ne sont pas membres de la caste des ksatriya mais gouverneurs élus d’une sorte de
« république » aristocratique, sans doute placée sous le protectorat du royaume voisin.
Situation qui manque de noblesse pour le « Vénéré du Monde » ! Mais le statut de gouvernant
suffira à établir une sorte de parenté qui facilitera l’anachronisme et l’extraction modeste sera
vite oubliée au profit d’une origine princière.
Différents souverains ne manqueront pas de revendiquer cette « parenté de fonction » pour
réclamer, à la mort du Bouddha, une part de ses « saintes » reliques. Définitivement « éteint »
près de Kusinagar, petite ville du royaume des Pallas, Bouddha offrait ainsi à ses habitants
une excellente occasion de thésauriser sur ses restes. Aussitôt averti de la nouvelle « le roi du
Maghada, Ajatassatu [fils de Bimbisâra], députa un envoyé auprès des Mallas pour leur dire :
Le Bienheureux était de caste royale, je le suis aussi ; moi aussi je suis digne d’avoir une part
des reliques corporelles du Bienheureux, et moi aussi je leur élèverai un stûpa et j’instituerai
une fête en leur honneur ». L’exemple sera suivi par quatre autres souverains, obligeant les
Pallas à diviser les reliques en plusieurs parts…
S’étant concilié le soutien des marchands et des rois, le Bienheureux, « Guide suprême des
êtres qui doivent être guidés », voit ainsi assurée la pérennité de sa communauté de mendiants
(selon le sens étymologique du terme bhikkhu, généralement traduit par « moines »). C’est à
eux qu’il réserve ses enseignements fondamentaux, le cœur de la Doctrine qui mène à la
bodhi, alors que les laïcs se voient avant tout proposer l’enseignement « graduel » qui mène,
seulement, à une bonne renaissance dans le domaine des dieux.
Mais, bien que plus appropriée pour cheminer sur la Voie qu’il enseigne, la « vie sans foyer »
n’en reste pas moins pleine de dangers pour l’apprenti arhat, et la « guidance » des bhikkhu
occupe une place importante dans son enseignement. Or, c’est justement dans le recueil du
Vinaya, la discipline monastique, que nous sont révélés bien des épisodes de la vie du Maître.
L’ensemble des sûtra, de son côté, fonctionne comme un véritable catalogue adapté à toutes
les circonstances imaginables de l’enseignement. Il ne s’agit pas, en effet, d’un exposé
systématique (tel qu’il sera développé plus tard dans la troisième « Corbeille » de
l’Abhidharma), mais de textes juxtaposés, se répétant et se développant les uns les autres.
C’est là l’une des explications étymologiques de leur nom, sûtra signifiant exactement
« fil » : l’ensemble de l’enseignement, comme un tissu complet, étant composé de fils qui, à
eux seuls, ne peuvent prétendre ni à l’exhaustivité ni à la perfection. Il convient donc de
connaître, de faire référence et de citer tout un ensemble de textes se répondant mutuellement
pour pouvoir affirmer « le Bouddha a enseigné que… ».
Toutes les difficultés que soulèvent ces différentes interprétations ont embarrassé les
chercheurs qui, depuis le début du XIXe siècle, étudient ces textes. Que reste-t-il donc de
crédible, pour un esprit « positif » d’Occidental, dans ces différents récits de la vie du
Bouddha ? A-t-il réellement existé ? Et, si oui, que peut-on savoir de sa vie ?
Plusieurs écoles « scientifiques » se sont opposées depuis un siècle et demi et toutes, à
quelques exceptions près, conservent encore aujourd’hui des partisans. Seules les thèses
soutenues par Emile Senart (1847-1928) semblent avoir été définitivement abandonnées.
Celui-ci, comparant les biographies du Bouddha et du fondateur du Jaïnisme (contemporain
de Sâkyamuni) avec la geste de Visnu, soutenait que le Bouddha n’était qu’une
personnification d’un mythe solaire. A l’opposé, un chercheur allemand comme Oldenberg
soutenait une thèse evhémériste : il suffisait de débarrasser la biographie du Bouddha de tous
ses éléments mythologiques pour retrouver la personnalité réelle de l’homme historique.
Le caractère extrême de ces deux visions vient en grande partie du fait que l’école allemande
d’Oldenberg comme l’école française de Senart privilégiaient chacune des textes d’origine
différente. Oldenberg se référait au seul canon pâli, qu’il considérait comme la tradition
primitive, Senart de son côté aux canons sanskrits, considérés comme plus tardifs et
« mythologisants ». Deux positions aussi critiquables l’une que l’autre :
« Il y a un cercle vicieux dans le raisonnement qui fait considérer la tradition pâli comme
primitive parce qu’elle représente le Buddha comme humain, et la représentation humaine du
Buddha comme primitive parce qu’elle est celle de la tradition pâli. […] La tradition pâli
n’est pas seule à donner au Buddha une vie humaine ; avec elle, concordent les autres
traditions du [bouddhisme ancien]. L’humanisation serait donc fort ancienne, remontant au
fonds commun à ces écoles. […] D’un autre côté, le merveilleux n’est nullement absent des
biographies pâli ou similaires […] Mais, les mêmes sources qui concordent sur les détails
humains ne s’accordant pas moins sur les miracles, l’étude qui importe avant tout est donc de
confronter les sources pour apprécier la valeur de leurs concordances quelles qu’elles
soient. » [Jean Filliozat, Manuel des études indiennes, tome II, EFEO, Pris 1996, pp. 466-67]
On privilégie donc, depuis les années 30, une approche « historico-critique » qui tient compte
de l’ensemble des sources disponibles et les compare systématiquement. Reste que leur
concordance concernant autant des faits « vraisemblables » que des épisodes apparemment
purement mythologiques « le plausible pourrait être aussi faux que l’impossible »… Il a donc
paru plus logique de penser que « la croyance en ce merveilleux remonte aussi haut que les
plus anciens souvenirs, à la représentation que très tôt on s’est faite du maître en sa
communauté » [op. cit. p. 467]. La biographie de Sâkyamuni apparaît donc toujours plus, sur
une base commune de souvenirs vraisemblables et de mythes communs, comme une
« représentation du Bouddha » plutôt qu’une « présentation de Gautama ».
Loin d’être réservé aux seules périodes anciennes, ce phénomène de réécriture doctrinale est
sensible à travers les siècles et la géographie, selon les différents pays où le bouddhisme s’est
implanté… et même encore aujourd’hui ! Le maître vietnamien contemporain Thich Nhat
Hanh en donne un exemple remarquable avec la publication de son ouvrage « Sur les traces
de Siddhârta » (Old Path Withe Clouds, Parallax Press, 1991 ; édité en français par Lattès-
Pocket, 1996). Excellent conteur, Thich Nhat Hanh s’inspire de différentes biographies
traditionnelles dont il cite, pour chacun de ses chapitres, les références exactes. Mais sa
présentation du Bouddha, malgré cette fidélité annoncée, ne ressemble plus en rien aux récits
dont il s’inspire.
Voici, à titre d’exemple, un extrait correspondant au texte cité au chapitre I du module 1,
lorsque le Bouddha retrouve ses anciens compagnons d’ascèse et que ceux-ci l’appellent par
son nom de clan, Gautama, avant qu’il ne leur prêche le discours des « Quatre Nobles
Vérités ». Le Bouddha ne s’insurge aucunement de leur familiarité, leur expose son
enseignement, et ce n’est qu’après le Discours que la question de son titre se trouve évoquée :
Texte annexe 1
La sculpture anthropomorphe : une « humanisation » du Bouddha ?
Les plus anciens vestiges archéologiques de l’Inde nous prouvent que les premiers artistes
bouddhistes ne représentaient jamais le Bouddha sous forme humaine. Il ne semble pas,
pourtant, qu’il ait existé une interdiction quelconque à ce sujet. Il est plus vraisemblable de
penser que les premiers sculpteurs n’imaginaient pas possible qu’une image humaine puisse
rendre compte des qualités « sur-humaines » du Maître.
Aussi préfèrent-ils utiliser des symboles, employés encore aujourd’hui. La « roue du
Dharma » est le plus connu d’entre eux (souvent entourée de deux gazelles, symbolisant alors
le premier sermon, dit à Bénarès, dans le « Parc aux gazelles ») ; on trouve aussi un trône
vide ou un parasol (symboles de « royauté » spirituelle) ou encore l’empreinte d’un pied
(marque « en négatif » de sa présence) portant jusqu’à 108 marques particulières.
Les premières représentations humaines apparaissent, à la même époque, en deux régions
différentes : autour de la ville de Mathura, en Inde, et dans la région du Gandhara (actuel
Afghanistan). Ces deux régions font alors partie, au Ie siècle avant notre ère, du même
empire, dirigé par l’empereur Kanishka. Le bouddhisme connut à son époque, dans cette
région du nord-ouest de l’Inde, un développement considérable. C’est pendant cette période
que se diffusent aussi les premiers textes du Mahâyâna, qui allaient si profondément faire
évoluer le bouddhisme indien [voir UC3].
Aussi bien à Mathura qu’au Gandhara, pourtant, l’anthropomorphisme qu’adopte alors la
statuaire ne peut pas être considéré comme une « humanisation » du Bouddha. La
représentation n’a rien d’un portrait ; elle relève bien plus d’une symbolique. Il semble
d’ailleurs que les plus anciennes représentations « humaines » aient d’abord été réservées au
seul « futur Bouddha », encore bodhisattva, comme si l’on considérait que, une fois parvenu
à l’Eveil, celui-ci échappait toujours à toute représentation possible, comme il échappait à
toute caractéristique humaine.
Bien plus que le Bouddha, en tant que personne humaine, c’est la « boddhéité » - ou l’Eveil –
que les artistes souhaiteront représenter. L’iconographie s’appuie alors, à la fois, sur des
indications fournis par les textes canoniques et sur des critères artistiques d’origine grecque
(la région du Gandhara correspond en effet aux anciens royaumes fondés par Alexandre le
Grand et ses successeurs). On fait notamment référence aux « trente-deux marques » du
Grand Homme dont les plus connues sont la protubérance crânienne, la touffe de poils entre
les sourcils, l’empreinte d’une roue à mille raies dans la paume des mains et sur la plante des
pieds, etc. [voir aussi le texte annexe : « Les Trente-deux Marques du Grand Homme », p. 53]
Ces divers « signes » sont cependant réinterprétés par les artistes, influencés par l’esthétique
grecque. L’adaptation la plus flagrante concerne la protubérance crânienne, toujours traitée
sous la forme d’un chignon, alors que le chignon est la marque des ascètes brahmaniques
Texte annexe 2
Les Jataka
Les récits des Jataka seront une occasion idéale de parfaire le parcours initiatique du futur
Bouddha puisqu’il y est présenté à travers tous les états d’existence possible (pour un
bodhisattva) : homme, animal ou dieu. Proches des fabliaux du Moyen-âge, des fables
d’Esope et de La Fontaine, les Jataka doivent leur succès autant à leurs croquis hauts en
couleur (surtout quand ils évoquent la vie animale) qu’à leur haute valeur morale. Et s’ils sont
« tolérés » par les moines (au point de les avoir inclus dans la littérature « canonique »), c’est
aussi qu’ils permettent de présenter de manière simple et vivante quelques aspects essentiels
de la Doctrine.
Là aussi, les vertus exceptionnelles du bodhisattva se manifesteront au-delà du bon sens,
même quand il s’agit d’une vertu aussi « basique » que le don, comme en témoignent les deux
Jatakas les plus populaires encore aujourd’hui : celui de la tigresse affamée qui vient de
mettre bas, auquel le bodhisattva offre son corps en pâture, alors qu’elle s’apprêtait à dévorer
ses petits ; celui du prince qui, pour répondre aux exigences d’un cruel ennemi, cède d’abord
ses biens, puis ses enfants et enfin son épouse (qui ne manquent pas, d’ailleurs, de protester !)
avant de s’offrir lui-même.
L’abnégation du bodhisattva est telle que, dans le premier cas, il ira jusqu’à se projeter du
haut d’une falaise pour que son corps, démembré, soit plus commode à déchiqueter par
l’animal… Mais la morale est aussi toujours sauve puisque, dans le deuxième texte, l’ennemi,
vaincu par la force de caractère et le détachement du prince, finira par lui rendre biens,
enfants et épouse.
Texte annexe 3
Les Trente-deux Marques du Grand Homme
Devant une telle description, on peut rester songeur ! Ce modèle de l’homme parfait
ressemble plus à E.T. qu’à un être humain : ses bras sont si longs qu’il peut toucher ses
genoux sans se baisser ; ils portent des marques de roues comme des scarifications ; son sexe,
comme celui d’un étalon, est couvert par un « étui » ; il a une langue « très longue »… Il est
clair qu’avec de telles marques sa « supériorité » ne passera pas inaperçue ! Et l’on peut
vérifier par soi-même, aujourd’hui, qu’il n’a existé qu’un seul samkyasam-buddha dans notre
ère cosmique…
Plusieurs de ces signes sont évidemment en rapport avec les critères de beauté indiens, le plus
souvent zoomorphes (la voix du coucou, les sourcils d’un veau qui vient de naître, les jambes
d’antilope, le buste et la mâchoire d’un lion…). On remarquera aussi que ce Grand Homme
n’a pas les traits physiques des Aryens (peuple aux cheveux blonds) puisqu’il est précisé que
ses poils sont de couleur bleu-noir, comme les populations dravidiennes qui peuplaient l’Inde
avant l’arrivée des envahisseurs, bien qu’il ait les yeux bleus... Les éléments aberrants ne
manquent pas comme l’évidente contradiction entre la longueur des bras et le corps
« proportionnellement équilibré » (la description de l’égalité des « compas » rappelle le
célèbre schéma de Léonard de Vinci qui inscrit un homme aux bras ouverts, à la fois, dans un
cercle et un carré – symbole connu d’une agence de recrutement…). On retrouve aussi des
éléments de pureté « sur-naturelle » (corps de couleur d’or sur laquelle la poussière n’adhère
pas).
A noter cependant que la protubérance crânienne, si célèbre, n’apparaît pas ici, à moins qu’il
faille interpréter en ce sens la dernière indication : une « tête bien haute »…
Texte annexe 4
Le combat de Marâ
Texte annexe 5
Le prodige de Sânkâcya
L’épisode de l’enseignement du Bouddha à sa mère, dans le ciel des Tusita ou des Dieux
« Trente-Trois », est l’un des événements particulièrement riches et problématiques de sa
biographie « mythique ». Il a été notamment étudié par Alfred Foucher, dans son ouvrage
« La vie du Bouddha d’après les textes et les monuments de l’Inde » (Adrien Maisonneuve,
Paris, 1993). Voici comment il résume le récit traditionnel, tel qu’il était raconté aux pèlerins
se rendant à la ville de Sânkâçya :
« En ce temps-là (c’était, à ce que certains croient savoir, la seizième année de
l’Illumination), le Bouddha résolut de monter au ciel des Trente-Trois dieux où sa mère Mâyâ
était renée afin de lui enseigner la Bonne-Loi. Il disparut donc mystérieusement de la terre et
n’y redescendit que trois mois plus tard, le jour de la pleine lune d’octobre, près de la ville de
Sânkâcya. Mais si son « Ascension » - fait donné comme assez banal et à la portée d’autres
que lui – passa inaperçue, il n’en fut pas de même de sa « Descension ». Celle-ci se fit en
grande pompe, par un triple escalier en matières précieuses créé tout exprès par les dieux,
entre Brahma à sa droite et Indra à sa gauche, sur un fond de ciel tout meublé de divinités
chantant ses louanges et faisant pleuvoir des fleurs. Au bas des degrés l’attendait la foule de
ses fidèles avec ses principaux disciples. De bonne heure le motif se fixa ainsi en une sorte de
triptyque, mais à volets verticalement superposés, représentant en haut la prédication chez les
dieux, au milieu la descente sur la terre, en bas la reprise de l’enseignement et l’espèce
d’examen que le Bouddha fit passer aux membres de la Communauté en leur posant des
questions de plus en plus difficiles ; à l’avant-dernière seul Sâriputra put encore répondre, et
il n’y eut que Sâkyamuni pour donner la solution de la dernière ». (p. 274)
Alfred Foucher insiste ici, non pas tant sur l’aspect merveilleux et incroyable de l’événement
du « miracle », que sur le fait qu’on en a conservé la mémoire et qu’il a été considéré comme
important, parce qu’un lieu, un paysage, un « objet de vénération » tangible pouvaient y être
associés (quand bien même ce lieu se situe en dehors de la région où vécut le Bouddha).
Autant dire qu’il existe peut-être, dans la biographie réelle du Bouddha, nombre
d’événements qui nous paraîtraient, à nous, très importants mais dont la Tradition n’a rien
retenu parce qu’ils ne pouvaient pas être matérialisés ou qu’on avait perdu le souvenir du lieu
où ils s’étaient produits.
