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CHRISTOLOGIE

préparé par Wilner Cayo


et Pierre Ndoumai

NOVEMBRE 2008

© Union d’Églises baptistes francophones au Canada


2

AVANT-PROPOS

Assurément le plus théologique des manuels de formation du module I, le présent

cahier de par son contenu représente une introduction pertinente à la christologie.

D’une importance capitale, la réflexion sur Jésus-Christ a pourtant suscité de

nombreuses fausses interprétations en attribuant soit trop ou pas assez à la réalité

des deux natures de sa personne.

Il est donc important de comprendre que la christologie doit dans sa réflexion aller

au-delà du personnage historique de Jésus de Nazareth pour s’interroger sur

l’identité même du Messie qui a marqué le visage du monde et qui a révolutionné la

culture, la civilisation, la morale et les mentalités. Comment identifier l’énigme Jésus,

lui qui pourtant n’a rien écrit mais dont l’inspiration fait encore parler, écrire et espérer

des millions de croyants ?

Le premier objectif du cours consiste pour l’étudiant à faire l'apprentissage d'une

réflexion méthodique et cohérente au carrefour des témoignages bibliques et

historiques et des discussions actuelles. Le second objectif se dédouble. Sur le plan

de la piété personnelle, cette formation vise à situer Jésus-Christ dans la recherche

spirituelle du leader comme étant le Chef de sa foi et sur le plan ministériel à le

présenter comme étant le Seigneur vivant de l’Église et de la création.

Je remercie toute l’équipe des formateurs de Multi C qui ont contribué à l’élaboration

de ce manuel et particulièrement Wilner Cayo et Pierre Ndoumaï qui ont réalisé un

excellent travail de synthèse sur les principales questions de la christologie.

André Bachand

Ancien Directeur de la formation


3

LA CHRISTOLOGIE1

Introduction
Ce manuel n’a pas la prétention de couvrir tous les contours de la christologie. Il se

fixe des objectifs précis qui sont les suivants :

- Favoriser une saisie des grandes vérités doctrinales au sujet du Christ.

- Être capable de faire les liens entre les grandes vérités doctrinales du Christ et

notre vie de tous les jours.

- Devenir un meilleur disciple et un témoin affermi du Christ.

- Être capable d’articuler sa foi de façon intelligente et intelligible.

- Être capable de déceler les erreurs d’interprétation de la Personne et de

l’œuvre de Christ

Pour atteindre ces objectifs, nous suivrons la démarche suivante :

- Après les questions d’introduction, dans la première partie du cours, nous nous

attarderons sur l’enracinement de l’événement du Christ dans l’histoire du salut

(Ancien et Nouveau Testaments) en étant attentifs aux questions de

présupposés, de méthodologies, de fondements, d’évolutions historiques et

de contextualisation.

- Dans la deuxième partie du cours, nous présenterons et discuterons des

vérités bibliques qui nous permettront de saisir la personne et l’œuvre du

Christ :

o Ses deux natures

▪ Sa divinité

▪ Son humanité

o Ses deux états

1 Hormis l’avant-dernier chapitre, ce manuel est basé principalement sur l’ouvrage de Henri Blocher,
Christologie, Fascicules I et II / Cours professé, Vaux-sur-Seine, Faculté libre de théologie évangélique,
1986. Pour un approfondissement de ce cours, l’apprenant est encouragé à se référer à cet ouvrage.
4

▪ L’humiliation

▪ L’exaltation

o Quelques hérésies christologiques

o Ses trois offices

▪ L’office prophétique

▪ L’office sacerdotal

▪ L’office royal
5

1. Considérations préliminaires

-Tout passe par le Christ (Colossiens 1, 15-20). « Toutes les lignes maîtresses se

recoupent en lui2 ». Selon les Écritures, tout ce qui subsiste et qui existe tire sa source

en lui. Tout a été créé par lui, en lui et pour lui. Jean nous dit que toutes choses ont été

faites par lui et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui (Jean 1, 3). Tout se rejoint en

lui : « l’ultime et l’intime, la Vérité et la Vie, la création et la rédemption3 ». Il est avant et

après toutes choses : « Alpha dès l’origine [… et] Oméga au siècle des siècles4 ».

-La concentration de toutes choses dans le Christ est un phénomène unique sans

pareil. « Aucune autre religion n’a osé tant attribuer à son fondateur, et de loin! Les

prétentions de Mahomet, l’Apôtre d’Allah, ou de Bouddha, l’Illuminé, ne se comparent

pas à celles de Jésus selon le christianisme5 ». Quand les Écritures parlent du Christ et

de son espérance, on précise que « ce sont des choses que l’œil n’a pas vues ni

l’oreille entendues, et qui ne sont point montées au cœur de l’homme » (1 Cor 2, 9).

1.1. La christologie devrait-elle occuper toute la place en théologie?

1.1.1. Karl Barth

Selon ce géant du siècle en dogmatique et l’homme de la concentration

christologique, « la christologie doit occuper toute la place en théologie … la

christologie est tout – ou elle n’est rien6 ». Le début et le leitmotiv de toute la théologie

barthienne est « ho logos sarx egeneto » (la Parole devint chair7). Barth ramène tout à

l’événement du Christ fait chair. Il le discerne partout et en tout.

2 Blocher, Christologie, p. 1.

3 Blocher, Christologie, p. 1.

4 Ibid., p. 1.

5 Ibid., p. 1.
6 K. Barth, Dogmatique I, 2, trad. F. Ryser, Genève, Labor et Fides, 1954, p. 114, cité par Blocher, p. 1.
7 Jn. 1, 14.
6

1.1.2. Selon la théologie biblique

Si la christologie est essentielle et cardinale à notre foi et que tout s’y ramène,

tout ne s’y réduit pas forcément dans les Écritures. Tout se rattache à la christologie,

mais tout ne s’y réduit pas.

1.2. Trois questions essentielles qui président à la bonne étude de la doctrine du


Christ:

1.2.1. Le lieu de la christologie

Dans quels contextes étudions-nous la christologie? Quels liens avec les autres

grandes vérités bibliques? Quelle serait la place du Christ au sein de la trinité?

L’accent extraordinaire sur le Christ ne devrait pas nous faire oublier la monarchie du

Père. Paul rappelle aux Corinthiens que si tout est à nous et nous à Christ, Christ est à

Dieu (1 Co 3, 23). Si l’homme est le chef de la femme, Christ le chef de tout homme,

Dieu est le chef de Christ (1 Cor 11.3). Quand Christ aura rétabli toutes choses dans la

perfection finale, le Fils sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes choses (15, 28). Il

est impératif de comprendre que « la christologie prend place dans une vision

trinitaire plus vaste, où les rapports éternels des Personnes de la Trinité (Jn 1, 1) ne se

confondent pas avec les missions historiques du Fils venu s’incarner, et de l’Esprit

répandu sur l’Église8 ». Si c’est seulement par le Christ et en Christ que nous trouvons

Dieu, Dieu est en même temps : Père, Fils et Saint-Esprit et non Christ seulement.

1.2.2. La méthode9

Comment étudier la christologie? Quelle serait « la voie d’accès » à cette vérité

si cardinale?

Pour étudier la christologie, on sait privilégier différentes approches :

8 Blocher, p. 2.
9 Pour approfondir le thème de la méthode en christologie, consulter Jacques Doyon, « Méthode en
christologie » in Le Christ hier, aujourd’hui et demain, Colloque de christologie tenu à l’Université Laval
(21 et 22 mars 1975), Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1976, pp. 157-169.
7

Blocher nous fait constater que nombre de théologiens modernes s’enferment dans

une unique alternative.

1.2.2.1. Christologie d’en-haut10, assumo, c’est-à-dire descendante et déductive.

La christologie d’en-haut part du Verbe divin pré-existant. Les Pères et la

christologie traditionnelle sont partis d’en-haut, du Verbe pré-existant. Cette approche

axée sur la préexistence et le moment de l’incarnation de Jésus-Christ a quelques

faiblesses. Elle semble méconnaître l’importance capitale que comporte l’humanité de

Jésus car celle-ci n’est considérée que dans le sens général. Autrement dit, la

singularité de l’homme Jésus n’est pas sérieusement prise en compte car c’est à partir

de sa divinité qu’on tente de comprendre son humanité. Cette considération déleste

le visage réellement humain de Jésus au point où on semble le présenter comme un

humain irréel.

1.2.2.2. Christologie d’en-bas, ab imo, ascendante (plus ou moins inductive).

La christologie ascendante part de l’homme de Jésus et des faits de sa vie. «

Les préférences vont aujourd’hui à la méthode qui part de l’homme Jésus et des faits

de sa vie, selon l’ordre même de la révélation d’après Emil Brunner ». Cependant,

cette méthode a aussi ses limites et ses faiblesses. En voulant trop insister sur

l’humanité de Jésus au détriment de sa divinité, on tombe presque dans le même

piège que celui que la christologie d’en haut. Dans ce sens, Xavier Tilliette a raison de

s’interroger si "si une christologie 'd'en bas' radicale est possible, si elle ne recèle pas

une faille irrémédiable, en définitive plus funeste que les perplexités d’une

christologie descendante". Certains théologiens préconisent une approche combinée

de la christologie d’en haut et de celle d’en-bas .

10 Les expressions christologie d’en haut et christologie d’en-bas ont été vulgarisées par W. Pannenberg.
Elles ont été adoptées aussi bien par les exégètes que les théologiens.
8

1.2.2.3. La combinaison des deux mouvements ascendant et descendant.

Cette approche fut préconisée par Martin Luther qui penserait voir une

christologie ab imo (ascendante) dans les synoptiques et une christologie a summo

(descendante) chez Jean. Nous ne pouvons faire vraiment de différences si marquées.

La christologie intègrera différentes approches a summo et ab imo bien que ce soit un

exercice complexe.

1.2.2.4. Quelle approche préconiser pour arriver vraiment à une compréhension

exacte de Jésus-Christ?

Il importe de souligner le rôle essentiel et cardinal des prémisses ou

présupposés. Soyons d’abord attentif au fait que très souvent et trop souvent pour ne

pas dire presque toujours, ce sont les prémisses des gens qui décident de leurs

conclusions. Ceux qui par exemple ne croient pas aux miracles vont dépouiller Jésus

de tout surnaturel dans leurs approches christologiques.

- Quand on a observé le comportement de Jésus de son vivant, de sa naissance à la

croix, il est incontournable que cela a dû susciter chez les spectateurs de l’étonnement

et de l’interrogation : « son style insolite, la diversité imprévue de ses initiatives, se

prêtaient à de multiples interprétations11 ». Même si on contemple le fait de la

résurrection, il est certainement cardinal pour la compréhension du Christ, mais il ne

nous livre pas son sens initial de prime à bord. En contemplant les faits autour de

Jésus, on peut raisonnablement conclure que nous avons en face de nous quelqu’un

d’extraordinaire. On peut raisonnablement conclure que Dieu agit par cet homme

plus puissamment qu’un autre. Toutefois, est-ce que la déclaration qui consiste à dire

qu’il est ressuscité des morts le met automatiquement dans une classe à part ? oui et

non. En effet, d’autres furent ressuscités des morts avant lui. Sur la base de la seule

observation des faits de la vie de Jésus, nous ne pouvons conclure que Jésus est Dieu

11 Blocher, p. 6.
9

ou Fils de Dieu. « Les seuls faits ou phénomènes n’autoriseront jamais assez à

l’affirmer12 ».

1.3. Les prémisses ou présupposés

Nous n’en énumérerons que deux :

1.3.1. L’approche humaniste centrée exclusivement sur la raison de l’homme

moderne

Cette approche ne croit pas aux miracles. Elle écartera de la vision de Jésus

tout ce qui relèverait du surnaturel. Elle amputera les Écritures, la personne et l’œuvre

de Jésus de tout ce qui s’y apparenterait.

1.3.2. L’approche qui croit à l’inspiration des Écritures

Celle-ci aura sans nul doute une vision radicalement différente. C’est à partir

d’elle que nous partons à la rencontre de Jésus et que nous jugeons de la première.

L’exercice de la raison qui appréhende les faits sur Jésus pour arriver à la

conclusion que Jésus est le Fils de Dieu est trop limité. Jacques Maritain a bien perçu

la réalité selon laquelle les faits authentifient Sa propre parole. C’est dans ce sens qu’il

affirme :

...ce que prouvaient les œuvres, les signes (et la prédication, et tout le
comportement personnel, et la miséricorde, et la bonté...) c'est la
sainteté du Christ et sa mission divine. Et il était clair qu'un tel saint,
un tel envoyé de Dieu, un tel bien-aimé de Dieu ne pouvait pas
mentir. En sorte que c'est sa parole à lui, son témoignage à lui sur
lui-même, qui devaient être pour les hommes l'irrécusable preuve
de sa divinité13.

12 Blocher, p. 6.
13Jacques Maritain, De la grâce et de l’humanité de Jésus, Desclée de Brouwer, 1967, p. 129 cité par
Blocher, p. 6.
10

Comme Jésus lui-même a fait de sa parole et de celle des prophètes qui l’ont

précédé une seule et même parole, c’est donc le témoignage des Écritures qui doit

fonder notre christologie. Donc « la saine méthode consiste à recueillir le témoignage

biblique, rendu par Jésus-Christ lui-même et par ses témoins inspirés14 ». Ainsi Blaise

Pascal disait avec beaucoup d’à-propos : « Sans l’Écriture, qui n’a que Jésus-Christ

pour objet, nous ne connaissons rien, et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la

nature de Dieu et dans la propre nature15 ».

2.3. L’Écriture : la clé de l’interprétation du Christ

Chacun peut interpréter l’événement du Christ selon ses propres prémisses et

aboutir à toutes sortes de conclusions. L’événement du Christ est essentiel, mais c’est

plutôt l’Écriture qui est la clé de son interprétation. Telle fut la raison pour laquelle,

Jésus ressuscité dût parcourir les Écritures pour expliquer aux deux disciples

d’Emmaüs ce qui le concernait (Luc 24, 27). La prédication des apôtres faisait aussi

appel aux Écritures (voir les Actes des apôtres) : À partir des Écritures, ils établissaient

leur christologie. La grande prémisse de base en arrière de tout cela : Il y a un Dieu

qui a voulu se révéler et il a pris les moyens de se faire connaître. Cette prémisse

impliquerait deux autres : que Dieu existe et qu’il parle et que le surnaturel existe. Si

vous niez cela, votre vision du Christ s’en ressentira. Ceux qui vous parlent du Christ et

qui ne partageraient pas ses prémisses vous présenteront toujours un Jésus humain

dépouillé de tout miracle et de tout surnaturel.

2.3.2. Remarques importantes de Blocher

Quand on s’interroge sur l’être du Christ, on plonge les regards dans son

mystère, que les anges s’efforcent en vain de sonder (cf. 1 P 1,12). Cela ne va pas nous

affranchir de tout effort sérieux de compréhension. Nous comprendrons aussi qu’ « il

14 Blocher, p. 7.
15 Blaise Pascal, Pensées N°548 cité par Blocher, p. 7.
11

est hors de question que nous maîtrisions l’objet de l’étude, que nous démontrions le

‘‘comment’’ des réalités confessées par notre foi. Accepter d’avance d’être dépassé,

infiniment dépassé, traduit cette crainte du Seigneur (crainte paisible et joyeuse) qui

est le principe de la saine méthode en christologie16 ».

L’humilité ne peut que nous amener à admettre le paradoxe du mystère même

si ce que l’Écriture déclare choque l’opinion commune ou frise l’invraisemblable. Il ne

faudrait pas non plus absolutiser la notion de paradoxe. Toujours dans un effort de

compréhension, nous laisserons agir la Parole.

Questions de réflexion

- Selon vous, quelle est la meilleure approche pour étudier la christologie ?

- Expliquez en vos propres termes la christologie d’en haut et la christologie d’en

bas. Quels sont les avantages et les inconvénients de chacune de ces méthodes ?

16 Blocher, pp. 8-9.


12

2. Le discernement de Jésus-Christ dans l’histoire. La révélation progressive par la


Parole de Dieu.

La venue de Jésus, sa mission, ont eu une préparation spéciale. Les Écritures

nous présentent Jésus-Christ comme s’insérant dans une lignée. On peut faire

remonter sa généalogie jusqu’à David, jusqu’à Abraham, jusqu’à Adam. « Sa mission a

suivi une préparation, s’est intéressée dans une lignée (c’est la portée théologique des

généalogies), et s’est déroulée dans la succession de plusieurs étapes17 ».

Dieu préparait son peuple à la venue du Christ. Il fut question d’annonces

directes et indirectes, plus ou moins voilées qui sont faites en avance. Elles se faisaient

dans le contexte de la réalité des hommes de l’ancienne alliance. En les analysant, la

conclusion qu’elles pointaient vers le Christ est plus que lumineuse. Il est intéressant

de noter que les premiers à saluer le Seigneur dans le Nouveau Testament furent ceux

qui attendaient la consolation d’Israël (Lc 2, 25). Pour eux, Dieu préparait quelque

chose de grand pendant l’époque vétérotestamentaire.

2.1. L’orientation du Tanak18 vers le Christ

La loi, les prophètes et les Écrits visaient certes ce qui se passait pour leur

époque, mais regardaient aussi au-delà de leur époque. Le « tanak » visait au-delà des

époques et circonstances de rédaction, un avenir autre : « ce qui était futur pour eux

est advenu en Jésus19 ». Jésus est le Christ, « celui qui devait venir » d’après ces textes

(Mt 11, 3 ss). Dans le judaïsme, il fut toujours question d’une tension orientée vers

celui qui devait venir.

17 Blocher, p. 16.
18Les juifs disent « Tanak » en combinant les initiales des trois rubriques en hébreu, TNK pour Tôra-
Nevi’îm-Ketûvim : la loi, les prophètes, et les Écrits.

19 Blocher, p. 18.
13

C’est dans l’Ancien Testament que les premiers apôtres et chrétiens ont

discerné leur christologie. Berkouwer disait : « il n’est pas anachronique d’appeler

l’Ancien Testament chrétien20 ».

2.1.1. L’affirmation par le Nouveau Testament

Pour les apôtres et les premiers chrétiens, l’attente d’Israël est comblée en

Jésus. « Les méthodes apostoliques d’évangélisation des juifs et d’instruction des

fidèles reflètent la certitude qu’en Jésus-Christ toutes les promesses de Dieu sont Oui

et Amen (2 Cor 1, 20; cf. Rm 15, 8)21 ».

Les évangélistes présentent Jésus qui fait usage de l’Ancien Testament pour montrer

comment qu’en lui toutes choses s’accomplissent :

o Il invoque les trois parties du canon hébreu (Lc 24, 25)

o Il souligne le témoignage de la Loi et des Prophètes (Jn 5, 39,4 6)

o Au début de son ministère, il annonce l’accomplissement des choses

anciennes écrites (Lc 4, 21), le but de sa mission (Mt 5, 17).

2.1.2. Les modalités de la référence

Il y a trois manières de renvoyer à Jésus le Christ dans le Tanak selon le NT :

2.1.2.1. La fonction critique de la loi et des jugements de Dieu dans l’AT.

Nous voyons la loi et les jugements de Dieu qui, «par leur fonction critique »

nous font comprendre que l’ancienne Disposition était foncièrement limitée et ses

insuffisances par rapport au plan total de Dieu pour l’humain devenaient

incontournables. C’est un autre qui apportera « la guérison de l’incurable perversité,

20 Berkouwer, The Person of Christ, p. 13 cité par Blocher, p. 18.

21 Blocher, p. 18.
14

le pardon, le salut22 ». Le Nouveau Testament jetterait un blâme implicite sur l’Ancien

Testament. « En ce sens que l’échec de l’Ancien Testament, dénoncé par les prophètes

et patent dans les faits, est l’articulation entre lui et le Nouveau, la venue de Jésus23 ».

Le rôle de la loi était de nous conduire à Christ. Son mandat était limité. Plusieurs

textes de l’AT présentent Dieu qui annonce qu’il fera toutes choses nouvelles. Par les

catastrophes, il stimule et purifie l’espérance d’Israël. Dieu déracine avant de planter

(Jr 1, 10). La force du peuple saint doit s’épuiser totalement avant que Dieu produise

sa libération (Dan 12, 7).