D’autres aspects de la légende associée à Sânkâcya viennent confirmer ce point de vue car
l’épisode ne concerne pas que le monde des dieux ; il a eu de l’importance, aussi, pour le
monde des hommes. C’est à l’occasion de cet enseignement que, pour pallier l’absence
inopinée du Bouddha, le roi de la région demanda, dit-on, qu’on fabrique la première statue
du Maître. Un habile artisan eut alors la possibilité de fixer ses traits au plus près de la réalité,
authentifiant ainsi de visu et pour l’éternité les Trente-deux Marques corporelles du Grand
Homme que reproduiront par la suite tous les sculpteurs et les peintres bouddhistes.
Une tradition ultérieure en profitera, d’ailleurs, pour envoyer cet artisan au ciel même des
Tusita, occasion pour lui de portraiturer aussi le futur Bouddha, le bodhisattva Maitreya, qui
assistait à l’enseignement de son prédécesseur et qui séjourne toujours actuellement dans ce
ciel en attendant son heure. Le pèlerin chinois Huan Tsang, au VIIe siècle, verra cette statue
de Maitreya considérée, elle aussi, comme ayant été fabriquée directement « sur le
modèle »....
Texte annexe 7
Uruvilvâ et la conversion de Kâsyapa
Comme la ville de Sânkâcya, le bourg d’Uruvilvâ (situé à 100 km au sud de la ville de Gayâ,
sur les rives de la rivière Nairanjanâ, proche de l’actuelle Bodh-Gayâ) semble un lieu
« choisi » par la tradition beaucoup plus que conservé en mémoire en raison de faits
historiques. André Bareau a étudié avec précision tous les textes qui y font référence et, dans
un article qu’il consacre à ce sujet, a mis en doute la tradition, pourtant unanime, qui situe
l’Eveil du Bouddha près de ce bourg d’Uruvilvâ.
[André Bareau : « Le Buddha et Uruvilvâ », in Indianisme et bouddhisme, Mélanges offerts à
Mgr Lamotte, Publications de l’Institut Orientaliste de Louvain, vol. 23, Louvain-la-Neuve,
1980, p. 1-18]
Il constate en effet que, parmi les récits qui racontent l’Eveil, les versions les plus anciennes
(fin du IVe siècle av. J.-C.) n’évoquent jamais le lieu où il s’est produit. D’autre part, le nom
même d’Uruvilvâ n’est jamais cité, ni dans les sûtra ni dans les vinaya, comme celui d’un
bourg où le Bouddha et ses disciples auraient fait halte ou résidé, alors qu’il se situe dans une
région habituellement fréquentée par la communauté.
D’autre part, il est mentionné à propos de la conversion de l’ascète Kâsyapa et de ses mille
disciples, lors d’un épisode plus que suspect par son côté exclusivement miraculeux
(contrairement à d’autres conversions qui ont pu donner lieu à des miracles, Kâsyapa se
convertit avant d’avoir entendu la doctrine et à cause des miracles, alors que dans les autres
récits les miracles viennent généralement confirmer, après l’enseignement qui convertit, la
supériorité insigne du Bouddha). De plus ce Kâsyapa (qu’il ne faut pas confondre avec un
autre disciple : Mahâ-Kâsyapa) ne sera plus jamais, lui non plus, cité dans les textes alors
qu’il est – soi-disant – l’un des tout premiers convertis…
Comment expliquer, alors que ni le Bouddha ni ses disciples les plus directs ne se sont
vraisemblablement jamais rendus en ce lieu, qu’il deviendra plus tard le plus important
pèlerinage bouddhiste ? Pourquoi ce nom apparaît-il dans les textes, soudain, au milieu du
IVe siècle ? Pourquoi est-il aussi étroitement associé à ce Kâsyapa ?
André Bareau propose quelques hypothèses vraisemblables pour y répondre.
Il semble d’abord que ni le Bouddha ni la première communauté n’ait accordé d’importance
au lieu où s’est produit l’Eveil. Certains textes très anciens laissent même penser que celui-ci
ne s’est pas produit en une nuit, comme la tradition le rapporte, mais résulte d’une longue
réflexion ; le lieu précis où se serait produit la résolution finale n’aurait alors aucun intérêt
particulier… Au IVe siècle av. J.-C. aucun disciple du Bouddha ne pouvait situer le lieu de
l’Eveil.
Kâsyapa, de son côté, pouvait être un ascète connu dans cette région sud du Magadha pour de
nombreux pouvoirs miraculeux, dont la réputation persistante finissait par porter ombrage
aux disciples du Bouddha. A une époque où le bouddhisme connaissait un développement
considérable et que s’instituait les grands pèlerinages, la communauté l’aurait converti a
posteriori pour « récupérer » son prestige… Le procédé, bien que cavalier, est fréquent !
PRESENTATION DU TEXTE
TEXTE ORIGINAL
Ayant converti mille moines [disciples du brahmane Kâçyapa d’Uruvilvâ et de ses deux
frères], le Bienheureux pensa ceci : « Autrefois, j’ai accepté l’invitation du roi Bimbisâra à
venir d’abord à sa ville de Râjagrha si je devenais un Bouddha et obtenais ainsi
l’omniscience. Je dois donc aller maintenant vers le roi Bimbisâra. » Aussitôt, il arrangea
correctement ses vêtements puis il partit, accompagné des mille moines, tous anciens ascètes
brahmaniques ayant jadis porté leurs cheveux tressés et enroulés en chignon, ayant tous
obtenu la concentration mentale, la maîtrise d’eux-mêmes et la Délivrance définitive. En
voyageant à pied, peu à peu, à travers le pays des Magadha, il arriva dans le bois des Bâtons.
Là, le Bienheureux s’assit au pied d’un roi des arbres, le nyagrodha nommé Bonne
Résidence.
Alors les Magadha eurent cette idée : « Le grand ascète a prononcé deux stances et Kâçyapa
d’Uruvilva a prononcé deux stances. C’est pourquoi nous ne savons pas encore si c’est le
grand ascète qui a reçu l’enseignement de Kâçyapa ou si ce sont Kâçyapa et ses disciples qui
ont reçu l’enseignement du grand ascète. » Aussitôt, ayant connu ce que les Magadha
pensaient dans leur esprit, le Bienheureux dit à Kâçyapa : « Lève-toi et évente-moi le dos. –
Oui « , répondit le disciple. Dès qu’il eut reçu cette instruction du Bouddha, Kâçyapa se leva,
s’éleva dans l’espace, redescendit, se prosterna aux pieds du Bienheureux, toucha et essuya
de ses propres mains les pieds du Tathâgata et l’éventa, puis il prononça de sa propre bouche
ces paroles : « Le Bienheureux est mon maître et je suis son disciple. » Enfin, tenant un
éventail, il se tint debout derrière le Tathâgata et l’éventa. Alors les Magadha se dirent
mutuellement : « Le grand ascète Gautama n’a pas reçu de Kâçyapa l’enseignement de la
conduite pure, ce sont Kâçyapa et ses disciples qui ont reçu du grand ascète Gautama
l’enseignement de la conduite pure. »
Alors Sakra, le Souverain des Dieux, répondit par ces stances aux Magadha :
Plusieurs biographies font état d’une première rencontre entre le bodhisattva et le roi du
Magadha, Bimbisâra. Celle-ci aurait eu lieu alors que Sâkyamuni avait quitté son premier
maître brahmane et avant qu’il ne rencontre le deuxième, donc plusieurs années avant
l’obtention de l’Eveil.
Alors que le jeune renonçant quête sa nourriture dans les rues de la ville, le roi l’aperçoit et
est frappé par son allure. Il fait prendre des renseignements sur lui et finit par lui rendre
visite. Après des éloges convenus, il lui propose d’abandonner sa quête pour diriger avec lui
le royaume du Magadha, ce que refuse bien sûr le bodhisattva ! Mais Sâkyamuni lui promet
néanmoins de venir lui enseigner la Voie de la Délivrance dès qu’il l’aura découverte…
L’épisode, tardif semble-t-il, paraît avoir été ajouté après coup pour annoncer la future amitié
des deux hommes (la tradition veut qu’ils aient exactement le même âge). Elle a été
développée, aussi, pour manifester la grandeur du détachement du futur Bouddha et sa
compassion.
Dans une version qui nous est conservée en chinois (issue du Vinaya de l’école Mahîçâsaka)
l’entretien entre les deux hommes porte strictement sur le choix que le Grand Homme peut
faire entre la carrière du Roi Universel (çakravartin) et celle d’un Bouddha :
« O ascète mendiant, ton clan est illustre, tu es le prince héritier d’un roi. Avec sagesse et
vertu, tu dois gouverner toi-même les quatre continents, de telle sorte que leurs habitants te
regardent sans cesse avec confiance, car, si tu es capable de vaincre tes passions, ils te
loueront, ils prospèreront et, leur visage tourné vers toi, ils s’entraideront. » Le Bodhisattva
dit : « Je ne veux pas m’asseoir sur le trône d’un roi çakravartin chargé d’honneurs, à plus
forte raison renoncé-je à gouverner les quatre continents. J’ai quitté la vie laïque et ma
famille pour rechercher la Voie de la Délivrance, car je désire franchir cet océan de
souffrances intenses que sont les naissances et les morts. Pourquoi donc m’invites-tu, non pas
à donner l’exemple du Salut en trouvant la Voie qui y mène, mais au contraire à garder celui-
ci caché et inefficace ? » [traduction André Bareau, in En suivant Bouddha, p. 47-48]
Pour Alfred Foucher : « Le roi tente l’ascète, par ses offres alléchantes, il essaie de le
détourner de la Voie de l’Illumination, et, par conséquent, s’il n’est pas à proprement parler
un suppôt de Mâra, le Malin, du moins il en assume le rôle. » Selon certaines traditions, en
effet, Mâra viendra tenter lui-même le Bouddha, juste après l’Eveil, en lui proposant de
gagner aussitôt le Nirvâna, sans enseigner. Mais on sait que l’intervention du dieu Brahma
activera la compassion universelle du Bouddha...
Ce détail est un premier exemple d’anachronisme, typique d’un récit tiré d’un Vinaya. Le
code de discipline explique en effet de manière très précise comment un moine doit arranger
son vêtement, selon qu’il se trouve dans un monastère (épaule droite découverte) ou en
dehors (les deux épaules couvertes).
Les cheveux longs tressés et enroulés en chignon sont la marque distinctive, encore
aujourd’hui, des ascètes brahmaniques, par opposition au crâne rasé des bhikkhu. Lorsque le
Bouddha réussit à convertir Kâçyapa, lui et tous ses disciples se raseront la tête et jetteront
leurs cheveux et leur matériel rituel dans la rivière. Lorsque les deux frères de Kâçyapa, qui
résident avec leurs propres disciples un peu plus loin en aval, les verront flotter au fil de l’eau
ils s’inquièteront pour lui et se rendront à Uruvilvâ… où le Bouddha les convertira à leur
tour !
Cet ascète Gautama a un grand renom, il n’est personne qui n’en ait entendu parler.
Autre exemple d’anachronisme, que la suite du texte viendra d’ailleurs contredire. Le jeune
Bouddha, au tout début de sa carrière, ne peut en effet pas encore bénéficier d’une grande
renommée…
Dans le ciel et sur la terre, depuis longtemps, parmi les divinités mineures, parmi les
troupes des dieux Mâra et Brahma, parmi les troupes des ascètes et des brahmanes…
Cette formule stéréotypée énumère sous une forme résumée les principaux êtres habitant les
« mondes supérieurs » du samsâra (terre et ciels inférieurs) : hommes et diverses classes de
dieux. Elle marque la supériorité « sans supérieur » du Bouddha qui « a su par lui-même, tout
seul, qu’il avait obtenu la connaissance surnaturelle ».
Autre formule stéréotypée qui présentent les qualités intrinsèques du Dharma. Une autre
formulation évoque la Doctrine « bonne en son début, en son milieu et en sa fin », insistant
sur l’idée que l’enseignement du Bouddha est complet et que « rien n’a été caché dans le
poing fermé du Maître ». Le « sens profond » est celui qui est « accessible aux seuls sages en
eux-mêmes », c’est-à-dire au-delà de la connaissance intellectuelle, par expérience directe.
quatre-vingt-quatre mille
Ce chiffre symbolique équivaut à « beaucoup ». Il revient fréquemment dans les textes et n’a
aucune valeur numéraire. Rappelons que le Bienheureux Vipassi avait quitté le palais
paternel accompagné de 84.000 disciples ; on évoque aussi les 84.000 enseignements du
le roi Bimbisâra descendit de son char et, continuant à pied, il entra dans le bois (…) il
s’assit sur un côté
Ces détails ne sont que l’expression des marques habituelles du respect que même un roi doit
manifester devant un renonçant. On les retrouve lors de chaque enseignement du Bouddha,
autant de la part des laïcs que des bhikkhu.
Cette interrogation est en complète contradiction avec la notation précédente : « Cet ascète
Gautama a un grand renom, il n’est personne qui n’en ait entendu parler. » Mais elle est
nécessaire pour introduire l’épisode suivant, au cours duquel le brahmane Kâçyapa
manifestera son allégeance au Bouddha. On voit bien ici comment les auteurs de ces
biographies, résultats de compilations, n’arrivent pas - ou ne cherchent pas… - à rendre
cohérents leurs récits.
le Bienheureux, connaissant ce que les gens du pays pensaient dans leur esprit,
Premier exemple, dans cet extrait de texte, de la « claire-audience » du Bouddha, l’un des
pouvoirs de « connaissance parfaite » qu’il a acquis au moment de l’Eveil.
J’ai vu les traces du repos et de la cessation, là où n’est pas l’obstacle des trois mondes,
là où il n’y a plus de différences…
Les « traces » sont les marques que laisse derrière lui le disciple d’un Bouddha qui chemine
sur la « Voie » de l’Eveil ; ce cheminement mène au « repos » (par opposition à la souffrance
du samsâra) et à la « cessation » (traduction stricte du terme nirvâna). Kâçyapa, en se
retournant, peut voir « le chemin parcouru » et les traces qu’il a laissées ; c’est donc qu’il a
parcouru la totalité de la Voie, qu’il a atteint la bodhi, l’état d’arhat.
Les « trois mondes » sont les trois « domaines » supérieurs du samsâra (qui en compte cinq) :
celui du désir (dans lequel vivent les hommes, les animaux et les dieux inférieurs), celui des
formes (monde de matière subtile où demeurent les dieux de type Brahma) et enfin celui du
sans-forme (qui correspond à des états non-matériels extrêmement subtils). Etant parvenu à
Cette manifestation des grands pouvoirs du yogi permet à Kâçyapa de prouver qu’il reste
libre vis-à-vis du Bouddha et qu’il n’agit pas en étant « sous son pouvoir ». Il le reconnaît
comme Maître de son plein gré et sans rien perdre de ses capacités. L’épisode est important
car il s’apprête à accomplir une tâche des plus subalterne, a priori indigne de sa condition de
brahmane (Sâkyamuni n’est « que » un ksatriya !) et en contradiction avec sa renommée : il
se prosterne, lave les pieds du Bouddha, puis l’évente en restant derrière lui, comme un
esclave.
le Bienheureux leur prêcha graduellement la Doctrine et, par ses exhortations, il fit
naître en eux des pensées de joie
L’enseignement graduel est celui « réservé » aux laïcs, enseignement préparatoire qui doit
mener l’auditeur à vouloir embrasser la voie des renonçants. Il est décrit dans la phrase
suivante : « Ce qu’on appelle la Doctrine, c’est la doctrine du don, de la moralité et de la
renaissance au ciel. Il blâma l’impureté des plaisirs des sens [la vie de maison] et loua le
bonheur du renoncement [la vie sans foyer]. »
La « pensée de joie » (prasâda) est un sentiment complexe, mêlant joie, confiance et sérénité.
Il s’agit de la disposition d’esprit qui naît à l’audition de l’enseignement du Bouddha et qui,
en même temps, prépare à le comprendre et à le pratiquer. Elle est souvent associée à ce
qu’on appelle « l’entrée dans le courant » (ce qu’exprime l’expression de la phrase suivante :
« sachant par eux-mêmes qu’ils avaient acquis le Fruit de la vie religieuse ») : le moment où
l’auditeur du Bouddha n’a plus aucun doute quant à l’efficacité de l’enseignement. Il en
éprouve alors de la joie, parce qu’il sait qu’il y a une Délivrance possible et qu’il peut
l’atteindre, mais aussi de la confiance et de la sérénité, parce qu’il vient lui-même
d’expérimenter le pouvoir apaisant de l’enseignement du Bouddha et ne doute plus qu’il
mène bien à la Délivrance.
Les dieux « montrent l’exemple » aux hommes en venant, eux aussi, écouter le Bouddha.
Ces six souhaits (que Bimbisâra avait déjà évoqués lors de leur première rencontre) résonnent
de manière très étrange : comment un homme peut-il désirer explicitement un Bouddha (et
en gardant le silence
Le silence est en effet la manière habituelle, pour un religieux, de signifier son acceptation
lors d’une invitation.