2.1.2.2. Les événements, les institutions, les hommes, sont des préfigurations du

Christ ou l’ombre des choses à venir, des exemples.

Plusieurs termes sont utilisés en ce sens :

- Tupos (type) (1 Co 10, 6); antitupos pour la réalité figurée (Hébreux 9, 24); skia

(ombre) (La loi était l’ombre des choses à venir : Col 2, 16-17; Hé 8, 5; 10, 1);

hupodeigma (image) : Hébreux 8, 5, parabolè (symbole) : Héb 9, 9. Dans le IVe

évangile, Jésus s’y proclame la vraie manne, la vraie vigne… « Constamment, chez les

prophètes, les choses du passé servent de figures pour les annonces d’avenir (nouvel

exode, nouveau David, nouvel Élie, etc.)24 ».

2.1.2.3. L’Ancien Testament fait référence au Christ sur le mode prédictif, dans des

oracles qui l’annoncent d’avance.

Soulignons que :

- Plusieurs oracles qui sont cités par le Nouveau Testament ne visent pas Jésus de

façon directe ou seulement indirecte.

22 Blocher, p. 19.

23 Blocher, p. 20.

24 Blocher, p. 20.
15

- « Souvent la prophétie est à double foyer25 ». Certains termes ou éléments de la

prophétie ne peuvent se réaliser que partiellement pour l’époque première ou le

concerné immédiat. On soupçonne que l’intention de l’oracle peut aussi le dépasser

(voir 2 Samuel 7).

- « Le Nouveau Testament use du verbe « accomplir » avec souplesse26 » (Osée 11, 1,

Mat 2, 15).

- L’élasticité ne devrait pas faire obstruction à de la pure prédiction directe. Pierre

donne lucidement ses raisons de lire la résurrection dans le psaume 16 :

*Ce texte ne peut pas s’appliquer à David qui est resté dans le séjour des

morts;

*David, auteur, avait le don de prophétie (qui comprend la capacité de

prédire);

*Il l’exerçait dans l’attente consciente du fils promis, ce qui rend encore plus

facile à admettre qu’il a vu d’avance ce qui concerne le Messie (Actes 2, 29-31).

2.1.3. L’objectivité de la disposition

2.1.3.1. L’interprétation christologique n’est pas plaquée « par la foi » sur des

documents qui ne la réclameraient pas eux-mêmes.

Les auteurs du Nouveau Testament ne l’ont pas simplement importé par leur

lecture, sur la base de leur foi chrétienne faisant une falsification indéniable de

l’histoire. Le sens des textes n’est pas changeant comme si les gens du Nouveau

Testament avaient compris une réalité dont la signification serait forcément le

contraire de ce que les auteurs de l’Ancien Testament voulaient communiquer. Pour

les auteurs du Nouveau Testament, il est clair que la réalité du Christ se trouve déjà

25 Blocher, p. 21.

26 Blocher, p. 21.
16

dans l’Ancien Testament. Pour Jean, Abraham a vu le jour de Jésus, et s’est réjoui (Jean

8, 56); Esaïe a parlé de lui quand il a vu sa gloire (Jn 12, 41). Les prophètes ont salué

de loin ce qui concernait le Christ (Hébreux 11, 13; 1P 1, 12).

La croyance dans l’Ancien Testament qui annonce le Christ repose sur la

certitude qui s’intègre dans la souveraineté de Dieu, qui conduit l’infaillible exécution

de son Plan, ou Dessein, pour l’histoire (Eph 1, 11).

2.1.3.2. L’objectivité textuelle du sens christologique dégagé par Jésus et les apôtres

signifie que leur lecture est pour nous normative.

« Pierre, par l’Esprit, n’enseigne pas seulement que Jésus est ressuscité, mais

que David, dans le psaume 16, l’avait prédit, et que le sort de David mort et enterré

exclut qu’on interprète la parole comme accomplie en lui27 ». Si dès le départ, on

écarte le surnaturel, on rejettera la volonté herméneutique de discerner Jésus dans

l’Ancien Testament. Si notre raison est soumise à la révélation de Dieu, on ne

manquera pas de découvrir les grandes lumières de la préparation de la venue du

Christ dans l’Ancien Testament.

2.1.4. L’enjeu de la thèse (la venue du Christ est préparée dans l’Ancien Testament)

2.1.4.1. C’est à partir des paroles de Jésus et de l’Ancien Testament que les disciples

ont compris ce que Jésus était et faisait.

Jésus a expliqué sa personne et son œuvre à partir de l’Ancien Testament.

Remettre cela en question, c’est remettre en question l’interprétation des apôtres de

Jésus, et c’est remettre en question le fondement de notre foi : notre foi se repose sur

l’enseignement des apôtres et des prophètes. La préparation de la venue de Jésus

dans l’Ancien Testament est vérité incontournable pour l’interprétation de la

27 Blocher, p. 23.
17

personne de Jésus. Toutes les dimensions du sens expiatoire de la croix, la rançon

pour la satisfaction de la justice légale se trouvent ainsi solidement fondées.

La préparation de la venue de Jésus-Christ dans l’Ancien Testament garantit

l’historicité de la mission de Jésus-Christ. C’est l’histoire du salut qui se poursuit. Le

Dieu qui travaillait dans l’Ancien Testament poursuit son œuvre dans le Nouveau. Dans

la personne de Jésus, c’est la poursuite de l’histoire du salut. « Il est symptomatique

que les plus dangereux adversaires du christianisme dans l’antiquité […] aient voulu

couper le cordon ombilical entre l’Église de Jésus-Christ et les Écritures confiées à

Israël28 ».

Plusieurs théologiens modernes rejettent le caractère objectif de l’orientation

vers Jésus. Croire cela, c’est croire aux miracles, c’est croire dans un surnaturel

tangible et être forcé d’accepter comme normative la compréhension de la personne

de Jésus selon l’interprétation néotestamentaire basée sur l’AT. On préfère « réduire le

salut à une nouvelle compréhension de soi-même et du monde29 ». Mais si la venue

de Jésus était bel et bien préparée dans l’AT, les prétentions de Jésus et l’explication

des apôtres de la personne et de l’œuvre de Jésus s’imposent.

2.1.4.2. « L’orientation de l’Ancien Testament vers Jésus constitue, enfin, un argument

apologétique30 ».

Blaise Pascal disait : « La plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les

prophéties31 ». Les premiers apôtres utilisaient beaucoup la correspondance entre les

textes de l’AT et les événements de la vie de Jésus pour démontrer qu’il était le Christ

(Ac 17.2, 3,11; 18.28). « L’école catholique d’autrefois allait jusqu’à s’appuyer sur le

28 Blocher, p. 24.

29 Blocher, p. 24.

30 Blocher, p. 25.

31 Blaise Pascal, Pensées, no 706 cité par Blocher, p. 25.


18

calcul des probabilités : la combinaison des traits prédits et attestés dans l’histoire du

Christ n’aurait qu’une chance sur 1020 d’arriver par hasard32 ».

Dans les milieux académiques, on prête peu attention à cette approche. On n’est

d’ailleurs pas loin de la tourner en dérision :

o « L’étude scientifique des textes a montré, estime-t-on, un sens littéral

bien différent.

o La prophétie est une proclamation de la Parole de Dieu liée à sa

situation historique.

o L’ambiguïté et l’obscurité des prophéties, qu’au moins Pascal prenait en

compte empêchent de les faire servir à la preuve33 » .

RÉPONSES

Relativement à la troisième objection, on peut répliquer que « les textes

s’éclairent mutuellement, que leur témoignage s’affermit cumulativement34 ». Quand

les textes sont considérés ensembles dans un contexte plus large, l’ambiguïté et

l’obscurité s’estompent. On ne peut ignorer les deux premières objections. Toutefois,

nous précisons que l’étude dite « scientifique » des textes est loin d’être impartiale et

ses résultats sont changeants. Il faudrait se rappeler que dans les cercles académiques

actuels, en général, on ne croit pas au miracle de l’inspiration. De plus, les résultats

des études « scientifiques » actuelles changent avec le temps. Il faut faire la critique de

ces résultats en recourant aux travaux de l’école évangélique, non moins

« scientifique ». Quant à la deuxième objection, soulignons que si le message du

32 Blocher, p. 25.

33 Blocher, p. 25.

34 Blocher, p. 25.
19

prophète s’adressait à son époque, dans le plan de Dieu rien n’oblige qu’il s’y

emprisonne.

2.1.4.3. La fidélité aux Écritures nous conduit plutôt à applaudir le miracle dans les

correspondances mises en lumière, et à y reconnaître un sceau d’authentification.

Nous nous empressons de souligner qu’à cause du langage des prédictions,

« l’argument persuasif sera d’ordre esthétique plutôt que mathématique35 ».

2.2. Les indices repérables

Comment persuader quelqu’un que l’Ancien Testament visait vraiment Jésus?

Quels en sont les indices dans l’Ancien Testament ?

2.2.1. La place des prédictions.

- En lisant l’AT, on ne peut nier qu’il y a une attente. L’AT regarde vers quelque

chose de grand et qui est à venir. Dans la loi et chez les prophètes, il est clairement

question de promesses. Certains auteurs comme J. Barton Payne pensent qu’il y

aurait 28,5% de texte prédictif dans l’AT. Que l’on remette en question l’ordre de

grandeur, il est non discutable que dans l’AT les promesses occupent une place

importante. « Chacun sait que Moltmann a pu faire de la promesse le ressort de toute

l’histoire biblique36 ».

À partir de la décadence royale, on s’attend à ce que l’avenir annoncé soit

radicalement nouveau, « d’une nouveauté bouleversante », pour citer Blocher. Les

événements à venir seront d’une magnitude supérieure comparés à ceux qui étaient à

la base de la fondation d’Israël.

35 Blocher, p. 25.

36 Blocher, p. 26.
20

- Précisons que le fait qu’il y ait tous les indices d’une ardente attente ne prouve pas

qu’elle visait le Christ. Quelque chose avant le Christ ou après le Christ aurait pu être

visé.

- Toutefois en prêtant une attention soutenue à l’histoire, on se rend compte qu’avant

le Christ, il n’y a eu aucun événement qui ait pu répondre aux attentes de l’AT.

Deuxièmement, l’événement du Christ répond admirablement aux prophéties de l’AT

et il épuiserait la majorité des prophéties le concernant.

- « Les attaches historiques des oracles rendent invraisemblable un accomplissement

encore à venir37 ». Selon la prophétie de Daniel, c’est au temps du IVe empire (Rome)

que le Royaume éternel doit arriver (Daniel 2 et 7). Le Christ est venu sous l’empire

romain. Le ministère de Jésus se fera dans le cadre de la gloire du Second Temple.

Quand il prédit le séisme final, Aggée ajoute que la gloire du Second


Temple (si pauvre et piètre alors aux yeux de ceux qui avaient vu le
premier) surpassera celle du Temple de Salomon : car c'est là que
Dieu donnera la Paix, substance des biens messianiques (Ag 2, 9 ; cf.v.
2). Or ce Temple, matériellement agrandi et embelli par Hérode, a été
détruit par les Romains en 70. C'est lui qui a servi de cadre au
ministère de Jésus, et il n'existe plus, (un Temple reconstruit serait un
troisième Temple qui ne pourrait pas intéresser la prophétie d'Aggée,
puisque celleci concerne la comparaison des deux premiers). Ou bien
Jésus a accompli ces oracles, ou bien le Dieu d'Israël a oublié de
veiller sur sa Parole pour l'exécuter... 38

2.2.2. L’insuffisance de l’externe

Il y a une opposition entre les rites externes de l’Ancien Testament et les

réalités intérieures du NT. On aime opposer la circoncision, les sacrifices de l’AT au

37 Blocher, p. 26.

38 Blocher, pp. 26-27.


21

profit de la circoncision du cœur, de l’obéissance et de piété. La circoncision et les

sacrifices de l’AT doivent être toutefois bien interprétés dans le sens qu’ils visaient

plus. Les rites de l’AT étaient limités. Ils ne pouvaient assurer le pardon des péchés.

Dieu a voulu marquer le statut provisoire accordé au peuple, et indiquer la direction

vers quelque chose de plus grand.

2.2.3. La théologie du Reste

Dans l’AT, nous voyons le fait que Dieu s’intéresse à un Reste. « La théologie du

Reste se développe chez les prophètes écrivains depuis au moins Amos 9, 9, avec des

racines plus anciennes (cf. Gn 45, 7 très significatif et les sept mille de 1 R 19, 18), et

s’épanouit dans le livre d’Esaïe39. » Dieu estime la majorité du peuple n’a pas su garder

ses lois ou ne s’est pas gardée dans ses voies. Il s’est réservé un Reste. Ce Reste hérite

des promesses faites à Israël. « La théologie du Reste représente une critique interne

du système établi de l’Ancien Testament40 ». Elle tend à dépasser les limites d’Israël

car elle s’étend aux païens selon Zacharie 9, 7.

2.2.4. Les dualités d’inachèvement

Constat : Nous voyons souvent dans l’AT qu’il faut un deuxième pour venir

compléter le travail d’un premier. Plusieurs dualités d’inachèvement traversent le

texte.

Analyse : Quand on les étudie, on se rend compte de l’inachèvement du plan de Dieu

dans l’AT. C’est Dieu qui l’a voulu ainsi.

- Moïse et Aaron dans leur mission auprès des Israélites

- Moïse et Josué pour la sortie et l’entrée du peuple en terre promise

39 Blocher, pp. 27-28.

40 Blocher, p. 28.
22

- Deux miracles de passage à pied sec

- Deux éditions des tables de la loi

- David partage sa gloire avec Salomon : David est l’homme selon le cœur de

Dieu, mais c’est Salomon qui construit le temple.

- Le temple fait suite au Tabernacle

- Le temple est suivi d’un second

- Etc.

2.2. Les formes principales de la promesse

Blocher, dans son analyse, accorde une attention aux figures du Christ dans les

annonces (à ses yeux) les plus directes.

2.3.1. La semence et le Prophète

Soulignons que le Christ est encore très voilé dans l’AT. On le discernera sous des

expressions comme la semence ou postérité promise; il sera aussi appelé le Nouveau

Moïse.

2.3.1.1. La semence

Plusieurs passages des Écritures attestent l’attente d’un descendant et à ce titre

Genèse 3.15 mérite bel et bien le nom de ‘‘Protévangile41’’. Edmond Jacob a tout à fait

raison de déclarer : « Nous pensons qu’il y a dans ce texte l’annonce du salut final de

l’homme et par conséquent un « messianisme » qui déborde largement le cadre

national42 ». Christ serait cette postérité de la femme qui écrasera la tête du Serpent.

Dieu veut bénir toutes les nations par la postérité d’Abraham. C’est à travers la

semence d’Abraham, d’Isaac et de Jacob que la bénédiction viendra et atteindra les

41 Message ou récit évangéliques antérieurs aux évangiles (Matthieu, Marc, Luc et Jean).
42 Edmond Jacob, Théologie de l’Ancien Testament, p. 264 cité par Blocher, p. 29.
23

nations de toute la terre (Gen 12, 3; 18, 18; 28, 14). Dans le testament de Jacob

(Genèse 49, 10), la mention du shîloh vient continuer le trait. Jacob prédit que « le

sceptre ne s’éloignera pas de Juda jusqu’à ce que vienne le shîloh43. « Ce fils de Juda

doit être un roi (le sceptre), mais non pas David (car la royauté doit persister en Juda

jusqu’à, donc avant, sa venue)44 ». Il devrait avoir une succession de rois avant le

shîloh. Il n’y avait pas de successions de rois avant David; seulement la royauté de Saül

a précédé la sienne).

2.3.1.2. Le nouveau Moïse

Deutéronome 18, 15,18 annonce la venue d’un prophète « comme Moïse »45.

Ce texte vise plus loin que la série des prophètes de l’AT pour focaliser sur un Envoyé

suprême, nouveau Moïse.

Mais le singulier invite à attendre un personnage particulier, et surtout


la clause de similitude avec Moïse ; aucun prophète de l'Ancien
Testament n'atteint l'ordre d'importance de Moïse libérateur du
peuple, donateur de la Tôrâ, médiateur de l'alliance (v.16), et la
conclusion du livre nous 1e fait justement remarquer :"Il ne s'est plus
levé en Israël de prophète comme Moïse" (Dt 34,10). Ainsi l'ont bien
compris non seulement les Juifs, qui l'ont parfois identifié avec le
nouvel Elie de Malachie, mais même les Samaritains, qui attendaient,
sur la base de ce seul texte, le Tàhév, ou "Restaurateur" (cf. Jean
4,25).46

C’est lui qui rétablira toutes choses ou qui annoncera toutes choses selon la

perception des samaritains de celui qui devait venir. La femme samaritaine l’appelle

Messie parce qu’elle s’adresse à un juif.

43 D’après Ez. 21, 32, les rabbins et le Targoum, shîloh veut dire « celui auquel il appartient ».
44 Blocher, p. 30.

45 Blocher, p. 31.

46 Blocher, p. 31.
24

2.3.2. Le Fils de David

Ce titre va être très utilisé dans le Nouveau Testament pour parler du Christ.

« L'époque royale commence (ou presque) par l'octroi de la charte principale de

l'espérance israélite : l'oracle porté par Nathan à David (2 S 7, 4-16, surtout 12-16).

Comme en Deutéronome 18, on peut distinguer un premier plan, sur lequel la

parole vise la succession des rois de la dynastie davidique, et particulièrement

Salomon.47 ».

« L’accent massif sur l’éternité du règne promis48 » fait comprendre que la prophétie va

au-delà des rois terrestres. Ainsi, l’ont compris les psalmistes et les prophètes. Les

psalmistes et les prophètes ont rappelé la promesse faite à David et vont

progressivement l’enrichir en y apportant des précisions nouvelles dans leurs

présentations du messie royal.

- Esaïe : Règne universel de justice et de paix, conseil d’une sagesse surnaturelle

- Amos 9.11 révèle que le Fils attendu ne viendra qu’après l’écroulement de la maison,

pauvre cabane du grand roi (Cela ferait-il référence à la décadence de Juda. C’est

probablement cela qui a poussé le Rabbi Nahman a appelé le Messie ‘‘fils de la

décadence’’ (traité du Sanhédrin 96b).

- Osée 3.4s : Selon ce passage, « c’est une longue privation, un retour au désert, qui

précédera leur retour à l’Éternel et au nouveau David49 ». Ce texte peut faire référence

à une double période historique : les deux venues de Jésus.

- Michée reçoit une révélation sur le lieu de naissance du nouveau David (car il s’agit

de Bethléem et non pas Jérusalem) (Michée 5, 1).

47 Blocher, p. 31.

48 Blocher, p. 32.

49 Blocher, p. 32.
25

- Esaïe a prophétisé sur le miracle de sa conception (Es 7, 14).

- On attribue « une dignité divine à celui qui doit venir, hors de proportion avec ce

qu’on a dit d’aucun monarque judéen50 » (Es 9, 5).

- Des psaumes développent le rapport filial avec Dieu pour le Fils de David (Ps 2, 7).

David perçoit la supériorité du descendant promis (Psaumes 110). Il l’appelle

étonnamment Seigneur et cite l’oracle qui lui attribue de siéger à la droite de l’Éternel,

c’est-à-dire de partager le règne même de Dieu.

- Les écrits ultérieurs continuent de préciser encore les traits du Messie, du Fils de

David à venir. « Zacharie prévoit l’union en la personne du Messie du sacerdoce et de

la royauté (3, 8; 6, 11-14)51. »

- Zacharie : Le Fils de David (9, 9) sera « le compagnon de l’Éternel (13, 7), le berger en

la personne duquel l’Éternel lui-même peut se dire rejeté (11, 8ss), transpercé (12, 10)

par les siens52 ». Autant de textes qui s’appliquent directement à Jésus dans le NT.

2.3.3. Le Serviteur souffrant

Les textes qui parlent du Serviteur souffrant.

Le Serviteur souffrant d’Esaïe est une nouvelle figure qui est présentée à l’attente

d’Israël. Plusieurs textes d’Esaïe sont à considérer : 52, 13-53,12; 42, 1s; 50, 4-11; 51,

16; 48,16.

Qui est le serviteur souffrant?

Il n’est pas la simple représentation littéraire d’Israël, ou de son élite. Il a une

mission à son égard (49, 6) et les contrastes sont aigus, « il est bien Israël (49, 3) mais

50 Blocher, p. 33.

51 Blocher, p. 33.

52 Blocher, p. 33.
26

dans ce sens qu’il remplit lui seul la vocation qu’Israël a trahie, qu’il est lui seul le Reste

du Reste ». Il ne faudrait pas le confondre avec Cyrus, premier instrument de Dieu

pour le nouvel exode. « L’Esprit repose sur lui comme sur le nouveau David (42, 1/ 11,

2) et la même image du rejeton apparaît (53, 2/ 11, 1) ». C’est un serviteur qui « vient

prêcher, souffrir et donner sa vie ».

Le Serviteur est d'abord le nouveau Moïse. C'est comme tel qu'il


dispense sa tôrâ (42, 4), qu'il libère les captifs et les conduit par les
routes du nouvel exode (42, 7 ; 49, 8 ss), qu'il est alliance du peuple
(42, 6 ; 49, 8). Le nouveau l'emporte de beaucoup sur l'ancien : par
l'universalité (42,6 ; 49, 6), et par la mission de souffrance et de mort
qui lui permettra d'expier les péchés des "nombreux" et de justifier les
coupables. La définition de sa mort comme àsam, sacrifice de
culpabilité (53, 10), permet d'incorporer à l'attente la valeur
typologique du système sacrificiel53.

2.3.4. Le Fils de l’homme

Dans le livre de Daniel, il y a une figure spéciale qui mérite d’être considérée.

Après la présentation de la destruction des quatre « féroces empires terrestres », un

autre règne survint : « Quelqu’un ‘‘comme un fils d’homme’’ (kevar enas) s’avance vers

l’Ancien des Jours avec les nuées du ciel et reçoit la domination universelle et sans fin

(7, 13s)54 ». Dans le Nouveau Testament, cette figure prendra le nom abrégé de « Fils

de l’homme ».

Dans l’usage ordinaire, l’expression ferait référence à un être humain, « un

individu appartenant à l’humanité ». Plusieurs spécialistes verraient en ce « Fils de

l’homme » un individu spécial, un « chef et représentant de son peuple ». Selon F.F.

Bruce, il serait même un leader des saints55. Les « quatre bêtes sont quatre rois (v. 17),

chaque royaume est résumé en quelque sorte par son monarque le plus glorieux (le

53 Blocher, p. 35.

54 Blocher, p. 36.

55 F.F. Bruce, This is That, p. 26 cité par Blocher, p. 37.


27

symbolisme relatif au lion, v.4, fait clairement référence à l’histoire personnelle de

Nébucadnetsar racontée au chapitre 4); il est vraisemblable que le royaume opposé

ait aussi un roi56 ».

Il y a un motif théophanique important à remarquer : le fils de l’homme vint sur

les nuées des cieux. « Les nuées des cieux » est un motif de divinité dans la théologie

vétéro-testamentaire. « La venue du fils de l’homme sur les nuées situe son apparition

non dans la catégorie de celles des anges, qui ne sont jamais revêtus de cette dignité

… mais dans celles de Dieu lui-même57 ».

De plus, Daniel nous laisse comprendre que le fils de l’homme ne vient pas de

la terre, « tandis que les bêtes montent de la mer ; une venue avec les nuées peut

suggérer une origine céleste58 ». Le chapitre 2 de Daniel mérite encore considération :

2, 34-35 : la petite pierre qui tient lieu de parallélisme synonymique au fils de l’homme

« se détache sans le secours d’aucune main », c’est-à-dire que son origine réside dans

une intervention divine.

Nous pouvons sans nous tromper affirmer que ce Fils de l’homme, cet Envoyé,

selon qu’il est présenté par Daniel, est divin. La même image se retrouve en Ézéchiel

1, 26. Daniel ne s’écarte pas de l’attente messianique qui traversait les livres de l’AT

avant lui (9, 2 : il ferait référence aux textes de Jérémie). « Le fils de l’homme est donc

bien le roi, sa fonction se recouvre avec celle du Messie, mais en lui donnant le titre

d’homme, l’auteur du livre de Daniel entend détacher le messianisme de ses attaches

nationales en les reliant aux perspectives universalistes de la Genèse59 », et

transmettre par le reste de la vision, la révélation de sa transcendance.

56 Blocher, p. 37.

57 Edmond Jacob, La théologie de l’Ancien Testament, p. 274 cité par Blocher, p. 37.

58 Blocher, p. 37.

59 Edmond Jacob, La théologie de l’Ancien Testament, p. 274s, cité par Blocher, p. 38.
28

2.4. Remarques importantes

2.4.1 L’attente qui traverse l’AT est simultanément attente de l’Éternel, YHWH : « le

salut relève de lui … il vient (Ps 96, 13 ; Es 35, 4 ; 40, 10 ; 62, 11 ; Za 2, 14...), il va

intervenir pour visiter son peuple, et ses ennemis, pour établir son règne et pour

manifester sa gloire. (Du côté de Dieu, il faut le signaler, les textes présentent parfois

l'Ange de l'Eternel, qui parait tantôt se confondre avec lui et tantôt se distinguer)60 ».

2.4.2. L’aporie des dualités est très présente

Les textes nous présentent une tension entre «l'espérance de la Visitation par

l'Eternel lui-même et celle du Fils de David, si on prend les choses rigoureusement.

Elle apparait clairement en Ezéchiel 34, où Dieu promet de venir en personne

remplacer les bergers humains défaillants, puis annonce dans la suite du discours que

David (le Messie) sera le berger du troupeau61 ».

2.4.3. Dans l’AT, les lignes de la promesse convergent mais ne se rejoignent pas

Il y a assez d’indices de l’identité messianique du Serviteur et du Fils de

l’homme, et, « réciproquement de la transcendance mystérieuse du Fils de David62 ».

On s’est donc rendu compte que dans le judaïsme, la tendance a consisté à faire des

lignes vraiment séparées des différents éléments de la promesse. « Le messianisme

davidique a connu un regain d’intérêt aux approches de l’ère chrétienne, plutôt

60 Blocher, p. 38.

61 Blocher, p. 39.

62 Blocher, p. 39.
29

nationaliste et politique, dans la pensée majoritaire63 ». Est-ce cela qui fut à la base

des zélotes ? Cela reste à vérifier.

Le prophète était attendu séparément. « Les prophéties du Serviteur n’ont pas

été comprises dans le sens que nous leur avons trouvé64 ». On ne voyait pas dans la

souffrance du Serviteur une rédemption pour les fautes du prochain. C’est un aspect

qui a complètement échappé au judaïsme. Il semblerait que les sectaires de Qûmran

aient attendu deux messies : un messie sacerdotal, dit d’Aaron et un messie laïc,

‘‘d’Israël’’.

Il faut attendre le Nouveau Testament pour que l’on voie comment toutes les

lignes de la promesse se dirigeaient vers une seule et même personne.

2.5. Le témoignage apostolique

2.5.1. L’énigmatique Yesûa de Nazareth

-Qu’est-ce qu’un historien aurait rapporté au sujet de Jésus ?

En l'an 27 ou 28 de notre ère, la Palestine, toujours prompte à prendre


la fièvre, est en effervescence. Un prophète à l'ancienne, accoutré
d'ailleurs à la façon d'Elie, attire les foules dans le désert de Judée, non
loin des établissements esséniens de Qûmran ; il se présente en
précurseur, et il impose à ceux que touche sa prédication un bain dans
le fleuve, signe dramatique destiné à sceller leur revirement moral et
spirituel, à les marquer pour l'accueil de celui dont Jean préparait la
voie. C'est alors qu'un rabbin non-conformiste de Galilée entre à son
tour en scène. Ce Yeshûa (forme contractée devenue courante du nom
Yehoshua; Josué, transcrit Ièsous en grec et I (ou J)esus en latin)
acquiert en peu de temps une popularité considérable, en combinant
les miracles et l'enseignement itinérant. Il irrite de plus en plus les
autorités de son peuple. Les notables profitent de la conviction de
plusieurs qu'il est le Messie ; ils persuadent les Romains qu'il menace
l'ordre public, la pax romana. Il est supplicié, selon le mode réservé aux

63 Blocher, p. 39.

64 Blocher, p. 40.
30

esclaves et aux terroristes (la crucifixion). Ses disciples prétendront qu'il


est sorti vivant du tombeau le surlendemain...65

-La perception de Jésus par les gens qui l’ont entouré

Les gens ont eu des perceptions différentes, voire même contradictoires de Jésus (Mt

16, 14). Ils reprochent à Jésus d’avoir tenu leur esprit en suspens quant à son identité

(Jn 10, 24). Les gens se butaient à la personne et l’œuvre de Jésus qui faisait cet

avertissement solennel : « Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de

chute » (Mt 11, 6).

2.5.2. L’énigme de l’enseignement

-Jésus ne continue plus son métier manuel de charpentier. Il choisit de devenir

enseignant. Son enseignement suscite l’étonnement (Jn 7, 46) et les questions qui

n’ont pas de réponse évidente. « Il parlait avec autorité et non pas comme les scribes »

(Mt 7, 29). Il fait l’usage d’un seigneurial « Mais moi je vous dis » qui lui donne au

moins rang de nouveau Moïse. Il a recourt à l’Écriture dont il souligne l’autorité; il n’en

conteste jamais l’autorité. Il s’y soumet lui-même et y découvre le chemin tout tracé

pour sa mission.

Il a l’habitude de préfacer ses affirmations d’un double amèn, « En vérité, en

vérité je vous le dis », ce qu’on ne retrouve chez aucun prophète ou rabbin66. C’est une

formule qui remplace le « Ainsi parle l’Éternel » des prophètes. McDonald commente :

« Les prophètes parlaient pour Dieu, il parlera comme Dieu67 ».

-Jésus accompagne son discours de nombreux miracles, surtout de guérisons et

d’exorcismes. C’est un contraste avec Jean-Baptiste (Jn 10, 41, bien qu’il fut le nouvel

65 Blocher, p. 48.

66Selon Guthrie, on retrouverait un emploi liturgique à Qûmran. Cf. Donald Guthrie, New Testament
Theology, Leicester, I. V. P. 1981, p. 282, note 186.

67 H. D. McDonald, Jesus-Human and Divine, Grand Rapids, Zondervan, 1968, p. 58 cité par Blocher, p51.
31

Elie). Pour Christ, ses miracles sont des signes de l’accomplissement des temps (Mt 11,

5). Pourtant, il ne répond pas à la demande d’un miracle des pharisiens (Mc 8, 12). Il

fait des miracles, mais il n’en est pas friand. Pour lui, les miracles ne constituent pas le

chemin qui mène à la foi (Jn 4, 48). Quand il fait un miracle, très souvent, il interdit

formellement la divulgation de la nouvelle.

-Dans son discours public, il privilégie le genre de la parabole. Les rabbins de son

temps le pratiquaient déjà. Mais Jésus les a beaucoup dépassés. C’était une façon

pour lui de mettre en lumière les vérités les plus profondes (Mt 13, 35). C’est aussi un

moyen pour lui de cacher ces vérités aux réprouvés (Mt 13, 10-16). On comprend

qu’au sujet de la compréhension du mystère du royaume et de lui-même, cela prend

une révélation de Dieu. Sans la révélation de Dieu, le voile subsiste.

-Dans l’enseignement de Jésus, il y a une prépondérance qui est accordée à l’annonce

du royaume de Dieu. Les synoptiques mettent clairement cela en évidence. « Le

Royaume ou Règne de Dieu comprenant le déploiement de sa miséricorde envers les

hommes, les pécheurs et les ‘‘petits’’ particulièrement (accent marqué chez Luc sur la

compassion pour les pauvres). Jésus fait figure de prophète, de héraut de ce futur

proche, après Jean et comme lui (comparer Mt 3, 2 et 4, 17)68 ».

Le lecteur attentif découvre des choses étonnantes : « La venue du royaume

paraît tantôt future et tantôt réalité déjà présente69 ». Ce qui vient choquer et troubler

les disciples, « Jésus mêle progressivement aux promesses de règne et de triomphe,

la prédiction du rejet, des souffrances, de la mort70 ». Pierre en sera scandalisé (Mt 16,

22).

68 Blocher, p. 51.

69 Blocher, p. 51.

70 Blocher, pp. 51-52.


32

Ce qu’aucun prophète avant lui n’a fait : « Jésus introduit sa propre personne dans le

message qu’il porte71 ». Cela est fait toutefois avec discrétion. « L’entrée dans le

Royaume se décide par rapport à lui (Mc 8, 38s; Mt 7, 21ss), il en dispose en faveur

des siens (Lc 22, 29)72 » avec la même autorité que celle du Père. Il attribue les clés du

royaume comme il veut (Mt 16, 19). C’est en lui que le royaume est déjà présent (Mt

12, 28; Lc 17, 21). Selon le fameux mot d’Origène, il est l’autobasiléia, le Royaume en

personne.

Au sujet de la grâce, c’est lui qui la communique. Il a le pouvoir de pardonner

les péchés (Mc 2, 10). Il porte le salut chez les publicains et autres gens déconsidérés

(Lc 19, 9). Jésus ne fait pas que prêcher, il se prêche lui-même, avec une autorité si

naturelle et surnaturelle. Là encore les gens se demandent : mais qui est cet homme

qui se prêche lui-même ?

2.5.3. L’énigme de la personnalité

Si nous voulons cerner la personnalité de quelqu’un, il faut l’entendre parler, le

voir agir, réagir, observer ses attitudes, ses relations, etc. Quand on a affaire avec

Jésus, en l’observant, en le contemplant, toute notre petite psychologie s’écroule.

« Chez Jésus des traits se combinent qui paraîtraient, chez un autre,

contradictoires73 ». Jésus fait l’expérience intime de la communion avec Dieu, et son

Dieu est celui de l’AT. Plus l’humain s’approche de Dieu, plus il prend conscience qu’il

n’est rien. Cette règle qui se confirme dans l’AT, est une règle de la piété biblique.

Jésus par contre ne laisse jamais deviner le moindre sentiment d’indignité dans la

présence de Dieu. Il fait l’expérience intime de la communion avec Dieu sans éprouver

la moindre indignité en sa présence.

71 Blocher, p. 52.

72 Blocher, p. 52.

73 Blocher, p. 52.
33

Nous le voyons mettre les standards moraux à leur plus haut niveau, et du

même souffle, il montre une compassion sans pareille pour les plus bas tombés; il

accepte l’hommage d’une prostituée. Il est en colère contre le péché, et il fait preuve

d’une miséricorde absolue pour les pécheurs.

Il a une rigueur morale absolue, mais il ne vit aucun ascétisme. Il mange bien. Il

va dans les fêtes. Il fait même bonne chair avec les parvenus de l’argent malhonnête

(Mt 11, 19; 9, 14).

D’une part, Il fait preuve d’humilité profonde et d’autre part il émet sur son

compte des prétentions exorbitantes. « Jésus donne l’image d’un modèle d’équilibre

et d’humilité, dont la paix intérieure rayonne du récit; quand il dit : « Je suis doux et

humble de cœur (Mt 11, 29) 74 ». On ne remarque rien de faux ni d’outré dans ses

paroles. En même temps, Jésus émet sur son propre compte des prétentions

exorbitantes; sans trop anticiper sur les autres études à venir où nous allons élaborer

sur sa divinité, soulignons quelques autres éléments : les comparaisons que Jésus fait

entre lui et les gloires du judaïsme :

o Il ose se dire plus grand que Jonas (Mt 12, 41)

o Il ose se dire plus grand que le plus glorieux des rois d’Israël (Mt 12, 42)

o Il se dit plus grand que Jacob, plus grand qu’Abraham (Jn 4, 12-13; 8,

51-59).

o Il s’élève au-dessus du temple de Dieu lui-même (Mt. 12, 6).

Est-ce de la mégalomanie? Pour tout autre homme, on serait forcé de dire oui.

« Pourtant, dans le cas de Jésus, ces paroles demeurent parfaitement

proportionnées75 ». L’énigme demeure.

74 Blocher, p. 53.
75 Blocher, p. 54.
34

2.5.4. L’énigme de la référence à soi

-Le Christ ou le Messie

Jésus a manifesté certaines réticences quant à l’emploi du titre de Christ ou

Messie qui est devenu pour lui comme un quasi nom propre. Le NT l’utilise

énormément pour Jésus. Nous l’appelons le Christ, mais Jésus a eu toutefois des

réticences face à ce titre.

Les réticences de Jésus ont poussé certains théologiens comme Wilhem

Wrede à développer la thèse du secret messianique (1901), encore influente

aujourd’hui. « D’après ce critique, Jésus ne se serait ni déclaré, ni pensé le Messie;

l’attribution du titre serait le fait de l’Église, plus tard76 ». Cette hypothèse est très vite

réfutée77 par James Dunn.

Comment expliquer les réticences de Jésus?

Certains auteurs avancent le fait qu’il y a une conviction très répandue chez les

juifs que nul ne peut se déclarer lui-même le Messie, mais seulement être déclaré tel

par Dieu, et le grand-prêtre, après qu’il aura accompli l’œuvre du Messie. Selon

Blocher, cette idée ne trouve aucun fondement dans l’AT et sa présence et sa diffusion

au temps de Jésus ne sont pas prouvées. Au contraire, contre ses adversaires, Jésus a

revendiqué le droit se rendre témoignage à lui-même.

Les réticences de Jésus s’expliquent plutôt comme « un refus d’endosser la

conception courante de la messianité, que la foule et les disciples tendaient à projeter

76 Blocher, p. 54.

77 « Elle ne s'ajuste pas aux phénomènes du texte. L'épisode de Césarée de Philippe, avec Pierre dénoncé
comme "Satan", n'a pas pu être fabriqué dans l'Eglise. L'entrée des Rameaux, à la signification messianique
indéracinable, événement si public et marquant dans les mémoires, a certainement eu lieu. La
condamnation par l'autorité romaine (elle-même présupposée par le mode d'exécution), et l'inscription sur
la croix, exigent que Jésus ait fait figure de prétendant à la royauté messianique. La réponse "Tu 1'as
dit" (Mt 26,64 ; cf.27, 11) est "affirmative quant au contenu et réticente ou circonlocutoire quant à la
formulation". », Blocher, p. 54.
35

sur [lui]78». À partir de la croix seulement le risque de ce malentendu cessait, et le titre

de Messie pouvait être proclamé sur les toits. Matthieu 26, 63-4 : « Le ‘‘tu l’as dit’’

signifie « Je le suis, mais non pas forcément comme tu l’entends » et Jésus ajoute

aussitôt les citations du psaume 110, 1 et de Daniel 7, 13 qui définissent sa

conception de la messianité, et sont pour le grand-prêtre un blasphème.

De même aussitôt après la confession de Pierre, Jésus commence à


instruire ses disciples sur sa mission douloureuse, le contenu de sa
charge messianique, et Pierre refuse de comprendre : il en reste aux
conceptions humaines (Mc 8,27-33). Après la multiplication des pains,
Jésus se dérobe à la tentative enthousiaste de la foule de le faire roi (Jn
6,15), à cause du même décalage. Aux Rameaux, s'il se déclare plus
ouvertement Fils de David par la manifestation qu'il organise, c'est que
la passion est toute proche ; et de toute façon, il marque la nature
différente de sa messianité par la monture humble et pacifique qu'il
choisit. A Pilate, enfin, il donne la réponse précise :"Mon Royaume n'est
pas de ce monde" (Jn 18,36). Il était le Messie attendu, mais non pas tel
qu'on l'attendait. …79

- Le Fils de Dieu

Nous voyons dans le NT que le titre Christ et celui de Fils de Dieu vont de paire

dans plusieurs passages. Le grand-prêtre demande à Jésus s’il est le Christ, le Fils du

Dieu vivant; Pierre précisa qu’il est le Christ, le Fils du Dieu vivant; les démons que

Jésus fait taire l’appellent aussi Christ et Fils de Dieu. « S’agit-il d’un simple équivalent

fondé sur 2 Samuel 7.14? Dans la première confession de Nathanaël (Jn 1, 49), on ne

peut guère supposer autre chose80 ».