Exemple, récurrent dans les textes, du Bouddha qui manifeste sa puissance, après avoir
converti de nouveaux disciples. Un autre exemple célèbre est celui du « Grand Prodige » de
Srâvastî : invité à une joute oratoire par plusieurs maîtres opposés à ses idées, le Bouddha
parvient à démontrer sa supériorité par la seule parole. Telle est du moins la plus ancienne
version de l’épisode. Après quoi les traditions l’amplifieront en y ajoutant plusieurs
manifestations miraculeuses. La tradition pâli n’évoque d’abord qu’un seul miracle : à partir
d’un noyau de mangue, le Bouddha parvient à faire se dresser devant son auditoire un arbre
dont les branches atteignent jusqu’aux demeures des dieux… C’est « le Prodige sous le
manguier », abondamment figuré dans les pays du Sud-est asiatique. La tradition sanskrite du
nord-ouest de l’Inde, de son côté, préfère faire jaillir du sol un lotus à mille pétales large
comme une roue de char… C’est là l’origine du trône en forme de lotus que l’iconographie
reproduira sans cesse par la suite.
Mais le Grand Prodige, qui finira par être commun à toutes les traditions, consiste en une
lévitation au cours de laquelle le Bouddha fera jaillir des langues de feu de la partie
supérieure de son corps et des cataractes d’eau de la partie inférieure. Le souvenir de cet
exploit permettra à la communauté de Srâvastî, devenue très rapidement l’une des plus
importantes de toute la région, de bénéficier de nombreux dons de la part des pèlerins…
Çakra (en pâli : Sakka), le Souverain des Dieux, est le nom donné par les bouddhistes au
dieu brahmanique Indra. Ce personnage est l’un des plus intéressants pour voir comment
les bouddhistes ont « récupéré » et réinterprété la mythologie brahmanique à leur profit.
Pour les brahmanes, Indra est le chef des dieux et c’est le plus « humain » d’entre eux. Il
est le seul dont on raconte la naissance, car il est aussi le seul à être né d’une femme, qui
accouchera de lui par le flanc droit. Jeune et beau, batailleur et vigoureux, il est le
« patron » des ksatriya (chefs de guerre et politiques). Il est connu pour ses dons de
magiciens et son rôle principal est celui de « Gardien du Dharma », c’est-à-dire de
protecteur de l’ordre cosmique. Sorte de justicier, son acte le plus célèbre est, au début du
monde, d’avoir « crevé » le démon qui retenait prisonnières les eaux nourricières. L’un de
ses symboles est le foudre (vajra), qui marque sa puissance, d’où il tire son surnom de
vajrapani (« porteur de foudre »). Il a pour animal fétiche un éléphant blanc à trois têtes,
souvent représenté par un éléphant blanc à six défenses.
Pour les bouddhistes, Çakra restera chef des dieux et gardien du Dharma, mais il s’agira
bien sûr, alors, du Dharma bouddhique… Il apparaît fréquemment, comme dans notre
texte, pour manifester sa vénération envers le Bouddha et inciter les auditeurs à suivre son
enseignement (afin de vivre en accord avec le Dharma). Ses dons de magicien se
manifestent clairement ici puisqu’il « crée par magie un certain brahmane », afin de rendre
Le rôle de provocateur d’un déluge primordial qui rend la terre féconde n’est pas sans
rappeler non plus certains traits associés à la naissance du Bouddha. Celle-ci est
traditionnellement fixée à la pleine lune du mois de Vesak (fin mai). A cette époque de
l’année, la chaleur est intense et toute la nature est desséchée. Au plus fort de la canicule,
les arbres qui semblent morts se couvrent soudain de fleurs, juste avant le début des
moussons (lorsque le Bouddha naît, une pluie de fleurs tombe du ciel). Le ciel déverse
alors des trombes d’eau, véritable déluge de pluies « libératrices » - comme le sera
l’Enseignement du Dharma – qu’on pourrait aussi associer aux deux pluies (l’une chaude,
l’autre froide) qui arrosent le Bouddha nouveau-né.
On ne peut s’empêcher de rapprocher ces caractéristiques « saisonnières » de la
symbolique de la naissance du Christ, fixée au solstice d’hiver, la nuit la plus courte de
l’année, qui annonce la lumière qui va renaître comme le Christ est la future « Lumière du
monde »… Les Indiens ont simplement choisi le phénomène météorologique saisonnier le
plus important, le plus vital pour eux : l’arrivée des moussons !
Gautama est le bateau de la Doctrine, le meilleur moyen pour traverser le fleuve des
transmigrations et atteindre l’Autre Rive
Comparaison très fréquente du « radeau » qui permet d’atteindre le nirvâna, l’autre rive du
samsâra (comme les parâmitâ sont « ce qui mène au-delà ») De manière générale, les
religieux sont appelés, en milieu brahmanique, les « passeurs de gué ». Mais il plutôt rare,
comme ici, que cette comparaison s’applique au Bouddha lui-même ; elle est généralement
réservée à la seule Doctrine (le Bouddha étant alors le passeur). Peut-être faut-il y voir une
illustration de l’idée que « qui voit le Bouddha voit le Dharma, qui voit le Dharma voit le
Bouddha ».
L’idée de la Doctrine comme « moyen de passage » sera amplement développée par la suite
avec l’idée de « Véhicule » (yâna).
Dès que le Bouddha connut ce que le roi des Magadha pensait dans son esprit, il alla,
suivit de la foule, au bois des Bambous.
Ce nouvel exemple de claire-audience favorise cette fois la pratique du don, alors que la
précédente se mettait au service de l’enseignement de la Doctrine. Ce sont là les deux
circonstances dans lesquelles le Bouddha peut utiliser ses pouvoirs, car il n’agit pas alors
sous le coup de l’orgueil ou d’une simple manifestation égotique. Au contraire, il s’agit de
favoriser la Délivrance des êtres et c’est sa compassion, seule, qui s’exprime ici (comme le
manifestera, un peu plus loin dans le texte, le fait que « le Bienheureux accepta ce parc avec
une pensée de bonté »).
prenant un vase d’or à ablutions, versa de l’eau sur les mains du Tathâgata
Ce geste de verser de l’eau sur les mains du bénéficiaire du don est une coutume
brahmanique. La biographie du Bouddha en donne un autre exemple célèbre, lors du combat
avec Mâra : appelée à témoigner en faveur du futur Bouddha, la déesse Terre prouvera la
L’expression désigne l’ensemble des disciples du Bouddha, présents et futurs, qui peuvent
venir des quatre points cardinaux, c’est-à-dire de la terre entière.
Parce que les parcs, matériels de parc, habitations, mobilier, vêtements, bols à aumônes,
sièges, aiguilles, étuis que possède le Tathâgata sont des stûpa
Superbe anachronisme que celui qui présente en partie la liste des seuls objets qu’un bhikkhu
peut posséder personnellement : vêtements, bol à aumône, aiguilles et leur étui (auxquels
s’ajouteront par la suite des sandales, une moustiquaire et quelques autres objets courants) !
En revanche, les propriétés mobilières et immobilières (parcs, matériels de parc, habitations,
sièges) sont la propriété exclusive de la communauté, dans son ensemble.
La référence à ces divers objets comme stûpa (reliquaires) est une particularité de l’école
Dharmaguptaka (ce texte est issu de leur Vinaya) que nous ne pouvons détailler ici.
il prononça ce vœu…
Ce vœu expose la « rétribution » méritoire de l’acte qui vient d’être accompli par le roi et
dont il bénéficiera dans une vie ultérieure [le système de rétribution des actes sera étudié dans
la prochaine Unité de Cours : « Les fondements de la doctrine »].
Métaphoriquement, le bois des arbres pourra servir à construire un pont permettant, comme le
radeau évoqué plus haut, d’accéder à « l’autre rive ». Et, de même que les bhikkhu pourront
bénéficier des fruits (au sens matériel) de ces arbres, ainsi que de la fraîcheur de l’eau des
bassins, ce don permettra à Bimbisâra de profiter du « fruit / résultat » de ces actes méritoires
qui « rafraîchiront sa demeure », c’est-à-dire qui rendront son « domaine d’existence » (sa
prochaine vie) plus agréable à vivre.
1) Résumé du cours
2) Synthèse
1) Résumé du cours
Module 1 : le Bouddha
I. 1. Les textes et les monuments évoquant la biographie du Bouddha ne peuvent pas être
considérés comme des preuves historiques car ils datent de trois à six siècles après les dates
supposées de sa vie. Les événements de sa jeunesse (a priori les moins connus) y sont
particulièrement développés alors que ceux de sa vie de prédication sont quasiment passés
sous silence.
I. 2. Deux séries de noms sont utilisées à propos du Bouddha. La première (un état civil
comportant prénom, nom et surnom) est sans doute tardive et n’est quasiment pas employée
par ses disciples ; la deuxième (une série de noms évoquant sa supériorité) est indiquée, par le
Bouddha lui-même, comme celle qu’il convient d’utiliser à son égard.
I. 3. Parmi ces noms, le terme « buddha » est un titre qui n’est pas employé seulement pour le
« Bouddha historique ». Est buddha toute personne qui atteint l’Eveil (bodhi). La tradition
distingue trois sortes de buddha. Les plus élevés de cette hiérarchie sont les samyaksam-
buddha, qui parviennent à l’Eveil par leurs propres efforts et qui enseignent, comme c’est le
cas pour le Bouddha Sâkyamuni. Ils sont particulièrement rares.
II. 1. Le terme employé par le Bouddha pour parler de lui-même est celui de Tathâgata
(« Ainsi-allé »). Ce terme insiste sur des caractéristiques communes à tous les buddha,
établissant un modèle insurpassable et inaccessible à des personnes ordinaires.
II. 2. L’Eveil octroie en effet au Bouddha des « pouvoirs » de connaissance extraordinaires,
qui lui permettent d’enseigner à partir de sa propre expérience, mais il ne dispose d’aucun
pouvoir salvifique. Il est « Celui qui montre le chemin ».
II. 3. Pour concilier ces pouvoirs exceptionnels avec les caractéristiques humaines ordinaires
du Bouddha, on dit qu’il possède plusieurs « corps » : un corps « corruptible », comme tout
homme, la possibilité de créer des corps « illusoires », comme tous les grands yogis, et un
corps pur « de Dharma », propre aux seuls Bouddhas, dont il bénéficie depuis l’obtention de
l’Eveil et qui se manifeste par son accord avec l’Enseignement qu’il délivre.
III. 1. Ne peut devenir un Bouddha pleinement éveillé (samyaksam-buddha) que celui qui fait
le vœu d’atteindre l’Eveil, seul et sans aucune aide. Un tel être exceptionnel s’engage dans la
« carrière du bodhisattva », afin de mettre en pratique des qualités particulières (les
pâramitâ), au cours d’un nombre incalculable de vies successives (racontées dans des récits
appelés Jataka).
III. 2. La dernière vie du bodhisattva, au cours de laquelle il obtient l’Eveil, est caractérisée
par des événements que vivent tous les Bouddhas. Ceux-ci se déroulent selon un modèle qui
semble ne laisser aucune liberté au futur Bouddha.
I. 1. Dans les biographies tardives, pourtant, le Bouddha semble devenir plus humain. A
partir de schémas qui leur semble communs, les différentes écoles bouddhistes vont
développer des récits plus réalistes et les événements de sa jeunesse et des années qui
précèdent l’Eveil se présentent alors comme le modèle de la carrière spirituelle que peut vivre
chaque homme.
I. 2. L’exagération reste pourtant présente et le réalisme n’est qu’apparent. Les événements
racontés sont en fait surtout des illustrations de différents points de la Doctrine. La biographie
du bodhisattva (vies antérieures et dernière vie) apparaît plus comme une œuvre pédagogique
que comme un récit historique.
I. 3. La vie du Bouddha, à partir de l’Eveil, obéit elle aussi à ce principe : même ses traits les
plus « humains » (comme la maladie ou la mort) sont interprétés ou utilisés pour mettre en
valeur ses qualités exceptionnelles et démontrer la véracité de son Enseignement.
II. 1. Les biographes ont aussi pris soin d’intégrer la vie et la personnalité du Bouddha dans
les schémas de la mythologie indienne de l’époque, mais en la réinterprétant à leur avantage,
selon les normes de leur « nouvelle religion ». C’est le cas, notamment, pour le personnage
du « Grand Homme », dont la vocation n’est plus seulement de devenir un « Roi souverain »
(Çakravartin), mais qui peut aussi devenir un Bouddha.
II. 2. L’Ordre cosmique de la religion brahmanique est, lui aussi, réinterprété. Les dieux,
relativisés et dévalorisés, perdent leur pouvoir face au Bouddha, considéré comme bien
supérieur à eux. A l’instar des hommes, ils ont tout intérêt à devenir ses disciples.
III.1. Les récits évoquant les événements dans les jours qui suivent l’Eveil mettent en scène
plusieurs personnages typiques : laïcs marchands ou banquiers, brahmanes et rois. Ces
épisodes permettent d’expliquer et de préciser quelles doivent être les relations entre ces
divers groupes sociaux et la communauté des disciples du Bouddha. Certains faits concernant
des laïcs, sans doute réels, ont été réutilisés pour alimenter la biographie du Bouddha lui-
même.
III. 2. Présentée surtout dans le recueil de la discipline monastiques (Vinaya), la biographie
du Bouddha permet souvent, a posteriori, de justifier l’institution de règles beaucoup plus
tardives. Les indications qui apparaissent en introduction des sûtra (sur les circonstances dans
lesquelles les enseignements ont été donnés) servent aussi d’aide-mémoire aux bhikkhu pour
retrouver plus facilement un discours, notamment selon le personnage auquel il s’adresse.
IV. 1. Face à ces multiples interprétations possibles, les chercheurs occidentaux ont hésité
longtemps : le Bouddha n’était-il qu’une invention mythique ? Pouvait-on, en supprimant les
exagérations légendaires, retrouver l’homme réel ? On considère plutôt aujourd’hui que ces
textes nous renseignent sur la représentation que les différentes écoles du bouddhisme ancien
se faisait du Bouddha, en fonction de leurs propres choix doctrinaux.
IV. 2. Les biographes asiatiques modernes, eux-mêmes, continuent d’interpréter la vie du
Bouddha en fonction du public auquel ils s’adressent et de la présentation qu’ils souhaitent
donner de la doctrine.
Module 1
Pour les écoles du bouddhisme ancien, le terme de bodhi (Eveil) est un mot courant qui
désigne l’expérience que chaque homme peut faire s’il suit la voie appropriée. Toute
personne ayant atteint l’Eveil a droit au titre de buddha. Il en existe un grand nombre,
aujourd’hui comme par le passé, comme il en existera aussi encore dans l’avenir. Cependant,
le titre de « Bouddha » est généralement réservé à un être exceptionnel (il n’en apparaît qu’un
seul à la fois par ère cosmique), dont le nom technique est samyaksam-buddha (complètement
et pleinement éveillé) Les autres types de buddha sont plus souvent appelés arhat.
Le Bouddha (samyaksam-buddha) se distingue de tous les autres parce qu’il est le seul à
pouvoir enseigner la voie qui mène à la bodhi. Il a en effet accédé à des connaissances
« supérieures » et bénéficie de « pouvoirs » particuliers qui en font un enseignant hors-pair,
mais il n’a pas la capacité de sauver quelqu’un par la grâce.
Il doit cette supériorité au vœu qu’il a prononcé (atteindre l’Eveil sans l’aide de quiconque)
qui l’engage dans la « carrière de bodhisattva ». Au cours d’un nombre de vies incalculables,
il met en pratique des qualités appelées parâmitâ, selon un schéma qui est le même pour tous
les Bouddhas, ce que manifeste le titre qu’il se donne à lui-même : Tathâgata (« allé ainsi »).
Bien qu’il reste soumis à la maladie, à la vieillesse et à la mort, le Bouddha est considéré
comme un être « sans supérieur » : non pas tant à cause de ses capacités à dominer l’esprit et
la matière (ce qui est le cas de tous les grands yogis), mais en raison de l’accord total qui
existe entre sa vie et son enseignement (le Dharma). On dit qu’il est pourvu d’un corps
entièrement pur, appelé « corps de Dharma ». Il ne correspond plus à la définition ordinaire
de ce qu’on appelle un « homme ».
Module 2
Les biographies de Sâkyamuni sont des créations tardives, fabriquées à partir d’éléments
épars dans des textes variés, dans lesquels la légende occupe une place importante. Ces
sources datent de plusieurs siècles après la vie supposée du Bouddha. S’ils comportent des
événements vraisemblables, il semble que certains d’entre eux n’aient pas concerné le
Bouddha lui-même, mais qu’ils lui ait été imputés après coup. On peut supposer que certains
éléments sont réels, surtout lorsqu’ils ne sont pas à l’avantage de ceux qui les ont transmis.
Les biographies se présentent surtout comme des œuvres pédagogiques qui permettent
d’illustrer, à travers la vie de Sâkyamuni, les points les plus importants de sa Doctrine. Toute
la période qui concerne sa naissance et sa jeunesse peut être lue comme un parcours
symbolique : celui d’un « apprenti bouddha ». De nombreux épisodes ont dû être inventés
après coup, dans un but pédagogique. Quant à sa vie de prédication, jusqu’à sa disparition,
elle insiste surtout sur les qualités qui font de lui un être supérieur. Les biographes n’ont pas
souhaité transmettre un récit historique mais plutôt un récit exemplaire de la pratique
bouddhiste et de ses avantages et une hagiographie du fondateur.
Ces récits nous donnent de nombreux renseignements sur la vie de la Communauté et sur ses
relations avec la société indienne de l’époque. Ils montrent notamment comment les
bouddhistes se sont réappropriés à leur avantage les mythes et des « lieux saints »
brahmaniques. Ils exposent des règles de conduites, valables pour les moines et les laïcs, et
expliquent de nombreuses coutumes en les justifiant a posteriori, comme s’ils avaient eu lieu
à l’époque du Bouddha lui-même.
Aujourd’hui encore, les bouddhistes continuent de présenter la vie du Bouddha en fonction de
l’enseignement qu’ils souhaitent mettre en valeur. Les chercheurs occidentaux, de leur côté,
souhaitent mettre à jour des données historiques fiables, mais les études qui sont menées
n’aboutissent qu’à des probabilités, souvent fragiles et encore controversées.
x Ouvrages généraux
La sagesse du Bouddha, Jean Boisselier, éd. Gallimard, coll. Découvertes, Paris, 1993
Dans une collection connue pour sa richesse d’illustration, l’exposé traditionnel de la vie du
Bouddha accompagné de notices et de documents complémentaires. Niveau : facile
Recherches sur la biographie du Buddha, André Bareau, éd. EFEO, Paris, 1995
Le « must »… mais seul le troisième volume est disponible, recueil d’articles complétant les
travaux systématiques que présentaient les deux premiers volumes. Niveau : universitaire
x Traductions de textes
Unité de cours 1
réponse :
Effectivement, l'Eveil obtenu par un srâvaka-buddha (ou arhat) est considéré comme inférieur au
"plein et complet éveil" : pas du point de vue de la Délivrance, mais du point de vue des qualités
d'enseignant de ce buddha ! Un srâvaka-buddha n'a pas acquis assez d'expérience personnelle pour
pouvoir enseigner de manière efficace pour tous... il ne pourra que répéter l'enseignement qu'il a reçu,
à la lumière de l'expérience acquise surtout au cours de sa dernière vie. Alors qu'un bodhisattva
bénéficiera de l'expérience de toutes ses vies vouées à la pratique des pâramitâ. Comme on dit : "c'est
en forgeant qu'on devient forgeron" et le bodhisattva, par son cheminement solitaire, s'appuiera sur
l'immensité de son expérience personnelle de tous les états d'existence possible. Dans les écoles
anciennes, le bodhisattva profite de ses rencontres avec un samyaksam-buddha uniquement pour voir
confirmer son futur éveil et vérifier qu'il est bien sur la bonne voie. Mais il ne reçoit jamais
d'enseignement à proprement parler. S'il bénéficiait d'un enseignement, il deviendrait alors un
srâvaka-buddha !
réponse :
La théorie des "trois corps" de Bouddha sera surtout formalisée par les écoles du Mahâyâna et donc
étudiée dans l'Unité de Cours 3. Les écoles anciennes n'en proposent qu'une "ébauche", pourrait-on
dire... assez différente en effet.
Le corps "corruptible" (il n'y en a qu'un !) est celui dont le Bouddha est doté au moment de sa
"naissance" physique et qui disparaîtra au moment de sa "mort" biologique : il est constitué de
matière et il n'en reste que quelques reliques, auxquelles sont associés parfois certains "pouvoirs"
(d'où la vénération qui les entoure ; notamment la célèbre "dent" qui est conservée à Ceylan, dans la
ville de Kandy). Mais ce sujet reste controversé...
Les corps "illusoires" ne demeurent pas puisqu'ils ne sont que les manifestations psychiques du
Bouddha, pendant sa vie, lorsqu'il veut se rendre visible à des êtres vivant dans d'autres domaines
d'existence (les dieux, uniquement).
Quant au corps de Dharma, pour les écoles anciennes, il est essentiellement symbolique et correspond
à l'enseignement délivré par le Bouddha ou, pendant sa vie "biologique", à ce que son corps
"corruptible" manifeste de cet enseignement, à travers les gestes et la parole. Le corps de Dharma n'a
donc aucune existence matérielle et ne peut subsister, ni dans le temps ni hors du temps... sauf si l'on
considère qu'il s'agit de la Doctrine (textes et paroles conservés par les disciples du Bouddha) ; dans ce
cas, ce "corps de Doctrine" durera autant de temps qu'il y aura de disciples pour le conserver et le
transmettre.
réponse :
Le « Lalitavistara » est sans doute la plus "récente" des biographies du Bouddha... au point qu'on l'a
considérée parfois comme un texte relevant du Mahâyâna, datant du début de l'ère chrétienne. Oeuvre
écrite en sanskrit, présentant un récit complet et suivi, on en connaît plusieurs traductions en chinois et
en tibétain, preuve de sa popularité !
Parmi les sources "anciennes", la biographie la plus complète est celle qu'offre l'école Mahâsamghika
dans le texte intitulé « Mahâvastu » (le "Grand sujet"...) qui raconte les existences antérieures du
Bouddha (comme les récits des Jataka, du canon pâli) et la dernière vie, jusqu'à la conversion des
premiers disciples. Le vinaya des Dharmaguptaka offre aussi de nombreux récits complets (voir le
texte commenté du module 2 : "conversion du roi Bimbisara", qui est tiré de ce vinaya, et l'ouvrage
d'André Bareau signalé dans la bibliographie, d'où est issue la traduction que nous vous proposons).
La littérature pâli offre aussi plusieurs récits assez développés, notamment des vies antérieures du
boddhisattva, mais elles ont été rédigées, pour la plupart d'entre elles, du XIIe au XVIe siècles !!
En ce qui concerne les autres sources les plus anciennes (avant l'ère chrétienne), on en est réduit à
l'éparpillement de détails contradictoires les uns avec les autres, dans les sûtra et les vinaya (ce sont
ces documents qu'André Bareau étudie en détail dans ses trois ouvrages consacrés à "la Biographie du
Bouddha", cités dans la bibliographie).
réponse :
Comme il était évoqué dans la "proposition de réponse", il est tout à fait difficile de répondre
strictement à cette question ! Certaines écoles évoquent en effet un moment où la carrière devient
"déterminée", supprimant ainsi toute liberté de choix au bodhisattva. Il est évident, d'autre part, qu'un
aspirant à l'Eveil (nous verrons mieux pourquoi dans la suite du cours) cherche à détruire toute
manifestation de "son" ego et que, s'il voulait conserver "sa" liberté, il s'agirait là bien sûr d'une
manifestation de cet ego... Effectivement, en s'engageant sur la voie des pâramitâ, le bodhisattva
renonce à "sa" liberté !
Quant aux pâramitâ que vous évoquez : la patience est surtout cultivée pour ne pas réagir
négativement aux actions négatives d'autrui, tandis que l'énergie concerne effectivement l'engagement
du bodhisattva vis-à-vis de lui-même et de la "mission" à laquelle il se voue.
réponse :
Mâra intervient quelques semaines avant la mort du Bouddha pour lui rappeler qu'il doit mourir ! Lors
de l'Eveil, Mâra a tenté le Bouddha en lui proposant de gagner immédiatement le parinirvâna - ce qui
aurait fait de lui un pratyeka-buddha, non-enseignant... Le Bouddha refuse par compassion pour
l'humanité, sur intervention de Brahma, mais promet à Mâra qu'une fois le Dharma bien implanté dans
l'humanité, lorsque des disciples suffisamment bien instruits pourront le transmettre correctement, il
accèdera à la demande de Mâra et se retirera du monde. Cette ultime intervention de Mâra est racontée
dans le « Parinirvânasûtra ».
Mâra doit sa position de "régent du samsâra" à ses bonnes actions antérieures, notamment un grand
sacrifice qu'il a accompli dans une vie antérieure (c'est au nom de ce sacrifice qu'il dispute sa place au
Bouddha sous l'arbre de l'Eveil et qu'intervient alors la Terre pour témoigner en faveur du Bouddha). Il
occupera cette place tant que ses "mérites" ne seront pas épuisés... mais il lui faudra ensuite renaître
dans un autre état d'existence ! Quant à son avenir, certains textes évoquent en effet un temps où, rené
en tant qu'homme, Mâra pourra à son tour écouter et suivre l'enseignement d'un samyaksam-buddha et
parvenir ainsi à l'Eveil...
réponse :
La réponse est simple : parce qu'ils sont trente-trois !! Ces dieux correspondent en fait au panthéon
brahmanique, tel qu'il était à peu près fixé, à partir des Veda, à l'époque où le canon bouddhique
ancien s'est lui-même fixé. Ce chiffre est symbolique et commun à d'autres civilisations indo-
européennes (le même chiffre 33 apparaît dans la religion iranienne). Il évoluera d'ailleurs par la suite,
d'abord arrondi à 30 (les "trois fois dix"), il passera ensuite à 3.303, puis à 33.333, puis encore à 33
millions, pour terminer par 330 millions !! La permanence du 3 doit être rapproché de la tri-partition
des sociétés indo-européennes : prêtres, guerriers et producteurs, les dieux étant eux-mêmes répartis
selon le même schéma : dieux souverains, dieux guerriers, dieux subalternes... Ces dieux Trente-Trois
(auxquels il faut ajouter Brahma, qui leur est supérieur) sont directement "récupérés" du brahmanisme.
Nous reviendrons sur les dieux dans l'Unité de Cours suivante...
réponse :
Les sûtra anciens ne présentent pas cette distinction. On ne peut que la déduire de la présentation qui
est faite des samyaksam-buddha et des arhat (considérés comme srâvaka-buddha) et de quelques
allusions au pratyeka-buddha... Ce n'est qu'après l'apparition du Mahâyâna, qui privilégiera les
samyaksam-buddha au détriment des deux autres types, que les écoles anciennes se mettront à débattre
du sujet et à prendre position, en réaction au Mahâyâna. Les références "formelles" ne pourraient donc
réponse :
L'éléphant, en Inde, est associé à la puissance et à la sagesse ; il symbolise le pouvoir qui règne par la
tempérance et la justice, son calme et sa placidité l'opposant ainsi à d'autres grands animaux sauvages,
comme les fauves (lion ou tigre), qui représentent davantage la force, plutôt violente et impulsive, des
chefs de guerre. Il est l'un des sept joyaux que possède le Roi universel (çakravartin) et donc
naturellement associé à l'idée de royauté. Comme nous le précisons dans le commentaire du texte du
module 2, il est associé, dans le brahmanisme, au dieu Indra, le "souverain des dieux". L'éléphant
associé au Boudha représente donc sa "royauté" spirituelle ("Je suis l'unique en ce monde", déclare le
Bouddha...), comme il représente la royauté "temporelle" du çakravartin ; la couleur blanche est, bien
entendu, celle de la pureté.
Cette association est bien antérieure à l'apparition du dieu Ganesh, qui ne s'impose réellement qu'à
partir du Ve s. après J.-C. Son culte, surtout présent dans l'Inde du Sud, semble avoir une origine très
régionale et avant tout totémique. Bien que doté d'une tête d'éléphant, Ganesh n'a rien d'un roi qui
règne par la justice : il est celui qui crée des obstacles ou permet de les éviter... Il doit sa popularité au
fait qu'on lui attribue, du même coup, le pouvoir d'accorder le succès. On l'invoque ainsi au début
d'une entreprise, en vue de s'attirer sa protection contre les obstacles qu'il faudra surmonter.
question 9 : Le pratyeka-buddha
Le pratyeka-buddha atteint l'éveil par ses propres efforts, mais est-ce délibéré (comme dans le cas du
parfait buddha) ou bien est-ce contingent ? Et quelle serait, selon vous, l'utilité de cette triple
distinction parmi les buddha ?
réponse :
Avant toute chose il faut se souvenir que la "formalisation" des trois types de buddha est relativement
tardive et ne s'est fixée réellement qu'en réaction aux enseignements des écoles mahâyâniques (début
de l'ère chrétienne).
Le cheminement solitaire du pratyeka-buddha est dû au fait qu'il vit à une époque où l'enseignement
d'aucun samyaksam-buddha n'est accessible ni diffusé. On peut alors dire, pour reprendre vos
expressions, que cette solitude est "contingente", car due aux seules circonstances. Le pratyeka-
buddha ne "désire" pas, en effet, cheminer seul pour pratiquer les pâramitâ, mais il chemine en
solitaire parce qu'il ne peut pas faire autrement...
L'intérêt d'un tel "concept" est double :
- d'abord parce qu'on affirme ainsi que le nirvâna et le Dharma (en tant que Loi universelle) sont
toujours accessibles et "existent" donc indépendamment de l'expérience qui peut en être faite : il ne
s'agit pas d'un "projet divin", appelant une participation humaine pour "être" réellement ;
- ensuite que Dharma et nirvâna sont accessibles, par expérience directe, à quiconque fait ce qu'il faut
pour cela, même en l'absence d'un samyaksam-buddha et de son enseignement. Cet accès ne dépend
donc ni d'une révélation (comme c'est le cas dans la plupart des religions) ni d'un enseignement
(Dharma en tant que Doctrine) ou d'un enseignant particulier, qui serait le seul vecteur possible de
réponse :
Les connaissances "selon la réalité" sont accessibles à tous, bouddhistes ou non bouddhistes, selon des
degrés divers... Ainsi connaître "les diverses inclinations et les comportements des êtres vivants"
relève-t-il de la simple psychologie ! De même la connaissance du karma ("les causes et les conditions
et les conséquences des actes") est-elle accessible à tous et tout "apprenti-bouddha" (vous et moi...) est
censé pouvoir en faire l'expérience directe. C'est l'amplitude de cette connaissance (ou "omniscience")
qui caractérise le samyaksam-buddha : lui seul, en raison de son parcours de bodhisattva, a acquis un
degré de connaissance "sans supérieur" (anuttara) dans de tels domaines.
En revanche, les connaissances "parfaites" relèvent du seul parcours "bouddhiste" puisqu'elles ne sont
acquises qu'avec l'extinction de l'Ignorance. Nous reviendrons plus longuement sur ce sujet en toute
fin du cours suivant (4e module), qui traitera précisément de l'expérience de l'Eveil (bodhi)
proprement dit.
réponse :
Au risque de vous décevoir (temporairement, je l'espère...) je ne vais pas répondre directement à votre
question ; "l'originalité" du bouddhisme, par rapport aux religions indiennes, sera en effet traitée dans
le premier module de l'Unité de Cours suivante...
En revanche, je souhaite préciser deux points que soulève votre question.
1) un point de vocabulaire : la religion indienne, contemporaine du bouddhisme ancien, n'est pas
l'hindouisme mais le brahmanisme. L'hindouisme est un ensemble de courants, complexe, qui s'est
développé en Inde surtout à partir de l'ère chrétienne et, en grande partie, parallèlement et, tout à la
fois, en réaction au bouddhisme. Ainsi, par exemple, il existe un tantrisme hindou comme il existe un
tantrisme bouddhiste, et l'hindouisme a aussi "intégré" des données propres au bouddhisme : Bouddha
est ainsi parfois considéré comme un "avatar" du dieu hindou Vishnou...
L'hindouisme est donc une évolution du brahmanisme ancien, contemporaine de l'apparition des
écoles du Mahâyâna qui constituent elles-mêmes une évolution du bouddhisme ancien.
2) votre question suppose d'autre part que la qualité de "surhomme" du Bouddha serait liée à
l'originalité de la pensée bouddhiste, considérée comme une "découverte" inouïe jusque-là. Je ne pense
pas qu'il y ait obligatoirement une corrélation entre ces deux points... En tout cas, pour les bouddhistes
eux-mêmes, la qualité "surhumaine" du Bouddha ne dépend pas d'une telle "découverte" (originalité
par rapport au contexte religieux de son époque) puisqu'il est affirmé que le Dharma a déjà été
enseigné autrefois, par d'autres samyaksam-buddha, et qu'il pourra l'être à nouveau, dans le futur.
Si le Bouddha peut être considéré comme "surhumain", c'est donc en raison d'autres critères, internes
au bouddhisme lui-même. Lesquels ?... Vous devriez normalement trouver vous-même la réponse dans
le cours, car elle y est exposée !
question 12 : Le çakravartin
A propos du "çakravartin", le "Monarque à la roue" : s'agit-il d'une notion préexistante au bouddhisme
et déjà utilisée par la société brahmanique ou bien s'agit-il d'un concept développé dans le cadre du
bouddhisme à partir de l'épisode de la prédiction des devins ?
réponse :
La notion de çakravartin existait déjà avant l'apparition du bouddhisme mais cet idéal était alors
présenté conformément à l'idéologie brahmanique : ce "prototype" du souverain était un ksatriya élevé
au rang de modèle, en accord avec la tripartition de la société indo-européenne et donc, avant tout, un
guerrier. Conformément à son "rôle" (cf. le cours – UC1, module 2), il devait agir à l'instar des "dieux-
guerriers", c'est-à-dire avec violence, voire brutalité...