-Ce titre est fréquent dans les Évangiles NT pour parler de Jésus et très peu utilisé par

le judaïsme de l’ère chrétienne qui s’est montré fort réservé quant à l’emploi de « Fils

78 Blocher, p. 55.

79 Blocher, pp. 55-56.

80 Blocher, p. 57.
36

de Dieu » pour le Messie : on ne cite guère, antérieurement au christianisme, que trois

fragments de Qûmran.

-Jésus fait preuve de moins de réticences face à ce titre pour lui-même. Même s’il

rejette la publicité des esprits malins, « il se nomme lui-même le Fils (équivalent de Fils

de Dieu), et on l’en accusera (Mt 27, 43; Jn 19, 7); il accueille l’admiration qui s’exprime

par ce titre (Mt 14, 33), et c’est celui que le Père fait retentir du ciel au Jourdain et lors

de la Transfiguration (Mc 1, 11; 9, 7).

- Pour Jésus, sa filialité avec le Père est unique. C’est pourquoi il évite

de jamais dire "notre Père" avec ses disciples (l'oraison dominicale est
une prière pour eux) : toujours soit "mon Père", soit "votre Père". La
forme 'abbà' que Jésus employait dans la prière était originale -même
si nous ne pouvons pas dire jusqu'à quel degré ; elle a frappé au point
que les chrétiens de langue grecque l'ont conservée, en araméen,
comme màranà'tà' (Rom 8,15 ; Ga 4,6). Contrairement à ce qui s'est
répété ad nauseam, ce n'est pas un mot du langage "bébé", des petits
enfants, mais il paraît bien évoquer le lien familial (alors que le "notre
Père" habituel connote plutôt la dignité, l'autorité, le statut). Jésus
voulait-il indiquer que son lien à Dieu était singulièrement familial,
naturel ? En Marc 13,32, Jésus se range, en tant que Fils, au-dessus des
anges, et dans la parabole audacieuse des vignerons homicides, au-
dessus de tous les envoyés de Dieu qui l'ont précédé (Mc 12,1-12) : la
différence des serviteurs au Fils, spécialement quant à leur lien au
Maître de la vigne, est une différence de nature et non pas de degré.
Jésus semble faire allusion aussi à cette sorte de différence dans sa
question sur le psaume 110,1 (voir surtout la formulation de Mt 22,42 :
"De qui est-il le Fils ?"). Dans le joyau qu'on trouve dans l'écrin de la
"Grande Jubilation", Matthieu 11,27, le Fils n'a pas seulement pleins
pouvoirs et rôle de médiateur : il est avec le Père dans une relation
réciproque, et il est avec le Père d'un côté, les bénéficiaires de la
révélation étant de l'autre !81.

81 Blocher, p. 58.
37

-L’évangile selon Jean va encore plus loin dans la compréhension du titre Fils de Dieu

pour Jésus. Il précisera le fait que Jésus soit de la même essence, de la même nature

que le Père. Il révèle la relation métaphysique ou essentielle qui existe entre le Fils et

son Père qui se traduit par l’unité de leur être (Jn 5, 18; 10, 30 ; 19, 7). Malgré ce que

Jésus dit de lui-même dans ce contexte d’affrontement avec les docteurs du

Judaïsme, la foule se plaint « d’un manque de clarté, et forme des hypothèses

tâtonnantes82 » (Jn 6, 41s; 7, 11, 26,31, 40; 8, 25,48; 10, 24; 12, 34). Certes, les leaders

juifs reconnaissent la portée métaphysique des affirmations de Jésus83, ils n’en

percent pas moins le sens; ils déforment « tout dans le cadre rigide de leur théologie,

les leaders juifs se scandalisent » devant les prétentions de Jésus.

-La sagesse. Ce titre ne fait pas partie des plus connus parmi ceux que Jésus utilise

pour lui-même. En Luc 11, 49, Jésus s’appelle la Sagesse. Le parallèle de Matthieu 23,

34 va dans la même direction. « Cette identification éclaire de nombreux aspects du

ministère de Jésus3. Comme la Sagesse en Proverbes 1-9, Jésus envoie des messagers

; comme elle, il invite les hommes à son banquet (et en Jn 6, la nourriture qu'ils

doivent assimiler est sa propre personne, ainsi qu'il en va de la Sagesse4) ; comme

elle, il doit essuyer le mépris et l'hostilité des pécheurs ; comme elle, il fait son propre

éloge (il n'y a pas d'autre parallèle, sauf les discours en première personne de YHWH),

et promet la vie à qui vient à lui. Toutes ces données pèsent d'un grand poids. Le

concept flou d'une "focalisation" de la Sagesse de Dieu en Jésus ne suffit pas à en

rendre compte. Mais si Jésus, par la sûreté systématique de ses démarches, montre

qu'il assumait en sa personne les traits de la personnification sapientiale, qui a pu le

comprendre du premier coup ? Les indices restaient épars, peu explicites84 ».

82 Blocher, p. 59.

83 Il s’agit ici des affirmations qui vont au-delà de l’expérience ordinaire.

84 Blocher, pp. 60-61.


38

-Le Fils de l’homme. C’est un titre dont s’est servi de façon régulière et sans ambages.

Selon Black, cité par Dunn, « c’est un titre fait pour voiler en même temps que pour

révéler85 ».

Qui est ce Fils de l’homme? Jésus a parlé du Fils de l’homme en référence à Daniel 7,

13 :

Les passages relativement nombreux qui prédisent la future


glorification rappellant cette vision, entre autres la réponse au grand-
prêtre annonçant qu'elle allait s'accomplir "désormais" (Mt 26, 64).
Puisque Jésus l'associe au psaume 110, 1 qu'il a cité dans cette pensée,
Jésus voit sans doute en Daniel 7, 13 la preuve scripturaire de sa
conception autre de la messianité, qui place le Messie tout à côté de
Dieu, sur le même trône (le blasphème pour le sanhédrin !). "Le Fils de
l'homme" prend donc la connotation de la suprême gloire céleste.
L'accent sur l'autorité du Fils de l'homme dans le jugement (Mt 25, 31ss
; Jn 5, 27), et déjà dans son humble ministère (Mc 2,10.27s), s'accorde
avec les résonances divines. C'est la combinaison avec l'humilité qui
intrigue86.

Plusieurs auteurs pensent que Jésus a inclus dans la notion le lien représentatif

avec le « peuple des saints du Très-Haut ». La plausibilité de cette hypothèse paraîtrait

en Matthieu 25, 31 sans être pour autant décisive.

Dans ses annonces de la passion, Jésus parle du Fils de l’homme (Mc 8, 31,

etc.). « C’est le Fils de l’homme qui est venu « pour servir et donner sa vie en rançon

pour une multitude » (Mc 10, 45). On pense que cette influence (souffrance et don de

sa vie du fils de l’homme) proviendrait non de Daniel, mais plutôt d’Esaïe (les chants

du Serviteur). La multitude dont il est question dans Marc 10, 45 est bel et bien celle

d’Esaïe 52-53. On croirait que la souffrance pour les fidèles en Daniel 7 a pu faciliter le

rapprochement, « que nul n'avait fait dans le judaïsme, entre le Serviteur souffrant et le

Triomphateur accompagné des nuées : "C'est là l'oeuvre absolument nouvelle,

85 M. Black, cité par Dunn, « Messianic Secret », p. 13.


86 Blocher, pp. 62-63
39

accomplie par Jésus, d'avoir réuni dans sa conscience ces deux vocations en

apparence contradictoires et d'avoir exprimé leur unité par son enseignement et sa

vie87". Nouveauté que même les disciples ont eu du mal à comprendre !88 ».

Jésus a-t-il associé la notion de pré-existence au Fils de l’homme? Certes

l’évangile de Jean présente clairement le thème de la descente du Fils de l’homme et

de son ascension où il était auparavant (Jn 3, 13; 6, 62). « Nous ferions valoir que cette

"formule quasi technique", répétée, ne se trouve justement chez aucun prophète de

cette façon ; que l'absence de récit de vocation, et le choix de "venir" plutôt qu' "être

envoyé" favorise l'idée d'une venue "dans le monde" (Jn 18, 37); et, surtout, que la

description très ample de l'objet de la venue (Mc 10, 45 :"pour servir") englobe toute

la vie de Jésus, situant du même coup la venue à l'origine de son humanité, avec

préexistence89 ».

2.6. Le seigneur justifié par l’Esprit

Il va sans dire que Jésus fut une énigme pour ses contemporains. Pour les

chefs religieux de son temps, selon la formule de Blocher, la seule façon d’éliminer

l’énigme était de l’éliminer en personne. Mais Dieu l’a ressuscité d’entre les morts.

Les disciples après sa résurrection, et enseignés par l’Esprit vont comprendre que les

fils de l’Ancien Testament se tressaient en Jésus et que c’est en lui que le mystère se

noue ou au mieux se dénoue. Ils arriveront à la conviction que « c’est lui qui est le vrai

accomplissement de toutes les annonces et préfigurations : lui le Messie, le Fils de

l’homme, le Serviteur, la Parole qui donne l’Esprit, la Sagesse90 ». Parmi tous les titres

87Oscar Cullmann, Christologie du Nouveau Testament, Paris / Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1958, p.
139, cité par Blocher, p. 63.

88 Blocher, p. 63.

89 Blocher, p. 64.

90 P. Benoît, « Préexistence et incarnation », Revue Biblique 77, 1970, p. 11 cité par Blocher, p. 65.
40

qui sont utilisés pour Jésus, celui de « Seigneur » paraît le plus central, au moins pour

la première génération.

2.6.1. La portée de la résurrection

-La victoire de Jésus sur la mort, (c'est-à-dire) sa résurrection revêt une importance

cardinale pour la foi chrétienne. Elle fut au centre des premiers discours apostoliques :

« le témoignage de la résurrection éclipse tout le reste91 ». Paul dit clairement : « Si

Christ n’est pas ressuscité des morts, notre foi est vaine, et nous sommes encore, et

sans espoir92 ». Le corollaire est aussi vrai : si Christ est ressuscité, tous les espoirs sont

permis. La grande lumière de la résurrection ne se fait pas dans le vide. Elle vient

éclairer plusieurs faits et enseignements émanant de Jésus. Elle ne peut être

comprise, si on ne la regarde qu’en elle-même et de façon isolée. « Elle appartient

d'abord à un complexe de la glorification comprenant l'ascension (la session à la

droite du Père), les Quarante jours, et l'effusion du Saint-Esprit : l'Esprit est l'Esprit du

Ressuscité. D'autre part, elle ne prend son sens que du rapport avec ce qui précède,

par détermination mutuelle.93 ».

-La résurrection peut être vue dans sa valeur de signe de l’approbation divine. Quand

Jésus fut arrêté, aux yeux du peuple et de ceux qui regardaient de l’extérieur, ce fut le

grand démenti à toutes ses prétentions. « On l’a condamné pour s’être dit le

Messie94 », le Fils de Dieu (avec toute l’implication de la divinité). Il fut exécuté du

châtiment qu’on inflige aux esclaves et aux terroristes. Cette humiliation mettait fin à

toutes les espérances.

91 Blocher, p. 65.

92 Blocher, p. 65.

93 Blocher, p. 66.

94 Blocher, p. 66.
41

Quand Dieu ressuscite Jésus d’entre les morts, il vient casser le verdict terrestre

à son sujet et le confirme comme Fils de Dieu avec puissance et encore là, toutes les

espérances sont permises.

La résurrection de Jésus est aussi la grande victoire sur la mort. Christ ne

ressuscite pas comme Lazare, le fils de la veuve, la fille de Jaïrus, etc. Ces derniers ont

connu de nouveau la mort. Dans le cas du Christ, ce ne fut pas qu’un sursis. « La

qualité de son corps montre que le « Christ ne meurt plus » et qu’il s’agit de la défaite

de la mort95 » de façon décisive. Il a déchiré les filets de la mort et se tint devant nous

comme Prince de la vie et du salut (Ac 3,15; Hé 2.) Il a dépouillé la mort de sa victoire

et de son aiguillon. Il est vainqueur des puissances de l’enfer.

Par sa victoire, la résurrection de Jésus se tient en prémices de la nouvelle

création. Comme il est sorti vainqueur de la mort, tous ceux qui mettent leur confiance

en lui, ressusciteront aussi à leur tour. « (Le symbolisme du Premier jour de la semaine,

c'est-à-dire aussi le huitième ; 1 P 3, 20 et 2 P 2, 5 s'intéressent à ce symbole, et la

valeur numérique de Ièsous, en grec, est 888). Le Prince de la vie est donc pionnier

d'une humanité re-créée, nouvel Adam et dernier Adam. D'autre part, il reçoit les

pleins pouvoirs (Mt 28,18, accomplissant Dn 7,14), dans le ciel comme sur la terre, il

siège sur le trône divin. Il est le Seigneur. En envoyant l'Esprit (qui est lui-même

Dieu !), il confirme encore son autorité divine96 ».

2.6.2. La prédication primitive

L’Église primitive intégrait déjà plusieurs des éléments mentionnés

précédemment. Soulignons quelques autres dignes de mention. La déclaration

principale serait que ‘‘Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez

crucifié’’ (Actes 2, 36). Il faudrait exclure l’idée que Christ serait devenu Seigneur ou

Messie au matin de Pâque. Le texte renvoie à l’intronisation, à l’entrée dans l’exercice

95 Blocher, p. 66.

96 Blocher, p. 67.
42

plénier de son règne messianique pour celui qui était Christ et Seigneur dès sa

naissance (Lc 2, 11).

"Seigneur" est ici lié au psaume 110 (Ac 2, 34s) ; son usage, en tête,
souligne que Dieu a confirmé la messianité céleste revendiquée par
Jésus. Il suggère aussi l'universalité de son empire, en accord avec
Daniel 7, 14 ("roi" s'emploiera davantage pour Israël, et "Seigneur"
pour le monde).3 Dès le jour de la Pentecôte, Pierre rapproche le texte
de Joël 3, 5, avec l'invocation du nom du Seigneur, YHWH, et
l'applique à Jésus-Christ (Ac 2, 21-38 ; cf. Rm 10, 13). Outre le
témoignage de l'historien Luc, les spécialistes donnent beaucoup de
poids à celui de la formule maranatha (màrànà'tà’; Notre Seigneur,
viens !) qui prouve l'emploi du titre Seigneur par le christianisme de
langue araméenne ; on trouve sans doute… on a découvert à Qûmran
deux cas où le mot est utilisé pour Dieu97.

« La certitude de la souveraineté de Dieu (fortement affirmée, Ac 2, 23 ; 4, 28) rend

urgente l'explication de la Croix : pourquoi Dieu a-t-il permis, et, dans un sens, voulu,

la mort ignominieuse du Saint et du Juste ?98 ». La réponse viendra de l’interprétation

des prophéties d’Esaïe à la suite de celles de Jésus lui-même. L’Église primitive

identifiera Jésus au Serviteur de l’Éternel du prophète Esaïe. Le mot serviteur

deviendra un titre pour Jésus (Actes 3, 13, 26; 4, 27, 30). On les voit citer largement le

texte d’Esaïe (Actes 8, 26-40; 1 Pierre 2, 21-25). Jésus paraissait suspect aux yeux de

beaucoup de gens. Dans ces oracles, les prédicateurs de l’Église primitive se sentaient

obligés d’affirmer et de réaffirmer l’innocence parfaite de Jésus et de prouver qu’il est

bien celui qui devait venir : « ils attirent l’attention sur le fruit de la mort de Jésus, le

pardon des péchés gratuitement offert (il y a proclamation plutôt qu’explication), et la

guérison en son nom99 ».

97 Blocher, p. 68.

98 Blocher, p. 68.

99 Blocher, p. 69.
43

Nous voyons les discours des Actes des apôtres référer à Jésus-Christ comme

le Prophète annoncé par Moïse et la descendance d’Abraham (Actes 3, 19-26). En

Actes 7, Étienne le théologien des hellénistes développe le parallèle avec Moïse,

suggérant « la supériorité du Nouveau Moïse autorisé à changer les coutumes

mosaïques 6, 14, par l’instauration du ‘‘modèle contemplé’’, et donc seulement imité,

par le premier législateur100 ».

Étienne dans sa vision finale contemple Jésus qu’il appelle le Fils de l’homme

debout à la droite de Dieu. Dans sa dernière prière, il s’adresse directement à Jésus

qu’il appelle Seigneur (Actes 7, 59-60).

2.6.3. L’approfondissement paulinien

Paul n’a pas inventé la christologie. Il est l’héritier du premier message. Il

précise « son souci déclaré de rester en accord de doctrine avec « ceux qui furent

apôtres avant lui101 » (Ga 2, 2; 1, 17). Nous constatons chez lui la présence de tout un

matériel traditionnel (1 Cor 11, 23ss; 15.3ss; il fait usage de plusieurs formules

antérieures : Rm 1, 3s; Ph 2, 6 ss; 1 Tim 3, 16).

Quelle serait la contribution de Paul? Selon Blocher, Paul lie « en profondeur

les vérités jusque là juxtaposées, et fait apparaître la nécessité ou la convenance de

l’assemblage102 ». Paul établit un lien remarquable entre le Christ et la fin du régime

de la loi. Paul, le zélateur de la loi, avait passionnément saisi et suivi la logique du

principe : ‘‘Celui qui fera ces choses vivra par elles’’103. Selon le système du judaïsme

pharisien, Jésus ne pouvait être autre chose qu’un imposteur. C’est pour cela que Paul

combattait la foi chrétienne avec tant de véhémence. Sa rencontre avec le Christ sur la

100 Blocher, p. 69.

101 Blocher, p. 70.

102 Blocher, p. 71.

103 Blocher, p. 71.


44

route de Damas transforma sa vie et fit écrouler tout son système théologique

pharisien. Paul comprendra que Christ instaure par sa venue un nouveau régime. Ce

régime de la grâce « fait régner une logique radicalement différente. Dès Actes 13,

39, il proclame : ‘‘En lui quiconque croit est justifié de tout ce dont vous ne pouviez

être justifiés par la loi de Moïse’’104 ». Cela est possible à cause du sacrifice de Christ

dont Paul perçoit la nécessité absolue : « en l’absence d’œuvres capables d’obtenir la

justification, c’est le seul moyen d’éteindre les exigences de la loi divine; l’offre du

pardon à la seule foi, déjà prêchée auparavant, s’impose comme la conséquence

logique (cf. Ga 2, 21 pour la rigueur du raisonnement)105 ». Paul comprend donc que

Dieu fait une ouverture extraordinaire aux païens puisque les différences humaines

s’estompent étant donné que juifs et non-juifs sont tous perdus sans le Christ. Tout est

grâce. Christ vint mettre fin à un régime d’œuvres préfiguratives, de circoncision

extérieure et d’Israël selon la chair.

Christ est Fils de Dieu, don de Dieu comme divin sacrifice et Dieu béni

éternellement. Pour être sauvé sans les œuvres de la loi, alors que les exigences

doivent toujours être respectées selon un principe de justice, il a fallu que quelqu’un

d’autre paye à notre place. Dans cette logique, le sacrifice de Jésus ou Jésus le

sacrifice devint pour nous le don de Dieu. Comme don de Dieu, il vint accomplir,

comme Fils de Dieu, ce dont les hommes ont toujours été incapables : la satisfaction

parfaite de la justice de Dieu. Il est don de Dieu pour nous essentiellement en ce sens

là. Dieu nous a donné son Fils pour nous sauver. Paul insiste sur ce titre. C’est lui qui

l’utilise pour la première fois dans le livre des Actes (9, 20); voir aussi (13, 32-33). La

résurrection accomplit la parole d’engendrement du psaume 2, 7. Jésus n’est pas

devenu Fils de Dieu par sa résurrection. Parce qu’il est Fils de Dieu, Dieu l’a ressuscité

d’entre les morts. La même explication vaut pour Rm 1, 4. Paul associe beaucoup

Jésus comme Fils de Dieu, don aux hommes et le coûteux sacrifice que Dieu a

104 Blocher, p. 71.

105 Blocher, p. 71.


45

consenti en la personne de son Fils. Christ est le don coûteux de Dieu à l’humanité

(Gal 4, 4-5; Rm 8, 3). Ce Fils de Dieu pour Paul est de condition divine (Ph 2, 6) et Dieu

béni éternellement (Rm 9, 5).