Il est dans "l'Ordre dharmique" brahmanique qu'un guerrier agisse avec force et puissance !
C'est le bouddhisme qui, en réinterprétant son rôle à la lumière du Dharma bouddhique, fera du
çakravartin un roi de Justice, un souverain "spiritualisé", et non plus un roi-guerrier, comme le marque
bien le "choix" proposé au Grand Homme : soit devenir un Bouddha, soit devenir un çakravartin. Dans
les deux cas, il s'agit alors de respecter le Dharma bouddhique, c'est-à-dire user de la vision juste dans
le but de faire disparaître la souffrance.
Le meilleur exemple de la distinction qu'on peut faire entre ces deux versions (brahmanique et
bouddhique) est encore le roi Asoka lui-même : d'abord farouche conquérant par les armes, n'hésitant
pas à tuer plusieurs milliers de personnes pour agrandir son empire (exemple type du ksatriya
brahmanique) puis, une fois converti au bouddhisme, régnant par la paix, construisant des hôpitaux,
aménageant des auberges équipées d'abreuvoirs le long des grandes routes de commerce...
Il s'agit là, encore une fois, d'un bon exemple de "réinterprétation" bouddhiste d'un concept déjà
présent dans le brahmanisme.
question 13 : Pourquoi subira-t-on d'intenses douleurs si l'on appelle le Tathâgata par son nom ?
Pouvez-vous faire un commentaire, donner une interprétation, de la dernière phrase du texte, extrait du
vinaya des Dharmaguptaka, cité page 11 : « ...Si donc vous appelez le Tathâgata par son nom
personnel, pendant très longtemps vous subirez d'intenses douleurs. » ?
réponse :
Effectivement, cette phrase a de quoi surprendre ! Il est d'ailleurs difficile de l'expliquer alors que nous
n'avons pas encore étudié en détail les fondements de la doctrine.
Disons simplement pour l'instant que, pour le bouddhisme, l'idée qu'une personne puisse exister « en
soi » constitue une « opinion erronée » et qu'une telle opinion est justement ce qui provoque douleurs
et souffrances. Or, attribuer un « nom personnel » à un individu est une manière de le singulariser, de
le distinguer, de le présenter comme « existant en soi ».
En contre-exemple, on pourrait citer le moine Nagasena (protagoniste d'un texte célèbre, que nous
aurons l'occasion d'évoquer dans la suite de ce cours : « Les Questions de Milinda ») qui, lorsqu'on lui
demande son nom, répond : « On me nomme Nagasena » et non pas « Je me nomme Nagasena ». Il
veut ainsi montrer que le nom qui lui est donné n'est qu'une sorte d'étiquette qui lui est appliquée, mais
qu'elle ne correspond à rien de vrai en Réalité. Lui-même déclare dans la suite du texte : « Bien que les
parents choisissent pour leur enfant un nom tel que Nagasena, Suranesa, Viranesa ou Sihanesa, ce n'est
là qu'une dénomination, une désignation, une appelation, un usage commun : aucune personne ne se
réponse :
Votre question est tout à fait intéressante.
Quelques textes, en effet, donneront les noms de pratyeka-buddha et de srâvaka-buddha antérieurs (ce
qui est d'ailleurs le cas dans notre texte, quand on précise que Vipassi avait « deux heureux disciples
principaux, nommés Khanda et Tissa », que l'on doit donc considérer comme deux srâvaka-buddha :
ils sont « heureux » car ils ont atteint l'Eveil - et sont donc « buddha » - en étant « auditeurs » de
Vipassi - donc « srâvaka » ). Mais, à dire vrai, on ne s'intéressera guère à eux !
Ce qui importe avant tout, c'est qu'il y ait dans le monde des samyaksam-buddha, capables d'enseigner
la Doctrine pour le bien de toute l'humanité... Les pratyeka-buddha, eux, n'enseignent pas ! Et les
srâvaka-buddha ne font que transmettre l'enseignement qu'ils ont reçu d'un samyaksam-buddha. Seuls
ces derniers importent donc réellement...
On en citera pourtant quelques-uns, ne serait-ce que pour montrer que l'enseignement d'un
samyaksam-buddha mène bien effectivement ses auditeurs jusqu'à l'Eveil, et ces srâvaka-buddha
antérieurs apporteront ainsi la preuve de l'efficacité de l'enseignement donné par un samyaksam-
buddha. Quant aux pratyeka-buddha, leur existence veut démontrer que l'Eveil est accessible à tous,
indépendamment du fait qu'il y ait ou non un samyaksam-buddha.
Ce qui importe avant tout aux premiers bouddhistes, c'est que l'enseignement délivré par Sâkyamuni
évite aux hommes qui souhaitent la Libération d'avoir à parcourir eux-mêmes, seuls, ce long
cheminement que le bodhisattva a lui-même parcouru. Un seul samyaksam-buddha par ère cosmique
« suffit » pour assurer la Libération de milliers de personnes, sur des dizaines de générations... à
condition, cependant, que cet enseignement soit pieusement conservé tel qu'il a été énoncé, sans
déformation ni mauvaise interprétation !! Or, si l'enseignement des Bouddha antérieurs s'est perdu,
c'est que ses disciples (ou les disciples lointains de ses premiers disciples...) n'ont pas su conserver
correctement cet enseignement...
réponse :
Vous faites allusion, dans la parenthèse qui clôt votre question, à un point de doctrine qui n'existe pas
dans le bouddhisme ancien, mais qui n'apparaîtra que bien plus tard, aux environs de l'ère chrétienne,
avec le Mahâyâna... que nous n'étudierons que dans l'Unité de Cours 3 !!
Comme quoi il est bien nécessaire « d'oublier » ce que vous savez déjà, si vous voulez réellement
appréhender correctement cette doctrine « ancienne » !!
Selon cette dernière, le point capital - ce qui fait l'originalité d'un bodhisattva - c'est justement de
renoncer à recevoir tout enseignement et de redécouvrir par lui-même, sans aide, l'accès à l'Eveil. Cela
dit, c'est en rencontrant - dans un passé très lointain - un précédent samyaksam-buddha, que cet
homme décide de s'engager dans la voie du bodhisattva. Il prend donc son voeu dans une période où
existe un samyaksam-buddha et où la doctrine qu'il enseigne est répandue et accessible : lui seul
renonce à écouter cet enseignement, lui seul renonce à se libérer tout de suite - comme il en aurait la
possibilité en écoutant, en devenant un srâvaka-buddha - afin de pouvoir lui-même, bien plus tard, être
secourable aux hommes des générations à venir.
Il ne renonce donc pas à l'Eveil, mais seulement à parvenir à cet Eveil en étant un simple "auditeur".
réponse :
Il s'agit, là encore, d'un point qui sera développé ultérieurement, par le Mahâyâna... Et encore cette
idée est-elle en partie fausse ! Tous les bodhisattva ne font pas ce voeu. Mais nous reverrons cela en
son temps !!!
De toute façon, un bodhisattva ne se « retire » pas du monde, puisqu'il y chemine tout au long de sa
carrière... et qu'il n'a pas la possibilité de « ne pas renaître », puisque cette possibilité n'apparaît
qu'avec l'obtention de l'Eveil : il ne peut donc se « retirer » du monde qu'une fois devenu Bouddha, pas
avant ! Tant qu'il n'a pas obtenu l'Eveil, il renaît en fonction de ses actions (comme nous le reverrons
plus loin), comme n'importe quel autre être vivant. et, donc, il « reste » dans ce monde !
réponse :
Nous reparlerons plus en détail des « dieux » (deva) dans l'Unité de Cours suivante.
Ces dieux Tusita correspondent en fait au panthéon brahmanique, tel qu'il était présenté à l'époque du
Bouddha. Ils regroupent 33 divinités (d'où aussi le nom de « dieux Trente-Trois ») que le bouddhisme
a, en quelque sorte, « récupérés » du brahmanisme pour en faire des dévôts et des protecteurs du
Bouddha ! Une manière « habile », pour les premiers bouddhistes, de placer leur Maître au-dessus des
dieux... Leur caractéristique principale est d'être des « Bienheureux » (signification du terme Tusita),
c'est-à-dire de ne pas connaître la souffrance que connaissent les hommes. Mais cela, pour les
bouddhistes, n'a rien d'un avantage, bien au contraire !!
Traditionnellement, les bramanistes plaçaient à la tête de ces dieux le dieu Indra, que les bouddhistes
appellent Sakka (il apparaît dans le texte commenté du deuxième module), comme une sorte de « roi
des dieux ». Au-dessus de ces « Trente-Trois » on trouvait enfin le dieu Brahma, considéré comme le
créateur de l'univers.
Nous reverrons tout cela dans l'Unité de Cours 2...
réponse :
Question savante... à laquelle il va me falloir répondre sans oublier les "débutants" !
Comme je l'ai déjà dit en réponse à la question n° 3, nous aborderons les différents sens du mot
Dharma au début de l'Unité de Cours suivante... Disons simplement, pour l'instant, que j'évoquais
dans ma réponse le Dharma en tant que Doctrine, ou "enseignement du Bouddha", et non pas le
Dharma en tant que "Loi universelle", telle que le terme est employé dans le verset du Dhammapada
[il ne désigne pas, ici, le Dharma védique, mais bien le Dharma tel que l'envisagent les bouddhistes].
Si le "Dharma-Doctrine" est bien soumis à la non-permanence, le "Dharma-Loi", lui, est éternel.
réponse :
Votre interrogation comporte deux questions...
1) Les disciples du Bouddha devenus srâvaka-buddha - ou plutôt arhat, puisque c'est le terme
consacré... - sont, bien entendu, abondamment cités dans les textes bouddhiques.
Il s'agit, pour ne citer que les plus importants, de Sâriputra et Maudgalyâyana, Ananda et
Mahâkasyapa... On les présente comme de grands accomplis (arhat) mais aussi comme de grands
enseignants : c'est-à-dire comme des disciples capables d'expliquer correctement l'enseignement du
Bouddha, puisqu'aucun d'eux n'enseigne autre chose que "l'enseignement spécifique aux Bouddhas" [il
ne faut jamais oublier cette absence totale de caractère "personnel" de l'enseignement bouddhique...],
souvent salués par le Bouddha lui-même, auquel on rapporte leurs paroles et qui déclare : "C'est parfait
! Je n'aurais pas dit mieux" (ou quelque chose d'approchant...)
En dehors de ces "grands" disciples, on trouve mention de nombreux autres "éveillés", surtout chez les
bhikkhu (hommes et femmes) mais aussi chez les laics ! Ils se comptent par centaines... Tous ont
atteint la même Libération que le Bouddha lui-même ("il n'y a qu'une seule saveur à la Libération"),
même s'ils ne sont pas parvenus à cette Libération par leurs seuls efforts individuels mais avec l'aide
de l'enseignement d'un samyaksam-buddha.
Pour devenir un arhat, il n'est pas nécessaire d'entendre le Bouddha lui-même, mais seulement
"l'enseignement spécifique aux Bouddhas"... Aussi, si celui-ci est bien transmis, la possibilité
d'atteindre l'Eveil reste-t-elle possible durant de nombreux siècles ou millénaires ! La question s'est
posée, en effet, au fil du temps, de savoir si la transmission n'avait pas été fautive [c'est une question
qui occupera beaucoup, notamment, les bouddhistes d'Extrême-Orient...] et s'il était encore possible
d'atteindre l'état d'arhat. On considéra, à Ceylan, aux environs du XIVe siècle, qu'il n'était plus
possible de devenir arhat... mais certains maîtres contemporains, au XXe siècle, sont pourtant
considérés comme des arhat !
Comme la tradition veut que seul un buddha soit capable de reconnaître un autre buddha, ce n'est pas
moi qui trancherais la question !! Disons simplement que les avis divergent...
2) Les voeux de bodhisattva auxquels vous faites allusion ne concerne pas le bouddhisme ancien, ni
non plus l'école Theravâda qui s'en réclame aujourd'hui ; ils sont typiques des écoles du Mahâyâna !
En quelque sorte, vous apportez vous-même la réponse à votre question lorsque vous dites : « La
définition de bodhisattva a-t-elle tellement évolué dans le temps qu'elle est devenue synonyme
"d'apprenti buddha" accessible à tous ? »
réponse :
La question des dieux sera traitée plus précisément dans l'Unité de Cours suivante (UC2 - module 2).
Un peu de patience...
Disons pour l'instant que, bien évidemment, il est fait référence ici aux dieux du panthéon
brahmanique (l'hindouisme est une forme plus tardive de la religion indienne, qui n'apparaîtra qu'aux
débuts de l'ère chrétienne, alors que nous nous situons, pour l'instant, au Ve siècle avant Jésus-
Christ...). Le samyaksam-buddha n'est pas un dieu et, s'il leur est supérieur, on ne peut donc pas dire
qu'il les "sert" !
Nous verrons que, pour le bouddhisme, les dieux sont des êtres sensibles, certes "supérieurs" aux êtres
humains (et plus encore animaux et infernaux...), mais qui se touvent, tout comme eux, enfermés dans
le "cercle vicieux" du samsâra, le "cycle des renaissances". Or le Bouddha, lui, est définitivement
"sorti" du samsâra.
Si les dieux ont quelques "pouvoirs" à l'intérieur de ce samsâra (pour accorder de la pluie, des
enfants ou la fortune...), en revanche ils ne peuvent aider en rien les autres êtres à en sortir...
puisqu'ils y sont eux-mêmes "coincés".
Seul un Bouddha, parce qu'il est "sorti" du samsâra, peut offrir aux autres, grâce à son enseignement,
l'accès à cette Voie de sortie ! C'est en ce sens qu'il faut comprendre qu'il est "supérieur" aux dieux.
réponse :
Voici quelques indications pour faciliter votre apprentissage et votre mémorisation…
Compte tenu des difficultés à transcrire les signes diacritiques du pâli et du sanskrit dans une police de
caractère qui soit lisible sur tout type d'ordinateur, nous avons simplifié l'orthographe pour ne garder
que les indications essentielles : celles qui ont une influence sensible sur la prononciation… dans la
mesure où elles sont prononçables et audibles pour des Européens !
Ne sont donc notées que les voyelles longues, marquées par un accent circonflexe (â, î, û) et
prononcées « â » et « î », comme en français, et « ou » long pour le « û » [la prononciation doit
effectivement être longue, équivalente à deux voyelles ordinaires]
Quelques exemples…
En résumé : tant qu’il n’a pas atteint l’Eveil, le futur Bouddha semble (et peut-être croit lui-même…)
qu’il agit selon sa volonté propre, alors que ce sont les événements, passés et présents, qui « font » les
circonstances. Une fois l’Eveil atteint, il nous semble « libre » alors qu’en fait il ne fait que se
conformer strictement à « l’Ordre des Choses » ; c’est nous, une fois encore, qui interprétons cela
comme une manifestation de liberté !
Nous aimerions tellement croire qu’il existe une Liberté !!… Mais est-ce cela que le bouddhisme
enseigne ?…
Les textes du bouddhisme strictement indien dont nous disposons aujourd’hui nous viennent donc de
trois sources (seulement…) :
=> Quelques manuscrits effectivement rédigés en Inde, ayant échappé aux destructions, pour la plupart
conservés au Népal (pays épargné par les invasions musulmanes, mais qui ne comptait pas de
« grands » monastères ou universités, donc pas de bibliothèque, mais seulement quelques textes
épars…).
=> Les textes qu’avaient pu se procurer les Chinois, soit directement en Inde (grâce aux pèlerins), soit
dans des traductions déjà effectuées en Asie centrale (par où « transitaient » les missionnaires
bouddhistes et où avaient été fondés de très nombreux monastères), textes que nous possédons
aujourd'hui dans leurs traductions en Chinois. Mais les Chinois ont fait des choix… et n’ont traduit
que les textes qui les intéressaient. Or, ils se sont tout de suite beaucoup intéressé au Mahâyâna et
assez peu aux écoles anciennes. Il y a donc peu de traductions chinoises des textes du bouddhisme
ancien !
=> Les traductions effectuées systématiquement au Tibet, à partir du VIIe siècle. Mais, là aussi, ces
traductions reflètent un « intérêt » particulier pour certaines écoles, essentiellement des textes du
Mahâyâna et, surtout, une école particulière du bouddhisme ancien, celle du Sarvastivâda (dont les
textes, surtout les traités, diffèrent parfois considérablement de ceux conservés dans le canon pâli…).
Il faut enfin ajouter le canon complet rédigé au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, en pâli,
à Ceylan (qui n’est donc pas « indien », au sens strict…), qui a pu être conservé jusqu’à aujourd’hui
car Ceylan est une île et qu’elle a ainsi échappé aux invasions musulmanes !…
En effet, il ne s’agit pas du tout ici, pour un bouddhiste, de pureté « rituelle », ni « physique », ni
d’une pureté « divine » dont serait doté un Bouddha, contrairement aux autres hommes, seulement
humains et, donc, « impurs ».
La pureté évoquée ici est celle du mental, débarrassé des trois « souillures » (appelées ailleurs les
« trois Poisons ») que sont : l’avidité, la répulsion et l’ignorance (nous reverrons plus précisément ces
« souillures » dans l’Unité de Cours suivante).
=> Le Bouddha n'agit plus comme un homme ordinaire, chacun de ses actes et de ses paroles est
désormais en total accord avec l'enseignement qu'il transmet, dépourvu de passions et de
« souillures ». Exemple vivant du Dharma qu'il enseigne, il est devenu « celui qui a pour corps le
Dharma ».
Le « corps » d’un Bouddha est « pur » car le Bouddha lui-même ne considère plus les éléments de
« son corps » comme « ceci est moi, ceci est mien » (selon l’expression consacrée…), il ne s’y attache
plus, il ne « se » considère plus comme « étant » ce corps. C’est la « vue juste » qu’il a de lui-même et
des choses qui fait qu’il est doté d’un « corps pur ». C’est la relation entre le mental et le matériel, le
physique et le psychique, qui fait ici la « pureté ». Il existe une vision « souillée » - notre vision
« ordinaire » - et une vision « pure » - la vision d’un Eveillé. En eux-mêmes, les éléments qui
composent le corps (le nôtre comme celui d’un Bouddha) ne sont ni purs ni impurs…
réponse :
Questions intéressantes !! Mais je crains de ne pas pouvoir répondre aux deux premières - tout au plus
faire quelques commentaires.
Nous verrons dans l’Unité de Cours suivante (textes commentés du module 2) que nul autre qu’un
Bouddha « pleinement et complètement éveillé » (et, donc, omniscient…) ne saurait connaître
pleinement les conséquences des actes d’autrui. N’étant pas moi-même parvenu à cet Eveil, je ne puis
rien dire des « chances » - plus ou moins grandes - dont disposent Mara et la tigresse !
Cela dit… deux choses :
1) à propos de Mara : peut-on dire (vous écrivez : « En répondant à son désir… ») que le Bouddha
« cède » au désir de « Mort » - stricte traduction du nom « Mara » -, lui qui a mis fin à tout « désir
d’existence et de non-existence » (selon l’expression consacrée) ?? En ne faisant rien pour « sur-
vivre », le Bouddha ne fait que suivre, une fois de plus, « l’Ordre des Choses »… Et puis, que le
Bouddha demeure plus ou moins longtemps ne changera sans doute pas grand-chose pour Mara –
hélas pour lui ! – car il ne fait pas partie de ses disciples – au moins dans cette vie-là - bien au
contraire… Il fait partie de ces personnes qui « ne remplissent pas les conditions pour être sauvées » –
au moins dans cette vie-là -, déjà évoquées dans la question 4 !!
2) à propos de la tigresse : on évoque traditionnellement cinq actes qui conduisent son auteur
directement et immédiatement au plus profond des pires Enfers : tuer son père ou sa mère, blesser un
Bouddha, tuer un Arhat, créer un schisme au sein de la Communauté (sangha). Cette liste canonique,
réponse :
Vous abordez là une question qu’il serait bon de poser à nouveau dans quelques mois, quand nous en
aurons vu davantage !
Effectivement ces moines sont devenus des arhat ou srâvakabuddha. Ils ont obtenu la Délivrance
définitive du samsâra et possèdent, à leur mesure, les sept « pouvoirs » que, seul, un
samyaksambuddha possède en totalité.
Puisqu’il sont parvenus à cet Eveil en écoutant un samyaksambuddha, il serait absurde d’imaginer
qu’ils pourraient poursuivre leur cheminement, en « oubliant » ce qu’ils ont entendu (condition, dans
le bouddhisme ancien, pour devenir un samyaksambuddha : cheminer seul, sans recevoir
d’enseignements). Ils ne pourront donc jamais devenir eux-mêmes samyaksambuddha.
Mais : quel intérêt y aurait-il pour eux – et pour l’humanité - à ce qu’ils le deviennent à leur tour ? Il y
a déjà un samyaksambuddha – qui diffuse un enseignement efficace, puisque ces moines sont bien
parvenus à l’Eveil - et il ne peut y en avoir, de toute façon, qu’un seul par ère cosmique !!
réponse :
Vous répondez vous-même en grande partie à la question…
Ajoutons cependant que la capacité d’opérer des miracles n’a rien d’exceptionnel dans l’esprit des
Indiens ! La claire-voyance ou la claire-audience, évoquées ici, sont des « pouvoirs » accessibles à tout
bon pratiquant de certaines formes d’exercices psychophysiques, développés notamment par les yogis,
qui n’ont donc rien de spécifiques au bouddhisme ni au Bouddha et ne sont en rien liés à l’Eveil
proprement dit.
L’aspect bouddhique de la question porte, en effet, sur l’utilisation de tels pouvoirs : elle n’est admise
que si elle permet d’amener plus aisément ou plus efficacement l’auditeur au Dharma et ne doit surtout
pas exprimer « orgueil et égotisme » (ou encore moins de permettre aux bhikkhu d’obtenir des
« faveurs » de la part des laïques – ce point étant particulièrement visé par le Vinaya).
Quant à la multiplication de ces miracles pour la conversion de Kâsyapa-le-brahmane, il est évident
qu’elle joue un rôle hagiographique – plutôt maladroit, d’ailleurs – et signale par la même occasion,
d’un point de vue historico-critique, que ce texte est vraisemblablement tardif ! Les textes les plus
anciens sont beaucoup plus sobres en la matière.
réponse :
Voilà un point capital sur lequel je pensais que le cours était assez clair…
Eh bien non, non, trois fois non ! Tous les boudhas ne sont pas des srâvaka-buddha !!
C’est un des points de distinction très importants entre le bouddhisme ancien et le « Grand Véhicule »
qu’il faut absolument avoir toujours en mémoire.
x ou encore, Module 1, chap. II-2 (« Les « pouvoirs » d’un Bouddha »), page 15 :
« J’appartiens à ces religieux et brahmanes qui ont pleinement compris, et uniquement par eux-
mêmes, des phénomènes encore inconnus et ont atteint ici et maintenant l’excellence quant à la
conduite pure et à la connaissance surnaturelle » [M.N. II, 211, cité in Silburn, Aux sources du
bouddhisme, p. 33]
Dans l’esprit des premiers disciples du Bouddha, si celui-ci avait reçu un enseignement, il ne serait pas
alors « sans supérieur » (anuttara), il n’enseignerait pas à partir de sa propre expérience personnelle
(puisque ce serait à partir de l’enseignement d’un autre), il ne serait pas un qui « met en mouvement la
Roue de la Loi » (puisqu’il ne ferait que transmettre un enseignement reçu), etc.
Autrement dit : il n’aurait aucune des qualités-caractéristiques qui font de lui un « Eveillé parfait et
complet, sans supérieur » (anuttara samyaksam-buddha). Il ne serait qu’un simple srâvaka-buddha !
réponse :
J’avoue ne pas très bien comprendre comment ma réponse à la question précédente vous amène à une
telle supposition ! Je crois n’avoir, nulle part, donné de quoi imaginer que la carrière d’un bodhisattva
est celle d’un « élu »… encore moins celle d’un prophète !!
Il s’agit au contraire d’une décision éminement personnelle, qui n’a rien d’une élection. Il ne s’agit
que d’un homme ordinaire qui, frappé par la valeur d’un Bouddha, décide de devenir lui-même un
Bouddha (bodhicitta) et qui, après avoir cheminé sur cette voie, se voit confirmer dans sa direction par
un de ceux qui y sont eux-mêmes déjà passé.
Le Bouddha antérieur « n’élit » pas son futur « confrère », il reconnaît seulement qu’il est sur la bonne
voie et annonce sa réussite… Un peu à la manière d’un jeune homme qui rencontrerait un maître-
artisan et déciderait de devenir lui-même maître-artisan ; après quelques années d’apprentissage
solitaire, un autre maître-artisan lui dirait : « C’est bien, continue ainsi, c’est bien comme cela que tu y
parviendras parce que tous les maîtres-artisans ont agi de cette manière ».
Où voyez-vous là-dedans une idée d’élection ??!!
réponse :
Que la distinction entre ces différents types de Bouddha vous paraissent arbitraire ou artificielle ne
m’étonne pas…
Encore une fois, il s’agit de mettre en exergue les capacités insignes d’enseignant du Bouddha
historique, « le seul de cette ère cosmique » à pouvoir délivrer un enseignement aussi efficace… et
Un petit détail supplémentaire. Vous dites : « Les Bouddha ont l'omniscience, donc la connaissance
universelle et, entre autres, celle des expériences des autres Bouddhas ».
Cette dernière affirmation n’est pas juste !
Chaque Bouddha n’a que son expérience individuelle. Vous semblez ainsi attribuer au bouddhisme
une idée qui relève plutôt de l’hindouisme : la possibilité d’accéder au « Grand Tout », à l’Universel
(le Brahman), ce qui permettrait de tout connaître des phénomènes, des personnes et des faits dans les
trois temps (passé, présent, avenir). Mais le bouddhisme, généralement, évoquera une omniscience qui
porte essentiellement sur des processus, une Loi, non pas sur des faits en eux-mêmes. La différence est
importante…
Nous verrons dans l’Unité de Cours suivante (textes commentés du module 2 , concernant la notion de
karma) que le Bouddha, s’il évoque l’avenir, le fait bien davantage en présentant des principes que des
événements : il révèle une Loi mais n’est pas médium ! Il est d’ailleurs précisé que, lors de l’Eveil, s’il
a la connaissance parfaite de ses propres vies antérieures, la deuxième connaissance parfaite consiste
en la « connaissance de la Loi qui régit les existences » des autres êtres [il est vrai que la formule
employée dans le cours n’est pas assez précise…]. Cela ne veut donc pas dire qu’il connaît
parfaitement tous les épisodes, passés et à venir, de la vie de chaque être, mais seulement les principes
qui régissent le processus de leur renaissance. D’ailleurs, la plupart du temps, lorsque les sûtra
évoquent des annonces faites par le Bouddha, sur les vies futures de telle ou telle personne, on est
surpris de leur peu de précision !!
réponse :
Question d’importance !!
Nous aurons l’occasion de l’évoquer… l’année prochaine, quand nous aborderons notamment l’école
Theravâda, qui, sur ce sujet, a imaginé une solution « originale », quoique assez peu « orthodoxe » !
Effectivement, régner selon l’Ordre bouddhique impliquerait notamment un non-usage de la force, par
exemple pour rendre la justice… ce qui semble plutôt incompatible avec l’exercice du pouvoir, en tout
cas comme on l’envisageait dans la société brahmanique ordinaire. Il est vrai, aussi, que le
bouddhisme a toujours critiqué le système brahmanique des castes… mais simplement en n’en tenant
aucun compte au sein de sa propre communauté, le sangha, ou en utilisant des termes comme celui de
« brahmane » en lui appliquant un sens proprement bouddhique (on n’est pas brahmane par la
naissance, mais par son action « juste »). Mais il n’a pas, pour autant, incité à des réformes sociales,
réponse :
Le texte du cours dit très précisément :
« Cet engagement et ce voeu [de s'engager dans la carrière du bodhisattva] se manifestent lors de la
"pensée d'éveil" (bodhi-citta), qui naît dans l'esprit du futur Bouddha au moment où, alors qu'il n'est
encore qu'un homme ordinaire, il rencontre un samyaksam-buddha du temps passé. » (...)
« Sa "carrière de bodhisattva" s'étend donc sur un nombre considérable de vies successives,
regroupées traditionnellement en trois "périodes incalculables" (asmkhyeya kalpa). Au début de la
première, il produit la "pensée d'éveil" mais n'est pas assuré de pouvoir un jour atteindre le but qu'il
s'est fixé. Au début de la deuxième, il rencontre un samyaksam-buddha qui lui prédit le succès de son
entreprise. »
Cela veut donc dire qu'il rencontre plusieurs samyaksam-buddha au cours de ces trois « périodes
incalculables »...
Lors de la première rencontre - quand il produit la « pensée d'éveil » - le premier samyaksam-buddha
ne dit rien quant au succès futur de son entreprise, qui ne fait alors que débuter ! En revanche, le
samyaksam-buddha rencontré au début de la deuxième « période incalculable », étant donné que cette
entreprise du bodhisattva est déjà bien « entamée » (déjà une « période incalculable » !!), peut
confirmer qu'il parviendra bien au but...
réponse :
Attention ! Comme pour la première question : le texte cité ne dit pas tout à fait ce que vous semblez
vouloir lui faire dire. Il est question de « la vanité de la beauté des corps », ce qui est un détail
important !
En l'occurence, nous évoquerons plus précisément ce type de méditation dans l'Unité de Cours... 6, en
début de seconde année !!
Disons pour l'instant, sans entrer dans les détails, qu'il s'agit d'une forme de méditation appelée
« contemplation des horribles ». Certains moines - cet exercice, particulièrement délicat, est soumis à
de nombreuses conditions... - seront alors invités à contempler un cadavre en décomposition... pour
apprécier à sa « juste valeur » la beauté des corps !! C'est-à-dire pour prendre conscience - assez
radicalement, ici, il faut le reconnaître ! - que la beauté est éphémère et dépend de certaines
conditions... et que, quand les conditions ne sont plus réunies, une telle « beauté » apparaît comme très
« relative », c'est le moins qu'on puisse dire...
réponse :
Nous évoquerons, dans une Unité de Cours ultérieure, ce qu'on appelle les « Quatre Demeures
divines », dans le bouddhisme ancien, les « Quatre Incommensurables » ou « Quatre Illimités » dans le
bouddhisme Mahâyâna et les écoles qui s'y réfèrent... Il s'agit de l'Amour bienveillant, de la
Compassion, de la Joie sympathique (ou participative) et de l'Equanimité.
L'Amour bienveillant y est dissocié de la Compassion, bien qu'il en soit fort proche. En effet, l'Amour
bienveillant consiste à souhaiter que tous les êtres soient heureux, alors que la Compassion consiste à
souhaiter que tous les êtres échappent à la souffrance : autrement dit « bonheur » et « absence de
malheur », ce qui se complète... mais n'est pas tout à fait équivalent !
réponse :
Vous évoquez une question qui a été longuement débattue au sein de la communauté bouddhique et
qui agite encore aujourd'hui jusqu'aux milieux scientifiques !! Le « délice de porc » qu'un laïc offrit au
Bouddha quelques jours avant sa « disparition » - et qui provoqua effectivement, selon la tradition, une
dysenterie... - était-il un plat de viande de porc ou de champignons (dont un porc fait son délice) : telle
est la question... jamais résolue !
Quoi qu'il en soit - et pour répondre plus largement - la question du végétarisme dans le bouddhisme
doit être abordée sans oublier nos propres a priori. Je veux dire que cette idée que tout bouddhiste est
Dans le bouddhisme ancien, le Bouddha interdit aux moines de léser tout être vivant, donc de tuer...
mais il n'interdit nullement de manger de la viande, hormis cinq viandes jugées impropres à la
consommation... par les brahmanes !
Il s'agissait en fait de ne pas choquer le milieu social dans lequel évoluaient les moines bouddhistes.
Ces cinq viandes « interdites » étaient celles du lion, de l'éléphant et de la vache, considérés comme «
sacrés », et celles du chien et du serpent, jugés « impurs » (on pourrait imaginer, aujourd'hui, que des
moines bouddhistes en Grande-Bretagne refuseraient de manger du lapin - considéré comme un
animal de compagnie - ou des escargots et des grenouilles - jugés répugnants...).
Dans la pratique, les moines ont obligation de se nourrir des offrandes que leur font les laïcs et de ne
rien demander ni refuser : si, lors d'une quête, on leur offre un peu d'un plat de viande préparé pour la
famille du laïc, les moines ont alors obligation de le manger... quoi que ce soit, et sans rien dire ni
penser, juste « prendre ce qui a été donné », comme le stipule leur règle. On part du principe que les
laïques ne savaient pas forcément que des moines allaient passer devant chez eux pour quêter et que,
donc, ce plat ne leur était pas spécifiquement destiné.
En revanche, si des laïques invitent des moines chez eux ou se rendent au monastère pour y cuisiner, il
va de soi - normalement - qu'ils ne devraient pas préparer de viande, car alors ils tueraient pour des
moines ! Mais, dans les faits, aussi bien en Inde ancienne, qu'en Asie du sud-est ou au Tibet
aujourd'hui, il est très fréquent que les moines se fassent servir de la viande. Pour le Tibet, d'ailleurs,
cela ne doit rien avoir de choquant : les conditions climatiques du pays ne permettent pas de se
contenter des seuls végétaux, qu'il est difficile de cultiver à cette altitude et qui ne suffiraient pas à
garder le corps en bonne santé pour la grande majorité ! D'ailleurs, la règle monastique appliquée dans
ce pays ne respecte pas non plus le voeu, préconisé à l'origine, de ne rien manger après le passage du
soleil au zénith...