Christ est chef d’humanité. Pour prendre notre place et nous représenter, il a

fallu que Jésus soit humain comme nous. Il a dû être né d’une femme et sous la loi

(Gal 4, 4), et sans péché personnel. Son humanité est semblable à la nôtre, mais sans

le péché (Romains 8, 3). En parallélisme antithétique avec Adam, « Jésus-Christ

comme Chef d’humanité opère et communique le salut106 ». Nous sommes, soit en

solidarité avec Adam pour la perdition, ou en solidarité avec Christ pour notre salut.

« Ceux qui croient passent de l’allégeance ‘‘en Adam’’ à l’allégeance ‘‘en Christ’’, et lui

sont progressivement conformés – jusqu’à la conformation corporelle de la

résurrection future107 ».

Christ est Seigneur. Paul a tendance à spécialiser ce titre pour le Fils, même

lorsqu’il cite des textes de l’AT ne portant que YHWH dans l’original, à quelques

exceptions près. En faisant cela, Paul nous invite à comprendre que « le Christ a pris la

place du Seigneur de l’Ancien Testament108 » ou le serait à bien des égards. Ce

Seigneur est à côté du Père (pour qui généralement le titre de Dieu est généralement

et non exclusivement réservé).

La nuance de souveraineté paraît importer à Paul dans le choix du titre

« Seigneur » pour le Fils :

o « Il insiste sur le gouvernement qui échoit au Seigneur selon le Psaume

110, 1 (1 Cor 15, 24ss)109 ».

106 Blocher, p. 72.

107 Blocher, pp. 72-73.

108 L. Cerfaux, Le Christ dans la théologie de saint Paul, coll. Lectio Divina, Paris, Cerf, 1951, pp. 352ss,
cité par Blocher, p. 73.

109 Blocher, p. 73.


46

o « Il souligne son autorité sur chaque croyant110 » (Romains 14, 1-11).

Dans ces passages, l’apôtre Paul met en avant la relation du Christ avec le croyant ici

et maintenant, mais aussi en fonction du déroulement de l’histoire

2.7. Le Fils éternel incarné : deuxième phase

Ces vérités au sujet du Christ que nous venons d’énoncer jusqu’à présent

concernaient l’Église dans sa première phase. L’Église absorbait progressivement ses

vérités sur le Christ : le Christ en relation avec les croyants comme Seigneur et

Sauveur et dans le déroulement de l’histoire. C’est surtout l’histoire qui monopolise

l’attention dans la première phase.

Avec la deuxième phase, même si rien ne change dans le contenu de la foi,

l’intérêt se dédouble et se porte vers les questions ontologiques (connaissance de

l’être en soi). On s’intéresse toujours aux dimensions historiques de Jésus Seigneur et

Sauveur, mais l’horizon métaphysique importe, « la fondation dans l’être et dans

l’éternité » s’imposent. Nous précisons encore : dans la seconde phase, « l’histoire

reste objet privilégié de la foi et de la contemplation théologique, mais on se

préoccupe davantage de sa mise en place dans le cadre d’une vision plus vaste, et

des implications ontologiques111 ». On veut fouiller jusqu’aux fondements.

Plusieurs facteurs ont contribué à cet approfondissement de la réflexion

théologique :

- Le facteur polémique. L’Église se devait de lutter très vite contre les hérésies

qui posaient un défi à la foi et a dû non seulement inviter à demeurer dans la

110 Blocher, p. 73.

111 Blocher, p. 74.


47

doctrine, mais aussi mettre en évidence d’autres éléments de vérités

concernant le Christ pour répondre adéquatement aux défis auxquels ils

faisaient face.

- Le facteur apologétique du développement. Les contacts avec la philosophie

ont vu l’Église faire « l’emprunt des outils conceptuels et langagiers des

philosophes112 », pas dans la seule intention de les toucher. Ces outils

conceptuels et langagiers furent une aide dans l’intelligence de la foi. Déjà

dans la première période, nous avons quelques exemples de cela (Actes 17,

26-28, et des tournures de phrases ou des formules comme Rm 11, 36; 1 Co 8,

6).

- Le mûrissement naturel de la méditation. Certes on s’intéressait au début au

sens des événements et de leur liaison. Avec le temps, il fallait poser la

question de leurs conditions de possibilité et le cadre global de leur

déploiement; ainsi s’est imposée la christologie métaphysique.

2.7.1. La célébration du Mystère dans les dernières épîtres de Paul.

2.7.1.1. L’Épître aux Colossiens et aux Éphésiens

Alors que Paul est en prison, il apprend que des hérésies ou fausses doctrines

se propagent à Colosse. Non seulement certains décident d’ajouter des pratiques à

l’œuvre du Christ pour mieux s’assurer de leur justification, mais prêchent d’autres

médiations en vue d’atteindre la plénitude (culte des anges (Col 2, 18), les

principautés et les puissances du monde spirituel).

Pour Paul, « seule une vision étriquée, rétrécie, du Christ rend vulnérable à la

tentation, et qu’en réalité toute plénitude habite en lui. Précisément, la plénitude de la

112 Blocher, p. 74.


48

divinité ou « déité » (théotès et non pas seulement théiotès) réside de façon

permanente ….corporellement en lui (Col 2, 9)113 ». Le croyant a tout en Christ. Il n’a

pas besoin d’aller chercher ailleurs.

Paul précisera que Christ « n’est pas un simple intermédiaire, mais il est la

synthèse du Très-Haut et de notre bassesse, de l’Absolu et de la matière114 ». Jésus-

Christ a l’universelle primauté sur toutes choses (Col 1, 15-20). Dans son épître aux

Éphésiens, l’apôtre Paul abonde dans le même sens mais sans la dimension

polémique. Dans le cadre trinitaire, le mystère du Christ se déploie selon le dessein

éternel de Dieu et se vit dans l’Esprit (Eph 1, 3-14).

2.7.1.2. Les lettres à Tite et à Timothée

Les lettres à Tite et à Timothée font aussi leurs contributions : Le thème du

dessein divin antérieur au monde s’y retrouve (2 Tim 1, 9, Tite 1, 1-4). Christ n’est pas

seulement l’intermédiaire entre Dieu et les hommes (1Tim 2, 5), il est aussi le grand

Dieu béni éternellement (la grammaire grecque et le contexte imposent d’attribuer

théos au Christ, comme en 2 Tim 4, 1; par exemple, nous pouvons dire : ce grand

chanteur et bête de scène, Johnny a été fulgurant…).

2.7.1.3. La théologie raffinée de l’Épître aux Hébreux

L’auteur de l’Épître aux Hébreux va faire l’équilibre entre le point de vue

fonctionnel (l’office sacerdotal du Christ) et le point de vue ontologique (chap 1 et 2)

de la Christologie. L’idée de médiation joue un rôle central (8, 6; 9, 15; 12, 24). « La

supériorité du sacerdoce de Jésus-Christ, forme cardinale de sa médiation et qui se

réalise dans son sacrifice ‘‘plus excellent’’, tient aussi à ce qu’il est : il l’emporte sur les

prêtres lévitiques mortels parce qu’il demeure éternellement (7, 24; cf. v. 16)115 ».

113 Blocher, p. 75.

114 Blocher, p. 75.

115 Blocher, p. 78.


49

Christ est éternel dans les deux sens pré et post (7, 3 : il n’a ni commencement de

jours ni fin de vie). Jésus est aussi le grand-prêtre parfait parce qu’il fut en tout

semblable à ses frères, éprouvé ou tenté comme eux (2, 17 s; 4, 15).

La supériorité de Jésus comme Médiateur par excellence et au-dessus des

anges est clairement établie. Si l’auteur parle sans équivoque de la nature humaine du

Christ, il ne laisse aucun doute quant à sa nature divine qu’il proclame avec puissance

au chapitre 1 établissant Jésus comme supérieur à tous les autres médiateurs : les

anges, Moïse, les sacrificateurs, etc.

Via sa nature humaine, il noue un lien de solidarité fraternelle avec nous. Et sa

nature humaine et sa nature divine sont fortement soulignées. Jésus est le Prophète-

Fils, le Révélateur suprême et final, le reflet de la gloire de Dieu et l’empreinte

(charactèr en grec) de sa personne.

2.7.1.4. Le témoignage du théologien

La tradition chrétienne a donné à Jean le surnom de « Théologien ». Ses écrits

s’intéressent le plus profondément au mystère de la Personne. Sa christologie part du

commencement absolu à la fin dernière, « christologie de l’Alpha et Oméga ».

L’histoire de Jésus sur terre serait « un chapitre de la vie de Dieu ».

-Jésus est le Logos-Fils

o Pour les grecs, le logos fait référence à l’idée stoïcienne de la Raison

cosmique et divine qui donne sa cohésion au monde;

o « Le judaïsme hellénisé d'Alexandrie, représenté avec éclat par Philon,

avait opéré la synthèse de la conception stoïcienne, du monde des

idées de Platon, et de figures qu'on pouvait croire intermédiaires entre

Dieu et le monde dans l'Ancien Testament, la Sagesse, la Parole de

Dieu, l'Ange de l'Eternel, etc.;


50

o « Le Logos philonien, "personnifié" avec insistance, tantôt présenté

comme intermédiaire métaphysique inférieur à Dieu, tantôt comme

Dieu pour autant qu'il se laisse connaître, pourrait être à l'arrière-plan

de la christologie (différente) de Jean 1.116 ».

o En appelant Jésus le logos, Jean « embrasse dans son prologue la

création et la rédemption, l’ontologie et l’histoire. Et il jette un pont

inter-culturel entre les Juifs et les Grecs117 ».

- Jésus est le Fils de l’homme

Jean rapporte onze utilisations par Jésus du titre Fils de l’homme pour lui-

même. La foule lui attribue le titre une fois (Jn 12, 24) ; ce qui fait douze usages du

titre pour Jésus. Le titre « s’associe d’une part à l’exercice du jugement, à la

souveraineté accordée par le Père (cf. Dn 7, 13s) et d’autre part à la préexistence et

descente du ciel ( p. ex. Jn 3, 13; 5, 27)118 ».

« L’Apocalypse (1, 13ss) emploie le langage de Daniel, et le plus frappant, dans

sa description du Christ-Fils de l’homme, c’est l’attribution au Fils de l’homme de

certains traits de l’Ancien des Jours! Témoignage puissant sur leur identité d’être !119 ».

- Jésus est Fils de Dieu

Fils de Dieu ou Fils apparaît extrêmement important pour Jean (21 fois dans la

seule 1ere épître). C’est l’élaboration la plus riche et la plus caractéristique du

johannisme. Ce qui concerne le Fils de Dieu ou le Fils et son rapport au Père revêt une

importance capitale pour Jean. Jean veut exprimer « la relation métaphysique ou

116 Blocher, p. 82.

117 Blocher, p. 82.

118 Blocher, p. 83.

119 Blocher, p. 83.


51

essentielle entre Jésus et son Père…120 ». Jean veut nous laisser comprendre que

« Jésus est le Sauveur particulièrement à cause de sa relation métaphysique à Dieu (Jn

11, 41; 12, 27; 17, 1)121.

L’Évangile

o soulève souvent la question de l’origine : d’où est-il? (cf. 7, 27s; 8, 14; 9,

29; 19, 9);

o multiplie les déclarations sur sa venue « du ciel » ou « de » Dieu;

Pour indiquer la différence qualitative entre les hommes nés de l’Esprit par

grâce et Jésus, Jean réserve à celui-ci le nom de Fils (huios) et appelle ceux-là

« enfants » (tekna) de Dieu. Il ajoute plusieurs fois à « Fils » le qualificatif de monogénès

(seul engendré).

Les « JE SUIS » de Jésus ne font pas que rappeler la réalisation en sa personne

la réalité d’autrefois, à savoir la manne, la vigne, etc., mais proclament aussi et surtout

sa divinité (Jn 8, 58). Jean nous apprend que les juifs étaient scandalisés par ses

déclarations d’unité de Jésus avec le Père122.

L’Apocalypse n’a pas une idée moindre de Jésus. Il reçoit l’adoration

« énergiquement refusée aux anges ». Le Seigneur est identiquement le Premier et le

Dernier avec le Père (Ap 1, 8; 22, 13; dans le titre divin, ‘‘Celui qui vient’’ ne peut guère

se rapporter qu’au Fils, dont l’Apocalypse annonce la Venue). Jean prend aussi le

temps de souligner l’humanité du Fils de Dieu, peut-être plus que tous les autres

évangélistes :

o L’incarnation prend une bonne place dans sa réflexion

120 Blocher, p. 83.

121 Blocher, p. 83.

122 Cf. Blocher, p. 84.


52

o L’œuvre de salut est le but de sa mission : donner sa vie pour l’humanité

(Jn 12, 27; 16, 21

Jean souligne aussi l’œuvre propre et la dépendance du Saint-Esprit par

rapport à Jésus. La christologie est inscrite dans une vision trinitaire. Si Jean est le

théologien, il est aussi Jean le témoin. Le Nouveau Testament ne dissocie jamais

l’histoire de la métaphysique : ce que Jésus a fait ne saurait se dissocier de ce qu’il est

et vice versa. Ainsi la doctrine de la Personne nous renvoie à la Personne elle-même et

encore vice versa.

Questions de réflexion

- Résumez en vos propres termes la préparation de la venue du Christ dans

l’Ancien Testament.

- L’Ancien Testament parle de « Celui qui doit venir » en termes de « semence »,

« prophète », « nouveau Moïse », « Fils de David », « serviteur souffrant », « Fils

de l’homme »… Choisissez deux de ces titres et prouvez qu’ils s’appliquent à

Jésus-Christ en vous appuyant sur le Nouveau Testament.

- En quoi la conviction selon laquelle Jésus est le Messie promis dans l’Ancien

Testament et confirmé dans le Nouveau Testament influence votre relation

personnelle avec Dieu ?

3. La constitution de la personne : les deux natures de l’unique Fils

Au cours de l’histoire de l’Église, il y eut plusieurs attaques contre la doctrine

du Christ. Les premiers leaders ont dû s’efforcer de formuler de grandes affirmations

christologiques, certaines plus équilibrées que d’autres, mais répondant toujours au

défi de leur temps et nous laissant en même temps un héritage théologique et un défi

de réflexion à poursuivre.
53

3.1. La divinité de Jésus-christ : preuve biblique

Déjà au début du 2e siècle, en l’an 111, la lettre du gouverneur de Bithynie

Pline le jeune présente les chrétiens comme ceux qui chantent ‘‘un hymne à Christus

comme à un dieu’’123. Ces chrétiens ont compris que la divinité du Christ est la

première vérité de son être qui mérite d’être confessée.

L’ancienne dogmatique (du luthérien Quenstedt) distinguait entre

- les arguments onomastiques (les noms divins)

- les arguments idiomatiques (les propriétés des natures et attributs divins)

- les arguments énergétiques (energein : opérer – les opérations ou œuvres

divines)

- les arguments latreutiques (latreuein : rendre un culte ou les honneurs divins).

3.1.1. Les noms divins

-Dieu. Nous précisons que le terme theos est beaucoup plus utilisé pour le Père que

pour le Fils. Toutefois, le témoignage des Écritures à cet effet est on ne peut plus clair.

Plusieurs passages importants vont utiliser ce nom pour Jésus qui le reçoit :

o Es 7, 14 cité par Mt 1, 23 ou Es 9, 5

o Jn 1, 1 qui remonte plus haut que la Genèse précise le statut de Dieu du

Fils au même titre que le Père. Le logos éternel est Dieu avec Dieu.

o On a tenté de réduire l’argument en jouant sur l’absence de l’article.

On croirait que Théos (Dieu) serait moins fort que ho Théos (Dieu avec article).

Cette distinction n’apparaît pas dans le Nouveau Testament : Jean 1, 18 parle de Dieu

le Père, mais n’utilise pas l’article. « En accolant ‘‘Dieu’’ et ‘‘vers (auprès de) Dieu’’, Jean

123 Pline le Jeune, Ep. 96 à Trajan, cité par Blocher, p. 148.


54

se montre très conscient du paradoxe de la différenciation au sein du Dieu

unique124 » :

▪ La Parole était Dieu

▪ La Parole était avec Dieu

▪ Dans Jean 1.18 : certaines versions ont « Dieu le Fils unique ou le

seul engendré… »

o La confession de Thomas que Jésus reçoit : Jean 20, 28

Actes 20, 28 : Alors que plusieurs manuscrits ont Seigneur, mais la critique textuelle

doit donner l’avantage à la leçon la plus difficile (Il est peu probable qu’un scribe ait

voulu introduire Dieu dans le texte pour signifier que Dieu a acquis l’Église par son

sang).

Romains 9, 5

Dans ses derniers écrits, Paul appelle plus souvent Jésus-Christ Théos (Dieu) dans des

formules composées qu’il semble alors goûter. Le texte le plus frappant est Tite 2, 13.

Tite 2, 13

« Un seul article étant employé pour les deux noms, il faudrait supposer une entorse à

la grammaire grecque pour ne pas appliquer ‘‘grand Dieu’’ à Jésus-Christ : … c’est

Jésus-Christ qui est notre espérance et dont nous attendons l’apparition glorieuse (cf.

2 Tm 4, 8)125 ».

2 Pierre 1, 1 : (la même règle de l’article s’applique aussi ici).

Hébreux 1, 8 : L’auteur de l’épître aux Hébreux, témoin d’une christologie bien mûrie

applique au Christ le titre de Théos, avec article, dans la citation qu’il fait du psaume

45 (Hé 1, 8s).

124 Blocher, p. 151.


125 Blocher, p. 153.
55

-Fils de Dieu : (Fils dans le sens de celui qui partage l’essence; Fils dans le sens

naturel. Les ennemis de Jésus avaient bien compris que Jésus se disait Dieu quand il

se disait Fils unique de Dieu)

-Seigneur : C’est plus qu’une simple marque de respect appliquée à Jésus. Il rappelle

le YHWH de l’Ancien Testament126.

- « JE SUIS » Les attributs divins : Les attributs de l’essence divine, les qualités ou

propriétés que Dieu possède, appartiennent à Jésus-Christ. « En lui réside toute la

plénitude de la divinité » (Col 2, 9). Le Père et lui sont un seul être, une seule essence

(Jn 10, 30). Il faut faire une distinction entre les attributs dits moraux et communicables

et les attributs non communicables. C’est sur la base des attributs non communicables

que l’on peut prouver la divinité du Christ. Citons deux exemples :

- L’éternité (Jn 8, 58 et Hé 1, 10-12; Jn 1, 1 et Hébreux 13.8 suggèrent la même

pensée)

- L’omniprésence : L’omniprésence requiert la divinité et Jésus se l’attribue (Mt 18, 20;

28, 20; Ep 1, 213 et 4, 10 en lien avec Jr 23, 24)

3.1.2. Les œuvres divines

- Le pardon des péchés (Mc 2, 7-10).

- La création dans la Bible est l’œuvre exclusive de Dieu (Es 40, 14). Jésus est le

créateur de toute chose (Jn 1, 3s ; Col 1, 16s Hé 1, 2s).

- Le salut dans l’Ancien Testament relève fondamentalement de YHWH. C’est lui qui

rachète son peuple. Dans le Nouveau Testament, l’auteur du salut éternel est Jésus (2

Cor 5, 19). Si Jésus n’était pas Dieu, notre garantie du salut serait limitée. Car

seulement Dieu peut nous faire connaître Dieu et nous assurer en Dieu. Si Jésus n’est

pas Dieu, alors qu’il donne sa vie pour nous sauver, le Père et lui doivent se partager la

126 Cf. Blocher, p. 162.


56

gloire du salut. Si Jésus-Christ n’est pas Dieu, Dieu ne nous a pas démontré le plus

grand amour. Il n’est pas venu lui-même. Il ne connaît pas l’amour sacrificiel. En effet,

Dieu est amour et a aimé de façon sacrificielle (1 Jn 4, 8; 5, 20).

3.1.3. Les honneurs divins

Le Dieu de la Bible est un Dieu jaloux. Il ne laisse pas de rival usurper une

fraction de sa gloire, et condamne tout culte offert à un autre. Il est assez significatif

que Jésus reçoive les mêmes gloires que le Père (Jn 5, 23).

Il reçoit les mêmes honneurs que le Père

À lui s’adresse l’adoration (Matthieu 14, 33; Jn 20, 28; Hé 1, 6). Apoc 19, 10

nous montre que même les êtres célestes glorieux refusent l’adoration.

À lui s’adresse la prière. On ne prie que Dieu seul. On trouve les chrétiens qui prient

Jésus en certaines occasions (Actes 9, 14, 21; 1 Co 1, 2; Actes 7, 59).

3.2. L’humanité du Christ : preuves bibliques

3.2.1. Les déclarations expresses

- Jean-Baptiste (Jn 1, 30)

- Les apôtres

- (Actes 2, 22; 1 Tm 2, 5)

- Paul développe le parallèle antithétique des deux hommes chefs d’humanité (1Cor

15, 21, 45, 47).

- Le titre « Fils de l’homme », malgré les résonances divines qui l’entourent en Daniel,

son origine céleste et non de la terre – points que nous avons déjà beaucoup
57

accentués – l’idée d’humanité n’est pas exclue. Jésus est l’homme127 par excellence »,

l’humanité réalisée selon Dieu.

3.2.2. L’attribution de la nature humaine

- « C’est le mot chair (sarx en grec) qui sert surtout pour la notion de nature humaine ».

- Lorsqu’on parle du Christ homme, il est question de la nature humaine dans sa

totalité et non pas seulement d’une composante temporelle.

- Connotations du terme

*Appartenance au monde

*Faiblesse créaturelle (plutôt limite créaturelle) et non faiblesse morale

*Vulnérabilité et sensibilité

*Solidarité familiale (« basar » : chair en hébreu, évoque souvent la parenté, la

consubstantialité humaine : « tu es mes os et ma chair » signifie ‘‘tu es

homoousios à moi’’).

*L’association avec le péché n’est pas un trait constant et seuls quelques

passages frappants de Paul font l’amalgame des deux notions, mais jamais

pour ce qui concerne le Christ.

3.2.3. Les traits spécifiquement humains

-Jésus procède d’une lignée humaine

*De la postérité de David (Galates 3, 16);

*Fils de David (Jérémie 23, 5; Matthieu 21, 9) ;

*Premier-né de Marie (Luc 2, 7) ;

127Les docètes (doketai, de dokein, sembler, paraître) réduisent l’humanité de Jésus à une apparence plus
ou moins inconsistante.
58

*Les patriarches de qui est issu, selon la chair, le Christ (Romains 9, 5)

- Jésus a été soumis aux lois de la croissance

*Luc 2, 52 : Jésus croissait en stature, en sagesse et en grâce.

*Héb 5, 8

*Jésus-Christ a :

- un corps (Jean 2, 21; Matthieu 20, 28; Jean 10, 15,17; Matthieu 26, 26,

28) ;

- une chair et des os (Luc 24, 39) ;

- une âme (Matthieu 26, 38) ;

- un esprit (Luc 23, 46) ;

- une volonté humaine (Luc 22, 42; Jean 5, 30).

- Jésus a agi et subi en homme. Il a connu :

* la faim (Matthieu 4, 2) ;

* la soif et la fatigue (Jean 4, 6) ;

* la pitié (Matthieu 9, 36; 11, 29) ;

* l'amertume et la tristesse (Jean 11, 33, 38; Matthieu 26, 38; Jean 13, 21; 12,

27);

* la colère (Matthieu 21, 12-13; 23, 13-36) ;

* la douleur (Jean 19, 29) ;

* la peur et les souffrances (Hébreux 5, 7).

* Il a pleuré (Lc 19, 41; Jn 11, 35).


59

* Il a subi la tentation même, alors qu’il ne pouvait être tenté (Mt 4, 10; Héb 2,

17; 4, 15).

3.3. Précisions dogmatiques

3.3.1. Le Fils de Dieu s’est incarné, il s’est fait homme (Jn 1, 14).

À sa nature divine, s’est ajoutée l’humanité.

3.3.2. Son humanité est sans péché

-Attestation scripturaire

* Son innocence était annoncée (Es 53, 9).

* Il affirme qu’il est sans péché et met ses adversaires au défi de désigner en lui

un péché (Jn 8, 46; 14, 30).

* Les apôtres témoignent qu’il est le Juste sans péché (2 Cor 5, 21; Ac 3, 14; 7,

52; 22, 14; 1 P 3, 18; 1 Jn 2, 1; 3, 7).

* Jésus est irréprochable 1 P 1, 19 sans jamais commettre de péché (Héb 4, 15;

1Jn 3, 5). Il devait être pur pour s’offrir en sacrifice pour le péché. La vie de

Jésus fut une perfection morale. Aucun péché d’action, d’omission, de

tendance ou d’attitude.

-Le problème de la tentation

Hébreu 4, 15 précise que Jésus a été tenté comme nous en toutes choses sans

commettre de péché. On peut à juste titre se demander si Jésus aurait pu succomber

à la tentation :
60

* « Puisqu’il est Dieu et que Dieu est inaccessible au mal (Jc 1, 13), puisqu’il est

blasphématoire d’envisager que Dieu commette le mal128 », la réponse est

inévitablement négative.

*Quel sens conserve donc le combat contre le tentateur si le Christ ne peut pas

pécher? Le sérieux de la lutte (si évident au désert et à Gethsémané) ne

dissout-il pas?

Jésus était de la même nature humaine que nous :

Pour lui, il n’y avait pas de possibilité de péché. Certains théologiens avancent

qu’au sens abstrait, la possibilité de pécher n’est pas exclue de la nature

humaine. Nous pouvons affirmer que la possibilité de pécher pour Jésus ne fut

pas inclue dans le plan de Dieu. « Nos jugements sur le possible (lorsqu'il s'agit

d'événements) ne sont que des supputations faites sur fond d'ignorance,

essentiellement liées à cette ignorance, et accrochées aux caractéristiques

connues des natures : ils n'ont pas davantage de portée métaphysique. Au

sens des caractères de sa nature humaine, Jésus "pouvait" pécher, mais

l'événement était exclu, et ce serait penser dans le vide que l'imaginer129 ».

3.3.3. Le Christ est homme, mais Chef d’humanité comme Adam

-Paul l’appelle « Adam final », le second Adam (1 Cor 15, 45, 47, Rm 5, 12). Comme

chef d’humanité, dans son alliance avec Dieu, il engage les destinées de ceux qui lui

sont solidaires.

-Christ est second Adam ou dernier Adam, procédant directement de Dieu (1 Cor 15,

47; Hé 2, 11). Comme chef et représentant de la race, il a fallu que Jésus « se chargeât

du vieux monde, de la responsabilité de ses frères, prenant chair et sang

128 Blocher, p. 188.

129 Blocher, p. 189.


61

solidairement avec eux, qu’il liquidât le contentieux, pour les conduire ensuite, après

lui, dans l’âge nouveau130 ».

3.4. L’union des deux natures

3.4.1. L’union sans confusion

- Affirmation de l’union parfaite et de la distinction préservée. L’union des deux

natures n’est ni morale, ni physique, elle est personnelle ou hypostatique. Le Fils de

Dieu possède la nature divine et la nature humaine.

- Constitution de Jésus-Christ : deux natures, une personne, deux volontés, etc.

* Deux natures distinctes

* Une personne. Jamais, Jésus ne dialogue avec le Fils, comme il le fait avec le

Père. Relatif au Christ, Il est question de lui au singulier. Il dit « je » et non

« nous ».

*Deux volontés : la prière de Gethsémani le prouve (Mt 26, 39). Christ a une

volonté humaine et une volonté divine.

- Activités, science et conscience du Christ

*Activités. « Les actes sont de la personne par la nature : le sujet agit en mettant

en œuvre ce qu’il est131 ». On distinguera deux opérations dans le Christ en

130 Blocher, p. 193.

131 Blocher, p. 201.


62

considérant les principes mis en œuvre. La formule d’opération théandrique132

a le sens d’« une action ou une œuvre complexe obtenue par le concours ou la

coopération des deux activités du Christ133 ». Quand le Christ agit, c’est

l’homme Dieu qui agit. Toutefois, une action théandrique peut faire appel à

l’une des deux natures ou des deux en même temps. Actions théandriques au

sens large et faible : elles relèvent des capacités d’une seule des deux natures.

Actions théandriques au sens fort et strict : elles sollicitent les capacités des

deux ensembles : la guérison de l’aveugle par l’application de la boue.

Calvin disait que « tout ce qui concerne l’office de Médiateur n’est pas

simplement dit de la nature humaine, ni de la nature divine134, mais de la

personne composée135 ».

-Sciences du Christ

132 Le terme « théandrique » vient de deux mots grecs : « Théos » qui veut dire Dieu et « andros » qui
signifie homme. Le terme en lui-même signifie du point de vue étymologique « divino-humain ». Il a été
initialement utilisé par un théologien du Ve siècle ap. J.-C. connu sous le nom du Pseudo-Denys
l’Aréopagite. C’est dans une de ses lettres au moine Gaïus qu’il s’est exprimé sur les actions théandriques
de Jésus-Christ. Il y dit que Christ n’était ni homme, ni non-humain. Bien qu'étant humainement né, il était
de loin supérieur à l'homme, et tout en étant au-dessus des hommes, il est cependant devenu vraiment
homme. Ce n’est pas en vertu du fait d’être Dieu qu’il a accompli des actions divines ou en vertu de ce
qu’il était homme qu’il a accompli des actions humaines, mais en vertu du fait d’être « Dieu fait homme »
qu’il a accompli quelque chose de nouveau parmi nous. Il s’agit des actions théandriques, c’est-à-dire en
tant que Dieu-homme. Somme toute, selon le Pseudo-Denys, l’action du Christ n’était ni simplement
humaine, ni simplement divine, mais divino-humaine ou théandrique. La difficulté avec cette théorie réside
non pas dans les affirmations de l’auteur, mais plutôt dans leurs implications par rapport à la nature de
Jésus-Christ qui semble être réduite à son interprétation monophysite. C’est la raison pour laquelle
plusieurs conciles locaux dont celui de Latran (649) n’ont pas hésité à condamner l’unique action
théandrique de Jésus-Christ pour privilégier ses deux opérations (humaine et divine). Cf. « Epistola IV »,
PG 3.1072, trans. Colm Luibheid, in Pseudo-Dionysius: The Complete Works, Classics of Western
Spirituality, New York, Paulist, 1987, 265. Voir aussi Coffey, D., « The theandric nature of Christ »,
Theological studies, vol. 60, no. 3, 1999, pp. 405-431; M. Messier, "Theandrisme," Catholicisme hier,
aujourd'hui, demain 14, Paris, Letouzey et Ane, 1996, col. 953-56.

133 Paul Galtier, L'Unité du Christ. Etre,... Personne,.. Conscience, Paris, Beauchesne, 1939, p. 271, cité
par Blocher, p. 201.

134 Calvin, Institution de la religion chrétienne II, 14, 3, cité par Blocher, pp. 201-202.

135 Blocher, p. 202.


63

Il faut distinguer deux sortes de science dans le Christ : une science humaine

et une science divine. Ce qui est clair : L’homme Jésus fait une acquisition de

connaissance (Mc 11, 13). Nous voyons aussi certaines limitations dans la

connaissance de l’homme Jésus (Mc 13, 32).

C’est fondamentalement la distinction des natures qui empêche le savoir divin

d’envahir l’âme humaine de Jésus. La personne du Fils incarné semble s’être abstenue

de recourir à son omniscience divine dans le champ où elle déployait ses caractères

humains.

-Conscience de soi du Christ. Dans sa relation au Père, l’homme Jésus « s’est d’emblée

senti aimé comme étant le Fils par le Père ». Cette conscience immédiate s’est enrichie

par les révélations qu’il a reçues et la méditation des Écritures :

*Étape de cette croissance : Nous voyons Jésus dans le temple prendre

conscience ou exprimer sa conscience de façon forte de sa filialité exclusive

avec Dieu (Luc 2, 46-50).

*Les déclarations du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ».

3.4.1. La kénose

- Tentatives explicatives : le kénotisme selon le sens de se vider

Considérations générales outre les autres arguments :

« l’abandon par le Fils de sa divinité serait le don suprême, le sacrifice

indépassable136 ».

- Objections au kénotisme

* Si le Fils de Dieu, Dieu le Fils a cessé d’être Dieu pendant un certain temps,

voilà un profond changement chez Dieu et Dieu ne change pas, c’est ce que

l’Écriture atteste avec force (Jc 1, 17; Ml 3, 6).

136 Blocher, p. 210.


64

* Dieu ne change pas; sa nature ne change pas. Il est au-dessus des réalités qui

changent (Ps 102, 27s).

Si Dieu ne change pas, il est le Dieu vivant. La vie bouge. Dieu est capable

d’activité, de relation, d’alliance, etc.

* Aimer selon l’Écriture, ce n’est jamais nier sa propre essence, mais c’est

renoncer à son avantage au service des autres.

-La Kénosis selon les Écritures (Phil 2, 7).

*Christ a renoncé à profiter de son égalité avec Dieu (Ph 2, 6);

*Christ s’est défait de sa richesse (2Cor 8, 9)

*Christ a voilé la gloire qu’il avait auprès du Père (Jn 17, 5).

Christ a renoncé à beaucoup de privilèges liés à sa divinité. Christ a vécu sa

condition humaine sans tricher. Comprenons qu’il ne s’est pas amusé à faire des

miracles pour s’amuser ou pour se tirer d’affaires (hors de la volonté du Père).

3.5. La personne et l’œuvre du christ : Les deux états du médiateur

3.5.1. État d’humiliation

Les théologiens ne s’entendent pas sur les moments de l’humiliation consentie

par Jésus-Christ. Le dogmaticien luthérien Hollaz en identifie huit qui vont de la

conception à l’ensevelissement en passant par la naissance, la circoncision,

l’éducation, la vie éprouvée, la passion et la mort137. Blocher quant à lui préfère se

limiter à trois degrés de l’humiliation du Christ en s’appuyant sur des passages

bibliques comme Matthieu 20, 28 ; Galates 4, 4 et Philippiens 2, 7s d’où il déduit la

naissance, le service et la passion138. De toute façon, il n’est pas conseillé de prendre

137 Cf. Dogmatique, IV, 1.


138 Cf. Blocher, pp. 232-233.
65

une position tranchée sur cette question car même Blocher ouvre la voie à un

quatrième degré qui pourrait être la descente de Christ aux enfers.

- La naissance de Jésus-Christ comporte de toute évidence une marque humiliation : Il

est né dans des conditions de grande pauvreté, l’accouchement a eu lieu dans un

endroit peu propice (l’étable); il a souffert la persécution sous Hérode au point où il

fallait s’enfuir en Égypte. Tous ces éléments confortent la thèse que sa naissance est

empreinte d’humiliation, même si on convient pour reconnaître la dimension

miraculeuse de sa naissance.

- Le Service : Dans Lc 22, 27, Jésus fait remarquer à ses disciples qu’il est au milieu

d’eux pour servir. Son service était empreint d’humilité. Il s’est rendu semblable aux

hommes. Il s’est conformé à la coutume de la circoncision pour s’identifier aux juifs

« Lc 2, 21). Il s’est entièrement soumis à la loi même s’il en a constamment réclamé une

autre interprétation. Toujours dans le sens de l’identification aux hommes qu’il vient

sauver, il s’est fait baptiser par Jean-Baptiste. En réalité il n’avait pas besoin de ce

baptême de repentance (Mt 3, 13-17). Son ministère est perçu sous l’angle de la

souffrance : lui-même dit qu’il n’a pas de lieu où reposer sa tête (Mt 8, 20); l’hostilité

contre lui allait croissant dans les rangs des juifs (Lc 4, 29; Jn 8, 59; 10, 31).

- La passion : Les souffrances endurées par Jésus et qui se sont soldées par sa mort

ont atteint une intensité hors du commun. Jésus a récapitulé toute la souffrance

humaine dans sa passion. Sa personne physique, morale et spirituelle a été atteinte

par sa souffrance139. Il est mort de la mort la plus humiliante qui existait à son époque.

Les juifs considéraient comme maudit celui qui était pendu au bois tandis que les

romains réservaient la croix aux plus grands criminels. Sa passion était à la fois totale,

volontaire et pénale.

139 VoirHenri Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, Fac-étude, Vaux-sur-Seine, 1982-83, pp.
109, 148ss.
66

3.5.2. État d’exaltation

- Le Christ recueille le fruit de son œuvre, entre le premier dans le régime nouveau

qu’il a rendu possible.

- Il y introduit les siens à sa suite

-La résurrection. Il ressuscite glorieux.

-L’ascension au Père et la session (exercer le pouvoir). Il est monté au ciel pour

s’asseoir à la droite du Père recouvrant sa gloire originelle. Cela est vécu dans les deux

natures (Ac 2, 33 et Ph 2, 9; Jn 17, 5; Hé 2, 8).

-Le retour ou manifestation. La lumière du Christ ne restera pas cachée à toujours.

« Tout œil le verra, même ceux qui l’ont percé ». Christ se manifestera.

Questions de réflexion

- Vous recevez la visite d’un Témoin de Jéhovah qui vous dit que Jésus était un

prophète mais pas Dieu. Que répondriez-vous ?

- En vous appuyant sur l’Ancien et le Nouveau Testaments, prouvez que Jésus

est parfaitement Dieu et parfaitement homme.

- Pourquoi la double nature de Jésus-Christ est-elle importante pour le salut de

l’humanité ?

4. Bref aperçu de l’enseignement des sectes sur la double nature de Jésus-Christ

Dès l’aube du christianisme, plusieurs hérésies au sujet de l’enseignement et

de la Personne du Christ ont surgi. Les apôtres ont été les premiers à s’opposer

vigoureusement à ces déviations. Le ton polémique de l’apôtre Paul dans son Épître

aux Galates met en relief sa détermination à réduire au silence les judaïsants qui

annonçaient « un autre évangile ». Dans son Épître aux Colossiens, il s’est élevé contre
67

les germes du gnosticisme qui dénaturaient le Christ des Écritures dans cette Église.

L’apôtre Jean a aussi combattu de son côté pour restaurer l’image du vrai Christ

pervertie par les « faux docteurs ».

Jésus-Christ étant au cœur même du christianisme, corrompre les

enseignements portant sur sa Personne, c’est tenter de saper toute la doctrine

chrétienne à sa base. Les hérétiques ne nous présentent pas un Jésus identique. Le

seul dénominateur commun qu’on pourrait noter, pour ce qui est de l’identité de

Jésus-Christ, c’est qu’ils enseignent un Jésus dénaturé, différent de celui qui est révélé

dans les Écritures. Il est toutefois possible de faire quelques regroupements en

partant de leur manière de présenter le Christ. Nous pouvons identifier trois pôles

autour desquels se regroupent les enseignements hérétiques : la divinité de Jésus-

Christ, son humanité et l’union hypostatique140.

4.1. La négation de la divinité de Jésus-Christ.

La divinité de Jésus-Christ est niée à des degrés différents. Dans le but de

préserver un monothéisme unitaire strict, plusieurs sectes le considèrent

essentiellement comme un homme. Toutes les sectes qui nient la divinité de Jésus le

prennent pour un être créé.