Cette question de la nourriture est en fait beaucoup plus complexe et nuancée que ce que nous
croyons, car il faut tenir compte, à la fois, du souhait de ne tuer aucun être vivant, mais aussi de la
nécessité de se maintenir en bonne santé (la règle monastique prévoit d'ailleurs de très nombreuses
exceptions aux règles pour les moines malades... jusqu'à autoriser la consommation d'alcool), et du fait
que le don permet aux laïques de se procurer des « mérites ». Dans ce dernier cas, refuser un plat offert
serait empêcher un laïc de gagner un mérite... ce qui est inconcevable si l'on entend pratiquer
réellement la compassion !!
Il faut donc, ici, rechercher toujours la Juste Voie du Milieu et se garder de tout « légalisme » par trop
intransigeant... C'est d'ailleurs de cette manière qu'on cultive le mieux l'Attention vigilante et le
Discernement !
réponse :
Vous prenez de l'avance par rapport à notre programme ! Car nous évoquerons à nouveau les courants
« modernes » (et donc Thich Nhat Hanh) et le texte du Mahâ-Satipatthâna-Sutta, mais... en début de
deuxième année (Unités de Cours 5 et 6) !!
Nombre des particularités de l'enseignement de Thich Nhat Hanh s'expliquent du fait qu'il est né et a
été formé dans le Sud-Viêtnam. Cette région est au confluent des influences du bouddhisme chinois
(surtout Zen) et indochinois (Theravâda). Or, le Mahâ-Satipatthâna-Sutta est un des textes de base de
la pratique du Theravâda.
Cela dit, c'est l'expression elle-même de « pleine conscience » dont je disais qu'elle n'apparaissait dans
aucune tradition ; mais en ce qui concerne le contenu de la pratique ainsi appelée, elle trouve
effectivement ses fondements dans le Mahâ-Satipatthâna-Sutta... qui diffère très nettement de ce
qu'enseigne le zen (que vous verrez dans l'Unité de Cours 9 !).
réponse :
Effectivement, les moines (bhikkhu) s'engagent à ne prendre aucune nourriture solide après le passage
du soleil au zénith. Mais une telle pratique ne leur est pas réservée... Elle est aussi suivie par de
nombreux laïques, généralement lors des retraites de méditation ou lors des "jours de fête", comme les
jours de pleine et de nouvelle lune, généralement dédiés - comme les dimanches chrétiens - à une
visite à la pagode, aux dons aux moines, à l'écoute des enseignemets, et - pour certains - à la pratique
de la méditation.
Une telle pratique a plusieurs explications. D'abord un moine - ou un méditant - n'exerce aucune
activité physique importante qui nécessiterait une nourriture plus abondante : un petit déjeuner et un
déjeuner copieux suffisent pour maintenir le corps en santé, ce qui est le but des repas, normalement...
Voici, à titre d'exemple, ce que les moines et les retraitants du Theravâda ont l'habitude de réciter,
chaque jour, avant le repas de midi :
"Nous utilisons la nourriture en la considérant de façon correcte, non pas pour s'amuser, ni pour se
gaver, ni pour s'engraisser ou pour la beauté du corps ; mais seulement pour entretenir le corps et lui
conserver la bonne santé nécessaire à la vie pure, en pensant : nous allons ainsi détruire la sensation
précédente de faim, sans produire une nouvelle sensation due à trop de nourriture. Nous serons ainsi
libres de toute maladie du corps et vivrons sans inconfort."
Ensuite, les moines dépendant exclusivement des dons de nourriture que leur octroient les laïques (ils
n'ont le droit, ni de cultiver ni de cuisiner...), il ne faudrait pas que leur appétit vienne à devenir une
charge trop importante pour les donateurs... D'ailleurs, lorsqu'une communauté monastique ne pouvait
plus être nourrie correctement par les laïques - lors d'une famine, par exemple - les moines en vinrent
parfois à renoncer à leur voeux et à retourner à la vie laïque... Ce fut le cas plusieurs fois dans l'histoire
de Ceylan.
Enfin, pour les laïques, lors des jours de fête, c'est une occasion d'offrir ce repas auquel ils renoncent à
des personnes nécessiteuses...
Précisons enfin que cette règle peut ne pas être suivie lorsqu'un moine est malade et que sa santé
nécessite de prendre davantage de nourriture.
réponse :
Nous aurons l'occasion de voir (dans l'Unité de Cours suivante) que le karma ne doit pas être
considéré comme une « prédestination » ou un « déterminisme », bien que j'employais moi-même
cette expression de « prédestination » (avec des guillemets de précaution.) à propos de la carrière du
bodhisattva... Répondons donc pour l'instant aussi simplement que possible, en attendant de voir plus
en détails : si le karma nous prédestinait à toujours reproduire le même type d'action,
« mécaniquement », il n'y aurait pas de fin à cette reproduction ! Or, c'est bien le contraire qu'enseigne
le bouddhisme en nous proposant une « sortie » du samsâra... En fait, on a toujours la possibilité de
reproduire ou non de tels actes, mais l'aveuglement (ou l'Ignorance) nous en empêche le plus souvent.
Cela dit, on n'emploiera pas l'expression de « libre-arbitre » car elle suppose qu'il existe réellement un
« agent » ou un « sujet » qui agit ou non, ce qu'on appelle dans le monde indien un âtman... que le
bouddhisme nie ! On parlera plutôt d'actes « karmiques » ou d'actes « dharmiques » - notions que nous
étudierons dans le cours suivant.
Encore un peu de patience...
question 43 : Sur les circonstances qui rendent incapables les pratyeka-buddha d'enseigner
Je m'interroge sur les explications données sur l'incapacité des pratyeka-buddha à enseigner. Autant je
comprends que leur cheminement vers la bodhi ne leur permet pas d'avoir les capacités
exceptionnelles des samyaksam buddha autant je ne m'explique pas bien votre phrase : "Cette
impossibilité est due autant à leurs capacités insuffisantes qu'aux circonstances : ils sont devenus
buddha à une époque où les êtres sont incapables de recevoir ou de comprendre leur enseignement ".
J'ai du mal à cerner cette notion de circonstances.
réponse :
Votre question en contient plusieurs...
Peut-être (sans doute) ne l'auriez-vous pas posée si vous aviez déjà pris connaissance du module 3 de
l'Unité de Cours 2... mais vous ne découvrirez celui-ci que dans quelques semaines ! En effet, nous y
verrons cette idée de "circonstances" - notion centrale de la Doctrine bouddhique - sur laquelle,
finalement, porte votre question.
D'abord, contrairement à ce que vous dites, ce n'est pas le cheminement des pratyeka-buddha qui les
empêche d'enseigner, car, de ce point de vue, il n'y a guère de différences entre eux et les samyaksam-
buddha : les uns et les autres cheminent seuls et redécouvrent tout par eux-mêmes, sans recevoir
d'enseignement...! Ce sont bien les "circonstances" qui ne leur permettent pas d'enseigner.
Rappelez-vous cet épisode très important de la biographie du Bouddha, au cours duquel celui-ci - juste
après avoir connu l'Eveil - hésite à enseigner, car il pense que les êtres ordinaires seront incapables de
comprendre sa découverte. Il faudra l'intervention du dieu Brahma pour le convaincre... et encore -
célèbre parabole des lotus - le Bouddha déclarera-t-il que tous les êtres ne seront pas capables de
l'entendre !...
Selon le bouddhisme - nous le verrons... - tous les phénomènes se produisent en fonction de
circonstances particulières (c'est ce qui permettra d'affirmer qu'aucun phénomène n'existe "en soi").
L'accès à l'Eveil ou à l'enseignement d'un Bouddha, la possibilité même d'enseigner dépendent donc,
eux aussi, de circonstances qui peuvent être, ou non, favorables ! Cela n'a rien de choquant pour un
bouddhiste... Et cela explique aussi que l'on dise de ceux qui ont cette possibilité qu'ils disposent de "la
très précieuse existence humaine" - raison qui doit les pousser, urgemment, à s'engager sur la voie
bouddhique !!
Dans les récits "cosmologiques" - nous les évoquerons aussi plus tard - il est souvent fait allusion à ces
périodes "bénies" au cours desquelles l'humanité a la grande chance de pouvoir accéder à
l'enseignement d'un Bouddha vivant, ou à la transmission de cet enseignement par des disciples
accomplis... période qui ne dure pas longtemps, et dont il faut profiter sans tarder ! Car cet
enseignement, apparu à un certain moment, disparaîtra (après avoir été contrefait...). Nous reverrons
cela au début de l'Unité de Cours 2, quand nous étudierons plus précisément ce qu'est le Dharma -
l'enseignement du Bouddha...
réponse :
La conduite « incorrecte » est, très généralement, celle qui reste soumise aux « trois Poisons » :
avidité, aversion et égarement mental. La conduite « correcte » est celle qui en est exempte... Plus
précisément, on évoque surtout la conduite « noble », qui est celle des disciples du Bouddha suivant
les Préceptes et les pratiques évoquées dans l'Octuple Noble Sentier et, notamment, qui s'abstiennent
de toute vie sexuelle - comme le font les « moines » - mais cela peut se faire sans être « moine » pour
autant ; pour des laïques, on appelle ça « vivre en frère et soeur »...! Nous étudierons ces notions et
évoquerons ces pratiques dans les UC suivantes...
Quant au monastère : au départ, il s'agit d'un simple lieu de résidence pour les « renonçants », pendant
la seule saison des pluies, alors qu'ils ne peuvent plus pratiquer la vie itinérante (à cause du climat !).
Puis les monastères sont devenus des lieux de résidence permanente, mais tous les moines peuvent
réponse :
Etre moine n'a rien d' « obligatoire »... C'est l'état d'esprit qui importe et les textes anciens évoquent
des laïcs qui sont devenus « arhat » sans cesser d'être des « maîtres de maison ». Mais leur mode de
vie, il est vrai, ressemblait beaucoup à celui de « moines ». Je ne souhaite pas développer encore, ici,
ces notions qui seront plus précisément étudiées dans l'Unité de Cours 4, consacrée aux « pratiques ».
Mais vous pouvez consulter les archives du « Micro-Hebdo » n° 69 :
http://www.bouddhisme-universite.net/micro-hebdo/micro-hebdo69.htm#upasaka
et compléter avec l'article publié dans la « Lettre de l'UBE » n° 20 que vous pouvez télécharger à la
page suivante :
http://www.bouddhisme-universite.net/DOC/let/Lettre-UBE.htm.
Concernant les modes de vie du « maître de maison » et du « renonçant », il faut être attentif, car les
textes anciens, même s'ils privilégient le mode de vie du « renonçant » (qui est comme « la vie en
plein air » et « parfaite comme une conque ». selon les expressions traditionnelles), ne sont pas aussi
« radicaux » que le seront les « églises » bouddhistes au cours des siècles suivants... En un sens, on
peut dire que les textes sont plus « souples » que les « écoles » qui s'en inspirent et qui les transmettent
- c'est la même chose qui s'est produite avec les Evangiles et l'Eglise catholique... De ce point de vue,
les bouddhistes ont commis les mêmes erreurs de « radicalisation » que les chrétiens !!
« Je souhaite brûler mes souillures maintenant. Pourquoi moi, qui ai l'aspect d'un inconnu,
verrais-je ici la Doctrine avec évidence pour moi [seul] ? Ayant atteint l'Omniscience, je
deviendrai un Buddha dans le monde des hommes et des dieux. Pourquoi serais-je le seul
homme à "traverser", ayant vu sa fermeté ? Ayant atteint l'Omniscience, je ferai traverser [les
êtres], dans le monde des hommes et des dieux. Par ce service méritoire rendu par moi au plus
élevé des hommes, ayant atteint l'Omniscience, je [veux] faire traverser de nombreuses
personnes. Ayant coupé le courant de la transmigration, ayant détruit les trois [formes]
d'existence, étant monté sur le bateau de la Doctrine (Dhamma), je ferai traverser [les êtres],
dans le monde des hommes et des dieux. »
réponse :
Lorsqu'on évoque les « buddha », il s'agit toujours d'un anuttara samyaksam buddha, « pleinement et
complètement éveillé, sans supérieur », jamais d'un arhat. Et, n'étant pas buddha moi-même, il m'est
tout à fait impossible de répondre à votre question...
D'autre part, si l'on suit les éléments traditionnels, un buddha devrait porter les 32 marques distinctives
du "Grand homme" :
http://www.bouddhisme-universite.net/CEL/UC1/module2/uc1-module2-annexes.htm#3
Je ne sache pas qu'on ait signalé récemment l'existence d'un homme qui se présenterait ainsi et -
comme le dit un de mes collègues - "Si on en rencontrait un de ce genre, on le prendrait sans doute
pour ET...!!"
réponse :
On dit, traditionnellement, dans le bouddhisme ancien, que les destinées autres qu'humaines sont des
états d'existence « rétributifs », c'est-à-dire qu'ils sont le fruit des actes commis dans les vies
antérieures mais qu'on ne peut, dans ce type d'existence, commettre de nouveaux karma - on ne peut
que subir, mais pas « agir » (au sens karmique...). Les dieux sont donc « incapables » de commettre
de bons karma ni même de pratiquer la Voie. Voilà aussi pourquoi les animaux comme les prédateurs
ne commettent pas de « mauvais karma » s'ils tuent d'autres animaux ou des humains. En fait, le
karma ne concerne réellement que les humains !
Dans ces destinées, l'être re-né est contraint d'attendre, en quelque sorte, que l'effet de ces actes
antérieurs s'achève ou soit contrarié par l'effet d'un autre karma, sans pouvoir rien faire lui-même.
Dans le cas des êtres divins (deva) et des fantômes affamés (preta), cependant, il est possible
d'intervenir sur leur durée d'existence en ces mondes en leur « transmettant des mérites ». Il faut, pour
que cette « transmission des mérites » fonctionne, que la personne concernée (celle au nom de qui un
humain agit et au profit de qui il « transmet des mérites ») se réjouisse de l'acte qui a été commis en
son nom (c'est une condition indispensable !). Or, seuls les deva et les preta peuvent entrer en
communication avec les êtres humains et, donc, apprendre ce qu'on a fait pour eux ! Eux seuls, alors,
peuvent se réjouir d'un don fait en leur nom et le bénéfice de ce don peut infléchir le cours de la
rétribution karmique en leur faveur - notamment en leur permettant une renaissance plus rapide dans le
monde des humains.
réponse :
Vous avez tout à fait raison ! Et c'est un point que nous pourrons développer lors de votre étude de
l'Unité de Cours 6, consacrée plus particulièrement à l'école Theravâda (l'année prochaine...).
En effet, pour le Theravâda il n'existe qu'un seul « maître » : le Bouddha ! L'enseignant n'est que le
transmetteur de l'enseignement du Bouddha - c'est aussi pourquoi, souvent, lors d'une cérémonie
publique, le moine qui prêche ou récite certains textes de bénédiction, le fait-il avec un grand éventail
devant le visage, afin que l'auditoire n'associe pas ce qu'il entend à une personne en particulier, mais
que ce qu'il dit soit entendu comme si c'était le Bouddha lui-même qui parlait.
La situation est en effet différente dans le Mahâyâna, quoique, normalement, chaque « maître » doit
être considéré comme la « manifestation » de sa « Nature de Bouddha », ce qui est sensé réduire la
personnalisation ! Mais dans les faits - et surtout en Occident...
réponse :
Vous abordez là des questions et sujets que nous étudierons plus amplement à la fin de l'Unité de
Cours 2.
Sans vouloir aller plus vite que la musique, comme on dit... cette question n'a rien de simple et a
d'ailleurs donné lieu à d'âpres discussions des bouddhistes entre eux et avec les représentants d'autres
spiritualités, en Inde et ailleurs !
Ce qui est sûr - et je m'en tiendrai là pour aujourd'hui (nous en reparlerons lorsque vous aurez pris
connaissance du dernier module de l'UC2, si vous le voulez bien...) - c'est que le Mahâyâna
n'envisagera pas de coupure ferme entre samsâra et nirvâna alors que les écoles anciennes et le
Theravâda ultérieur, eux, s'en tiendront à une stricte opposition entre samsâra et nirvâna : on peut être
dans l'un ou dans l'autre, mais pas dans l'un et l'autre à la fois.
réponse :
A vrai dire, il ne faut pas aller chercher plus loin que vous ne le faites vous-même : ces « corps
illusoires » ne proposent pas d'enseignement particulier du point de vue bouddhiste, pour la Libération
du samsâra. Au contraire, pourrait-on dire...