Déjà au temps des apôtres, les enseignements erronés au sujet de la Personne de

Jésus-Christ ont fait irruption. Nous citerons l’exemple de la doctrine de Cérinthe, un

hérésiarque qui s’est popularisé à la fin du premier siècle et au début du deuxième

siècle. Il enseignait que Jésus était un homme qui ne différait en rien des autres

humains. Il est né comme les autres, d’un père nommé Joseph et d’une mère nommée

Marie. C’est seulement à son baptême que le Christ vint sur lui sous la forme d’une

colombe. La venue de Christ sur lui a fait de lui le « Fils de Dieu ». Le Christ habita en

lui jusqu’à la crucifixion au cours de laquelle il le quitta définitivement. Il est mort en

140Stuart Olyott est favorable à une telle répartition. Cf. Stuart Olyott, Fils de Marie, Fils de Dieu :Ce que
la Bible enseigne sur la personne de Christ, Cedex, Europress, 1988, p. 116.
68

tant qu’homme sur la croix. L’apôtre Jean a connu personnellement Cérinthe et l’a

combattu dans ses écrits141.

Après la doctrine de Cérinthe vient en bonne place l’hérésie ébionite. L’ébionisme

est une secte judéo-chrétienne gnostique de Transjordanie. L’origine de cette secte

est peu connue. Tertullien suggère que cette secte tire son nom d’un certain Ebion,

mais il se peut que ce nom ait été donné à la secte à cause de la vie de pauvreté et

l’ascétisme auxquels s’adonnaient les adeptes suivant l’interprétation littérale de

Matthieu 5, 3, surtout si on se réfère à la racine du hébraïque (ebion) qui signifie

« pauvre ». Au deuxième siècle de notre ère, les adeptes de cette secte étaient connus

sous le nom Elkesaïtes. L’enseignement ébionite sur la Personne de Christ stipulait

que Jésus n’était qu’un homme comme tous les autres. Sa naissance n’était pas

miraculeuse mais il a quand même bénéficié d’une assistance divine par le Saint-

Esprit. Suite à son obéissance parfaite à Dieu, il a été élevé par ce dernier et a reçu les

titres de « Messie-Seigneur » et « Fils de Dieu ». Cet enseignement devint plus

systématique avec Théodote de Byzance vers 190 ap. J.-C. Ce dernier formula une

christologie adoptianiste. Il admettait la naissance virginale de Jésus mais ne le

considérait que comme un homme ordinaire. C’est seulement à son baptême que

Jésus aurait été adopté comme « Fils de Dieu », lorsque Dieu a cité les paroles du

Psaume 2, 2. Stuart Olyott souligne que cette hérésie a réapparu au cours de l’histoire

sous le nom de Soniciens, un groupe qui s’est fait un renom au seizième siècle. Les

Unitaires qui subsistent encore aujourd’hui défendent les mêmes hérésies que les

ébionistes142.

Les aloges étaient très proches des ébionistes dans leur doctrine du Christ.

Sous la direction d’un prêtre romain nommé Gaïus, ils s’opposaient radicalement à la

doctrine du Logos en rejetant la préexistence et partant, la divinité de Jésus-Christ.

141 Depuis Schleiermacher et Neander, les critiques défendent ce point de vue, bien que par le passé les
historiens pensaient que l’apôtre Jean s’en prenait aux docètes.
142 Olyott, p. 118.
69

Leur attitude vis-à-vis du Logos leur a valu de la part de leurs adversaires le nom

ridicule alogoi (dépourvus de raison).

Même si ces hérétiques soulignent la descente du Verbe sur Jésus ou bien une

certaine divinité dont il aurait bénéficié, ils maintiennent leur négation de la divinité

de Jésus-Christ car s’il est Dieu, il le serait de toute éternité et non à un certain

moment de son histoire tant il est vrai que d’une part, on ne peut devenir Dieu, et

d’autre part l’immuabilité relève de l’essence de Dieu.

D’autres groupes d’hérétiques qui nient aussi la divinité de Jésus-Christ lui

reconnaissent une certaine préexistence qui toutefois est loin d’être éternelle. C’est

dans ce groupe que l’arianisme se tient en bonne place.

L’arianisme est un mouvement lancé par Arius, un prêtre d’Alexandrie, dès le

début du quatrième siècle. Arius s’est élevé contre son évêque qu’il accusa de

sabellianisme143 à cause de l’unité entre le Père et le Fils que celui-ci confessait. Arius

a recruté des adeptes jusque dans la cour impériale, car la sœur de l’empereur

Constantin adhérait à cette doctrine. Arius est parti du fait que les païens admettent

l’existence de plusieurs dieux. Si les chrétiens tiennent Jésus-Christ pour Dieu, ils

ouvrent une porte à une accusation justifiée, car ils ne seraient pas loin des

polythéistes, ce qui serait préjudiciable pour le christianisme. Il défendait sa position

en s’appuyant sur des textes comme Jean 14, 28 ou encore Proverbes 8, 22. Dans son

souci de considérer Dieu comme unique et éternel, il dit que Dieu a fait « Fils unique »

la première de ses créatures et l’a placé au-dessus de toutes les autres créatures. Par

son intermédiaire, le Dieu éternel a fait venir à l’existence toutes les autres créatures. A

un moment précis, ce « Fils unique » est entré dans l’histoire de l’humanité en

devenant homme en la personne de Jésus de Nazareth. L’unité de ce dernier fut

conservée par le fait que le Logos a pris la place de l’esprit humain.

143 Le sabellianisme définit Dieu comme une unité absolue. Selon cette hérésie, Dieu le Père, le Fils
ressuscité et le Saint-Esprit sont différentes modes ou aspects de l’unique Dieu. Par conséquent, les trois ne
sont pas des personnes différentes. Dieu est une monade, une unité indivisible. Ainsi le même Dieu s’est
manifesté en tant que Père dans la Création, en tant que Fils dans la rédemption des hommes et en tant que
Saint-Esprit dans la sanctification. Suivant la théorie sabellianiste, c’est Dieu lui-même qui est mort sur la
croix. Cette hérésie est une opposition radicale à l’idée de la Trinité. Cf. Pier Franco Beatrice, “The Word
"Homoousios" from Hellenism to Christianity”, Church History, Vol. 71, No. 2 , 2002, pp. 251-253.
70

Cette nouvelle doctrine a secoué l’Église en y créant un schisme, ce qui causa

beaucoup de peines à l’Église. L’empereur Constantin prit la résolution de convoquer

un concile qui se tint à Nicée. Deux personnes jouèrent un rôle important au cours de

ce concile. Il s’agit d’Osius de Cordoue et d’un diacre d’Alexandrie, assistant de son

évêque, nommé Athanase. Après des débats houleux sur la Personne de Jésus-Christ,

l’orthodoxie triompha et l’arianisme fut stigmatisé. Arius et les évêques qui refusèrent

de signer la formulation de Nicée furent exilés. La lutte ne s’arrêta pas à ce concile car,

une fois devenu évêque et patriarche d’Alexandrie, Athanase poursuivit son combat

contre l’arianisme, qui était loin d’être réduit au silence, en s’appuyant sur les données

de l’Écriture et les croyances de l’Église primitive. A cause de cette défense de

l’orthodoxie, Athanase fut cinq fois forcé à l’exil mais il ne baissa à aucun moment les

bras face à ses adversaires.

C’est curieux de se rendre compte que l’arianisme a resurgi dans l’histoire,

mais sous un autre nom, car les mêmes erreurs sont défendues par ceux qui se font

appeler Témoins de Jéhovah. Stuart Olyott dit à ce propos: « Cependant l’arianisme

ne mourut jamais d’une mort définitive, et il émergea de nouveau dans l’histoire de

temps à autre. Ceux qui aujourd’hui s’intitulent eux-mêmes Témoins de Jéhovah

représentent une forme de l’arianisme, soutenant exactement les mêmes erreurs

qu’Arius au sujet de la personne de Christ »144.

Il s’ensuit que l’admission de la préexistence limitée dans le temps de Jésus-

Christ ne réduit en rien la négation totale de sa divinité145. Si pour ce premier groupe,

Jésus-Christ n’est pas Dieu au sens plein du terme, pour un autre groupe, c’est plutôt

son l’humanité véritable qui est en cause.

144 Ibid, p. 117.


145 Plusieurs autres sectes modernes nient la divinité de Jésus-Christ. Nous citerons entre autres
l’Anthroposophie, l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, l’Église de l’Unification, l’Église
Universelle de Dieu, la Foi bahâ’ie, la Méditation Transcendantale, la Théosophie et le Spiritisme. Ces
sectes et bien d’autres qui nient la divinité de Jésus-Christ ne partent pas toutes des mêmes données, mais
toujours est-il qu’elles parviennent à la même conclusion, réduisant ainsi le Christ de l’Écriture en une
simple créature, strictement inférieure à Dieu. Pour ce qui est de leur nombre, Olyott fait remarquer que
« la plupart des autres sectes modernes nient aussi expressément la divinité du Sauveur ». Cf. Id.
71

4.2. La négation de l’humanité de Jésus-Christ.

Dans les premiers temps de l’Église, presque tous les groupes qui ont refusé

d’admettre l’humanité de Jésus étaient issus du gnosticisme. Dès le deuxième siècle,

l’enseignement gnostique était propagé dans tout le monde connu. Le gnosticisme

est un système qui est le fruit d’un syncrétisme d’éléments religieux et philosophiques.

On y trouve des éléments provenant du judaïsme, du zoroastrisme, du christianisme,

des cultes à mystère et de la philosophie hellénistique. Les gnostiques croyaient à un

dualisme entre l’esprit qu’ils identifiaient au bien, et la matière qu’ils identifiaient au

mal. Étant Esprit, donc bon, Dieu ne peut pas entrer en contact avec la matière qui est

mauvaise. Pour cela, il a créé des êtres intermédiaires appelés « éons », dont Jésus

serait le premier, dans le but d’avoir un lien avec le monde. Dès lors, la nécessité de

l’incarnation devient une simple illusion dans la mesure où, étant esprit, il est

inconcevable que Jésus-Christ devienne homme selon les gnostiques. Le gnosticisme

écarte donc toute la possibilité pour Jésus-Christ de revêtir la chair.

Marcion fut l’un des plus grands représentants du gnosticisme. Avant de

s’installer à Rome où il intégra l’Église locale, il avait mené une vie aisée à Byzance. Sa

générosité lui gagna la faveur de beaucoup de personnes, ce qui était un atout non

négligeable pour l’expansion du mouvement dont il se fit le promoteur. Il se sépara un

peu plus tard de l’Église (144 ap. J.-C.) pour fonder une Église rivale. Sa christologie

était basée sur des idées gnostiques. Il considérait le démiurge ou le Dieu créateur

comme un « éon » inférieur qu’il identifiait au Dieu de l’Ancien Testament supposé

être mauvais. Le Dieu bon qu’il oppose au démiurge a pour sa part envoyé Jésus-

Christ comme sauveur. Marcion adhérait à une christologie docète. Il enseignait que

Jésus-Christ est venu sur terre sans être né; et le corps dans lequel il est apparu n’était

qu’un corps apparent et non réel en s’appuyant sur des textes comme Luc 4, 30 et
72

Romains 8, 3. Point n’est besoin de dire qu’il niait catégoriquement l’incarnation du Fils

de Dieu146.

L’enseignement docète prit son essor au quatrième siècle à partir du

gnosticisme. Le terme docétisme nous provient d’un terme grec dokein qui signifie

« sembler », « paraître ». Le Christ des docètes est un être céleste qui n’a pas connu

une humanité réelle. Stuart Olyott décrit le Christ des docètes en ces termes : « Il

semblait être un homme, mais ne l’était pas. Son humanité n’avait pas d’existence

substantielle. Cela ne représentait rien de plus qu’une simple vision, une illusion par

laquelle le Verbe décida de se manifester pour un temps à l’humanité. Il ne naquit ni

ne mourut »147.

C’est en partant du présupposé gnostique selon lequel l’esprit est bon et la

matière mauvaise que les docètes ont déduit que la vie humaine de Jésus-Christ se

doit de se comprendre en terme de « spectre ». Ils considèrent l’humanité réelle de

Jésus-Christ comme relevant d’une utopie pure et simple. Son corps n’est à considérer

que dans le sens d’une hallucination ou d’un fantasme. Pour les docètes, Jésus-Christ

est apparu dans la stature d’un adulte dans un corps purement spirituel. Cette

« hérésie » a fait du mal à l’Église du premier siècle mais fut censurée par les

représentants de l’orthodoxie.

L’influence néfaste du gnosticisme ne s’est pas limitée aux premiers siècles qui

ont suivi la naissance de l’Église, car cette hérésie a resurgi sous une autre forme dans

le monde moderne. A en croire Walter Martin, « le gnosticisme a repris vie dans la

structure théologique de la Science Chrétienne, et c’est Mme Eddy qui s’est faite

interprète de ce courant au vingtième siècle 148 ». La Science Chrétienne n’admet pas

l’existence d’un Dieu personnel. Le Dieu de la Science Chrétienne est défini comme

146 La doctrine de Marcion a suscité de vives réactions dans l’Église. Polycarpe qui connaissait
personnellement Marcion l’appelait « le premier-né de Satan », B. K. Kuiper, l’Église dans l’histoire.
Perspectives Réformées, s. d. p. 35. Justin Martyr et Tertullien ont combattu la doctrine de Marcion par
leurs ouvrages respectifs intitulés Contre Marcion.
147 Olyott, p. 119.
148 Walter Martin, Le monde des sectes, Miami, Vida, 1989, p. 443.
73

« Principe ; Entendement; Âme; Esprit; Vie; Vérité; Amour; toute substance;

intelligence » par Mary Baker Eddy149. Si Dieu n’est pas personnel, il s’ensuit que Jésus

est aussi impersonnel. Les convictions de la Science Chrétienne sur la Personne de

Jésus-Christ ressortent clairement dans les écrits de Mary Baker Eddy. Elle dit que « le

Christ spirituel était infaillible; Jésus, en tant qu’homme matériel, n’était pas le

Christ 150». Cette déclaration permet de comprendre que pour cette secte, Jésus-

Christ n’avait pas de nature humaine, il n’était qu’un être spirituel. Mary Baker Eddy,

porte-parole de la secte, estime que l’incarnation s’oppose à la nature de Dieu. Pour

elle, concevoir l’incarnation c’est oser limiter Dieu et tenter en même temps de le

diviser alors que Dieu ne peut être ni limité, ni divisé. C’est ainsi qu’elle déclare : « Une

partie de Dieu ne pourrait entrer dans l’homme; et la plénitude de Dieu ne pourrait

pas davantage être reflétée par un seul homme, autrement Dieu serait manifestement

fini, Il perdrait son caractère déifique et deviendrait moindre que Dieu 151 ». S’il n’y a

pas eu incarnation, cela veut dire que la naissance virginale du Fils de Dieu conçu par

le Saint-Esprit serait une « illusion ». Le Jésus de la Science Chrétienne n’est rien

d’autre qu’un idéal, un principe divin. Elle nous présente un « Jésus gnostique, une

idée, un principe »152 mais pas Emmanuel c’est-à-dire Dieu avec nous. La position de

la Science Chrétienne vis-à-vis de l’humanité de Jésus ne nous étonne pas dans la

mesure où elle nie la réalité du monde matériel et partant, la réalité de la chair

humaine qui ne relève selon elle que de l’illusion. Jésus ne ferait pas exception à la

149Mary Baker Eddy, Science et santé avec la clef des Écritures, Massachusetts, The First Church of Christ,
Scientist, 1989, p. 587. Voir aussi pp. 113, 115.
150 Mary Baker Eddy, Ecrits divers, p. 84, cité par Walter MARTIN, p. 443.
151Mary Baker Eddy, Science et santé et avec la clef des Écritures, Massachusetts, The First Church of
Christ, Scientist, 1989, p. 336.
152 Martin, p. 444
74

règle en venant en chair et en os153. Si Jésus n’a pas assumé la nature humaine, cela

veut dire qu’il n’y a pas eu de sang expiatoire versé sur la croix. D’ailleurs la Science

Chrétienne récuse catégoriquement la nécessité du sang devant servir à l’expiation

des péchés. Mary Baker Eddy dit avec un brin d’ironie que « le sang matériel de Jésus

n’était pas plus efficace pour purifier du péché quand il fut versé sur le « bois maudit »

que lorsqu’il coulait dans ses veines alors qu’il était chaque jour occupé aux affaires

de son Père 154 ».

Jusque-là nous n’avons vu en rapport avec l’humanité de Jésus que les

groupes hérétiques qui déclarent que Jésus n’est pas venu en chair et en os. En

d’autres termes, les enseignements erronés se rapportant à l’humanité de Jésus que

nous avons examinés jusque-là nient catégoriquement l’existence de toutes les

composantes de l’humanité de Jésus. Il serait important de signaler aussi des cas où

ce n’est qu’une partie des éléments constitutifs de l’être humain qui est méconnue.

Nous citerons en guise d’exemple l’apollinarisme.

L’apollinarisme tire son nom d’Apollinaire (300-390 ap. J.-C.), évêque de

Laodicée. Reconnu comme orthodoxe sur plusieurs points de doctrine, la christologie

lui fit défaut et porta atteinte à son grand savoir. En prenant pour base une

anthropologie émanant du platonisme c’est-à-dire trichotomiste, il dit que Christ avait

un corps humain, une âme animale mais il était dépourvu d’un esprit humain. A la

place de l’esprit humain qui est le siège du péché, Jésus - Christ aurait eu le Logos. Il

ressort de cet enseignement une négation de la parfaite humanité de Jésus, car ce

dernier nous est dépeint avec une humanité tronquée. C’est la raison pour laquelle le

concile de Constatinople (381 ap. J.-C.) a fustigé l’apollinarisme.

153 Nous aurions pu classer cette secte aussi dans la catégorie des sectes qui nient la divinité de Jésus, car en
plus de la négation de l’humanité de Jésus, elle ne reconnaît pas Jésus-Christ comme Dieu. Il n’y a qu’à se
référer à cette déclaration de Mary Baker Eddy pour voir clairement son opposition à la divinité de Jésus-
Christ: « Le Chrétien qui croit au premier commandement est monothéiste. Ainsi virtuellement il est
d’accord avec la croyance du Juif à un seul Dieu et il reconnaît que Jésus-Christ n’est pas Dieu, ainsi que le
déclara Jésus-Christ lui-même, mais qu’il est le Fils de Dieu ». Eddy, Science et santé, p. 361. Le Jésus de
la Science Chrétienne n’est donc ni Dieu, ni homme, mais une abstraction.
154 Eddy, Science et santé, p. 25.
75

Les deux points de convergence de la christologie des sectes susmentionnés

jettent la lumière sur le Jésus des sectes qui est soit un simple homme dépourvu de

nature divine, soit un être céleste sans corps ou encore une simple abstraction qui

peut être soit une « idée » ou un « principe ». Il nous reste maintenant à voir le dernier

point de convergence.

4.3. La négation de l’union hypostatique.

Il s’agit des hérésies émanant de la fausse compréhension de l’union

hypostatique155. Certains hérétiques ont vu en Jésus-Christ deux personnalités,

d’autres au contraire ont identifié en lui une seule personnalité mais en réduisant les

deux natures en une seule. Plusieurs hérésies de ce genre ont troublé l’Église des

premiers siècles.

L’une de ces hérésies des premiers siècles est le nestorianisme. C’est un

mouvement lancé par un moine d’Antioche nommé Nestorius, disciple de Théodore

de Mopsueste (350-420 ap. J.-C.). Ce dernier avait le souci d’écarter toute confusion

entre les deux natures de Jésus-Christ, mais dans ses explications, il donnait

l’impression que la personnalité de Jésus-Christ est le résultat de l’association de deux

natures qui pouvaient d’ailleurs s’exprimer l’une indépendamment de l’autre. Il

soutenait par exemple que c’est seulement la nature humaine de Jésus qui a souffert

sur la croix mais pas ses deux natures. Henri Blocher dit à son sujet que « malgré ses

efforts, Théodore ne parvient pas à l’identification personnelle autorisant seule

l’adoration de Jésus; il ne dépasse pas le ‘comme si’ 156».

Si Théodore a su exprimer ses convictions sur la Personne de Jésus-Christ avec

un peu de circonspection, ce ne sera pas le cas pour son disciple Nestorius. Parvenu

au siège patriarcal à Constantinople en 428 ap. J.-C.157, il exprima de façon nette et

155 L’expression union hypostatique désigne l’union des deux natures du Christ, à savoir la nature humaine
et la nature divine.
156 Blocher, Christologie, fascicule 1, p.108.
157 Il a été patriarche de Constantinople de 428-431 ap. J.-C.
76

claire ses idées erronées sur l’union hypostatique. Il ne doutait ni de la divinité de

Jésus-Christ, ni de son humanité, mais il tenait à maintenir ses deux natures séparées.

Dans l’intention de défendre l’intégrité de l’humanité de Jésus, il s’est vigoureusement

insurgé contre l’appellation theotokos (Mère de Dieu) attribuée à Marie. La distinction

très poussée entre l’humanité et la divinité de Jésus-Christ a débouché sur l’idée que

Jésus aurait deux personnalités différentes. Ainsi pour Nestorius, les deux natures du

Christ sont deux personnalités juxtaposées, l’humanité servant d’habitation à la

divinité.

Cyrille d’Alexandrie a courageusement combattu les idées de Nestorius en

affirmant la position orthodoxe selon laquelle la présence en Jésus-Christ de deux

natures ne font pas de lui deux personnes, mais une personne ayant deux natures

harmonieusement unies. Pour mettre un terme au conflit que Nestorius a occasionné

dans l’Église, l’empereur Théodose II convoqua un concile à Ephèse (431 ap. J.-C.)

dont les clauses donnèrent raison à l’orthodoxie. Le nestorianisme fut condamné,

Nestorius en personne fut destitué et forcé à l’exil158.

L’hérésie de Nestorius a servi de base à l’émergence de l’adoptianisme au

huitième siècle, une forme de nestorianisme mitigé, dont les tenants étaient

l’archevêque Elipand de Tolède et l’évêque Félix d’Urgel. Elipand voulait au départ

expliquer les deux natures de Christ mais comme cela lui paraissait difficile, voire

impossible, il s’accrocha à l’idée que Jésus-Christ était Fils de Dieu quant à sa nature

divine, mais fils adoptif de Dieu quant à sa nature humaine.

Aux antipodes de la christologie nestorienne vient se dresser celle de

Eutychès. Eutychès était un prêtre et un archimandrite d’un couvent situé à proximité

de Constantinople qui avait une grande renommée. Il en sortit pour prendre la

défense de la foi discréditée par l’hérésie de Nestorius, mais pour tomber lui aussi

dans une autre hérésie. Dans son effort de défendre l’union des deux natures, il a fini

par les considérer dans un sens abstrait et déclara que Jésus-Christ avait une seule

158Il semble que suite à son exil, Nestorius a modéré sa position vis-à-vis de l’union hypostatique en se
rapprochant de l’orthodoxie. Cf. Blocher, p. 109.
77

nature. « Il va jusqu’à nier que l’humanité de Jésus-Christ nous soit consubstantielle:

probablement dans le sens qu’elle est transformée par la divinité » 159. Eutychès fut

condamné comme hérétique au concile de Chalcédoine (451 ap. J.-C.) et mourut en

exil peu de temps après, à l’âge de 75 ans.

Suite à la condamnation du monophysisme160 par les tenants de l’orthodoxie

qui confessaient pour leur part les deux natures du Christ se réalisant dans une seule

personnalité, quelques-uns de ceux qui avaient été condamnés optèrent pour une

doctrine subtile en reconnaissant les deux natures de Jésus-Christ mais avec une

seule volonté divino - humaine. L’empereur Héraclinus (611-641) et le Pape Honorius

(625-638) défendaient aussi cette doctrine, ce qui donna lieu à une controverse dans

l’Église, car en Orient comme en Occident, il y avait des remous. La nécessité de

l’organisation d’un concile se fit sentir et il fut convoqué à Constantinople (680 ap. J.-

C.). Cette doctrine appelée monothélisme fut dénoncée comme hérétique ainsi que

tous ceux qui la confessaient. Le Pape Honorius fut condamné comme hérétique à

titre posthume. Le concile réaffirma la position orthodoxe selon laquelle en Christ, il y

a deux natures, deux volontés et une seule personne.

Nous nous sommes largement inspirés, dans ce survol, du passé pour peindre

le Jésus des sectes mais nous ne pensons pas qu’il y ait anachronisme dans la

mesure où tout au long de ce développement, nous nous sommes rendu compte que

les hérésies du passé ont fait résurgence sur la scène de l’histoire en changeant

simplement de nom. Les sectes du passé ou modernes nous présentent un Jésus qui

n’est pas égal au Dieu Créateur. Il est soit un être angélique, soit un être humain

ordinaire qui ne s’est fait remarquer que par sa piété, soit un être angélico ou divino-

humain dont l’union des deux natures aurait fait de lui deux personnes différentes ou

une seule personne avec une seule nature, une seule volonté ou enfin une simple

159 Blocher, p. 110.


160Le terme monophysisme qui provient de deux mots grecs (monos, unique, et phusis, nature) enseigne
que le Fils n'a qu'une seule nature, celle-ci étant sa nature divine qui a absorbé sa nature humaine. Cette
doctrine se veut un rejet de la double nature de Jésus-Christ. Elle fut condamnée comme hérétique au
Concile de Chalcédoine en 451 ap. J-C.
78

abstraction. Admettre la divinité de Jésus-Christ pour les unes, c’est créer un

panthéon. Admettre son humanité, pour celles qui ont surtout été influencées par le

gnosticisme, c’est un non sens car l’esprit qui est bon ne peut ni s’incarner, ni se

transformer en matière qui est mauvaise. Le Jésus des sectes tel que nous venons de

l’examiner est différent et strictement inférieur à celui de l’Écriture qui est une

Personne en qui coexistent une nature parfaitement divine et une nature parfaitement

humaine unies entre elles « sans (qu’il y ait) confusion, transformation, division,

séparation » comme l’ont si bien confessé les Pères de Chalcédoine. Walter Martin

affirme avec raison: « Le Jésus ... de toutes les sectes n’est autre qu’une caricature du

Christ de la révélation divine »161.

Questions de réflexion

- Repérez les trois axes autour desquels se cristallisent les erreurs

christologiques.

- Un adepte de la science chrétienne vous accoste dans la rue et vous dit que

Jésus n’est en réalité ni Dieu, ni homme dans le sens strictement technique de

ces termes. Que répondriez-vous ?

- En quoi la sauvegarde d’une saine christologie est-elle importante pour l’Église

5. Les trois offices du Christ


Christ est le « oint » par excellence.

5.1. L’office prophétique

L’onction prophétique n’est mentionnée que pour Élisée (1Rois 19, 16). Les

prophètes étaient toutefois des oints (Psaumes 105, 15). Le prophète est celui qui

révèle Dieu. Il parle pour Dieu. Le Christ par contre parle comme Dieu. Il révèle Dieu

161 MARTIN, p. 445.


79

en se révélant lui-même. Il est Dieu avec nous. Lors de son ministère terrestre, la foule

le tenait pour un prophète (Lc 7, 16; Mt 21, 11). Il s’est refusé de réfuter cette thèse. Au

contraire, certaines de ses déclarations sont de nature confirmer qu’il appartient à la

catégorie des prophètes. Dans Mt 13, 57, en se référant à lui-même, il affirme qu’un

prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans Lc 13, 33, en pensant à sa

prochaine mort, il affirme qu’il n’est pas convenable qu’un prophète périsse hors de

Jérusalem. D’ailleurs il comprend son ministère comme l’accomplissement de la

prophétie d’Esaïe (Lc 4, 17ss/Es 61, 1). L’auteur de l’épître aux Hébreux confirme que

Jésus est le point culminant de la révélation de Dieu par les prophètes (He 1, 2). Le

prophète est le porte-parole de Dieu. Aussi voit-on les prophètes de l’Ancien

Testament reprendre le refrain « Ainsi parle l’Eternel ». Jésus qui est l’incarnation de

Dieu, donc la révélation de Dieu aux hommes dit : « mais moi je vous dis » (Mt 5, 22 ;

5,28 ; 5, 34 ; 5, 39 ; 5, 44 ; Jn 15, 16). Dans la réalité, Jésus est plus qu’un prophète car

il est le Logos de Dieu (Jn 1, 1), il est le Fils de Dieu (Jn 3, 16), il est Dieu parmi les

hommes (Mt 1, 23). Aucun prophète n’a porté ces titres.

5.2. L’office sacerdotal

Les sacrificateurs dans l’Ancien Testament étaient oints pour entrer en fonction

(Ex 30, 30; 40, 15; Lv 10, 7. Le sacrificateur était considéré comme l’officiant des

choses sacrées. Il s’occupait des « choses saintes ». Ils avaient aussi la responsabilité

d’instruire le peuple dans les voies de Dieu en lui enseignant la loi (Jr 18, 18; Ml 2, 6s).

Il relevait aussi de leur compétence de consulter Dieu à travers les Ourim et Toumim.

Ils s’occupaient du culte, des sacrifices, de la louange et de la prière. Le souverain

sacrificateur entrait une fois par an dans le lieu très saint pour expier les péchés du

peuple (Lv 16).

Il faut se référer particulièrement à l’épître aux Hébreux pour comprendre le

rôle que Jésus a joué comme sacrificateur. Jésus y est appelé le souverain sacrificateur

comme Aaron dans le désert (He 5, 4ss). Jésus joue son rôle de souverain sacrificateur

en présentant à Dieu non pas le sang des animaux, mais son propre sang. Il est à la
80

fois le sacrificateur et la victime expiatoire. Ce faisant, il mit un terme au sacrifice car lui

il est mort une fois pour toutes (He 10, 1-12). Sachant que la présentation du sang à

Dieu par le souverain sacrificateur est une forme d’intercession, Jésus a assuré

l’intercession sacerdotale par sa mort. L’auteur de l’épître aux Hébreux compare

l’œuvre de Jésus-Christ à celle de Melchisédek, cet être sans généalogie qui est le

symbole du sacerdoce royal et éternel (He 7).

5.3. L’office royal

Vingt-neuf fois sur trente-neuf dans l’Ancien Testament, l’oint (Christ) est un

monarque. C’est donc sans surprise que le roi de Juda ou d’Israël est appelé « oint de

YHWH ». Il est juge et berger du peuple de Dieu (2 S 5, 2; 24, 17; Ps 78, 71s). Il joue ce

rôle comme délégué de YHWH qui est le véritable berger de son peuple (Ex 15, 18; Ps

80, 2; Nb 23, 21; Dt 33, 5). Les psaumes royaux vont au-delà des rois contemporains

aux psalmistes pour décrire l’idéal du roi qui est à venir. Il y est question de celui qui

incarnera le roi idéal selon le cœur de YHWH. Cette espérance est présente chez les

prophètes comme Amos, Osée, Esaïe, Daniel, etc.

L’annonciation souligne avec force et clarté l’attribution de l’office royal à Jésus

(Lc 1, 32ss; Mt 1, 23). La foule qui suivait Jésus confirme cela (Mt 9, 27; 12, 23; 15, 22;

20, 30). Son entrée triomphale à Jérusalem illustrant sa proclamation comme roi

messianique se veut l’accomplissement de la prophétie de Zacharie (9, 9s; Mt 21, 1-9;

Mc 11, 10; Lc 19, 38; Jn 12, 13). Il est donc sans surprise que la résurrection et

l’ascension de Jésus ont débouché sur la proclamation de sa royauté éternelle (Ac 2,

36). Avant son ascension, il avait déjà réclamé l’autorité universelle lorsqu’il dit à ses

disciples qu’il a reçu tout pouvoir dans le ciel et sur la terre (Mt 28, 18//Da 7, 14). Les

épîtres soulignent la royauté de Jésus (Ep 5, 5; 2 Tm 4, 1; 2 P 1, 11). L’auteur de

l’Apocalypse lui reconnaît le titre de « Roi des rois et Seigneur des seigneurs » (17, 14;

19, 16). Sa royauté est une royauté absolue. Non seulement elle est infinie, mais sa

nature et son style diffèrent de ceux des autres monarques (Jn 18, 36).
81

Jésus-Christ exerce son autorité royale sur son Église à travers son Esprit et sa

Parole (Ac 15, 28; 1 Cor 14, 37s; 2 Cor 13, 2s). Il règne dans son Église dont il est la

tête. D’ailleurs les juifs ont tôt fait d’accuser les chrétiens d’adorer Jésus comme roi (Ac

17, 7). Mais il convient de souligner que son règne ne se limite pas à l’Église. Comme

souligné plus haut, lui-même a dit à ses disciples qu’il a tout pouvoir dans le ciel et sur

la terre. L’apôtre Paul y revient dans son épître aux Philippiens 2, 9-11 où il dit : « C'est

pourquoi aussi Dieu l 'a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus

de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre

et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus -Christ est Seigneur, à la

gloire de Dieu le Père. » Aucun autre nom n’est comparable à celui de Jésus-Christ. Il

est unique. Lui seul est le Sauveur. Lui seul est le Christ oint par Dieu en personne (He

1, 4). Lui seul est le Fils de Dieu. Son rang, ses titres, sa dignité sont au-dessus de ceux

des autres. Son exaltation fait de lui le Roi et le Messie du ciel. C’est d’ailleurs ce sur

quoi l’apôtre Pierre insistait le jour le la Pentecôte pour convaincre les juifs de l’autorité

de celui qu’ils ont fait crucifier (Ac 2, 33). La souveraineté de Jésus-Christ est aussi

exprimée avec force dans Éphésiens 1, 20-22 qui stipule : « Il l'a déployée en Christ,

en le ressuscitant des morts, et en le faisant asseoir à sa droite dans les lieux célestes,

au-dessus de toute domination, de toute autorité, de toute puissance, de toute

dignité, et de tout nom qui se peut nommer, non seulement dans le siècle présent,

mais encore dans le siècle à venir. Il a tout mis sous ses pieds, et il l'a donné pour chef

suprême à l'Église. » Dans ce passage, il est clairement exprimé que le « chef

suprême de l’Église » est assis à la droite de Dieu et il a autorité sur toute puissance ou

dignité dans ce siècle et dans le siècle à venir. L’Église jouit du soutien de Celui qui est

son chef (Jn 17, 2). L’Église peut être fière d’avoir pour chef Celui qui contrôle et

soutient tout l’univers. Tous les éléments de la nature, les éléments physiques, les rois

et les dirigeants des nations, l’armée des cieux, même les anges déchus sont sous son

contrôle. Rien de ce qui existe n’échappe à son contrôle (Ps 8, 6; Mt 28, 18).
82

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THIESSEN, H. C., Esquisse de théologie biblique, Paris, Ed. Farel et Béthel, 1985.
Table des matières

Introduction 3
1. Considérations préliminaires 5
1.1. La christologie devrait-elle occuper toute la place en théologie? 5
1.1.1. Karl Barth 5
1.1.2. Selon la théologie biblique 6
1.2. Trois questions essentielles qui président à la bonne étude de la doctrine du Christ: 6
1.2.1. Le lieu de la christologie 6
1.2.2. La méthode 6
1.2.2.1. Christologie d’en-haut, assumo, c’est-à-dire descendante et déductive. 7
1.2.2.2. Christologie d’en-bas, ab imo, ascendante (plus ou moins inductive). 7
1.2.2.3. La combinaison des deux mouvements ascendant et descendant. 8
1.2.2.4. Quelle approche préconiser pour arriver vraiment à une compréhension exacte de Jésus-Christ?
8
1.3. Les prémisses ou présupposés 9
1.3.1. L’approche humaniste centrée exclusivement sur la raison de l’homme moderne 9
1.3.2. L’approche qui croit à l’inspiration des Écritures 9
2.3. L’Écriture : la clé de l’interprétation du Christ 10
2.3.2. Remarques importantes de Blocher 10
2. Le discernement de Jésus-Christ dans l’histoire. La révélation progressive par la Parole de Dieu. 12
2.1. L’orientation du Tanak vers le Christ 12
2.1.1. L’affirmation par le Nouveau Testament 13
2.1.2. Les modalités de la référence 13
2.1.2.2. Les événements, les institutions, les hommes, sont des préfigurations du Christ ou l’ombre des
choses à venir, des exemples. 14
2.1.2.3. L’Ancien Testament fait référence au Christ sur le mode prédictif, dans des oracles qui l’annoncent
d’avance. 14
2.1.3. L’objectivité de la disposition15
2.1.3.1. L’interprétation christologique n’est pas plaquée « par la foi » sur des documents qui ne la
réclameraient pas eux-mêmes. 15
2.1.3.2. L’objectivité textuelle du sens christologique dégagé par Jésus et les apôtres signifie que leur
lecture est pour nous normative. 16
2.1.4. L’enjeu de la thèse (la venue du Christ est préparée dans l’Ancien Testament) 16
2.1.4.1. C’est à partir des paroles de Jésus et de l’Ancien Testament que les disciples ont compris ce que
Jésus était et faisait. 16
2.2. Les indices repérables 19
2.2.1. La place des prédictions. 19
2.2.2. L’insuffisance de l’externe 20
2.2.3. La théologie du Reste 21
2.2.4. Les dualités d’inachèvement 21
2.2. Les formes principales de la promesse 22
2.3.1. La semence et le Prophète 22
2.3.1.1. La semence 22
2.3.1.2. Le nouveau Moïse 23
2.3.2. Le Fils de David 24
2.3.3. Le Serviteur souffrant 25
2.3.4. Le Fils de l’homme 26
2.4. Remarques importantes 28
2.4.2. L’aporie des dualités est très présente 28
2.4.3. Dans l’AT, les lignes de la promesse convergent mais ne se rejoignent pas 28
2.5. Le témoignage apostolique 29
2.5.1. L’énigmatique Yesûa de Nazareth 29
2.5.2. L’énigme de l’enseignement 30
2.5.3. L’énigme de la personnalité 32
2.5.4. L’énigme de la référence à soi 34
-Le Christ ou le Messie 34
2.6. Le seigneur justifié par l’Esprit 39
2.6.1. La portée de la résurrection 40
2.6.2. La prédication primitive 41
2.6.3. L’approfondissement paulinien 43
2.7. Le Fils éternel incarné : deuxième phase 46
2.7.1. La célébration du Mystère dans les dernières épîtres de Paul. 47
2.7.1.1. L’Épître aux Colossiens et aux Éphésiens 47
2.7.1.2. Les lettres à Tite et à Timothée 48
2.7.1.3. La théologie raffinée de l’Épître aux Hébreux 48
2.7.1.4. Le témoignage du théologien 49
3. La constitution de la personne : les deux natures de l’unique Fils 52
3.1. La divinité de Jésus-christ : preuve biblique 53
3.1.1. Les noms divins 53
3.1.2. Les œuvres divines 55
3.1.3. Les honneurs divins 56
3.2. L’humanité du Christ : preuves bibliques 56
3.2.1. Les déclarations expresses 56
3.2.2. L’attribution de la nature humaine 57
3.2.3. Les traits spécifiquement humains 57
3.3. Précisions dogmatiques 59
3.3.1. Le Fils de Dieu s’est incarné, il s’est fait homme (Jn 1, 14). 59
3.3.2. Son humanité est sans péché 59
3.3.3. Le Christ est homme, mais Chef d’humanité comme Adam 60
3.4. L’union des deux natures 61
3.4.1. L’union sans confusion 61
3.4.1. La kénose 63
3.5. La personne et l’œuvre du christ : Les deux états du médiateur 64
3.5.1. État d’humiliation 64
3.5.2. État d’exaltation 66
Questions de réflexion 66
4. Bref aperçu de l’enseignement des sectes sur la double nature de Jésus-Christ 66
4.1. La négation de la divinité de Jésus-Christ. 67
4.2. La négation de l’humanité de Jésus-Christ. 71
4.3. La négation de l’union hypostatique. 75
5. Les trois offices du Christ 78
5.1. L’office prophétique 78
5.2. L’office sacerdotal 79
5.3. L’office royal 80
Bibliographie 82

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