Ces « pouvoirs » ont été acquis par le Bouddha, comme ils peuvent l'être par bien d'autres personnes,
par la pratique de certaines formes de méditation qu'on appelle « dhyâna » ou « absorptions ». Cette
forme de méditation n'a rien de spécifiquement bouddhiste et relève du yoga traditionnel indien (nous
reverrons cela dans l'Unité de Cours 4, consacrée aux pratiques). De tels pouvoirs sont donc
accessibles à toute personne capable de pratiquer avec suffisamment de constance ces types
d'exercices psycho-physiques qui permettent de développer des capacités « naturelles » de l'esprit et
du corps, mais que le commun ne développe pas.
Le bouddhisme admet ainsi très naturellement les « pouvoirs psychiques » comme la lecture dans les
pensées, la capacité de traverser les murs ou de se déplacer dans les airs, la possibilité d'adopter des
formes multiples, de se rendre invisible, de voir des fantômes et de communiquer avec eux, ou de voir
et d'entendre ce qui se passe dans les paradis ou les enfers, etc.
En revanche, parce que ces pouvoirs ne mènent absolument pas à la Libération du samsâra et qu'on
peut s'y attacher, le Bouddha a toujours mis en garde ses disciples face à leur « dangerosité » ! Dans la
règle monastique, d'ailleurs, un moine qui se targuerait de posséder de tels pouvoirs (notamment s'il
voulait ainsi obtenir certains « cadeaux » de la part de laïcs...) serait immédiatement exclu de la
communauté ! C'est dire qu'il ne s'agit pas là de capacités que le bouddhisme invite à développer ! On
les considère plutôt comme des « accidents de parcours » - des « effets secondaires » de certains types
de méditation - dont il faut se méfier...
question 52 : Question « multiple » sur le Bodhisattva, tel que le conçoivent les écoles anciennes.
question :
Tel que je le comprends, le bodhisattva renonce à appliquer l'enseignement disponible, chemine seul,
redécouvrant la Voie et « la Loi qui régit les phénomènes ». Cette « carrière » consistant à développer
les pâramitâ tout au long de multiples (!) existences.
Cela veut-il dire qu'il découvre tout seul que ce sont ces vertus qui le font progresser, ou admet-on au
moins qu'il apprenne la « liste » de quelqu'un - ce qui, bien-sûr, n'est rien face au travail consistant à
les mener à la perfection. Auquel cas il aurait été enseigné...
réponse :
Le texte du "Dipankara-buddha-vamsa", qui vous est proposé en "texte complémentaire", ne se résume
pas au seul passage qui vous est proposé...
question :
Parmi les paramitas on trouve le renoncement et vous dites dans le cours que cela inclut, entre autres,
« ce que l'on nomme « la méditation » ». Il apprend donc à méditer tout seul ?!
réponse :
Effectivement, c'est seul qu'il "retrouve" la pratique de la méditation ; ce qu'il explique dans le
paragraphe intitulé "L'ascète Sumedha" :
" Ayant ainsi réfléchi, ayant donné aux riches et aux pauvres une richesse de plusieurs centaines de
millions, je parvins à l'Himalaya. [...] Là je fis des efforts en étant assis, en étant debout, en marchant.
En une semaine j'obtins le pouvoir de la Connaissance surnaturelle. De cette manière, j'ai obtenu les
accomplissements (siddhi) et je suis devenu un maître dans l'enseignement."
question :
Gautama est censé avoir bénéficié de l'enseignement de deux maîtres, avant ses années d'ascèse, qui
lui ont appris les jhâna / dhyâna. En lisant le texte complémentaire 2, le passage décrivant la pratique
méditative, lors de « la nuit » de l'Eveil, elle comprend bien, mais pas exclusivement, les jhana. Ne
peut-on pas alors considérer qu'il a bien reçu un enseignement, ce qui contredirait le principe du
« cheminer seul » ?!
Ou alors ce que l'on entend par « sans recevoir d'enseignement » ne recouvre que la partie « spécifique
au bouddhisme », notamment la Coproduction Conditionnée et les Quatre Nobles Vérités ?
réponse :
Effectivement... c'est "l'enseignement spécifique aux Buddhas" que le bodhisattva doit retrouver par
lui-même. La pratique des jhâna / dhyâna, que lui enseignent les deux maîtres brahmaniques, n'est pas
concernée par cette "obligation" - puisque ces pratiques, bien qu'elles puissent être "utiles" et
intéressantes, ne mènent pourtant pas à l'Eveil et à la Libération !
Au sens strict, "l'enseignement spécifique aux Buddhas" se résume aux Quatre Nobles Vérités : "Ceci
est souffrance, son origine, sa cessation et le chemin qui mène à sa cessation". La "co-production
conditionnée" n'est considérée, au départ, que comme un simple développement de la 2e Noble Vérité
- ce qu'elle est effectivement !
question :
J'ai hâte de voir comment le Mahâyâna avance doctrinalement une définition du Bodhisattva si
différente, étant celui qui fait le vou de Bodhi-citta en suivant l'enseignement disponible. Pourquoi n'a-
ton pas utilisé un autre terme ? J'imagine qu'on verra ça plus tard...
question :
Je vais au bout de ma logique, peut-être erronée : dans la perspective des écoles anciennes, en
admettant qu'un de nos contemporains ait formulé, il y a un temps lointain, le voeu de Bodhi-citta en
rencontrant un Bouddha... S'il était un pratiquant de nos jours, il ne serait alors plus « qualifié » pour
devenir Samyaksam Bouddha, puisqu'il aurait reçu un enseignement ! Peut-on en déduire qu'aucun
d'entre-nous ne « sera » un Samyaksam Bouddha ?
réponse :
Du point de vue des écoles anciennes, en effet... un tel « disciple » sortirait de fait de la voie du
bodhisattva solitaire. pour devenir un srâvaka, un « auditeur » ! Et, en allant au bout de votre logique -
qui n'est pas erronée... - aucun de ceux qui, aujourd'hui, « pratiquent » selon l'enseignement de
Gautama ne peut prétendre à l'Eveil parfait et complet d'un samyaksam-buddha !!
question :
Vous dites par ailleurs, à propos du Samyaksam Bouddha, « il ne s'agit en aucun cas d'un modèle à
suivre mais, bien au contraire, d'un modèle insurpassable » (p. 40). Pouvez-vous développer ?
réponse :
Votre question, en fait, porte bien plus sur le rôle des dieux - ici, Brahma - que sur les capacités du
Buddha lui-même.
Je m'explique : faut-il ici considérer Brahma comme un dieu réel qui intervient pour « faire
remontrance » au Buddha ou, plutôt, comme le symbole de la pensée du Buddha lui-même, à l'instar
du rôle que Mâra joue, au moment de l'Eveil, pour symboliser les « combats intérieurs » du futur
Buddha contre les passions ?...
Un autre épisode important de la biographie du Buddha, les « Quatre rencontres », est souvent appelé
les « Quatre messagers divins », car, selon une version, c'est le roi des dieux, Indra-Sakka, qui « prend
la forme » d'un malade, d'un vieillard, d'un mort et d'un ascète, pour « rappeler » au Buddha sa
vocation.
Du coup, l'intervention de Brahma ne serait plus une « remontrance » mais une « manifestation » que
le Buddha, juste après l'Eveil, prend conscience de ses propres capacités.
Un peu plus tard, il en va de même lorsque le Buddha décide d'enseigner ses deux maîtres
brahmaniques et qu'il « apprend » leur décès : certaines versions diront qu'il le voit grâce à son « oeil
divin » (capacité de voir ce que le commun ne peut pas voir), d'autres versions diront que « des
dieux » l'en avertissent - on voit bien là la confusion entre « l'oeil divin (du Buddha) » et « l'oeil des
dieux » !
réponse :
Commencez par « laisser tomber » non seulement votre attachement à la culture judéo-chrétienne,
mais aussi les références au Zen : nous étudions, pour l'instant, le bouddhisme ancien !!!
Le Zen - qui relève du Mahâyâna - n'apparaît qu'au VIe siècle de notre ère, en Chine (sous le nom de
« Chan »), et pas avant le XIIIe siècle au Japon... C'est dire que les citations que vous faites sont, au
pire, « hors sujet » et, au mieux, tout à fait anachroniques (un millénaire, au moins...) !
D'autre part : méfiez-vous ce que l'on peut déduire des traductions en français car les termes sanskrits
ont une signification que la traduction ne rend qu'imparfaitement... En l'occurrence, « arhat » n'a rien à
voir avec les « mérites », tels qu'on les évoque traditionnellement (qui se disent : punya / puñña) ;
l'expression « Méritant » - pour « traduire » Arhat - est un « pis-aller ». La véritale traduction du terme
est « digne d' (éloges) », qu'on peut donc développer en « qui mérite (des éloges) », d'où l'emploi final
de « méritant »... mais il s'agit d'un choix linguistique des traducteurs occidentaux du XIXe siècle -
sans doute influencés par la « culture du mérite » qui caractérisait la IIIe République, laïque et
républicaine !!
La question des mérites (punya) ne concerne pas l'arhat, car un « mérite » - ou « bon karma » - est une
forme de karma auquel l'arhat a renoncé... sinon, il ne serait pas parvenu à l'Eveil.
Cette question complexe du karma sera évoquée dans l'Unité de Cours 2, que vous étudierez bientôt...
Reposez-moi votre question dans le contexte de cette Unité de Cours-là - après l'avoir étudiée !! Je
pense, alors, que vous ne la poserez pas tout à fait de la même manière...
question 55 : L'existence du Bouddha est-elle confirmée par une étude critique des textes ?
Vous écrivez dans le cours : "L'existence du Bouddha n'est plus remise en cause aujourd'hui par aucun
historien des religions" (p. 20) et "Les textes et les monuments évoquant la biographie du Bouddha ne
peuvent pas être considérés comme des preuves historiques." (p. 70)
Sur quoi les historiens des religions se fondent-ils pour affirmer l'existence du Bouddha ?
Les textes du Canon Pali (au moins les sutta les plus importants) ont-ils été soumis à la critique
textuelle comme le sont la Bible ou les Évangiles ?
Les différentes traductions du Canon Pali (chinoise, tibétaine, thaï, les 81000 tablettes de bois du
Tripitaka Coréen, etc.) ont-elles été scientifiquement comparées, au moins quelques-unes ?
réponse :
La littérature bouddhique a effectivement « subie » une critique textuelle, à l'instar des textes
bibliques. Ce fut l'ouvre, notamment, du français André Bareau (en ce qui concerne la biographie du
Bouddha, surtout), d'origine protestante. Mais on dispose aussi du témoignage d'autres traditions
spirituelles, comme celle des Jaïna, fondée par Mahavira, contemporain du Buddha - sans parler des
brahmanes, avec lesquels le Bouddha a beaucoup « controversé » ! Ce « faisceau » de témoignages
permet de considérer que cette existence historique ne peut plus être remise en cause. mais cela
n'empêche pas qu'on manque de « preuves », au sens strict des historiens occidentaux !
Quant aux traductions que vous évoquez, elles ne concernent pas le canon pâli au sens strict. Ni les
Chinois, ni les Tibétains ni les Coréens n'ont jamais eu connaissance du canon pâli. Leurs traductions -
voire leurs « adaptations » - ont été faites à partir de textes rédigés en sanskrit et émanant d'autres
écoles que celles qui se réclament du canon pâli (Theravâda et écoles « sours »). La confrontation de
ces différentes versions a d'ailleurs permis de mettre au jour des différences entre les canons des
diverses écoles. et des points communs - les plus nombreux ! Ce qui permet d'affirmer que, en gros, le
canon pâli est « représentatif » du fonds commun aux écoles anciennes. mais qu'il n'est pas pour autant
réponse :
Car nous évoquons ici les "parâmitâ" selon les écoles "anciennes" - qui en recensent dix - alors que ce
sont les écoles du Mahâyâna qui, elles, en évoquent six - mais parfois dix aussi...!
Je vous rappelle en effet que Shantideva est un auteur qui vécut aux VIIe-VIIIe siècle après J.-C. ...
alors que nous étudions pour l'instant les thèses qui se sont développées avant l'ère chrétienne !
Voici les deux listes... (soulignées : celles qui sont propres à chaque liste ; en couleur : celles qui se
correspondent)
1) Questions de définition
2) Questions de compréhension
3) Questions pour le Forum
1) Questions de définition
1. Noms de textes
2. Catégories de buddhas
3. Noms de personnes
2) Questions de compréhension
a. un nom propre
b. un titre
c. un surnom
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7. L’éveil est une expérience :
a. accessible à tous
b. réservée à des êtres exceptionnels
c. réservée à un seul être
a. historiquement probable
b. un embellissement mythologique
c. une illustration doctrinale
a. historiquement probable
b. un embellissement mythologique
c. une illustration doctrinale
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15. Le bodhisattva vous semble-t-il :
a. c’est faux
b. c’est normal
c. c’est un problème
Dans quelle mesure l’existence historique et réelle du Bouddha vous importe-t-elle ? Vous
semble-t-il, de ce point de vue, « subir » une quelconque influence de notre civilisation
moderne occidentale ?
(merci de répondre à cette question directement et uniquement sur le Forum)
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GUIDE DE REVISION
Propositions de réponses
1) Questions de définition
1. Noms de textes
2. Catégories de buddhas
3. Noms de personnes
sramana : ascète
çakravartin : roi universel
arhat : méritant
Commentaire : Le terme arhat (méritant) est le plus souvent employé comme synonyme de
srâvaka-buddha.
Commentaire : « a » (ils enseignent le chemin qui mène à l’éveil) ne les concerne ni l'un ni
l'autre, « b » (ils découvrent par eux-mêmes le chemin qui mène à l’éveil) ne concerne que le
pratyeka et « c » ne concerne que le srâvaka (on leur enseigne le chemin qui mène à l’éveil).
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2) Questions de compréhension
réponse « b » : un titre
Commentaire : Avec une minuscule, comme un nom commun, il s’agit d’un titre applicable à
tout être ayant connu l’Eveil (bodhi). Avec une majuscule, il est employé pour désigner le
seul « Bouddha historique » de notre ère : le samyaksam-buddha Sâkyamuni. Le nom propre
du Bouddha était Gautama, son surnom Sâkyamuni (« le sage des Sakya »)
Commentaire : C'est la naissance de la « pensée d'éveil » (bodhicitta) qui fait d'un homme un
bodhisattva.
Commentaire : Tous les êtres sont « promis » à l'Eveil et peuvent vouloir l'atteindre, seul le
bodhisattva souhaite y parvenir sans l'aide de l'enseignement d’un autre buddha, mais par ses
propres efforts.
Commentaire : Sur une base commune chaque école a développé des épisodes imaginaires
pour mettre en valeur certains aspects de sa propre doctrine.
Commentaire : C'est au fur et à mesure des siècles qu'on a ressenti le besoin de rassembler en
un tout cohérent des anecdotes qui n'avaient pas, au départ, une valeur historique.
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12. Recomposer les phrases justes :
Gautama est un nom de famille historiquement probable ; Sâkyamuni est un surnom composé
tardivement ; Siddhârta est un prénom totalement inventé
Commentaire : Le surnom Sâkyamuni (« le sage des Sâkya ») a été composé une fois le
bouddhisme bien implanté (dans les textes les plus anciens, n’apparaît que l’expression « le
fils des Sâkya ») ; le prénom Siddhârta a été inventé en même temps que les biographies
complètes du Bouddha, vraisemblablement au début de l’ère chrétienne. Seul le nom de
famille (ou de clan) Gautama est attesté dès les textes les plus anciens et est donc
historiquement probable.
Commentaire : Cet épisode ne présente aucun trait issu de la mythologie indienne et est trop
« construit » pour être historiquement probable. Il est une pure illustration de la Doctrine.
réponse : « c » (+ « a » acceptable…)
Commentaire : Cet épisode ne présente aucun trait issu de la mythologie indienne. Mais les
maîtres, dont le futur Bouddha aurait suivi l’enseignement, ne sont pas connus en dehors des
textes bouddhistes et rien ne permet d’affirmer qu’ils aient existé et que le Bouddha ait été
leur élève. Il est d’autre part important, d’un point de vue doctrinal, que le Bouddha ne trouve
pas la solution dans l’enseignement d’autrui mais dans sa propre expérience.
Quant à l’ascèse, il était fréquent chez les yogis indiens de cette époque (et encore parfois
aujourd’hui) de s’engager dans une voie de macération. Mais l’ascèse du Bouddha est
exagérée, d’un point de vue doctrinal, pour faire pendant à sa vie de plaisir, lorsqu’il était
prince. La connaissance de ces deux extrêmes (plaisir et ascèse) lui permettra de prôner la
« juste voie du milieu ».
Commentaire : Il est normal que les biographies varient selon les écoles si elles ne sont pas
tant des témoignages historiques que des outils pédagogiques…
Comme le prouve l’exemple récent du vietnamien Thich Nhat Hanh, cela ne pose vraiement
de problèmes qu’aux Occidentaux, car ceux-ci semblent attacher plus d’importance à l’aspect
historique de cette vie, qu’à sa valeur exemplaire et illustrative de la Doctrine.
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